Colloque AFPA/INOIP/AIPTLF 17 et 18 novembre 2005 Actes du colloque international L'approche psychologique du travail ses apports dans les champs de l'orientation, de la formation et des ressources humaines INSTITUT NATIONAL DE L'ORIENTATION ET DE L'INSERTION PROFESSIONNELLES Direction de l'Ingénierie et ASSOCIATION INTERNATIONALE DE PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL DE LANGUE FRANCAISE Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -2- L’approche psychologique du travail Organisé en partenariat avec l’Association Internationale de Psychologie du Travail en Langue Française, premier réseau mondial francophone dans le champ de la psychologie du travail et des organisations, le colloque dont témoignent ces actes s’est révélé un moment clef de réflexion à travers la présentation de nombreux travaux conduits sur les questions d’orientation professionnelle, de formation et de ressources humaines. Comme nous en avons coutume chaque année depuis maintenant trois ans, ce colloque a voulu rassembler autour d’un même échange chercheurs et praticiens pour contribuer à fonder des pratiques plus éclairées pour les professionnels à travers la présentation de travaux parmi les plus actuels. Il s’inscrit clairement dans les missions de l’Institut National de l’Orientation Professionnelle de l’AFPA, sur le champ du développement, de méthodes et d’instruments à l’articulation de la recherche et de la pratique. En rassemblant 250 participants autour de 14 intervenants il a formidablement illustré la diversité des approches mobilisées en psychologie pour traiter de l’homme au travail. Il a ainsi permis de souligner la richesse qu’apportait justement cette diversité offrant aux nombreux participants une occasion unique de ressourcement et de prise de recul vis à vis d’un exercice professionnel très prégnant. Ouvert par Estelle Morin sur les conditions de « bien être » et « de mal être » au travail, l’ensemble des autres interventions s’est situé dans la continuité avec trois thématiques dominantes : - La nécessité du sens pour « agir sensé » comme l’a fortement rappelé Alexandre Lhotellier, - La centralité de l’homme dans toutes les problématiques traitées, - Les effets majeurs des contextes dans lesquels sont immergées les personnes. Il a aussi fréquemment illustré cette phrase de Bertrand Russel : « la logique est la science qui fonde les idées vraies, la psychologie la science qui explique les idées fausses ». Les travaux présentés dégagent de nombreuses perspectives pour des partenariats entre recherches et applications. Ces actes devraient permettre à chaque lecteur de trouver nombres de repères permettant de nourrir sa réflexion pour conduire à des pratiques plus étayées. Ils nous engagent aussi, en tant que bureau d’études, à faire que ce colloque ne soit pas seulement un événement mais qu’il irrigue nos travaux en matière de démarches et d’instrumentation des professionnels, tout comme de développement de compétences. Placé sous le signe de l’écoute et de la réflexion ce colloque a atteint ses objectifs comme nous l’a confirmé le haut niveau de satisfaction exprimé tant par les participants que par les intervenants. Gageons que le lecteur retrouvera dans ces Actes quelque peu du souffle de ce colloque joliment qualifié par André Savoie de « grand moment de célébration psychologique ». Bruno SIMON Directeur de l’INOIP Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -3- Sommaire Jeudi 17 novembre 2005 Conférence d’ouverture Estelle MORIN (HEC MONTREAL) Souffrances et plaisirs au travail. Contributions des psychologues à l’amélioration de la qualité de vie au travail page 7 Jacques AUBRET (CNAM INETOP - Paris) De la logique de compétences à l’analyse de l’expérience : le cas de la VAE 13 Christine LAGABRIELLE et Anne-Marie VONTHRON (Univ. BORDEAUX) L’engagement en formation - Quels processus pour comprendre l’entrée et le maintien dans un parcours de formation professionnelle continue ? 19 Alain TROGNON (Univ. NANCY II) Les métiers de l'interaction : leur développement et le développement de leurs études 23 Georges MASCLET (Univ. LILLE III) Manager humainement ! Pourquoi et Comment ? 29 Pierre Henri FRANCOIS (Univ. POITIERS) Sentiment d’efficacité personnelle et évaluation de la motivation 35 Geneviève VINSONNEAU (Univ. PARIS V) Dynamiques interculturelles, travail et variations des identités 39 André SAVOIE (Univ. MONTREAL) Prévenir les résistances en monitorant (et bien sûr en gérant) les préoccupations des destinataires du changement 43 Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -4- Vendredi 17 novembre 2005 page Jean Luc BERNAUD (Univ. ROUEN) Les apports des recherches sur le counseling de carrière : analyser les processus en jeu dans les consultations d'orientation 47 Pascale DESRUMAUX (Univ. LILLE III) Recrutement et évaluation du personnel : des biais de jugements aux méthodes valides 13 Ginette HERMAN (Univ. LOUVAIN) Entre chômage et travail : comment résister aux identités négatives ? 59 Alexandre LHOTELLIER Des conditions fondamentales, nécessaires et motivantes pour tenir conseil ou de quelques considérations inactuelles et intempestives 63 Lionel DAGOT (Univ. Bordeaux II) et Hervé LEGRAIN (AFPA / INOIP) Norme d'internalité et allégeance 67 Claude LEMOINE (Univ. LILLE III) Tendances et questions actuelles en psychologie du travail 71 Claude LEMOINE Postface 77 Les actes reprennent l’ordre de présentation des communications. Celles-ci portent sur quatre thèmes principaux : l’orientation professionnelle et le conseil, la formation continue, l’évaluation en recrutement, le management et la place des personnes dans le travail et les organisations. Pour chacun des champs, l’activité des psychologues intervenant dans le domaine du travail est précisée. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -5- Souffrances et plaisirs au travail. Contributions des psychologues à l’amélioration de la qualité de vie au travail. Estelle M. MORIN Ph.D., psychologue et professeur titulaire, HEC Montréal J Le travail joue un rôle important dans le développement de la personne. À prime abord, il lui permet d’assurer sa subsistance et des conditions de vie décentes, c’est certain, mais ce n’est pas là son seul intérêt. Le travail est avant tout une activité par laquelle une personne se définit, s’insère dans le monde, actualise son potentiel, et crée de la valeur, ce qui lui donne, en retour, le sentiment d’accomplissement et d’efficacité personnelle, voire peut-être un sens à sa vie. Toutefois, il arrive que des facteurs de l’organisation du travail engendrent des problèmes de santé mentale, entraînant des conséquences désastreuses non seulement pour les personnes mais aussi pour l’entreprise. Ainsi, le travail est source de souffrances tout autant que de plaisirs. Actuellement, les coûts associés aux problèmes de santé au travail sont tels que plusieurs gestionnaires ont dû mettre en place des mesures pour les prévenir et promouvoir la qualité de vie au travail. Cette conférence a pour but de présenter les contributions que peuvent apporter les psychologues à la compréhension des souffrances et des plaisirs associés au travail ainsi qu’au développement de pratiques managériales permettant de prévenir les troubles de santé mentale et de promouvoir la qualité de vie au travail. Quand on songe au travail, on pense bien souvent à l’emploi. Pourtant, le travail est bien plus qu’un emploi. Le travail est une activité primordiale pour la préservation de la santé des personnes. Parce qu’il permet à la personne de produire des résultats qui lui sont singuliers, parce que ses produits sont utiles, servent à quelque chose, le travail permet à la personne de faire la preuve de son existence, de se reconnaître et d’être reconnue. En raison de ses routines et de sa quotidienneté, le travail est aussi un formidable moyen de se défendre contre l’angoisse du vide. Pour s’en convaincre, on a qu’à écouter la détresse des gens qui se retrouvent au chômage du jour au lendemain, ou encore celle des personnes qui prennent leur retraite à un âge précoce. déjà cette opinion en 1990 et l’a renforcée en 2001 (NIOSH, 2001). S’il est exact que les problèmes de santé, physique mais aussi psychologique, des employés peuvent être engendrés par des dispositions personnelles, des styles de vie désorganisés, ou des problèmes personnels, on reconnaît aujourd’hui qu’ils peuvent aussi être engendrés par des problèmes d’organisation du travail et des mauvaises conditions de travail (Kahn et Langlieb, 2003 ; Kalimo, El-Batawi et Cooper, 1987; Quick et Tetrick, 2003). Ce n’est que depuis récemment (depuis 20 ans) que l’on apprécie à sa juste valeur l’importance du travail pour préserver et stimuler la santé des personnes. Et c’est encore plus récemment que des gestionnaires reconnaissent les impacts que peut avoir le travail sur la santé (Barling et Frone, 2004 ; Kahn et Langlieb, 2003 ; Quick et Tetrick, 2003 ; Vinet, 2004). Au Canada, Stephens et Joubert (2001) évaluent que la dépression et l’anxiété auraient coûté au moins 14,4 milliards de dollars en frais médicaux, perte de production, indemnisations, etc. Aussi, on attribue aux troubles de santé mentale et physique l’aggravation de plusieurs indicateurs de performance organisationnelle dont l’absentéisme, les accidents de travail, les départs volontaires, les conflits, le harcèlement, l’inefficience, et la diminution de l’engagement des employés (Danna et Griffin, 1999 ; Dierendonck, Haynes, Borrill et Stride, 2004). L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 1999) estime qu’en 2020, la dépression sera au second rang des maladies, entraînant le plus lourd fardeau en matière d’incapacité dans le monde. Or, les problèmes de santé au travail ne seront pas endigués tant et aussi longtemps que les facteurs qui sont à leur origine ne seront pas déterminés, reconnus et corrigés. Le National Institute for Occupational Safety and Health émettait Pourtant, on continue de gérer le travail de façon à produire des résultats financiers attendus, mais pas nécessairement pour réaliser la raison d’être de l’organisation qui rend légitimes ses activités, ni pour contribuer au développement des personnes ou celui de la société. Se posent alors des questions éthiques importantes mettant en cause le travail dans ces organisations. En effet, le travail est déshumanisé dans beaucoup d’entreprises, y compris celles des services publics : les personnes sont des ressources, les temps de travail sont réduits à l’état d’urgence, les rythmes de travail s’accélèrent, les frontières entre les espaces et les sphères de l’existence se fondent et se confondent, le travail lui-même devient incertain et, quant à l’avenir, encore plus incertain. Encore aujourd’hui, des soupirs d’impatience, d’impuissance voire de résignation se font entendre à tous les paliers des organisations. Il est grand temps d’y voir, car les problèmes de santé engendrés par le travail ou les conditions dans lesquelles il s’effectue augmentent à tel point que cela pourrait devenir un problème de santé publique. Dans les organisations, nombre d’efforts ont été faits au cours des dernières années pour soulager la souffrance, Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -7- notamment par le biais des programmes d’aide aux employés. Beaucoup de programmes ont été mis en place pour aider les gens à reconnaître les signes et les symptômes du stress avant que la situation ne s’aggrave, grâce à des programmes de mieux-être, des activités de sensibilisation, des séminaires de perfectionnement ou des politiques d’hygiène de vie et de promotion de la santé. Ces efforts ont essentiellement porté sur le développement de stratégies individuelles pour faire face au stress ou pour recouvrer la santé. Il faut féliciter les employeurs qui ont eu le courage de soutenir ces programmes et qui veillent à les enrichir. Par ailleurs, la recherche dans le domaine de l’organisation du travail (job design) est encore très éparse. En effet, les connaissances dans ce domaine sont dispersées à travers différents courants, modèles ou disciplines, rendant difficile la synthèse et ardus les progrès. L’organisation du travail est un concept complexe mettant en jeu des facteurs à différents niveaux d’analyse : individuel (psychologie, médecine, santé, etc.), groupal (psychosociologie, psychologie sociale, administration, etc.), organisationnel (administration, stratégie, économie, finances, etc.) et sociétal (sociologie, anthropologie, etc.). Il y a aussi très peu de publications dans ce domaine. Nous avons effectué une recherche de titres, publiés depuis 1974, sur la base de données de l’American Psychological Association — qui comprend les articles publiés dans 1 932 revues scientifiques — à l’aide des combinaisons des mots clés suivants, cités dans le titre ou dans le résumé des documents : «travail», «emploi», «efficacité», «performance», «santé» et «bien-être». Les différentes requêtes ont permis de trouver seulement 51 documents pertinents, soit en moyenne 1,7 titres par année ! Parmi ces documents, moins d’une vingtaine constituent des articles abordant directement la question du travail et ses relations avec la santé des personnes, des équipes, des organisations et de la société. L’organisation du travail En psychologie, deux modèles sont prédominants : le modèle des caractéristiques d’emploi de Hackman et Oldham (1976) et le modèle sociotechnique de Trist (1978). Hackman et Oldham (1976) ont déterminé trois caractéristiques qui semblent contribuer à donner du sens au travail : la variété des tâches (le degré auquel un travail implique une variété de tâches qui exigent une variété de compétences), l’identité du travail (le degré auquel un travail permet de faire quelque chose du début à la fin, avec un résultat tangible, identifiable) et la signification du travail (le degré auquel un travail a un impact substantiel sur le bien-être ou le travail des autres personnes, que ce soit dans l’organisation ou dans le milieu). Leur modèle présente deux autres caractéristiques d’un emploi stimulant : l’autonomie (le degré auquel un travail laisse une bonne marge de liberté, d’indépendance, et de discrétion à la personne pour organiser ses horaires de travail et déterminer les façons d’accomplir son travail) et le feedback (le degré auquel l’accomplissement des tâches résulte de l’information que l’individu obtient directement sur sa performance). D’après le modèle sociotechnique proposé par Trist (1978), le travail doit présenter six propriétés pour stimuler l’engagement de celui qui l’accomplit : 1. Etre raisonnablement exigeant, comporter suffisamment de variété, reconnaissant le plaisir que procurent l’exercice des compétences et la résolution de problèmes. 2. Offrir des occasions d’apprentissage sur une base régulière, stimulant le besoin de croissance personnelle. 3. Faire appel à la capacité de décision de la personne, reconnaissant le besoin d’autonomie et le plaisir tiré de l’exercice du jugement personnel au travail. 4. Reconnaître le travail accompli et soutenir les efforts, stimulant le besoin d’affiliation et d’appartenance. 5. Permettre de relier l’exercice des activités à leurs conséquences sociales, contribuant à la construction de l’identité sociale et à la sauvegarde de la dignité personnelle. 6. Pouvoir envisager un futur désirable ; cela pourrait impliquer des activités de perfectionnement et d’orientation pro- fessionnelle, reconnaissant l’espérance comme un droit humain. En plus de ces aspects intrinsèques du travail, le design des systèmes sociotechniques prend en considération plusieurs aspects extrinsèques pouvant affecter l’engagement au travail, tels que le salaire, les conditions matérielles et physiques et les règles organisationnelles (Ketchum et Trist, 1992). Ces deux modèles ont été développés dans des milieux de travail anglosaxons dans les années 60. Depuis, le travail a beaucoup changé, ne serait-ce qu’en raison de l’évolution des technologies et de l’élévation du niveau de scolarité de la population active. Quelles sont les caractéristiques d’un travail qui a du sens aujourd’hui, en 2005 ? Depuis 1993, nous menons des enquêtes dans différents milieux afin de déterminer les caractéristiques d’un travail qui a du sens (Morin, 1997 ; Morin et Cherré, 1999 ; Morin, 2001 ; Morin, 2003a, 2003b). Le modèle qui semble se dégager de l’ensemble des recherches menées au Québec depuis 1997 est composé de cinq facteurs : l’utilité du travail, la rectitude morale, des occasions d’apprendre et de se développer, l’autonomie, et la qualité des relations. Un travail qui a du sens est utile pour la société ou pour les autres. À l’instar du modèle sociotechnique, il importe de faire quelque chose qui serve à quelque chose, à quelqu’un, qui apporte une contribution aux autres ou à la société. Le travail a du sens lorsqu’il est fait d’une façon responsable, non seulement dans son exécution, mais aussi dans les produits et les conséquences qu’il engendre. Voici une autre dimension qui est assez peu répandue dans les modèles d’organisation du travail : la rectitude morale. Les problèmes éthiques et moraux constituent une préoccupation grandissante dans les milieux de travail. Par exemple, Jackall (1996) décrit le dilemme moral dans lequel se trouvent des gestionnaires alors qu’ils sont témoins de la médiocrité des décisions prises à l’égard des salariés ; ils se voient coincés entre leurs valeurs personnelles de justice et d’honnêteté et leurs ambitions de carrière. Tandis que certains font le choix d’agir comme le dicte leur conscience, d’autres sacrifient leur moralité et jouent le jeu de la «survie». Courpasson (1997) a observé Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -8- le même phénomène auprès des cadres français : si un cadre veut progresser dans l’entreprise, il est essentiel qu’il maîtrise l’art de bien se faire voir et reconnaître par ses supérieurs, quels que soient les moyens qu’il prenne. Il va de soi que de tels agissements ont un prix : l’intégrité personnelle. Le travail est une activité qui met des personnes et des groupes de personnes en relations, qui donnent lieu à des conflits et qui entraînent des conséquences qui ne sont pas toujours prévisibles. Un travail a du sens lorsqu’il s’accomplit dans un contexte qui respecte les règles de bienséance et de devoir et lorsqu’il est inspiré par des valeurs morales et spirituelles. Pour que le travail ait un sens, il doit également procurer du plaisir à la personne qui l’effectue. Pour cela, il doit correspondre à ses intérêts, faire appel à ses compétences, stimuler le développement de son potentiel et lui permettre d’atteindre ses objectifs de manière efficace. Pour que le travail ait un sens, il doit aussi permettre à celui qui le fait d’être autonome, c’est-à-dire de pouvoir exercer ses compétences et son jugement, de faire preuve de créativité dans la résolution des problèmes et d’avoir voix au chapitre quant aux décisions qui le concernent. Cela nécessite la restauration de la dignité humaine dans les pratiques managériales contemporaines. Pour que le travail ait un sens, il doit être fait dans un milieu qui stimule le développement de relations professionnelles positives : faire un travail qui permet d’avoir des contacts intéressants, des bonnes relations avec les autres, de développer une complicité avec ses collègues. L’impact du travail sur la santé et le bien-être psychologique des personnes En médecine du travail, il est admis que l’organisation du travail a des effets sur la santé physique et psychologique (Davezies, 1999). Warr (1987) a même qualifié les effets du travail comme étant vitaminiques. Autant que l’organisation du travail le permet, le travail agit comme un véritable tonique sur l’identité personnelle, en outre parce qu’il contribue à rehausser l’estime de soi. De Jonge et Schaufeli (1998) ont récemment testé le modèle de Warr dans les milieux de la santé et ils ont trouvé en effet que les caractéristiques de l’emploi (c’est-àdire les exigences du travail, le degré d’autonomie et le soutien social) sont reliées au bien-être psychologique des employés. Ces résultats corroborent la recherche dirigée par Karasek qui examine deux facteurs déterminants : la charge de travail (physique et mentale) et l’autonomie décisionnelle (le pouvoir d’agir et la possibilité de s’accomplir). Le travail a donc des effets négatifs et positifs sur la santé des personnes. Dans nos enquêtes sur la santé au travail, nous évaluons trois indicateurs : la santé physique, la détresse psychologique ressentie au cours de la dernière semaine et le bien-être psychologique ressenti au cours de la dernière année. Cela nous a permis de découvrir entre autres que les facteurs qui expliquent le mieux la détresse psychologique ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui expliquent le mieux le bien-être psychologique. Mais avant d’aborder ce sujet, faisons le point sur la définition de la santé mentale. Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que la santé mentale constitue un concept multidimensionnel (cognitif, motivationnel, affectif, social) référant non seulement à l’absence de maladie (ex. : anxiété, dépression, irritabilité, insatisfaction au travail), mais aussi à la présence de manifestations positives (ex. : croissance personnelle, actualisation de soi, atteinte des buts valorisés par l’individu) (Kasl, 1992). La santé mentale fait également référence à la notion d’équilibre. Tel que définie par l’OMS (1948), la santé réfère a un état de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité. Dans la recherche sur la santé au travail, deux modèles servent de référence : celui de Karasek et celui de Siegrist. Pour Karasek et Theorell (1990), deux facteurs déterminent le niveau de stress vécu au travail : les demandes psychologiques (les exigences de l'emploi et la charge de travail) et la latitude décisionnelle (la marge d’autonomie et la diversité des compétences mobilisées). Le niveau de stress serait à son maximum lorsque les demandes psychologiques sont élevées et que la latitude décisionnelle de l'employé est faible. Le niveau de stress serait toutefois diminué en présence de soutien. Ainsi, ce modèle permet de comprendre l’impact de deux facteurs de risque, les demandes psycho- logiques et la latitude décisionnelle, et d’un facteur de protection, le soutien social. Selon Siegrist (1996), ce serait le déséquilibre perçu entre les efforts qu'un employé déploie dans son travail et les récompenses qu'il en reçoit qui entraîne le stress. Les effets de ce déséquilibre perçu seraient plus néfastes pour les personnes qui ont tendance à sous-estimer le niveau des exigences du travail et à sur-estimer leurs ressources personnelles. Celles-ci sont dites «sur-engagées» (overcommitted). Les facteurs de stress pouvant entraîner des problèmes de santé sont largement reconnus. Il y a la charge de travail, l’autonomie, l’équilibre effortsrécompenses, le soutien et le niveau d’engagement des personnes dans leur travail. À cette liste, nous proposons d’examiner d’autres facteurs pouvant aussi avoir des impacts sur la santé et le bien-être psychologique : les horaires de travail, la reconnaissance, les occasions d’apprentissage, la rectitude morale, l’utilité du travail, et la qualité des relations avec les collègues et le supérieur immédiat. Nous avons examiné les relations entre ces facteurs et les trois indicateurs de santé dans plusieurs échantillons au Québec. Dans un échantillon de 582 cadres supérieurs des établissements de santé et de services sociaux du Québec, ce sont la charge de travail, la reconnaissance et le soutien du supérieur immédiat qui expliquent le mieux l’état de détresse psychologique. En effet, si le sujet perçoit son travail comme ayant une charge adaptée à ses capacités, pour lequel il se sent reconnu et qu’il peut compter sur le soutien de son supérieur, alors le score qu’il obtient à l’indicateur de détresse psychologique au cours de la dernière semaine tend à être faible, c’est-à-dire que le risque de présenter un état de détresse psychologique (à court terme) est faible. Cette observation corrobore les résultats trouvés par d’autres chercheurs dont Karasek et Theorell (1990). Par contre, les occasions d’apprentissage, l’autonomie et la qualité des relations avec les collègues sont les facteurs qui expliquent le mieux l’état de bien être psychologique. En d’autres termes, si le cadre supérieur éprouve du plaisir à faire son travail, qu’il perçoit qu’il a de l’autonomie pour le faire et qu’il a des Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -9- bonnes relations avec les autres, alors le score qu’il obtient à l’indicateur de bienêtre psychologique au cours de la dernière année tend à être élevé, c’est-à-dire que la chance de présenter un état de bien-être psychologique (à moyen ou long terme) est élevée. Dans un autre échantillon, celui de 238 employés d’un pénitencier fédéral à sécurité maximale, ce sont les occasions d’apprentissage, la qualité des relations et la charge de travail qui expliquent le mieux l’état de détresse psychologique, alors que ce sont seulement les occasions d’apprentissage et la qualité des relations qui sont retenus pour expliquer l’état de bien-être psychologique. Enfin, dans un autre échantillon, celui de 99 employés d’un centre fédéral de recherche, la perception de symptômes de détresse psychologique au cours de la dernière