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Quel système de santé pour demain ?
D. Tabuteau
48e congrès de la société française de Chirurgie de la Main (GEM)
Paris le 21/12/2012
Le système de santé a été construit en France dans des conditions très différentes de celles
qui ont prévalu, au XIXème siècle, dans les deux grands pays comparables, la Prusse, l’Allemagne,
d’un côté et le Royaume Uni de l’autre. La France présente la situation singulière d'un système de
santé qui n’a pas été organisé par le pouvoir politique. Il y a eu une délégation implicite de
compétence au corps médical pour le constituer, à l'issue du conflit originel entre les pouvoirs publics
et les docteurs en médecine résultant de la création des officiers de santé par la Révolution
française1. Paradoxalement, l'intervention des pouvoirs publics a été beaucoup plus marquée en
Angleterre, pays qui a vu naitre et a porté le libéralisme économique que dans la France colbertiste
et napoléonienne qui a, dans la plupart des autres domaines, bâti de grandes administrations.
Si l'on veut faire un peu de prospective, il ne faut jamais oublier que l’élément dominant de
la construction des systèmes de santé, c’est l’évolution de la richesse économique. Le système de
santé que nous connaissons ne s'est véritablement développé que depuis les années 1945, c'est-à-
dire lorsqu'un mécanisme global de financement, l'assurance-maladie, a été généralisé. On est alors
passé de l’ordre de 35.000 médecins à 210.000 médecins en l’espace de 60 ans. Evolution
absolument considérable qui marque une rupture avec l'histoire du siècle et demi qui avait précédé.
Or dans une période d'expansion rapide du système de santé, rendue possible par une injection
massive de ressources économiques résultant de l'augmentation des prélèvements obligatoires,
l'absence d'organisation collective a été occultée par les résultats spectaculaires permis par le
développement du système : l’accès aux professionnels de santé, aux médicaments comme au
système hospitalier a connu un développement sans précédent.
Mais cet investissement dans la santé a été possible parce que la croissance économique
était au rendez-vous, notamment pendant les 30 glorieuses. La réflexion prospective doit prendre en
compte le fait que les perspectives économiques ont été profondément bouleversées depuis les
crises économiques des années 1970. Les menaces économiques ont été, de plus, considérablement
accrues depuis la crise financière et l'explosion des dettes souveraines. Il ne fait aucun doute qu'une
période durable de croissance zéro, et a fortiori de récession, remettrait en cause les fondamentaux
du système de santé que nous connaissons.
1 D. Tabuteau, L’avenir de la médecine libérale et le spectre de Monsieur Bovary, Droit Social, Libres propos, avril 2009
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Pour évoquer les grandes tendances de l'évolution du système de santé, l’hypothèse
implicite qui sera faite est que la croissance restera positive permettant d'assurer une évolution de la
masse salariale supérieure à 2 % et donc un financement du système de santé du même ordre. Il ne
s'agit bien évidemment pas de décrire le système de santé des années 2030 mais simplement
d'essayer d'identifier quelques éléments très structurants de son évolution.
Le premier peut être évoqué rapidement parce qu’il est patent, c’est le vieillissement de la
population. L’évolution de la démographie est un déterminant majeur des systèmes de santé
développés, avec la concentration sur les derniers âges de la vie, des couts de santé. Toutefois au-
delà de cet effet économique, ce phénomène constitue un enjeu politique majeur. Le risque existe
de voir remis en question « le pacte des générations » sur lequel repose fondamentalement
l'assurance-maladie. Il ne faudrait pas que le débat, légitime sur le partage des revenus entre les âges
de la vie en matière de retraite, ne soit transposé mécaniquement sur l'assurance-maladie. En effet
les deux problématiques sont fondamentalement différentes.
La logique individuelle au regard des régimes de retraite est de cotiser pendant une carrière
complète, sans période de chômage, afin de recevoir le plus longtemps possible une pension la plus
élevée possible. Pour la santé, c’est le contraire. L'espérance de chacun est de cotiser toute sa vie et
de recevoir le moins possible : décéder centenaire dans son sommeil sans avoir été confronté à
l’hospitalisation ! C’est d'ailleurs l'ambition même du système de santé que de repousser les âges
auxquels les prestations de l’assurance maladie vont bénéficier aux assurés. La médecine a de fait
largement réussi à atteindre cet objectif, puisque les soins les plus lourds se concentrent sur les
dernières années de la vie. Mettre en cause le déséquilibre prestations servies et cotisations versées
entre les différents âges de la vie, c'est nier la logique même de l'assurance-maladie : la solidarité
entre les biens portants et les malades. Le maintien de ce principe est sans doute le débat majeur
pour l'avenir des systèmes de solidarité devant la santé.
