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Mise au point clinique
La fibrillation auriculaire
Tableau clinique et prise en charge des patients ambulatoires
Michael D. Ezekowitz, MBChB, DPhil, FRCP ; Timothy H. Aikens, BA ;
Rangadham Nagarakanti, MD ; Timothy Shapiro, MD
Cas cliniqueUn homme blanc de 68 ans se présente
en consultation de cardiologie pour une légère asthénie.
Le premier élément relevé est une irrégularité du pouls
nouvellement apparue. La présence dune fibrillation
auriculaire est confirmée par lECG à douze dérivations. Le
patient ne présente aucun autre symptôme. Quatre mois
plus tôt, un stent à libération de médicament lui avait été
posé pour traiter une petite lésion de la portion proximale
de lartère interventriculaire antérieure. Les antécédents
médicaux comprennent une hypertension artérielle, une
hyperlipidémie et un diabète non insulinodépendant.
La première étape consiste à déterminer si le patient est
en situation hémodynamique stable et sil y a lieu de
lhospitaliser pour rechercher une éventuelle pathologie
associée. Sa pression artérielle est normale (125/80 mmHg) et
il présente un rythme cardiaque irrégulier (72 battements/min)
mais bien contrôlé par la prise quotidienne de 50 mg
daténolol. Il nexiste aucune anomalie électrocardio-
graphique en dehors de la fibrillation auriculaire, ce qui
est en faveur dun processus aigu. Lauscultation objective
un court souffle systolique dintensité 1/6 à lapex, sans
irradiation. Il nexiste aucun signe dinsuffisance cardiaque.
Lexamen neurologique est normal. Le patient prend
quotidiennement 50 mg daténolol, 5 mg de lisinopril, de
la metformine, 20 mg datorvastatine, 325 mg daspirine et
75 mg de clopidogrel. Lhospitalisation ne simpose pas dans
limmédiat.
La prise en charge va viser à éliminer une éventuelle cause
réversible de fibrillation auriculaire, à maintenir la fréquence
cardiaque de repos et deffort dans les limites physiologiques,
à envisager la restauration du rythme sinusal et à définir les
mesures à mettre en œuvre pour prévenir la survenue dun
accident vasculaire cérébral (AVC).
Causes réversibles de fibrillation auriculaire
Pour la commodité, les causes réversibles de fibrillation
auriculaire sont séparées en causes cardiaques et extra-
cardiaques. Chez ce patient, ces dernières (déséquilibre
électrolytique, hyperthyroïdie, fièvre liée à une quelconque
origine [notamment une pneumopathie], prise de médica-
ments ou de drogues à usage récréatif et consommation
dalcool) sont écartées au vu des antécédents, des résultats
de lexamen physique et de ceux du bilan sanguin standard
(tests fonctionnels thyroïdiens, ionogramme sanguin et
dosages toxicologiques sériques et urinaires).
Les causes cardiaques de fibrillation auriculaire sont
représentées par tout processus modifiant les caractéristiques
structurales et/ou fonctionnelles du cœur. L’échocardio-
graphie transthoracique pratiquée chez le patient révèle une
hypertrophie ventriculaire gauche modérée avec toutefois une
fonction systolique ventriculaire gauche normale, une absence
de valvulopathie cardiaque, une oreillette gauche normale et
une absence d’épanchement péricardique. L’éventualité dun
événement ischémique aigu apparaît improbable compte tenu
de labsence de signe électrocardiographique dischémie,
de trouble segmentaire de la mobilité pariétale à l’échocardio-
graphie et de symptômes ischémiques.
