1 Bonjour, Je ne peux m`empêcher de réagir à votre article du 24

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Bonjour,
Je ne peux m'empêcher de réagir à votre article du 24 novembre au sujet des vols d'opioïdes et
de l'abus d'opioïdes, afin de corriger une information erronée, et suggérer des pistes
d'exploration du dossier. Je suis médecin, gériatre, avec formation spécifique en douleur et
soins palliatifs, et pratique actuellement en clinique externe de gestion de la douleur chronique.
Bien que l'abus d'opioïdes par des toxicomanes soit un problème très important dont il faut se
soucier et trouver des solutions pour le contrer, je trouve dommage qu'on y accorde autant
d'attention, sans s'attarder davantage à la cause de la circulation de ses ordonnances, soit la
douleur chronique. Depuis quelques années, La Presse a consacré 3 articles/dossiers à ce
problème (Ariane Lacoursière, Daphné Cameron et vous). Malheureusement, à ma
connaissance, personne ne s'est intéressé au problème important de la douleur chronique.
Corrigeons tout d'abord l'information erronée. À la fin de l'article, un médecin de soins palliatifs
illustre les effets néfastes des opioïdes, même chez les patients en douleur chronique, en
donnant l'exemple d'un patient qui, après avoir été traité par des opioïdes durant plusieurs
années, s'est retrouvé, à son grand désarroi, dans une unité de désintoxication. Il y a confusion,
ici, entre 2 types de dépendance qu'on retrouve avec les opioïdes, soit la dépendance
psychologique ("addiction") et la dépendance physique. La dépendance psychologique aux
opioïdes est une toxicomanie, au même titre que la dépendance à la cocaïne, à l'héroïne ou
autre drogue illégale. Chez les patients traités avec des opioïdes pour de la douleur (aiguë ou
chronique), le développement d'une dépendance psychologique est heureusement très rare. Ce
que tous développent, cependant, c'est une dépendance physique. Après avoir pris des opioïdes
de façon prolongée (quelques semaines), les récepteurs s'y habituent et il ne faut donc pas les
cesser subitement, sinon il y aura une réaction de sevrage, qui est physiologique et nullement
corrélée à une dépendance psychologique. On retrouve des phénomènes semblables, d'ailleurs,
avec plusieurs autres classes de médicaments, dont des antidépresseurs et des benzodiazépines,
mais également des antihypertenseurs. Lorsqu'on veut cesser les opioïdes chez un patient qui
en reçoit depuis plusieurs années, il faut donc le faire progressivement pour éviter les
symptômes de sevrage. On peut le faire très tranquillement, alors que le patient est à la maison,
sans symptômes de sevrage, car on le fait très tranquillement (c'est l'approche que j'utilise).
Certains, pour le faire plus rapidement, réfèrent plutôt le patient à un service de
désintoxication, on est habitué à traiter les sevrages. Malgré cela, il s'agit encore de
dépendance PHYSIQUE et non psychologique. Il est important de ne pas confondre les 2
phénomènes afin de ne pas induire le public et les patients en erreur.
Afin de réduire l'abus d'opioïdes par les toxicomanes (et, conséquemment, les vols et la
criminalité qui s'ensuit), il est important de trouver des solutions ou autres approches pour le
soulagement de la douleur chronique, un problème majeur qui affecte plusieurs centaines de
milliers de Québécois, et jusqu'à 50% des personnes de 65 ans et plus. Pour traiter la douleur
chronique, les chances de réussite sont meilleures avec une combinaison d'approches
différentes, incluant des approches non médicamenteuses (ex. physiothérapie, psychologie) et
médicamenteuses.
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La physiothérapie (exercices, chaleur, massage, ...) et la psychologie (relaxation, thérapie
cognitivo comportementale) sont très importantes et souvent très efficaces pour traiter la
douleur chronique, sans effet secondaire ni risque d'abus ou de détournement.
