Etude 2004
Identité juive et laïcité
Delphine SZWARCBURT et Mirjam ZOMERSZTAJN
Regards – Revue juive de Belgique
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Table des Matières
1 INTRODUCTION................................................................................................. 3
2 LES COMPOSANTES DU JUDAÏSME TRADITIONNEL OU L'IDENTITE JUIVE
SELON LA HALAKHA............................................................................................... 5
3 LE JUDAÏSME TRADITIONNEL, DE L'EXIL A L'EMANCIPATION................... 7
4 L'EMANCIPATION ET LA MODERNITE............................................................ 9
4.1 La Haskalah, le mouvement juif des Lumières ...................................................................................10
4.2 La France et la Belgique........................................................................................................................11
4.3 L'Europe centrale (Allemagne et Autriche-Hongrie) .........................................................................14
4.4 L'Europe orientale.................................................................................................................................14
5 DEUX EXPRESSIONS CONCURRENTES DE LA MODERNITE POLITIQUE
JUIVE : BUNDISME ET SIONISME..........................................................................17
5.1 Le bundisme ...........................................................................................................................................18
5.2 Le sionisme .............................................................................................................................................20
6 LA SITUATION INEDITE DES JUIFS D'EUROPE AUJOURD'HUI...................23
7 FORMATION D’UNE IDENTITE JUIVE PAR RAPPORT A LA SHOAH ET
ISRAËL .....................................................................................................................26
7.1 Le traumatisme de la Shoah..................................................................................................................26
7.2 La centralité d’Israël .............................................................................................................................26
8 LES DIFFERENTES FORMES DE L’IDENTITE JUIVE LAÏQUE
CONTEMPORAINE...................................................................................................27
8.1 L’exemple américain : Le judaïsme "humaniste" ..............................................................................27
8.2 La laïcité en Israël, un combat de tous les jours..................................................................................27
8.3 Développement d’une identité juive laïque en France et en Belgique ...............................................28
9 CONCLUSION ...................................................................................................30
10 BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................................32
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1 Introduction
Complexe, la question des mouvements juifs laïques l’est assurément. La première
difficulté porte sur la spécificité de la judéité. En effet, à la différence des identités
catholique ou musulmane, qui sont exclusivement des communautés de foi, la
problématique juive se donne à comprendre à la fois au travers d’une communauté
de foi et de sang. En d’autres termes, les autres religions monothéistes regroupent
des fidèles de différentes origines, qui partagent, avec des nuances parfois
importantes, certes, des croyances, des rites et des pratiques cultuelles semblables.
Dans le monde juif, en revanche, le lien n’est pas nécessairement ritualisé par le
sacré dans la mesure se superpose à la foi, une reliance profane fondée sur les
liens ethniques. En plus de partager une religion, les Juifs constituent un peuple, ce
qui les singularise des grandes autres familles monothéistes. En conséquence, le
rapport que le Juif entretient avec son identité ne passe pas nécessairement par la
religion et inclut de surcroît ses liens avec la culture, l’histoire, la mémoire et le
patrimoine de son peuple. Il n’y a en ce sens aucune contradiction pour lui à se dire
juif alors même qu’il serait agnostique ou athée. Cette spécificité distingue le cas des
Juifs de celui des catholiques, par exemple, le rapport identitaire est étroitement
lié à l’Eglise - comprise comme la communauté des croyants -, au sein de laquelle le
terme "laïc" s’oppose simplement au membre du clergé. L’identité des Juifs laïques,
quant à elle, renvoie, au contraire, à la question de savoir comment les Juifs
entendent rester juifs en dehors de la Synagogue et des rites religieux. Ce vecteur
identitaire est le phénomène de transformation par lequel l’identité religieuse et la foi
sont progressivement devenues les ferments d’une identité culturelle et ethnique, en
cohérence avec la laïcisation des croyances et des institutions régissant le lien social
depuis le XIXe siècle.
La seconde difficulté à comprendre le terme de "Juif laïque" découle précisément de
ce qui précède : la laïcité a donné naissance, selon les lieux où elle s’est développée,
à des institutions et des pratiques très contrastées. Elle désigne, selon les cas, la
séparation de l’Eglise et de l’Etat, la neutralité des institutions publiques, la
cohabitation pacifique des cultes et des communautés, le refus des discriminations
(sexuelles, ethniques, religieuses, etc.) ou l’égalité - parfois jusqu’à l’uniformisation -
des citoyens.
C’est précisément dans le sillage de la grande marche de l’Histoire contre
l’hégémonie des références et de l’autorité religieuses, que s’est développée l’identité
juive laïque. Elle ne peut donc se comprendre qu’à la lumière des évolutions socio-
historiques des grandes nations occidentales depuis la Révolution française. Ainsi par
exemple, la centralité de l’Etat d’Israël dans la vie juive laïque contemporaine ou la
conscience sociale sont les produits du patrimoine culturel juif traditionnel et des
grands mouvements d’émancipation populaire nés avec la modernité.
