Erotisme et pornographie_NISAND 2016texte

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Erotisme & Pornographie
Le but de cette présentation est de définir le plus précisément
possible ce qu’est la sexualité, en quoi elle est spécifique de l’humain
et d’analyser les relations et liens qui existent entre elle et deux de ses
formes cliniques, l’érotisme et la pornographie.
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« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement 1»
disait La Rochefoucauld. Cela fait au moins une différence avec le
sexe : le regarder fixement, voilà ce que peu d’hommes et de femmes,
de nos jours, s’interdisent ou redoutent. Mais l’essentiel dans les trois
cas, le sexe, la mort, le soleil, échappe au regard, ou l’aveugle, tout en
continuant de le fasciner. L’essentiel ?
Non pas le mourir comme agonie, mais la mort comme
mystère ou comme néant.
Non pas le soleil comme étoile banale, mais la lumière qu’il
nous donne qui nous éclaire et nous aveugle, la chaleur et l’énergie
sans les quelles nous ne serions pas.
Non pas le sexe comme organe, mais la sexualité comme
fonction, comme pulsion, comme abîme.
Dia 3
La sexualité c’est l’ensemble des désirs qu’un être humain
peut ressentir pour un autre (dans sa réalité charnelle et sexuée) et des
plaisirs que procurent les organes génitaux et autres zones érogènes.
Il s’agit moins de fécondité que d’éroticité, moins de
reproduction que de jouissance, moins de perpétuation de l’espèce que
de prendre ou de donner du plaisir.
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La Rochefoucauld, Maximes, 26.
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Le sexe n’a que faire des générations futures. Les amants le
savent bien. Les violeurs aussi.
La sexualité, c’est l’ensemble des affects, des comportements
et fantasmes qui sont liés à la jouissance du corps d’un autre ou du
sien propre. Le corps humain est sexué. La sexualité c’est ce qui
permet d’en jouer ou non, et d’en jouir parfois.
Dia 4
L’instinct est une tendance qui inclut son propre mode
d’emploi : c’est un savoir-faire transmis biologiquement.
La pulsion, à l’inverse, ne recèle aucun mode d’emploi,
aucun savoir-faire inné : elle nous pousse à agir dans une certaine
direction, mais il n’y a aucun résultat explicite à atteindre ni aucun
moyen de l’obtenir.
L’oiseau sait faire son nid, l’araignée sait tisser sa toile sans
qu’on ait besoin de le leur apprendre. Les gènes suffisent à ces
comportements instinctifs. Mais l’homme est fort démuni d’instinct à
la naissance en dehors de la succion. La sexualité n’en est pas un. Elle
n’inclut aucun savoir-faire. C’est pourquoi les enfants s’interrogent
tellement sur la fonction et le fonctionnement de la chose, et les
adultes, guère moins. Le désir sexuel ne nous apprend pas comment
faire l’amour, ni ce que désire l’autre, ni même toujours ce qu’on
désire soi-même. Le coït ? Une pulsion nous y pousse. Aucun instinct
ne nous l’enseigne. D’où l’ignorance pendant les années d’enfance,
puis l’inquiétude, les fantasmes, les interrogations, puis les préparatifs,
puis la découverte, l’improvisation, les tâtonnements, l’initiation,
l’apprentissage, jusqu’à une certaine maîtrise parfois, qui n’exclut ni
les maladresses, ni les échecs, ni les insatisfactions, ni les angoisses. Il
n’y a pas d’harmonie préétablie des sexes. Les organes correspondent
à peu près. Les désirs, les fantasmes, les comportements, point
toujours. Par quoi tout érotisme est culturel.
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Dia 5
Nous sommes des animaux, pas des bêtes. C’est ce que la
sexualité ne cesse de nous rappeler qui la rend si dérangeante, si
troublante, si choquante, si plaisante. Elle est le vrai pêché originel,
qui n’est pas un pêché mais une pulsion, jointe à la peur qu’elle
suscite en nous, comme une honte de n’être qu’un animal, de n’être
que ce corps sexué, qui est en moi. L’esprit commence là peut être,
dans la pudeur, dans la gêne, dans l’interdit (spécialement la
prohibition de l’inceste) qui mettent la sexualité à distance – par
l’habillement, par l’éducation, par le mariage – et ne la rendent que
plus désirable, que plus attirante, que plus fascinante. Le mot grec
phallos se dit en latin fascinus et nous savons tous que l’adjectif
fascinant, en français, vaut tout autant pour le sexe des femmes. Le
désir fascine : il est fasciné par son objet, fascinant pour le sujet.
