Le mauvais débat sur l`excédent commercial de l`Allemagne, Marcel

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Le mauvais débat sur l'excédent commercial de l'Allemagne, Marcel Fratzscher, a
former senior manager at the European Central Bank… Project Syndicate
Marcel Fratzscher, a former senior manager at the European Central Bank, is President of the
think tank DIW Berlin and Professor of Macroeconomics and Finance at Humboldt University,
Berlin. MAR 7, 2017. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
BERLIN – Maintenant que l'excédent des comptes courants de l'Allemagne atteint la somme
record de 270 milliards d'euros, presque 8,7% du PIB du pays, la polémique sur son modèle
économique redouble d'intensité. Les politiciens de la zone euro et le gouvernement de Donald
Trump se rejettent la responsabilité de ce déséquilibre économique, mais tous accusent l'euro.
Le gouvernement de Trump reproche à l'Allemagne de trop exporter et de manipuler l'euro.
Pourtant son excédent commercial n'a pas grand chose à voir avec l'euro, bouc émissaire facile
servant à camoufler des erreurs politiques.
Beaucoup d'Allemands considèrent la dernière salve de critiques comme un signe de jalousie et
réfutent brutalement l'idée que leur pays chercherait à bénéficier d'un avantage concurrentiel
inéquitable. L'Allemagne, disent-ils, ne pratique pas le dumping et ne favorise pas les exportations
directes, et ses dirigeants ne cherchent pas à manipuler l'euro.
Bien au contraire, avant l'adoption de la monnaie commune, l'Allemagne avait depuis des dizaines
d'années une politique du mark fort pour pousser ses exportateurs à innover afin de rester
compétitif, plutôt que de compter sur le taux de change. C'était d'ailleurs la cause principale de la
pérennité du miracle économique allemand (Wirtschaftswunder). En réalité la critique de
l'excédent commercial de l'Allemagne repose sur trois erreurs.
Première erreur : croire qu'il est possible de manipuler systématiquement la balance commerciale
allemande en jouant sur le taux de change. Mais du fait de l'intégration des chaînes de valeur
mondiales, les exportations industrielles comportent beaucoup de pièces importées. Autrement dit,
l'impact du taux de change sur les prix intérieurs et sur la balance commerciale a beaucoup
diminué au cours du temps.
L'excédent commercial de l'Allemagne vis-à-vis des USA n'a guère varié malgré les hauts et les bas
du taux de change euro-dollar (l'euro culminait à 1,6 dollars en 2011 alors qu'il ne valait plus que
1,04 dollars il y a quelques jours). Le volume des exportations de l'Allemagne ne tient pas à une
manipulation des devises, mais à sa position sur le marché et à la maîtrise sur les prix de ses
champions industriels, hautement spécialisés.
Deuxième erreur : croire que les dirigeants politiques et les banques centrales peuvent fixer les taux
de change. Dans la plupart des pays avancés, il est impossible de décréter la valeur du taux de
change, car il dépend avant tout de l'état de l'économie réelle et du système financier. Etant donné
le volume des sommes brassés sur le marché des changes, une intervention directe est beaucoup
trop risquée - ainsi que la Banque nationale suisse l'a appris il y a quelques années quand elle a
essayé de s'opposer à l'appréciation du franc. Le Trésor américain n'intervient plus sur le marché
des changes depuis les années 1990 et la Banque centrale européenne (BCE) n'a essayé d'intervenir
qu'une seule fois, brièvement, en 2000.
Accuser la Réserve fédérale et la BCE d'avoir mené une politique non orthodoxe pour affaiblir leurs
monnaies respectives ne prend pas en compte le fait que les variations du taux de change n'ont
qu'un effet limité et à court terme sur l'inflation, les exportations et la croissance. Les deux banques
centrales s'en tiennent à leur mandat qui n'inclut pas d'objectif implicite ou explicite en matière de
taux de change.
Troisième erreur (souvent commise par les Allemands eux-mêmes) : croire que la balance
commerciale d'un pays reflète la compétitivité de ses exportations. Elle dépend en réalité de ses
choix en matière d'épargne et d'investissement. Pour l'Allemagne, un fondamental tel que sa
démographie n'intervient que pour environ 3 points de pourcentage - soit le tiers de son excédent
commercial.
Comme le montrent ces trois erreurs, le débat sur la balance commerciale de l'Allemagne ne devrait
pas porter sur ses exportations ou sur le taux de change de l'euro. L'euro n'est pas faible et ce n'est
pas le volume des exportations de l'Allemagne qui pose problème, c'est plutôt le faible volume de
ses importations en raison de l'insuffisance des investissements dans le secteur des services non
exportateurs.
Le taux d'investissement public de l'Allemagne est l'un des plus faibles du monde industrialisé. Ses
villes qui sont à l'origine de la moitié de l'investissement public n'ont pas encore réalisé des projets
qui se chiffrent à 136 millions d'euros, soit 4,5% du PIB, tandis que la réparation des écoles
nécessiterait 35 milliards d'euros supplémentaires. Et l'investissement privé est limité, car voulant
investir à l'étranger, beaucoup d'entreprises allemandes ne renouvellent pas leur équipement
vieillissant.
Ce manque d'investissement est dû à une erreur politique, à savoir le recours au protectionnisme
dans le secteur des services non exportateurs. Le FMI, la Commission européenne et l'OCDE
cherchent depuis longtemps à convaincre l'Allemagne de déréguler ses services, de lutter contre les
intérêts particuliers et d'améliorer sa compétitivité. Mais pour l'instant les salaires, la productivité
et les investissements restent élevés dans le secteur exportateur et faibles dans le secteur des
services non exportables.
Le débat international sur les comptes courants allemands devait donc porter sur les mesures
destinées à libéraliser le secteur des services et sur la suppression des différents obstacles à
l'investissement. Pour cela, l'Allemagne doit améliorer son infrastructure en matière
d'informatique et de transport, renforcer les mécanismes du marché pour stimuler le
développement des énergies renouvelables, résoudre le problème du manque de main d'œuvre
qualifiée, réformer sa fiscalité pour encourager les investissements et réformer sa réglementation
pour réduire les incertitudes.
Le rôle de l'Allemagne en tant que puissance politique et économique s'accroît en Europe et dans le
reste du monde. Mais jusqu'à présent le débat sur son excédent commercial est contre-productif.
Les critiques qui lui sont adressées en raison de sa réussite en tant que pays exportateur, de même
que les accusations de manipulation de l'euro, sont aussi peu fondées que les arguments qu'elle
avance pour justifier son excédent. Or il est dans son propre intérêt, comme dans celui du reste du
monde, qu'elle parvienne à réduire son excédent commercial, et de ce fait, les dangereux
déséquilibres économiques sous-jacents.
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