CONGRÈS RÉUNION La polyarthrite rhumatoïde : aspects cutanés et prise en charge Congrès-Réunion La polyarthrite rhumatoïde : comment l’expliquer ? Maladie auto-immune ou maladie hyperinflammatoire ? Rheumatoid arthritis: how to explain it? Autoimmune or hyperinflammatory disease? V. Goëb*, d’après une communication de J. Sibilia** (* Service de rhumatologie, CHU de Rouen ; ** Service de rhumatologie, hôpital de Hautepierre, CHRU de Strasbourg) L a PR est encore considérée, par beaucoup d’entre nous, comme étant exclusivement une maladie auto­immune. En effet, la présence d’anticorps dirigés contre d’autres anti­ corps (facteurs rhumatoïdes) et celle d’anticorps plus spécifiques dirigés contre des protéines modifiées qui ne sont plus reconnues comme des protéines du soi par l’organisme (anticorps dirigés contre des peptides citrullinés [AntiCitrullinated Protein/peptide Antibodies – ACPA], notamment) plaident grandement en ce sens. Les premières descriptions physiopathologiques de la PR s’intéressaient à son aspect macroscopique, et particulièrement cytologique, en faisant la part belle aux différentes cellules (syno­ viocytes, macrophages, lymphocytes) retrouvées dans les arti­ culations touchées par la maladie. Les progrès de la science ont ensuite permis d’affiner cette vision en y intégrant de multiples paramètres interconnectés et loin d’être indépendants. Les rôles potentiels du tabac, des facteurs de prédisposition génétique (allèles HLA portant l’épitope partagé, mutations de PTPN22, etc.), l’influence du sexe des patients et de différents facteurs angio­ génétiques ont progressivement été incorporés aux mécanismes physiopathologiques possibles de la PR. Ainsi, il est communément admis que l’élément clé du déclenchement de la PR serait une rupture d’équilibre entre messagers intercellulaires (cytokines) pro­inflammatoires (TNF, IL­1, IL­6) surproduits et cytokines anti­ inflammatoires (IL­4, IL­10) en quantité insuffisante et débordées par le flux inflammatoire de la maladie. À partir de ce constat ont été développés avec succès différents traitements ciblant les principales cytokines inflammatoires (étanercept, infliximab et adalimumab dirigés contre le TNF ; anakinra et tocilizumab, anta­ gonistes respectifs des récepteurs de l’IL­1 et de l’IL­6). Pourquoi les articulations sont-elles la cible de l’inflammation ? Qu’en est­il vraiment ? Pourquoi une maladie associée à une réaction inflammatoire aussi intense va­t­elle se localiser dans cette membrane si petite et quasi virtuelle qu’est l’articulation ? Deux éléments de réponse à cette apparente aberration : le rôle de l’élément mécanique et celui des facteurs microbiens. En effet, la surcharge mécanique (surpoids, obésité majorant la souffrance articulaire lors des mouvements), voire les microtraumatismes répétés (professionnels, accidentels, sportifs, etc.) pourraient être un des éléments déclencheurs de la réaction inflammatoire innée 80 Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 3 • mai-juin 2011 10 | La Lettre du Rhumatologue • No 373 - juin 2011 locale engagée via la stimulation inappropriée de mécanorécep­ teurs, qui transmettront ensuite un signal intracellulaire poten­ tiellement pro­inflammatoire. De plus, les facteurs microbiens jouent certainement un grand rôle dans l’initiation de la réaction inflammatoire. Un brossage de dents un peu traumatique ou une constipation prolongée avec stase bactérienne passagère pour­ raient favoriser inopinément la circulation sanguine de bactéries, qui iraient ensuite se nicher dans une ou plusieurs articulations. Physiopathologie de la PR en quatre temps… Au total, quatre étapes fondamentales pourraient se succéder et expliquer la physiopathologie de la PR : ▶ une phase d’initiation inflammatoire avec une première agression locale synoviocytaire ; ▶ une amplification inflammatoire locale médiée par le syno­ viocyte, une cellule résidente pivot qui va pérenniser la réponse inflammatoire locale et générer des lésions contribuant au démas­ quage local d’autoantigènes. Dans cette phase d’amplification, le rôle adjuvant de facteurs locaux (tabac) pourrait accélérer l’induc­ tion de la dénaturation de protéines du soi via leur citrullination. En effet, sous l’action d’une enzyme peut­être dérégulée lors de la PR, la peptidylarginine déiminase (PAD), l’organisme voit certaines de ses protéines se modifier en substituant des acides aminés citrulline à leurs acides aminés arginine. Du fait de leurs propriétés physico­chimiques différentes, il s’opère un change­ ment profond de la conformation de la protéine, qui aboutit à sa non­reconnaissance comme protéine du soi, d’où la production d’autoanticorps ciblant ces résidus autoantigéniques citrullinés ; ▶ une troisième phase d’induction d’une réponse auto­immune au sein de la synoviale enflammée. Il est important de noter que, dans l’hypothèse de ce schéma, cette phase auto­immune serait donc une étape intermédiaire, mais non initiatrice de la maladie ; ▶ une quatrième étape pendant laquelle les lésions ostéo­ articulaires apparaissent et pérennisent les interactions entre inflammation et auto­immunité. Ainsi, comme l’a souligné le Pr J. Sibilia, les instantanés de cette maladie sont faux, et c’est sous la forme d’un véritable film dynamique associant ces différentes étapes qu’il faudrait à présent tenter de concevoir la genèse de la PR, maladie auto­ inflammatoire qui devient auto­immune chez des sujets généti­ quement prédisposés et vivant dans un environnement propice. CONGRÈS RÉUNION Congrès-Réunion Différents modèles expérimentaux