Dia 6
Comment l’aborder sans effroi et sans honte (pudor, en
latin) ? Tout se passe comme si le sexe était obscène par nature, ou
plutôt comme s’il était dans la nature, malgré son extrême banalité, ce
que la culture ne peut jamais tout à fait accepter, assimiler, réduire,
comme le trou noir du désir ou de la vie. Les deux mots Obscène et
obscur ont la même origine étymologique. Ce qu’on doit cacher,
l’obscène, doit rester quelque chose de ténébreux, obscur, même
lorsqu’on le dévoile, et menaçant (obscenus en latin signifie de
mauvais augure) même lorsqu’on essaie de l’apprivoiser. Le plus
étonnant d’ailleurs, c’est que malgré le dévoilement massif du sexe
dans la pornographie, le secret demeure presque inentamé et résiste à
toute exhibition qui peut en être faite, comme s’il y avait dans la
sexualité quelque chose qu’on ne peut tout à fait dévoiler, fût-ce en le
montrant, ni dire, fût-ce en en parlant pendant des heures : nul ne sait
ce que ressentent les comédiens, quel est leur plaisir, quelles sont les
émotions et l’éroticité ressenties. Encore moins les comédiennes… Et
notre vie privée le confirme : nul ne sait comment ses meilleurs amis
font l’amour, ni l’émotion ou le plaisir qu’ils y trouvent, ni l’audace et
la pudeur qu’ils y mettent. C’est vrai aussi de l’amour physique :
« l’énorme secret » résiste même aux amants les plus libres.
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La culture se construit contre la nature, dont elle fait partie,
comme l’humanité contre l’animalité. Comment serais-je tout à fait
mon corps, puisque je le commande, puisque je lui résiste, puisque je
le domine ou me laisse emporter par lui ? Mon corps c’est que je suis
(du verbe « être »), sans l’être tout à fait puisque je ne le suis (du
verbe « suivre ») pas toujours, puisque je peux aussi le devancer, le
forcer, le violenter parfois. Il faut donc que je sois, au moins d’un
certain point de vue, autre chose – une âme. Et la voilà qui se trouble
pour un bout de peau entrevue, qui s’oublie dans un fantasme, qui
s’affole pour une caresse, qui se perd dans un spasme ! Lequel d’entre
nous, face à ses propres égarements, ne ressent pas, une fois qu’ils
sont passés, quelque chose comme une surprise ou comme une gêne
rétrospectives. Que l’âme et le corps soient une seule et même chose,
c’est ce que je crois et que les neurosciences rendent de plus en plus
vraisemblable. Mais que cette chose soit sexuée, l’âme ne cesse d’en
ressentir le trouble, l’émotion, l’étonnement, l’embarras. Bien naïfs
ceux qui croient que la religion (surtout judéo-chrétienne) explique
cette gêne. C’est plutôt la gêne qui explique la religion, au moins pour
une part. Il n’y a pas que la mort qui fasse peur.
Dia 8
Expliquer la pudeur par les interdits dont la sexualité serait
l’objet, c’est donner comme solution la question elle-même. Car
pourquoi ces interdits ? Même chose pour qui voudrait expliquer ces
interdits par la religion. Pourquoi s’en prend-elle au sexe plus qu’à
d’autres organes ou fonctions ? Il faut que la sexualité ait quelque
chose d’intrinsèquement particulier ou dérangeant que les religions
ont pu constater ou dénoncer sans pouvoir l’expliquer. Avant le
christianisme, les Grecs, si libres dans leurs mœurs, faisaient preuve,
lorsqu’ils parlaient de sexualité, d’une grande réserve, voire d’une
certaine inquiétude. Même les peuples qui vivent nus se cachent pour
faire l’amour, ce que les grands singes ne font pas. Cela confirme que
ce n’est pas la nudité qui nous fait problème, mais le désir. Non le
sexe comme organe, mais la sexualité comme pulsion, comme
fonction, comme animalité. C’est la bête en nous qui nous fait
humains au sens biologique du terme et nous impose de le devenir au
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sens culturel du terme. Le sexe ni la mort n’échappent à la biologie, ni
ne s’y réduisent.
On peut dire que cette animalité se reconnaît tout autant dans
la respiration, la nutrition, la défécation. C’est pour cela qu’il est
recommandé de les pratiquer avec une certaine discrétion, un certain
contrôle : on évite de faire du bruit en respirant, on ne mange pas
n’importe quoi, ni n’importe comment, et on se cache pour la dernière.
Mais ces fonctions là ne nous prennent pas tout entiers : l’esprit peut
les considérer de l’extérieur, tranquillement, posément, ou même
penser à tout autre chose pendant qu’elles s’effectuent. La sexualité en
revanche nous laisse ordinairement moins libres, mois sereins, moins
détachés ! C’est la part animale en nous la plus prenante, la plus
difficile à oublier, à maîtriser, à civiliser. Cela fait une partie de son
charme, non la moindre. Comme il est troublant et délectable, pour un
être humain, de retrouver en soi et en l’autre, l’animal qu’on n’a
jamais cessé d’être. C’est le prix à payer de la civilisation, et sa
récompense peut-être. Même les bonobos, s’ils en avaient l’idée, nous
envieraient. « Ma bête » : un mot d’amour bien troublant, dont aucune
bête n’est capable. La sexualité n’est donc pas une faculté mais une
fonction, pas un instinct mais une pulsion. Elle n’implique ni pouvoirfaire, ni savoir-faire. C’est pourquoi nous avons besoin d’éducation
sexuelle, et de sexologues parfois.
