2) D’autres personnes n’ont pas conscience de l’aspect protecteur de ce trouble,
considérant la compulsion comme une partie noire d’elle-même, quasi démoniaque qui
les posséde. Ces personnes n’établissent pas de lien entre prise alimentaire et difficulté à
contrôler leur vie émotionnelle. Plus rigoureuses, sévères avec elles-mêmes, elles ne
s’autorisent que peu de plaisir, d’où la perte de contrôle alimentaire, recherche d’un
moment anesthésiant et… agréable.
3) On trouve également des cas d’hyperphagie chez des mères de famille de 45, 50 ans
dont les enfants ont quitté le giron familial. La mari est absent, elles vivent peu en tant
que femme : ayant perdu leur unique statut, celui de mère dans lequel elles s’étaient
fortement investies, elles comblent le vide avec un plaisir personnel, alimentaire.
Contrôle, anesthésie, plaisir, compensation, le trouble alimentaire trouve donc sa place
en apportant une stratégie d’adaptation à un système et un mode de vie émotionnels
inadaptés au bien-être.
Petit panorama psychologique
Contrairement aux personnes souffrant de boulimie et a fortiori à celles souffrant
d’anorexie, les personnes qui consultent pour hyperphagie sont assez souvent disponibles
et souriantes. Elles maintiennent une distance relationnelle assez importante. Cette
distance de sécurité, révélatrice d’une insécurité relationnelle est importante. On peut
d’ailleurs se demander si le poids ne constitue pas, spatialement, une sorte d’ »air bag »
relationnel. Le yoyo effectué lors des tentatives de régime témoigne d’ailleurs de cette
zone de sécurité subjective, en rapport avec le poids : la personne ne peut perdre de
poids au-delà ce seuil sous peine d’être fragilisée, en danger. On voit là la difficulté de
traitement de ce type de difficulté : le problème (être en surpoids) est également une
solution (se protéger, se faire plaisir…).
Là où il y avait « acorporalité » dans l’anorexie, on peut parler ici plutôt d’atténuation :
les vètements sont souvent amples, asexués, sans recherche particulière sauf d’être
dissimulé. Cette atténuation, sorte d’auto-censure, est également présente dans les
échanges ou tout est modéré, positif comme négatif, agréable ou désagréable.
Un contexte familial de dévalorisation (personnelle ou en comparaison vec un autre
membre de la famille), climat douloureux, est fréquemment à l’origine de ces
mécanismes. Si elles ont vécu des brimades, vexations, entre autres au sujet du poids,
ces personnes dégagent plutôt de la tristesse de ce sentiment d’injustice, non de la
colère. Un état dépressif est d’ailleurs assez souvent concomitant.
C’est un peu ici le cas du bouc émissaire, qui développe une énergie considérable pour
obtenir la reconnaissance et en faisant cela s’oublie, s’efface complètement en tant
qu’individu : loyauté, hyperempathie, docilité voire compromission... Mais rien n’apporte
ce qui est attendu. Ceci crée une atmosphère chronique d’insatisfaction, d’auto-
dévalorisation et de tristesse.
La personne hyperphage est souvent le « paratonnerre » de la famille, endossant les
insatisfactions parentales, établissant fréquemment un lien très fort avec la maman.
Cette relation la rend dépendante d’une reconnaissance qui n’arrive pas.
Ces éléments génèrent une basse estime de soi, sentiment de ne pas être capable, de ne
pas être à la hauteur. Alors à quoi bon ? Autant manger.