semaine serait clairement déterminée par les facteurs suivants : la charge de travail, les occasions d’apprentissage et la reconnaissance. Quant à l’état de bien-être psychologique, il serait mieux expliqué par l’utilité sociale, la charge de travail et la reconnaissance. Ces résultats portent à réfléchir sur les modèles d’organisation du travail et à s’interroger sur leur niveau de complexité. En outre, une question se pose de manière persistante : serait-il possible que la promotion du bien-être psychologique au travail implique des interventions différentes de celles visant la prévention des troubles de santé mentale ? Afin de promouvoir la santé au travail, il importe de mesurer non seulement des indices de détresse psychologique mais également de bien-être psychologique, car il est fort probable qu’il faille agir dans les deux sens : la prévention des troubles de santé et la promotion de la santé. Fort des résultats de nos recherches au cours de 10 dernières années, il est possible de définir les contributions des psychologues. Les pratiques de recrutement et de sélection doivent continuer de faire valoir l’importance de l’appariement des intérêts et des compétences de la personnes avec les exigences du poste, car cela aura un impact sur l’estimation que l’employé fera de ses chances à atteindre ses objectifs de travail et par conséquent, sur le niveau de stress ressenti dans l’exercice de ses fonctions. Les pratiques d’orientation professionnelle et de développement de carrière doivent aider les personnes à faire des choix qui respectent leur identité et leurs talents, afin d’améliorer leurs chances de s’accomplir et de se dépasser dans leur emploi, sans mettre en péril leur santé et leur équilibre. Les pratiques de formation doivent être encouragées et soutenues dans le cadre des activités quotidiennes des employés. Il faut porter une attention aux pratiques de récompenses et de reconnaissance afin d’assurer la perception de la justice et de l’équité dans les traitements. Quant aux pratiques d’accompagnement des cadres, il faut les aider à développer les compétences suivantes : - Donner des orientations claires à leur personnel ainsi que des objectifs stimulants et cohérents avec la stratégie de l’organisation - Valoriser et reconnaître les résultats des personnes - Reconnaître les compétences de leur personnel - Ajuster la charge de travail aux capacités et aux ressources de chacun - Donner du support à leur équipe de façon bien concrète. - Donner à leur équipe la marge de manœuvre suffisante pour organiser le travail de la façon qui leur apparaît la plus efficace - Permettre à leur personnel d’exercer leur jugement et leur influence dans leur milieu - Faciliter le développement de relations professionnelles positives et significatives - Confier des responsabilités à leur personnel et faciliter leur développement professionnel Faut-il se rappeler ce que Freud lui-même disait du travail : comme l’amour, il est une nécessité vitale pour le développement des personnes et de la société démocratique. Le travail façonne l’identité et la vie psychique des personnes en même temps que les personnes façonnent et transforment, par leur travail, la matière, l’information, les relations, et par extension, la société dans laquelle elles vivent ainsi que l’héritage qu’elles laisseront aux générations futures. Les portées du travail sont multiples : matérielles, biologiques, psychologiques, psychi- ques, sociales, spirituelles, économiques. Il est essentiel de comprendre les principes à l’œuvre dans l’organisation du travail afin de pouvoir préserver la santé psychologique et stimuler l’engagement des employés. J Bibliographie Barling, J., Frone, M.R. (Eds.) (2004) The Psychology of Workplace Safety, Washington, DC: American Psychological Association. Courpasson, D. (1997). Le retour de la domination. Les invités de l’École de Paris, 19. Danna, K., Griffin, R.W. (1999). Health and well-being in the workplace : A review and synthesis of literature. Journal of Management, 25, 357-384. 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Moral mazes : managerial work and personal ethics. In M. D. Errmann et R. J. Lundman (Eds.), Corporate and Governmental Deviance : Problems of Organizational Behavior in Contemporary Society, New York : Oxford University Press, 61-76. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -10- Karasek, R., Theorell, T., (1990). Healthy work : stress, productivity and the reconstruction of working life. New York : Basic Books. Ketchum, L. D., Trist, E. (1992) All Teams Are Not Created Equal. How Employee Empowerment Really Works. Newbury Park : Sage Kasl, S.V. (1992). Surveillance of Psychological Disorders in the Work Place. In G. Puryear Keita et S.L. Sauter (Eds.), Work and well-being, An agenda for the 1990s, Washington, D.C.: American Psychological Association, 73-95. Lowe, G. S., Schellenberg, G., Shannon, H.S. (2003). Correlates of employees' perceptions of a healthy work environment. American Journal of Health Promotion, 17, 390-399. Morin, E. M. 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Québec : Presses de l’Université Laval. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -11- De la logique de compétences à l’analyse de l’expérience : le cas de la Validation des Acquis de l’Expérience Jacques AUBRET Professeur émérite INETOP/CNAM (Paris) J Le langage des « compétences » sature les échanges entre les différents acteurs et partenaires du monde professionnel, de la formation et des pratiques sociales attachées à l’orientation et à l’insertion professionnelle. La « logique des compétences » comme façon de penser et de poser le problème des relations de l’homme au travail peut se comprendre comme une manière cohérente de présenter et de justifier certaines pratiques de gestion et de management « de » et « par » les compétences. Nous nous interrogeons, cependant, sur le caractère potentiellement réducteur de cette logique plutôt attachée à l’immédiateté adaptative et au constat d’efficacité en situation qu’à la manifestation du potentiel adaptatif des individus et à l’explicitation des conduites de changement qui permettraient d’exprimer ce potentiel de manière efficace. A partir des pratiques touchant à la validation des acquis de l’expérience (VAE), nous tenterons de clarifier différents aspects de la contribution de la psychologie en matière d’évaluation, d’orientation et d’accompagnement des personnes en transition, lorsqu’elle permet de considérer l’«expérience » non seulement comme « preuve » d’acquis et de compétences mais comme « indicateur » des changements en cours et des évolutions possibles. _____________________________ « Christophe a 21 ans. Il a quitté le Lycée il y a trois ans sans aucun diplôme et aucune qualification professionnelle et s’est engagé dans la vie active pour gagner son indépendance et sa liberté. Il ne s’est jamais trouvé sans travail, acceptant tous les petits boulots qui se présentaient: livraison de colis, service à domicile, station service, animation dans une grande surface (« père noël »), surveillant en Lycée pour un remplacement de quatre mois, et même intermittent du spectacle (« régie »). Cette succession de contrats à durée déterminée et d’embauches à la demande attachés à de faibles rémunérations et sans perspective d’évolution est mal vécue. Christophe n’a pas de projets d’avenir mais se demande comment il pourrait sortir de la précarité qu’il accepte de moins en moins. Il a entendu parler de la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience), comme une seconde chance dans un parcours de qualification, accessible à tous ceux qui ont trois années d’expérience professionnelle, ce qui est son cas. Mais personne ne sait vraiment pas comment prendre ses interrogations. Psychologues, conseillers de bilan ou accompagnateurs vont à tour de rôle s’intéresser à son expérience, constater ses qualités d’adaptation, son intelligence pratique, son initiative et son autonomie, et ses capacités à agir de manière efficace dans les tâches qui lui sont confiées. Mais son parcours d’emploi est atypique. Christophe présente les caractéristiques d’une personne efficace et compétente, mais ses références professionnelles portent sur des emplois « non qualifiés ». Ce cas, illustre la solidarité des problèmes qui se posent aux personnes dès l’entrée dans la vie professionnelle, confrontées à la précarité des emplois et au chômage, et placées dans l’obligation, à un moment ou l’autre, de développer des stratégies d’adaptation qui dépassent les seules considérations sur le court terme (développement de l’employabilité par la qualification professionnelle, projets d’orientation et de carrière, projets personnels, etc.). Lorsque les psychologues du travail inscrivaient l’exercice de leur métier dans la gestion des ressources humaines, ils étaient à la fois « gestionnaires » (participation à la définition des règles de gestion relatives aux res- sources et aux emplois) et « opérateurs » (implication directe dans le recrutement). Lorsqu’ils s’investissent dans le champ éducatif et social, ils ne peuvent pas être seulement les agents de la collectivité au service de mandats ou de missions qui sont définis en dehors d’eux et souvent sans eux, mais ils répondent à des cahiers de charges personnalisés qui reconnaissent le droit et la qualification des personnes bénéficiaires à traiter de leurs problèmes et leur qualité de psychologue intervenant comme conseillers accompagnateurs au service de ces démarches personnelles. Il pourrait sembler paradoxal de partir des procédures de Validation des Acquis de l’Expérience, pour traiter de la posture des psychologues dans le champ social, alors que ceux-ci n’ont ni les compétences ni les prérogatives des valideurs et des certificateurs. Toutefois, il n’est pas hors de propos de se demander comment un dispositif, « situé » dans le temps, peut porter en lui toutes les ambiguïtés et contradictions qui se posent à un moment donné, dans les représentations et la gestion par la collectivité des rapports « individu-collectivité ». C’est d’ailleurs parce qu’ils sont impliqués dans la résolution de ces contradictions que les psychologues ont plus que jamais un rôle à jouer près des individus et des organisations. Ainsi, pour mieux comprendre les évolutions que l’on a vu se dessiner à partir des années 1980, dans l’exercice du métier de psychologue et que l’on a vu se préciser avec le développement des bilans de compétences dans les années 1990, nous partirons de l’analyse du dernier né des dispositifs mis en œuvre par les pouvoirs publics pour favoriser l’accès à la qualification professionnelle sur la base de la validation des acquis de l’expérience. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -13- La validation des acquis de l’expérience (vae) : pratique sociale et présupposés La validation des acquis professionnels et de l’expérience est entrée dans la législation française et dans le code du travail de manière progressive. Trois étapes significatives ont marqué cette histoire : - - - dispense de titres requis pour accéder à une formation diplômante : un décret du 23 août 1985 fixait les conditions de validation des études, expériences professionnelles ou acquis personnels en vue de l’accès aux différents niveaux de l’enseignement supérieur ; dispense de parties d’examen pour l’obtention d’un diplôme : selon la loi du 20 juillet 1992, toute personne qui avait exercé pendant cinq ans une activité professionnelle pouvait demander la validation d’acquis professionnels (VAP) pour justifier d’une partie des connaissances et des aptitudes exigées en vue de l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur et pour tous les diplômes de l’enseignement technologique et professionnel classés aux niveaux III, IV et V de la nomenclature des niveaux de formation. Les dispositifs créés en application des textes de 1992 ont fonctionné depuis 1993 pour les diplômes du secondaire et du supérieur, depuis1998 pour les diplômes du ministère de l’agriculture et 1999 pour les Brevets d’état du ministère de la jeunesse et des sports, jusqu’à la promulgation d’une nouvelle loi en 2002. validation par un diplôme sanctionnant les acquis de l’expérience. Les articles de la loi dite de « modernisation sociale » du 17 janvier 2002 concernant la validation des acquis de l’expérience (Vae) s’organisent autour de deux axes : création d’un droit à la candidature à la Vae permettant d’acquérir tout ou partie d’un diplôme; réorganisation de l’ensemble des diplômes garantis par l’état autour d’un répertoire des certifications professionnelles. La durée de l’expérience professionnelle requise pour être candidat à la Vae est ramenée de cinq à trois ans. En outre la totalité d’un diplôme peut être obtenue par validation. La «Vae», telle qu’elle est opérationnalisée par la loi sur la modernisation sociale, est inscrite dans une continuité législative et gestionnaire (acteurs sociaux et pouvoirs publics) par des textes relevant de la formation continue, de l’éducation permanente, du bilan de compétences, de la formation tout au long de la vie, de la formation professionnelle : - Lois de Juillet 1971 sur la formation continue et l’éducation permanente ; - Loi du 31 décembre 1991 sur le bilan de compétences professionnelles et personnelles ; - Convention de l’Unedic en 2001, instituant un bilan de compétences approfondi (BCA), pour les chômeurs rencontrant des difficultés à trouver un emploi ; - Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. L’adaptation aux mutations économiques, sociétales et culturelles affichée dans le cadre de la formation continue et de l’éducation permanente en 1971 se réduit progressivement, depuis cette date, à des considérations sur la formation professionnelle qui devient le symbole de la formation tout au long de la vie. On est bien loin de l’idéal révolutionnaire démocratique et égalitaire énoncé par Condorcet: « L’instruction doit être universelle, c’est-à-dire s’étendre à tous les citoyens. Elle doit, dans ses divers degrés, embrasser le système entier des connaissances humaines, et assurer aux hommes dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances, ou d’en acquérir de nouvelles ... » (rapport présenté à l’Assemblée nationale, au nom du Comité d’instruction publique, par Condorcet, les 20 et 21 avril 1792). La Vae présentée parfois comme « une nouvelle chance » accroît paradoxalement l’effet de cette réduction de l’éducation tout au long de la vie à la formation professionnelle en donnant le sentiment que l’obtention d’un diplôme remplit à elle seule ce qui est impliqué par la nécessité de la formation dans un parcours de vie. En outre, deux présupposés fortement entretenus dans les discours sur la Vae, entretiennent l’idée que l’expérience professionnelle «qualifie» les travailleurs et que l’ «on apprend» par l’expérience. Certes, les compétences se mettent en œuvre et s’évaluent à travers des réalisations professionnelles, mais l’expérience professionnelle peut aussi être interprétée selon ses contenus, soit comme un témoignage de l’adaptabilité des travailleurs soit comme l’expression des routines créées par la répétitivité des mêmes tâches à accomplir. L’expérience peut «déqualifier». Les difficultés de réinsertion professionnelle que rencontrent les travailleurs licenciés, après vingt ou trente années de travail en usine le montrent presque quotidiennement. De même, personne ne contestera réellement que l’expérience fait partie intégrante des processus d’apprentissage, au même titre que l’on devra admettre que des conditions psychologiques extérieures à l’activité professionnelle (par exemple la capacité d’apprendre des personnes, ou l’«apprenance», selon les termes de Carré, 2004) sont nécessaires pour qu’une expérience laisse des traces durables en termes d’acquisition. La Vae comme pratique sociale trouve sa place dans un ensemble de mesures de gestion destinées à faciliter l’accès de tous à la formation et aux diplômes et notamment de « publics » qui en seraient écartés (de manière injuste), d’accompagner le développement de l’employabilité tout au long de la vie, de donner une « seconde chance » à ceux qui ont laissé échapper la première chance offerte par la scolarité obligatoire. Raccourcir le cas échéant les temps de formation continue, lutter contre le chômage, inciter les personnes à retourner le plus rapidement possible vers un emploi, sont aussi des objectifs affichés. Mais la Vae en raison des ambiguïtés et des contradictions que son application soulève ne peut pas être présentée comme le seul moyen de valoriser l’expérience personnelle et professionnelle (Aubret & Gilbert, 2003). Ambiguïtés et contradictions de la validation des acquis de l’expérience Les pratiques de Vae se sont situées, dès les années 1980, dans la perspective internationale développée autour des pratiques de validation des acquis non formels et de la reconnaissance et de la validation des acquis (Cf. Colardyn, 1996 ; 2002). D’une certaine manière la validation des acquis de l’expérience introduit une nouvelle forme de césure entre le formel et l’informel en sélectionnant, en quelque sorte, les expériences valorisables (recevables au terme Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -14- de la loi). Le principe est explicite dans la loi de modernisation sociale. En effet, « peuvent être prises en compte, au titre de la validation, l'ensemble des compétences professionnelles acquises dans l'exercice d'une activité salariée, non salariée ou bénévole, en rapport direct avec le contenu du diplôme ou du titre. La durée minimale d'activité requise ne peut être inférieure à trois ans ». (cf. article 133 et 134 de la loi du 17 janvier 2002). Dans cette sélection, le terrain le plus favorable pour la Vae concerne les aspects « professionnalisés » des emplois occupés ou des activités professionnelles exercées, c'est-à-dire ceux qui, d’une manière ou d’une autre sont formalisés par l’existence d’une chaîne de référentiels (référentiel professionnel, référentiel de formation, référentiel de diplôme ou de certification). Ces référentiels expriment ce qui est « typique » dans un emploi, un métier ou une profession. Ils sont l’aboutissement de processus de « formalisation ». Ils matérialisent l’espace occupé par le travail dit « qualifié » : celui que l’on aborde par un diplôme professionnel, celui qui est pris en compte dans les conventions collectives et permet de progresser en rémunération et dans la carrière. Dans cet espace très organisé, Christophe, dont on a évoqué les trois années de parcours professionnel, présente une candidature recevable sous l’angle de la durée de l’expérience mais irrecevable sous celui du caractère atypique des emplois occupés. Si la Vae se situe, par principe, sur le terrain de la qualification, elle peut accompagner des processus de professionnalisation comme le montrent d’une certaine manière les statistiques résultant des applications de la loi. La comparaison entre les différentes études menées par la Dares (Direction de l’animation, de la recherche, des études statistiques du Ministère de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, 2004) et la DEP, (Direction de l’Evaluation et de la Prospective du Ministère de l’Education Nationale, février, 2003), montre des différences importantes dans le recours à la validation selon les organismes valideurs ou ministères concernés. Par exemple, plus de 7 candidats sur 10 sont des demandeurs d’emploi pour les titres du ministère de l’emploi (principalement délivrés par l’Association pour la Formation Professionnelle des Adultes, AFPA), contre 25% seulement pour les titres du ministère de l’Education Nationale (délivrés par les GRETA et le CNAM). 80 % des demandes concernent des titres de niveau CAPBEP au ministère de l’emploi, dont une majorité vise le titre d’assistante de vie, alors que ce niveau n’est concerné que par un quart des candidats dans l’Education nationale. Les diplômes les plus recherchés, dans l’enseignement supérieur sont les DESS, les DEA et les licences professionnelles. La validation des acquis, dans le supérieur touche, avant tout, les actifs (70% des demandes) et non les chômeurs. Pour les niveaux de qualification les moins élevés la Vae se présente comme un élément de valorisation des emplois (et par contre coup des personnes) au sens où elle permet de définir pour les métiers considérés (assistante de vie essentiellement) ce qui relève d’une qualification. Mais elle touche un très petit nombre d’emplois. Pour les niveaux de qualification plus élevés la Vae sert essentiellement les progrès en qualification des personnes. C’est à ce niveau qu’est concerné le plus grand nombre des candidats. Ces effets positifs n’ont pas l’impact attendu d’une mesure qui, pour être équitable, devrait concerner toutes les personnes et toutes les formes d’emploi humain. Prend-on le risque d’avoir à constater dans un bilan futur de la Vae ce qui avait été observé pour la formation professionnelle : les moyens de la formation professionnelle continue ont davantage profité à ceux qui en avaient le moins besoin (cf. Péry, 1999) ? Les principales contradictions que soulève la mise en pratique de la Vae se trouvent dans les ambiguïtés et les usages de la référence à la notion même d’expérience professionnelle. En matière d’organisation du travail, on ne peut séparer les usages de cette notion des manières de penser les relations de l’homme au travail et à ses pairs. Durant ces vingt dernières années on a souvent opposé, de ce point de vue, « logiques de poste ou de statut » et « logiques des compétences ». Dans une logique de poste, de statut, d’emploi, les considérations sur le travail humain sont structurées par la référence à la notion de « qualification » (qualification des emplois et qualification des travailleurs). La définition des postes et des emplois et le recrutement professionnel sont les héritiers de l’organisation scientifique du travail, de la division des tâches, des classifications. Chaque tra- vailleur a sa place dans cette organisation. Il est évalué sur la conformité de ses actes à des normes définies pour chacun des gestes professionnels qu’il exécute. Dans cette logique, l’expérience professionnelle, n’est qu’une forme d’application, répétée dans l’espace et dans le temps, des gestes appris. Un enseignant, un médecin, un formateur, un conseiller, etc., peuvent « avoir de l’expérience » ou « être sans expérience ». L’expérience renforce les apprentissages, réduit le taux d’erreur, permet de spécifier l’exercice de la qualification à la variété des contextes et des situations rencontrées. L’initiative et l’autonomie du travailleur s’exercent dans le cadre fixé par le métier ou la profession. Les travailleurs non qualifiés apprennent leur métier sous la tutelle d’un patron : c’est le principe même de l’apprentissage et de ce qui a fait, et fait encore, la force du compagnonnage. L’expérience est qualifiante. Dans une logique des compétences, le travail est d’abord conditionné par les réponses que l’on doit apporter à des demandes, des clients, des missions. La norme d’évaluation est la satisfaction du client. On a défini les compétences comme la capacité à être efficace « en situation ». La logique des compétences exploite cette définition jusqu’à l’extrême. Toutefois, comme l’indique Zarifian (2001) il n’y a pas d’opposition radicale entre qualification et compétence. La compétence pourrait résulter précisément de la capacité à mettre en œuvre sa qualification quelles que soient les variations des conditions contextuelles de son application. Dans cette perspective, l’initiative et l’autonomie, la capacité à prendre des risques sont des qualités essentielles du travailleur que seule l’expérience professionnelle confirme et renforce. En outre, cette logique conçue à partir de l’aval, implique la solidarité de chacun dans une chaîne de travail, dont rend compte en quelque sorte la notion de compétence collective, et l’obligation pour tous d’apprendre à coopérer. Mais la logique des compétences peut aussi se déconnecter partiellement de toute référence à la qualification. C’est ce qui se produit dans ce que l’on appelle le travail « non qualifié », non professionnalisé, non formalisé. Au sein des entreprises ou des administrations, ce sont les emplois « bouche-trou » confiés à des « agents à tout faire ». Ils concernent tout ce qui n’est pas pris en charge par la définition des postes ou des statuts mais Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -15- qui assure le bon fonctionnement de l’ensemble. Les emplois jeunes ont été créés dans cette logique. Au départ, ni métier, ni carrière, ni « existence professionnelle ». Dans le meilleur des cas, une qualification est possible lorsque l’emploi se professionnalise. D’autres exemples peuvent être trouvés dans toutes les formes de service qui correspondent à des besoins personnels, sociaux, à domicile ou au sein d’associations de tout genre. Le contenu de l’activité et son évaluation sont pilotés par la demande du client et sa satisfaction. De même, entre les entreprises et les clients existent de multiples formes de service peu structurées, mais bien visibles (ex : gardiennage, surveillance, livraisons, distribution de publicité, etc.). Tous ces emplois ont en commun une très grande variabilité des tâches, une faible spécificité, et exigent disponibilité, adaptabilité aux circonstances. Il