Dia 9
Le sexe ni la mort ne dépendent de nous : il est rare qu’on les
choisisse, impossible qu’on leur échappe. Ils marquent plutôt notre
dépendance essentielle, sans laquelle nous ne serions pas. Vivre c’est
dépendre : de son corps, donc du monde. De soi, donc des autres. Je
n’ai pas choisi de naître, ni d’être mortel, ni d’avoir un corps et ce
corps-ci, ni d’avoir un sexe et ce sexe-là. Il faut faire avec. Même les
transsexuels et les eunuques n’y échappent pas. Faire autrement ou
faire sans, c’est encore une façon de faire avec. C’est comme un destin
à la première personne. Reste à le vivre, à l’assumer, enfin à y
conquérir, si on le peut, une marge de liberté. Nul ne choisit de naître,
aucun adulte valide ne continue à vivre sans l’avoir choisi. Nul n’est
coupable d’avoir un sexe, ni innocent tout à fait de sa sexualité.
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Le sexe ni la mort ne sont le propre de l’homme 2, si ce n’est
que seuls les humains s’interrogent sur les problèmes que leur posent
la mort et la sexualité. L’érotisme et la morale sont liés. La sexualité
nous confronte à l’autre et c’est dans ce rapport à autrui que se joue
pour l’essentiel la morale. Le vivre ensemble sous entend des devoirs
à l’égard d’autrui. Tout n’est pas permis. C’est là que la morale
commence. Et que l’innocence s’arrête. Il y a dans la sexualité comme
un paradoxe insoluble : qu’on veuille s’approprier le corps de l’autre
comme une chose, tout en sachant qu’il n’est pas une chose, ou pas
seulement. Sans quoi, il n’y aurait rien d’érotique dans sa possession.
L’angélisme dans ces domaines est tout aussi ridicule que la
diabolisation. Condamner le sexe ? C’est se condamner soi et toute
l’humanité, et toute vie peut être. Faut-il pour autant n’y voir qu’un
loisir agréable ? « Comment est il arrivé, demande Diderot, qu’un acte
dont le but est si solennel, et auquel la nature nous invite par l’attrait
le plus puissant, que le plus grand, le plus doux, le plus innocent des
plaisirs soit devenu la source la plus féconde de notre dépravation et
de nos maux ? ». C’est que le but, le plus souvent n’a rien de solennel
(Diderot pense à la procréation, mais ce n’est guère, sauf exception, ce
que poursuivent les amants). Le plaisir en l’occurrence n’est pas si
innocent que cela, puisqu’il jouit comme d’un objet de cela même (le
corps d’un autre) qui ne saurait tout à fait en être un. C’est la vérité de
la pornographie qui hante le désir comme sa tentation ou sa caricature.
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Tapez « sexe » sur n’importe quel moteur de recherche pour
voir ce qu’internet vous propose : des sites innombrables et
interminables, gratuits ou payants, professionnels ou amateurs, tous
différents, tous convergents, tous répétitifs et d’autant plus déprimants
qu’ils ne laissent pas tout à fait indifférent. Extrême crudité, audace
banalisée et stéréotypée, toujours les mêmes gestes souvent dans le
même ordre, les mêmes caresses, les mêmes positions, les mêmes
André Comte-Sponville. Le Sexe ni la mort. Trois essais sur l’amour et la sexualité. Ed
Albin Michel, 2012.
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Erotisme & Pornographie
cadrages, les mêmes mots lorsqu’il y en a, les mêmes gémissements
ou halètements. Vulgarité, bassesse, bêtise. Cela fascine d’abord. Puis
cela effraie, effare, déprime. Le sexe sans amour ressemble à de la
haine. Mépris, brutalité, violence, volonté de déshumaniser l’autre, la
femme presque toujours, de l’abaisser, de la soumettre, de l’humilier,
de la souiller, de l’avilir. On n’accepterait pas d’un film qu’il soit
raciste même si ce n’est que du cinéma. On accepte en revanche qu’un
porno soit sexiste, ce qui montre la place particulière de la sexualité
entrée dans une phase de déculpabilisation après plusieurs siècles de
culpabilisation.
Dia 12
La surabondance de ces films malgré leur médiocrité exprime
une partie de l’air du temps, révèle quelque chose de la sexualité
ordinaire. Comme le viol et la prostitution, trop fréquents à l’échelle
de nos sociétés pour qu’on n’y voie qu’une simple aberration
pathologique et dont on aurait tort d’en minimiser les conséquences.
