De l`anxiété à la dépression

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Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété
De l’anxiété à la dépression
C. Mirabel-Sarron
Psychiatre, Hôpital Sainte Anne, Paris
En population générale, la prévalence vie entière de l’anxiété et de la dépression est d’environ 30 %. Plus
d’une personne sur trois est concernée par une souffrance dépressive ou
anxieuse. En terme de qualité de vie,
cette association « anxiété-dépression » est délétère car elle conduit à
des ruptures professionnelles, scolaires, familiales, ainsi qu’à une
consommation accrue de toxiques
tel que l’alcool. Devant la forte prévalence et l’importance des conséquences de ce trouble, il est important de proposer aux patients des
thérapeutiques adaptées.
Sur le plan historique, on a tendance
à avoir une conception bifocale des
troubles : dépression névrotique/psychotique, dépression ou anxiété réactionnelles/endogènes… Actuellement, un passage progressif
s’effectue d’une vision catégorielle
vers une approche dimensionnelle : la
définition d’un syndrome mixte
anxiété-dépression dans le DSM V
est en discussion.
Les classifications séparent toujours
les troubles anxieux des troubles dépressifs en les distinguant par la for-
TABLEAU 1. — Comment distinguer anxiété et dépression ?
Symptôme
DÉFINITION
Le syndrome anxio-dépressif est une
entité composite décrite de manière
très variée. Sous cette appellation
sont regroupées diverses formes cliniques. Les classifications préfèrent
séparer les 2 entités que sont la dépression et l’anxiété. Mais en pratique clinique, les plaintes du patient
n’appartiennent pas strictement à
une seule catégorie. Et sur le plan
thérapeutique, il existe bien une unité pharmacologique à propos des
traitements de ces symptômes.
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt.
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
me, le contenu et la sévérité des
symptômes. Cependant, certains
diagnostics sont mixtes comme le
trouble de l’adaptation ou le trouble
anxieux non spécifique.
Les échelles d’évaluation de la dépression (MADRS, HDRS) ou de
l’anxiété (HARS, Tyrer) contiennent
respectivement des items pour
l’anxiété et la souffrance dépressive.
Ces outils sont pratiques pour bien
évaluer l’intensité de la souffrance
mais ne permettent pas de démêler
la part d’anxiété et de dépression.
Dépression
Anxiété
Trouble du sommeil
Insomnie du petit matin
Insomnie d’endormissement
Cyclicité
Plus mal le matin
Plus mal en fin d’après-midi
Attention
Perte des intérêts
Hyper vigilance
Activité motrice
Ralentissement psychomoteur
Agitation
Comportement alimentaire
Réduction de la prise
alimentaire
Augmentation de la prise alimentaire avec grignotages
Représentation du temps
Aucune anticipation dans le Anticipation permanente,
futur
« scénarios catastrophes »
Interaction
avec le thérapeute
Parle peu, répond aux
questions par des phrases
courtes
Parle beaucoup, pose
des questions, veut connaître
la suite
Dans le cas d’un syndrome anxio-dépressif, la dépression est toujours privilégiée et l’anxiété minimisée. La dépression est notre première
préoccupation car elle influence le
pronostic vital. Mais la prise en charge
spécifique de l’anxiété pourrait permettre de prévenir la survenue de rechutes ou complications dépressives.
On peut distinguer l’anxiété de la dépression en s’appuyant sur le type
d’expression des symptômes communs (figure 1).
PRÉSENTATIONS CLINIQUES
D’après la littérature, on peut retenir
5 présentations cliniques associant
trouble anxieux et dépressif comme
guide lors d’un entretien afin de définir une stratégie thérapeutique :
– ni les symptômes dépressifs ni les
symptômes anxieux ne répondent
aux critères diagnostiques définissant
chaque trouble : il s’agit d’un véritable trouble anxiodépressif (TAD) ;
– un trouble est présent et identifiable d’emblée (en général l’anxiété), puis se complique de l’autre (la
dépression). L’existence d’un vécu
anxieux invalidant augmente de
60 % la probabilité de survenue
d’une dépression à 10 ans ;
– les troubles sont comorbides, identifiables séparément. Chaque type
de symptôme mérite alors une prise
en charge spécifique ;
– il y a cooccurrence, un des deux
troubles est complet et identifiable
De l’anxiété à la dépression
alors que l’autre est partiellement
présent ;
– les deux troubles sont intriqués
comme dans le trouble anxieux généralisé ou l’anxiété généralisée avec
humeur dysphorique.
Sur le plan thérapeutique, deux approches sont envisagées :
– pharmacologique avec la prescription d’un antidépresseur de préférence à action mixte sérotoninergique
et noradrénergique ;
– psychothérapique seule ou combinée selon l’intensité et la chronicité
du trouble et des comorbidités.
Les thérapies comportementales et
cognitives font partie des psychothérapies les plus utilisées dans ce
champ anxio-dépressif. Leur indication relève d’une évaluation clinique
et psychologique précise. Dans cette
phase préliminaire est pratiquée une
analyse fonctionnelle ou analyse de
la souffrance du patient dans ses aspects synchroniques et diachroniques. Il s’agit d’un entretien structuré qui permet d’émettre des
hypothèses sur l’origine du trouble,
son développement, ses conséquences et ses comorbidités. L’analyse fonctionnelle permet ainsi de faire
la part des choses entre l’anxiété débutante, la cooccurrence des
troubles ou leur comorbidité. Il s’agit
d’une démarche pratique, systématisée, très pratique pour tout clinicien,
aussi en médecine générale. Les objectifs de la thérapie sont définis en
collaboration avec le patient et font
l’objet d’un contrat thérapeutique
personnalisé.
Vignette clinique : Lors d’une
première consultation, Jean, 27 ans,
ingénieur, se plaint d’anxiété se manifestant par des attaques de panique
depuis décembre 2007. Pour cela, il
est en arrêt maladie depuis 5 mois. Il
dit avoir connu un épisode dépressif
en janvier 2008 mais précise que cela
n’a rien à voir avec les attaques de
panique.
L’analyse fonctionnelle a permis de
reconstituer l’arrivée chronologique
de chaque souffrance dépressive et
anxieuse avec ses répercussions personnelles, sociales et professionnelles. Le patient a pris alors
conscience de l’évolutivité du phénomène ; on apprend ainsi :
les premières attaques de panique
sont apparues ponctuellement dès
2006 sans être accompagnées d’éléments dépressifs. L’anxiété s’est majorée en décembre 2007. Un traitement antidépresseur a été mis en
place dès janvier 2008. Devant l’amélioration de la symptomatologie, Jean
a interrompu son traitement.
L’histoire de Jean illustre bien la
complexité du syndrome anxio-dépressif tant par l’intrication des
symptômes, que par la mauvaise observance thérapeutique médicamenteuse ou les conséquences fonctionnelles de ce trouble.
Il est donc important que les médecins
soient sensibilisés à ce type de symptomatologie combinée, qu’ils sachent
évaluer la souffrance pour mieux
adapter la conduite thérapeutique et
définir la prise en charge capable de
réduire les risques de complications.
S 11
Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété
L’Encéphale (2009) Hors-série 1, S10-S11
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