n’existe pour ces emplois aucune référence ni à la carrière, ni à un groupe professionnel. Les travailleurs sont généralement recrutés de manière précaire. D’une certaine manière, le cas de Christophe illustre parfaitement cette situation : sa durée dans l’emploi (trois ans) témoigne largement de ses capacités adaptatives, et de la maîtrise de compétences sociales et comportementales souvent considérées comme des compétences clés (Evéquoz, 2004) mais en même temps cette durée l’oriente vers une impasse dans la mesure où cette expérience ne permet pas de construire sur le temps une véritable identité professionnelle, tant sur le plan d’un métier que sur celui des appartenances professionnelles. Dans cette perspective, l’expérience est atypique, sans statut. La Vae ne fructifiera dans le domaine de la reconnaissance du travail non qualifié que lorsqu’elle permettra de prendre en compte la totalité des expériences personnelles et profession-nelles de chacun. Il sera alors nécessaire de s’affranchir d’une vision des acquis de l’expérience trop associée à la contingence des situations de travail (vision attachée à la notion de compétences) pour considérer les acquis de la personne sous l’angle d’un potentiel en évolution dont les performances ne traduisent que la partie visible. Il s’agit donc de dépasser à la fois les logiques de qualification et de compétences pour ancrer le travail psychologique dans une logique de développement et d’investissement personnel et profes- sionnel. C’est l’objet de l’analyse psychologique de l’expérience. Dépasser les ambiguïtés et les contradictions de la Vae par l’analyse psychologique de l’expérience professionnelle Le psychologue de l’orientation et du travail confronté aux problèmes de Christophe ne fera sans doute pas de la Validation des acquis de l’expérience le seul objectif de son intervention (même si ce passage vers des validations successives dans le temps est un élément stratégique pour progresser). L’idée légitime de stabilisation dans un emploi passe nécessairement par la définition coordonnée de buts proches et à moyen terme en fonction des atouts actuels qui sont, dans ce cas précis, un élément positif pour une insertion immédiate (ce que prouve le parcours), et des atouts à développer qui constitueront les bases d’une identité professionnelle à conquérir. Le psychologue place la dimension cognitive du sujet au centre de l’observation, c’est-à-dire qu’il se focalise d’abord sur les opérations de conception, de pilotage, de régulation, de contrôle de ses actions par le sujet. Il s’intéresse aussi aux opérations de traitement des environnements par le sujet, à ses capacités d’actions et d’interactions en réponse à leur sollicitation. Le « sujet cognitif » est aussi observé comme sujet qui prend conscience et qui évalue les causes et les effets de ses actes. L’expérience est donc de nature cognitive pour le psychologue, et les acquis de l’expérience peuvent être assimilés aux transformations provisoirement stabilisées des manières d’être, de connaître et d’agir de l’individu dans ses environnements. C’est dans ce sens que l’expérience peut faire partie des processus d’apprentissage et de développement au même titre que les formations académiques. Bien des doutes subsistent cependant quant à la nature réelle de ces transformations, aux moments où elles se produisent, de l’enchaînement des causes et des effets qui les produisent. Si la perception et les représentations qu’en a le sujet pour les expliciter, constituent des éléments incontournables de leur mise en évidence, on perçoit d’emblée la nécessité de recourir à des formes d’analyse objective de l’expérience. On dispose d’une pluralité de méthodes permettant de prendre conscience des changements progressifs des manières de connaître, d’être et d’agir résultant des confrontations de la personne avec ses environnements (y compris les environnements de travail). Qu’il s’agisse d’explicitation de l’expérience (Vermersch, 1996), d’analyse clinique de l’activité (Clot, 1999), des pratiques de portefeuilles de compétences (Aubret J., & Fédération des CIBC 2001), de bilan de compétences ou de bilans personnalisés (Lemoine, 2005 ; Aubret & Blanchard, 2005), ou de pratiques fondées sur les histoires et les récits de vie (Delory-Momberger, 2000), l’expérience est toujours considérée dans un schéma d’interaction entre un sujet qui opère et l’effet en retour de ses actes. La formalisation de l’expérience nécessite cependant un temps de réflexion et de reconstruction qui actualise ces interactions et leur donne du sens par rapport à de nouvelles pistes de développement. C’est ce que l’on a tenté de résumer dans le tableau ci-après. Quatre facettes articulées de l’expérience sont ainsi présentées correspondant chacune à des énoncés typiques des récits que font les personnes de leur parcours de vie (cf. Havet, 2002) : « Je décris ce que j’ai fait et comment j’ai fait » ; « Je peux dire en quoi je me suis impliqué dans l’action », « Je peux dire ce qui a changé dans mes manières d’être, de connaître et d’agir » ; « J’ai une idée de la manière dont je vais exploiter ce que j’ai acquis. Je sais ce que je vais faire maintenant ». Si la culture de l’évaluation professionnelle, sur la base d’une explicitation des expériences des sujets et des acquis susceptibles d’en résulter, laisse une place à une lecture psychologique de l’expérience, celle-ci n’a cependant d’utilité véritable que lorsqu’elle contribue à nuancer des évaluations trop dépendantes des contextes socioculturels ou socioéconomiques, notamment lorsque ces contextes conduisent à des interprétations négatives des expériences individuelles. Autrement dit, la mise en valeur de l’expérience ne se comprend pas d’abord comme un acte qui conclurait un processus d’investigation et d’interprétation de données, mais comme un processus dynamique qui s’enracine dans l’activité de prise de conscience du sujet sur son activité, se développe à travers des processus d’explicitation, se confronte à des évaluations externes, s’argumente à partir de faits et de réalisations probantes, reconnaissables et acceptables par autrui. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -16- Description de l’expérience Objectivation Les expériences professionnelles et personnelles Analyse réflexive Pistes de développement Elaboration de projets Explicitation Analyse de l ’implication subjective Reconnaissance des acquis Reconnaissance des effets sur soi La mise en valeur de sa propre expérience, comme processus psychologique, est donc faite à la fois de décentration cognitive (reconnaître le point de vue d’autrui sur soi et sur ses actes) et d’objectivation (réaliser le dossier de réalisations personnelles et professionnelles) qui permet à autrui non seulement de tester l’authenticité du contenu des déclarations, mais d’en comprendre la portée. Evaluer l’expérience professionnelle c’est accompagner un processus de mise en valeur, propre à faire émerger à la fois les objets sur lesquels porte l’évaluation et les critères qui permettent d’attribuer de la valeur. Le psychologue apporte à la personne qui s’évalue le regard extérieur qui va lui permettre le dépassement de sa propre subjectivité en s’appuyant sur son expression ; le psychologue apporte à la collectivité un regard psychologique qui ne réduit pas le potentiel de la personne à ce qu’elle a fait, mais qui, en intégrant les évolutions de la personne, laisse une place à l’expression et à la réalisation du possible. En conclusion L’avènement de la Vae donne une nouvelle légitimité et de nouvelles utilités sociales à l’analyse de l’expérience professionnelle. Si les psychologues ne sont pas impliqués dans les actes de certification ils peuvent tenir une place essentielle en amont et en aval des procédures, pour leur donner du sens dans des projets d’orientation et des stratégies de réalisation. Mais leur appréhension de l’expérience doit pouvoir dépasser les contradictions qu’engendrent les références aux logiques de qualification et de compétences pour se situer davantage dans des schémas de développement personnel et professionnel qui prennent en compte l’ensemble du processus d’apprentissage par l’expérience comportant à la fois des réussites et des échecs et une compréhension du potentiel humain qui, certes se prouve par des performances, mais qui ne se réduit pas à ce qui a été manifesté à un moment donné dans des circonstances particulières. Autrement dit l’analyse de l’expérience ne doit pas enfermer l’individu dans son passé et dans ce qu’il a fait. Le rôle de gestionnaire des ressources humaines largement sollicité par le recrutement professionnel s’efface devant des rôles de manager, d’accompagnateur, de conseiller où l’intervenant est moins préoccupé par l’évaluation des personnes que par l’accompagnement des changements personnels associés aux transformations progressives des images de soi sur le temps d’un bilan de compétences ou celui de la réalisation d’un dossier de validation. Aubret J., & Fédération des CIBC (2001). Le portefeuille de compétences. Le portefeuille des acquis de formation et d’expérience. Paris : Etablissement d’Applications Psychotechniques. Aubret, J. & Gilbert, P. (2003). V'alorisation et validation de l’expérience professionnelle. Paris : Dunod. Aubret, J. & Blanchard, S. (2005). Pratique du bilan personnalisé. Paris : Dunod. Carré, P. (2004). L’apprenance. Paris : Dunod. Clot,Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris : Presses universitaires de France. Colardyn, D. (1996). 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L’entretien d’explicitation. Paris : ESF. Zarifian, P. (2001). Le modèle de la compétence. Paris : Editions Liaisons. J Références Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -17- L’engagement en formation Quels processus pour comprendre l’entrée et le maintien dans un parcours de formation professionnelle continue ? C. LAGABRIELLE, A.M. VONTHRON 1 D. POUCHARD2 J Pour les adultes, la formation professionnelle continue est rendue indispensable par le contexte très évolutif du monde du travail : nécessité de maintien ou de redéploiement des compétences, redéfinition des postes et des activités afférentes, réorganisations des qualifications et des métiers, mobilité accrue dans l ’emploi, par les difficultés d’insertion actuelles ou encore par la multiplication des ruptures et des transitions socioprofessionnelles. Malgré cette nécessité, un taux conséquent de non aboutissement des parcours formatifs qualifiants est constaté, que ce soit lors de la phase d ’intégration ou lors du déroulement des cycles formatifs. Les interrogations soulevées à ce propos sont nombreuses et portent entre autres sur l’intentionnalité d’inscription dans de tels parcours formatifs, les défections ou l’entrée effective dans les stages proposés ou encore les abandons en cours de formation. Derrière ces questions, force est de souligner la complexité des problématiques en jeu relevant de la prédiction des issues formatives ou de la compréhension des processus d’engagement mis en œuvre. Les études présentées ici visent à identifier différents facteurs susceptibles d’intervenir dans les conduites d’engagement et de maintien en formation. 1 - L’entrée en formation Pour tenter de mieux comprendre l’entrée en formation, deux cadres conceptuels ont été considérés. Par-là, il s’agit d’appréhender leurs apports et leurs limites respectives quant à la compréhension du phénomène d’intégration (vs nonintégration) d’un parcours programmé de formation professionnelle qualifiante. Le premier a trait au champ socio-cognitif avec la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1985 ; Ajzen & Madden, 1986). Dans cette perspective, quatre dimensions principales sont étudiées afin de comprendre ce qui amène les individus à réaliser un projet (ici, celui d’intégrer une formation professionnelle qualifiante) : l’attitude envers le comportement visé (fondée sur les conséquences associées à sa réalisation et l’évaluation positive ou négative de ces conséquences), la norme sociale (renvoyant au fait que des personnes signifiantes approuvent ou pas celle qui veut adopter le comportement ainsi que l’importance accordée à leur appui), la perception de contrôle (fruit de l’estimation de la personne à disposer des moyens nécessaires pour adopter le comportement voulu) et la fermeté de l’intention à réaliser l’action projetée. La théorie du comportement planifié mentionne que les trois premières dimensions prédisent chacune l’intention, qui, ellemême, prédit l’adoption du comportement visé. On constate ainsi que l’intention apparaît comme le déterminant immédiat d’un comportement à condition que celuici soit spécifique, voulu et effectué dans une situation clairement définie. Le deuxième cadre conceptuel se situe dans le champ motivationnel et s’appuie plus particulièrement sur les travaux de Battistelli & al (1993, 1994, 1998, 2000). Dans la lignée des travaux de Tannenbaum & Yukl (1992), ces auteurs distinguent différentes dimensions de la motivation à la formation : une motivation à suivre la formation (dans ce cas, la formation représente essentiellement un moyen dirigé vers le but d’obtention d’un emploi ou d’une amélioration du statut socioprofessionnel actuel), une motivation à apprendre qui relève de l’acquisition et/ou du développement de connaissances et capacités professionnelles et une motivation à transférer les compétences acquises dans le travail qui renvoie aux perspectives d’utilisation des éléments appris en contexte professionnel. Pour ces auteurs, les conduites d’intégration peuvent être expliquées à partir de ces composantes motivationnelles. Ils insistent notamment sur l’importance des aspects motivationnels intrinsèques comme prédicteurs de l’intégration dans un parcours formatif (motivation à apprendre), les éléments motivationnels à orientation instrumentale (motivation à suivre) ne permettant pas, à eux seuls, d’assurer la mise en œuvre d’actions d’intégration dans un parcours formatif. Deux modèles de recherche3 référant à chacune de ces deux orientations théoriques ont donc été élaborés et mis à l’épreuve auprès de sujets retenus pour être intégrés dans des parcours formatifs qualifiants. 127 sujets ont été sollicités par questionnaires auto-complétés relatifs au modèle du comportement planifié et 96 sujets ont répondu à des questionnaires relatifs aux dimensions motivationnelles, un mois après leur participation à un dispositif d’orientation et d’affectation à un stage débutant dans le trimestre suivant. Sur les 127 sujets, 60,6% a effectivement intégré par la suite la formation prévue ; 1 Equipe Psychologie sociale des insertions, Laboratoire de Psychologie EA3662, Université Victor Segalen-Bordeaux2, 3 ter place de la victoire, 33076 Bordeaux Cedex, [email protected], [email protected] 2 AFPA-CROP Aquitaine, 48-51 rue de Marseille, 33000 Bordeaux, [email protected] 3 Les questionnaires complets sont disponibles sur demande adressée à D. Pouchard. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -19- sur les 96 sujets, 58,3% est ensuite entré en stage. Concernant la modélisation issue de la théorie du comportement planifié, il apparaît effectivement que plus l’intention d’entrée en stage définie au préalable est ferme, plus elle se soldera dans les mois qui suivent par une conduite d’intégration. Ce lien significatif entre intention et comportement indique bien que l’on se situe dans un cadre d’étude de comportement ayant un caractère volitif quant au choix final d’entrée ou pas en stage. En outre, nous observons que la norme sociale est, auprès de cette population, la seule dimension significativement prédictive de l’intention d’entrée en formation et qu’elle intervient pour influencer la conduite ultérieure. Ainsi, c’est la dimension d’approbation sociale qui apparaît ici comme la plus adéquate pour comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’action finale. La formation professionnelle qualifiante représentant un événement important dans la vie professionnelle et personnelle du sujet (Lagabrielle, 1999), il semble logique que l’avis de l’entourage participe activement au choix effectué en matière d’engagement en formation. Concernant la modélisation issue des théories motivationnelles relatives à l’adulte en formation, les résultats indiquent l’existence de liens entre l’importance de la motivation et la mise en œuvre d’un comportement ultérieur d’entrée en stage. En outre, cinq facteurs motivationnels ont été mis en évidence : un premier facteur nommé « développement du statut socioprofessionnel », un deuxième facteur renvoyant au « développement des opportunités de changement professionnel », un troisième facteur centré sur « l’amélioration de la maîtrise des activités de travail », un quatrième facteur reposant sur le « développement de l’expertise et de la spécialisation » et un cinquième facteur relatif à « l’augmentation de l’employabilité ». Deux facteurs motivationnels spécifiques s’avèrent avoir une influence prépondérante sur la conduite d’entrée en formation : le premier renvoie à l’élévation attendue du statut socioprofessionnel, le deuxième à l’ouverture des possibilités de modifier son parcours en emploi. Dans les deux cas, la notion de mobilité professionnelle apparaît de façon marquée au détriment de l’approfondissement des activités professionnelles connues. Par ailleurs, l’augmentation de l’employabilité, maître mot de ces dernières années et notamment dans le domaine de la formation tout au long de la vie ne se présente pas pour notre population comme un élément motivateur significatif, générant un engagement dans un parcours formatif et ce, bien que 60% environ de la population interrogée soit constituée de personnes au chômage. 2 - Le maintien en formation Afin d’analyser le processus de maintien ou d’abandon en formation, plusieurs composantes motivationnelles, cognitives et sociales pouvant avoir un effet lors de la confrontation des personnes aux situations formatives ont été considérées. L’objectif est d’étudier leurs effets concomitants dans la mesure ou la littérature fait état de processus complexes et interactifs. Plus spécifiquement, le maintien en formation pourrait s’appuyer sur des processus motivationnels favorisant ou non l ’engagement durable (Vallerand & Thill, 1993; Boutinet, 1998 ; Battistelli & al, 1998, 2000), sur le sentiment d’auto-efficacité (Bandura, 1986; Sadri & Robertson, 1993), sur le sentiment de concordance entre l’avenir professionnel envisagé et la formation suivie (Nuttin, 1987) ou encore sur les soutiens sociaux perçus (Lent & al, 1994). Concernant le sentiment d’autoefficacité, il convient de rappeler qu’il s’agit d’une évaluation de l’ordre des croyances individuelles quant à ses propres capacités à effectuer ou à persister dans une action donnée. Il est montré notamment que si cette croyance en ses capacités est faible, le risque d’abandon est plus important pour la personne ayant à se confronter à des situations difficiles ou coûteuses. Les études antérieures sur le sujet incitent donc à identifier les éléments inhérents à la formation perçus comme « pénibles » pour l’individu (les nouveaux rythmes de travail, les contenus à intégrer, la fatigue engendrée par la formation, les relations avec les autres stagiaires ou les formateurs etc.) ainsi qu’à supposer que le sentiment d’autoefficacité vis-à-vis de la situation formative et vis-à-vis du métier visé peut faire obstacle au maintien en formation. La question de la concordance entre l’avenir professionnel souhaité et la formation suivie renvoie, quant à elle, au fait que les individus, pour la majorité d’entre eux, relient la formation au travail, à l’emploi mais également à leur trajec- toire professionnelle. Ainsi, selon Nuttin (1980, 1984), les représentations que chacun se fait de son avenir sont génératrices de buts et orientent vers certaines conduites perçues en adéquation avec ce qui est visé. C’est dans le cas où le sujet percevrait la formation comme appropriée à ses projets d’activité professionnelle que celle-ci pourrait répondre à ses besoins de développement et l’aider à persister dans les conduites mises en place. Les soutiens sociaux, enfin, recouvrent les ressources fournies par les autres (Cohen & Syme, 1985) et se manifestent au travers de supports variés (concrets ou perçus) d’ordre matériel, émotionnel ou informationnel. Pour ce qui est du soutien social tel qu’estimé par l’individu, percevoir que son entourage personnel ou professionnel apporte de l’appui ou qu’il est disponible en cas de besoin permettrait de mieux faire face aux obstacles surgissant lors d’une situation (Cohen & Wills, 1985). Inversement, se sentir peu assisté dans les difficultés rencontrées amènerait davantage de vulnérabilité chez la personne. Deux groupes de stagiaires constituent la population de l’étude visant à éprouver l’impact de ces dimensions sur le maintien vs l’abandon en formation professionnelle qualifiante. Le premier comprend 213 sujets interrogés un mois après l’entrée en stage (30 d’entre eux soit 14,1% ont ensuite abandonné en cours de formation), le deuxième est composé de 212 sujets interrogés un mois avant la fin du stage (7 ont ensuite quitté le stage avant son issue soit 3,3%). Les deux groupes de sujets sont comparables pour les caractéristiques socio-biographiques suivantes : l’âge est de 32,6% en moyenne ; 40,2% de l’échantillon total a toujours travaillé, 32% a vécu une alternance chômage/emploi, 9,4% a effectué de courtes missions et 11,8% a connu une longue interruption de travail, seul 3,6% n’a jamais travaillé ; la durée d’inactivité des personnes au chômage au moment de l’étude, soit 72%, est de moins de 6 mois pour 29,4%, de 6 à 12 mois pour 33% et de plus de 12 mois pour 19%. Les deux groupes de différencient par contre pour la répartition hommes/femmes : ces dernières sont 47,6% dans le deuxième groupe alors qu’elles sont seulement 20% dans le premier. Les résultats indiquent en premier lieu que l’intensité de la motivation générale à la formation est similaire que l’on Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -20- soit en début ou en fin de stage. Le niveau de motivation ne se modifie pas significativement durant la formation, par contre la structuration de cette motivation à la formation varie selon que l’on est en début ou en fin de formation1. Parmi les facteurs motivationnels apparus lors des analyses, seule la « motivation à acquérir de nouveaux savoirs professionnels » (motivation à orientation intrinsèque), en début de formation, influence significativement la persistance jusqu’à l’issue du stage. Si les résultats obtenus pointent l’existence d’une dynamique motivationnelle en cours de parcours formatif, pour autant, les facteurs motivationnels identifiés s’avèrent peu explicatifs des conduites de maintien ou d’abandon en formation contrairement aux croyances largement véhiculées dans ce domaine. En second lieu, les résultats attestent de l’influence également significative du sentiment d’auto-efficacité dans la formation ainsi que du sentiment de concordance entre la formation suivie et l’avenir professionnel souhaité sur la conduite de maintien en formation (en début comme en fin de stage). Ainsi, on constate que les sujets qui quittent la formation indiquent des niveaux plus faibles pour ces dimensions. Le sentiment d’efficacité dans le métier devient, lui, prédictif seulement en fin de formation. Par-là, semblent être renforcées, d’une part, l’importance de prendre en compte les croyances des personnes quant à leurs capacités à se mobiliser et à persister dans la situation formative, puis dans le choix du métier visé et, d’autre part, la nécessité de considérer la formation comme devant participer pleinement aux objectifs professionnels poursuivis par les individus. Dans la littérature relative aux carrières, François (2000) rappelle que le Sentiment d’Efficacité Personnelle se révèle un bon prédicteur des choix d’études et de carrière. Plusieurs études montrent ainsi que le choix de carrière et celui des actions menées pour le concrétiser (telle que la formation) dépendent en Voir à ce propos Pouchard, D., Lagabrielle, C., Vonthron, A.M., & Patte, F. (2005). Quels facteurs pour comprendre le maintien dans un parcours formatifs, In A. Battistelli, M. Depolo, & F. Fraccaroli (sous la direction de), La qualité de la vie au travail dans les années 2000, Actes du XIIIème congrès de Psychologie du Travail et des Organisations. CD-rom. Bologna : CLUEB. 