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Sociétal
N° 40
2etrimestre
2003
LE CAPITALISME RHÉNAN N’EST PAS MORT
s’agit de laisser plus de place et de
liberté aux accords d’entreprise,
voire à des clauses d’exception, pra-
tique déjà largement suivie dans les
Länder de l’Est.
Comme les autres pays européens,
l’Allemagne s’est engagée dans la
réforme de ses marchés de biens,
de services et de capitaux, pré-
voyant notamment l’ouverture à
la concurrence des services publics
en réseau. Si l’on excepte l’Irlande
et le Royaume-Uni, les réglemen-
tations des marchés de biens sont
plutôt moins lourdes que dans la
plupart des pays européens. Il reste
tout de même beaucoup à faire,
notamment pour les petites et
moyennes entreprises qui souffrent
de la bureaucratie.
Autre champ de réformes : la fis -
calité et la sécurité sociale. Le
gouvernement Schröder avait com-
mencé à baisser les prélèvements
pesant sur le travail. Grâce aux
recettes fournies par l’écotaxe sur
la consommation d’énergie, les coti-
sations de retraite avaient été
réduites, et une réforme fiscale en
trois étapes devait alléger la fisca-
lité de 32 milliards d’euros jusqu’en
2005. Tout cela a été interrompu
par la récession, qui creuse dange-
reusement les déficits publics.
L’Allemagne est ainsi renvoyée à
un problème de fond : l’allègement
des prélèvements fiscaux et sociaux
ne sera possible qu’en contrepar-
tie d’une réduction des dépenses
publiques (48,6 % du PIB allemand).
Les prestations sociales sont, elles
aussi, concernées au premier chef.
Après avoir eu le courage de s’at-
taquer à l’assurance vieillesse, en
annonçant clairement que des
efforts individuels d’épargne devront
demain compléter le système de
retraite par répartition, le gouver-
nement Schröder devra réformer
profondément l’assurance maladie.
Pour endiguer la hausse des coti-
sations pesant sur les coûts du tra-
vail, les prestations santé devront
être révisées et des efforts indivi-
duels consentis sous forme d’assu-
rances maladie complémentaires.
LE RETARD
DANS L’« ÉCONOMIE
DU SAVOIR »
– Une insuffisante préparation de l’ave-
nir. L’Allemagne découvre que son
système scolaire, dont elle fut
longtemps si fière, pose de graves
problèmes. L’étude d’évaluation
internationale « Pisa » de l’OCDE
a crûment mis le doigt sur ses
défaillances, renvoyant aux dépenses
insuffisantes que le pays consacre à
l’enseignement (4,4 % du PIB contre
6,1 % en France), mais aussi au fonc-
tionnement de l’école, aux pro-
grammes et aux méthodes.
La capacité d’innovation est égale-
ment en cause. Le dernier rapport
du ministère de la Recherche trai-
tant de la compétitivité technolo-
gique de l’Allemagne montre que
la situation est globalement bonne,
mais que la dynamique du change-
ment est insuffisante par rapport
aux pays voisins. Quand il s’agit des
secteurs et des structures actuelles,
le pays reste bien placé ; il est
en bien moins bonne position pour
les investissements d’avenir3. Ce
constat est corroboré par le der-
nier classement du World Economic
Forum, qui place l’Allemagne en qua-
trième position (sur 80) pour la
compétitivité actuelle, mais au qua-
torzième rang seulement pour son
potentiel d’avenir.
On sait bien depuis longtemps que
l’économie allemande repose sur
des bases industrielles solides mais
trop traditionnelles. Elle a donc du
mal à profiter des nouveaux poten-
tiels de croissance, en s’engageant
davantage dans une économie de
services, et surtout dans l’« écono-
mie du savoir », faiblesse qu’elle par-
tage avec d’autres pays européens,
notamment la France4.
Presque tout le monde s’accorde
sur la nécessité de faire bouger, non
seulement l’économie, mais l’en-
semble de la société allemande. Les
choses se compliquent quand il faut
passer à l’action. De fait, ce n’est pas
faute d’analyses qu’on a reculé depuis
dix ans devant des choix difficiles.
On peut toujours invoquer un
manque de courage politique, mais,
au-delà de cette explication facile,
existent d’autres facteurs plus pro-
fonds.
Le capitalisme rhénan est mis en
cause parce que son fonction -
nement, trop lourd et trop coûteux,
aurait mené l’économie dans l’im-
passe. Le salut serait dans l’adop-
tion des recettes libérales en usage
aux Etats-Unis. Pour beaucoup, le
mo dèle rhénan est de toutes façons
condamné par la mondialisation et
la montée en puissance du capita-
lisme anglo-saxon, qui finira par
imposer ses normes. L’Allemagne
doit-elle donc changer de capita-
lisme ?
Avant de répondre à cette question,
qui agite beaucoup les médias dans
la République fédérale, il faut ten-
ter de préciser le sens des mots. Le
« modèle rhénan » forme un tout,
qu’on ne peut pas réduire à des
aspects importants, mais limités,
comme la gouvernance de l’entre-
prise ou le rôle des banques, souli-
gnés notamment par Michel Albert.
Le modèle rhénan a des caracté -
ristiques à la fois économiques
(compétitivité, fonctionnement
« organisé » des marchés, entreprise
partenariale), sociales (capacité
à gérer les conflits d’intérêts par
la négociation, rôle régulateur des
conventions collectives) et poli-
tiques (philosophie et organisation
de l’Etat fondées sur la subsidiarité,
le fédéralisme coopératif, la prise
en compte organisée des intérêts,
une culture politique fondamenta-
lement centriste).
3Voir Bericht über
die technologische
Wettbewerbsfähigkeit
Deutschlands, 2002,
Bonn,
Bundesministerium
für Bildung und
Wissenschaft
(www.bmbf.de).
4Voir les données
comparatives dans
le rapport du
Commissariat
général du Plan :
La France dans
l’économie du savoir :
pour une dynamique
collective, Paris, La
Docu mentation
française, 2002.