Médecine de ville : chronique d`une crise annoncée

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Sociétal
N° 36
2etrimestre
2002
S
Médecine de ville :
chronique d’une crise
annoncée
JEAN DE KERVASDOUÉ*
Si les médecins de ville traversent une
crise, ce n’est pas seulement parce que leur
profession les place en première ligne face aux
bouleversements de la société. C’est aussi parce
que les principes qui gouvernent l’exercice de
leur tier datent d’une autre époque et sont
largement inadaptés ; parce que l’Etat n’a
jamais voulu ou osé ouvrir avec eux un véritable
dialogue ; enfin, parce que les progrès de la
connaissance et les nouveaux besoins sanitaires
imposent une refonte compte de leur mode
de fonctionnement.
D O S S I E R
SANTÉ : QUELLES RÉFORMES ?
Il y a vingt ans apparaissaient les
premiers signes de la crise que
traverse aujourd'hui la médecine
de ville. Si les revendications étaient
et restent financières, le malaise
est maintenant plus essentiel
puisqu'il porte sur une nouvelle
définition du rôle des praticiens
dans la société.
Le médecin demeure le recours et
le conseil, de plus en plus efficace,
de la personne malade, mais,
aujourd'hui plus qu'hier, il prend
aussi en charge, et souvent seul,
les manifestations individuelles
du mal-être social : suicides, acci-
dents, usage de toxiques licites
ou illicites. On lui demande des
remèdes à des dysfonctionnements
sociaux dont il est par ailleurs
une des premières victimes. Le
médecin se déplace encore dans
des quartiers la police ne va
plus et visite le plus reculé des
hameaux qui, depuis des lustres,
n'a plus ru de responsable
politique, même en campagne
électorale. Il est harcelé par le
patient-client-consommateur,
devenu d'autant plus agressif
que la consultation est gratuite
et qu'il semble ne néficier que
de droits, sans la contrepartie des
devoirs les plus élémentaires, à
commencer par celui de venir au
rendez-vous qu'il a lui me
exigé.
Les médecins sont en première
ligne des bouleversements de nos
sociétés, mais leur malaise, leur in-
adaptation sont d'autant plus pro-
fonds que l'organisation
même de leur métier doit être
repensée, le rôle respectif des
généralistes et des spécialistes
précisé, la place des professions
paramédicales définie, la liberté
de prescription contrainte… En
dépit du dérapage sécuritaire et
de l'inapplicable « principe de
précaution », la responsabili
médicale doit affirmer l'impor-
tance de la notion d'obligation de
moyens – tout en la redéfinissant,
puisqu'il y a, d'une certaine façon,
« trop » de moyens qu'il faudrait,
*Ancien directeur des Hôpitaux au ministère de la Santé, professeur au Cnam
(Conservatoire national des arts et métiers).
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MÉDECINE DE VILLE : CHRONIQUE DUNE CRISE ANNONCÉE
dans l'absolu, mobiliser pour
soigner le malade le plus banal…
La crise de la médecine n'est pas
la seule. S'y ajoute une crise de
l'État et de l'assurance-maladie.
Le paritarisme sans le Medef est
aussi difficile à concevoir qu'un
match de football avec une seule
équipe. Quant à l'État, qui s'est
attribué un pouvoir de plus en
plus étendu dans la gestion du
système de soins, son efficacité
ne semble pas exemplaire, à voir
le dérapage des comptes dans
les secteurs où il exerce
seul la responsabilité.
UN CADRE
ÉLABORÉ
EN 1926
Com me nt co m-
prendre ces crises,
comment y remédier ?
Au cours du XXesiècle,
la société française n'a ritable-
ment débattu qu'une seule fois
avec le corps médical de son
rôle et de ses prérogatives : ce
fut entre 1925 et 1930. Les
« principes de la decine libé-
rale » furent en effet imaginés
en 1926.
Ces principes portent la marque
de l'idéologie des grands médecins
parisiens, à l'époque les seuls à
être exclusivement payés à l'acte,
les autres praticiens se contentant
de présenter des honoraires an-
nuels, aux alentours de Noël, sous
forme de forfait familial. Ce sont
les grands médecins parisiens
qui refusèrent le principe du
« tarif opposable » de l'acte médi-
cal remboursé par l'assurance-
maladie, pourtant accepté en
1925 par la majorité de leurs
confrères et par le gouvernement.