1 partie de l’évaluation des chances de réussir dans ces actions. En outre, l’intégration de la formation dans la trajectoire de travail (et son adéquation avec ce qui est souhaité) se justifie dans le sens où la formation échappe au seul caractère d’ajustement professionnel ou socioéconomique mais répond également à un certain nombre d’aspirations plus personnelles des individus concernés (Demol, 1995). En dernier lieu, en début de stage, la pénibilité perçue de la formation apparaît plus forte chez les personnes qui abandonneront par la suite leur parcours formatif alors que les ressources sociales dont elles estiment bénéficier s’avèrent plus faibles. Ces éléments amènent à porter une attention toute particulière aux difficultés ressenties par les stagiaires lorsqu’ils intègrent un stage qui les amène à se confronter à de multiples exigences en termes d’apprentissage, de relations ou d’organisation pratique à mettre en place. Exigences qui peuvent être vécues comme trop coûteuses et défavorables au maintien en formation. Les supports sociaux perçus sont justement censés aider la personne à mieux vivre les situations d’inconfort ou d’incertitude. Déclinés dans cette étude en plusieurs types de ressources « subjectives », il apparaît que ce sont celles émanant de l’entourage et des formateurs qui se révèlent avoir un impact sur les conduites ultérieures de persistance en formation (et non celles des autres stagiaires ou d’autres professionnels par exemple). Ces résultats en contexte formatif peuvent être rapprochés d’autres travaux en contexte de travail qui mettent l’accent à la fois sur l’impact des soutiens perçus de la part des proches et sur l’importance des soutiens perçus apportés par le milieu professionnel, en terme d’estimation de l’aide destinée à résoudre ou dépasser un problème rencontré, des conseils et des informations donnés pour réaliser les tâches ou des appréciations relatives à la valeur des activités menées. Il semble, ici, que la perception de disposer plus ou moins fortement de telles ressources provenant du formateur soit une donnée considérable pour la poursuite du stage jusqu’à son terme. Au final, nous pourrions souligner, au travers des études présentées, l’intérêt de développer des modèles multidimensionnels à même de cerner des mécanismes complexes et concomitants. Un article en cours, portant spécifique- ment sur le maintien en formation, analyse les liens existants entre ces différentes dimensions. Il montre par exemple des relations significatives entre certains facteurs motivationnels et le sentiment de concordance entre la formation suivie et l’avenir professionnel souhaité ou encore entre le sentiment d’auto-efficacité et la pénibilité perçue de la formation. Enfin, d’un point de vue appliqué, souhaitons que ces résultats puissent enrichir la réflexion des psychologues œuvrant dans le domaine de la formation professionnelle et orientent vers des pistes d’actions favorisant le déroulement des parcours formatifs. J Bibliographie Ajzen, I. (1985). From intentions to actions : a theory of planned behavior. In J. Kuhl et J. Beckmann (Eds.), Actioncontrol : from cognition to behavior, (pp.11-39). Heidelberg. Ajzen, I., & Madden, T.J. (1986). Prediction of goal-directed behavior : Attitudes, intentions, and perceived behavioral control, Journal of Experimental Social Psychology, 22, 453474. Bandura, A. (1986). Social foundations of thought and action. 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De la diffusion massive des technologies de communication et de l’évolution parallèle des idéologies de l’information et de la communication émergent aujourd’hui de nouvelles formes de socialité et de pratiques sociales, voire des pratiques professionnelles inédites, que la puissance publique tente avec plus ou moins de bonheur de réglementer. En tant que pratique sociale, la médecine est aujourd’hui dans ce cas. En effet, alors que des contraintes réglementaires nouvelles sont imposées aux pratiques sociales de soins (comme la loi n° 2002-303 sur les droits des malades et la qualité du système de santé publiée le 5 mars 2002 au J.O1., les lois dites de bioéthique du 29 juillet 1994 et les décrets de l’année 2002 qui ont suivi), et que la demande publique évolue profondément (cf. la juridisation croissante des rapports médecin-malade), une « autre » médecine, dite médecine prédictive, apparaît bouleversant profondément le "dialogue singulier" que le médecin de la médecine Parmi les principales dispositions figurent le droit des usagers du système de santé à l’information et le droit à l’accès direct au dossier médical. 2 Le décret n°95-570 vise en particulier les informations à donner avant un test génétique lors d’une consultation médicale individuelle. Dans ce contexte, interviennent le règlement européen, en particulier par la signature de la convention du 4 avril 1997 du Conseil de l’Europe, ainsi que l’Organisation Mondiale de la Santé qui a émis des propositions de directive internationale en 1997 1 « classique » de soins entretient traditionnellement avec le malade. Ces transformations profondes sont structurelles et s’exercent sur deux plans. Premièrement, le référent de l'intervention médicale n'est plus seulement une maladie déclarée dans un monde réel, c’est aussi une maladie possible dans un monde possible (diagnostic probabiliste en oncogénétique) ou une maladie certaine dans un monde à venir (diagnostic prédictif de maladies avant l’expression de leurs symptômes qui, le plus souvent, ne peut pas être suivi d’une proposition médicale à visée thérapeutique) : au « monde de la maladie », le monde réel hinc et nunc, typique de la médecine « classique » se substitue donc une pluralité de « mondes possibles » ; ce qui ne peut pas ne pas avoir des conséquences interactives, cognitives ou affectives majeures. Secondement, les pratiques dialogiques mises en oeuvre « en accompagnement du soin » se modifient également : à côté du jeu de langage habituel (relations médecin-patient de face à face focalisées, dialogues d’élicitation (Falzon, 1994)) en apparaissent d'autres [dialogues de formation expert-profane (Trognon & al., 2004, par exemple] qui ne sont pas formalisés et que les praticiens concernés « bricolent » empiriquement au sein de leur pratique. Une brève définition empirique de la consultation de médecine prédictive La loi prévoit l’encadrement de l’examen des caractéristiques génétiques (Art R. 145-15-5 du CSP et arrêté du 2 mai 2001). La consultation prédictive ne peut avoir lieu dans le cadre d’une consultation médicale individuelle, mais doit s’organiser autour d’une équipe pluridisciplinaire rassemblant des compétences cliniques et génétiques, cette équipe constituant un conseil génétique. Par exemple, les demandes de test prédictif de maladie de Huntington (MH), maladie neurodégénérative à début tardif qui se transmet sur le mode autosomique dominant, sont prises en charge au CHU de Nancy selon protocole représenté sur le tableau 1 suivant. : Que la psychologie, en général, et la psychologie du travail en particulier soient à même d’étudier les structures émergentes de ces pratiques nouvelles et d’exposer rigoureusement les processus qui s’y déroulent, c’est ce que nous allons montrer au cours de cet exposé. L’enjeu de ces travaux n’est certes pas seulement académique : il en va de la qualité des prestations proprement médicales, de la félicité de la relation médecin-consultant et, finalement, de la transmission des compétences requises « par le métier » aux praticiens concernés. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -23- Étape B Étape A Prélèvement sanguin Notification du statut génétique Signature du consentement libre et éclairé Demande de diagnostic génétique Période de réflexion avant la signature du consentement libre et éclairé A1 A2 Entretien Cs-Génét. Entretien Cs-neurol. 1 A3 2 3 Entretiens Cs-Psy. Étape C Entretien Cs–Génét. Entretien Cs– Binôme : Génét. Psy. Étape D Prise en charge de l’impact psychologique de la révélation D1 Dn Entretiens Cs-Psy. Tableau 1 : Organisation de la consultation prédictive de MH (Cs = Consultant ; Génét. = Généticien ; Neurol. = Neurologue ; Psy. = Psychologue) La consultation s’organise ainsi en plusieurs étapes et fait intervenir une équipe composée d’un généticien, d’un neurologue et d’un psychologue. En oncogénétique, toujours à Nancy, le même principe est appliqué, mais seuls le médecin oncogénéticien et le psychologue interviennent. Chaque demande peut nécessiter 1 à 10 entretiens. La consultation prédictive est donc constituée d’une suite de dialogues (professionnels de santé et patient) et de polylogues (binômes constitués de professionnels de santé et patient). En conseil génétique, médecins et psychologue doivent informer le patient sur des notions souvent nouvelles et parfois difficiles à expliquer, analyser la demande de test prédictif, évaluer l’appropriation du discours médical indispensable à la signature d’un consentement éclairé, poser des hypothèses quant à l’impact psychologique en amont et en aval de la consultation de notification de statut génétique. Le demandeur de test prédictif détient, quant à lui, une dimension perceptive de la maladie qui s’entrecroise avec une perception subjective du risque héréditaire. On observe ainsi l’effet de l’interaction médecin-malade sur les croyances a priori des malades, verbalisées explicitement ou implicitées, croyances tout à la fois fragiles, logiques et non irrationnelles bien que souvent décalées par rapport à une réalité médicale. Ainsi, cette situation d’interaction communicative est complexe parce qu’elle construit un espace de parole où, tout à la fois, se transmettent des informations, où s’expriment des émotions, où se verbalise une anticipation, où s’énoncent des croyances et où s’annonce un savoir objectivé par l’analyse moléculaire. Eléments de méthode D’un point de vue formel, la consultation de médecine prédictive se présente comme une succession ordonnée de jeux de dialogues (Bromberg & Trognon, 2000, 2005). Un jeu de dialogue se définit par la spécification du but discursif poursuivi par les joueurs entrant dans le jeu et par la spécification des stratégies qui leur sont disponibles (Carlson, 1983). Walton et Krabbe (1995, p. 67) proposent une définition analogue : « un type de dialogue se définit par son but primaire et ses règles, lesquelles garantissent ou du moins facilitent l’atteinte du but du dialogue dans chaque cas particulier d’application. Ensemble, ces deux éléments constituent un modèle normatif du type de dialogue en question. C’est ce modèle qu’on appelle un jeu de dialogue ». De très nombreux jeux de dialogue existent et Wittgenstein, qui est à l’origine de cette notion de jeu de dialogue, doutait qu’ils soient en nombre fini. Nonobstant, pas mal de jeux de dialogue ont déjà été décrits, d’un point de vue normatif et d’un point de vue empirique et beaucoup restent certainement à décrire (Bromberg & Trognon, 2000, 2005). Par opposition aux jeux de dialogue plus ou moins naturels dont les interlocuteurs d’une langue naturelle ont une connaissance tacite (ce qui ne l’empêche pas d’être une variable développementale), le macro jeu de dialogue qu’est une consultation de médecine prédictive est un produit empirique inventé dans la pratique, un « bricolage » plus ou moins harmonieux d’éléments de jeux de dialogue « naturels » et d’éléments de jeux de dialogue spécifiques à l’activité qu’il permet d’accomplir. L’étude d’un tel jeu de dialogue suppose une approche empirique capable d’inférer à partir de son observation : (i) les éléments (opérations et systèmes d’opérations, représentations et domaines représentationnels) qui entrent dans sa composition ; (ii) les règles qui gouvernent sa progression ; et (iii) les résultats (sociaux, cognitifs, affectifs) qui y sont obtenus par les joueurs. Ce travail a été accompli grâce à la Logique Interlocutoire (Trognon, 1999, 2003 ; Trognon & Batt, à paraître). Faute de place, nous ne présenterons pas ici cette théorie. Disons simplement qu’elle consiste à décomposer une séquence analysée en énoncés, chaque énoncé étant représenté par une expressions F du système : <Mi, Mi-k, RD, Mi-k ├ Mi, DG>. À Mi correspondent les mouvements communicationnels écrits sous la forme « Esp » qui, s’ils sont mutuellement compris par l’émetteur s et l’auditeur a, sont des événements conversationnels qui ont valeur q de signe pour a et pour s. RD est l’ensemble des règles utilisées par les interlocuteurs. Ensemble, elles définissent les occurrences des types de jeu de dialogue DG qui ont été générées au cours de l’interaction. Mi-k est l’union de tous les mouvements qui précèdent les mouvements Mi auxquels ceux-ci enchaînent, le couple Mi-k ├ Mi exprimant ainsi un séquent de dialogue « DG » déterminé. Enfin DG est le jeu de dialogue que les interlocuteurs ont joué. RD comporte deux ensembles de règles : les règles gouvernant l’architecture du discours exprimé sous forme de matrice ; et les règles de la « logique naturelle » du discours. Il résulte du recours à ces deux espèces de règles que les formules F de la Logique Interlocutoire expriment à la fois la composition interne du mouvement et la position (formelle et architecturale) de ce mouvement dans le discours global Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -24- qui le contient. La Logique Interlocutoire se présente ainsi comme une théorie simultanément analytique et synthétique des séquences interlocutoires. Deux consultations de neurogénétique et deux consultations d’oncogénétique ont donc été enregistrées puis intégralement transcrites afin de constituer un corpus prêt à être étudié. Ce corpus a ensuite été décomposé en à peu près 7000 énoncés selon la méthode décrite cidessus. Afin de rendre le corpus d’étude homogène, nous avons circonscrit notre analyse aux étapes A (A1, A2, A3), B et C qui précédaient la notification du résultat pour chacune des consultations. A l’étape où nous en sommes (car la recherche se poursuit encore actuellement dans le but de mettre en évidence les formats d’interaction mis en œuvre au cours des dialogues), les données obtenues à l’issue de la décomposition des quatre consultations ont été traitées par des méthodes statistiques classiques : analyses multidimensionnelles par analyse en composante principale (ACP) ; tests de Xhi-2 et tests non paramétriques (Friedman). La consultation de médecine prédictive : une activité coopérative L’organisation structurelle et fonctionnelle des entretiens mise à jour par les interrelations de variables révèle que la consultation prédictive est une activité conjointe, construite par les professionnels et les consultants ensemble, qui permet le développement des discours. On y retrouve les éléments typiques de deux genres de dialogue : (i) les dialogues qui progressent régulièrement et par étapes pour imposer inférentiellement des démonstrations au cours desquelles se produisent des apports de précisions, des comparaisons, des mises en opposition, des récapitulations, des déductions et des conclusions ; (ii) les dialogues qui ont pour but les réalisations collaboratives de construction d’objet ou de concept (Trognon, 1990). Ces deux types de dialogue sont constitués par des discours provenant de chacun des interactants pour s’enrichir mutuellement. La coopération consultant-praticiens qui s’observe dans la consultation présymptomatique est une caractéristique originale essentielle de cette interaction. En effet, alors que les rôles et statuts de chacun sont bien déterminés et que les relations entre les professionnels et les consultants sont fondées sur la complémentarité, les productions discursives concordent grâce à une organisation symétrique des interactions – au sens de l’approche communicationnelle de Palo-Alto – minimisant ainsi les différences institutionnellement définies. Contrairement à ce qui se passe dans les consultations médicales « ordinaires », dans les consultations de médecine prédictive, et indépendamment de leurs thèmes (oncogénétique vs neurogénétique), les rôles langagiers (Charaudeau, 1995) mis en œuvre par les interlocuteurs développant une activité symétrique et analogue sont égalitaires dans leur aspect élaboré. consultant à élaborer sa décision de demander le test génétique. A cet égard, l’équipe pluridisciplinaire ne peut pas faire l’économie d’une analyse approfondie avec le consultant du rapport qu’il entretient avec les différents facteurs (sociaux, familiaux, affectifs, représentationnels, etc.) qui ont contribué à la formation de son intention de se présenter à la consultation. Ce genre de travail sur des états mentaux (savoirs, croyances, convictions, désirs, etc.) et des affects opérant sur les différents registres (préconscient, inconscient) du fonctionnement psychique mobilise des processus cognitifs « de haut niveau ». Les processus de raisonnement que les interactants ont à « manipuler » dans les dialogues de consultation de médecine prédictive sont de ceux-là. Mais sur cette trame commune aux différents professionnels dans leur relation aux consultantes se dégage aussi nettement une bidisciplinairté de la consultation. D’une part, psychologue et médecins ne mettent pas en œuvre les mêmes genres de dialogue. D’autre part, les consultantes ne sont pas les mêmes interlocutrices selon qu’elles se trouvent face à un médecin ou face à la psychologue. L’effet du temps d’écoute supplémentaire qui leur est accordé s’observe à travers leur participation aux différentes interactions : avec la psychologue, elles s’expriment plus et elles contribuent davantage à un discours élaboré au développement complexe. De plus, bien que tous les entretiens de la consultation convergent vers des sujets de conversation identiques, certains parmi ces derniers semblent être plus spécifiques aux entretiens médicaux et d’autres réservés à l’entretien psychologique. Le double éclairage de certains phénomènes s’observe également dans les contenus de discours. La psychologie, toutes branches confondues, mais tout particulièrement la psychologie expérimentale leur a consacré depuis les années 1960 une grande part de son activité. Elle s’est attachée notamment à circonscrire les « écarts à la norme » logique de l’activité humaine « normale » de pensée ainsi que leur rationalité ou leur fonctionnalité foncières. L’ « écart à la norme », encore appelé « biais de raisonnement » dans la littérature spécialisée, avec lequel le couple consultant-neurologue, dont nous allons analyser une séquence d’interaction, va devoir se débrouiller est communément dénommé « biais de négation de l’antécédent ». Ce biais affecte le raisonnement conditionnel. Un raisonnement conditionnel peut se représenter au moyen de la table de vérité (tableau 2) de l’implication matérielle dont la formule est p⊃q: Cette table établit la valeur de vérité de la proposition conditionnelle p ⊃ q en fonction de la valeur de vérité de ses propositions composantes. On y voit que le seul cas où l’implication est fausse est représenté à la 2ème ligne, où l’antécédent p de l’implication est vrai et le conséquent q de l’implication est faux. Dans toutes les autres situations, l’implication est vraie. Voici une illustration : une mère dit à son garçon « si tu ramènes un 15 en dictée je te paie une place de cinéma ». Le seul Avatars de l’élaboration interactive du désir de savoir L’un des buts principaux qui est assigné réglementairement à la consultation de médecine prédictive est d’aider le p vrai vrai faux faux q vrai faux vrai faux Tableau 2 Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -25- p⊃q vrai faux vrai vrai j s g h t r P b a c d Figure 1 : extrait de l’arbre généalogique de Mme P cas où la mère aurait dit « n’importe quoi » en énonçant p ⊃ q serait celui où son garçon aurait obtenu une note supérieure ou égale à 15 en dictée et où sa mère ne lui aurait pas offert une place de cinéma. Dans les autres cas, l’énoncé de la mère ne serait en rien défectueux. La table de l’implication permet une forme de raisonnement qu’on appelle le modus ponens : [si ((p ⊃ q) et p) alors q] ; s’il est vrai (c’est la 3° colonne et la 2° ligne) que (p ⊃ q) et s’il est vrai (1ère colonne et 2ème ligne) que p alors il est vrai (2ème colonne et 2ème ligne) que q. Comparé à modus ponens un raisonnement conduit comme [si ((p ⊃ q) et ∼p) alors ∼q] est erroné ainsi que le révèle une simple consultation du tableau, q pouvant être dans cette situation vrai (3ème ligne) ou faux (4ème ligne). Or ce que la psychologie du raisonnement a révélé de façon répétée depuis près de 50 ans est que les gens ont tendance à comprendre l’implication matérielle comme signifiant à la fois que [si ((p ⊃ q) et p) alors q] et que [si ((p ⊃ q) et ∼p) alors ∼q]. Un enfant qui entend sa mère lui dire « si tu ramènes un 15 en dictée je te paie une place de cinéma » comprend qu’en cas de 15 il aura une place de cinéma et qu’en cas d’une note inférieure à 15, sa mère ne lui fera pas ce cadeau. L’erreur de raisonnement consistant à penser [si ((p ⊃ q) et ∼p) alors ∼q] lorsqu’on entend une implication a été dénommée par les psychologues le biais de la négation de l’antécédent. C’est exactement ce biais qu’accomplit Mme P dans l’extrait d’entretien ci-dessous : P152 : et nous, mon frère Jules qui est mort de ça, ben ses trois fils sont atteints, et ses deux filles ne l’ont pas N159 : mmmh P153 : et sa fille a fait le test, dans la région parisienne, et elle a pas été le chercher. N160 : ah bon ! P154 : oui. Ben oui, Docteur. Ses deux parents sont morts de ça Docteur, /…/. Elle est morte. Eh ben sa petite fille, elle s’est mariée, elle a voulu un bébé, donc elle a été faire le test, elle l’a pas. 2 secondes N161 : elle n’a pas le ? P155 : elle l’a pas. N162 : elle l’a pas P156 : elle l’a pas. Non. Et c’est le papa et la maman qui se sont mariés entre cousins germains N163 : ah ! P157 : oui. Ils avaient la même maladie. N164 : donc P158 : c’est une catastrophe ! N165 : ah oui ! ah alors là, oui ! P159 : une catastrophe N166 : mmh, alors là, c’est votre frère ? P160 : mon frère. Et ma belle-sœur c’est, (regardent ensemble l’arbre) voilà N167 : ah oui, là P161 : ben oui, c’était sûr que 3 secondes N168 : ah oui P162 : mmh, cousine germaine N169 : mmmh, et, et celle qui n’est pas allée chercher son résultat, P163 : oui, elle N170 : est l’une des enfants de P164 : voilà, oui, elle l’a fait. Oui, elle l’a fait. Elle a dit « je vais le faire quand même, hein, voilà » Elle l’a pas. Alors, alors sa maman l’avait pas, hein, puisque elle, elle l’a pas N171 : non, mais si elle l’a pas, elle peut pas savoir si elle l’a pas puisqu’elle n’est pas allée chercher son résultat P165 : non, la maman n’a pas été, non. Brigitte a une fille. Bon. Brigitte, elle a fait le truc, et au moment d’aller le chercher, elle a pas voulu aller le chercher. Et sa fille, elle a rien dit à sa c’est la maman, elle a été le faire hein, et N172 : c’est ça, oui, mais la première là ? P166 : oui N173 : la première, elle, elle, elle va bien ? P167 : oui, oui N174 : elle l’a, elle l’a fait quand son test ? P168 : oh ! alors là ? y’a ? après que son papa est mort, y’a 4, 5 ans qu’il est mort, après que sa maman et son papa soient morts, hein N175 : mmmh = les filles non atteintes par la MH; = les garçons non atteints par la MH ; = les filles atteintes par la MH = les garçons atteints par la MH P = Mme P ; j = Jules ; s = Denise ; r = Robert ; a = Anne ; b = Brigitte ; c = Corinne ; d = Dorothée; g = Ghislain ; h = Hervé ; t = Thierry ; parmi ces personnes, certaines ne sont pas porteuses de la mutation génétique, c’est par exemple le cas de Dorothée, d’autres sont asymptomatiques, elles ne présentent pas de symptôme, mais on ne sait pas si elles portent la mutation, par exemple Brigitte. A la lecture de l’extrait apparaît clairement que Mme P croit que les deux Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -26- filles de Jules, Brigitte et Corinne n’ont pas la MH (cf. P152 et P164). Mme P affirme cette thèse en P152. Elle explique ensuite le fondement de son affirmation en P154. « Alors, sa maman l’avait pas, hein, puisque elle, elle l’a pas »1, qui se formalise ¬MHd ⊃ ¬MHb. Ainsi, Mme P exprime que Brigitte n’est pas porteuse de la mutation génétique responsable de la MH parce que le test de sa fille Dorothée (d) a montré que Dorothée n’était pas porteuse de la maladie. Ce raisonnement de Mme P, où s’accomplit un biais de négation de l’antécédent, est incorrect, car Brigitte pourrait fort bien être porteuse et ne pas avoir transmis l’anomalie génétique à sa fille. Dans ce cas, le test de Dorothée serait favorable alors que Brigitte serait malade sans le savoir. Alors qu’il a été dit au cours de cet entretien et de l’entretien précédent mené par le généticien2 i) que si un parent n’est pas porteur, alors ses enfants ne peuvent pas l’être, ii) que si un parent est porteur alors il peut transmettre ou ne pas transmettre la mutation, iii) et que si un enfant est porteur, alors un des deux parents l’est nécessairement, iv) on n’a, jusque P152-P164, encore jamais abordé le cas où un enfant n’est pas porteur. Il faudrait détruire la conviction de Mme P. Il faudrait qu’elle comprenne que le résultat du test de Dorothée n’entraîne pas que sa mère est indemne. Il faudrait donc que le médecin contredise Mme P. Il pourrait, certes, engager un débat et en le gagnant ébranler Mme P. Et autrement que faire ? Reprenons le script à N171 : N171 : non, mais si elle l’a pas, elle peut pas savoir si elle l’a pas puisqu’elle n’est pas allée chercher son résultat P165 : non, la maman n’a pas été, non. Brigitte a une fille. Bon. Brigitte, elle a fait le truc, et au moment d’aller le chercher, elle a pas voulu aller le chercher. Et sa fille, elle a rien dit à sa c’est la maman, elle a été le faire hein, et N172 : c’est ça, oui, mais la première là ? Alors introduit le conséquent. Puisque introduit l’antécédent et joue le rôle logique d’un si mais en « enrichissant » la valeur argumentative de la conditionnelle : il rappelle un argument intersubjectivement admis. L’imparfait, enfin, signale que la conditionnelle résout une conjecture qui a été posée dans le passé. Sur le rôle argumentatif de puisque, cf. Ducrot (1980). 