Erotisme & Pornographie
Le but de cette présentation est de définir le plus précisément
possible ce qu’est la sexualité, en quoi elle est spécifique de l’humain
et d’analyser les relations et liens qui existent entre elle et deux de ses
formes cliniques, l’érotisme et la pornographie.
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« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement
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disait La Rochefoucauld. Cela fait au moins une différence avec le
sexe : le regarder fixement, voilà ce que peu d’hommes et de femmes,
de nos jours, s’interdisent ou redoutent. Mais l’essentiel dans les trois
cas, le sexe, la mort, le soleil, échappe au regard, ou l’aveugle, tout en
continuant de le fasciner. L’essentiel ?
Non pas le mourir comme agonie, mais la mort comme
mystère ou comme néant.
Non pas le soleil comme étoile banale, mais la lumière qu’il
nous donne qui nous éclaire et nous aveugle, la chaleur et l’énergie
sans les quelles nous ne serions pas.
Non pas le sexe comme organe, mais la sexualité comme
fonction, comme pulsion, comme abîme.
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La sexualité c’est l’ensemble des désirs qu’un être humain
peut ressentir pour un autre (dans sa réalité charnelle et sexuée) et des
plaisirs que procurent les organes génitaux et autres zones érogènes.
Il s’agit moins de fécondité que d’éroticité, moins de
reproduction que de jouissance, moins de perpétuation de l’espèce que
de prendre ou de donner du plaisir.
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La Rochefoucauld, Maximes, 26.
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Le sexe n’a que faire des générations futures. Les amants le
savent bien. Les violeurs aussi.
La sexualité, c’est l’ensemble des affects, des comportements
et fantasmes qui sont liés à la jouissance du corps d’un autre ou du
sien propre. Le corps humain est sexué. La sexualité c’est ce qui
permet d’en jouer ou non, et d’en jouir parfois.
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L’instinct est une tendance qui inclut son propre mode
d’emploi : c’est un savoir-faire transmis biologiquement.
La pulsion, à l’inverse, ne recèle aucun mode d’emploi,
aucun savoir-faire inné : elle nous pousse à agir dans une certaine
direction, mais il n’y a aucun résultat explicite à atteindre ni aucun
moyen de l’obtenir.
L’oiseau sait faire son nid, l’araignée sait tisser sa toile sans
qu’on ait besoin de le leur apprendre. Les gènes suffisent à ces
comportements instinctifs. Mais l’homme est fort démuni d’instinct à
la naissance en dehors de la succion. La sexualité n’en est pas un. Elle
n’inclut aucun savoir-faire. C’est pourquoi les enfants s’interrogent
tellement sur la fonction et le fonctionnement de la chose, et les
adultes, guère moins. Le désir sexuel ne nous apprend pas comment
faire l’amour, ni ce que désire l’autre, ni même toujours ce qu’on
désire soi-même. Le coït ? Une pulsion nous y pousse. Aucun instinct
ne nous l’enseigne. D’où l’ignorance pendant les années d’enfance,
puis l’inquiétude, les fantasmes, les interrogations, puis les préparatifs,
puis la découverte, l’improvisation, les tâtonnements, l’initiation,
l’apprentissage, jusqu’à une certaine maîtrise parfois, qui n’exclut ni
les maladresses, ni les échecs, ni les insatisfactions, ni les angoisses. Il
n’y a pas d’harmonie préétablie des sexes. Les organes correspondent
à peu près. Les désirs, les fantasmes, les comportements, point
toujours. Par quoi tout érotisme est culturel.
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Nous sommes des animaux, pas des bêtes. C’est ce que la
sexualité ne cesse de nous rappeler qui la rend si dérangeante, si
troublante, si choquante, si plaisante. Elle est le vrai pêché originel,
qui n’est pas un pêché mais une pulsion, jointe à la peur qu’elle
suscite en nous, comme une honte de n’être qu’un animal, de n’être
que ce corps sexué, qui est en moi. L’esprit commence peut être,
dans la pudeur, dans la gêne, dans l’interdit (spécialement la
prohibition de l’inceste) qui mettent la sexualité à distance par
l’habillement, par l’éducation, par le mariage et ne la rendent que
plus désirable, que plus attirante, que plus fascinante. Le mot grec
phallos se dit en latin fascinus et nous savons tous que l’adjectif
fascinant, en français, vaut tout autant pour le sexe des femmes. Le
désir fascine : il est fasciné par son objet, fascinant pour le sujet.
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Comment l’aborder sans effroi et sans honte (pudor, en
latin) ? Tout se passe comme si le sexe était obscène par nature, ou
plutôt comme s’il était dans la nature, malgré son extrême banalité, ce
que la culture ne peut jamais tout à fait accepter, assimiler, réduire,
comme le trou noir du désir ou de la vie. Les deux mots Obscène et
obscur ont la même origine étymologique. Ce qu’on doit cacher,
l’obscène, doit rester quelque chose de ténébreux, obscur, même
lorsqu’on le dévoile, et menaçant (obscenus en latin signifie de
mauvais augure) même lorsqu’on essaie de l’apprivoiser. Le plus
étonnant d’ailleurs, c’est que malgré le dévoilement massif du sexe
dans la pornographie, le secret demeure presque inentamé et résiste à
toute exhibition qui peut en être faite, comme s’il y avait dans la
sexualité quelque chose qu’on ne peut tout à fait dévoiler, fût-ce en le
montrant, ni dire, fût-ce en en parlant pendant des heures : nul ne sait
ce que ressentent les comédiens, quel est leur plaisir, quelles sont les
émotions et l’éroticité ressenties. Encore moins les comédiennes… Et
notre vie privée le confirme : nul ne sait comment ses meilleurs amis
font l’amour, ni l’émotion ou le plaisir qu’ils y trouvent, ni l’audace et
la pudeur qu’ils y mettent. C’est vrai aussi de l’amour physique :
« l’énorme secret » résiste même aux amants les plus libres.
