La polyarthrite rhumatoïde : apport de la biologie au

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Immuno-analyse et biologie spécialisée (2013) 28, 281—286
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
REVUES GÉNÉRALES ET ANALYSES PROSPECTIVES
La polyarthrite rhumatoïde : apport de la biologie au
diagnostic et au suivi thérapeutique
Diagnostic and predictive value of laboratory testing in rheumatoid
arthritis
L. Musset ∗, P. Ghillani-Dalbin
Laboratoire d’immunochimie et auto-immunité, département d’immunologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière/C. Foix,
AP—HP, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France
Reçu le 27 mai 2013 ; accepté le 30 mai 2013
KEYWORDS
Rheumatoid arthritis;
Rheumatoid factor;
ACPA;
Anti-citrullinated
protein antibody;
Antinuclear
antibodies
MOTS CLÉS
Polyarthrite
rhumatoïde ;
Facteur rhumatoïde ;
ACPA ;
Anticorps
anti-protéines et
peptides citrullinés ;
Anticorps
anti-nucléaires
Summary Rheumatoid arthritis, among the most frequent autoimmune disease, is characterized by a chronic joint inflammation possibly leading to severe damage. Progression of the
disease may be very quick, which demands an early diagnostic and administration of active
drugs. The authors present the laboratory tests useful for the diagnosis and the therapeutic
follow-up of rheumatoid arthritis
© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Résumé La polyarthrite rhumatoïde (PR) est la maladie auto-immune la plus fréquente et
se caractérise par une inflammation chronique des articulations pouvant conduire à leur destruction. Les formes sévères se manifestent par une évolution rapide, d’où la nécessité d’un
diagnostic précoce et la mise en route le plus tôt possible d’un traitement adapté dans le but
d’éviter des complications parfois irréversibles et le handicap. Cet article rapporte les examens
de biologie médicale utiles pour le diagnostic, le suivi et la prise en charge thérapeutique de
la polyarthrite rhumatoïde.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Polyarthrite rhumatoïde
∗
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (L. Musset).
La polyarthrite rhumatoïde (PR) est la maladie autoimmune la plus fréquente et se caractérise par une
inflammation chronique des articulations pouvant conduire
0923-2532/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.immbio.2013.05.001
282
à leur destruction. L’inflammation de la synoviale entraîne
progressivement une déformation articulaire, puis une
destruction de l’os et du cartilage. La PR est également une maladie systémique pouvant s’accompagner de
manifestations extra-articulaires (cardiaques, pulmonaires,
vasculaires, nerveuses, oculaires. . .) ayant parfois des répercutions sur le pronostic vital. Elle est présente dans tous
les pays et toutes les ethnies et touche environ 0,5 % de la
population. Sa cause est inconnue, mais il existe un lien avec
une prédisposition génétique (HLA DRB1, sexe féminin), et
des facteurs environnementaux (toxiques comme le tabac
et/ou infectieux). Les formes cliniques de la PR sont multiples. Il existe des formes bénignes et des formes sévères.
L’évolution habituelle se fait par poussées inflammatoires
plus ou moins intenses, pouvant conduire à une aggravation
des lésions, avec atteinte d’autres articulations jusque-là
indemnes. Les formes sévères se manifestent par une évolution rapide, d’où la nécessité d’un diagnostic précoce et
la mise en route le plus tôt possible d’un traitement adapté
dans le but d’éviter des complications parfois irréversibles
et le handicap. Pour traiter tôt, il faut diagnostiquer tôt.
Les progrès réalisés en imagerie (échographie et IRM), en
biologie médicale (auto-anticorps anti-peptides et protéines
citrullinés), et en thérapeutique (biothérapies) ont considérablement changé l’approche diagnostique et la prise en
charge des patients et finalement le pronostic de la maladie.
Dans sa pratique quotidienne, le rhumatologue est confronté
à une grande diversité de pathologies, allant du myélome
aux pathologies ostéoarticulaires d’étiologies très diverses,
et aux maladies auto-immunes. Cet article rapporte les examens de biologie médicale utiles pour le diagnostic, le suivi
et la prise en charge thérapeutique de la PR.