2 Cf. Batt, Trognon & Vernant, 2003 1 P166 : oui N173: la première, elle, elle, elle va bien ? P167 : oui, oui N174 : elle l’a, elle l’a fait quand son test ? P168 : oh ! alors là ? y’a ? après que son papa est mort, y’a 4, 5 ans qu’il est mort, après que sa maman et son papa soient morts, hein N175 : mmmh L’énoncé N171 rate sa cible. Brigitte ne peut évidemment pas savoir si elle est porteuse ou non porteuse. Certes, empiriquement, cela n’est pas contestable, car effectivement elle ne connaît pas le résultat du test. Mais surtout, cela n’est pas non plus contestable logiquement, en raison de la table de vérité de l’implication. Or le médecin s’appuie uniquement sur l’argument empirique que Mme P n’a bien entendu aucun mal à admettre. De sorte que N171 « porte à faux ». Une autre stratégie se présente, elle consisterait à proposer un modèle qui contredise l’affirmation de Mme P3. Elle échoue : Brigitte ne peut pas représenter un contreexemple. Si la force d’une conviction augmentait au fur et à mesure de ses défenses victorieuses dans les débats dont elle est l’occasion, il ne fait aucun doute que la conviction entretenue par Mme P sortirait renforcée de l’interaction qu’elle a entretenue avec le neurologue. Conclusion Mme P était convaincue que les femmes de sa famille étaient moins atteintes que les hommes. Elle croyait aussi qu’elle-même n’était pas porteuse du gène responsable de la chorée de Huntington. Et puis, elle désirait rassurer ses enfants. Aussi, « sourde » aux tentatives de mises en garde, cherchait-elle plus à confirmer sa conviction qu’à savoir « vraiment ». Malheureusement, il s’avéra qu’elle était porteuse de la mutation génétique et cette information entraîna une grave crise personnelle et familiale. Les recherches menées en sémantique formelle sur la « théorie des mondes possibles » ont parfois été considérées comme des occupations frivoles de chercheurs en mal d’originalité. Et les expériences de psychologie du raisonnement sont souvent considérées comme une activité abstraite d’un intérêt pureLa théorie des dialogues d’investigation et de recherche (Hintikka & Sandu, 1989) permet d’établir ce point. 3 ment académique. Mais voilà que le réel impose qu’on recourt pour sa compréhension à ces élucubrations gratuites décriées par les fanatiques de la réalité. « A quoi sert la psychologie ? » se demandet-on à l’envie. Il nous semble que le cas que nous venons de rapporter pourrait utilement nourrir une réponse. J Bibliographie Batt, M., Trognon, A., & Vernant, D. (2004). Quand l’argument effleure la conviction : Analyse interlocutoire d’une croyance dans un entretien de médecine prédictive. Psychologie de l’interaction, 17-18, 167-218. Bromberg, M., & Trognon, A. (2003). Psychologie Sociale de la Communication. Paris : Dunod. Bromberg, M., & Trognon, A. (2005). Communication et contrats de communication. In N. Dubois (ed.), Psychologie sociale cognitive. Paris : Dunod. Carlson, L.1983. Dialogue games. An approach to discourse Analysis. Dordrecht: Reidel. Charaudeau, P. (1995). Rôles sociaux et rôles langagiers. In Modèles de l’interaction verbale (pp. 79 – 96). Aix-en Provence : Publications de l’université de Provence. Ducrot, O., & al. (1980). Les mots du discours. Paris : Minuit. Falzon, P. (1994). Dialogues fonctionnels et activité collective. Le travail humain, 57/4, 299-312. Hintikka, J., & Sandu, G.(1989). Informational Independance as a semantical phenomenon. In J. E. Fenstad & al. (Eds.), Logic, Methodology and Philosophy of Science VII, pp. 571589. Amsterdam: Elsevier. Trognon, A. (1990). Relations intersubjectives dans les débats. In A. Berrendonner & H. Parret (Eds.), L’interaction communicative (pp. 195-213). Berne : Peter Lang. Trognon, A. (2003). La Logique Interlocutoire : Un programme pour l’étude empirique des jeux de dialogue. Questions de communication, 4, 411-425. Trognon, A., & Batt, M. (2004). Logique Interlocutoire des jeux de dialogue : Un programme en Psychologie Sociale de l’usage du langage. In M. Bromberg & A. Trognon (Eds.), Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -27- Psychologie Sociale et Communication (pp. 135-156). Paris : Dunod. Trognon, A., & Batt, M. (2006, à paraître). Quelles méthodes logiques pour l’étude de l’interaction en psychologie, dans Chabrol (C.) et coll., Les interactions communicatives. Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle. Trognon, A., Dessagne, L., Hoch, R., Dammerey, C., & Meyer, C. (2004). Groupes, collectifs et communications au travail. In E. Brangier, A. Lancry, & C. Louche (Eds.), Les dimensions humaines du travail : Théories et pratiques de la psychologie du travail et des organisations (pp. 415-449). Nancy : Presses Universitaires de Nancy. Walton, D. N., & Krabbe, E. C. W. (1995). Commitment in dialogue: Basic concepts of interpersonal reasoning. Albany, N.Y.: State University of New York Press. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -28- Manager humainement ! Pourquoi et Comment ? Georges MASCLET Université Lille 3 J Quand on regarde le nombre de symptômes dont souffrent nos organisations aujourd'hui : burn-out, stress, addictions, violences harcèlements…, on peut dire que manager les hommes aujourd’hui est devenu un problème de société impérieux auquel il est plus que temps de faire face. Mais en quoi consiste donc cette souffrance dans le travail, dont nous affirmons ici qu’elle serait massivement méconnue ? Les raisons du malaise sont multiples et les recherches pratiquées ces dernières années, tant en France qu’à l’étranger, révèlent derrière les vitrines du progrès social un monde de souffrance qui laisse parfois incrédule. Il y a ainsi la souffrance de ceux qui ont peur de ne pas donner satisfaction, de n’être pas à la hauteur des contraintes de l’organisation du travail : contraintes de temps, de cadence, de formation, d’information, d’apprentissage, de niveau de connaissances et de diplôme, d’expérience, de rapidité d’acquisition intellectuelle et pratique d’adaptation à la « culture » ou à l’idéologie de l’entreprise, aux contraintes du marché, aux rapports avec les clients, les particuliers ou le public, etc. Une autre cause fréquente de souffrance dans le travail survient quand la compétence et le savoir-faire sont hors de cause. Alors même que celui qui travaille sait ce qu’il doit faire, il ne peut pas le faire, parce qu’il en est empêché par les contraintes sociales du travail. Des collègues lui mettent des bâtons dans les roues, le climat social est désastreux, chacun travaille seul, cependant que tous pratiquent la rétention d’informations qui ruine la coopération, etc. Les tâches dites d’exécution fourmillent de ce type de contradictions où l’on empêche, en quelque sorte, le travailleur de faire correctement son travail, parce qu’on le coince dans des procédures et des réglementations incompatibles entre elles. C’est la violence au travail. Une autre manière de souffrir c’est l’attente de reconnaissance. En effet les résultats des travailleurs sont obtenus en général au prix d’efforts qui engagent toute leur personnalité et leur intelligence. Il y a certes des tire-au-flanc et des gens malhonnêtes mais, dans leur majorité, ceux qui travaillent s’efforcent de faire au mieux et donnent pour cela beaucoup d’énergie, de passion et d’investissements personnels. Il serait juste que cette contribution soit reconnue. Mais comme bien souvent elle ne l’est pas, et qu’elle passe inaperçue dans l’indifférence générale, il en résulte une souffrance fort dangereuse pour la santé mentale. En effet la reconnaissance attendue par celui qui mobilise sa subjectivité dans le travail passe par des formes extrêmement réglées et bien connues des psychologues de la santé. En effet il n’y a pas de crise psychopathologique qui ne soit centrée sur une crise d’identité. C’est ce qui confère au rapport au travail sa dimension proprement dramatique car, faute des bénéfices de la reconnaissance de son travail et de pouvoir accéder ainsi au sens de son rapport vécu au travail, le sujet est renvoyé à sa souffrance et à elle seule. Souffrance absurde qui ne génère que de la souffrance, selon un cercle vicieux, et bientôt déstructurant, capable de déstabiliser l’identité et la personnalité et de conduire à toutes ses maladies mentales nouvellement apparues au cours de ces quinze dernières années. Notre contribution ne sera pas ici de donner les solutions du malaise mais de tenter de contribuer à sa résolution par la compréhension de ce qui s'est passé du point de vue managérial ces trente dernières années. Pour cela notre propos comprendra trois temps : - L'état d'esprit managérial à la fin et au début des années 70 - La réalité des managements aujourd'hui - Quelques pistes de travail La libéralisation des managements La première phase du libéralisme organisationnel fut initiée par Maslow (1946) dès les années 50. Ce courant a cherché à intégrer l’individu à l’organisation en tentant de modifier les structures formelles et le fonctionnement qu’elles induisaient, pour qu’ils répondent aux besoins de l’homme en général et des travailleurs en particuliers. Il fallait pour cela une théorie capable de dépasser la simple reconnaissance des besoins économiques (théories classiques) et des besoins sociaux (théories du courant des relations humaines). A.H.Maslow (1946) propose un modèle hiérarchique qui distingue cinq types de besoins : - les besoins physiologiques - les besoins de sécurité - les besoins sociaux - les besoins d’estime - les besoins de réalisation. Sans négliger les autres niveaux, le courant des néo-relations humaines s'est surtout intéresser aux besoins d’estime (être considéré de façon positive par les autres et par soi-même), et aux besoins de réalisation (atteindre ses propres buts et développer l’ensemble de ses potentialités). Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -29- Comment les organisations peuvent-elles aller à la rencontre de ces besoins ? Toutefois ce sont D. Mc Grégor (1974), C. Argyris (1970) et R. Likert (1974) qui ont tenté de voir comment les organisations pouvaient aller à la rencontre de ces besoins. Parmi les principes traditionnels de fonctionnement des organisations, Mc Grégor (1960, trad. Franç.1974). mit particulièrement en question celui de l’autorité conçue comme unique moyen de contrôle du comportement humain. Pour étayer son argumentation, il distingua deux conceptions de la nature humaine qui pouvaient sous-tendre les théories organisationnelles : la théorie X qu’il rejette, et la théorie Y. Selon la théorie X, qui inspire l’organisation classique, l’individu moyen n’aime pas le travail : c’est une punition divine (on rappelle ici le mythe d’Adam et Eve) à laquelle il essaie de se soustraire. Si l’organisation veut atteindre ses objectifs, elle doit contraindre, contrôler et menacer de sanctions les travailleurs qui préfèrent le contrôle et la sécurité aux responsabilités. Pour la théorie Y, l’individu moyen ne répugne pas au travail qui est une situation de la vie comme une autre, tel le jeu ou le repos. Le travailleur peut s’autocontrôler lorsqu’ il se sent responsable de l’atteinte de certains objectifs et celle-ci lui permet de satisfaire ses besoins d’estime et de réalisation. Pour peu que les circonstances soient favorables – et il ressort de l’œuvre de Mc Grégor(1974) que c’est à la direction de l’organisation de les susciter – l’individu moyen apprend à accepter voire à rechercher les responsabilités. La théorie Y considère enfin que la créativité est une qualité partagée par un grand nombre de personnes mais que les capacités intellectuelles des travailleurs sont sousemployées par les organisations. Toute mise en pratique de la théorie Y suppose un degré satisfaisant d’intégration des besoins (particulièrement des besoins sociaux, d’estime et de réalisation) et des buts de l’individu aux objectifs de l’organisation. Mc Grégor propose dans cette perspective des analyses et des recommandations concernant notamment la direction par objectifs, l’appréciation des performances, les relations hiérarchie-services fonctionnels et la formation des dirigeants. C. Argyris (1957, 1964, trad. Franç. 1970), pensait que toute organisation a besoin pour fonctionner efficacement de l’énergie psychologique qui s’accroît ou décroît suivant que ses membres connaissent ou non le succès psychologique. Trois conditions sont nécessaires pour parvenir à celui-ci : - que les individus s’accordent de la valeur et aspirent à éprouver un sentiment croissant de compétence ; - que l’organisation fournisse à ses membres des occasions de faire la preuve de leur efficacité dans l’atteinte des objectifs ; - que la culture dans laquelle baignent les individus et l’organisation valorise l’estime de soi et la compétence. Rensis Likert (1961 trad.franç. 1974) pensait lui que le management de type participatif est le plus à même d’entraîner des résultats. Pour cela il traça d’abord le profil psychologique des organisations en distinguant quatre systèmes de management : - Le style autoritaire exploiteur : le management par la peur et la contrainte. - Le style autoritaire paternaliste : le management par la carotte plutôt que le bâton, mais les opérateurs restent soumis. - Le style consultatif : la direction se sert à la fois de la carotte et du bâton et s’efforce de communiquer avec les employés. La communication est ascendante et descendante. Les décisions sont prises par la hiérarchie. - Le style participatif : dans cette forme managériale les employés participent à des groupes de décisions. Ces derniers sont à même de prendre des décisions quand le cas se présente. La direction fixe des objectifs à atteindre et travaille étroitement avec les opérateurs pour les stimuler dans la réalisation de leurs performances. La communication est horizontale et verticale entre pairs et supérieurs qui sont proches psychologiquement. Les prises de décisions s’effectuent selon un mode participatif. Les styles managériaux qui ont inspirés le courant de pensée des années 70 se fondaient donc sur l’idée que pour être efficaces, les organisations devaient être comprises comme étant formées d’un ensemble cohérent de groupes interactifs, composés d’individus se soutenant mutuellement. Dans l’idéal le but était donc de construire des organisations dont les objectifs concernaient chacun personnellement. Nous étions en plein libéralisme humaniste. Hélas l’utopie ne dure guère quand il s’agit de servir le capitalisme ou la chrématistique. En effet dans ce contexte deux maîtres mots semblaient devoir organiser les hommes : « l’autonomie et la compétence ». Ils étaient devenus les outils conceptuels pour vivre sa liberté tant au travail que dans la société. Hélas, les idées évoluent plus vite que les comportements humains. On ne change pas les rapports sociaux, les modes de communications, les relations inter-individuelles d’un coup de baguette magique. Dans les organisations classiques, chacun savait en arrivant à l’usine, au bureau, les formules qu’il devait employer : « bonjour Monsieur… Il fait beau… Comment vont les enfants… », chacun connaissait le rôle qu’il avait à jouer de par le statut qui lui était dévolu. Chacun manipulait les quelques zones d’incertitudes du système pour ne pas être complètement aliéné par lui. Chacun appartenait à un groupe de pression officiel ou officieux…Les règles étaient connues de tous. Pour « exister » dans l’entreprise il suffisait de se les approprier. Plus rien de tout cela ne fonctionne en système libéral. Les chefs enragent de ne plus être reconnus et obéis. Ils se sentent niés, incompris, inconsistants, inutiles.. Quant aux opérateurs à qui on a donné la liberté, ils se sentent de plus en plus mal à l’aise, et démotivés. Que signifie cette liberté ? N’est-elle pas un piège ? Est-on vraiment libre, se demandent-ils ? Libre de quoi ? Pourquoi ces chefs sans pouvoir tentent-ils d’exister au travers de prises de positions fantaisistes ou de nouvelles formes de harcèlement moral ? Une bien dure époque où les modèles de comportements du passé n’ont plus cours, et où les nouveaux ne sont pas encore rodés ou inventés. Comment les managers pouvaient -ils rattraper le coup ? Car en fait de libéralisme et de mettre l'individu au centre du système, il s'agissait surtout d'être efficace et performant dans la production. Pour cela il s'agissait de s'appuyer sur les comportements acquis et naturels des hommes. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -30- Les fondements des "New Managements" Nicole Aubert(1991) nous décrit comment les nouveaux managers s'y prennent pour mobiliser les individus par devers eux. Les techniques sont variées et peu étudiées par les psychologues en France. Ces derniers ont en effet, deux attitudes humanistes vis à vis d’elles. Soit ils les rejettent au nom de la déontologie, soit ils en étudient les effets pour mieux les dénoncer par exemple dans les études sur le burn-out ou sur le stress. Une première méthode consiste à mettre l’individu en tension sur le plan narcissique : - par une forte sélectivité au niveau de l’embauche - par une politique active de gratifications - par une image de toute puissance - par une ambiance élitiste … Une deuxième consiste à faire en sorte que l’individu mobilise ses mécanismes de défenses contre l’angoisse comme le décrit la psychanalyse, pour renforcer l’investissement au travail : - par une mobilité et une flexibilité des structures - par des emploi du temps très chargés - par la résolution des problèmes dans l’urgence - par la survalorisation de l’action… Une troisième tend à canaliser l’énergie libidinale sur des objectifs productifs : - par des possibilités de promotions rapides - par l’exigence du toujours plus - par la domination des exigences commerciales… Une quatrième encore prône la production et encourage l’adhésion : - par l’excellence - par l’image de perfection - par des manuels de management proposant des valeurs et une éthique… Une cinquième enfin procède en favorisant l’identification et la prise en charge psychologique des exigences de l’entreprise : - par les entretiens de carrières - par l’individualisation des performances - par l’autonomie dans l’organisation du travail par l’auto-actionnariat… Ces principes managériaux reposent en fait sur un ensemble de représentations (des images, des valeurs, une culture d’entreprise, une éthique, une philosophie basée sur un idéal commun) et un modèle de personnalité (fondé sur le désir de réussite, d’aimer la compétition et le challenge, la réalisation de soi dans le travail, l’accomplissement personnel, le goût de la communication). Ils se fondent sur l’idée de la mobilisation des ressources humaines et font de l’implication des hommes avec eux ou malgré eux, le facteur essentiel de l’efficacité des entreprises. Dès lors, les dimensions psychologiques du management prennent une importance considérable. Il se noue en effet une relation interactive entre la structure psychique et la structure organisationnelle qui suppose une adéquation entre le profil structurel et fonctionnel de l’organisation et la personnalité des salariés. Ce système « socio-mental » du management moderne se paie d’un fort coût humain. Les bénéfices psychologiques : accomplissement personnel, narcissisme, plaisir, créativité… sont contrebalancés par des brûlures psychiques comme le stress, la dépression et la désillusion. On ne reste compétitif qu'un temps. Les individus s'usent très vite à ce jeu. Masclet (2004) décrit les techniques managériales issues de ces principes. En voici quelques unes : Le Downsizing : cette pratique consiste à réduire de manière drastique les effectifs d’ouvriers et d’employés. Objectif : « débureaucratiser » l’organisation en la rendant « lean and mean » (maigre et méchante) et par là même plus compétitive. Ces types de pratiques ont fini par toucher les cadres intermédiaires et un ministre célèbre souhaitait même l’appliquer à l’Education Nationale. Son équivalent français est le « dégraissage ». Il ne doit pas être confondu avec le reengineering. Le Benchmarking est une méthode de management consistant à introduire la comparaison de sa propre performance avec celle de ses concurrents dans le même métier. Le détour par la comparaison est considéré comme un facteur dynamisant. BRP).: Michael Hammer 1993), ingénieur en informatique au MIT, fit du Reengineering ou le Business Process Redisign (BRP) la grande idée du début des années 1990. Le re-engineering est un mélange de techniques allant du juste-àtemps jusqu’aux études du temps et du mouvement initiées par Taylor. La méthode est destinée à fluidifier les processus de travail à travers les différentes divisions de l’entreprise pour réduire les coûts et augmenter la productivité. En pratique, cette forme managériale est utilisée par les organisations pour réduire leurs coûts opérationnels, en particulier les coûts en personnel. La conséquence la plus négative de cette forme de gestion c’est la perte de potentiel qui a laissé plus d’une entreprise incapable de saisir les opportunités de croissance dès les années 1990 quand l’économie eut repris une phase de croissance. L’avantage concurrentiel ou competitive advantage est l’un des facteurs résultant de la mise en œuvre d’une stratégie concurrentielle, qui permet à une entreprise de gagner des parts de marché sur ses concurrents. C’est M.E. Porter (1986) qui a mis au point cette formule très perfectionnée pour déterminer comment les entreprises et les pays peuvent obtenir des avantages concurrentiels. La responsabilisation – ou Délégation – (empowerment) : Rosabeth Moss Kanter (1992) est la principale instigatrice de ce mouvement, très à la mode dans le monde du management au début des années 90. Le principe de responsabilisation, ou de délégation, qui doit permettre de libérer les facultés d’innovation et de changement des individus à l’intérieur d’une entreprise, implique généralement une participation accrue des employés dans l’organisation pour stimuler leur esprit d’initiative et d’entreprise. Les Champions (champions) : dans Le prix de l’excellence, Peters et Waterman (1982) appellent «champions» ces individus influents que l’on rencontre généralement dans des entreprises tournées vers la recherche, dont le soutien peut assurer la réussite d’un projet ou d’une invention. Une entreprise possédant de tels champions a toutes les chances d’obtenir un brevet d’ «excellence». En fait dans ces différents styles managériaux la participation des travailleurs à l’organisation du travail dans les entreprises reflète l’estompement de la Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -31- différenciation entre production et gestion et préside à une fusion désocialisante et désobjectivante de l’organisation du travail. Pourquoi ? Tout simplement parce que le capitalisme a phagocyté le libéralisme a ses fins chrématistiques (Masclet 2004). En effet, le régime néo-libéral se caractérise selon Thomas Coutrot (1998) par le concept paradoxal de « coopération forcée ». Les dirigeants d’entreprises y sont soumis à une pression extrême des marchés financiers mondialisés. Cette pression est répercutée sur les salariés par l’intermédiaire des nouveaux modes de gestion du personnel comme nous avons pu le constater. Les directions décentralisent l’organisation, accordant aux équipes de travail une grande autonomie. Les organisations par projets, les équipes autonomes imposent aux salariés une mobilité interne extrême, qui limite les possibilités d’émergence de collectifs de travail stables. La coopération est alors forcée directement par l’accentuation des contraintes systémiques, en provenance des marchés financiers et du marché du travail, où règne un chômage important. L’autonomie accordée aux équipes est contrôlées par le jeu des contraintes et par la pénétration des exigences de la clientèle dans le cœur de la production. Ce modèle est très cohérent avec le modèle anglo-saxon du « corporate governance », qui organise la prise de pouvoir dans les entreprises. Il est d’une redoutable efficacité dans la performance financière de cours et moyen terme, qui est le critère exclusif d’efficience reconnu par les marchés financiers. L’analyse de ses contradictions laisse cependant sceptique sur sa capacité à assurer la croissance et à préserver la démocratie sur le long terme. Une reprise de la réflexion sur la gestion des entreprises, trop vite interrompue en France, sur des bases plus démocratiques et plus responsables s’avère plus que jamais nécessaire. Quelques pistes de réflexion Le burn-out ou épuisement professionnel et toutes ces nouvelles maladies de la désorganisation du "Soi" et des liens sociaux se sont développés au moment où le modèle disciplinaire de la gestion des conduites, des règles d’autorité et de conformité aux interdits se sont déliquéfiés. Les normes qui assignaient aux classes sociales comme aux deux sexes leur destin ont cédé devant des normes qui incitent chacun à l'initia- tive individuelle en l'enjoignant à devenir lui-même. La conséquence de cette nouvelle normativité, c'est que la responsabilité entière des vies de tous se loge non seulement en chacun de nous, mais également dans l’entre-nous collectif. Ainsi le burn-out est une manière "d'être" qui se présente comme une maladie de la responsabilité et dans laquelle domine le sentiment d’insuffisance. L' " épuisé" n’est plus à la hauteur, il est fatigué d’avoir à devenir lui-même. Mais que signifie devenir soi ? La question n’est simple qu’en apparence. Elle soulève d’épineux problèmes de frontières : entre le permis et le défendu, le