Trans— No 8 : À tu et à toi « La transidentité de Dai Sijie et Shan Sa » Sophie CROISET © 2
http://trans.univ-paris3.fr/ Été 2009 (ISSN 1778-3887)
plus véhiculés dans les études francophones tels que transculturalité, transnationalité, ou
transterritorialité.
La question de l’identité de l’écrivain francophone a été abordée à maintes reprises et sa
complexité n’est plus à établir. Les propos de Christiane Albert présentant les Actes du
colloque « Francophonie et Identités Culturelles » en annoncent la consistance : « Ainsi le
rapport qui s’établit, dans le cadre de la francophonie, entre la langue, l’histoire et l’identité
est un rapport complexe, qui se donne à lire dans un contexte multiculturel3. »
Selon Daniel Delas « l’écrivain francophone est et n’est pas un étranger4 ». Pour
reprendre les propos d’Azade Seyhan, l’auteur en situation d’exil5 est « neither here nor
there6 ». Il est in-between, vivant et produisant sur un point d’intersection linguistique et
culturelle, il a « l’obligation de jouer en partie double, d’être ici et ailleurs, d’occuper deux
lieux à la fois ce qui le contraint à rester dans l’entre-deux7 ». Citons encore Josias
Semunjanga évoquant une dualité identitaire attachée, spécifiquement, à une situation
postcoloniale mais adaptable à tout auteur « excentrique8 » : « Dans le contexte postcolonial,
la quête identitaire n’est pas seulement ambivalente, elle est aussi dualiste dans la mesure où
le sujet postcolonial a hérité aussi bien que de la culture de l’ex-métropole par la scolarisation,
les médias, la culture, ou les arts9. »
L’auteur en situation de bi- ou plurilinguisme et d’hétérogénéité culturelle présente une
identité « par-delà » – d’où le préfixe « trans- » – qui se manifeste, par voie littéraire, dans la
langue, le style, les thèmes et les classifications théoriques. Il ne peut entrer dans un cadre
national, culturel, ou linguistique défini selon des catégories rigides et indépassables. Le
concept de transidentité est donc ici posé comme caractéristique d’un individu, qui par un
processus d’acculturation associé à des situations de colonisation, post-colonisation ou d’exil,
se retrouve à la croisée de plusieurs langues et/ou cultures, défiant par ses œuvres littéraires la
territorialité de la littérature. Il joue et se joue de l’Ici et de l’Ailleurs, savoure le Divers10 en
mouvement, et ses œuvres appellent une analyse éclairée, c’est-à-dire, transculturelle.
De la Chine à la France : précisions biographiques et définition du corpus
Dai Sijie et Shan Sa, par lesquels nous illustrons la notion, arborent cette caractéristique de
transidentité. Ils connaissent deux cultures, se servent de deux langues, et produisent des
œuvres qui s’en ressentent. Pour appréhender correctement la situation des auteurs, leur
regard sur la langue d’écriture et le contexte de production, nous proposons quelques éléments
biographiques. Cet éclairage nous permet de présenter le corpus sur lequel s’appuient nos
considérations.
Dai Sijie (1954-) est issu d’une famille bourgeoise de la province de Fujian. Subissant
les affres de la Révolution culturelle durant son adolescence, le jeune « intellectuel
bourgeois » est envoyé en rééducation dans un village des montagnes du Sichuan (1971-
1974). Ce déplacement forcé lui permit d’entrer en contact avec la littérature française grâce à
3 Christiane Albert (dir.), Francophonie et identités culturelles, Paris, Karthala, 1999, p. 9.
4 Daniel Delas « Étrangèreté » in Michel Beniamino, Lise Gauvin (dir.), Vocabulaire des études francophones.
Les concepts de base, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2005, p. 73.
5 L’exil chez Seyhan implique un déplacement géographique mais nous pouvons l’envisager comme exil
purement linguistique, reprenant l’idée d’« exilé du langage » (cf. Anne-Rosine Delbart, Les Exilés du langage.
Un siècle d’écrivains français venus d’ailleurs [1919-2000], Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2005).
6 Azade Seyhan, Writing Outside the Nation, New York, Princeton University Press, 2000, p. 11.
7 Marie Dollé, L’imaginaire des langues, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 13.
8 Anne-Rosine Delbart, op. cit., p. 49.
9 Josias Semunjanga, « Identité culturelle », in Michel Beniamino, Lise Gauvin (dir.), op. cit., p. 97.
10 Victor Segalen, op. cit.