Régularisation de la fréquence cardiaque
Le rétablissement dun rythme cardiaque normal, au repos
comme à leffort, est l’élément clé de la prise en charge des
patients atteints de fibrillation auriculaire. Dans le cas qui
nous occupe, le patient recevait un bêtabloquant pour traiter
sa maladie coronaire et son hypertension artérielle. Sa
fréquence cardiaque à ladmission était acceptable. Actuelle-
ment, les avis sont partagés quant à la question de savoir sil y
a lieu de privilégier la régularisation stricte de la fréquence
cardiaque de repos et deffort par rapport à une attitude plus
souple. Selon une récente étude, cette dernière approche serait
acceptable.1 Les médicaments pouvant être utilisés en vue de
maintenir la fréquence cardiaque dun patient dans les limites
physiologiques comprennent les bêtabloquants, les inhibiteurs
calciques tels que le diltiazem et le vérapamil ainsi que la
digoxine. Les bêtabloquants sont particulièrement utiles
lorsque la fibrillation auriculaire est associée à une maladie
coronaire ou à une ischémie myocardique. Les inhibiteurs
calciques sont efficaces pour régulariser le rythme cardiaque à
court et long termes, mais doivent être évités chez les patients
atteints dinsuffisance cardiaque systolique en raison de leur
effet inotrope négatif. La digoxine peut être intéressante en
association avec un bêtabloquant chez les patients insuffisants
cardiaques. Dans le cas présent, un bêtabloquant est recom-
mandé compte tenu de la coexistence dune maladie coronaire
et dune hypertension artérielle.
Institut Lankenau de Recherche Médicale, Wynnewood, Pennsylvanie, Etats-Unis (M.D.E., T.H.A., T.S.) ; et Faculté de Médecine de lUniversité dEtat
de la Louisiane, Nouvelle-Orléans, Louisiane, Etats-Unis (R.N.).
Correspondance : Michael D. Ezekowitz, MBChB, DPhil, FRCP, Lankenau Institute for Medical Research, 100 Lancaster Ave, Suite G36, Wynnewood,
PA 19096. E-mail: ezekowitzm@mlhs.org
(Traduit de langlais : Atrial Fibrillation. Outpatient Presentation and Management. Circulation. 2011;124:9599.)
© 2012 American Heart Association, Inc.
Circulation est disponible sur http://circ.ahajournals.org
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Tableau 1. Etudes ayant comparé le ralentissement de la fréquence cardiaque versus la restauration du rythme sinusal
Cardioversion
Les essais randomisés menés pour comparer le ralentissement
de la fréquence cardiaque à la cardioversion nont objectivé
aucune supériorité de lune ou lautre de ces stratégies de
prise en charge en termes damélioration de la mortalité
(Tableau 1).27 Il semble néanmoins que le rétablissement
précoce du rythme sinusal contribue à réduire fortement
le remodelage de loreillette gauche, tant mécanique
qu’électrique.8 Les autres indications de la cardioversion sont
déterminées par la présence de symptômes chez le patient.
Habituellement, le maintien à long terme du succès de la
cardioversion réclame la prescription concomitante dun
antiarythmique.9 Lorsquun patient présente une récidive de
fibrillation auriculaire symptomatique que lon a tenté sans
succès de réduire par ladministration dun antiarythmique,
il y a lieu denvisager un traitement ablatif par cathéter. La
technique la plus fréquemment employée à lheure actuelle
consiste à supprimer les zones gâchettes en isolant les veines
pulmonaires de loreillette gauche par la réalisation de lésions
linéaires ou circulaires. Dans le cas qui nous occupe, le patient
présente un état hémodynamique stable, de sorte que la
mise en œuvre dune cardioversion par choc électrique
externe est différée (dans l’éventualité où le rythme sinusal se
rétablirait spontanément) sans pour autant être définitive-
ment exclue. La recommandation actuelle est dinstaurer une
anticoagulation thérapeutique au moins 3 semaines avant la
cardioversion et de la poursuivre pendant un minimum de 4
semaines une fois celle-ci pratiquée. La sous-analyse sur les
cardioversions effectuée dans le cadre de l’étude RE-LY a
montré quil est raisonnablement envisageable de remplacer la
warfarine par le dabigatran pour prévenir le risque dAVC
chez les patients relevant dune cardioversion.10