Deuxième enjeu clé pour l'évolution du système de santé, les transformations de la médecine
et notamment le développement, grâce aux progrès de la biologie et de la génétique, d’une
médecine technique de prévention. Marqueurs biologiques et tests prédictifs pourraient
bouleverser, à l'avenir, le fonctionnement du système de santé. Dans un rapport de l'Office de
prospective en santé de Sciences-Po, avaient été soulignées les conséquences de l'émergence d'une
médecine des 4 P, médecine de prédiction, de personnalisation, de préemption et de participation2.
Le recours au système de santé pourrait ne plus être exclusivement la résultante des signes cliniques
de la maladie et de la nécessité de soins mais être justifié par un suivi préventif aux différents âges
de la vie. La victoire du Docteur Knock avec la consécration de la médecine des biens portants !
Troisième facteur, l’évolution des métiers. Transformation des compétences, coopérations
interprofessionnelles, création de nouveaux métiers, la santé pourrait être marquée par des
bouleversements professionnels considérables. La rupture sera d'autant plus notable en France que
notre pays a été marqué par le conflit historique évoqué précédemment entre le corps médical et les
pouvoirs publics. Il en est résulté la constitution d'un glacis professionnel autour de la profession
médicale, faisant obstacle à l'émergence de nouvelles professions de santé ou au développement de
leurs compétences. Le système se caractérise par une dichotomie beaucoup plus marquée que dans
2 E. Zerhouni, La médicalisation de la société : les transformations du rapport à la maladie in Rapport 2008, Office de
prospective en santé, Editions de santé, Presses de Sciences-Po
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la plupart des autres pays entre les médecins et les autres professions de santé. La baisse
programmée de la démographie médicale a imposé depuis le début des années 2001 une réflexion
sur le partage des compétences mais les évolutions restent très timorées. Un pouvoir propre ou un
droit de prescription limitée ont été reconnus à certains professionnels paramédicaux, de nouveaux
métiers ont été créés comme celui de conseiller en génétique mais les bouleversements pourraient à
l'avenir être d'une tout autre ampleur.
Quatrième élément structurant de l‘évolution des systèmes de santé, la transformation des
attentes sociales. L'affirmation du rôle des associations de patients dans le système de santé,
consacrée par la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, témoigne des changements en cours.
Ces représentations des patients ou des assurés sociaux, par des structures sociales actives, des
associations militantes et associées aux procédures institutionnelles modifient en profondeur les
ressorts de la décision dans le système de santé. Si l'on ajoute à cela les effets du développement
d'Internet, de l'accès à l'information médicale, les équilibres établis de longue date continueront à
être remis en cause au cours des deux prochaines décennies. Des initiatives comme le palmarès des
hôpitaux resteront comme les signes annonciateurs d'un changement de paradigme de l'information
en santé. D'ores et déjà les institutions comme la Haute autorité de santé ou la CNAMTS,
s'organisent pour produire des informations sur la qualité des prestations ou les tarifs pratiqués. Le
droit européen renforcera sa tendance comme en témoigne la directive du 9 mars 2011 sur les soins
transfrontaliers. Cette demande d’information et cette exigence d’évaluation constituent sans doute
l'une des clés de la transformation des systèmes de santé.
