Intégration financière et diversification internationale des portefeuilles Mohamed El Hedi Arouri (*) Markowitz formalise le problème du choix de l’investisseur en supposant que celui-ci optimise ses placements en tenant compte non seulement de la rentabilité espérée de son portefeuille mais aussi de son risque mesuré par la variance de sa rentabilité. Cette théorie de portefeuille nous enseigne que le risque non systématique peut être éliminé en diversifiant. Un portefeuille d’actions offre un couple rentabilité-risque meilleur qu’un titre individuel. En effet, contrairement à la rentabilité anticipée du portefeuille qui est par définition égale à la moyenne pondérée des rentabilités anticipées des différents titres qui y sont introduits, la variance (le risque) du portefeuille est inférieure à la somme pondérés des variances (des risques) des titres pris individuellement. Une corrélation faible entre les titres individuels aboutit à un meilleur rapport rentabilité-risque. Au niveau international, de nombreux travaux empiriques pionniers ont montré que la diversification internationale réduit davantage le risque qu’un portefeuille purement domestique. En effet, aussi longtemps que les marchés financiers sont affectés par des facteurs spécifiques de risque, les corrélations entre ces marchés sont relativement faibles et les gains attendus des stratégies de diversification internationale sont importants. Par exemple, Solnik (1974) montre que si la diversification purement domestique permet, en moyenne, de réduire le risque d’un portefeuille à 27% (100% correspond au risque moyen de détention d’un titre individuel américain), la diversification internationale réduit ce risque à 11,7%. Cependant, l’engouement récent pour la diversification internationale pourrait peut-être tendre à devenir un peu moins fort. En effet, dans les dernières années les marchés financiers ont connu de nombreuses réformes dont l’objectif principal était d’aller vers une plus grande ouverture. Cette libéralisation se caractérisait, notamment, par la levée progressive de différentes restrictions aux mouvements internationaux de capitaux. Ces réformes ont conduit à des changements majeurs de l’environnement financier et amorcé le processus d’intégration des marchés de capitaux. En conséquence, les corrélations entre les marchés financiers auraient augmenté dans les dernières années, ce qui aurait réduit l’intérêt de la diversification internationale de portefeuilles. Ce raisonnement est souvent exposé dans la presse financière. Cependant, il n’y a pas de modèle théorique prédisant clairement ce résultat. De nombreux auteurs estiment que l’effet contraire peut également se produire. D’où la question : quel est l’impact de l’évolution du degré d’intégration financière sur les gains attendus de la diversification internationale des portefeuilles ? Dans la littérature financière internationale, de nombreux travaux se sont intéressés à l’étude de l’intégration des marchés financiers nationaux mais, malheureusement, rares sont les travaux qui ont étudié l’impact de cette intégration des marchés financiers nationaux sur les bénéfices attendus des stratégies de diversification internationale des portefeuilles. Par (*) MODEM, Université Paris X-Nanterre E-mail : [email protected] Économie et Prévision n°168 2005-2 115 ailleurs, les quelques travaux ayant étudié la dynamique des gains attendus de la diversification internationale en fonction du niveau d’intégration des marchés nationaux se sont, le plus souvent, limités au cas de l’investisseur américain. Les résultats de ces travaux ne permettent pas de tirer de conclusions définitives. Dans cet article, nous développons une extension asymétrique du modèle GARCH multivarié proposé initialement par De Santis et Gérard (1997) et testons une version conditionnelle du Modèle international d’évaluation des actifs financiers (MEDAFI). Cette approche permet, notamment, aux primes de risque et aux corrélations de varier dans le temps et de réagir différemment selon la nature de choc qui les affecte. Ensuite, nous dérivons une mesure conditionnelle des gains attendus de la diversification internationale des portefeuilles et étudions l’impact de l’intégration financière sur ces gains. Selon cette mesure, les gains que l’on peut attendre de la diversification internationale sont fonction croissante du prix du risque du marché mondial et de la quantité du risque spécifique au pays considéré. En revanche, ces gains sont fonction décroissante des corrélations conditionnelles avec le portefeuille de marché mondial. L’étude empirique porte sur les marchés boursiers des pays du G7 plus le marché mondial et couvre la période février 1970 – mai 2003. Les résultats de cette étude montrent la supériorité des modèles GARCH multivariés asymétriques sur les modèles symétriques. En outre, nos résultats soutiennent l’hypothèse d’intégration financière des marchés boursiers étudiés. Nous trouvons aussi qu’excepté pour la France et le Royaume-Uni, les corrélations conditionnelles entre les marchés nationaux et le marché mondial n’ont augmenté que très légèrement dans les dernières années en réponse aux mouvements de libéralisation et de déréglementation entrepris par les différents gouvernements à partir des années quatre-vingt d’un côté et aux innovations technologiques et financières de l’autre côté. Pour la France et le Royaume-Uni, l’augmentation des corrélations conditionnelles est beaucoup plus marquée notamment dans les années quatre-vingt-dix. Quant au prix du risque mondial, il se réduit durant les années quatre-vingt-dix pour s’accroître rapidement à partir de 2001 et traduire ainsi l’incertitude que traversent les marchés financiers dans les dernières années. L’étude de la dynamique des gains de la diversification internationale montre que ces gains sont statistiquement et économiquement significatifs pour tous les marchés mais qu’ils varient considérablement dans le temps et dans l’espace. En particulier, nous trouvons qu’excepté pour la France et le Royaume-Uni, les gains attendus de la diversification internationale des portefeuilles ne présentent qu’une très légère tendance à la baisse. Plus intéressant, pour tous les marchés étudiés, ces gains sont redevenus, dans les dernières années, supérieurs à leur moyennes calculées sur la période entière. Pour conclure, cet article montre que l’intégration des marchés financiers nationaux n’a pas réduit significativement l’intérêt de la diversification internationale des portefeuilles. Néanmoins, l’observation des portefeuilles des investisseurs montre une forte préférence pour les titres nationaux. En d’autres termes, la comparaison des parts théoriques et des parts observées d’actifs étrangers fait apparaître une forte préférence pour les titres domestiques, i.e. un biais domestique. L’énigme du biais domestique a suscité plusieurs explications. Une analyse critique de ces explications montre qu’aucune d’entre elles ne semble pouvoir expliquer le niveau actuel du manque de diversification internationale des portefeuilles. En particulier, les résultats des explications institutionnelles sont clairement insuffisants. Le risque de change et les explications comportementales du biais local suscitent plus d’approfondissement. 116