Ce sont des faits et aucun discours vrai sur l’érotisme ne peut ignorer
ces 3 possibilités qui disent quelque chose sur la sexualité, en tout cas
masculine. Voyez les films pornos : qui peut croire qu’il n’y ait là que
déviances et pathologies ? Et par rapport à quelle sexualité supposée
« naturelle ou normale » ? On pourrait dire, comme Freud nous y
invite que la perversion est l’état originel de la sexualité à quoi on
échapperait, au moins partiellement, que par le refoulement, la
sublimation ou l’amour. Si l’on qualifie de perverse « toute activité
sexuelle qui, ayant renoncé à la procréation, recherche le plaisir
comme un but indépendant de celle-ci », il faut en conclure que tout
érotisme est pervers, par définition.
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Si le pervers suppose la loi même qu’il défie, si la
transgression réussie maintien l’interdit pour en jouir, lequel d’entre
nous n’est pas pervers, au moins par moments, dans sa vie érotique ?
Il n’y aurait sans doute pas de perversion sans loi. Mais pas
d’humanité non plus, ni d’érotisme. L’érotisme commence quand la
sexualité cesse d’être un moyen au service de la reproduction pour
devenir à elle-même sa propre fin. Point d’érotisme dans les rapports à
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Erotisme & Pornographie
heure fixe des couples en mal d’enfant. Mais cette définition est
insuffisante car des comportements sexuels déconnectés de la
reproduction, par la contraception par exemple, peuvent parfaitement
manquer sévèrement de toute connotation érotique. L’activité sexuelle
des humains, même lorsqu’ils ne se soucient pas de reproduction,
n’est pas nécessairement érotique. Il y a de plus des degrés dans
l’érotisme.
Dia 14
L’érotisme commence en fait là où la physiologie s’arrête,
quand on fait l’amour pour le seul plaisir de le faire, mais pas
seulement pour le seul plaisir de l’orgasme qu’on en attend. Un
rapport sexuel n’est érotique que lorsqu’il s’agit d’autre chose que de
« tirer un coup » ou de « décharger ses vases » pour parler comme
Montaigne. L’érotisme touche plus à la psychologie qu’au simple
fonctionnement des organes, est plus concerné par le désir que par le
plaisir. Il n’est d’érotisme que pour l’esprit.
Il y a un rôle fondamental de la transgression et de l’interdit
dans l’érotisme. Quelle est la principale différence entre la sexualité
animale (si tant est qu’on puisse utiliser ce terme) et la nôtre ? La loi :
l’interdit donc aussi le langage. C’est ce qui nous sépare de la nature
sans nous en faire sortir (le corps suffit à nous y maintenir).
L’érotisme se joue tout entier dans cette dualité. Nous sommes des
animaux moraux, que nous le voulions ou pas. Faire l’amour pour
nous ne sera jamais tout à fait naturel. C’est pourquoi nous sommes
aussi des animaux érotiques. L’érotisme c’est l’association
inextricable du plaisir sexuel et de l’interdit. L’érotisme est
essentiellement transgression, infraction à la règle des interdits. C’est
cela qui explique qu’il y a des degrés dans l’érotisme. Plus grave ou
plus osée sera la transgression, plus érotique sera l’acte. L’érotisme se
développe et se complexifie ainsi de degré en degré selon que le
caractère de transgression s’accentue.
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En partie seulement, car à ce compte, rien ne serait plus
érotique que le meurtre ou la torture. Et le premier viol venu serait
plus érotique que la plus délicieuse des caresses librement offerte ou
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Erotisme & Pornographie
consentie. Les transgressions en cascade qui illustrent les romans de
Georges Bataille par exemple qui les trouve lui très excitantes
viennent confirmer que la transgression ne saurait à elle seule définir
ni quantifier l’érotisme. D’ailleurs beaucoup de transgressions n’ont
rien d’érotique. Et beaucoup de nos moments les plus érotiques n’ont
rien à voir, même fantasmatiquement, avec une quelconque violence
ou quelque transgression extrême. La transgression fait donc partie de
l’érotisme, sans en épuiser le contenu ni les charmes. Tout érotisme
est transgressif au moins en partie, mais la transgression n’y est pas
tout, ni même l’essentiel.
Une autre définition est donc nécessaire : l’érotisme est
l’activité sexuelle d’un ou plusieurs êtres humains qui se prend ellemême comme but, qui vise à autre chose que la reproduction, et à
autre chose que l’orgasme qui marque son terme et non pas son but.
L’érotisme, c’est jouir de désirer ou d’être désiré, plutôt que désirer
jouir (même si ces deux dimensions existent simultanément et se
renforcent l’une l’autre).