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La culture se construit contre la nature, dont elle fait partie,
comme l’humanité contre l’animalité. Comment serais-je tout à fait
mon corps, puisque je le commande, puisque je lui résiste, puisque je
le domine ou me laisse emporter par lui ? Mon corps c’est que je suis
(du verbe « être »), sans l’être tout à fait puisque je ne le suis (du
verbe « suivre ») pas toujours, puisque je peux aussi le devancer, le
forcer, le violenter parfois. Il faut donc que je sois, au moins d’un
certain point de vue, autre chose une âme. Et la voilà qui se trouble
pour un bout de peau entrevue, qui s’oublie dans un fantasme, qui
s’affole pour une caresse, qui se perd dans un spasme ! Lequel d’entre
nous, face à ses propres égarements, ne ressent pas, une fois qu’ils
sont passés, quelque chose comme une surprise ou comme une gêne
rétrospectives. Que l’âme et le corps soient une seule et même chose,
c’est ce que je crois et que les neurosciences rendent de plus en plus
vraisemblable. Mais que cette chose soit sexuée, l’âme ne cesse d’en
ressentir le trouble, l’émotion, l’étonnement, l’embarras. Bien naïfs
ceux qui croient que la religion (surtout judéo-chrétienne) explique
cette gêne. C’est plutôt la gêne qui explique la religion, au moins pour
une part. Il n’y a pas que la mort qui fasse peur.
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Expliquer la pudeur par les interdits dont la sexualité serait
l’objet, c’est donner comme solution la question elle-même. Car
pourquoi ces interdits ? Même chose pour qui voudrait expliquer ces
interdits par la religion. Pourquoi s’en prend-elle au sexe plus qu’à
d’autres organes ou fonctions ? Il faut que la sexualité ait quelque
chose d’intrinsèquement particulier ou dérangeant que les religions
ont pu constater ou dénoncer sans pouvoir l’expliquer. Avant le
christianisme, les Grecs, si libres dans leurs mœurs, faisaient preuve,
lorsqu’ils parlaient de sexualité, d’une grande réserve, voire d’une
certaine inquiétude. Même les peuples qui vivent nus se cachent pour
faire l’amour, ce que les grands singes ne font pas. Cela confirme que
ce n’est pas la nudité qui nous fait problème, mais le désir. Non le
sexe comme organe, mais la sexualité comme pulsion, comme
fonction, comme animalité. C’est la bête en nous qui nous fait
humains au sens biologique du terme et nous impose de le devenir au
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sens culturel du terme. Le sexe ni la mort n’échappent à la biologie, ni
ne s’y réduisent.
On peut dire que cette animalité se reconnaît tout autant dans
la respiration, la nutrition, la défécation. C’est pour cela qu’il est
recommandé de les pratiquer avec une certaine discrétion, un certain
contrôle : on évite de faire du bruit en respirant, on ne mange pas
n’importe quoi, ni n’importe comment, et on se cache pour la dernière.
Mais ces fonctions ne nous prennent pas tout entiers : l’esprit peut
les considérer de l’extérieur, tranquillement, posément, ou même
penser à tout autre chose pendant qu’elles s’effectuent. La sexualité en
revanche nous laisse ordinairement moins libres, mois sereins, moins
détachés ! C’est la part animale en nous la plus prenante, la plus
difficile à oublier, à maîtriser, à civiliser. Cela fait une partie de son
charme, non la moindre. Comme il est troublant et délectable, pour un
être humain, de retrouver en soi et en l’autre, l’animal qu’on n’a
jamais cessé d’être. C’est le prix à payer de la civilisation, et sa
récompense peut-être. me les bonobos, s’ils en avaient l’idée, nous
envieraient. « Ma bête » : un mot d’amour bien troublant, dont aucune
bête n’est capable. La sexualité n’est donc pas une faculté mais une
fonction, pas un instinct mais une pulsion. Elle n’implique ni pouvoir-
faire, ni savoir-faire. C’est pourquoi nous avons besoin d’éducation
sexuelle, et de sexologues parfois.
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Le sexe ni la mort ne dépendent de nous : il est rare qu’on les
choisisse, impossible qu’on leur échappe. Ils marquent plutôt notre
dépendance essentielle, sans laquelle nous ne serions pas. Vivre c’est
dépendre : de son corps, donc du monde. De soi, donc des autres. Je
n’ai pas choisi de naître, ni d’être mortel, ni d’avoir un corps et ce
corps-ci, ni d’avoir un sexe et ce sexe-là. Il faut faire avec. me les
transsexuels et les eunuques n’y échappent pas. Faire autrement ou
faire sans, c’est encore une façon de faire avec. C’est comme un destin
à la première personne. Reste à le vivre, à l’assumer, enfin à y
conquérir, si on le peut, une marge de liberté. Nul ne choisit de naître,
aucun adulte valide ne continue à vivre sans l’avoir choisi. Nul n’est
coupable d’avoir un sexe, ni innocent tout à fait de sa sexualité.
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