Psychologie clinique et projective Principes méthodologiques Licence 2 de Psychologie cours de Claude BOUCHARD Université Rennes 2 Propos général Positionner la clinique projective dans le champ plus large d’une clinique psychologique. Ce qui suppose : de clarifier la notion de clinique, polysémique en psychologie ; de rappeler les influences diverses qui ont contribué à constituer ‟la” méthode clinique en psychologie ; de situer et de définir plus spécifiquement, la méthode projective : ses principes et ses caractéristiques. Plan du cours – 1/2 I. LA NOTION DE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE 1. Les trois acceptions du mot "clinique" en psychologie 1.1. La clinique comme méthode 1.2. La clinique comme pratique 1.3. La clinique comme métier 2. Stratégies et techniques cliniques Un exemple : l’entretien semi-directif Plan du cours – 2/2 II. MÉTHODOLOGIE PROJECTIVE Principes fondamentaux 1. La situation projective 1.1. Une situation d’interprétation 1.2. Une situation anxiogène 2. Pour quelle analyse psychologique ? 2.1. Analyse formelle 2.2. Aménagements défensifs et mécanismes de défense Partie I LA NOTION DE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE I. LA NOTION DE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE Par ‟psychologie clinique”, on peut d’abord entendre une qualification méthodologique et épistémologique, qui spécifie un mode de connaissance psychologique. Dans une autre acception, on peut encore entendre par ‟psychologie clinique” une psychologie pratique, une psychologie tournée vers l’action concrète, voire une psychologie institutionnalisée, professionnalisée. On peut aussi désigner sous le nom de ‟psychologie clinique” une spécialisation, parmi des savoirs et des savoir-faire répartis en domaines différenciés de compétences (‟sous-disciplines” académiques de la psychologie, métiers de psychologue). 1. La clinique comme méthode – 1/2 Le premier sens du mot ‟clinique” qualifie alors un principe méthodologique général, défini comme une ‟psychologie des cas individuels” (Lagache). Dans une version plus actuelle, nous dirons plutôt que la méthode clinique se caractérise d’abord par le souci de singulariser les faits psychologiques (individuels ou de groupe) qu’elle se propose d’étudier. 1. La clinique comme méthode – 2/2 Méthode : du grec ancien μέθοδος (methodos) qui signifie la poursuite ou la recherche d'une voie pour réaliser quelque chose. Le mot est formé à partir du préfixe μετά, μέt- (metα, met-) "après, qui suit" et de οδός (hodos) "chemin, voie, moyen". Méthodologie = discours sur la méthode, théorie de la méthode. Une méthode s’opérationnalise par des techniques = ce qui va permettre de produire, maintenir et gérer un savoir ou un savoir-faire conformément à la méthode choisie ou recherchée. 2. La clinique comme pratique Le mot ‟clinique” peut également désigner une pratique psychologique, qu’elle soit d’intervention ou de recherche. En ce sens, parler de ‟psychologie clinique”, c’est parler d’une psychologie pratique, par opposition à une psychologie spéculative, théorique. (Influence du vocabulaire médical : médecine clinique = médecine pratique, médecine du soin.) 3. La clinique comme professionnalisation et spécialisation 1947 : Création du premier diplôme professionnel de psychologue en France, par Daniel Lagache la psychologie devient la référence "disciplinaire" (formation universitaire) d’un métier. 1971 : Création des DESS de psychologie (diplômes d’études supérieures spécialisées = Bac + 5) spécialisation du métier de psychologue. 1985 : Protection légale du titre professionnel de psychologue. 2014 : Création de 5 mentions de master de psychologie (fin du diplôme unique). Un exemple de technique clinique L’entretien semi-directif Qu’est-ce qu’un entretien psychologique ? – 1/3 Un entretien psychologique est une conversation, c’est-à-dire un échange entre deux ou plusieurs interlocuteurs. Cet échange n’est pas seulement verbal, il est aussi non verbal dans la mesure où il inclut aussi d’autres modes de communication (mimique, regard, gestes, posture, silences). C’est pas une conversation à visée psychologique, c’est-à-dire ayant pour objectif de produire une connaissance psychologique sur l’interlocuteur (ou les interlocuteurs) visé(s) par l’entretien. Qu’est-ce qu’un entretien psychologique ? – 2/3 Dans les pratiques psychologiques, on distingue deux types d’entretien, selon qui le demande et en bénéficie, et selon qui en structure le propos et les thèmes. Dans le cas où l’entretien est mené à la demande et au bénéfice de l’interviewer, on parle d’enquête. Dans le cas contraire, lorsque la demande est le fait de la personne ciblée par l’entretien (interviewé) et qu’elle en est le principal bénéficiaire, on parle plutôt de consultation. Qu’est-ce qu’un entretien psychologique ? – 3/3 Le critère de la thématisation du