Prévention des accidents vasculaires cérébraux
La principale complication de la fibrillation auriculaire est
lAVC. L approche pharmacologique essentielle pour prévenir
la survenue dun tel événement est lanticoagulation. La
décision dinstaurer un traitement anticoagulant implique
toutefois de mettre en balance la prévention de lAVC et
le risque hémorragique. Des algorithmes de stratification du
risque sont disponibles à cette fin (Tableau 2). Le premier
dentre eux a été élaboré en 1995 par le groupe des Atrial
Fibrillation Investigators.11 Ces derniers ont conçu un système
de cotation du risque toujours utilisé, quils ont désigné par
lacronyme CHADS2 (linsuffisance cardiaque congestive [C],
lhypertension artérielle [H], l’âge égal ou supérieur à 75 ans
[A] et le diabète [D] comptent chacun pour 1 point ; les
antécédents dAVC ou daccident ischémique transitoire
[AIT] comptent pour 2 points [S2]).12 Chez les patients dont
le score CHADS2 est égal ou supérieur à 2, un traitement
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anticoagulant oral au long cours est recommandé sil nexiste
pas de contre-indication, en veillant à maintenir le rapport
normalisé international entre 2 et 3. Cela étant, même lorsque
le score CHADS2 est de 1 (traduisant un risque modéré),
un traitement anticoagulant oral à long terme demeure
préférable à ladministration daspirine, lincidence des
épisodes hémorragiques graves étant souvent plus faible. Plus
récemment, les Européens ont élaboré un score de risque plus
étoffé spécifiquement destiné au sujet âgé, le score vasculaire
CHA2DS2, dans lequel l’âge supérieur à 65 ans, le sexe féminin
et la présence dune affection vasculaire (artériopathie
périphérique, plaque aortique ou infarctus du myocarde)
sont cotés 1 point chacun, alors que l’âge supérieur à 75 ans
compte pour 2 points.13 Ce système de cotation est cumulatif,
un score de 2 ou plus justifiant linstauration dun traitement
anticoagulant oral à long terme. Ces recommandations
Tableau 2. Modèles de stratification du risque daccident
vasculaire cérébral lié à la présence dune fibrillation
auriculaire
européennes avalisent la notion selon laquelle le risque dAVC
réalise un continuum, minimisant par là même limportance
jusqualors accordée à la classification en risques faible,
modéré et élevé.
La place privilégiée accordée à la warfarine dans le traite-
ment anticoagulant est aujourdhui remise en question. Les
progrès les plus marquants ont été accomplis dans le domaine
des inhibiteurs directs de la thrombine. Le ximélagatran a fait
la preuve de sa non-infériorité par rapport à la warfarine dans
la prévention des AVC, mais na pas reçu dautorisation
de mise sur le marché en raison de son hépatotoxicité.14,15
Dans lessai RE-LY (Randomized Evaluation of Long-term
anticoagulation therapY [évaluation randomisée du traite-
ment anticoagulant au long cours]),16 ladministration de
dabigatran, un autre inhibiteur direct de la thrombine, à la
posologie de 150 mg deux fois par jour sest avérée supérieure
au traitement par la warfarine pour prévenir la survenue
dAVC chez les patients exposés à ce risque du fait
de lexistence dune fibrillation auriculaire.17 Il a également
été noté une tendance à la diminution de lincidence
des hémorragies graves comparativement à celle relevée
sous warfarine. Dans le groupe traité par deux prises
journalières de 150 mg de dabigatran, le taux dhémorragies
intracrâniennes a été abaissé de 60 % comparativement à
celui enregistré sous warfarine. Toutefois, lincidence des
symptômes digestifs ayant conduit à interrompre le traitement
a été de 2,1 % dans le groupe traité par le dabigatran à raison
de 150 mg deux fois par jour, contre seulement 0,6 % dans
le groupe ayant reçu de la warfarine. Les taux dinfarctus
du myocarde ont été faibles dans les deux groupes, mais
lincidence de cet événement a été légèrement plus élevée sous
dabigatran que sous warfarine. Les hémorragies digestives
graves ont été plus fréquentes dans le groupe traité par le
dabigatran que dans celui ayant reçu de la warfarine (1,5 %
contre 1,1 %). Ladministration de dabigatran induit une
anticoagulation complète dans les heures qui suivent la prise.