Les principes de la médecine
« libérale »1seront politiquement
portés durant tout le XXesiècle
par la CSMF (Confédération des
syndicats médicaux français),
créée en 1927. De minoritaire,
cette confédération deviendra
majoritaire et obtiendra, après
une reculade du gouvernement,
des modifications législatives en
1928 et en 1930, dont la plus
importante fut la transformation
du « tarif opposable » en « tarif
de prestation » : au nom de la
liber d'honoraires, les médecins
purent facturer librement, au-delà
de ce que remboursait l'assurance-
maladie.
La profession médicale s'arroge
alors toutes les libertés : liber
de ch oi x, l ib er t é
d'honoraires, liberté
de prescription, liber
d'installation. Elle érige
le paiement à l'acte
en principe quasi reli-
gieux. Elle refuse la
« decine de caisse »
à l'allemande, tout en
obtenant de l'assurance-
maladie que la demande
devienne solvable par l'instaura-
tion du tarif de « prestation » Le
tarif de prestation n’est pas
opposable, autrement dit le
decin peut facturer plus que
ce que rembousera l’assurance-
maladie. Restait à bénéficier
d'une juridiction autonome : ce
fut fait dans les tout premiers
mois du gouvernement de Vichy,
à l'automne 1940.
Au cours des soixante-douze anes
qui se sont écoulées depuis 1930,
il n'y aura eu de tarifs opposables
nationaux et uniques que pendant
moins de neuf années (1971-1980),
jusqu'à la création du secteur 2
par le gouvernement de Raymond
Barre. En outre, dans le système
français, en cas de contrôle par
l'assurance-maladie d'un profes-
sionnel de santé, par exemple
pour la pose d'une prothèse
dentaire, ce n'est pas le dentiste
qui est contrôlé par son confrère,
dentiste-conseil de l'assurance-
maladie, mais le patient. Il n'y a
pas ainsi de contrôle véritable
des pratiques cliniques, chacun
sachant que l'on n'évalue pas les
qualités professionnelles d'un
dentiste en examinant l'une de
ses indications, voire l'une de ses
prothèses.
Il en est de même des médecins.
Le début prometteur des RMO
(références médicales opposables)
en 1993 n'a pas été suivi d'autres
méthodes d'évaluation de la qua-
lité des soins. Et même les RMO,
qui visaient à s'assurer du bien-
fondé de certaines prescriptions
et le firent avec efficacité, ne
sont plus en vigueur.
LE FONCTIONNEMENT
KAFKAÏEN DE L’ETAT
Pourtant, l'inadaptation des
principes négociés il y a un
demi-siècle est criante. Quel sens
peut encore avoir la cotation uni-
forme de l'acte médical, quelle que
soit la durée de la consultation, la
formation et l'âge du médecin ?
Pourquoi, en France, les médecins
de première intervention, et no-
tamment les généralistes, ne
sont-ils toujours pas payés, pour
l'essentiel, au forfait annuel par
malade (paiement à la capitation),
alors que c'est la règle en Europe
et en Amérique du Nord ? Lavan-
tage de ce mode de paiement
est qu’il n’induit pas de consom-
mations d’actes. Il reste un système
libéral puisque, chaque année, ni
plus ni moins souvent que nous le
faisons, par exemple, pour notre
compagnie d’assurance, le patient
choisit son médecin, et c’est ce
choix qui déclenche le paiement
du forfait. Certes, depuis 1998,
il est possible d'honorer ainsi
partiellement en tous cas le
decin « référent », qui reçoit
alors un forfait annuel pour la
tenue du dossier médical de son
patient. Mais ce forfait est limi
(de l'ordre de 38 euros par an),
il a été mal fendu par ses inven-
teurs et largement combattu par
la CSMF.
Pourquoi, cette fois-ci encore,
la refonte de la nomenclature gé-
1 Ils ne sont
aucunement
libéraux au sens
économique
du terme, à
commencer par
la reconnaissance
du monopole
des médecins
dans l’exercice
de la médecine.