ont permis d’enrichir nos connaissances sur la physiopathologie de la PR et son aptitude à être une maladie multisite. Ainsi, on a placé chez des modèles de souris SCID, qui présentent une profonde lymphopénie T, des implants cartilagineux de patients atteints de PR. Au bout de quelques jours, des érosions apparaissaient au sein du carti­ lage de différentes articulations. Les synoviocytes rhumatoïdes faisaient ainsi la preuve de leur potentiel de migration d’une articulation à l’autre par voie sanguine. Rôle important joué par les colonies microbiennes Des phénomènes microbiens contribuent­ils réellement à induire la PR ? Dans la synoviale rhumatoïde, de multiples débris microbiens ont été mis en évidence par leur trace ADN ou ARN. Il s’agit ainsi, au passage, de briser le dogme de l’arti­ culation, longtemps considérée comme un sanctuaire parfai­ tement stérile. Ce n’est pas le cas. Bien des germes différents sont observés dans une articulation apparemment saine et pourraient profiter de réactions inflammatoires locales pour exercer leur pouvoir pathogène et contribuer au déclenche­ ment de la PR. Le poids de la flore digestive n’est pas non plus négligeable : le séquençage métagénomique des selles d’un individu sain retrouve plus de 100 trillions bactériens, 150 fois plus que le génome humain. La peau et les muqueuses digestives, mais aussi le parodonte, sont donc autant de pôles microbiens dont l’atteinte aurait son importance dans la PR. Ainsi, chez des patients atteints de PR et produisant des ACPA, un lien entre les taux d’anticorps anti­CCP et les lésions de parodontite a été mis en évidence, ce qui souligne le rôle potentiel de Porphyromonas gingivalis. Cette bactérie de la flore commensale buccale possède en effet sa propre PADI et pourrait ainsi, une fois stimulée, développer des “citrullina­ tions en chaîne” locales, contribuant au développement de la PR. La relation entre P. gingivalis et le taux d’ACPA au cours de la PR a aussi été démontrée par un travail présenté lors du dernier congrès de l’ACR, visant à traiter deux groupes de patients atteints de PR récentes, naïfs de tout traitement par des antibiotiques ayant soit un effet sur cette bactérie (bras traité par vancomycine), soit aucun effet (bras recevant de la doxycycline). Ainsi, seuls les patients traités par vancomycine ont vu leurs taux d’ACPA diminuer significativement au cours du traitement. Dans le même esprit, un effet arthritogène de l’énolase recombinante, citrullinée in vitro ou via P. gingivalis et injectée dans des modèles expérimentaux de souris, a été clai­ rement mis en évidence par l’équipe londonienne du Kennedy Institute. Une grande question est de savoir si les ACPA ont une action pathogène propre ou s’ils ne sont que le reflet de tentatives de régulation par l’organisme de voies enzymatiques surexprimées. Chez les patients atteints de PR porteurs de l’épitope partagé de HLA, l’action des peptides citrullinés et des immuns complexes formés avec le fibrinogène citrulliné pourrait aboutir à l’activation des macrophages via les récep­ teurs de l’immunité innée TLR4 et FCγR. Le rôle délétère du tabac est illustré par sa propension à multiplier considérablement le risque de survenue d’une PR, particulièrement chez les sujets prédisposés génétiquement (porteurs d’un allèle HLA­DRB1) et dont l’intoxication taba­ gique est d’au moins 10 paquets­années. Le tabagisme actif augmente le stress oxydatif et entraîne une citrullination des protéines pulmonaires. Il a aussi été démontré une moindre réponse aux anti­TNF dans la PR chez les patients fumeurs. Conclusion Le triangle de l’inflammation au cours de la PR pourrait être illustré par la figure ci­dessous. PR HLA Citrulline P. gingivalis Parodontopathies Tabac Maladies cardio-vasculaires Cependant, d’autres acteurs oubliés interviennent probablement aussi au cours de la PR, et les recherches sont loin d’être termi­ nées. Le rôle des plaquettes est ainsi mal exploré. Des analyses en cytométrie de flux du liquide articulaire de patients ont pourtant mis en évidence des microparticules plaquettaires en abondance qui, de par leur contenu cytokinique (IL­1α et IL­1β), ont la capacité d’activer le synoviocyte rhumatoïde via le récepteur de l’IL­1. II Pour en savoir plus… •Kempsell KE, Cox CJ, Hurle M et al. Reverse transcriptase­PCR analysis of bacterial rRNA for detection and characterization of bacterial species in arthritis synovial tissue. Infect Immun 2000;68:6012­26. •Wegner N, Wait R, Sroka A et al. Peptidylarginine deiminase from Porphyro­ monas gingivalis citrullinates human fibrinogen and α­enolase: implications for autoimmunity in rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 2010;62:2662­72. •O’Dell JR, Elliott JR, Mallek JA et al. Treatment of early seropositive rheuma­ toid arthritis: doxycycline plus methotrexate versus methotrexate alone. Arthritis Rheum 2006;54:621­7. Question au Pr J. Sibilia. Dr V. Goëb. Compte tenu du rôle joué par les bactéries dans la PR, pensez-vous qu’il faille traiter les patients atteints de PR débutante par une association méthotrexate + antibiotiques ? Pr J. Sibilia. Aujourd’hui, je ne crois pas que l’on puisse donner des antibiotiques dans la PR, mais, le jour où l’on pourra étudier les perturbations des métagénomes microbiens individuels parallèlement à l’activité du rhumatisme des patients, il faudra alors réfléchir à l’intérêt de leur utilisation lors des poussées de la maladie. Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 3 • mai-juin 2011 81 La Lettre du Rhumatologue • No 373 - juin 2011 | 11