Le médicament est efficace pour prévenir le risque dAVC chez
les patients en fibrillation auriculaire, que ces derniers aient
été ou non précédemment exposés à la warfarine.18 La Food
and Drug Administration des Etats-Unis a récemment
autorisé lutilisation clinique du dabigatran à la posologie de
150 mg deux fois par jour chez les patients dont la clairance
de la créatinine excède 30 ml/min et à raison de 75 mg deux
fois par jour chez ceux ayant une clairance de la créatinine
comprise entre 15 et 30 ml/min. Plusieurs nouveaux anti-
coagulants oraux ont dores et déjà achevé leur cycle
d’évaluation ou sont en cours dexpérimentation dans des
essais de phase III (Tableau 3).1924
Le patient dont il est ici question est hypertendu et
diabétique, ce qui lui a fait attribuer un score CHADS2 de 2 et
un score CHAD2S2 vasculaire de 4 puisque son âge supérieur
à 65 ans et sa maladie coronaire comptent chacun pour un
point supplémentaire. Le patient ne présente aucune contre-
indication à ladministration dun traitement anticoagulant et
sa clairance de la créatinine est de 70 ml/min. Il lui est donc
prescrit du dabigatran à la posologie de 150 mg deux fois par
jour. Le patient demeure en fibrillation auriculaire, avec une
fréquence cardiaque denviron 70 battements/min.
Ezekowitz et al Prise en charge de la FA 89
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Tableau 3. Nouveaux anticoagulants oraux
Pour restaurer le rythme sinusal, il est envisageable dutiliser
la dronédarone, lamiodarone, ou le dofétilide (Tableau 4).
Le flécaïnide et la propafénone sont contre-indiqués chez
ce patient en raison de ses antécédents coronariens et du
potentiel arythmogène de ces médicaments. Le sotalol ne peut
être instauré que dans le cadre dune hospitalisation, de sorte
que lamiodarone et la dronédarone demeurent les deux seules
options possibles. La dronédarone est un antiarythmique
nouvellement apparu sur le marché, qui est métabolisé
par le foie et répond au même mécanisme daction que lamio-
darone, mais se distingue de celle-ci par sa demi-vie plus
courte (de lordre de 24 heures) et par son accumulation
tissulaire plus faible.25 Le médicament est contre-indiqué en
cas de préexistence dune insuffisance cardiaque sévère. Le
patient est finalement placé sous dronédarone. Celle-ci a
toutefois pour effet d’élever le taux sérique de dabigatran à un
niveau 1,7 à 2 fois supérieur.
La dose daspirine prescrite au patient est abaissée à 81 mg,
le clopidogrel étant par ailleurs poursuivi en raison de la
présence du stent à libération de médicament. Si le stent
posé avait été en métal nu, il eût été raisonnable darrêter le
clopidogrel à linstauration de la warfarine ou du dabigatran,
car la bithérapie antiagrégante plaquettaire augmente le
risque hémorragique.2631
Dix jours plus tard, le patient est toujours asymptomatique.
Il présente davantage dhématomes, mais aucun épisode
hémorragique na été constaté. Une cardioversion par choc
électrique externe est programmée à trois semaines. La
dronédarone est poursuivie. Trois semaines plus tard, le
patient demeure en fibrillation auriculaire. La cardioversion
est entreprise avec succès, sans pratiquer d’échocardiographie
transœsophagienne.10 Le dabigatran est maintenu pendant
lintervention et poursuivi pendant une durée indéfinie après
cette dernière. Aucune complication nest enregistrée. Un
mois plus tard, le patient est toujours en rythme sinusal.
Il sera maintenu sous dronédarone.
Remerciements
Nous remercions chaleureusement le Dr Aaron Liu pour laide
apportée à la rédaction du présent manuscrit.
Déclarations
Le Dr Ezekowitz a été rémunéré en qualité de consultant et de con-
férencier par ARYx Therapeutics, Boehringer Ingelheim, Daiichi
Sankyo et Portola, ces sociétés ayant, en outre, subventionné ses
travaux ; il a également été rémunéré en qualité de consultant par
AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Medtronic, Pfizer et Sanofi-
Aventis. Le Dr Nagarakanti a été rémunéré en qualité de conférencier
par Boehringer Ingelheim Pharmaceuticals. Veuillez modifier comme
il convient. Les autres auteurs nont aucun conflit dintérêts à signaler.
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Tableau 4. Options en matière dantiarythmiques
Références
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Schron EB, Kellen JC, Greene HL, Mickel MC, Dalquist JE, Corley SD;
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Atrial Fibrillation Study Group. A comparison of rate control and
rhythm control in patients with recurrent persistent atrial fibrillation.
N Engl J Med. 2002;347:18341840.
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2003;41:16901696.
Ezekowitz et al Prise en charge de la FA 91
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