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Faire œuvre d’historien ne signifie pas savoir « comment les choses se sont réellement passées ».
Cela signifie s’emparer d’un souvenir, tel qu’il surgit à l’instant du danger.
Walter Benjamin
Sonia Chiambretto est une des langues vivantes de la littérature contemporaine, du
théâtre contemporain. Elle travaille depuis trois ans à ce qui me semble un grand-oeuvre.
On y retrouve les thèmes récurrents de son écriture, mais elle jette l’ancre ailleurs qu’à
Marseille, cette fois. Un autre port, de l’autre côté de la Méditerranée : Alger. À travers
des personnages de fiction, derrière lesquels toujours se cachent des êtres réels, le livre
retrace trois périodes de l’histoire d’Alger au cours des 60 dernières années. Non telles
que les choses se sont réellement passées, mais dans la ville rêvée par Le Corbusier en
1931, lorsqu’il imagina un plan d’Alger : Le projet OBUS. Le titre fait référence à une
explosion des idées reçues en vue d’un bond vers l’avenir. Titre manifeste. À la lecture du
texte de Sonia Chiambretto, on comprend qu’il y a cette visée : le texte projette des
fragments d’histoire pour penser l’avenir. Et la fiction relie ce qui jusque là semblait
éparse, étanche, hétérogène. Et l’on voit apparaître ce qui vient à nous, ce qui fera notre
présent. Et l’avenir en question nous rattrape. Et l’histoire algérienne, algéroise, vue par
Sonia Chiambretto, apparaît comme le laboratoire de notre histoire. Nous autres,
humains.
Toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure et fortuite coïncidence
L.C. arrive à Alger par la mer : il voit la baie et, derrière, les montagnes de Kabylie.
Le Plan Obus est une ville imaginée par Le Corbusier, mais qui n'a jamais vu le jour.
20 ans il va se battre pour ce projet architectural qui devait faire exploser toutes les idées
reçues.
Quelques temps avant la révolution algérienne, il comprend que le plan obus ne verra
jamais le jour.
Imaginons maintenant que le Plan Obus ait été réalisé.
Imaginons le Plan Obus au point de rupture historique entre une jeunesse qui n'a pas de
place et un pouvoir tenu par les pères qui ont libérés le pays de l'occupant.
Imaginons dans ce pays, post-révolution, les premières élections démocratiques. Et que le
premier tour montre un déni total de la jeunesse pour le parti « historique ».
Imaginons que cette jeunesse, délaissée, sans travail, sans logement, se soit tournée vers
un parti très peu démocratique et très religieux, en quête d'origines.
Imaginons que l'Etat décide d'annuler la suite de l'élection et que la jeunesse se sente
flouée de sa voix, de son choix.
Alors le Plan Obus sombrerait irrémédiablement dans le chaos :
Une partie de la jeunesse dans le maquis, dans l'action armée, violente en réponse à la
violence de l'Etat. Un Etat qui chercherait par TOUT les moyens à juguler cette révolte,
ce terrorisme.