Dans le système
français, il n’y a
pas de contrôle
véritable
des pratiques
cliniques.
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nérale des actes professionnels
(NGAP), proposée par le profes-
seur Escat, attend-elle « sur le
bureau du ministre » une éven-
tuelle mise en œuvre ? Cette
question est très importante
pour tous les spécialistes, puis-
qu’elle concerne tous les tarifs
opposables d'un système de prix
administrés, c’est-à-dire la base
me de lagulation économique
de la profession. Or la nomencla-
ture actuelle est ancienne, la
dernière vision majeure datant
de 1972 : elle est donc injuste et
inadaptée. Les contrôles éventuels
sont en conséquence peu légitimes.
Tout cela donne aux profession-
nels du secteur une impression
kafkaïenne du fonctionnement de
l'État. Des groupes se réunissent,
se documentent, innovent, tra-
vaillent sans être ritablement
rémunérés, et proposent par
esprit républicain une nomencla-
ture conforme aux meilleures
pratiques médicales du moment.
Un rapport est rédigé, remis au
ministre. Rien ne se passe, sauf
les semaines et les mois, puis un
nouveau ministre nomme une
nouvelle commission… Le pou-
voir politique, sauf circonstances
exceptionnelles comme en 1996,
manque du plus élémentaire
courage.
On comprend bien que, vu son
impact sur les munérations, la
révision de la nomenclature ne
peut se faire sans remous. Mais
la politique de prix est l'outil
majeur de la régulation : certains
actes comme l'appendicectomie
ne sont pas assez rémunérés,
d'autres le sont trop, toutes pro-
portions gardées. L'absence de
révision a donc des conséquences
économiques immédiates et des
conséquences politiques profondes
et pernicieuses, parce qu'elle ôte
tout fondement à la légitimité du
système de paiement des spécia-
listes. Ce qui, dans l'indifférence
générale, laisse à chacun le soin
de se débrouiller.
QUELLE PLACE POUR
LES GÉNÉRALISTES ?
Depuis 1930, la médecine a
chan de nature : elle est
devenue efficace. Cette efficacité,
nouvelle dans l'histoire de l'huma-
nité, provient des applications de
la recherche scientifique à la pra-
tique de l'art médical, jusqu’alors
bien impuissant, sauf en de très
rares circonstances.
Les premiers succès (les
sulfamides et surtout
les antibiotiques) ont
été suivis par d'autres
découvertes et d'autres
applications. Chaque jour,
de nouvelles publications
font évoluer le savoir
médical et, à terme, la
pratique de la decine.
Chaque mois, 25 000
nouveaux articles dans
des revues « à comité
de lecture » sont publiés.
En moins de trente ans,
l'imagerie médicale a
connu au moins trois
grandes révolutions : le
scanner, la résonance
magnétique nucléaire,
les traitements et re-
constructions d'images
(3D), sans compter
l' éc ho gr aph ie du
« pet-scan ».
Les médecins se spécialisent dans
des champs de compétence de
plus en plus étroits : de fait, il
existe au moins une centaine de
« spécialités », même si les facultés
de médecine n'en reconnaissent
en France que cinquante-six. Quant
aux autres professions de santé,
leur nombre et leur qualification
ne cessent de croître avec les
nouvelles techniques diagnostiques
et thérapeutiques.
Les conséquences de tout cela
pour la pratique de la médecine
sont considérables. Quel est, par
exemple, le rôle du généraliste
cenlire, selon la déontologie en
vigueur, cette vingtaine de milliers
d'articles médicaux, censé connaître
l'effet pharmacologique des 3500
principes actifs qui composent la
pharmacopée allopathique, cen
interpréter les sultats des 850
examens de biologie qu'il peut
aujourd'hui prescrire à ses patients ?
Bien entendu, le généraliste a sa
place dans le système de soins :
c'est celle de guide et de conseil.
Mais c'est aussi, dans certaines
conditions, celle de
prescripteur. Et là, on
sent bien que quelque
chose doit être redéfini.
Le discours politique
concernant les généra-
listes est d'autant plus
décalé que leurs actes
restent, en moyenne,
rémunérés 30 % de
moins que ceux des
spécialistes. Décalé
aussi parce que leur
formation se définit
souvent encore par
défaut : le « cursus
honorum » est toujours
celui du spécialiste.