Malheureusement, ces approches sont très peu accessibles pour ceux qui ont des ressources
financières limitées et n'ont pas d'assurance, ce qui est le cas de la grande majorité des
personnes avec douleur chronique. Les médecins n'ont donc souvent d'autre option que de
prescrire un médicament pour traiter la douleur, faute d'accès aux autres approches, même s'ils
veulent éviter les médicaments le plus possible.
Même problème avec les médicaments. On essaie toujours d'éviter les opioïdes le plus possible,
en raison des effets secondaires et risques d'abus ou de détournement. Parmi les médicaments
non opioïdes qui ont été montrés efficaces pour traiter la douleur (incluant lombalgie, arthrose),
il y a la duloxétine (Cymbalta). Mais ce médicament n'est remboursé par la RAMQ que pour
certaines indications et nécessite une application à cet effet. Plusieurs patients qui pourraient
en bénéficier en sont donc privés.
Au cours des dernières années, deux nouvelles formulations d'opioïdes ont été commercialisées
au Québec: la buprénorphine transdermique (Butrans) et le tapentadol (Nucynta). Ces opioïdes
offrent plusieurs avantages, dont un risque de dépendance et d'abus beaucoup plus faible que
les autres, tel que montré par plusieurs études. On devrait donc les prescrire en priorité, avant
les autres. Malheureusement, encore une fois, ils ne sont pas acceptés par la RAMQ pour
remboursement. Ils sont considérés seulement pour les "patients d'exception", donc il faut que
le patient ait essayé TOUS les autres médicaments disponibles (et, croyez-moi, c'est vraiment
"tous") pour qu'il soit accepté, après étude du dossier qui prend quelques mois et demande
complexe faite par médecin. On force donc les médecins à d'abord prescrire les opioïdes avec
un risque plus grand d'abus, même si des opioïdes avec risque d'abus beaucoup plus faible sont
disponibles, ceci afin d'éviter des coûts.
Dernier constat: on parle beaucoup de l'OxyContin, une molécule qui est très abusée, celle qui
est l'objet de la majorité des vols et a une valeur très élevée sur la rue. À un point tel que la
compagnie qui la produit, Purdue Pharma, en a cessé la commercialisation il y a 2 ans et l'a
remplacée par une autre formulation, qui peut aussi être abusée, mais beaucoup plus
difficilement. On croyait donc que le problème, sans être réglé, serait au moins diminué. Or, un
générique d'OxyContin a été développé. Au grand dam de tous ceux impliqués dans le
traitement de la douleur et la toxicomanie, ces génériques ont été acceptés par Santé Canada,
ET par la RAMQ pour remboursement. Puisque le générique se vend moins cher que l'original,
non seulement le problème d'abus ne diminuera pas, mais risque d'augmenter.
J'espère vous avoir convaincue que, même si l'abus et le détournement d'opioïdes est un
problème de santé publique important, la solution ne réside pas en une augmentation de la
réglementation, qui nuirait au bien-être des personnes souffrant de douleur chronique, mais
plutôt en une meilleure planification de la prise en charge de la douleur, en 1) facilitant l'accès à
la physiothérapie, psychologie et infiltrations, 2) permettant l'accès aux médicaments dont
potentiel d'abus est moindre que les opioïdes conventionnels, même si plus chers, 3)
restreignant l'accès aux génériques d'OxyContin, même si moins chers. En ayant une vision
courte plutôt qu'une vision globale, les gouvernements ne réussiront pas à contrer ce problème.
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Désolé pour le long courriel, et merci d'avoir servi d'exutoire à ma frustration accumulée au fil
d'une dizaine d'années de pratique et de confrontation constante aux accusations de
prescriptions irresponsables d'opioïdes. Si vous intéressée à explorer d'avantage, n'hésitez pas à
entrer en communication avec moi, pour rencontrer des patients ou des professionnels
travaillant dans le domaine de la douleur chronique.
David Lussier, MD, FRCP(c)
Institut universitaire de gériatrie de Montréal
Université de Montréal
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