discours introduit une autre distinction : - lorsque c’est l’interviewer qui détermine les thèmes du propos échangé, on dira que l’entretien est directif et que le discours de l’interviewé est délinéarisé ; - lorsque c’est l’interviewé qui élabore lui-même ces thèmes, l’entretien est dit non directif ou semi-directif (selon le degré d’initiative qui lui est laissé), et le discours produit est alors plus proche d’un discours linéaire. Représentation schématique d’un entretien "délinéarisé" (source : R. Mucchielli, 1977) Représentation schématique d’un entretien "délinéarisé" (source : R. Mucchielli, 1977) Qu’est-ce qu’un entretien clinique ? Selon son objectif ou selon ses différents moments, tout entretien psychologique se positionne et souvent oscille entre ces pôles extrêmes : - de l’enquête et de la consultation (initiative et bénéfice de la demande) ; - de la directivité et de la non-directivité (initiative du propos). Dans une perspective clinique, l’entretien psychologique privilégie la forme de la consultation et une orientation peu directive. Plus un entretien psychologique est conduit de manière à laisser principalement (mais pas uniquement) l’initiative à l’interviewé, plus il répond aux principes méthodologiques d’un entretien clinique. Partie II GĖNĖALOGIE DE LA MĖTHODE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE II. GENEALOGIE DE LA METHODE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE Ce qu’on appelle ‟méthode clinique” en psychologie, est la résultante d’influences historiques plurielles et diverses : - L’héritage médical - La psychologie des tests et de la recherche expérimentale - La psychanalyse - L’apport de la phénoménologie et de la psychologie existentielle - Les méthodes projectives 1. L’héritage médical MÉDECINE Importance de l’examen du corps du malade et de l’observation dans la recherche de signes pathognomoniques. Prise en compte du déroulement, de l’histoire de la maladie, et donc de l’histoire du malade : anamnèse. Notion de diagnostic. Diagnostic différentiel au cas par cas. PRINCIPES CLINIQUES Notion de cas : situation singulière d’un individu ou d’un groupe. Notion de diagnostic psychologique incluant un enquête anamnestique. Spécialisation d’une ‟psychologie clinique et/ou pathologique” centrée sur l’homme malade (somato- et/ou psychopathologique). 2. La psychologie des tests et de la recherche expérimentale PSYCHOMÉTRIE Rôle de la suggestion possible induite par le psychologue (Binet). Pratique différentielle de la psychométrie : psychologie individuelle (Binet). Méthode expérimentale visant une exploration psychologique par progression ajustée de problèmes soumis à l’individu : méthode clinique (Piaget). Notion d’un examen psychologique non standardisé, progressivement adapté : diagnostic progressif (Rey, Zazzo, Lagache). PRINCIPES CLINIQUES Notions d’usage clinique des tests et de diagnostic progressif. Analyse clinique (voire psychopathologique) des épreuves psychométriques ou des échelles et inventaires de personnalité. Pratique de compte-rendu qualitatif de l’examen psychologique et déontologie de restitution de ce bilan (discrétion sur les éléments personnels de l’investigation qui ne sont pas utiles au destinataire de l’évaluation). 3. La psychanalyse PSYCHANALYSE Importance du cadre (ou dispositif) comme conditions de travail thérapeutique et comme référentiel interprétatif. Rôle déterminant de la relation médecin-malade dans l’observation et l’action psychologiques transfert. Position technique du psychothérapeute selon la double règle : - d’un interdit du toucher (médical) ou règle d’abstinence ; - d’une attitude de non-jugement moral : neutralité bienveillante. PRINCIPES CLINIQUES Prise en compte des effets de cadre dans la relation psychologue-sujet. Vigilance implicative du psychologue (= observation impliquée). Attention portée à la demande de l’usager = son adhésion, son engagement dans l’acte proposé. Faible directivité (semi-directivité) de la part du psychologue. Prise en compte des phénomènes non conscients, non maîtrisés, dans la relation, autant du côté du sujet que du psychologue. 4. La phénoménologie et la psychologie existentielle PHÉNOMÉNOLOGIE Mise en valeur des notions de sujet, de situation (‟sujet-en-situation”) et de vécu du sujet. Intérêt porté aux catégories existentielles propres au sujet (spatialité, temporalité, corporéité) et à ses axiomes de vie (valeurs, croyances, présupposés). Méthode de réduction (épochè) visant à dégager les essentiels du vécu du sujet et de son monde. PRINCIPES CLINIQUES Approche de l’être humain comme sujet. Attention portée au contexte de l’observation compris d’abord comme situation vécue par le sujet selon ses propres modalités d’existence. Centration sur les références existentielles et implicites du sujet, dans l’ici-et-maintenant de la rencontre, afin de repérer la structuration axiologique (Axiomatique) du sujet. 