« SOINS RAISONNES… SOINS RAISONNABLES… » Dr Marie-Suzanne LEGLISE Centre de gérontologie clinique CHU Montpellier « La sagesse, c’est une raison qui s’exerce, et qui s’exerce avec sa difficulté et son courage, pour garder le sens à l’existence. À vrai dire, ce qui nous manque aujourd’hui c’est l’exercice personnel de la raison. … C’est une raison exercée et qui soit, non pas contrainte à l’égard de la liberté, mais son meilleur moyen de s’exercer. » Claude Bruaire la dialectique du principe et de la réalité « Le raisonnable est en bioéthique un concept maître. Forme inférieure de la sagesse, qui, elle, s’élance dans l’absolu , la prudence trouve sa pertinence dans notre monde imparfait, où elle honore le principe de réalité, sans le sacrifier aux vérités idéales qui sont l’apanage des dieux.[…] Cette incorporation de la rigueur de la moralité et de l’action pratique porte le nom de phronêsis. … » ( France QUÉRÉ - L'éthique et la vie - 1991 ) PA vécu de perte Entourage très présent Troubles de la communication Souci de bien faire Transformation de leur parent (physiquement et comportementalement) Atteintes corporelles Atteintes cognitives 2 cas cliniques Soignant au sens large, confronté à la difficulté de décoder les besoins des PA Disponibilité même dans l’ompuissance Relation soignant-soigné très déstabilisante R E S P E C T D I G N I T E Sentiments divers :honte, culpabilité DECISION à prendre: Nutrition artificielle? (reflet actuel d’une des possibilités techniques) Fin de vie Compétence? Grille d’étude Contexte: syndrome existentiel u u u u Fragilité de l’existence: condition d’être mortel la mort est bien inéluctable, Notion de temps compté, d’irrévocabilité Incertitude de l’avenir : le rapport au temps est autre. Temps compté mais aussi parfois temps « long » Notion de sens – sens à cette vie limitée, – sens de la vie passée et sens de cette vie qui continue ?et comment lors de syndromes démentiels – sens à nos actes de soins: dignité de l’autre à retrouver, reconnaître l’humanité de cet autre être de désir et de communication?! approfondissement du sens de nos actes de soins: dignité de l’autre à retrouver Grand âge et Fin de vie : L’âge n’éteint pas la peur de mourir : Peur de la souffrance physique u Peur de la déchéance u Peur d’avoir vécu en vain u Peur de la séparation u Peur de la perte de contrôle de soi u Peur .. de la peur u Une différence homme-femme (?) Spécificités gériatriques : plan psycho-comportemental Ø Ø Ø Ø La vieillesse: perte de statut social, de l’image de soi, fragilisation aux agressions de tous ordres Modification de la personnalité: sentiment d’insécurité, investissement du présent, débordement émotionnel, troubles du caractère, besoin de sécurisation par habitude Différentes manifestations: dépressives mais souvent masquée anxiéte 50% avec différents modes d’expression, perturbation émotionnelles, apathie et perte d’intérêt, troubles du sommeil et parfois agitation en fin de journée, agitation, accès de colère, opposition, agressivité par peur ou frustration Modification du mode relationnel avec les personnes démentes: Le patient dément reste un « sujet », accessible au regard, au contact, à la parole Spécificités gériatriques: maladies « palliatives » gériatriques Ø Ø Ø Ø Cancérologie: dans le cadre des cancers évolués: 50% des personnes ayant un cancer qui décèdent ont plus de 70 ans Insuffisance d’organes au stade terminal: cœur, rein, poumon,… Pathologies neurologiques dégénératives et vasculaires: parkinson, AVC massif, démences évoluées,… État poly-pathologique nécessitant une prise en charge palliative (plusieurs maladies prises individuellement non mortelles, associées conduisant au décès Spécificités gériatriques : le contexte de poly pathologie • • • • • plusieurs pathologies génératrices de mort progressive un épisode aigu se surajoute dans ce contexte on parlera