Licence 2 : Psychologie clinique et projective – cours C. Bouchard
Le mot « singulariser » est ici à entendre dans son sens étymologique : c’est
distinguer une chose parmi d’autres, la considérer comme unique (unicité), la spécifier.
À l’instar de la méthode clinique en médecine qui consiste à caractériser une
maladie en fonction du malade et de ses particularités, la méthode clinique en psychologie
s’attache d’abord à caractériser une situation (individuelle ou collective) dans ce qui la
rend singulière. D’où le fait que la psychologie se réclamant d’un mode de connaissance de
type clinique privilégie généralement une approche des phénomènes qu’elle étudie, par
l’étude de cas.
Notons bien que cet intérêt pour des « cas », c’est-à-dire pour des situations
singulières, est lié au principe épistémologique d’une approche de l’objet considéré
comme unique, spécifique et à une volonté de dégager cette spécificité – et non au fait
d’une option éventuellement médicale ou psychopathologique. Ce n’est pas parce que les
notions de « cas » et d’ « étude de cas » proviennent du champ médical (voir infra, chap. II),
qu’elles impliquent, en psychologie, un souci automatiquement médico-psychologique ou
psychopathologique. Concernant l’intérêt méthodologique pour des « cas », il traduit en
fait, et principalement, l’option d’une connaissance psychologique privilégiant le singulier
par rapport au général.
Classiquement, on oppose d’ailleurs « psychologie clinique » et « psychologie
générale (ou expérimentale) » en caractérisant la seconde par une recherche de lois
psychologiques d’ensemble et la première par une recherche « individualisante ». Cette
opposition, cependant, ne paraît pas complètement justifiée :
d’une part, elle réduit l’approche clinique à un intérêt pour des individus, alors
qu’elle peut aussi se porter sur des entités groupales ou collectives (couple, famille, équipe
éducative ou soignante, groupe de parole, dispositif institutionnel...) : singulariser n’est pas
individualiser ;
d’autre part, cette opposition semble dénier à l’approche clinique de pouvoir
établir des lois psychologiques générales, alors que l’on peut considérer qu’une étude
clinique peut constituer un moment d’élaboration d’hypothèses et de principes généraux,
sous réserve d’une validation par extension systématisée à d’autres cas.
Rappelons, enfin, l’importance classiquement accordée à l’observation dans la
démarche clinique en psychologie. Ceci pourrait laisser croire que le clinicien psychologue
est un « descripteur » passif d’une réalité supposée déjà là. Or, il n’en est rien.
La connaissance clinique, comme toute connaissance, se construit. Elle est active,
à la recherche constante de faits pouvant mettre à l’épreuve ses élaborations successives
et progressives (cf. la comparaison du travail du psychologue clinicien au travail d’enquête
et de qualification des faits par le juge d’instruction chez Lagache en 1942). Le clinicien
ne cesse de chercher à valider ou invalider son savoir. Ses interventions en sont la
formulation en même temps que la mise à l’épreuve. Une question, une relance ou un
silence dans un entretien ; le choix de retenir tel ou tel critère comportemental dans une
observation ; le choix de tel ou tel test dans un examen psychologique, ou de telle ou telle
consigne dans un test ; le fait de formuler une hypothèse donnée en prévision d’une séance
de psychothérapie où cette hypothèse donnera lieu à une prescription particulière ou à
une interprétation... sont quelques-unes des façons de réaliser le principe d’une clinique
qui s’opère toujours activement.
Car le clinicien procède par une série de questions, qu’il se pose d’abord à lui-
même et qu’il opérationnalise par ces divers moyens, non dans l’espoir d’atteindre une
vérité psychologique totale, absolue – mais dans l’objectif d’établir progressivement une
compréhension psychologique globale et optimale du « cas », au service d’un objectif qui
peut être soit pratique (de diagnostic, d’aide ou de changement), soit de recherche.