Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 3 • mai-juin 2011
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Congrès-Réunion
La polyarthrite rhumatoïde : comment l’expliquer ?
Maladie auto-immune ou maladie hyperinflammatoire ?
Rheumatoid arthritis: how to explain it?
Autoimmune or hyperinflammatory disease?
V. Goëb*, d’après une communication de J. Sibilia**
(* Service de rhumatologie, CHU de Rouen ; ** Service de rhumatologie, hôpital de Hautepierre, CHRU de Strasbourg)
L
a PR est encore considérée, par beaucoup d’entre nous,
comme étant exclusivement une maladie auto-immune. En
effet, la présence d’anticorps dirigés contre d’autres anti-
corps (facteurs rhumatoïdes) et celle d’anticorps plus spécifiques
dirigés contre des protéines modifiées qui ne sont plus reconnues
comme des protéines du soi par l’organisme (anticorps dirigés
contre des peptides citrullinés
[AntiCitrullinated Protein/ peptide
Antibodies
–ACPA
]
, notamment) plaident grandement en ce
sens. Les premières descriptions physiopathologiques de la PR
s’intéressaient à son aspect macroscopique, et particulièrement
cytologique, en faisant la part belle aux différentes cellules (syno-
viocytes, macrophages, lymphocytes) retrouvées dans les arti-
culations touchées par la maladie. Les progrès de la science ont
ensuite permis d’affiner cette vision en y intégrant de multiples
paramètres interconnectés et loin d’être indépendants. Les rôles
potentiels du tabac, des facteurs de prédisposition génétique
(allèles HLA portant l’épitope partagé, mutations de PTPN22,etc.),
l’influence du sexe des patients et de différents facteurs angio-
génétiques ont progressivement été incorporés aux mécanismes
physiopathologiques possibles de la PR. Ainsi, il est communément
admis que l’élément clé du déclenchement de la PR serait une
rupture d’équilibre entre messagers intercellulaires (cytokines)
pro-inflammatoires (TNF, IL-1, IL-6) surproduits et cytokines anti-
inflammatoires (IL-4, IL-10) en quantité insuffisante et débordées
par le flux inflammatoire de la maladie. À partir de ce constat
ont été développés avec succès différents traitements ciblant les
principales cytokines inflammatoires (étanercept, infliximab et
adalimumab dirigés contre le TNF ; anakinra et tocilizumab, anta-
gonistes respectifs des récepteurs de l’IL-1 et de l’IL-6).
Pourquoi les articulations sont-elles
la cible de l’inflammation ?
Qu’en est-il vraiment ? Pourquoi une maladie associée à une
réaction inflammatoire aussi intense va-t-elle se localiser dans
cette membrane si petite et quasi virtuelle qu’est l’articulation ?
Deux éléments de réponse à cette apparente aberration : le rôle
de l’élément mécanique et celui des facteurs microbiens. En effet,
la surcharge mécanique (surpoids, obésité majorant la souffrance
articulaire lors des mouvements), voire les microtraumatismes
répétés (professionnels, accidentels, sportifs, etc.) pourraient être
un des éléments déclencheurs de la réaction inflammatoire innée
locale engagée via la stimulation inappropriée de mécanorécep-
teurs, qui transmettront ensuite un signal intracellulaire poten-
tiellement pro-inflammatoire. De plus, les facteurs microbiens
jouent certainement un grand rôle dans l’initiation de la réaction
inflammatoire. Un brossage de dents un peu traumatique ou une
constipation prolongée avec stase bactérienne passagère pour-
raient favoriser inopinément la circulation sanguine de bactéries,
qui iraient ensuite se nicher dans une ou plusieurs articulations.
Physiopathologie de la PR en quatre temps…
Au total, quatre étapes fondamentales pourraient se succéder
et expliquer la physiopathologie de la PR :
▶
une phase d’initiation inflammatoire avec une première
agression locale synoviocytaire ;
▶
une amplification inflammatoire locale médiée par le syno-
viocyte, une cellule résidente pivot qui va pérenniser la réponse
inflammatoire locale et générer des lésions contribuant au démas-
quage local d’autoantigènes. Dans cette phase d’ampli fication, le
rôle adjuvant de facteurs locaux (tabac) pourrait accélérer l’induc-
tion de la dénaturation de protéines du soi via leur citrullination.
En effet, sous l’action d’une enzyme peut-être dérégulée lors
de la PR, la peptidylarginine déiminase (PAD), l’organisme voit
certaines de ses protéines se modifier en substituant des acides
aminés citrulline à leurs acides aminés arginine. Du fait de leurs
propriétés physico-chimiques différentes, il s’opère un change-
ment profond de la conformation de la protéine, qui aboutit à sa
non- reconnaissance comme protéine du soi, d’où la production
d’autoanticorps ciblant ces résidus autoantigéniques citrullinés ;
▶
une troisième phase d’induction d’une réponse auto-immune
au sein de la synoviale enflammée. Il est important de noter que,
dans l’hypothèse de ce schéma, cette phase auto-immune serait
donc une étape intermédiaire, mais non initiatrice de la maladie ;
▶
une quatrième étape pendant laquelle les lésions ostéo-
articulaires apparaissent et pérennisent les interactions entre
inflammation et auto-immunité.
Ainsi, comme l’a souligné le PrJ.Sibilia, les instantanés de
cette maladie sont faux, et c’est sous la forme d’un véritable
film dynamique associant ces différentes étapes qu’il faudrait
à présent tenter de concevoir la genèse de la PR, maladie auto-
inflammatoire qui devient auto-immune chez des sujets généti-
quement prédisposés et vivant dans un environnement propice.
10 | La Lettre du Rhumatologue • No 373 - juin 2011
CONGRÈS
RÉUNION La polyarthrite rhumatoïde : aspects cutanés et prise en charge