2 cahier de FC de L’actualité pharmaceutique | décembre 2011 – janvier 2012 | www.ProfessionSante.ca
surproduction s’amplifierait après l’ingestion
d’AAS. Qui plus est, le niveau basal de PGE2
serait inférieur à la normale dans les tissus
des polypes nasaux et dans les fibroblastes
des voies respiratoires inférieures. De plus, les
récepteurs EP-2, l’une des isoformes des
récepteurs PGE, se retrouveraient en plus petit
nombre dans les cellules inflammatoires et
dans les tissus nasaux chez les patients
atteints d’AIA5.
La deuxième voie métabolique de l’AA impli-
que l’enzyme 5-lipoxygénase. Celle-ci permet la
transformation de l’AA en leucotriènes (LT),
comme le cystéinyl-leucotriène (cys-LT), le LTC4,
le LTD4 et le LTE4, qui induisent la production de
mucus, la bronchoconstriction, de même que
l’inflammation de la muqueuse des voies nasa-
les et respiratoires. Lors d’AIA, il se crée une
réaction en chaîne, alors que les leucocytes de
la muqueuse nasale engendrent une surex-
pression des récepteurs des LT et que ces der-
niers attirent dans les voies respiratoires les
mastocytes ainsi que les éosinophiles. En
retour, ces derniers contribuent à une produc-
tion accrue des différentes isoformes des LT5.
Rhinosinusite chronique
Pour ce qui est de la RSC, elle se caractérise
par une inflammation de la muqueuse de la
cavité nasale et des sinus paranasaux, avec
une persistance des symptômes pendant plus
de 12 semaines. Cliniquement, on distingue la
RSC avec ou sans PN. La prévalence des poly-
pes nasaux s’élève à près de 70 % et ceux-ci
atteignent non seulement les cavités nasales,
mais ils peuvent aussi envahir l’ensemble des
sinus4. À cet effet, le lecteur peut se reporter à
la figure 2 pour voir une représentation radio-
logique de polypes nasaux. La physiopatholo-
gie de la RSC n’est pas clairement établie
dans la littérature médicale, mais des facteurs
génétiques, la présence d’une infection, des
anomalies anatomiques et un déséquilibre
immunologique local pourraient être en cause.
Selon de récentes études, la présence de
médiateurs de l’inflammation comme les éosi-
nophiles, de même que des cellules très carac-
téristiques auraient été trouvées au niveau du
tissu muqueux, dans les cas de RSC et de PN.
Plusieurs études confirment d'ailleurs que les
éosinophiles et autres produits inflammatoires
dérivés constituent des marqueurs inflamma-
toires importants lors de PN7.
Dans plus de 34 % à 50 % des cas, l’asthme
et la RSC coexistent. En fait, 84 % des tomo-
densitogrammes des sinus se sont révélés
anormaux chez des patients asthmatiques.
Ces données corroborent la relation entre les
changements dans les tomodensitogrammes
des sinus, l’altération de la fonction pulmo-
naire et la présence d’éosinophiles dans les
expectorations. L’asthme et la RSC ont égale-
ment en commun leur physiopathologie. En
effet, l’inflammation de la muqueuse des voies
respiratoires et le remodelage du tissu occu-
pent deux rôles prépondérants dans le dévelop-
pement de ces deux maladies. Des cellules
inflammatoires, telles que des éosinophiles et
l’interleukine-5, ont été retrouvées dans la
muqueuse sinusale, tout comme dans la
muqueuse des bronches des patients asthma-
tiques. D’ailleurs, un plus grand nombre d’éo-
sinophiles confirme souvent un asthme plus
sérieux, et les patients asthmatiques tendent à
avoir des PN plus importantes7.
Population affectée
D’une part, il est possible que plusieurs patients
ayant reçu un diagnostic d’asthme ne se soient
jamais rendu compte que l’AAS ou les AINS sont
responsables de l’aggravation de leur état3.
D’autre part, une étude de Vally et coll8. a per-
mis de constater que certains patients présen-
tant des symptômes respiratoires secondaires à
la prise d’AAS ou d’AINS n’avaient jamais reçu
de diagnostic d’asthme auparavant8.