Critères de classification de la polyarthrite
rhumatoïde
Des critères de classification avaient été définis en 1987 par
l’American College of Rheumatology (ACR). Ils reposaient
essentiellement sur des arguments cliniques et radiologiques
comme :
• raideur matinale articulaire et périarticulaire, durant au
moins une heure ;
• arthrite touchant trois groupes articulaires ou plus avec
gonflement articulaire (genoux, coudes, poignets, metacarpophalangiennes [MCP]. . .) ;
• arthrite touchant les articulations de la main : MCP, poignets, interphalangiennes proximales ;
• arthrites symétriques : atteinte simultanée des mêmes
groupes articulaires bilatéralement ;
• présence de nodules rhumatoïdes ;
• nodules sous-cutanés en regard des proéminences
osseuses, des surfaces d’extension, ou des régions périarticulaires ;
• modifications radiologiques avec érosions, décalcifications osseuses des mains et des poignets.
Pour la biologie, seul le facteur rhumatoïde (FR) faisait
partie de ces critères avec la dénomination suivante : « mise
en évidence d’une quantité anormale de FR dans le sérum,
par une technique dont le résultat est positif chez moins
L. Musset, P. Ghillani-Dalbin
Tableau 1 Fréquence des facteurs rhumatoïdes décelables
par des techniques d’agglutination.
Situation
Fréquence
de
détection
Sujet normal (< 65 ans)
Sujet normal âgé (> 65 ans)
Pathologies avec manifestations articulaires
Polyarthrite rhumatoïde
Syndrome de Sjögren primitif
Lupus érythémateux systémique
Sclérodermie systémique
Hépatite chronique auto-immune
Connectivite mixte
Sarcoïdose
Endocardite bactérienne subaiguë
Pathologies sans manifestations articulaires
Infections bactériennes
Infections virale (EBV surtout)
Infections parasitaires (leishmaniose. . .)
Cirrhose biliaire primitive
<5%
5—10 %
60—80 %
70—90 %
25—40 %
20—30 %
10—45 %
40—50 %
10—25 %
20—45 %
10—20 %
20—60 %
50—80 %
50—60 %
D’après Cahier de formation, Bioforma (1999) [2].
de 5 % des sujets normaux ». Ces critères de classification
devaient évoluer. En effet, les anomalies radiologiques sont
parfois retardées de plusieurs mois par rapport aux données
cliniques. Quant aux FR dénommes ainsi car ils semblaient
caractéristiques de la PR, ils peuvent être décelés dans
de nombreuses autres maladies, et manquent à la fois de
sensibilité et de spécificité (Tableau 1). Depuis 2010, de
nouveaux critères de classification ont été proposés par
l’ACR et l’European League Against Rhumatism (EULAR)
[1]. Ils introduisent deux critères de biologie distincts :
des examens sérologiques (dosages des FR et dosage des
anticorps anti-protéines citrullinées), et des marqueurs
sériques d’inflammation aiguë (C-réactive protéine [CRP]
et vitesse de sédimentation [VS]) (Tableau 2).
De plus, le DAS28 « Disease Activity Score » devient un
critère de mesure d’activité de la PR qui tient compte de
l’évaluation de la douleur et du nombre de synovites sur
28 sites articulaires proposés par l’EULAR, de la valeur de la
VS et de l’appréciation globale du patient sur une échelle
visuelle analogique de 100 mm. Il sera utilisé pour suivre
l’évolution de la PR sous traitement.
Examens de biologie utiles au diagnostic de la
polyarthrite rhumatoïde
Depuis 2010, comme l’imagerie (échographie et IRM), la biologie a pris une part grandissante dans le diagnostic de la PR.
Ces examens de biologie comprennent, d’une part, des tests
de biologie générale et, d’autre part, des tests de biologie
spécialisée utiles au diagnostic positif de la maladie mais
également au diagnostic différentiel avec d’autres maladies
auto-immunes, notamment le lupus érythémateux systémique, ou d’autres maladies infectieuse (arthrites virales,
bactériennes. . .).
La polyarthrite rhumatoïde
283
Tableau 2 Polyarthrite rhumatoïde : critères de classification de l’ACR/EULAR 2010 [1]. Algorithme basé sur un
score obtenu en additionnant les critères de A à D. Un score
total supérieur ou égal à 6/10 est nécessaire pour classer un
patient comme ayant une PR définie.