possible et l’impossible, le normal et le pathologique. Car l’intime, dans ces conditions, joue des rapports instables entre culpabilité, responsabilité et pathologie mentale. L’action s’est en effet aujourd’hui individualisée. Elle n’a alors plus d’autre source que l’agent qui l’accomplit et dont il est le seul responsable. L’initiative des individus passe au premier plan des critères qui mesurent la valeur de la personne. Ce changement, c'est-à-dire cette manière "d'être au monde", a pendant longtemps été une chose désirable parce qu’il était lié à l’horizon d’un progrès qui devait se poursuivre indéfiniment, et garanti, en partie, par une protection sociale qui ne pouvait que s’étendre. Il est vécu aujourd’hui de façon ambivalente, car la crainte de la chute et la peur de ne pas s’en sortir l’emportent nettement sur l’espoir d’ascension sociale. Tout se passe comme si les individus n’avaient plus que les méfaits du changement, méfaits que les mots « vulnérabilité », « fragilité » et « précarité » résument. Nous changeons, certes, mais nous n’avons plus le sentiment de progresser. Combinée à tout ce qui incite aujourd’hui à s’intéresser à sa propre intimité, la « civilisation du changement » stimule une attention massive à la souffrance psychique. Elle sourd de partout et s’investit dans les multiples marchés de l’équilibre intérieur. C’est dans les termes de l’implosion, de l’effondrement dépressif ou, au contraire de l’explosion – de violence, de rage ou de recherche de sensations dans des addictologies de toute sorte ou des prises de risques extrèmes – que se manifeste aujourd’hui une large part des tensions sociales. La psychologie contemporaine nous l’enseigne, l’impuis- sance personnelle peut se figer dans l’inhibition, exploser dans l’impulsion ou connaître d’inlassables répétitions comportementales dans la compulsion. L'épuisement est ainsi au carrefour des normes définissant l’action, d’un usage étendu de la notion de souffrance ou de mal-être dans l’abord des problèmes sociaux. La maladie du système libéral, c’est la responsabilité. Responsable mais non coupable, disaient certains de nos ministres accusés de violences indirectes sur des personnes malades, voilà bien le lot de notre temps. L’actualisation des pulsions n’est pas chose aussi simple quand il s’agit de les sublimer. Faut-il en revenir au pyramidalisme (Maslet 2004) quand on constate les effets négatifs que peut avoir le libéralisme? Certes non, l'idéologie de la "liberté" se doit de s'actualiser. Mais il est clair que ce n’est pas en nous apitoyant sur notre ego et notre passé que l'on sortira de ses problèmes organisationnels. Il est évident qu’à l’heure où toute la planète semble choisir le libéralisme comme voie économique, camper sur nos positions serait suicidaire. Et pourquoi nous saborder alors que l’histoire nous ouvre les voies pour ne pas perdre notre âme ? Le libéralisme condorcéen (Masclet 1995) offre sans conteste des idées pour devenir libéral et rester humaniste. Mettre "la compétence" au service du bien de tous, selon les vœux de Condorcet, n’est-il pas un moyen de préserver l’individu pour enrichir le groupe ? C’est donc moins d’une position affective que d’une position réaliste dont nous avons besoin pour organiser les entreprises de tous ordres dans notre pays. C’est bien plus de la compréhension du fonctionnement des systèmes économiques que de leur choix qui importe. Or il semblerait bien que les politiques actuelles, Masclet (1995), conduisent plus à une démarche alternative entre l’un ou l’autre système qu’à une éducation des choix. Les sciences humaines et la psychologie particulièrement, devaient nous aider dans cette voie. En effet notre science a joué un rôle important dans les économies de ce début de siècle pour permettre l’adaptation de l’homme aux sociétés pyramidales, Masclet (1998a). Cette contribution a d’ailleurs souvent fait l’objet de prises de positions idéologiques notamment à partir des Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -32- années 60, dans plusieurs travaux d’obédiences sociologiques (Snyders 70, Bourdieu et Passeron 64, Romian 74). Que fallait-il faire ? Sous prétexte que la recherche en psychologie et ses applications contribuaient, en plaçant l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, à l’essor du capitalisme, fallait-il stopper toute investigation scientifique en sciences humaines ? Le débat de l’utilisation humaniste des produits de la recherche n’est hélas pas de seul fait des scientifiques. Certains travaux des pionniers de la psychologie ont sans doute contribué à la croissance économique et au développement du capitalisme. Ce qu’on peut reprocher à la psychologie du début du siècle c’est peut-être de n’avoir pas pris suffisamment de précautions déontologiques dans ses applications. C’est la remarque qu’on peut faire à toute science naissante et qu’on aurait pu faire à la physique nucléaire, à l’informatique et qu’on semble faire avec le génie génétique. Il est toutefois à remarquer qu’à une époque où l’on manque de gens qui entreprennent, où tous les hommes aspirent à la liberté, et où chacun veut vivre sa propre spiritualité, la psychologie a sûrement encore beaucoup de chose à apporter. Il y a fort à penser que cette fois la dimension humaniste sera présente, le dernier code de déontologie des psychologues en est, et c'est à espérer, l’un des garants. L'heure n'est donc pas au refus du marché, mais à comment l'apprivoiser. Pour cela l'organisation ne doit plus être le lieu de l'urgence (Aubert 2003) et de l'aliénation. Au contraire elle doit devenir un des lieux privilégiés de l'échange, de l'épanouissement et de la créativité. Pour cela il est d'abord nécessaire de retrouver le "Sens" de ce que veut dire être ensemble et pourquoi. Car à l'heure où 73,2% d'entre nous mènent leur activité dans les services, il est plus qu'urgent de se garantir contre deux dangers. Le premier c'est celui de la vente des services. Le service çà se Rend, çà ne se Vend pas, sinon l'essence humaine est pervertie. Ainsi dans les premières sociétés de type cynégétique les individus s'organisaient pour chasser pour ensuite manger. Par contre quand l'argent devient le moteur de l'organisation, la perversion n'est plus loin (Masclet 2000). Pour exemple regardons ce que les U.S.A. ont fait de leurs services de santé. Le deuxième danger qui menace une société de services c'est la création de services artificiels pour occuper les personnes. Ainsi à une époque où les services d'orientation sont pléthore, les français n'ont jamais été aussi désorientés. Et cela sans compter que certains services arbitraires contribuent à maintenir des personnes dans la précarité pour justifier leur existence (associations et services d'allocations). Le temps est à l'imagination ne nous décevons pas les uns les autres J Bibliographie Argiris, C., (1970). Participation et organisation (trad.fr.), Paris, Dunod. Aristote, (1993). Les Politiques, Paris, Flammarion. Aubert N., Gruere J-P., Jabes J., Laroche H., Michel S., (1991). Management. Paris, P.U.F. Aubert, N., (2003). Le culte de l'urgence. Paris, Flammarion. Bourdieu, P., Passeron, J.C., (1964). Les Héritiers, Paris, Ed. de Minuit. Bourdieu, P., Passeron, J.C., (1970). La Reproduction, Paris, Ed. de Minuit. Condorcet, (1994). Cinq Mémoires sur l’Instruction Publique, Paris, G.F. Flammarion. Dejours, C., (1998). La souffrance en France : la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil. Hammer,M., & Champy, J. (1993). Le Reengineering. Paris, Dunod. Kanter, R.M., (1992). L’entreprise en éveil : maîtriser les stratégies du management postindustriel. Trad. Franç. E. Merlo. Paris, Inter-éditions. Likert, K., (1974). 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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -33- Sentiment d’efficacité personnelle et évaluation de la motivation Mise en perspective par les représentations sociales des compétences Pierre-Henri FRANÇOIS, Maître de conférences en psychologie du travail, Université de Poitiers J Nos travaux sur les représentations sociales des compétences, menés depuis quelques années à Poitiers (François & Aïssani, 2002, François, 2003, 2004a), avec comme références principales la théorie sociale cognitive de Bandura (TSC) et les conceptualisations relatives aux représentations sociales nous conduisent à considérer trois types principaux de représentations des compétences (RC) : les représentations des compétences en général (définition de ce qu’est une compétence), les représentations des compétences requises pour mener à bien certaines activités et les représentations de ses propres compétences. Dans la terminologie de la TSC, le premier type correspond à ce que Bandura appelle les conceptions des compétences et a surtout été étudié sous l’angle des représentations fixistes vs incrémentielles, le second correspond à l’attente de résultats, le troisième au sentiment d’efficacité personnelle (SEP). Le couplage de la TSC avec les représentations sociales permet d’insister sur les déterminants sociaux de ces représentations. Dans l’évaluation de la motivation, les trois types de représentations apportent des informations importantes. Les personnes (incrémentielles) qui considèrent que les compétences sont acquises par expérience ou apprentissage recherchent les situations qui leur permettent d’augmenter leurs connaissances, leurs compétences : elles considèrent les erreurs comme des moyens d’apprendre et évaluent plutôt leurs capacités en terme de progression personnelle que par comparaison sociale. Les personnes (fixistes) qui voient dans les compétences l’expression de qualités innées, de dons, apprécient particulièrement les situations où elles sont performantes et tendent à éviter les situations pouvant amener un échec puisque celui-ci est évocateur d’un manque irrévocable de capacités. La distinction entre conceptions fixistes et incrémentielles des compétences trouve sa place dans la TSC et éclaire certains processus d’autorégulation des conduites. Pour Bandura (2003, p. 343) les conceptions fixistes des compétences tendraient à diminuer l’autodéveloppement des capacités alors que les conceptions incrémentielles seraient associées à la tendance inverse. Bandura (ibid. p. 342) indique aussi que les conceptions des compétences jouent un rôle dans l’effet motivationnel des attributions (par rapport à un succès ou un échec) en terme d’effort. Par exemple, dire à un fixiste qu’il a réussi parce qu’il a produit un gros effort peut l’amener à penser que cet effort était nécessaire pour compenser une déficience d’aptitude alors qu’un incrémentiel y verra la preuve que l’effort a porté ses fruits. Ainsi les attributions évoquant l’effort peuvent avoir des effets variables. Bandura (ibid. p. 343) suggère que de telles attributions peuvent avoir un effet décourageant, par exemple quand elles sont répétées. Un élève en difficulté qu’on exhorte continuellement à l’effort se découragera mais pourra se remobiliser s’il interprète un succès ponctuel comme la marque d’un certain niveau d’aptitude. L’attente de résultat est pour Bandura (2003) une composante importante des processus motivationnels. Elle correspond aux croyances d’un individu que certains comportements peuvent lui permettre d’atteindre des résultats visés. Dans le même ordre d’idée, François (2003, p. 32) définit « la représentation de l’efficacité des moyens (REM) comme étant l’identification et l’évaluation des moyens qui mènent à une performance », la performance permettant ensuite l’at- teinte des résultats visés. Le fait d’identifier des moyens efficaces permettant d’atteindre un objectif précis augmenterait la motivation à mettre en œuvre les conduites correspondantes. La REM est souvent de fait constituée de représentations des compétences utiles pour atteindre un effet donné. Rien d’étonnant à cela si on considère comme Levy-Leboyer (1996, p. 42) que les compétences sont des répertoires de comportements et que l’attente de résultat (ou REM) chez Bandura concerne principalement les conséquences des comportements. Pour Bandura, les attentes de résultats se constituent à partir des expériences vécues par le sujet et aussi par modelage. Par la réflexion sur ses propres actions ou sur celles d’une personne observée (modèle), le sujet infère des croyances sur les comportements efficaces qui peuvent mener à certains résultats attendus. Ces règles de fonctionnement inférées pourront ensuite être appliquées dans l’autoguidage des activités. Nous avons obtenu plusieurs résultats avec des populations françaises (voir par ex. François et Baudry, accepté 2006) suggérant que l’attente de résultat pourrait, dans certaines conditions, s’avérer plus déterminante de la performance que le SEP, alors que Bandura met, lui, nettement l’accent sur cette dernière composante. Pour Bandura, le SEP est une des principales composantes de la motivation humaine. On peut définir le SEP comme les croyances d’un individu sur ses capacités à mettre en œuvre les comportements qu’il pense utiles pour atteindre des résultats visés. Le SEP renvoie « aux jugements que les personnes font à propos de leur capacité à organiser et réaliser des ensembles d'actions requises pour atteindre des types de performances attendus » (Bandura, 1986), mais aussi aux croyances à propos de leurs capacités à mobiliser la motivation, les ressour- Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -35- ces cognitives et les comportements nécessaires pour exercer un contrôle sur les événements de la vie (Wood et Bandura, 1989). Ces croyances constituent le mécanisme le plus central et le plus général de la gestion de soi (personal agency). En particulier, le SEP influe sur les performances, le choix des activités et leurs environnements et sur la dépense d'efforts, leur persistance, les types de pensées (positives vs négatives) et les réactions émotionnelles face aux obstacles. Le SEP influe positivement sur la performance. Il a un rôle direct en permettant aux personnes de mobiliser et organiser leurs compétences. Il a un rôle indirect en influençant le choix des objectifs et des actions. Les résultats de la méta-analyse effectuée par Sadri et Robertson (1993) confirment que le SEP est corrélé avec la performance (r après correction = .40) et avec le choix du comportement (r après correction = .34). La TSC repose sur un modèle triadique de causalité réciproque entre les trois composantes que sont la personne, les comportements et l’environnement (cf. Figure 1). Il est important d’intégrer cette perspective pour comprendre toute la richesse de cette approche. On peut situer les processus qui mettent en jeu les trois types de RC. Les conceptions des compétences en général (fixistes vs incrémentielles) ont été étudiées jusque là par les auteurs nord américains dans une perspective différentielle c'est-à-dire dépendant de P mais les auteurs stipulent l’influence possible de l’environnement éducatif ou culturel. On a donc P qui détermine E (perçu) et est éventuellement influencé par E. Et P détermine aussi l’interprétation des comportements et de leurs renforcements comme dans les exemples présentés plus haut. Pour les deux autres types de RC, le modèle s’applique plus facilement dans son intégralité. Les attentes de résultats et le SEP dépendent du pôle P en ce sens que P traite l’information relative aux comportements et à l’environnement. Notamment, en fonction des RC, P choisit, réalise et évalue les comportements. E détermine P en fournissant des modèles, des schémas de pensée, des informations symboliques (connaissances). C influe sur E : l’individu tente d’intervenir sur E par le moyen de C dans un sens qui lui soit favorable et donc en fonction des RC, comme on l’a dit. Les résultats obtenus par C, et donc qui dépendent des renforcements par E, vont alimenter les RC (P) en forgeant des attentes de résultats et en permettant l’évaluation de l’efficacité personnelle. P C E Figure 1 Modèle triadique de causalité réciproque (Bandura, 1986) P=personne, C=comportement, E= environnement. Le croisement des attentes de résultat et du SEP est tout à fait fondamental pour accéder à la compréhension des processus motivationnels situés dans un environnement socioéconomique. Ainsi Bandura (2003, p 38) propose-t-il le tableau ci-dessous pour rendre compte du rôle de ce qu’il appelle la réactivité du milieu dans la formation de modes de relations à l’environnement et d’autorégulation comportementale. C’est bien les représentations concernant ce qu’il faut faire et ce qu’on est capable de faire qui interviennent dans ce modèle cognitif de ATTENTES DE RESULTAT CROYANCES D’EFFFICACITE (SEP) moins plus plus Revendication Engagement productif Reproches Aspirations Militantisme Satisfaction personnelle Changement de milieu moins Résignation Autodévalorisation Apathie Découragement Figure 2. Effets croisés du SEP et de l’attente de résultat sur le comportement et l’émotionnel la motivation, mais ici Bandura développe une argumentation qui s’inscrit bien dans le modèle triadique de causalité réciproque à savoir que le regard porté sur les comportements ne peut être disjoint des renforcements du milieu. Conceptions des compétences, représentations des compétences requises et représentations de ses propres compétences interviennent donc dans les processus cognitifs motivationnels. En nous appuyant sur les travaux de Skinner (1996), nous avons proposé (François, 1998, 2002, 2003) une articulation des concepts de Bandura avec le célèbre modèle VIE de Vroom (1964) (cf. Fig. 3). Rappelons que Bandura lui-même n’inscrit pas sa TSC dans la catégorie des théories de l’expectation / valence, notamment parce que la rationalité de ces modèles est que l’individu cherche à maximiser la satisfaction alors que pour Bandura c’est le SEP qui joue le rôle le plus déterminant. L’entretien de motivation peut être structuré de façon à repérer les différentes composantes de la motivation. Nous avons réalisé un petit film, destiné à la formation, illustrant ce propos (François, 2000b). Ainsi pour une performance donnée, par exemple atteindre un certain niveau de compétence (soit reconnu socialement avec obtention d’une qualification, soit effective permettant de réaliser correctement certaines opérations) il est utile de savoir ce que la personne pense que cette performance lui procurera comme satisfactions ou bénéfices (conséquences de la performance sur la figure 3), de savoir l’importance, la valence accordée à chacune de ces conséquences et la probabilité perçue par la personne que la performance mène à l’obtention de sa conséquence (instrumentalité). « Si vous atteignez ce niveau de performance qu’est-ce que ça vous amènera ? », « Ce que ça vous amènera, est-ce important pour vous ? », « Si vous atteignez la performance, quelle est la probabilité que ça vous apporte quelque chose ? ». L’attente de résultats de Bandura recouvre l’instrumentalité mais aussi, avec le SEP permet de préciser ce qu’est l’expectation. La question « Que faut-il pour arriver au niveau de compétence ? » permet de renseigner sur les moyens jugés efficaces par la personne pour atteindre la performance. Les réponses peuvent être faites en termes de compétences (par exemple, savoir se servir de tel logiciel, parler anglais …) ou de res- Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -36- Modèle de l’expectation Modèle de la valence Valence Sentiment d’efficacité personnelle Performance Attente de résultats Conséquence performance Instrumentalité Conception des compétences Figure 3. Modèle synthétique de la motivation cognitive d’après les travaux de Vroom, Bandura et Skinner. sources extérieures (disposer d’un ordinateur, d’une salle de documentation …). Une fois identifiées les attentes de résultat, on peut les convertir en questions sur le SEP : « Vous-même savez-vous vous servir de ce logiciel ? », « Saurez-vous trouver l’information dans un centre de documentation ? ». La conception des compétences viendrait moduler les attentes de résultats ; on peut la repérer en demandant ce qu’il faut pour avoir cette compétence et repérer si l’individu répond plutôt en termes d’aptitudes et de traits (conception plus fixiste) ou en terme d’acquisitions, d’apprentissage (conception incrémentielle). L’intérêt du modèle réside principalement dans l’articulation des différentes composantes. Modèle multiplicatif pour VIE : si une des trois composantes est faible ou nulle, il en va de même pour la motivation à atteindre la performance. Interaction entre attente de résultats et SEP ainsi qu’il est décrit plus haut dans la TSC (voir Figure 2). L’intérêt du modèle réside aussi dans la résonance psychologique de chacune des composantes. On n’est pas dans le même registre de diagnostic ou d’accompagnement motivationnel si on découvre que la personne pense qu’il y a peu de chance que l’accrois-sement de certaines compétences lui apporte quelque chose ou bien si elle valorise peu ce que ça peut lui apporter. La probabilité d’occurrence de la conséquence peut être sous-estimée ou ignorée auquel cas une information permettant une meilleure connaissance des conséquences de la performance sera de nature à modifier la motivation. La valence attribuée aux conséquences de la performance peut aussi provenir d’une méconnaissance de la conséquence (par exemple un métier auquel l’accroissement de compétence pourrait permettre d’accéder) mais il peut aussi provenir des goûts et du système de valeurs de la personne qu’on ne saurait prétendre faire évoluer dans le cadre d’une relation de conseil en temps restreint (comme c’est souvent le cas dans l’accompagnement des parcours professionnels). En ce qui concerne l’expectation, l’attente de résultat correspond à l’identification de moyens perçus comme efficaces pour atteindre la performance ; il est clair qu’une information sur les moyens, par exemple les contenus d’une formation, est de nature à faire évoluer les représentations sous-tendant la motivation. Les croyances de l’individu dans ses capacités à mettre en œuvre ces moyens jugés efficaces constituent le SEP. Un SEP faible peut être rehaussé par des encouragements mais plus certainement par l’expérience réussie ou par l’observation d’un modèle maîtrisant les activités en question et auquel le sujet peut s’identifier. La communication de résultats de tests ou l’examen accompagné de ses expériences peuvent conforter le SEP du sujet. La formation peut également être propice au vécu d’expériences réussies et au modelage. Le lecteur pourra trouver un complément d’information sur ces perspectives appliquées au conseil dans les textes suivants (François 2000a, François & Botteman, 1996, 2002, Botteman, François, Faucher-Villet, 2005, François & Langelier, 2000). Notons aussi que dans l’approche cognitive de la motivation c’est la façon dont l’individu se représente la situation et l’articulation entre ces différentes composantes représentationnelles qui comptent. L’individu peut donc se trouver plus ou moins motivé sur la base de représentations erronées ou biaisées : être persuadé qu’un métier lui permettra d’exercer une de ses activités professionnelles favorites alors que celles-ci n’y prennent qu’une place restreinte, croire qu’une formation inadéquate mène à une profession, sousévaluer l’importance d’une compétence requise pour atteindre une performance donnée, surévaluer ses capacités. Un manque de réalisme dans certaines représentations sous-tendant la motivation est évidemment à prendre en compte puisque la motivation risque de chuter quand les représentations auront évolué avec la confrontation du sujet à la situation réelle. Une part importante de notre travail sur les représentations sociales des compétences a consisté à documenter l’ancrage social des compétences, dans l’idée que le versant social de la TSC pourrait être renforcé par rapport au co- Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -37- gnitif, notamment en liant encore davantage que ne le fait Bandura les processus cognitifs à des logiques sociales. Ainsi avons-nous trouvé que les représentations des compétences peuvent varier selon des logiques de fonctions professionnelles, de relations intergroupe, de hiérarchie organisationnelle (François, 2004a, 2005, François & Baudry, accepté 2006). Les conceptions des compétences en général varient selon le degré d’expérience, la filière d’étude, il y aurait un ancrage social de la dimension fixiste incrémentielle selon des processus identitaires, selon le statut, des logiques organisationnelles. Les représentations des compétences requises varient selon des processus identitaires, selon le statut. Les représentations des compétences de l’endogroupe suivent des logiques sociales identitaires. L’ancrage social des RC nous permet d’entrevoir comment une catégorie de jugement socialement construite est impliquée dans l’identité et participe à l’autorégulation des conduites. Cette perspective nous incite, en tant que psychologues, à ne pas focaliser uniquement sur des déterminations intrapsychiques mais bien à les situer en contexte. Elle nous incite aussi à un relativisme culturel prudent quand il s’agit d’appliquer à nos pratiques des modèles théoriques développés dans d’autres contextes sociaux et culturels (François 2004b et c). 