Les patients souffrant d’AIA noteraient le
plus souvent l’apparition des premières mani-
festations au cours de l’âge adulte, plus préci-
sément durant la troisième ou quatrième décen-
nie. Ce syndrome toucherait davantage les
femmes que les hommes et l’intensité des
symptômes d’asthme serait généralement
modérée à intense. Dans la majorité des cas,
ceux-ci se révéleraient sous la forme d’une
rhinosinusite réfractaire secondaire à une infec-
tion virale des voies respiratoires. Par la suite, la
rhinosinusite se chroniciserait et évoluerait vers
une RSC avec PN, ayant pour conséquence
l’anosmie, soit la diminution ou la perte d’odo-
rat. Au cours de l’évolution de la RSC, un asthme
persistant se développera. Enfin, l’exposition à
l’AAS ou à un AINS aura pour effet de précipiter
une maladie respiratoire aiguë chez ces
patients2,3. Il est possible de visualiser les prin-
cipales étapes de l’évolution de l’AIA, sous forme
de schéma, à la figure 3.
Dans les 30 minutes à 3 heures suivant la
prise d’un AINS ou de l’AAS, les patients voient
apparaître une congestion nasale importante
avec rhinorrhée, ainsi qu’un bronchospasme typi-
que avec serrement à la poitrine, toux et respira-
tion sifflante. Des symptômes tels que de l’œdème
périorbitaire et une rougeur dans la région de la
conjonctive peuvent également se manifester, en
plus d’érythème au visage. L’intensité des symp-
tômes varie en fonction de la dose ingérée5. Dans
la plupart des cas, les patients aux prises avec
l’AIA le demeurent toute leur vie2,3.
Allergies croisées
Acide acétylsalicylique (AAS)
L’ingestion d’AAS peut avoir de graves consé-
quences chez les patients souffrant d’AIA. Elle
peut même être fatale. Évidemment, l’absorp-
tion d’AAS sous toutes ses formes doit être évi-
tée, incluant les dérivés salicylés, comme les
crèmes analgésiques (MyoflexMD, Antiphlo gis-
tineMD), et le sous-salicylate de bismuth (Pepto-
BismolMD)9. Quant au Voltaren EmulgelMD, il est
indiqué dans la monographie que l’asthme a
rarement été rapporté à la suite de son applica-
tion, mais le fabricant suggère d’éviter son utili-
sation chez les patients atteints d’AIA, étant
donné son absorption systémique partielle10. Le
tableau I présente une liste non exhaustive des
médicaments en vente libre susceptibles d’ag-
graver l’AIA.
Célécoxib
La plupart des patients tolèrent des inhibiteurs,
comme le célécoxib (CelebrexMD), 200 à 300 fois
plus sélectifs pour l’enzyme COX-2 que pour la
COX-1, car celle-ci, présente dans les tissus
sains, synthétisera des prostaglandines (PGE2)
protectrices. Dans une étude randomisée avec
placebo portant sur 60 sujets souffrant d’AIA,
aucun bronchospasme n’a été rapporté à la suite
de l’administration de 100 à 200 mg de célé-
coxib3,5,9. La vigilance reste toutefois de mise
dans la mesure où quelques rares rapports de
cas signalent la présence d’urticaire, d’an-
giœdème, de rhinorrhée, de dyspnée et de bron-
chospasme à la suite de l’administration de
célécoxib chez des patients souffrant d’asthme
sévère ou d’AIA.11
Méloxicam
Pour cette même raison, l’administration de
méloxicam (MobicoxMD) devrait être évitée lors-
que d’autres options s’offrent au patient. En
fait, bien que le méloxicam soit 10 fois plus
sélectif pour la COX-2 que pour la COX-1, il perd
cette sélectivité à haute dose6,9,12. Cependant,
des doses aussi faibles que 7,5 mg par jour ne
devraient pas entraîner de réactions et pour-
raient être envisagées avec une étroite supervi-
sion médicale12.
Acétaminophène
Puisque l’acétaminophène est un faible inhibi-
teur de la COX-1 et de la COX-2, le risque d’al-
lergie croisée avec l’AAS est faible et dépend des
doses utilisées2,3. Ainsi, des doses de
650 mg seraient habituellement bien tolérées,
alors que 20 % des patients souffrant d’AIA
réagiront à des doses de 1000 mg. Par contre,
la réaction allergique sera généralement moins
importante et de plus courte durée, comparati-
vement à celle induite par un AINS3,5.