Critères
Population cible : patients ayant au moins
une articulation avec synovite non
expliquée par une autre maladie
A. Atteinte articulaire
1 grosse articulation
2 − 10 grosses articulations
1 − 3 petites articulations
4 − 10 petites articulations
Plus de 10 articulations (avec au moins une
petite articulation)
B. Sérologie (au moins une mesure est
requise pour la classification)
FR et APPC négatifs
FR ou anti-ACPA faiblement positifs (< 3 N)
FR ou anti-ACPA fortement positifs (> 3 N)
C. Marqueur d’inflammation aiguë (au moins
une mesure est requise pour la
classification)
CRP et VS normales
CRP ou VS anormale
D. Durée des symptômes
< 6 semaines
≥ 6 semaines
Scores
0
1
2
3
5
0
2
3
0
1
0
1
ACR : American College of Rheumatology ; ACPA : anticitrullinated protein antibody ; APPC : anti-peptides ou protéines citrullinés ; CRP : C-réactive protéine ; EULAR : European
League Against Rhumatism ; FR : facteur rhumatoïde ; VS :
vitesse de sédimentation ; PR : polyarthrite rhumatoïde.
Examens de biologie générale
S’agissant d’une maladie inflammatoire chronique, un
bilan sanguin simple à la recherche de marqueurs de
l’inflammation est nécessaire. Ce sont au minimum un
hémogramme (à la recherche d’une anémie souvent discrète), la VS à la première heure, et un dosage de CRP
sérique. Éventuellement, lorsque l’électrophorèse des protéines sériques a été réalisée, on note une augmentation des
alpha2-globulines en lien avec l’augmentation des protéines
de l’inflammation.
Examens de biologie spécialisée
Aux facteurs rhumatoïdes se sont ajoutés les anticorps
anti-protéines et peptides citrullinés ainsi que d’autres anticorps.
Facteurs rhumatoïdes et techniques de détection
Les facteurs rhumatoïdes (FR) sont des auto-anticorps,
principalement d’isotype IgM (parfois d’isotype IgG ou
IgA), dirigés contre le fragment Fc (la partie constante)
d’IgG humaines et/ou animales. Leur détection est historiquement réalisée par deux techniques : agglutination
de particules de latex recouvertes d’IgG humaines (appelée test au latex) et hémagglutination passive utilisant des
IgG de lapin fixées à la surface de globules rouges de
mouton (appelée test de Waaler-Rose). Selon les critères
de l’ACR/EULAR de 2010, la recherche de FR doit être
quantitative de sorte que les tests semi-quantitatifs (agglutination sur lame ou immunodot) ne sont plus adaptés et
sont à proscrire. Les techniques aujourd’hui préconisées
sont des techniques néphélémétriques, turbidimétriques, ou
immunoenzymatiques (de type Elisa), voire des techniques
multiplex. Ainsi, pour la prescription, les termes de « latex »
et de « Waaler-Rose » sont devenus obsolètes et doivent être
remplacés par le terme générique : « recherche de facteurs
rhumatoïdes ». Les résultats sont exprimés en UI/mL à partir d’un étalonnage basé sur le standard de l’OMS. Le seuil
de positivité varie en fonction de la technique utilisée. La
présence de FR à des taux élevés (supérieur à trois fois la
valeur seuil de positivité du test utilisé) a une plus grande
valeur diagnostique pour la PR. Les FR d’isotype IgG ou IgA
sont exceptionnellement prescrits, ils sont réalisables par
technique Elisa ou multiplex.
L’interprétation des résultats de la recherche de FR doit
être replacée dans le contexte clinique ayant justifié sa
recherche. En effet, ces IgM à activité anti-IgG ont été appelées FR car elles semblaient autrefois caractéristiques de la
PR. Cette notion est fausse. Les FR peuvent être décelés
dans de nombreuses autres maladies avec une fréquence
variable selon la technique utilisée et les cohortes étudiées
(Tableau 1) [2]. La sensibilité du test varie également en
fonction du stade de la maladie, et cette sensibilité est
faible au stade précoce. Cependant, même si les FR ne
sont pas spécifiques de la PR, leur recherche et quantification restent utiles pour la prise en charge d’un rhumatisme
inflammatoire [1,3].
Auto-anticorps anti-peptides ou protéines citrullinés
Ces auto-anticorps ont reçu successivement plusieurs appellations : anti-périnucléaires (1964), anti-kératine (1979),
anti-stratum corneum, anti-filaggrine (1993), anti-peptides
cycliques citrullinés (anti-CCP), ou anti-peptides ou protéines citrullinés (APPC) (2000) [4,5]. Ces anticorps ont
comme cible commune des épitopes citrullinés générés
par la modification post-traductionnelle de différentes
protéines, fréquente au cours de l’inflammation. Cette
modification est nommée déimination ou citrullination et
se fait grâce à une enzyme, la peptidylarginine déiminase,
au sein de la membrane synoviale [6].