La gauche n'a pourtant
pas cessé de soutenir,
par le verbe et les
symboles politiques,
les généralistes et leur
syndicat MG France, seul signa-
taire important des dernres
conventions médicales. Elle a
ignoré les spécialistes, considérant
peut-être qu'ils étaient « riches »,
« nantis », souvent « au secteur 2 »,
et surtout qu'ils ne faisaient pas
partie de sa clientèle électorale.
Erreur, car s'il est vrai que, jus-
qu'en 1995, le corps dical était,
dans sa grande majorité, proche
des positions du RPR2, lui-même
proche des positions de la CSMF,
les ordonnances Juppé de 1996
ont bouleversé le paysage poli-
tique de la profession, le corps
médical s'étant estimé trahi par
la droite. La gauche n'en a pas tiré
avantage, faute d'avoir compris
les transformations en cours, faute
aussi d'avoir pu imaginer des ré-
SANTÉ : QUELLES RÉFORMES ?
2En 1995, plus
de 60 % des
médecins ont
voté au premier
tour des
élections
présidentielles
pour le candidat
Chirac.
En février 2002,
le candidat
aux élections
présidentielles
qui venait
en tête des
intentions
de vote des
médecins
était Jean-Pierre
Chevènement
avec 15 %.
Quel est le rôle
du généraliste,
censé lire
chaque mois
une vingtaine
de milliers
d’articles
médicaux,
connaître
l’effet de 3 500
principes actifs,
interpréter les
résultats des
850 examens
qu’il peut
prescrire à
ses patients ?
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MÉDECINE DE VILLE : CHRONIQUE DUNE CRISE ANNONCÉE
ponses politiques s'adressant à
chacun, et pas seulement aux
généralistes.
UNE GESTION
PAR LA GRÈVE
Le plan stratégique de la
CNAMTS (Caisse nationale
d'assurance-maladie des travailleurs
salariés) proposait des réformes
dont l'objectif était d'agir sur
les dépenses d'assurance-maladie
plus que de refonder l'organisation
de la médecine. Le gouvernement
n'a même pas daigné y répondre,
pas plus d'ailleurs qu'il n'a répondu
aux suggestions avancées par les
partenaires sociaux3. Il s'est conten
de réduire les prérogatives des
caisses, qui ne peuvent pas réviser
seules la nomenclature des actes
professionnels et n'ont plus leur
mot à dire que sur une partie des
rémunérations des professionnels
de santé, soit à peine 21 % des
penses de l'assurance-maladie.
Le Medef en a d'autant
plus tiré les leçons que,
pour être bénéficiaire
de l'assurance-maladie
– c'est une des con-
quences de la couverture
maladie universelle il
suffit maintenant d'être
résident légal sur le
territoire, les rences
au travail et au fait de
cotiser ayant de fait
disparu. A une toute
petite nuance près, les
montants remboursés
par chaque régime sont
les mêmes. Quelle est
alors l'utilité de maintenir plusieurs
régimes d'assurance-maladie ?
Est-ce pour permettre aux agents
de ces caisses de vérifier des
droits que tout le monde a et de
rembourser des feuilles de soins,
alors qu'existe le tiers payant ?
Depuis l'année 2000, les dépenses
dépassent de 3 milliards d'euros
par an l'« objectif » voté par le
Parlement, soit 9 milliards d'euros
en trois ans, une somme supé-
rieure au budget de tout l'ensei-
gnement supérieur français (7,5
milliards d'euros). Les decins,
et notamment les généralistes,
ne peuvent pas être les seuls res-
ponsables de ces dérapages qui
représentent 75 % de l'ensemble
des honoraires rembours, puisque
ces honoraires ont depuis quelques
années peu augmenté en volume
et sont restés quasiment constants
en valeur. Le rapage de l'assurance-
maladie est d'abord dû à la consom-
mation de médicaments.
La gestion politique du dossier
de la médecine a été une gestion
par la grève4. Le gouvernement a
toujours pondu aux manifestants
par des chèques, rapidement
libellés pour les hospitaliers, un
peu plus lentement pour les
libéraux. L'engagement « hors
bilan », pour reprendre un terme
de la comptabili d'entreprise,
reste à ce jour très lourd : nous
n'avons pas fini de payer
les promesses faites l'an
dernier, notamment en
termes de revalorisation
de carrière, promesses
dont les conséquences
budgétaires ne se sont
pas encore fait sentir.
