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Pour entamer son livre « Comprendre l’économie sociale – fon-
dement et enjeux », Jean-François DRAPERI s’oppose à l’idée
selon laquelle le système de société par action fonctionne. Il
souscrit ainsi à l’idée selon laquelle il est nécessaire et urgent
de parler « d’économie plurielle ». Pour appuyer sa déance à
l’égard du fonctionnement des sociétés par actions, Jean-Fran-
çois DRAPERI relève l’accroissement inimaginable des inégalités,
et ce, sur l’ensemble des échelles (monde, pays, villes, quartiers
etc.). Ces inégalités s’accentuent alors même que, dans notre
pays par exemple, la richesse produite et consommée n’a jamais
été aussi importante. Jean-François DRAPERI observe égale-
ment que cette situation, qui prote à un nombre de plus en
plus restreint d’individus, entraine un décit démocratique qui
se creuse constamment. Pour lutter contre ces constats, l’auteur
observe qu’un nombre de plus en plus croissant d’individus font
appels à l’économie sociale pour concevoir une économie plus juste, moins dévastatrice et per-
mettant l’émancipation sociale, économique et démocratique des citoyens.
Cet ouvrage tente ainsi de dénir l’économie sociale, d’analyser les fonctions et la dynamique des
grandes formes de l’économie sociale et, enn, d’étudier les principaux enjeux auxquels font face
les entreprises de l’économie sociale.
Pourquoi l’économie sociale ?
L’économie sociale
Selon l’auteur, l’économie sociale se dénit par l’ensemble des entreprises coopératives, mutua-
listes et associatives. Elles émanent de la volonté de groupes de personnes et ont pour nalité
de répondre aux besoins et aux attentes collectives de ces personnes. Ces entreprises fonc-
tionnent sur les principes d’engagement volontaire, d’égalité entre personnes, de solidarité entre
les membres et d’indépendance économique.
Aujourd’hui, l’Economie Sociale se structure autour :
du Conseil des entreprises et groupements de l’Economie Sociale (CEGES) qui réunit les
familles de l’Economie Sociale ainsi que des syndicats d’employeurs de l’Economie Sociale,
du Conseil National des Chambres régionales de l’Economie Sociale (CNCRES). Le CNCRES
fédère ainsi les Chambres régionales d’Economie Sociale (CRES) qui sont implantées dans
l’ensemble des régions de France.
Comprendre l’économie sociale
Jean-François Draperi
Editions dunod, 2007
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L’économie solidaire
Selon l’auteur, l’économie solidaire se dénit par l’articulation de trois ressources économiques
: l’économie non marchande (logique de redistribution organisée par l’Etat), l’économie mar-
chande (logique de marché) et l’économie non monétaire (logique de réciprocité et d’écono-
mie domestique). Cette hybridation des ressources s’explique par le fait que ces acteurs se
considèrent comme « un espace intermédiaire de médiation entre la sphère privée et la sphère
publique » Ainsi, l’économie solidaire assume le fait que selon elle, les effets induits par leurs
activités justient le soutien de l’Etat. Cela distingue clairement l’économie solidaire de l’écono-
mie sociale qui, elle, dans ses théories, se développe sans aucun soutien nancier des pouvoirs
publics. Bien évidemment, l’ensemble de ces théories ne trouvent pas toujours leurs traductions
dans les faits.
L’économie alternative
Elle partage l’utopie alternative de l’économie sociale tout en refusant son institutionnalisation et
partage la démarche de projet de l’économie solidaire tout en résistant face au soutien de l’Etat
et du marché. Elle s’inscrit dans un projet alternatif et un rejet institutionnel.
Les valeurs de l’économie sociale
Les valeurs de l’Economie Sociale sont multiples et se sont créées au travers de son histoire.
Nous retrouvons la valeur de la responsabilité, du volontariat, de l’égalité, de la solidarité et de
l’autonomie de cette économie. Ces valeurs s’expriment au travers de règles et de principes de
fonctionnement. L’ensemble des valeurs sont cohérentes entre elles. Si l’on en supprime une,
alors le modèle de l’économie sociale perd de son sens.
Selon l’auteur, le principe de « double qualité » est le principe central de l’organisation de l’Eco-
nomie Sociale. Par ce principe, nous sommes à la fois membre et bénéciaire de l’organisation.
Cependant, l’auteur précise que de nombreuses organisations innovantes de l’économie sociale
ne se retrouvent pas dans cette double qualité. Ainsi, au lieu de parler de double qualité, nous
pouvons dire que l’économie sociale assure une nalité éducative et émancipatrice, et ce, aussi
bien pour le bénéciaire que pour le membre de l’organisation.