Techniques de détection. Tous ces anticorps reconnaissent
des épitopes peptidiques centrés sur un résidu citrullyl d’où
l’idée de produire un peptide de synthèse (dérivé de la filaggrine humaine) qui soit citrulliné et cyclisé. Ce concept a
été breveté et commercialisé pour la fabrication des tests
de détection des anticorps appelés anti-CCP. Cette production industrielle aurait pu permettre une standardisation
des techniques de détection de ces anticorps. Il n’en est
rien. En effet, la (pro)-filaggrine et ses variants sont absents
du tissu synovial rhumatoïde et un nombre important de
PR sont dites « séronégatives » vis-à-vis de ces anticorps
avec ces tests dits de première génération. Ces observations ont conduit scientifiques et industriels à rechercher la
présence d’anticorps contre d’autres protéines citrullinées
284
présentes dans le tissu synovial rhumatoïde. Les dépôts de
fibrine, porteurs d’épitopes citrullinés sont une des caractéristiques du tissu synovial rhumatoïde et sont la cible des
anticorps produits localement par les plasmocytes infiltrant
ce tissu et participant au maintien de l’inflammation [6].
La vimentine citrullinée est également présente dans la
synoviale des patients atteints de PR. C’est un constituant
des filaments intermédiaires du cytosquelette, exprimé dans
de nombreuses cellules dont les chondrocytes. D’autres
sources antigéniques ont été développées pour détecter
les anticorps anti-protéines citrullinées : filaggrine de rat
recombinante citrullinée, fibrinogène citrulliné, vimentine
citrullinée mutated citrullinated vimentin et collagène
humain de type 1 citrulliné [7,8]. Les tests commercialisés
aujourd’hui permettent de rechercher des anticorps antiprotéines et/ou peptides citrullinés. La composition exacte
des réactifs n’est pas connue, mais le terme d’anti-CCP est
trop restrictif et devrait être remplacé par anti-protéines
citrullinées ou ACPA pour anti-citrullinated protein antibody
tel que recommandé par l’ACR en 2010 [1].
Les ACPA sont recherchés par des techniques immunoenzymatiques de type Elisa qui permettent leur quantification.
En l’absence de standardisation, les unités sont des unités arbitraires qui varient selon le réactif utilisé, mais
ces chiffres permettent de différencier les patients avec
un taux faible et ceux avec un taux élevé (supérieur à
trois fois la valeur seuil de positivité du test utilisé).
Les tests d’immunofluorescence indirecte sur cellules de
muqueuse buccale (anticorps anti-périnucléaires) ou coupes
d’œsophage de rat (anticorps anti-stratum corneum ou filaggrine) ne sont pratiquement plus utilisés car ils sont peu
reproductibles et semi-quantitatifs.
Autres auto-anticorps décrits dans la polyarthrite
rhumatoïde
D’autres auto-anticorps associés à la PR ont été décrits :
auto-anticorps anti-alpha-énolase [9], anti-calpastatine
[10], anti-glucose-6-phosphate isomérase (GPI), anti-RA
33, anti-major microtubule organizing center (MTOC),
anti-peptidyl arginine déiminase (PAD). Cependant, leurs
performances diagnostiques (sensibilité, spécificité) sont
moins bonnes que celles des ACPA, et ils ne sont pas
recherchés en pratique courante. Récemment, l’analyse
protéomique de liquides synoviaux de patients atteints de
PR a défini un inventaire de protéines citrullinées dans
l’articulation, dénommé « citrullinome » [11]. Parmi ces
protéines, l’apolipoproteine E, le myeloid nuclear differentiation antigen (MNDA) et la ␤-actine sont montrés comme
des cibles du système immunitaire dans la PR. Pour chaque
protéine, il existe des épitopes citrullinés immunodominants
et des tests multiplex utilisant des peptides immunodominants issus de ces trois protéines seraient plus prédictifs de
PR que l’utilisation des peptides individuellement.
D’autres auto-anticorps, distincts des ACPA et dirigés contre des protéines modifiées par carbamylation
(modification post-traductionnelle de résidus lysine en
homocitrulline) ont été rapportés [12]. Ces anticorps antiprotéines carbamylées (anti-CarP) ont été mis en évidence
chez 45 % des patients avec PR. Dans cette étude, parmi les
patients avec PR mais sans ACPA, 30 % avaient des anticorps
anti-CarP d’isotype IgA et 16 % d’isotype IgG (35 % avaient
L. Musset, P. Ghillani-Dalbin
Tableau 3 Sensibilité et spécificité des anticorps anti-CCP,
en fonction du stade de la maladie ([1,15]7).