Sans augmentation
majeure de la CSG ou
des cotisations sociales,
l'assurance-maladie sera
lourdement déficitaire
cette année et l'année
prochaine.
Aucune des questions
que nous avons évo-
quées n'a trouvé de réponse
politique. Les mécanismes de
régulation sont inopérants et de
nouveaux problèmes apparaissent.
L'application des 35 heures à
l'hôpital se fait dans une situation
de pénurie de main-d'œuvre
qualifiée. La démographie médicale
a atteint un plateau, et les pre-
mières difficultés commencent à
se faire sentir dans des spécialités
comme l'anesthésie, la psychiatrie,
l'obstétrique, ainsi que dans cer-
taines régions. De nombreux
decins qui cessent leur activité
dans la France rurale ne trouvent
plus de repreneur pour leur cabi-
net. Les urgences hospitalières
des centres urbains connaissent
depuis bientôt dix ans une crois-
sance continue de leur activité
car, en ville, les praticiens n'assu-
rent plus les urgences et ren-
voient leur malade vers l'hôpital
ou vers des associations comme
SOS médecins. Il existe un clivage
entre ville et campagne : la méde-
cine urbaine, faite de spécialistes
et d'établissements de soins
nombreux, se distingue de la
médecine rurale le patient
appelle encore « son » généraliste
en premier.
La profession médicale reste
cependant unie, en dépit des
coupures traditionnelles et de
nouveaux clivages inventés par la
puissance publique, notamment
la multiplication d'enveloppes ou
de canismes scifiques de
gulation qui font florès depuis
1991 : coupures entre la médecine
de ville et la médecine hospitalière,
les généralistes et les spécialistes,
les prescripteurs et les prescrits
(biologistes, radiologues…), le
sanitaire et le social.
L'AVENIR
EST AUX RÉSEAUX
Que construire sur cet édifice
délabré ? Avant d'introduire
de nouveaux mécanismes écono-
miques plus ou moins complexes
comme la concurrence, il convient
que les Français renouent un
dialogue avec leurs médecins, et
qu'il en sorte les bases d'un
nouveau contrat.
Le phénomène qui bouleverse
l'organisation de la médecine est
la division du travail. Dans quinze
ans en France, comme aux Etats-
Unis, les unités de base du système
de soins ne seront plus des de-
cins,des cliniques, des pharmacies,
3 Il fut moins
insensible
aux voix des
associations,
notamment au
moment du vote
de la CMU.
4 Voir Jean de
Kervasdoué, « Une
politique de santé
par la grève »,
Le Monde,
10 janvier 2002.
Le gouvernement
a toujours
répondu aux
manifestants
par des chèques,
rapidement
libellés pour
les hospitaliers,
un peu plus
lentement pour
les libéraux.
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D O S S I E R
des dentistes ou des hôpitaux,
mais des seaux qui contracte-
ront en notre nom avec ces diffé-
rentes professions ou institutions.
Chaque réseau assurera la coor-
dination de la prise en charge du
malade entre tous les métiers et
institutions sanitaires et sociales.
C'est le seau qui recevra le
financement de l'assurance-mala-
die, c'est lui qui, au nom du malade,
passera des contrats avec les pro-
fessionnels et les institutions de
sanet contrôlera le bien-fondé
des pratiques cliniques.
Qui sera entrepreneur des seaux ?
Ces derniers seront-ils en concur-
rence ? Comment s'exercera en pra-
tique cette éventuelle concurrence ?