Le désir des amants dans l’érotisme en acte ou du lecteur
spectateur dans l’érotisme littéraire ou cinématographique, devient à
lui-même sa propre fin : il tend moins à sa satisfaction (l’orgasme)
qu’à sa propre perpétuation, qu’à sa propre exaltation, qu’à sa propre
dégustation. Un rapport sexuel est érotique lorsque les amants font
l’amour pour le plaisir de le faire, non pour faire des enfants, pas non
plus simplement par amour (lequel peut exister aussi) ni pour le plaisir
ou l’orgasme qu’ils en attendent. L’érotisme est moins un art de jouir
qu’un art de désirer et de faire désirer jusqu’à jouir du désir même, le
sien, celui de l’autre, pour en obtenir une satisfaction plus raffinée ou
plus durable. C’est s’aimer soi-même désirant, et l’autre, tellement
désirable ! Il ne s’agit pas de réduire ou de supprimer une tension
désagréable, mais au contraire de maintenir ou d’accroître une tension
agréable ou délicieuse. C’est la tendance à maintenir, varier ou
augmenter (et non plus à réduire, contenir ou supprimer) les
excitations que la sexualité nous permet ou nous impose. S’il est vrai
comme le dit Freud que le principe de plaisir soit au service de la
pulsion de mort, l’érotisme, lui, est au service de la pulsion de vie
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Erotisme & Pornographie
parce qu’il tend à maintenir l’excitabilité de l’appareil psychique à un
niveau aussi haut et diversifié que possible.
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L’orgasme est à la portée de n’importe qui : chacun pour soimême y suffit. La masturbation, qu’on aurait bien tort de s’interdire,
n’est pourtant qu’un pis-aller : mieux que rien, mais faute de mieux.
Qui voudrait s’en contenter ? Quoi de moins érotique ? Si ce n’est par
les fantasmes qui l’accompagnent. C’est aller au plaisir par le plus
court chemin, quand ce sont les détours qui sont érotiques. La
masturbation n’en demeure pas moins un acte sexuel qui ne peut
devenir érotique qu’à la condition de s’offrir au regard de l’autre
comme stimulation du désir bien plus que comme instrument de
plaisir. Même chose pourrait se dire du coït ou des caresses qui le
précèdent : ils sont d’autant plus érotiques qu’ils visent au maintien du
désir davantage qu’à son assouvissement. La gastronomie commence
quand la nourriture vise autre chose que la satiété. L’érotisme,
pareillement, lorsque le désir tend à autre chose qu’à son propre
apaisement. Cela n’annule pas le plaisir (l’orgasme et la mort auront le
dernier mot, ou le dernier silence), mais en retarde voluptueusement
l’application. C’est entretenir le feu plutôt que de tendre à son
extinction : jouir du désir même, davantage et plus longtemps que du
plaisir qui l’abolit en le satisfaisant. Désirer jouir en matière
d’érotisme, c’est déjà un plaisir, certes moins vif, mais parfois plus
délectable que la volupté elle-même. L’érotisme pourrait se définir
comme la poésie des corps, en tant qu’ils sont sexués.
Dia 17
Nous restons cependant, malgré la culture qui est notre loi,
des animaux : quelque chose en nous précède la culture, lui résiste et
en joue. C’est ce que Freud appelle le ça qui représente le passé de
l’espèce, son hérédité. Le corps est le présent de ce passé. « Il y a un
peu de testicule ou un peu de saloperie disait Diderot au fond de nos
sentiments les plus sublimes ou les plus délicats ». Qu’il y ait du sexe
dans tout amour et de l’animal dans tout homme, bien peu,
aujourd’hui, le contestent. L’homme n’est ni ange ni bête, mais il est
homme et animal, et c’est ce que le sexe en chacun ne cesse de nous
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Erotisme & Pornographie
rappeler. L’érotisme joue de la loi et de la pulsion, il permet de jouir
humainement de notre animalité, bestialement de notre humanité.
C’est de quoi aucune bête ni aucun ange n’est capable. L’érotisme est
donc le propre de l’homme avec le langage.
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L’homme est un animal transgressif : le seul qui jouisse de
son animalité en s’en distanciant, voire, raffinement suprême, en se la
reprochant. Ne voir dans l’interdit sexuel qu’un préjugé dont il est
temps de se défaire, c’est une véritable sottise. C’est le sexuellement
correct de notre époque, libéré, apaisé, hygiénique. Retrouver une
impossible innocence originelle ? Comme ce serait ennuyeux !
Comme ce serait bête dans tous les sens du terme. Autant souhaiter la
disparition de la politesse, de la gastronomie, de l’art. La loi n’est pas
le contraire du plaisir ; c’est sa contrainte et il n’y a pas d’art digne de
ce nom sans contraintes, ni d’humanité. Une sexualité libérée ? Il ne
peut y avoir de libération que là où une loi existe et peut donc être
transgressée. C’est le plus beau cadeau que Dieu ou Eve firent à
l’humanité ou plutôt que l’humanité se fit à elle-même : la loi, donc
aussi la liberté de s’y soumettre ou non. Pas de loi qui n’ouvre à la
possibilité de sa propre transgression. Pas de transgression qui ne
confirme à sa façon la loi même dont elle prétend s’affranchir. La
transgression lève l’interdit sans le supprimer.