Ces principes ont déjà beaucoup évolué et sont encore amenés à évoluer. En effet, dans l’écono-
mie sociale, ce sont les pratiques qui orientent le cadre théorique de référence, et non l’inverse
comme cela se connaît dans de multiples domaines. Par exemple, la question des organisations
de l’Economie sociale au service de l’intérêt de ses membres ou au service de l’intérêt général
est une question qui a beaucoup évoluée.
Sassocier, mutualiser, coopérer
S’affronter ou coopérer ?
L’économie sociale se réfère à des auteurs dits utopistes et dans lesquels nous retrouvons les
principaux auteurs associationistes, mutualistes et coopératifs. Ces pensées détournent la vio-
lence capitaliste pour mettre en œuvre une autre société. Concrètement, les acteurs utopistes
sont liés par le principe démocratique un homme = une voix. Ainsi, ils élaborent de manière
démocratique un objectif et mettent en place les moyens pour y parvenir. Le précepte guidant
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cette démarche est que pour conquérir une société démocratique, il faut lutter d’une manière
démocratique. Les auteurs et les acteurs de l’Economie sociale sont profondément non-violents
et prônent la coopération pour réussir leur pari économique tout en ne trompant pas leur pro-
jet éthique.
Les trois temps du projet coopératif
Pour Jean-François DRAPERI, l’histoire de l’Economie sociale peut se décliner en trois périodes.
La première se retrouve au XIXème siècle avec ce qui fut nommée la micro-république, la se-
conde se situe à la n du XIXème siècle jusqu’à la moitié du XXème siècle avec ce qui fut nommé
la République coopérative, et la troisième de la seconde moitié du XXème siècle jusqu’à nos
jours avec ce que nous pouvons appeler la méso-république.
D’une manière rapide, nous pouvons reprendre le tableau de l’auteur en le complétant ainsi :
Période Rapport à
l’Etat Auteurs
Mouve-
ment de
pensée
Exemples de
concrétisation
de mouvement
Volonté d’action sur les
territoires
Fin du XIXè
Antagoniste.
Interdiction des
corps intermé-
diaires par l’Etat
Saint-Simon
Robert Owen
Charles Fourier
La micro
République
Les phalanstères de
Charles FOURIER.
Lieu de création d’un
nouvel Etat où chacun
participe à la vie en
communauté en fonc-
tion de ses passions.
Agir à côté de l’Etat et contre
la législation en vigueur.
Nous sommes là face à des
organisations isolées, face à une
logique micro, qui se pense par
l’organisation.
Fin du XIXè
siècle jusqu’à
la moitié du
XXème siècle
Reconnaissance
institutionnelle.
Apparition des
premières lois
reconnaissant un
statut légal aux
corps intermé-
diaires
Charles Gide La République
coopérative
Discours de Charles
GIDE au congrès des
sociétés coopératives
de 1889.
Il s’agit pour les coo-
pérateurs de conqué-
rir l’industrie com-
merciale, l’industrie
manufacturière puis
l’industrie agricole
pour constituer une
République coopéra-
tive.
Il s’agit d’un changement
d’échelle. La question n’est plus
de constituer des Etats dans
l’Etat, mais de transformer l’Etat
en une République coopérative.
Nous sommes là face à une
logique macro, qui se pense
dans une articulation au niveau
national.
Seconde
moitié du XXè
siècle jusqu’à
nos jours
Partenarial.
Les politiques
ont tendances à
se décentraliser
et à être moins
descendantes et
plus ascendantes
Aucun penseur ne peut
être nommé ici.
Cependant, dans son
ouvrage, l’auteur fait
référence à la re-
cherche-action comme
référence. Ainsi, la
théorie de l’ESS s’éla-
borerait en fonction
des pratiques actuelles
des acteurs de l’ESS.
La méso
République
Les exemples sont
multiples mais cette
période étant actuelle,
nous ne pouvons pas
citer un exemple plus
qu’un autre.
Selon l’auteur, le territoire
occupe une place prépondé-
rante dans les pratiques de
l’ESS. Il s’agirait ainsi de créer
des convergences et des coopé-
rations des acteurs ancrés sur
un territoire pour assurer son
développement et sa cohésion,
et non pas son exploitation.
C’est en ce sens que l’auteur
emploi la terminologie de «
méso-république ».