Sensibilité Spécificité
(%)
(%)
Phase initiale « pré-polyarthrite 34
rhumatoïde »
Phase d’état — de 6 mois
58
Phase d’état + de 12 mois
88
98
94
93
Anti-CCP : anti-peptides cycliques citrullinés.
l’un ou l’autre isotype). Ainsi, la recherche de ces anticorps
pourrait avoir un intérêt chez les patients séronégatifs (sans
anticorps anti-protéines citrullinées) mais cette notion doit
être renforcée par des études complémentaires.
Autres anticorps utiles au diagnostic différentiel
Les anticorps anti-nucléaires (AAN), sont des auto-anticorps
dirigés contre des déterminants antigéniques du noyau mais
aussi du cytoplasme des cellules de l’organisme. Ces anticorps sont successivement recherchés par une technique de
dépistage (par immunofluorescence indirecte sur cellules
humaines de type HEp-2), puis identifiés à l’aide de tests
spécifiques. Le dépistage renseigne sur le titre des anticorps
et leur aspect de fluorescence. En cas de positivité (> 1/80e ),
et quel que soit l’aspect, l’identification est réalisée par
des tests spécifiques (Elisa, multiplex, immunodots. . .),
toutes ces techniques ayant pour but d’identifier la ou les
cibles antigéniques reconnues par ces AAN. Ces anticorps
peuvent être quantifiés, selon la technique utilisée, mais
en l’absence de standardisation, les résultats sont exprimés en unités arbitraires (UA). Les AAN sont principalement
recherchés au cours de maladies auto-immunes non spécifiques d’organes. Ils sont positifs dans 40 à 50 % des cas de
PR. Il n’existe pas des AAN spécifiques de la PR et la présence des AAN ne constitue pas un critère diagnostique de
PR. Néanmoins, leur mise en évidence chez un patient porteur d’une polyarthrite encore inclassée peut orienter vers
un diagnostic de maladie auto-immune, donc de PR. Dans ce
cas, la recherche d’anticorps anti-ADN natif est en général
négative.
Valeur diagnostique des anti-protéines
citrullinées et interprétation des résultats
La valeur diagnostique des ACPA varie en fonction de leur
taux, du stade et/ou de la durée d’évolution de la maladie, des populations témoins étudiées, du seuil de positivité
choisi et des méthodes de détection utilisées (Tableau 3)
[8,13—16]. Néanmoins, la caractéristique commune de ces
tests est leur grande spécificité diagnostique, allant de 93 à
98 %. En dehors de la PR, ils peuvent être détectés chez des
patients atteints de lupus (13 %), de syndrome de GougerotSjögren (3—8 %), de sclérodermie systémique (10—15 %),
d’hépatite auto-immune de type I (9 %) ou d’hépatites chroniques (25 %) [14,17]. De nombreux travaux ont montré que
leur présence chez des patients atteints d’un rhumatisme
inflammatoire débutant, encore non classé, est un marqueur
prédictif du développement d’une PR surtout lorsque le titre
est élevé. C’est dans ce contexte clinique qu’ils doivent être
La polyarthrite rhumatoïde
prescrits. Il a été montré que ces anticorps apparaissent très
précocement, voire même précèdent de plusieurs années le
début de la maladie [6—8,13].
Les ACPA apparaissent plus précocement que les FR lors
d’une PR [16,17]. Deux tiers des sérums de PR sans FR
contiennent des ACPA. La valeur prédictive positive des
deux anticorps associés est estimée en moyenne entre 91 et
100 %. La présence simultanée de FR et d’ACPA est particulièrement prédictive d’une progression rapide de la PR
et de l’apparition d’érosions. Aussi, il est recommandé de
rechercher en parallèle les FR et les ACPA, selon les recommandations internationales [1,3]. En effet, ces deux familles
d’anticorps ne sont pas recouvrantes. Ils sont une aide pour
le clinicien et orientent la prise en charge thérapeutique.
En pédiatrie, les ACPA sont également utiles car ils sont
présents dans les formes polyarticulaires d’arthrite juvénile
idiopathique souvent associées aux FR.
Quant à leur valeur pronostique, les ACPA sont associés
le plus souvent aux formes sévères et actives de la PR. Leur
présence chez des patients ayant une PR récemment découverte est un marqueur prédictif du développement d’une PR
érosive. Ils sont corrélés à certains paramètres de sévérité
(force de prise, raideur matinale des articulations, index
fonctionnel, érosions articulaires, déformations des mains,
présence de nodules sous-cutanés) et aux paramètres de
l’inflammation (VS, CRP).
