1. Introduction
En France, chaque anne
´e, on diagnostique un cancer du sein
chez 42 000 femmes environ. Certaines d’entre elles subissent
une ablation totale du sein contenant la tumeur (mastectomie).
La reconstruction mammaire fait alors partie inte
´grante du
traitement du cancer du sein. Elle peut avoir lieu en me
ˆme
temps que la mastectomie (reconstruction mammaire imme
´-
diate), mais e
´galement plusieurs mois ou anne
´es apre
`s; on
parle alors de reconstruction mammaire diffe
´re
´e.
Les recherches consacre
´es au cancer du sein et a
`ses
conse
´quences psychologiques sont nombreuses. Ne
´anmoins,
les e
´tudes s’inte
´ressant a
`la reconstruction mammaire sont
encore parcellaires et tre
`s largement anglo-saxonnes. D’une
manie
`re ge
´ne
´rale, ces travaux se sont principalement centre
´s
sur la comparaison des reconstructions mammaires imme
´diates
avec les reconstructions mammaires diffe
´re
´es, et les mastecto-
mies sans reconstruction. Ces recherches ont essentiellement
explore
´:
les raisons qui motivent les femmes pour entreprendre une
reconstruction mammaire [11,18,26,32] ;
la satisfaction des femmes par rapport a
`la reconstruction
mammaire [2,15,19] ;
l’impact de la reconstruction mammaire sur l’image du corps
[1,3,12,19,23,30,31] ;
l’impact de la reconstruction mammaire sur la qualite
´de vie
[12,16,17,19] ;
l’impact de la reconstruction mammaire sur la sexualite
´des
sujets [11,24].
La reconstruction mammaire est une chirurgie re
´paratrice
dont l’enjeu est important, car elle vise a
`restituer une inte
´grite
´
et une fe
´minite
´a
`un corps blesse
´par la maladie et par l’exe
´re
`se
du sein. En effet, selon Lehmann, cette mutilation est difficile a
`
accepter pour une femme, et ce a
`trois niveaux [22] :
l’image du corps est modifie
´e. Certaines femmes refuseront,
pendant de nombreux mois, de se regarder dans le miroir ou
de toucher la cicatrice conse
´cutive a
`la mastectomie ; d’autres
se de
´shabilleront dans le noir, de peur de heurter leur propre
regard et/ou celui de leurs proches ;
l’identite
´de ces femmes est affecte
´e. Apre
`s la mutilation, le
regard de l’autre peut e
ˆtre ve
´cu comme indiscret, intrusif ;
la vie sexuelle et affective est e
´galement touche
´e. Des
difficulte
´s au niveau conjugal et familial peuvent apparaı
ˆtre.
Certaines femmes vont, par exemple, repousser tout geste de
tendresse. Cependant, dans certains couples, la confrontation
a
`la maladie rapproche les partenaires et leur donne le
sentiment d’e
ˆtre plus forts.
Ainsi, la mastectomie a non seulement des re
´percussions sur
les patientes, mais e
´galement sur l’entourage et notamment sur
le partenaire. Or, il est e
´tonnant de constater que les recherches
dans ce domaine ont, a
`ce jour, peu explore
´l’influence du
partenaire, ou, plus ge
´ne
´ralement, du couple sur l’ajustement de
la patiente a
`la maladie et aux traitements.
Le coping est un concept qui a e
´te
´de
´veloppe
´par Lazarus et
Folkman [21]. Il correspond aux diverses strate
´gies mises en
œuvre par le sujet pour faire face a
`un e
´ve
´nement stressant. Le
coping a essentiellement e
´te
´e
´tudie
´dans une perspective
individuelle, et peu de recherches se sont inte
´resse
´es aux
strate
´gies mises en place par le couple lorsqu’un des deux
partenaires est confronte
´a
`une situation aversive. Dans les
anne
´es 1990, Bodenmann propose un mode
`le syste
´mique et
transactionnel pour mieux comprendre le phe
´nome
`ne de stress
dans le mariage [4,5,27]. En effet, le stress et sa gestion seraient
un phe
´nome
`ne interactif entre les deux partenaires, les signes
de stress de l’un de
´clenchant des re
´actions de gestion chez
l’autre (gestion dyadique du stress). Selon Bodenmann, le
coping dyadique correspond a
`« l’ensemble des efforts d’un ou
des deux partenaires destine
´sa
`ge
´rer les e
´ve
´nements stressants,
ainsi que les tensions e
´prouve
´es par l’un (stress individuel) ou
par les deux partenaires (stress dyadique). Il comprend les
strate
´gies de gestion destine
´es au maintien ou a
`la restauration
de l’e
´quilibre structurel, fonctionnel, comportemental, e
´mo-
tionnel et social du syste
`me dyadique ainsi que l’e
´quilibre de
chaque partenaire »
1
. Trois phases importantes constitueraient
le processus de gestion dyadique du stress :
la communication autour du stress, c’est-a
`-dire le fait de
parler de son stress a
`son partenaire, de lui demander un
soutien pratique ou e
´motionnel ;
le coping dyadique, c’est-a
`-dire la re
´action des partenaires
suite a
`cette communication ;
le feed-back, c’est-a
`-dire l’efficacite
´perc¸ue et la satisfaction
associe
´es a
`la gestion du stress a
`l’inte
´rieur du couple.
Selon Bodenmann
2
,lecoping dyadique peut se pre
´senter
sous plusieurs formes (positives ou ne
´gatives) :
la gestion commune qui correspond aux efforts des deux
partenaires pour faire face a
`un proble
`me. Ces strate
´gies
peuvent e
ˆtre centre
´es sur le proble
`me (essayer de ge
´rer
ensemble le proble
`me et trouver des solutions concre
`tes) ou
sur les e
´motions (discuter de ses sentiments et les exprimer
afin de se calmer) ;
le soutien dyadique positif qui correspond a
`toutes les formes
de soutien qu’un des partenaires va apporter a
`l’autre pour
faire face a
`une situation stressante. Comme pour la gestion
commune, il existerait des strate
´gies centre
´es sur le proble
`me
(aider son partenaire a
`voir la situation sous un autre angle, a
`
relativiser le proble
`me) et sur les e
´motions (donner le
sentiment a
`son partenaire de le comprendre et de s’inte
´resser
a
`son stress) ;
le soutien dyadique ne
´gatif qui inclut des aspects ne
´gatifs du
coping dyadique avec des caracte
´ristiques hostiles (faire
comprendre a
`son partenaire que l’on ne veut absolument pas
e
ˆtre concerne
´[e] par ses proble
`mes), ambivalentes et super-
ficielles (soutenir son partenaire, mais le faire sans motivation).
1
Bodenmann [5], p. 141.
2
Pour plus de pre
´cisions sur ces diffe
´rentes formes de gestion dyadique du
stress, se re
´fe
´rer aux publications de Bodenmann [4,5,27].
A. Untas et al. / Annales Me
´dico-Psychologiques 167 (2009) 134–141 135