de cap à passer, avec des objectifs à réévaluer en équipe Tableaux évolutifs en dents de scie, avec une évolution à « petit feu » Parfois une phase agonique fait place à un mieux être inattendu avec une évolution incertaine d’un lent mourir Faire en sorte que la vie puisse se continuer dans les meilleures conditions Spécificités gériatriques : tableaux frustres u Exemple de la douleur: Elle peut se manifester tout simplement par une confusion, une agitation , une régression, un refus (désir ou conséquence) Attention car la douleur et la souffrance difficile à séparer envahit la vie de la personne u Que veut dire la « passivité », l’attitude d’abandon, l’agitation ou troubles du comportement u Comment ne pas passer à côté de ce que les personnes essaient de dire de ce qu’il vit? La Famille, « Aidant Naturel » et partenaire de soins u u u u u ⇒ Modification de la dynamique familiale: nouvelle image de l’aîné, inversion des rôles : «maternage à rebours » Garante de l’identité de la personne, objet d’investissement de la personne Épuisement (durée, non reconnaissance, tyrannie) Culpabilité du placement vision négative néfaste, projection de ses craintes sur le dépendant, processus d’accentuation sur la dépendance entraîné par le souci de devancer la dépendance De la fusion au rejet : envahissante, opposante, ambivalente… EN GRANDE SOUFFRANCE Les problèmes du soignant Avoir conscience de son pouvoir (Relation asymétrique : savoir-pouvoir / demande) u Garder son authenticité , neutralité illusoire u Garder une « juste distance » : u Libérer les liens trop exclusifs qui bâillonnent la demande Gavage relationnel, compassionnel, danger de projection u Accepter ses propres limites, faire avec ses conditions matérielles (manque de temps,…) Ambivalence face au vieillissement et à la mort Présence de comportements paradoxaux § Ambivalence des familles: § Ambivalence des malades: § Ambivalence des professionnels: présence, culpabilité, agressivité envers les soignants acceptation et refus, agressivité, agitation contradiction dans les décisions thérapeutiques A quel moment se pose la question? Soins raisonnés / soins raisonnables u u u 1er critère: profil pathologique: – enième décompensation aigue, – pathologie neurologique évoluée, – cancer échappant à tout traitement, – insuffisances d’organe terminale avec un épisode aigu 2ème critère: symptômes: – douleur rebelle, occlusion, étouffement SLA, troubles du comportement – problème nutritionnel, – situations de prise de décision difficiles: soins d’escarres, dialyse, nutrition artificielle 3ème critère: problème de soutien ou d’accompagnement : – souffrance entourage, ou entourage – difficultés de savoir le désir de la personne Décisions qui posent problèmes u Alimentation , pose de gastrostomie u Hospitalisation u Risques de chute u Soins d’escarres u Devant une attitude de refus de soin de contact ou de communication u Troubles du comportement (risque de maltraitance) Ce qui est observable : l’aide de l’expérience ? u L’expérience n’est pas toujours bonne conseillère ! u La routine peut installer de mauvaises habitudes : u Exemple 1 : le paternalisme médical. u Exemple 2 : le « cocktail lytique. » Pr. Maurice Rapin (cité par E.Hirsch) : « A partir de l’expérience vécue, le besoin naît de définir la limite entre la raison et la déraison, entre le permis et l’interdit. Bref, par une réflexion sur l’expérience, s’appliquer à cheminer plus loin en soi-même. » Contexte juridique légal La loi du 22 avril 2005 u Garantie des soins u Refus de l’obstination déraisonnable u a promu une collégialité et une traçabilité des décisions. u Décret des directives anticipées, personne de confiance u Droit au refus u Situations du double effet u La démarche éthique La démarche éthique ne repose pas que sur des textes ou des principes mais sur l’expérience, critiquée et analysée, et sur