Cinquième facteur d'évolution, la « régionalisation » de la santé en France. Toutes les
réformes qui ont eu lieu depuis la fin des années 1980 ont privilégié l'échelon régional. Des schémas
régionaux d’organisation des soins aux programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins,
des agences régionales de l’hospitalisation aux agences régionales de santé, aucune réforme n'a
échappé au « R » de région ou de régional. Le paradoxe de ces réformes tient au fait que la
régionalisation s'est faite sans le conseil régional. Ce dernier a en effet été absent de toutes les
législations sur les politiques de la santé. En fait le mouvement de régionalisation traduit seulement
un mouvement de territorialisation de l'action de l'État. La circonscription régionale a été le moyen
pour l'État, absent historiquement du pilotage du système de santé au niveau national, d'imposer
son pouvoir dans les territoires. Il a en effet fallu attendre 1958 et la réforme Debré, avec la création
des CHU et des médecins temps plein à l’hôpital pour que l'État prenne vraiment pied dans le
système de santé. Depuis cette date, l'obligation de maîtriser les dépenses de santé puis les crises de
sécurité sanitaire l'ont conduit à intervenir de plus en plus fréquemment. Mais l'État ne dispose pas
au niveau national d'une véritable administration de régulation. Il est engoncé entre d'un côté les
services de la sécurité sociale, dont la légitimité est la démocratie sociale, et les professionnels de
santé libéraux, attachés à un système conventionnel les liant à La sécurité sociale. La circonscription
régionale lui a offert la possibilité de se doter de compétences de régulation et de constituer
progressivement une administration. Et cette transformation par la région peut conduire à une
remise en cause de l'équilibre des pouvoirs au niveau national. La question de la création d'une
agence nationale de santé est désormais posée.
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Le sixième axe majeur de transformation du système tient à l'évolution du partage entre
l'assurance-maladie obligatoire et les assurances complémentaires3. L’assurance complémentaire,
prévue dès les ordonnances du général De Gaule de 1945 créant la sécurité sociale devait apporter
un simple complément de remboursement. Le ticket modérateur uniforme prévu par les
ordonnances était de 20% . C'est toujours celui qui subsiste à l'hôpital alors que pour tous les autres
domaines, il est passé à 30 ,35 et même 85% pour certains médicaments. Depuis une vingtaine
d’années, la construction initiale paraît s’être inversée. Aujourd’hui l’assurance maladie obligatoire
apparaît, dans les statistiques globales, comme garantissant toujours un taux de remboursement
élevé de l'ordre de 75 %. Toutefois ce taux dissimule deux réalités. Les soins hospitaliers et les
affections de longue durée, restent remboursés à plus de 80 ou 90 %. En revanche, les autres soins,
c'est-à-dire les soins courants, qui constituent quand même pour une année donnée les soins de 70 à
80% de la population, sont remboursés à moins de 50 %. C'est donc le patient et son assurance
complémentaire qui assurent l'essentiel de la prise en charge. Si cette évolution se poursuit, dans
quelques années, compte tenu de l'augmentation de la part des ALD dans le remboursement, les
soins courants pourraient ne plus être remboursés par l'assurance-maladie. L'assurance-maladie
solidaire ne serait plus qu'un souvenir…
Enfin la dernière tendance qu’il est proposé de prendre en compte est celle de l'émergence
de la santé comme secteur géostratégique. Elle est à l'évidence un secteur économique et social
majeur. Elle représente 12 % du PIB en France, 17 % aux États-Unis… Toutefois ce secteur s'impose
depuis une dizaine d'années comme un secteur stratégique au même titre que la défense nationale.
La résurgence des alertes épidémiques mondiales : le SRASS, la grippe aviaire, la grippe H1N1 comme
la montée des menaces bioterroristes après le 11 septembre ont modifié la perception du rôle des
services de santé comme des industries de santé. La localisation des sites de production des
antibiotiques ou des vaccins est devenue un enjeu stratégique. La constitution de réserves de
matériels, à l’instar des masques lors de la grippe aviaire, s'est imposée comme une priorité. Le
législateur est même intervenu pour créer une réserve sanitaire par la loi de 2004, sur le modèle de
la réserve militaire. La France recense désormais les professionnels de santé en formation ou en
retraite pour faire face à des situations de crise. L'investissement en santé pourrait à l'avenir
apparaître de plus en plus nettement comme un engagement de nature géostratégique et non plus
seulement économique et social. Il faut d'ailleurs se souvenir que les premières lois d’assurance
maladie, les lois bismarckiennes, avaient des ambitions politiques et militaires. De même,
l'Angleterre a développé au XIXe siècle un système de santé publique dans le cadre d'une stratégie
de puissance politique et économique.
Voici quelques tendances qui peuvent être proposées pour tenter d’imaginer l’avenir d’un
secteur crucial pour la collectivité comme pour chacun de ses membres. Un secteur qui malgré ses
inestimables succès paraît aujourd’hui en proie au doute.
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3 D. Tabuteau, La métamorphose silencieuse des assurances maladie, Droit Social, janvier 2010
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