Examens de biologie utiles lors du suivi
thérapeutique
Le traitement de la PR repose sur deux lignes thérapeutiques : les anti-inflammatoires qui visent à maîtriser les
manifestations inflammatoires articulaires (traitement suspensif) et les traitements de fond dont le but est d’obtenir
une rémission (ou à défaut un contrôle de l’activité de la
maladie), de prévenir les lésions structurales et le handicap fonctionnel, de limiter les conséquences psychosociales
et d’améliorer ou de préserver la qualité de vie du patient
[1,3,18]. Les modalités thérapeutiques diffèrent en fonction du stade évolutif de la maladie (stade initial ou stade
d’état). En première intention, en l’absence de contreindication (néphropathie, hépatopathie, leucopénie, désir
de grossesse, infection. . .), il est recommandé de débuter
le traitement de fond par le méthotrexate. D’autres traitements de fond peuvent être proposés en alternative : le
léflunomide ou la sulfasalazine. L’existence initiale de signes
de sévérité (lésions structurales par exemple) peut faire
envisager en première intention un traitement plus intensif :
soit une biothérapie par anti-TNF␣ de préférence en association avec le méthotrexate, soit l’association de plusieurs
traitements de fond. La prévention des effets indésirables
doit être systématique. Ces traitements exigent tous, au
minimum, une surveillance hématologique par numération
(risque d’agranulocytose, de thrombopénie) et hépatique
par dosage des transaminases (risque de cytolyse). Le traitement de la douleur (par antalgiques ou anti-inflammatoires
non stéroïdiens) doit être instauré et adapté en fonction de
son intensité. Il existe différents algorithmes en fonction de
l’activité et de l’évolutivité de la PR. L’emploi de drogues
ciblées, telles que les anti-TNF-␣, anti-cytokines (IL1 et IL6),
anti-lymphocytes B CD20+ et anti-CTLA4-Ig, bloque ou freine
285
les détériorations structurales radiographiques articulaires
et induit une rémission prolongée dans 30 % des cas. Dans
tous les cas, l’efficacité clinique est jugée sur des critères d’activité cliniques (nombre d’articulations gonflées,
nombre d’articulations douloureuses, durée de la raideur
matinale, niveau global d’activité évalué par le patient,
niveau global d’activité jugé par le médecin) ; des critères
biologiques (VS et CRP) et le calcul du DAS28.
L’évolution du titre des FR et des ACPA ne semble pas être
corrélée à l’évolution clinique. Leur normalisation n’est pas
un objectif thérapeutique. La répétition de leurs dosages
n’est pas actuellement recommandée en dehors de protocoles ou d’essais thérapeutiques.
Enfin, en cas d’utilisation de drogues ciblées (anti-TNF␣, anti-CD20. . .), la présence d’auto-anticorps dirigés contre
ces médicaments pourrait inhiber leur efficacité [19]. Toutefois, les études réalisées à ce jour font état de résultats
non consensuels notamment quant à l’activité inhibitrice de
ces anticorps sur la molécule utilisée. Ces dosages mis au
point et commercialisés ne sont pas de pratique courante, et
des essais cliniques prospectifs sont en cours. À noter qu’au
cours de ces biothérapies ciblées, utilisées dans le traitement de la PR ou non, la production des AAN, anti-ADN natif
ou anti-cardiolipides a été rapportée par plusieurs équipes,
impliquant alors une prise en charge et une surveillance
particulière [20].
D’autres auto-anticorps non spécifiques de la PR sont
parfois observés : anti-Ro/SS-A, anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA), traduisant souvent la présence
de certaines manifestations cliniques ou d’authentiques
syndromes de chevauchement avec une autre affection
auto-immune.
Conclusion
La recherche des ACPA constitue à ce jour le marqueur diagnostique le plus spécifique et le plus précoce de la PR. La
recherche des FR reste néanmoins d’actualité car ces deux
familles d’auto-anticorps apportent des informations non
redondantes en pratique clinique. En effet, il existe de rares
cas de PR avec FR positifs sans ACPA. La présence d’ACPA
chez des patients présentant une arthrite débutante permet
non seulement de contribuer au diagnostic précoce d’une PR
mais aussi de prédire une évolution péjorative et ainsi de
mettre en place plus rapidement des traitements adaptés
susceptibles de contrôler la maladie et d’éviter l’apparition
de lésions articulaires irréversibles.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
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