C’est où l’humanité commence : par l’interdit du meurtre, par
l’interdit de l’inceste, par le confinement de la sexualité réglée et
cachée, donc aussi par la pudeur, la honte et l’érotisme. L’homme
n’est un animal transgressif que parce qu’il est d’abord un animal
culturel, le seul qui se donne à lui-même sa propre loi ou plutôt qui la
reçoit de ses parents et qu’il ne peut transgresser sans une forme de
mauvaise conscience. Il serait plus simple, et moins érotique, d’être
des bêtes. Ce n’est pas une raison pour regretter les grands singes que
nous fûmes, que nous sommes encore par le corps, et dont la culture
définitivement nous sépare.
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Comment passe t-on de l’animal à l’homme pour Bataille?
Par la fabrication d’outils et la conscience de la mort, mais aussi par
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Erotisme & Pornographie
l’interdit et la transgression en matière sexuelle, en glissant de la
sexualité sans honte à la sexualité honteuse dont l’érotisme découle.
De là ce goût de péché qui, même chez les athées, fait partie de la
sexualité et en rehausse la saveur. L’amour physique, pour chacun, et
quelle qu’en soit la fréquence, garde quelque chose d’exceptionnel,
d’insolite, d’inconvenant. Les bêtes ne savent pas ce qu’elles perdent.
Quel érotisme sans liberté et quelle liberté sans libération ? Donc sans
loi, sans résistance, sans angoisse. « L’homme est un animal qui
demeure interdit devant la mort et devant l’union sexuelle » écrivait
Bataille. Cela ne l’empêche pas d’aimer la vie, bien au contraire, et le
sexe ! Quoi de plus spécifiquement humain, outre les rites funéraires,
que l’érotisme, que le libertinage même au sein du couple, que les
fantasmes, que la pudeur délicieusement offensée ou surmontée ? Et
quel plus bel hommage à la vie, au désir, à l’humanité ? Le sexe ni la
mort ne sont proprement humains. L’érotisme et les funérailles, si.
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Le sexe et l’amour sont pour les humains des problèmes qu’il
faut affronter et surmonter, sinon résoudre, et qui définissent au moins
une partie de notre humanité. L’homme est un animal érotique : le
seul qui fasse l’amour en tant que cela ne se réduit ni au coït ni à
l’orgasme, le seul pour qui la sexualité pose problème, le seul qui soit
capable de mettre le désir plus haut que le plaisir, le seul qui le cultive
au lieu de se contenter, comme la première bête venue, de l’assouvir.
C’est qu’il est un animal moral et l’érotisme ne va pas sans la
moralité. On ne fait pas l’amour comme on boit un verre d’eau. L’acte
sexuel a toujours une valeur de forfait. C’est pourquoi c’est si bon, si
fort, si troublant. Dieu nous préserve de l’innocence ! « Alors leurs
yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus ». La
pudeur qui est le sentiment de l’obscénité est un comportement acquis
et variable, donc culturel. On ne s’habille pas seulement contre le
froid. On s’habille pour se parer, pour se protéger, pour se faire voir et
se cacher. La nudité ne nous est plus naturelle. Et d’ailleurs elle
devient signifiante. Et que peux t-elle signifier d’autre que le sexe ?
C’est lui ultimement qu’on cache ou qu’on dévoile. C’est une chance
plutôt qu’une malédiction car tout érotisme serait cela impossible.
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Erotisme & Pornographie
La pudeur comme vertu est indissociable de l’impudeur
qu’elle suppose. La honte de ce qui n’est pas honteux fait partie de son
charme. C’est le devenir obscène de la nudité donc aussi son devenir
érotique. Quel beau cadeau ! La pudeur et l’impudeur naissent
ensemble et l’une par l’autre. Double plaisir, double liberté pour les
amants. Double séduction pour tous. Pour enfermer l’impudeur, la
Burqa. A l’opposé le naturisme est triste quand il prétend abolir la
pudeur.
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Une sexualité purement naturelle n’aurait rien d’érotique. Un
plaisir innocent serait insipide. Une sexualité sans concupiscence
comme celle d’avant la faute ? A quoi bon. Autant rêver d’une
sexualité sans trouble, sans tabous, sans transgression, sans tentation,
sans fantasmes, sans audaces, sans rêves, sans passion, sans érotisme.
La gastronomie alors vaudrait mieux !
