5
III. Bertolt Brecht : une biographie
Bertolt Brecht naît en 1898 à Augsbourg, petite ville de Bavière, dans une famille
bourgeoise. Il y reçoit une bonne éducation – dans le sens le plus conventionnel du terme.
Le jeune garçon, dont le père dirige une petite fabrique de papier, va à l’école primaire, puis
au lycée. Brecht expliquera : « J’étais le fils de gens qui ont du bien. Mes parents m’ont mis
un col autour du cou. Et m’ont donné l’habitude d’être servi. Et m’ont enseigné l’art de
commander. Mais quand plus tard, je regardai autour de moi, je n’ai pas aimé les gens de
ma classe, ni commander, non plus qu’être servi. »
Dès 1916, il quitte le lycée pour l’Université de Munich, où il suit les cours de médecine.
Mais, deux ans plus tard, alors que la Première guerre mondiale touche à sa fin, Bertolt
Brecht est enrôlé comme infirmier militaire et donc, contraint d’interrompre ses études pour
une triste expérience des atrocités de la guerre. C’est d’ailleurs pour les blessés qu’il
compose ses premières chansons de révolte, dans les années ‘20 ; des poèmes qu’il récite
et chante lui-même, en s’accompagnant à la guitare. Notons, entre autres, La légende du
Soldat Mort qui fait scandale dans un cabaret de Munich. Ses premières œuvres témoignent
avec cynisme et férocité du désarroi de la jeunesse dans l’après-guerre.
C’est en 1918 qu’il écrit sa première pièce de théâtre : Baal. L’année suivante marque son
retour à Munich. Il fréquente le milieu théâtral et se lie notamment avec l’auteur - cinéaste -
homme de cabaret Karl Valentin, qui lui inspire peut-être certaines de ses pièces en un acte.
C’est à cette période qu’il aurait d’ailleurs écrit La Noce chez les petits bourgeois, même s’il
ne la sort officiellement de ses tiroirs qu'en 1926, à l'occasion de sa création à Francfort. En
1922, il reçoit le prestigieux prix Kleist pour sa troisième pièce, Tambours dans la nuit, un
drame sur le retour du soldat. Deux ans plus tard, il signe l’adaptation et la mise en scène –
sa première – de La vie d’Edouard II d’Angleterre de Marlowe, au Kammerspiel de Munich.
C’est également à cette période qu’il rencontre l’actrice viennoise Helene Weigel. Il décide
d’aller vivre à Berlin avec elle.
Quittant l’attitude anarchique et cynique de l’immédiate après-guerre, il lit Le Capital et
adhère au marxisme aux alentours de 1926. En 1928, il écrit Homme pour Homme. Mais
c’est L’Opéra de quat’sous, créé à Berlin la même année, qui fait connaître Brecht en
Allemagne et à l’étranger. En adaptant L’Opéra des gueux de John Gay (1728), il garde
l’esprit satirique de ce dernier. Il nous entraîne dans le monde haut en couleurs de ses
mendiants pour y pointer du doigt l’exploitation et la méchanceté que l’on trouve dans la
société bourgeoise.
A cette époque, qui voit la crise économique plonger l’Allemagne dans la misère et le
chômage, Brecht élabore sa théorie du théâtre épique (ou narratif), qu’il expliquera plus tard
dans son Petit Organon pour le théâtre (1948). Selon lui, la forme épique « doit raconter. Elle
n’a pas à croire qu’il soit possible de s’identifier à notre monde, et elle doit interdire cette
illusion. Ce qu’on a gagné, c’est que le spectateur prend au théâtre une attitude nouvelle (…)
Le théâtre n’essaie plus de le soûler, (…) de lui faire oublier le monde, de le réconcilier avec
son destin. Désormais, le théâtre lui présente le monde pour qu’il s’en saisisse ». Il refuse
les valeurs et les procédés magiques du théâtre traditionnel. Engagé dans la lignée marxiste,
Brecht entend désigner les tenants et les aboutissants de l’exploitation féroce des uns par
les autres. Son théâtre se veut dénonciateur, non pas à travers le texte, mais l’extra-texte, le