L’affranchissement de la croyance et du rite, l’accès à la citoyenneté et l’intégration
juive au sein des sociétés occidentales ont très nettement influencé le
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développement social, économique et intellectuel des communautés juives en
direction d’une laïcisation croissante.
La pratique cultuelle s’est depuis muée en simple référence collective, un arrière-fond
historico-culturel dans lequel le monde prend sens, une
Lebensanschauung
(conception de l’existence), une
Weltbild
(vision du monde) fondée sur l’universalité,
l’humanisme et le respect de l’altérité. L’investissement actif des Juifs dans la vie de
la Cité, dans la science et les arts, répond à cette conception. Mais celle-ci a pris
également une forme davantage structurée autour de la mémoire ou du sentiment
nationalitaire.
Judaïsme et laïcité sont donc dans un constant dialogue. Cette présente étude en
précise les cadres et les contenus, montrant la diversité et les richesses de cette
identité souvent mal comprise, qui est cependant dominante dans le monde juif
contemporain.
5
2 Les composantes du judaïsme traditionnel ou l'identité juive
selon la Halakha
Depuis la destruction du Second Temple en 70 après J.-C., les communautés juives
éparpillées ont dû mettre en place des structures adaptées à la fois à leurs nouveaux
modes de vie en diaspora et aux exigences de la
Torah
et de ses 613
commandements (
mitsvots
) qui encadrent tous les domaines de la vie juive, qu'elle
soit civile ou religieuse, individuelle ou collective, privée ou publique. Désormais, leur
principal souci sera de se préserver de deux dangers majeurs : l'hostilité ambiante
avec son cortège de persécutions et la tentation de l'assimilation.
La communauté juive (la
kehila
) est un monde clos qui permet aux Juifs de vivre
intégralement selon le rite et le calendrier juif. La synagogue, le bain rituel, le
cimetière sont les principales institutions religieuses. L'éducation se déroule au sein
du
Talmud Torah
, du
heder
, de la
yeshiva
, principales structures éducatives, qui
dispensent un enseignement religieux. La charité, instituée en obligation légale, a
également donné naissance à une série d'institutions telles que les hospices, les
confréries, les fonds de prêts. Des tribunaux rabbiniques (
Bet Din
) règlent les affaires
religieuses et civiles. La communauté est également responsable de la collecte des
impôts, à la fois ceux réclamés par les autorités extérieures et ceux nécessaires aux
institutions communautaires. La direction communautaire est assurée par les
autorités rabbiniques qui forment les rabbins, chantres, bedauds, circonciseurs, et
abatteurs rituels. Divers métiers sont indispensables à la survie communautaire :
bouchers, musiciens, marieuses, artisans et commerçants en charge de la production
d'objets et denrées rituels : livres, rouleaux de la
Torah
, phylactères, couvre-chefs
traditionnels, châles de prière,
mezouzot
, bougies, chandeliers, alimentation cachère,
etc.
La vie juive religieuse est rythmée par le temps, avec son cycle de trois prières
quotidiennes, les différentes bénédictions de jouissance avant toute ingestion de
nourriture, les actions de grâce après les repas, l'alternance entre les six jours de la
semaine, et le septième, le shabbat où toute activité profane est suspendue, le
respect du calendrier juif et ses multiples fêtes1, et les rites de passage (circoncision,
rachat du premier né, bar-mitsva, mariage et funérailles).
L'unité de base de cette organisation communautaire est bien entendu la famille
la répartition des rôles entre l'homme et la femme est effectuée selon une
conception patriarcale l'homme s'engage à assurer la subsistance à sa famille en
tant que chef de famille et à circoncire ses fils, leur enseigner la Torah, leur
apprendre un métier et prévoir une dot pour ses filles. Exclue de la vie religieuse, la
1 Rosh Hashana (la nouvelle année), Yom Kippour (le grand pardon), Souccot (la fête des Cabanes qui
symbolise les 40 ans dans le désert), Simhat Torah (la fête de la Torah, fin et reprise du cycle
hebdomadaire de la lecture de la Torah), Hanouccah (l'inauguration du Temple et victoire des
Maccabées), Tou Bishvat (le nouvel an des arbres), Pourim (la fête des Sorts), Pessah (la sortie
d'Egypte et la fin de l'esclavage), Chavouot (le don de la Torah), Tisha Beav (la destruction du
Temple). Cfr. GUGGENHEIM E., Le judaïsme dans la vie quotidienne, Albin Michel, Paris, 1992.
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