Compte rendu - Lettre d'information TEF n°4 - décembre 1999 L'ouvrier, l'usine et le syndicalisme wallon. Involutions et enjeux (1960-2000) Bernard Fusulier (ed.), Academia, Bruylant, 189 p. Paul Schoetter - TEF-ULB Comme le souligne l'éditeur, « avec sa concentration ouvrière et ses luttes sociales, la grande entreprise constitue la figure emblématique du monde industriel. Elle a largement contribué à forger notre paysage, notre imaginaire, notre manière d'être et de vivre ensemble. À travers son déclin et sa restructuration actuelle, ce n'est pas seulement l'économie qui change, c'est toute une organisation sociale et toute une culture qui se transforment. Une page de notre histoire se tourne ». Cet ouvrage est écrit dans le cadre d'une réflexion menée au sein de l'Observatoire sociopolitique et de la Faculté ouverte de Politique économique et sociale de l'Université Catholique de Louvain (FOPES). Les auteurs explorent et dressent un bilan des rapports de forces économiques et sociaux de ces quarante dernières années. Les contributions s'articulent autour de celle de N. Burnay et J. Delcourt sur les « involutions et transformations de la classe ouvrière ». De celle de M. Capron sur les « mutations de la grande industrie en Wallonie : le cas de la sidérurgie ». Et enfin de celle de B. Francq et X. Leloup sur « 1960-2000 : du mouvement ouvrier à un syndicalisme fragmenté ». Cette période est marquée en 1960 par la grève de cinq semaines du 22 décembre au 23 janvier 1961. À l'origine de celle-ci, le projet de loi « d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier » qui se révèle être un plan d'austérité où se conjuguent des mesures favorables au développement industriel avec une série de mesures draconiennes : répression des infractions concernant l'octroi d'allocations de chômage, recul de l'âge de la mise à la retraite, augmentation des impôts indirects et alignement à la baisse des conditions de recrutement et de traitement des agents communaux et provinciaux sur celles des agents de l'État. Cette année-charnière de 1960 est également marquée par la signature du premier « accord interprofessionnel de programmation sociale » (mai 1960) ainsi que par la décolonisation du Congo (juin 1960). Dans la suite de cette grève, non soutenue par la FGTB nationale et la CSC, s'inscrivent également la revendication d'une plus grande autonomie des instances syndicales socialistes wallonnes (réalisée, vingt ans plus tard, en 1982) ainsi que la revendication d'un fédéralisme économique et social. La période prise en compte par les auteurs se caractérise par la présence, en Wallonie, d'une grande industrie de production de biens d'équipement ou de produits semi-finis dans les secteurs d'extraction (charbonnages) comme de transformation (acier, verre, chimie, papier, fabrications métalliques et mécaniques, textile). Certes, les « conditions de travail et le travail lui-même étaient difficiles mais fondaient l'identité fière de l'ouvrier ainsi qu'un esprit de corps propice à l'action collective». Les rapports sociaux débouchaient sur des compromis institutionnalisés entre les forces syndicales et patronales tandis que l'État soutenait « la demande effective et assurait le développement des services collectifs d'éducation, de santé et de services sociaux ». Au fil du temps, l'on assiste à l'affrontement commercial entre les grandes nations industrielles, à l'industrialisation croissante des pays « périphériques ». Cette internationalisation croissante liée aux contraintes du développement du marché commun européen, va lézarder et faire exploser cette architecture centralisée de l'économie wallonne. À partir des années '70, celle-ci connaît une suite quasi ininterrompue de fermetures, de faillites, de fusions. Ce démantèlement affecte les industries de base et fragilise tout un pan de la démocratie salariale : - démantèlement des concentrations ouvrières, lieux historiques de luttes sociales; - passage des grandes entreprises subsistantes dans le giron du management étranger réduisant le contrôle syndical et citoyen. Le syndicalisme est fortement secoué par l'ensemble de ces transformations. B. Francq et X. Leloup tentent une analyse intéressante de l'évolution du syndicalisme des années 1960 à nos jours. Leur analyse s'articule autour de deux modèles : le « renardisme » (du nom du leader syndical André Renard) et celui du « syndicalisme de concertation ». S'interrogeant sur les mutations internes du système des relations industrielles, les auteurs constatent, d'abord, face à un ralentissement structurel de l'activité économique et à l'émergence d'un chômage de masse, la fin de la négociation des fruits de la croissance par les partenaires sociaux. Ils soulignent, ensuite, l'intervention croissante du Gouvernement au travers d'une politique de modération salariale. Et les auteurs se pro-noncent pour une nécessaire redéfinition du syndicalisme car le « syndicalisme dans ses différences apparaît aujourd'hui comme une institution sans mouvement ouvrier ». En conclusion, B. Fusulier et Ch. Maroy soulignent que la « préoccupation majeure tient à la difficulté de l'action collective aux multiples évolutions qui ont affaibli la capacité de mobilisation offensive du syndicalisme déchiré entre une action de plus en plus institutionnelle et défensive et une action de base menacée de dispersion et réduite de plus en plus à un travail social de proximité ». C'est dire que « face aux transformations en cours, la construction de nouveaux espaces d'action et de négociation est plus que jamais à l'ordre du jour ». Création le 13 janvier 2000 - personne contact : mailto:%[email protected] retour page d'accueil