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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -38- Mondialisation, Dynamiques interculturelles et variations des identités Geneviève VINSONNEAU Directeur d’études et de recherches en psychologie interculturelle, Université Paris 5 J La psychologie et l’explication des phénomènes de culture Comment comprendre l’homme confronté à la mondialisation ? Dans le contexte géopolitique et économique de l’ouverture européenne et de la « mondialisation », l’interdépendance des états et des continents accentue les phénomènes de migration, volontaire ou non, provoquant des turbulences dans l’ordre des loyautés (familiales, religieuses, nationales…) et des citoyennetés, ce qui active la créativité identitaire, de nouvelles formations subjectives et d’éventuels traumatismes psychologiques. Il s’agit ici de plaider en faveur d’une approche en psychologie interculturelle, pour mieux comprendre la réalité psycho sociale émergente sous l’effet de la mondialisation et des nouvelles formes de l’immigration. Les notions de culture et d’identité seront discutées et l’on montrera qu’il convient de les aborder en tant que phénomènes situationnels et relationnels et non comme des entités stables, qui seraient attachées, une fois pour toutes, aux individus, notamment d’après leur origine territoriale. L’analyse des opérations identitaires en œuvre dans la dynamique interculturelle doit être menée au regard des enjeux qui sous-tendent les choix d’appartenance des sujets en situation ; on verra comment les formations identitaires, individuelles et collectives, se déploient en tant que processus, par lesquels les acteurs génèrent et « bricolent » des significations, des liens et des stratégies adaptatives, en instrumentalisant à cette fin certaines ressources dont ils disposent : la territorialité (physique et symbolique), l’ancrage socio politique, la religion, l’ethnicité…. L’avènement de la psychologie anthropologique La psychologie interculturelle recouvre un champ d’études au sein duquel on peut distinguer plusieurs courants ; le plus ancien et aussi le plus connu est celui des études « culturelles » ou mono culturelles, largement fondées sur les outils conceptuels et méthodologiques de l’anthropologie, principalement nordaméricaine. Ces études classiques ont bouleversé le mode d’explication des différences qui apparaissent entre les conduites humaines, jusqu’alors volontiers expliquées en termes de nature, d’appartenances raciales. Avec l’avènement de l’anthropologie scientifique, les explications en termes de formations culturelles et d’apprentissages différenciés entre les populations à travers le monde prennent le pas sur les arguments essentialistes. Si les populations humaines porteuses de cultures distinctes se comportent différemment, c’est parce qu’elles ont été équipées de codes culturels variés (elles sont « enculturées » différemment), ce qui les prépare à projeter sur le monde des significations différentes et à développer, pour s’adapter au réel, des modèles ou patterns de réactions dissemblables. Et ceci non parce que la nature humaine serait hétérogène, composée de races différentes et inégalement réparties sur une échelle hiérarchique exprimant de plus ou moins grandes aptitudes pour accéder à La « Civilisation ». L’anthropologie scientifique rend donc familière une notion qui va devenir centrale : celle du relativisme culturel. Le regard scientifique a permis d’éclairer les phénomènes culturels et la réalité anthropologique des cultures ; si la science vise à comprendre, expliquer et prévoir les évènements auxquels elle s’intéresse, son objet ne consiste pas à établir des classements en vue d’aboutir à hiérarchiser les populations selon des systèmes de valeurs ou de significations. Lorsqu’elle s’intéresse à la compréhension des cultures, la science n’a pas à décider si telle valeur culturelle est supérieure ou inférieure à telle autre, mais à comprendre pourquoi et comment ces valeurs respectives génèrent certains enchaînements de conduites et d’interactions humaines dans des circonstances spécifiées. Le relativisme culturel représente donc la condition épistémologique nécessaire au développement des études scientifiques sur les phénomènes de culture ; mais pour des raisons de commodités : à la fois méthodologiques (servant des perspectives comparatives) et théoriques (visant l’explication des formes de modelage de la personnalité en liaison avec le type de « socialisation »), la plupart de ces études se sont déployées dans des sociétés de petite dimension et au changement lent, celles que les premiers ethnologues qualifièrent jadis de « primitives » et dont on a trop volontiers occulté l’hétérogénéité et les conflits internes ; ce qui eut pour conséquence de surdéterminer les facteurs culturels aux dépens d’autres facteurs, bien réels cependant. Comparer les acteurs sociaux pour distinguer particularismes et universaux Ainsi les études (mono)culturelles ont-elles connu la dérive de la substantialisation. Par un effet pervers, certaines explications des conduites humaines en termes de culture ont parfois été abusivement comprises de manière réifiante, ce qui conduisit à percevoir ces phénomènes non pas tels qu’ils sont : d’incessants dynamismes, dépendant des rapports socio politiques entre les groupes humains ; mais comme des substances, Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -39- des propriétés qui, sous l’effet des origines de chacun, lui seraient invariablement attachées, une fois pour toutes, telles une seconde nature. En raison des conséquences d’une telle dérive, ces études ont parfois été accusées d’enfermement « culturaliste ». Pourtant, lorsqu’il est bien compris, leur apport est d’un évident enrichissement. Il est essentiel dès lors que l’on s’ouvre à la comparaison ; or la démarche scientifique commence avec la comparaison. En mettant en perspective les phénomènes repérables parmi diverses populations porteuses de cultures distinctes, il devient possible de faire la part entre les particularismes culturels, attribuables à la marque des cultures respectives, et les universaux, ce qui serait le substrat de la « nature humaine », par delà la diversité des modes d’enculturation, de socialisation, les avatars socio historiques, politiques, économiques... C’est une telle préoccupation qui alimente le second courant des études de psychologie culturelle, largement constitutives de la « cross cultural psychology » qui est principalement anglo-saxonne. La comparaison entre cultures est cependant une entreprise bien difficile : on ne devrait en effet s’autoriser à comparer que ce qui est comparable, et comment s’y prendre en l’occurrence pour définir les entités à comparer ? On comprend la difficulté d’une telle gageure. A un autre point de vue, pour que la compréhension des porteurs de culture ne soit pas uniformément biaisée, elle ne devrait pas se faire exclusivement au moyen de la grille de lecture du réel que produisent et véhiculent les agents de la culture dominante ; or les outils conceptuels et méthodologiques utilisés pour les études comparatives entre cultures ne prennent presque jamais en compte toutes les parties en présence. Les paradigmes des recherches sont régulièrement construits au cœur d’un système dominant (dans le monde scientifique occidental), par des membres de ce système (porteurs du code de la culture dominante) participant aux concepts, théories et méthodes académiques en vigueur au moment où est menée la recherche et (ignorant) le plus souvent (qu’ils se trouvent) dans l’ignorance (parfois même de l’existence) des codes dont l’Autre est porteur. Ainsi plaque-t-on sur l’Autre des outils qui inexorablement falsifient sa réalité. La plupart des études publiées dans le champ de la « cross cultural psychology » sont ainsi entachées d’un regrettable ethnocentrisme scientifique. La psychologie inter-culturelle : comprendre les réactions face à l’altérité Et cependant, on cherche parfois sincèrement à comprendre, aider, intégrer… cet Autre, surgi au carrefour des cultures et dont la venue est apte à bouleverser l’ordre établi, les savoirs acquis. C’est une telle préoccupation sociale qui a fait naître le dernier courant de la psychologie interculturelle, à la fois le plus récent et le plus représenté en pays francophones. On y traite des phénomènes psychologiques et psychosociaux qui surgissent dans la rencontre des cultures : rencontre entre porteurs de codes culturels distincts (membres de groupes étrangers en situation pluriculturelle) ou entre codes distincts chez un même sujet. Ainsi les études de « psychologie inter-culturelle » ontelles été menées initialement par des praticiens de l’éducation et de la formation, de la santé, du travail, concernés par le traitement des situations culturellement hétérogènes et simultanément marquées, le plus fréquemment, du sceau des inégalités sociales, voire de l’exclusion. Prioritairement préoccupés par l’action, les auteurs de l’interculturel se sont attachés à construire des outils conceptuels et méthodologiques pour intervenir en vue de faciliter l’intégration, l’harmonie sociale, la communication et le management interculturels ; ces chercheurs proviennent des différentes sous disciplines de la psychologie scientifique (clinique et pathologique, expérimentale, développementale, sociale) et ils proposent d’analyser et de guider les pratiques psychosociales dans des situations diversement marquées par l’hétérogénéité culturelle. Dans le champ de l’interculturel, le principe du relativisme est généralement acquis, la dignité des cultures respectives et leur légitimité n’étant pas mises en cause ; la reconnaissance de l’altérité culturelle est en l’occurrence une préoccupation majeure : l’étude de ses déterminants constitue précisément l’un des objectifs que l’on se propose d’atteindre. On comprend que les entreprises pratiques et scientifiques qui en résultent soient entachées d’empirisme, de bonne volonté militante, de quête d’efficacité… toutes motivations suspectes au regard de la science. Et dans ce champ cependant se développent aujourd’hui de solides procédures scientifiques qui échappent à l’ethnocentrisme, en reconsidérant le mode de construction des outils conceptuels et méthodologiques qui servent à scruter l’émergence des phénomènes liés à la rencontre interculturelle. Reconnaissance de l’altérité culturelle, identités et stratégies L’hétérogénéité culturelle : source d’émergence de l’identité/altérité Les situations de contacts culturels sont riches d’enseignement, car elles amènent les porteurs de culture à découvrir leurs représentations identitaires : confrontés à l’altérité, les acteurs découvrent ce qu’ils ne sont pas, donc ce qu’ils sont, pensent être ou voudraient être. Ainsi les consciences identitaires se révèlent-elles, dans des circonstances rien moins qu’uniformes. L’hétérogénéité et la diversité culturelles apparaissent au grand jour dans les contextes des sociétés industrielles modernes. Constituées de multiples sub-cultures intriquées, ces sociétés sont le foyer de dynamiques perpétuellement renouvelées. Dans ces circonstances, l’étude de la construction identitaire ne peut se faire exclusivement à l’aide d’une conception homogène de la culture qui serait explicative. L’acteur social, aux prises avec les exigences de ses opérations identitaires, se confronte nécessairement à la question de l’altérité. Ce rapport identité/altérité doit précisément être resitué dans le contexte des sous systèmes sociaux en présence, pour que les processus cognitifs qui alimentent l’identité soient déchiffrables. Une même situation sociale n’est pas vécue de la même manière par des acteurs issus de sous-groupes distincts du système social élargi. Les normes et les valeurs impliqués sont le plus souvent hétérogènes, les enjeux de leurs porteurs ne sont pas les mêmes et les conflits d’intérêt s’intriquent avec les conflits de valeurs pour compliquer un scénario irréductible à une close entre deux cultures. Les cultures, un vivier de ressources pour les constructions identitaires Les acteurs sociaux étant constructeurs de leur identité, des matériaux sont nécessaires à la réalisation d’un tel ouvrage. La culture offre à ce propos des ressources symboliques quasi inépuisables. Elle est un vivier de significations, élaborées et partagées, à la fois par des individus et par des groupes que rallient des perspectives communes ou un même ancrage historique. Le sujet, en quête de Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -40- cohérence, cherche dans la (les) culture(s), auxquelles il appartient ou auxquelles il se réfère, des repères utiles à l’édification du sens de son être et de sa pratique. La culture oriente l’inscription de l’individu dans le tissu social, les modalités de partage des valeurs qui s’offrent à lui et ses choix d’appartenance. La simultanéité des appartenances possibles enrichit le sujet de séries distinctes de significations qui, une fois articulées entre elles, confèrent à chacun une identité singulière. A cette identité s’attachent des éléments de statut subjectif et des prescriptions de rôles, des modèles de conduites à adopter et des attentes sociales spécifiques. Parmi les foyers d’appartenance possibles, les groupes ethniques occupent une place privilégiée. La dynamique de construction et de reconstruction des appartenances ethnoculturelles est à la fois porteuse d’intégration et d’exclusion sociales : entre Nous et Eux, les individus se livrent à d’incessantes négociations d’appartenances, fondées sur le traitement dialectique des similitudes et des différences par lesquelles ils se rapprochent/s’éloignent des groupes qu’ils cherchent à rejoindre/à fuir. Mondialisation et devenir des cultures Mondialisation/Immigration : des conditions actuelles du travail humain On ne peut en 2005 aborder la question de l’homme au travail sans évoquer la question de la mondialisation. Nous vivons une période de turbulences inédites, alors que l’internationalisation des entreprises va en s’accélérant. Si, pour partir à la recherche de travail, comme toujours les hommes se déplacent, aujourd’hui les choses s‘accélèrent et ils sont le plus souvent contraints de délier pour cela aussi bien leurs attaches intimes, familiales, territoriales … que d’abandonner leurs pratiques culturelles au quotidien, d’atténuer les caractéristiques par lesquels ils risquent d’être ethnicisés, de masquer les croyances par lesquelles leur vie prend sens. Libérés de toutes ces entraves, ils se livrent à des stratégies parfois féroces pour la conquête d’un emploi : plus ou moins ponctuel, plus ou moins dépourvu de valeur socialisatrice ou génératrice de sens, de perspectives d’ancrage symbolique, quoi qu’il en soit inapte à compenser la perte des ressources identitaires relé- guées. Avec l’immigration, les mouvements de populations charriaient des phénomènes de culture, des significations et des projets partagés, au travers desquels l’identification sociale trouvait où s’agripper ; la mondialisation pulvérise ces conditions, laminant les liens sociaux, provoquant la circulation des environnements de travail, des cadres, des pratiques de ressources humaines… Depuis les 30 dernières années, la mondialisation amplifie l’internationalisation des relations de travail. On aurait pu penser que le déplacement de biens induirait l’amoindrissement des flux migratoires. Il n’en n’est rien. Si la mondialisation est un phénomène actuel, dans le même temps les migrations augmentent de façon importante : elles concernaient en 2000 plus de 120 millions d’individus. On est donc en droit d’affirmer que les flux migratoires s’accentuent sous l’effet de la mondialisation et simultanément ils se diversifient selon les pays et les besoins en main d’œuvre. La baisse des prix du transport et la rapidité des communications incitent au départ les ressortissants des pays les moins développés : ailleurs ils espèrent avoir plus de chances... Ainsi les migrations acquièrentelles un autre profil, plus épisodique, moins définitif que par le passé. Ces candidats à l’immigration vers les pays les plus développés se heurtent cependant à des politiques de mondialisation qui, si elles développent la circulation de capitaux, de marchandises, d’informations, entravent la circulation des hommes. Une telle conjoncture favorise le trafic de migrants à l’échelle planétaire ; le développement durable de l’emploi local réduirait ce phénomène, mais la gestion de ces questions revient aux états, aux organismes internationaux, aux grandes entreprises multinationales... Une culture « mondiale » : « culture » pour tous les Hommes ? La mondialisation, c’est autre chose cependant que l’autre versant de l’immigration. C’est aussi l’incessante diffusion d’une culture dominante qui, insidieusement, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, envahit le monde, diffusée depuis d’innombrables canaux. L’univers entier est inondé de produits en provenance des Etats-Unis : incontournables pantalons issus des westerns, soda qui fait pétiller des mirages jusqu’au fond des déserts, séries télévisées d’où jaillissent des générations de petits garçons et de petites filles aux prénoms américains, «nourritures rapides», commodes et familières, au moyen desquelles les consommateurs s’acheminent vers l’obésité, parcs d’attraction géants où des constructions de rêve transportent les masses vers l’enchantement… Au travers de la mise en place de ce puissant marché mondial, une « culture » s’instaure véritablement, soustendue par la force des industries culturelles et des réseaux d’information. La diffusion de ce système culturel vise principalement les consommateurs potentiels que sont les jeunes, tandis qu’il repose sur l’emprunt des techniques managériales en entreprise. L’instauration de ce modèle culturel mondial se calque sur la tradition du spectacle. Les héros qui l’habitent sont des figures de cadres supérieurs de puissantes entreprises, de magnats du pétrole, de célébrités du show business, les plus fameux experts scientifiques…Les décors où ces personnages évoluent sont ceux des grands hôtels intercontinentaux, des terrains de golf et autres îles paradisiaques, aménagées en théâtre pour séminaires. En tant que cadre quotidien de réalisations transnationales, une telle culture mondiale comprend sa logique globale, fondée sur des pratiques spécifiques : l’usage courant de la langue anglaise, le maniement familier de l’informatique et de la comptabilité générale et analytique, les principes d’excellence en matière de gestion, l’utilisation du dollar. Les Etats-Unis sont les promoteurs de cette culture libérale qui est le produit d’une formation universaliste ; les firmes multinationales en sont les représentantes agissant de par le monde. Il faut remonter au siècle des Lumières pour reconnaître les origines d’un tel système. Pour les philosophes des Lumières, avec le développement des connaissances scientifiques, la raison humaine devait triompher des représentations d’un monde jusqu’alors englué dans l’obscurantisme et le sacré ; ainsi devait on en finir avec un monde naturel et divin, face auquel l’homme n’avait jusqu’ alors su que se soumettre et se résigner. Le développement du savoir universel était donc supposé fournir à l’homme les moyens de faire triompher la modernité, synonyme de mieux être et de développement. Ainsi la modernisation s’érigeait elle en instrument propre à assurer Le Progrès, que l’on imaginait continu, et que tous étaient supposés convoiter. Le développement de la science, de la technologie et de Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -41- l’administration devait permettre la réalisation d’un tel but, en accroissant l’efficacité et la production à travers le monde. Une telle représentation des choses, élaborée en Occident, repose en réalité sur une théorie implicite des motivations humaines. Le projet des Lumières s’avère cohérent dans un monde où l’individu est réellement motivé à la fois par l’intérêt et la volonté de se libérer de toutes contraintes sociales. Dans une telle perspective, la conquête économique s’érige, en effet, en condition d’accès à La Civilisation. Si tant est que l’on accepte un tel concept : si l’on reconnaît que La Civilisation est à la fois un produit unique et qu’elle exprime le meilleur des contributions respectives des diverses cultures du monde à partir desquelles elle s’édifie. Si cette condition est satisfaite, alors on peut accepter l’idée selon laquelle l’avènement du commerce - générateur de liens de dépendance et d’utilité entre les hommes,- est synonyme d’instauration de la paix : le commerce en effet substitue aux guerres de prédation l’établissement de règles d’équité et de contrat entre les populations. Dans cette optique on a pu imaginer que l’uniformisation de l’humanité naîtrait : des changements nécessaires au développement de l’industrialisation des moyens de production, d’une part, et de l’établissement d’un système politique démocratique d’autre part. Mais il était surtout question de faire naître l’uniformisation en développant une société mondiale de consommateurs. ….Et que deviennent les créateurs de cultures dans tout cela ? Au terme d’un siècle de pratique du « progrès », la critique a surgi dans bien des domaines, l’insatisfaction se faisant jour, s’exacerbant parfois jusqu’à mettre en cause les modèles imposés : aussi bien dans les domaines du travail, des loisirs et des sports… que des relations humaines et sexuelles. Des réactions d’opposition surgissent, exprimant les refus d’alignement, la répugnance à l’engloutissement dans l’homogénéité. Ce sont des proclamations identitaires qui éclatent de tous côtés, exhortant à la différenciation, à l’affirmation de particularismes, voire à la discrimination et à la fermeture, et non une volonté d’ouverture culturelle à l’uniformisation mondiale. Ainsi a t’on pu observer le développement d’un très fort relativisme cultu- rel, le culte de la singularité, de la différenciation de l’acteur, notamment culturel. La contestation au sein du monde de la consommation fleurit initialement avec les mouvements hippies, aux USA dans les années soixante ; en se répandant dans les pays occidentaux, elle fit l’objet d’une analyse freudo-marxiste pessimiste d’Herbert Marcuse, qui voyait en l’homme contemporain un naufragé désormais «unidimensionnel». Mais les Occidentaux ne sont pas les seuls à proclamer leur insatisfaction. Dans les sociétés capitalistes dépendantes, anciennes colonies, on conteste aujourd’hui avec violence les effets nocifs du marché et l’on fait le deuil des perspectives d’un possible développement fondé à la fois sur l’importation des pratiques d’un management universel, que portent des firmes internationales, et sur un gouvernement hérité du seul Etat nation. Le principe du nivellement culturel est condamné, tout autant que le risque de dissolution des liens sociaux sous l’effet de la loi marchande. Ce qui l’emporte est la volonté de resignifier un monde auquel l’intrusion étrangère a fait perdre son sens. Les critiques de l’occidentalisation du monde dénoncent la « déculturation » dont ont été victimes les pays du Tiers Monde : leur misère s’aggrave, leurs élites sont de plus en plus fréquemment corrompues. A un autre point de vue, les valeurs humaines de coopération et d’altruisme s’évanouissent, aussi bien dans les rapports Nord-Sud qu’entre groupes étrangers, entre sociétés d’« accueil » et populations immigrés qu’entre agents d’entreprises internationales. Et la mondialisation cependant tisse un nouveau profil d’hommes, hommes d’affaires et/ou cadres internationaux, au mode de vie lisse et homogène, qui partagent de mêmes rythmes temporels, en traversant les mêmes hôtels intercontinentaux et les mêmes compagnies aériennes, semblablement connectés aux mêmes messageries électroniques. Chacun de ces hommes, uniformément mobiles et dépaysés, pour être à lui-même et préserver son identité doit se livrer à un incessant travail de mise en récit de sa propre existence professionnelle, de ses actions au fil des contacts en terre étrangère, jusqu’à se reconstruire « le même », au fil du temps et dans l’hétérogénéité des lieux, tout en apprivoisant l’Autre qui ne cesse de surgir en lui. Ainsi la mondialisation est elle vouée à l’échec, en ce qui concerne les déracinements. Mises en péril au gré des nomadismes, les identités s’ancrent encore plus profondément en des territorialités réelles ou imaginaires, métamorphosant volontiers les dimensions culturelles et ethniques en des attributs de pouvoir : mobilisables certes pour les parades identitaires, mais aussi et surtout dans la relation à autrui, notamment au travail. J Références bibliographiques Bayard J-F. (1996). L’illusion identitaire, Paris, Fayard. Camilleri C., Kasterszein J., Lipiansky E. 