la prise en compte des enjeux. Elle fait appel à la « Prudence ». u Elle ne se limite pas à la prise de décisions. u Elle est une manière d’assumer notre responsabilité vis à vis de personnes fragilisées par la maladie et l’approche de la mort. ; de nous rendre attentifs à leurs attentes exprimées par leur parole. u Prise de décision Quel libre arbitre a la personne âgée pour sa fin de vie? Collégialité? Obstination déraisonnable? La Démarche de Décision u u u u u u u u u Isoler la question prioritaire La replacer dans le contexte S’aider de l’avis d’experts pour élaborer de possibles solutions Les confronter à leurs conséquences Se déterminer en équipe pluridisciplinaire Transmettre aux intervenants une décision expliquée et argumentée Evaluer à court, moyen et long terme ses impacts Reconsidérer si nécessaire Revenir sur les cas « après coup » Grille d’étude u u u u Analyse de la situation: – données médicales, contexte et acteurs Identification de la question Analyse de la prise de décision: – la demande du patient:laquelle, compérence?, – le point de vue de la famille: questions, souffrance, désirs, nature des relations, – le point de vue des soignants: valeurs de référence, – quelles conséquences de la décision Dilemme éthique: – quelles sont les valeurs en conflit, – qui prend la décision?Arguments – autres choix? DEMARCHE ETHIQUE (Mme Sebag-Delanoe) Ø Ø Ø Ø Ø Ø Quelle est la maladie principale de la PA, Son degré d’évolution? Quel est l’épisode aigu surajouté?Est-il facilement curable ou non? Y a-t-il une répétition des épisodes aigus rapprochés ou une multiplicité d’atteintes pathologiques diverses? Que dit la PA, si elle le peut? Qu’exprime t’elle à travers son comportement? Quelle est la qualité de son confort actuel? Qu’en pense la famille? Qu’en pense les soignants, qui la côtoient le plus souvent? L’ ECOUTE les uns des autres u u u u Laisser s’exprimer émotions et sentiments Aider à mettre en mots, prendre du recul, manque de concertation, incohérence Relecture du passé, pour lui donner sens et l’inscrire dans une continuité Réappropriation de ce temps du mourir, possibilité de défaire les liens au rythme de chacun, attention au « gavage passionnel », libérer les liens trop exclusifs qui bâillonnent la demande C’est par le désir de prendre soin grâce à une réflexion approfondie d’équipe en interdisciplinarité que des dérapages peuvent être évités et que la personne âgée peut prendre sa place au centre d’un projet de soins , parfois avec l’aide d’un avis extérieur à l’équipe Le questionnement éthique u u u « c’est la mise en question de notre spontanéité » Lévinas L’éthique est un fait (naître), un devenir (construction entre les hommes), et une valeur . Elle prend comme référence le respect la dignité, la justice et la solidarité, la recherche du bonheur partagé (dimension éthique) » C. Biot Donner du sens à la vie de chacun et à la vie de l’humanité, en reconnaissant des valeurs communes et des règles morales L’existence humaine est l’existence relationnelle fondée sur le respect,…E. Fuchs Questionnement éthique Principe de bienfaisance u « la préoccupation du sens nous tient en éveil et sollicite u jour après jour notre créativité dans la construction des rapports entre identité et altérité » C. Perrotin Accepter d’être interpeller par d’autres réactions u Assumer la multiplicité des interrogations u Apprendre à supporter l’insécurité u Accepter avec humilité notre impuissance Pour arriver à un enrichissement perpétuel et partagé pour une meilleure humanité u Le questionnement éthique Ensemble des interrogations qu’il est nécessaire d’expliciter avant de répondre Émotions à une question = alertes et rappel des principes ANGOISSE P. Le Coz Conflit de valeurs entre rationalité éthique et raisonnement scientifique Continuer la réflexion fuite agressivité Explorations argumentaires La décision éthique