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Erotisme ou pornographie ? Celui-là, dit-on parfois, traiterait
du corps comme sujet ; celle-ci comme objet ou comme simple
assemblage de morceaux de viande. Mais un pur objet ou de simples
morceaux de viande, même dans un film n’aurait rien de
pornographique. Et l’érotisme se plaît bien souvent à réduire l’autre à
son objectivité corporelle ou charnelle. Où placer la frontière ?
Certains films ou livres sont classés par les uns comme
pornographiques alors que d’autres n’y voient que des œuvres
érotiques. Pourquoi faudrait-il trancher ? La différence entre les deux
genres est probablement plus esthétique, puisque les mêmes affects
sont à l’œuvre dans l’un comme dans l’autre comme ils le sont dans la
sexualité la plus ordinaire. La pornographie décrit ou montre le plus
crûment possible et sans recherche esthétique ce que l’érotisme
préfère suggérer, mettre en scène ou en mots. C’est pourquoi la
pornographie est toujours plus dérangeante. Le sexe ni la mort ne se
peuvent exhiber sereinement.
« La pornographie, pour Robbe-Grillet, serait l’érotisme des
autres ». Ce qui souligne que la frontière entre ces deux notions reste
floue, mobile et incertaine et à tout le moins marquée de subjectivité.
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Erotisme & Pornographie
L’érotisme peut en fait se vivre à la première personne du singulier ou
du pluriel (le je du désir et le nous des amants) et en actes alors que la
pornographie n’existe guère que comme spectacle ou récit qui ne peut
être perçu que de l’extérieur. C’est d’ailleurs ce que suggère
l’étymologie. Pornographie vient du grec « pornè » (la prostituée) et
« graphein » (écrire ou dessiner). Erotisme vient d’éros, le dieu de
l’amour ou de la passion amoureuse. Ainsi peut il y avoir quelque
chose d’aimant ou d’aimable, de passionnant ou passionnel, voire de
religieux, dans l’érotisme. Alors qu’il y a inévitablement quelque
chose de vulgaire ou de bas et souvent de mercantile (« pornè » vient
« pernènai » qui veut dire vendre) dans la pornographie. Il n’y a
pornographie que là où il y a graphie, c’est à dire représentation écrite
ou visuelle d’un acte sexuel. L’érotisme, dès qu’il se donne en
spectacle tend vers la pornographie. La même scène peut ainsi être
érotique, dans le secret de la chambre, ou pornographique, sur un
écran de télévision ou de cinéma. Le sexe est obscène dès qu’il se
montre.
Dia 23
Qu’est ce que la pornographie ? C’est la représentation
explicite d’un acte sexuel qui tend à l’excitation sexuelle du lecteur ou
du spectateur. Que le mot soit universellement perçu comme péjoratif
en dit long sur notre rapport à la sexualité. Sont jugées
pornographiques des représentations non seulement obscènes, ce qui
pourrait être moralement neutre, mais presque toujours méprisantes et
avilissantes. Plutôt mercantiles qu’amoureuses ou esthétiques. Si
l’érotisme peut être un art, la pornographie n’est le plus souvent qu’un
commerce. Cela n’interdit pas de faire de la pornographie un usage
privé qui peut être pour certains plaisant voire légitime. Pour Ruwen
Ogien, la différence entre érotisme et pornographie n’est pas
descriptive car les deux termes font référence à la même chose, mais
normative : « Erotique » est positif ; « pornographique » est négatif ou
péjoratif. Pour la littérature et le cinéma, le choix entre l’un ou l’autre
de ces adjectifs est moins en rapport avec le contenu de l’œuvre
qu’avec le style de traitement qu’on lui applique.
L’érotisme suggère davantage qu’il ne montre, ou ne montre
qu’en esthétisant. Il peut donc être élégant, distingué voire artistique.
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Erotisme & Pornographie
Le beau lui tient lieu d’excuse ou de justification. La pornographie au
contraire montre tout, de préférence en gros plan, et se soucie moins
d’esthétique que d’efficacité : la vulgarité, la crudité, la bassesse et la
rentabilité font partie de son projet. L’obscénité peut exister dans les
deux cas, mais plutôt sublimée dans l’érotisme, toujours exhibée dans
la pornographie.
Dia 24
Tout acte sexuel, dès qu’on le représente, demeure
impudique, scabreux et choquant. Quelque soit la banalité et la
fréquence de cet acte, il reste troublant et incongru. L’acte sexuel le
plus courant, dès qu’on le montre en gros plan, reste étonnamment
scandaleux. Quel père, quelle mère montrerait ces scènes à son
enfant ? Pourtant, c’est notre vie banale et innocente. Le sexe est cette
innocence en nous qui reste en quelques façons choquante ou
coupable, cette banalité qui garde une part d’audace ou d’opprobre. La
pornographie s’en nourrit. L’érotisme en joue. La pornographie est
l’exploitation de l’obscénité. L’érotisme, sa mise en scène ou en
œuvre. La dimension d’audace, d’impudeur ou de forfait, même
atténuée, subsiste cependant et c’est heureux : tristes amants, que leur
nudité ou leurs désirs n’émeuvent plus !