5. Les méthodes projectives CONSIGNES PROJECTIVES Déplacement d’un intérêt pour des fonctions, des compétences ou des performances (imagination, perception, adaptation…) vers les processus implicites organisateurs de ces manifestations et leurs modes de structuration. Usage d’un cadre d’examen psychologique, basé sur une consigne globale de ‟libre réponse” (interpétation) en fonction d’un stimulus de départ, standardisé, mais ambigu et/ou polysémique. PRINCIPES CLINIQUES Usage différencié des méthodes dites projectives, selon les principes d’un diagnostic progressif, d’un ‟test aux limites”, et de la double référence Énigme / Intrigue. Analyse interprétative centrée sur le comment des réponses (dynamique d’élaboration, processus), sur leurs constantes formelles (structuration des réponses), et sur les possibilités de modification (changement, variété et modalités de changement) de ce ‟Comment” (anayse séquentielle ou sérielle). Médecine Psychométrie Psychologie expérimentale MÉTHODE CLINIQUE en Psychologie Tests projectifs Psychanalyse Phénoménologie Partie III MĖTHODOLOGIE PROJECTIVE Principes fondamentaux III. METHODOLOGIE PROJECTIVE Principes fondamentaux 1. L’observation projective est une situation induite d’interprétation 1.1. Une situation de signification 1.2. Une situation anxiogène 2. L’analyse projective est une analyse formelle 2.1. Une démarche d’analyse structurale 2.2. La prise en compte des réactions de défense 1. Une situation induite d’interprétation La situation projective est une observation clinique "armée" (= outillée, instrumentée), qui consiste à placer le sujet observé en situation d’avoir à s’approprier un stimulus polysémique ou une situation inachevée, et à en opérer une réduction subjective, c’est-à-dire une interprétation (le sens-pour-le-sujet). L’hypothèse méthodologique générale est que les caractéristiques, de contenu et de forme, des réponses du sujet testé sont en rapport d’analogie avec des caractéristiques de son univers subjectif, de sa personnalité et de son "fonctionnement psychique". Une situation d’interprétation pour le sujet La particularité des consignes projectives est de proposer au sujet d’effectuer une tâche apparemment en rupture avec ses préoccupations actuelles afin de l’amener vers une situation d’expression plus "spontanée" (recours à l’imaginaire, à la fiction, au jeu). Les consignes sont délibérément ambiguës afin de laisser au sujet une marge d’interprétation des consignes (matérielles et verbales). Ces deux principes, d’un stimulus ambigu (ou plastique) et d’un travail de création interprétative, concourent à favoriser une production qu’il est convenu d’appeler projective (Lawrence K. Frank, 1939). Le concept de projection En psychologie : « Le sujet perçoit le milieu ambiant et y répond en fonction de ses propres intérêts, aptitudes, habitudes, états affectifs durables ou momentanés, attentes, désirs, etc. (…) C’est ce fait qui est au principe des techniques dites projectives. » (Laplanche & Pontalis) En psychanalyse : « (La projection est) l’opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l’autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, voire des "objets", qu’il méconnaît ou refuse en lui. » (ibid.) Une situation anxiogène – 1/2 La situation de test projectif est anxiogène. Elle contribue à la production de réponses qui vont plus ou moins être teintées d’angoisse. Outre qu’il s’agit bien d’une situation de test psychologique, la situation projective est une situation surprenante et étrange : surprenante : parce qu’inhabituelle, inédite, venant faire rupture dans une situation d’interlocution ordinaire (entretien, discussion), ou par rapport à une situation de test psychologique à objectif clair étrange : parce que le sujet en situation d’épreuve projective perçoit plus ou moins que ses réponses, pour fantaisistes qu’elles puissent paraître, "parlent" indirectement de lui et sans qu’il sache au juste ce qu’il expose ainsi de lui. Une situation anxiogène – 2/2 La situation de test projectif est anxiogène par son caractère paradoxal : si le sujet est invité à produire des réponses libres à partir d’un stimulus très "ouvert", les consignes indiquent cependant une modalité attendue de réponse. On peut ainsi considérer que la réponse du sujet est la résultante de ce travail contradictoire, éminemment conflictuel, d’avoir à être libre dans le cadre d’une contrainte (stimulus, forme attendue d’expression). René Magritte 2. Le travail interprétatif du psychologue – 1/2 2. Le travail interprétatif du psychologue – 1/2 Dans l’observation d’une situation projective et dans le traitement des données ainsi recueillies, le psychologue part de ce que le sujet a répondu (le "quoi", le contenu explicite de ses réponses, qu’elles soient verbales ou non verbales), pour en dégager une