Quelles que soient les réponses, on
voit bien que tout ce qui peut
contribuer à la continui des soins
et à la coordination de la prise en
charge des malades doit être dès
maintenant favorisé : médecine de
groupe, possibilité d'associer dans
un même cabinet des médecins, des
infirmières, voire d'autres métiers
de la santé…
Mais, avant toute chose, ce dia-
logue hautement souhaitable doit,
pour déboucher sur un équilibre
stable, traiter simultanément
quatre questions : les modalités
et le niveau des rémunérations,
directes et différées (retraite),
des médecins ; la formation ini-
tiale et continue ; le contrôle des
pratiques cliniques ; enfin, la res-
ponsabilité dicale. Il n'est pas
inutile de rappeler que plusieurs
des principes de 1926 s'opposent
aujourd'hui à la mise en œuvre du
contrôle de la qualité des soins
médicaux : par exemple, le quasi-
universalisme du doctorat en
decine, ou l'impossibilité de
rifier les conduites thérapeutiques
courantes d'un praticien.
La gestion de la qualité des soins,
la maîtrise « médicalisée » est
aujourd'hui juridiquement impos-
sible en médecine de ville. Il
n'est pas question de mettre un
contrôleur, fût-il médecin lui-
même, derrière chaque praticien,
mais de mettre fin à l'hypocrisie
collective qui consiste à prétendre
que toutes les prescriptions sont
adaptées. C'est certes souvent le
cas, mais l'on sait aussi qu'il y a
en France des sous-prescriptions,
des sur-prescriptions, des pres-
criptions inadaptées5qui, dans les
autres secteurs de l'économie,
justifieraient des canismes de
contrôle. L'un des enjeux à venir
sera justement de préciser les
modalités et les conséquences de
ces contrôles et l'étendue, dans
ce domaine, d'une éventuelle
cogestion, avec les caisses
d'assurance-maladie ou avec
celui qui demain sera le financeur6
des soins médicaux.
Pour 90 % de la population, les
consultations chez les médecins
conventionnés se font sans dé-
bourser d'argent. Cela ne veut pas
dire que les médecins, comme
leurs patients, n'ont pas, à l'égard
de la collectivité, des devoirs,
contrepartie évidente de droits
importants et, pour les malades,
presque uniques au monde. La
gratuité ne peut se concevoir que
dans des circonstances médicales
SANTÉ : QUELLES RÉFORMES ?
5 Jean de
Kervasdoué,
La qualité des
soins en France,
Editions
ouvrières,
Paris, 2000.
6 Il est possible
d’envisager que
ceci soit réalisé
par une instance
régionale.
PETIT LEXIQUE MÉDICAL
Médecine libérale : ses principes, définis en 1926,
étaient la liber de choix du médecin par son
patient, la liberté d'honoraires, la liberde pres-
cription, la liberté d'installation et le non-contrôle
des pratiques cliniques (en France, ce ne sont pas
les médecins qui sont contrôlés, mais leurs patients).
Tarif opposable : si le patient exige ce tarif, qui
est remboursé par l'assurance-maladie, le médecin
perd la liberté de fixer le montant de ses honoraires.
Secteur 2 : système inventé par Raymond Barre
quand il était Premier ministre, qui permet au mé-
decins relevant de ce secteur d'être conventionnés
et en même temps de fixer librement leurs hono-
raires, à condition qu'ils le fassent « avec tact et
mesure ». Le patient ne se fera donc rembourser par
l'assurance-maladie que sur la base du tarif conven-
tionnel de référence, c'est-à-dire le tarif du secteur.
RMO : référence médicale opposable ; elle pré-
cise les conditions médicales de remboursement de
certains actes ou prescriptions. Les RMO sont
toujours exprimées sous forme gative. Par
exemple : ne pas réaliser, sauf exception, plus de
trois échographies au cours d'une grossesse.
Maîtrise médicalisée : terme inventé par la
CSMF, qui l'oppose à la maîtrise comptable. La
maîtrise médicalisée vise l'ensemble des conditions
médicales de prescription et de remboursement
des actes. Les RMO en font partie, et ne sont que
les premières ébauches de méthodes de contrôle
des pratiques cliniques en vigueur aux Etats-Unis,
mais encore discutées en France au nom du secret
médical. Elles représentent pourtant la voie à suivre.
Contrôle de qualité : pour les pratiques cli-
niques, le contrôle de qualité est un des éléments
de la maîtrise médicalisée. Il consiste à comparer,
pour un ensemble de malades, les modalités de
leur prise en charge avec une prise en charge de
référence, telles que peuvent la définir à un instant
donné les meilleurs spécialistes, compte tenu des
connaissances médicales disponibles.
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