Autres AINS
Les AINS possédant de faibles propriétés inhibi-
trices pour la COX-1 pourraient être envisagés à
de faibles doses. Or, plusieurs d’entre eux ne
sont plus disponibles au Canada5,9. Une seule
référence9 fait mention du diflunisal, qui pour-
rait être utilisé à des doses de 1000 mg par jour,
réparties en deux ou trois prises, bien que ce soit
un inhibiteur sélectif de la COX-15,9. Lors de la
première ingestion, il importe que le patient soit
sous supervision médicale pendant trois heures
minimum, dans le cas où une réaction allergi-
que se produirait. À cet effet, il est important de
rappeler que certains patients très sensibles ne
toléreront pas les faibles inhibiteurs de la COX-
19. D'ailleurs, la monographie du produit ne
recommande pas l’administration du diflunisal
chez les patients souffrant d’AIA et rapporte
même des cas de réactions anaphylactiques13.
Le lecteur peut consulter à titre informatif le
tableau II qui répertorie les inhibiteurs de la
COX-I considérés comme relativement sécuri-
taires chez les patients asthmatiques présen-
tant une sensibilité aux AINS et à l’AAS.
Traitement de l’AIA
La rhinosinusite chronique
Les antihistaminiques ainsi que les déconges-
tionnants nasaux font partie des options de
traitement de la rhinosinusite chronique. Ils
sont toutefois utilisés transitoirement vu leur
efficacité de courte durée. Quant aux corticosté-
roïdes nasaux, ils constituent un traitement de
maintien de première ligne puisqu’ils s’avèrent
efficaces pour soulager les symptômes de RSC
chez la plupart des patients souffrant d’AIA2,11.
Ils contribueraient également à prévenir la
croissance des PN à la suite d’une chirurgie.
Cependant, dans le cas où une réduction rapide
de la taille des PN est souhaitable, les cortico-
stéroïdes oraux seront privilégiés en traitement
intensif de quelques jours11.
Les antagonistes des récepteurs des leuco-
triènes (ARLT) pourraient apporter des bénéfices
chez certains patients, en association avec les
corticostéroïdes nasaux. En effet, quelques étu-
des rapportent que les ARLT, comme le montélu-
kast (SingulairMD), entraîneraient une améliora-
tion suffisante des PN et de la RSC pour éviter le
recours à la chirurgie2,11. Selon une récente
étude, le montélukast permettrait de réduire les
symptômes nasaux et pulmonaires, et d’amélio-
rer le débit respiratoire au niveau des bronches
et des voies nasales chez les patients souffrant
d’asthme et de PN, avec ou sans intolérance à
l’AAS. Cette amélioration serait notamment due
à sa capacité de maîtriser l’inflammation dans
la PN et de diminuer l’accroissement des poly-
pes nasaux. De plus, il diminuerait le nombre
d’éosinophiles et de médiateurs de l’inflamma-
tion, tels que les leucotriènes, et réduirait la
migration des cellules vers les voies nasales.
Son effet optimal apparaîtrait après six semai-
nes de traitement14.
Enfin, l’omalizumab (XolairMD) pourrait être
utilisé lors de RSC réfractaires et de PN récur-
rentes. Il s’agit des dernières indications non
officielles du produit. En effet, l’omalizumab,
anticorps monoclonal humanisé recombinant
anti-immunoglobulines E (IgE), est habituelle-
Figure provenant de : Szczeklik A et Sanak M. The broken balance in aspirin hypersensitivity.
Review. European Journal of Pharmacology 2006; 533: 145–55.
Figure 2
Sinus paranasaux
À gauche : patient en santé. À droite : opacification totale chez un patient atteint
d’asthme induit par l’AAS.
Figure traduite de : Szczeklik A et Sanak M. The broken balance in aspirin hypersensitivity.
Review. European Journal of Pharmacology 2006; 533: 145–55.
Figure 3
Évolution naturelle de l’asthme induit par l’AAS
Rhinite Rhinosinusite et Asthme Intolérance
polypes nasaux à l’AAS
30 32 32 35
Temps (âge)