Dia 25
Montrer, exhiber, regarder, toucher, oser, défier, transgresser,
profaner, ce sont des dimensions de notre vie sexuelle, au même titre
que l’amour et la tendresse. Pas besoin, pour en ressentit le trouble,
d’être particulièrement porté à la culpabilité, ni à la perversion.
« Dans le désir sexuel, dit Sartre, la conscience se fait corps, pour
s’approprier le corps d’autrui ». Mais ce corps n’est désirable que
parce qu’on sait que nul ne saurait le posséder. C’est le paradoxe du
désir qui le voue à l’échec et à la répétition. Il s’agit bien de
s’approprier l’autre, du moins dans un certain sens. Les caresses sont
appropriation du corps de l’autre ; elles transforment le corps en chair,
le sujet en objet, l’activité en passivité. La caresse est dévoilement de
la chair de l’un par la chaire de l’autre. Le désir est à l’origine de son
propre échec, non seulement parce que l’orgasme y met un terme,
mais surtout parce qu’il est désir de prendre et de s’approprier l’autre.
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Erotisme & Pornographie
Je voudrais posséder l’autre, mais on ne peut posséder qu’un objet et
désirer, au sens sexuel du terme, qu’un sujet. Cette contradiction voue
le désir à l’impossible. Désirer un corps conscient, et personne ne
saurait désirer sexuellement autre chose. Une conscience sans corps ne
serait pas désirable. Un corps sans conscience, sauf en fantasme, ne
l’est guère davantage. Aussi veut-on posséder les deux à la fois et ça
c’est impossible. De là l’échec. Jouir du corps de l’autre, même après
des années de vie commune, ce n’est jamais anodin. Tout être humain
est aussi un objet, par son corps, et comme tel possiblement soumis à
la violence du viol, à l’achat dans la prostitution ou à
l’instrumentalisation dans la pornographie. L’interdit du viol n’a de
sens que parce que celui-ci peut paraître désirable au moins
fantasmatiquement pour certains, plutôt des hommes d’ailleurs.
Dia 26
Il y a bien comme une contradiction entre la morale et le
sexe. La sexualité est par essence amorale, voire immorale. Le sexe
est égoïste, avide, irrespectueux : le contraire à peu près de l’amour et
de la charité ou même de la morale. On devrait considérer l’autre
comme une fin en soi, autrement dit comme une personne. Et l’on
n’en jouit que davantage à le considérer, au moins à certains moments,
comme un moyen, comme un objet, comme une chose. Pas question
pour autant d’y renoncer. Traiter comme un moyen, ce n’est pas bien,
mais ce n’est pas toujours mal. La faute serait de ne le traiter que
comme un moyen. Et d’ailleurs, quand le désir s’en mêle entre
partenaires consentants, qu’est ce c’est bon… Il y a de la profanation
dans l’acte sexuel, qui souligne ce qu’il y a de sacré dans l’être
humain. On ne peut profaner que ce qui est sacré. C’est la
transgression première dont toutes les autres dépendent : traiter l’autre
comme un objet, ce qui n’est désirable que parce qu’il est en fait autre
chose qu’un objet, tout en l’étant aussi par son corps. Transgresser,
c’est joue avec les limites de l’humanité, pour en jouir. L’érotisme est
donc un humanisme.
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« L’érotisme commence où finit l’animal » écrit à juste titre
Bataille. Mais l’animalité n’en est pas moins le fondement.
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Erotisme & Pornographie
L’humanité jouit dans l’érotisme en se détournant de l’animalité par la
culture, l’interdit, l’amour. Cela explique que partout, et sans doute
dès les temps les plus anciens, notre activité sexuelle soit astreinte au
secret et contraire à notre dignité.
La sexualité humaine se détache donc de la simplicité
animale y compris lorsqu’elle la mime : la transgression, donc
l’érotisme, est le propre de l’homme.
La nature nous contient. Elle ne nous gouverne pas. Ses lois
ne sont pas susceptibles d’être enfreintes. Les nôtres, si. C’est par quoi
elles touchent à l’esprit. L’homme, animal dénaturé, disait Vercors :
le seul qui s’oppose à la nature, qui se révolte contre elle et par là s’en
distingue. Il ne cesse pas pour autant d’en faire partie. Ainsi restonsnous des animaux, dénaturés sans doute ou plutôt surnaturés par la
culture et le langage. Seul un être moral est capable de vices, de crime,
de barbarie. Mais seul aussi il peut jouer avec les interdits qu’il se
donne, ou qu’on lui a légué, voire en nourrir ses désirs et ses
fantasmes, les renforcer, les raffiner, les réguler, les sélectionner. Et
c’est ce qu’on appelle, en matière de sexualité, l’érotisme.
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