compréhension du "comment" de ces réponses, c’est-à-dire de quels processus implicites ses réponses sont l’effet. Psychologue : "Tiens, le sujet dit des choses parfois en bleu, parfois en vert… " 2. Le travail interprétatif du psychologue – 2/2 Il s’ensuit que le travail d’interprétation des réponses du sujet par le psychologue consistera : d’une part, à étudier et à dégager les caractéristiques formelles et la dynamique de ces réponses, afin d’en dégager un système ou une structure subjective de signification (= comment le sujet crée du sens, un sens qui lui est propre, du "sens-pour-le-sujet") ; d’autre part, à intégrer dans cette analyse, une prise en compte des signes d’angoisse suscitée par la situation projective chez le sujet, et une identification des moyens par lesquels celui-ci va tenter de se protéger contre cette angoisse. Qu’est-ce qu’une analyse structurale ? L’exemple du TAT « ... avant tout les images [dans le TAT] sont considérées, psychologiquement, comme une série de situations sociales et de rapports interpersonnels. Au lieu de réagir à des personnes réelles dans des situations réelles, le client ou le malade réagit à des personnes représentées par les images, qu’il considère comme des situations sociales déterminées. [...] De cette façon, nous prenons connaissance des structures actuelles de son comportement social, et nous pouvons en déduire la genèse de ces structures. Interprétation signifie découverte d’un dénominateur commun aux structures de comportement actuel d’une personne, et à la genèse de ces structures. Interprétation du TAT signifie donc découverte de dénominateurs et de structures communs aux récits obtenus. » (L. Bellak) Une analyse structurale « Appliquée aux phénomènes psychologiques, structure (…) ne concerne que des significations. Une structure de signification, c’est ce par rapport à quoi un élément du monde prend un sens pour un sujet. Plus exactement on désigne par là une réalité opérante qui n’a rien d’objectif et rien de conscient (elle n’est pas directement observable et n’est pas un contenu de conscience), dont l’action rend significatives pour un sujet les données du Monde. « La structure de signification suppose et implique une relation essentielle et existentielle entre le sujet et son Univers, et elle est une forme constante dynamique de cette relation. Des contenus variés se succèdent, qui d’un point de vue extérieur et descriptif paraissent différents, mais qui sont porteurs de la même structure de sens ; inversement, tel comportement ou telle expression peuvent paraître identiques d’un sujet à un autre, mais ils n’ont plus le même sens si on les rapporte aux structures respectives du vécu de chacun. […] « La structure est seule capable de donner un sens à ce qu’elle structure. La structure est, de ce point de vue, une Forme vide mais dynamique et définie, qui “donne une forme” et par là une signification à ce qui vient la “remplir”. » - (R. Mucchielli) Une analyse des aspects défensifs des réponses du sujet Le caractère relativement anxiogène de la situation projective, voire du stimulus lui-même, et la résonance du sujet à cette caractéristique situationnelle, vont apporter des indicateurs cliniques utiles pour le travail d’interprétation du psychologue. Pour interpréter les réponses aux tests projectifs et par référence à la psychanalyse, il est convenu de qualifier ces réactions du sujet comme étant défensives, et par conséquent rapportables aux "mécanismes de défense" repérés et définis par la métapsychologie freudienne (= théorie psychanalytique du psychisme). La notion de défense en psychologie projective – Trois précautions 1. Ne pas confondre résistance à la situation de test et aménagement défensif des réponses. 2. Les réactions défensives ne sont pas toujours pathologiques ; elles font partie de la vie psychique ordinaire distinguer : défenses "adaptatives" / défenses "désadaptantes". 3. La manifestation de tel ou tel aménagement défensif dans une réponse du sujet n’est pas d’emblée interprétable comme l’effet d’un mécanisme de défense donné, au sens d’un processus intrapsychique caractéristique de la personnalité ou du fonctionnement psychique du sujet. Structure signifiante et défense en psychologie projective En résumé : Du point de vue du travail interprétatif du psychologue, la méthode projective vise principalement à dégager la (ou les) structure(s) de signification organisatrice(s) du monde subjectif de la personne testée, à partir d’une analyse formelle (structurale) du contenu explicite de ses réponses. Par ailleurs, dans la mesure où la situation de test projectif est une expérience de surprise et d’étrangeté, elle permet d’observer et d’étudier les réactions du sujet à ces facteurs anxiogènes et comment il s’en protège, selon ses moyens propres, également révélateurs de sa personnalité. FIN de la Deuxième Partie