et sa mise en acte Responsabilité La délibération éthique La compassion La compétence rencontre fragile de l’autre dans sa singularité diagnostic, pronostic, choix thérapeutiques La référence: lois code morales, religions cultures Les grands principes d’éthique Ø Ø Ø Ø Ø Ø Principe d’humanité: dignité, hospitalité, compassion Principe de justice: égalité des soins Principe de finalité: aspect déontologique et téléologique Principe de non-malfaisance et de bienfaisance: ne pas nuire, apporter un bénéfice, attention à l’abandon thérapeutique ou à la perte de chance Principe d’autonomie: autodétermination, consentement éclairé Principe de proportionnalité et de futilité: disproportion, acharnement la dignité, comme valeur absolue u u u Dignité ontologique, inaltérable, inconditionnelle Dignité individuelle: socialement définie, qualités morales, est digne celui qui décide : notion d’autonomie, de liberté Dans cette relation de soin: – Dignité = sentiment d’indignité – Dignité de qui? De la personne démente, du soignant? « la dignité est remise entre des mains humaines qui tremblent et qui faillent » F.Quéré Principe d’autonomie : s’engager à faire participer le patient u u u u u u u u Quel libre arbitre pour la personne âgée ne pouvant s’exprimer clairement ? Comment comprendre la volonté des personnes quand les altérations physiques ou mentales sont maximales ? Que sont les directives anticipées ? Qui prend les décisions ? Comment faire face aux exigences créées par les circonstances de la mort ? Quelle place a l’entourage ? Comment aboutir à un consensus quand le groupe familial est en conflit ? Qu’en est-il des modalités de respect des droits de la personne ? Quels garants ? Qu’est-ce qu’une personne de confiance ? Qui peut la désigner ? Comment repérer l’interlocuteur fiable ? Comment accompagner le refus de soins? Bienfaisance et non malfaisance Quels sont les enjeux? Importance de hiérarchiser les critères de choix u Quels sont les critères de fin de vie d’une démence? u Quels sont les finalités de prise en charge? u Quelle compétence technique à avoir en plus de la compétence humaine dans l’accompagnement? (douleur, soins de confort, sédation, agonie u Que faire en cas de conflit entre la « solitude de la responsabilité en son a^me et conscience et des textes de lois évolutifs? u Notion de qualité de vie Est-ce la seule valeur déterminante ? u Quels critères : les nôtres, ceux de la famille, u ceux de la personne antérieurement exprimés ? u Qu’en est-il d’une existence vécue dans les pertes : perte d’autonomie, difficultés de communication, incertitude, solitude ? u Que faire de l’impression d’indignité, d’inutilité, d’inhumanité vécue par le patient, par l’entourage, par chaque soignant ? Principe d’utilité/futilité Soins utiles: confort, privilégier le soin relationnel, lutter contre la douleur, gérer les conflits éthiques , soutien des soignants, soutien de l’entourage,… u Futilité, disproportion: analyse effets bénéfices risques, accepter double effet Ø renoncements à certaines formes de soins, et des investissements sur d’autres aspects (avantages et inconvénients) u L’éthique des soins ne se résume pas à l’art de prendre des décisions difficiles ! -Elle est un comportement, - une vigilance, - au jour le jour qui prend en considération les attentes des personnes soignées et de leurs proches ; les questions soulevées dans la société et les valeurs dont elles témoignent. - Elle s’enrichit de la parole des malades ; - D’une réflexion sur soi et de la prise en compte des enjeux de la relation de soins ; d’une réflexion en équipe ; -D’une formation continue aux sciences humaines. DIGNITE valeur fondatrice absolue VIGILANCE RESPONSABILITE à l’égard d’autrui (Lévinas) – SOLIDARITE Et FOI envers notre humanité « pari que l’humanité se déploie jusque dans l’inaccessible du sens de la rencontre »B. Cadoré