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Hommes, entreprises et territoires
L’importance de la gouvernance pour faire sens
Dans cette troisième et dernière partie, Jean-François DRAPERI revient la question centrale
de la vie démocratique dans les organisations d’économie sociale. Question centrale qui a failli
conduire ces organisations à leur banalisation après la seconde guerre mondiale lorsque ces
dernières sont passées d’une dynamique de projets collectifs à une dynamique de pouvoirs et
économique, passant ainsi d’organisations de militants ou d’adhérents à des organisations de
techniciens. La très faible participation des adhérents aux Assemblées générales dans certaines
mutuelles, par exemple, tend à concrètement démontrer cet aspect.
L’auteur commence par opposer les modalités de gouvernance dans l’entreprise de capitaux et
la gouvernance d’Economie sociale. En effet, ces gouvernances peuvent se comparer et s’opposer
car elles reposent toute deux sur le pouvoir de l’actionnaire, ou du sociétaire. Ainsi, dans une
société de capitaux, l’actionnaire poursuit une logique nancière ; alors que dans une société
d’économie sociale, le sociétaire poursuit une logique sociale ou sociétale. La poursuite de cette
logique produit ce que l’auteur appelle une « plus-value sociale ». Bien que nous puissions consta-
ter cette plus-value, nous ne pouvons pas encore la mesurer.
Cependant, malgré cette présentation idéale de la gouvernance d’Economie Sociale, il ne faut
pas oublier qu’une forme de banalisation de l’Economie Sociale fut l’une des conséquences du
manque de dynamisme de la vie démocratique interne de certaines de ces organisations. Nous
pouvons observer aujourd’hui un ensemble de mesures tentant de réinjecter un soufe démo-
cratique conséquent à l’intérieur de ces structures, telles que des recrutements intégrant un
positionnement sur les valeurs (Scop, mutuelle), la mise en œuvre du « bilan sociétal » dans
certaines coopératives agricoles ou mutuelles d’assurance, la présentation de listes spécique de
l’économie sociale aux élections prud’homales etc.
La question de la démocratie interne est un excellant exemple pour percevoir que les organisa-
tions de l’Economie Sociale, si elles ne restent pas vigilantes, peuvent rapidement tomber dans
une forme de banalisation. Chaque organisation doit donc rester constamment vigilante sur
l’exécution des principes régissant l’Economie Sociale.
L’intercoopération
Pour répondre à l’ensemble de ces objectifs, l’auteur estime que l’économie sociale doit à la fois
être locale et mondiale. En effet, une économie sociale purement locale se développerait dans
des niches, à contrario, une économie sociale seulement mondiale perdrait son lien essentiel aux
hommes et aux territoires.
C’est sur ce point que Jean-François DRAPERI termine son ouvrage. Il présente dans son dernier
chapitre l’espoir qu’il place dans l’intercoopération au service du développement et du projet
porté par l’Economie Sociale. Cette notion d’intercoopération repose sur l’idée que l’ensemble
de l’Economie Sociale est complémentaire, au même titre que l’ensemble des échelons territo-
riaux. Cela s’oppose, dans les faits, à l’esprit même de la concurrence. Cette intercoopération
fonde un processus de développement et une vision alternative.
Au sein de cette intercoopération, l’auteur intègre la relation avec l’économie privée des petites
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et moyennes entreprises qui pourrait s’organiser sous forme coopérative (de commerçant, de
distribution etc.). Au sein de cette intercoopération, l’auteur intègre la relation avec les collectivi-
tés locales, territoriales, nationales et même internationales en fonction des buts poursuivies par
les organisations de l’Economie Sociale. Plusieurs organisations se sont déjà inspirées de cette
intercoopération, comme par exemple les SCICs (Sociétés coopératives d’intérêts collectifs).
Ces SCIC regroupent diverse personnes morales ou physiques (Organisation de l’ESS, collecti-
vités territoriales, travailleurs, habitants etc.) sur un territoire, et ce, autour d’un projet collectif.
Conclusion
Pour conclure, Jean-François DRAPERI rappelle que l’Economie sociale s’articule entre pensées
et actions. C’est par cette articulation que s’explique le mouvement constant de cette économie,
elle explique également le rôle émancipateur que produit cette économie pour les citoyens s’y
investissant. L’auteur rappelle également que l’Economie Sociale s’oppose à la vision capitaliste
qui prétend que seule l’accumulation de richesse peut nous faire accéder au bonheur. En effet,
l’Economie sociale propose la vision selon laquelle la coopération ayant pour objectif de servir
des besoins collectifs de la Société est plus épanouissante.
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