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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -42- Prévenir les résistances au changement en monitorant (et bien sûr en gérant) les préoccupations des destinataires du changement ou le changement comme vecteur de santé psychologique au travail André SAVOIE, Université de Montréal Céline BAREIL, HEC Montréal Phanie RIOUX, SECOR Paris Sophie MEUNIER, Université de Montréal J Le taux élevé d’échec ou de misuccès en changement organisationnel (fusions, acquisitions, restructurations, réorganisations, réingénierie des processus d’affaires, systèmes de gestion intégrée, renouveau technologique, création d’unités autonomes, compression des dépenses, réduction d'effectif), évalué entre 40 et 80% selon les cas (Bareil, 2004) rappelle combien il est difficile de changer une organisation et de modifier les habitudes des travailleurs concernés. Lors d’une transformation majeure, le « choc » se produit à trois niveaux (Savoie, Bareil, Rondeau et Boudrias, 2004): le niveau stratégique (ou la gouvernance du changement), le niveau fonctionnel (le pilotage de la transformation et la gestion de la transition) et finalement, le niveau opératoire (l’appropriation et l’adoption du changement par ceux et celles qui auront à le concrétiser, les destinataires). Toutefois quelle que soit l’envergure du changement, le niveau opératoire, celui des destinataires, est toujours sollicité. En effet, toute transformation ne peut se réaliser qu’à travers les individus qui ont à s’y adapter et à se l’approprier. Ce n’est que par les efforts de ces destinataires que le changement prendra véritablement racine dans une organisation. Cette Lapalissade est toutefois loin d’être reconnue à sa juste valeur si ce n’est sous sa version négative à l’effet que les destinataires se voient attribués, sous l’euphémisme «facteur humain» la responsabilité principale des échecs. D’autre part, que les changements soient réussis ou non, on rapporte nombre de conséquences négatives sur les personnes cibles du changement, qu’il s’agisse de dépression, de désengagement, d’hostilité. Pour les psychologues du travail, il s’agit là de défis majeurs qui les interpellent au cœur de leur profession d’aidant. En effet, comment faire en sorte que le changement organisationnel, qui s’incarne nécessairement par l’apprentissage et la maîtrise de nouveaux comportements, attitudes et cognitions au travail, non seulement réussisse mais s’actualise en préservant et même en rehaussant la santé psychologique des destinataires? Que perturbe le changement? Un inventaire de la documentation sur les difficultés vécues lors d’un chan- gement organisationnel a mis en évidence six champs d’inconfort ou de souffrance potentiels (Meunier, 2005) Les changements dans les organisations peuvent engendrer des conséquences profondes sur les destinataires du changement. Ils remettent souvent en question des éléments stables et significatifs de leur vie au travail : rôles, responsabilités, autonomie et pouvoir, sens du travail (meaning of work), charge de travail, réseau social, compétences techniques, relationnelles et politiques, sécurité d’emploi, droits acquis, rémunération, perspective de carrière et même emploi (Bareil et Savoie, 2003). Le défi, en tant que psychologue, consiste d’une part à éviter les nombreux dérapages en vertu desquels les individus deviennent déconcertés, démoralisés, désabusés, peu productifs, stressés, déprimés, frustrés… quand ce n’est pas l’épuisement professionnel (burn out) qui les guette ou bien l’intention de chercher un autre emploi et de quitter l’organisation… D’autre part, l’enjeu est de conserver les employés pertinents, à amener ces individus à adopter de nouveaux comportements, à les garder motivés, engagés, productifs, efficaces, proactifs, et en bonne santé physique et psychologique. 1. Suite à l’annonce du changement • Atteinte à l’autonomie/contrôle (la plupart des changements organisationnels sont imposés) 2. Avant et pendant l’implantation du changement • Deuil -anticipé et putatif- de ce qui est (emploi, poste, tâches, compétences, influence / pouvoir / statut, réseau social) • Incertitude quant à ce qui s’en vient 3. Pendant l’implantation du changement • Surcharge de travail • Atteinte à la qualité des relations interpersonnelles existantes • Sentiment d’incompétence • Perception d’injustice et d’iniquité Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -43- Pour ce faire, nous avons privilégié une approche intégrant le succès du changement et le respect des individus. Dès le départ, ce choix paradigmatique nous a obligé à écarter les perspectives normative et prescriptive du type «How to change…» pour étudier d’abord comment se déroule effectivement la phase de transition. Ensuite, il nous a obligé à délaisser les planifications stratégiques de gestion du changement au profit de l’analyse du vécu des personnes en changement. Enfin, ce choix paradigmatique nous a contraint à réévaluer la notion simplificatrice de résistance au changement pour opter vers une lecture éclairée des réactions et des cognitions des individus durant la période de transition. En changement organisation, les 60 dernières années, précisément depuis la parution des textes de Coch et French (1947), la notion de résistance au changement s’est imposée comme explication ultime, et souvent première, des obstacles prévisibles et des échecs en changement organisationnel. Cette notion acceptée sans perspective critique a fortement contribué à la domination de types d’actions réactives : abattre les oppositions pour mâter la rébellion ou écouter les doléances pour évacuer les ressentiments. Ces approches, simplificatrices à l’outrance et rarement suffisantes et appropriées, s’appuient sur deux présomptions ou croyances : l’une que l’employé est par essence déloyal, paresseux et en opposition (théorie X), l’autre que le changement chez l’employé suit instantanément l’émission des directives ordonnant le changement. La fameuse phase du déplacement logée entre la décristallisation et la recristallisation (Lewin, 1951) n’a eu que peu d’écho dans ces écrits en développement organisationnel. Désormais identifié sous le vocable «transition» (Bridges, 1995), ce déplacement consiste en une série de passages psychologiques vécus à travers le temps par les destinataires. Explorée à répétition par Hall et Hord (1987), cette transition a fini par révéler que l’habileté à changer, ainsi que les réactions au changement, dépendent de l’état ou de la phase dans laquelle se trouvent les destinataires d’un changement. Weisbord (1987) ajoute que toute intervention appropriée de l’agent de changement prend nécessairement appui sur la phase que vit son client. Voilà les éléments clé sur lesquels s’est érigée la théorie des phases de préoccupation. La teneur des phases de préoccupation et de certaines actions appropriées À la suite de l’annonce du changement, apparaît la Phase 1, aucune préoccupation, durant laquelle le destinataire est relativement indifférent, ne se sentant pas personnellement concerné par le changement. Il poursuit ses activités comme si de rien n’était. Cette phase, observée à maintes reprises, est trompeuse au sens où tout semble bien aller alors qu’en fait le projet de changement n’a pas encore eu d’effet sur le destinataire. L’objectif de l'intervention consiste alors à déstabiliser l’individu pour qu’il perçoive mieux les effets du changement à venir sur sa situation de travail. Une manière de faire est d’illustrer les transformations qu’apportera le changement dans le travail quotidien. En contrepartie, il est peu utile d’offrir de la formation à ce moment car l’ouverture à l’apprentissage n’est pas encore présente. Progressivement, le destinataire commence à se préoccuper de lui-même. Il entre alors dans la Phase 2, au cours de laquelle il ressent de l’inconfort et une insécurité suscités par les incidences du changement. Il s’interroge de ce qu’il adviendra de son rôle, ses responsabilités, son statut, son pouvoir décisionnel, ses compétences. Bref, il se centre sur ce que le changement occasionnera dans sa vie au travail tout en devenant davantage conscient des pertes (ou des gains) qui en découleront. La stratégie d'intervention consiste alors à le tenir informé – ce qui le rassure - des effets du changement sur son travail (poste, fonctions, tâches, autorité, interdépendance, rémunération, etc). Il est aussi opportun de légitimer l’expression des inquiétudes personnelles. Dans le cas de mises à pied, la façon dont l’organisation traite les départs en dira long sur la valeur qu’elle accorde à ses ressources humaines et sur la façon dont elle traitera les survivant(e)s qui eux aussi apprécient d’être confortés sur l’importance de leur contribution à l’organisation. À la Phase 3, intitulée préoccupations centrées sur l’organisation, le destinataire s’interroge sur la raison d’être et l’apport du changement. Ainsi, il se préoc- cupe de la légitimité du changement (sa nécessité, son à-propos), sur les effets attendus, sur la capacité de l’organisation à le réaliser, sur le sérieux du projet et sur la détermination des dirigeants à le mener à terme. Bref, il veut savoir s’il vaudra le peine d’investir temps et énergie dans cette aventure. C’est à cette phase qu’un discours articulé au sujet de la décision stratégique du changement, de ses raisons d'être, des enjeux organisationnels (gains et pertes), des résultats visés et de la vision qui l’enveloppe est le plus susceptible d’être entendu et écouté. La Phase 4, centrée sur le changement, fait état d’un questionnement sur la nature exacte du changement. Le destinataire souhaite alors obtenir des précisions sur les aspects suivants de la transformation : sa nature, son déroulement temporel et son déploiement. Autrement dit, il veut connaître le processus et la méthodologie d'implantation. À ce moment-là, il est donc pertinent de présenter en détails le plan de mise en œuvre, le scénario, les cibles, le rythme du changement, les résultats anticipés, les ressources déployées, etc. Il est utile d’inviter des gens de l'extérieur ayant vécu le même changement à venir en témoigner ou bien d’amener des destinataires visiter d'autres sites d'implantation. À la phase 5, celle centrée sur l’expérimentation concrète, le destinataire se préoccupe de sa propre capacité à faire face au changement et sur la formation et l’aide qui lui seront offertes pour faciliter son adaptation. Il éprouve la volonté de se conformer au changement prescrit et d’en faire l’essai. Cependant, il vit un sentiment d'incompétence par rapport à ses nouvelles fonctions, habiletés et attitudes. Il se dit inquiet à propos de sa capacité de réussir et c'est pourquoi il s'interroge sur le temps, les conditions, l'aide et le soutien qui lui sont offerts. Une entente sur des objectifs à court terme réalistes peut être négociée et des gestes concrets d’appréciation des efforts sont bienvenus. Il faut, de plus, accorder une attention spéciale aux manifestations de stress, d’épuisement et de dépression qui pourraient avoir lieu durant cette phase d’expérimentation. Souvent, lorsque la phase 5 des préoccupations s’atténue, une grande partie des destinataires s’habitue à une nouvelle routine et ne ressent plus de préoccupation à l’égard du changement qui est, pour eux, terminé. Toutefois, Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -44- quelques-uns continueront à manifester d’autres préoccupations. Il faut savoir aussi les canaliser. La Phase 6, appelée collaboration avec autrui, fait référence à des préoccupations d’entraide et de coopération. Le destinataire se montre intéressé à collaborer avec d’autres. Il désire partager son expérience avec des collègues et s'informer sur leurs façons de faire. Il désire participer à une mise en œuvre plus poussée du changement. À la Phase 7, dite d’amélioration continue du changement, le destinataire est préoccupé de trouver de nouveaux défis et de nouvelles façons d’améliorer le changement déjà mis en place. Il remet en question les processus et méthodes de travail afin de poursuivre l’amélioration du changement et même le généraliser à d’autres unités s’il en est vraiment satisfait. À titre d’interventions, il y a lieu de favoriser le «brassage» de ces nouvelles idées sous la forme de sessions de partage d’expériences ou de coaching envers les collègues. Il faut inciter ces personnes à faire l’essai de leurs idées nouvelles et à créer des réseaux d’experts qui pourraient échanger entre eux, de façon intra ou inter-organisationnelle. L’erreur serait de les restreindre à leurs tâches habituelles. Les principes sous-tendant l’application de la théorie des préoccupations Hall et Hord (1987), qui sont les protagonistes de cette approche, ont formulé un certain nombre de postulats permettant de mieux comprendre et d’appliquer la théorie des préoccupations. Premièrement, le changement doit être conçu et géré comme un processus qui prend du temps et qui contient des étapes. Cette assertion est radicalement opposée à l’idée du changement instantané. Il s’ensuit que les interventions ont avantage à s’ajuster (respecter et stimuler) au rythme des préoccupations évolutives des destinataires tout au long de la période de transition. Ainsi les gestes organisationnels ne sont plus uniquement fonction d’un calendrier de projet, ils sont aussi en harmonie avec les préoccupations dominantes du moment. Hall et Horde (1987) mettent en avant le destinataire comme ultime acteur du changement. C’est pourquoi leur se- cond postulat est à l’effet que le changement organisationnel se concrétise par les changements chez les individus (destinataires). L’attention est portée sur les individus, leur adaptation et leurs efforts à intégrer le changement dans leurs habitudes de travail plutôt qu’uniquement sur des activités séquentielles de réalisation de projet. Le changement ne se réalisera que dans la mesure où les individus auront modifié leurs habitudes de travail. Un troisième postulat est à l’effet qu’une intervention réussie nécessite la prise en compte des préoccupations des destinataires. Selon Hall et Hord (1987), les changements échouent à une si haute fréquence parce que les interventions ne sont pas effectuées au bon moment, au bon endroit, avec les bonnes personnes en réponse à leurs besoins de sorte que ces interventions sont perçues inadaptées et impertinentes à la situation qu'ils vivent. Finalement, les auteurs signalent qu’il est possible de prédire plusieurs événements dans la mise en œuvre d’un changement, dont les préoccupations des destinataires. Les réactions et l’émergence de certains besoins particuliers peuvent être anticipées. La connaissance des phases de préoccupations permet de les prévoir. Les recherches ultérieures à ces travaux fondateurs de Hall et Hord ont modifié certains de leurs postulats en préservant toutefois la conception générale de la théorie des préoccupations. Ainsi, des recherches récentes ont effectivement démontré qu’il existe, à tout moment de la transition, sept catégories de préoccupations (celles présentées dans ce texte) dont l’intensité varie de quasi inexistante à modérément forte. De plus, l’intensité de chaque catégorie de préoccupation tend à varier selon les temps de mesure, à savoir au début, à mi-parcours et à la fin du changement. Il est toutefois prématuré de considérer que les catégories de préoccupation se succèdent linéairement l’une à l’autre au fur et à mesure du déroulement de la période de transition. Il appert qu’effectivement les catégories 1 (aucune préoccupation) et 2 (destinataire) sont dominantes en début de transition et que les catégories 6 (collaboration) et 7 (amélioration continue), bien que présentes depuis la mi-parcours, sont plus fortes en fin de transition. À miparcours de la période de transition, on observe un va-et-vient continu entre les catégories 3 (crédibilité organisationnelle), 4 (teneur du changement), 5 (expérimentation active) (Bareil, 1997). Ce chassécroisé pourrait s’expliquer par l’émergence, à l’intérieur du processus de changement, d’objets spécifiques de préoccupation qui peuvent susciter à leur tour des préoccupations 3, 4 ou 5 avant de laisser leur place à d’autres objets, une fois résolues. La recherche qualitative de Rioux (2005) suggère fortement que, pour les destinataires, un grand changement est composé de plus petits changements lesquels obéissent à la même dynamique que celle du grand, bref des sousroutines, qui se succèdent jusqu’à l’implantation complète du grand changement. D’où la résurgence répétée et apparemment rotative des catégories 3, 4 et 5 à mi-parcours de la période de transition. D’autre part, si chaque destinataire suit sa propre séquence de préoccupations, des patrons (patterns) groupaux de préoccupation émergent. En effet, les individus touchés par le changement de façon similaire auraient tendance à éprouver les mêmes préoccupations en même temps durant la transition. Et contrairement à ce que l’on peut penser, le sexe, l’âge, les années de service ne produisent pas de tels patrons groupaux dans la façon de vivre le changement. Ainsi, chaque groupe de destinataires organisationnellement similaires tend à déclarer des préoccupations semblables aux mêmes moments. Ainsi la capacité prévisionnelle de la théorie des préoccupations est moins forte qu’anticipée par Hall et Hordes. Par contre, sa capacité diagnostique est actuellement sans égal. Il s’agit d’un puissant outil de monitoring de l’évolution des préoccupations des destinataires lors d’un changement organisationnel. Il permet subséquemment des interventions tant auprès de groupes que d’individus. Selon Hall, Newlove, George, Rutherford et Hord (1991), le simple fait de se préoccuper des préoccupations des destinataires constitue une stratégie de changement fort efficace qui, dans plusieurs cas, aurait fait la différence entre le succès et l’échec d’interventions dans des milieux différents. Ce constat met en relief l’importance de bien sensibiliser les personnes ressources (leaders, gestionnaires, agents de changements, etc) au processus de changement individuel Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -45- imbriqué, mais trop souvent ignoré, dans le changement organisationnel. Intégrer ces connaissances permet de lire les signaux provenant de l’environnement, de les respecter et, enfin, d’intervenir adéquatement en fonction de ces derniers. Comment collecter de l'information fidèle et valide au sujet des phases de préoccupations ? Différentes façons de faire sont efficaces. L’une d’elles, la plus utilisée, consiste à poser directement au destinataire une question du genre : Qu’est-ce qui vous préoccupe actuellement par rapport à tel changement ? Évidemment, ce type de question est efficace dans la mesure où un climat de confiance a été établi avec le destinataire (individu ou groupe), qu’il ne se sent pas menacé et qu’il a confiance en son interlocuteur. Cette méthode, dont la visée doit être continuelle, peut être appliquée de façon informelle, près de la machine à café, dans les corridors ou, plus organisée, durant une rencontre formelle. Il s’agit donc de poser la question, d’écouter la réponse de façon empathique, de l’analyser, de la décoder et, finalement, d’y réagir en conséquence, c’est-à-dire d’une manière pertinente, au moment opportun. Le processus doit se poursuivre périodiquement dans le but de réévaluer la situation, d'identifier s’il y a eu réponse à la phase antérieure, progrès ou avancement vers d’autres phases, et d’y réagir adéquatement. Il s’agit, en fait, d’un processus de questions-réponses permanent, avec réévaluation continuelle. La même approche peut également être appliquée avec un questionnaire quand le nombre de destinataires ou le nombre de changements simultanés est élevé. Après analyse des résultats, le psychologue du travail peut conseiller la direction et les amener à choisir les interventions les plus appropriées à leur milieu, à leur culture et à leur personnel. Conclusion L'attention portée aux préoccupations des destinataires permet d’appréhender le vécu de façon non menaçante, innovatrice, constructive et respectueuse. Cette approche est riche à la fois en termes de contenu et d’interprétations en vue d’interventions spécifiques et séquentielles. Elle semble supérieure à l’étude des émotions, des besoins et des résistances, car elle est plus opératoire. De plus, comme tout modèle dynamique, elle permet de comprendre et de prédire l’évolution ou l’absence d’évolution dans la transition des destinataires. En ce sens, elle offre aux psychologues du travail des points de repère fort utiles en gestion du changement et la possibilité, pour les destinataires, de s’approprier le change-ment à leur rythme, de participer en quelque sorte à la mise en œuvre, de faire valoir leurs besoins et leurs préoccupations de façon à ce qu’ils puissent s’adapter au changement en conservant la santé physique et psychologique. dimensions humaines du travail. Nancy : Presses Universitaires de Nancy. Weisbord, M.R. (1987). Productive Workplaces : Organizing and Managing for Dignity, Meaning, and Community. San Francisco, Jossey-Bass. J Bibliographie restreinte Bareil, C. et Gagnon, J. (2005). Facilitating the individual capacity to change. 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Département de psychologie, Université de Montréal. Rioux, P. (2005). Analyse qualitative et diachronique des préoccupations des destinataires lors d’un changement organisationnel. Thèse doctorale inédite. Département de psychologie, Université de Montréal. Savoie A., Bareil C., Rondeau A. & Boudrias J.-S. (2004). Le développement organisationnel, p.535-558. In É. Brangier, A. Lancry & C. Louche. Les Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -46- Les apports des recherches sur le counseling de carrière : analyser les processus en jeu dans les consultations d’orientation Jean-Luc BERNAUD, Université de Rouen, Laboratoire PRIS, clinique et société J Ce texte a pour objectif d’exposer quelques éléments de réflexion à propos des apports des recherches sur le counseling de carrière. En effet, à l’image du monde du travail, le paysage de l’orientation professionnelle connaît quelques soubresauts depuis une quinzaine d’années. Une des conséquences les plus visibles est l’abandon progressif de modèles linéaires et prédictifs (notamment à propos du développement vocationnel) au profit de théories de la rupture, comme la question des transitions professionnelles ou le « chaos vocationnel » (Bright & Prior, 2005). L’intervention n’est pas en reste. Si le début des années quatrevingt-dix a été marqué par des avancées sociales, comme la loi sur les bilans de compétences, les procédures, aujourd’hui très formalisées, se sont rigidifiées à un point tel que l’ingéniosité économique semble primer sur l’innovation technique. Confrontés à un maquis de prestations qui s’empilent, le bénéficiaire comme le prescripteur s’avère de plus en plus dubitatif face à des pratiques d’orientation jugées à l’aune de leur « efficacité » et, en particulier, leur capacité à faire baisser le chômage. On assiste au développement des programmes et des sigles, sans cesse renouvelés, mais qui se ressemblent sur bien des principes : progressivement mais insidieusement, les pratiques d’accompagnement en orientation ressemblent au monde productiviste auxquelles elles sont sensées préparer, la mise en concurrence des prestataires est désormais admise et la rémunération au résultat tend à devenir la norme. Il en résulte un malaise chez les praticiens de l’orientation, qui s’interrogent sur leur identité et leur fonction. Et finalement si la conception même du bilan de compétences n’était qu’un miroir déformant de notre société, égotiste – pour reprendre une formulation de Stephen Zweig à propos d’Henry Beyle dans « trois poètes de leur vie » - c’est-à-dire centrée sur soi, et rétrospective, c’est-à-dire axée sur le passé, au détriment de modèles plus dynamiques et plus interactionnistes ? S’il ne faut pas condamner d’emblée et de façon expéditive les pratiques actuelles, qui expriment aussi beaucoup de vertus, il est essentiel de valoriser le développement des recherches afin de bâtir de nouvelles conceptions de l’intervention. En matière de « boite à idées », le champ du « counseling de carrière » (que l’on pourrait traduire en Français par « accompagnement professionnel » ou encore « accompagnement en orientation ») fournit une base conceptuelle et empirique intéressante : plus de 500 publications annuelles (pour le counseling en général), dont plus de 150 traitent du counseling de carrière. Si le bilan des recherches sur le counseling de carrière est un vrai défi pour lequel plusieurs vies n’y suffiraient pas, il convient de souligner la diversité, la vitalité et l’intérêt pour le chercheur comme pour le praticien de ces travaux, et la nécessité de participer à leur développement, pour éviter que les pratiques oscillent simplement entre effets de modes et injonctions économiques. A titre d’exemple, pour illustrer notre propos, nous présenterons une « jourdainerie » professionnelle (ce que nous faisons sans le savoir), les informations que le professionnel communique à propos de luimême au cours des entrevues d’orientation et les conséquences de ces actes de communication. L’entretien individuel est en effet l’outil d’intervention majeur dans le domaine du bilan de compétences, avec près de 100% des pratiques selon Laberon, Lagabrielle et Vonthron (2005). Le cadre théorique des modèles de la communication, et, en particulier, les concepts de « contrat de communication » (Ghiglione, 1986) ou de « schémas normés de communication » (Chabrol, 1994) peuvent éclairer sur ce qui se joue au niveau de la collaboration entre le bénéficiaire et le professionnel. Chabrol (2000) a analysé ce cadre normatif en posant la question des enjeux et des objectifs de l’entretien : « on est la pour quoi faire, quoi dire et comment ? » (p.175). Ce cadre, plus ou moins explicite dans la pratique de l’entretien, est susceptible d’avoir une incidence sur les conduites discursives des acteurs en présence et sur l’intériorisation par le client de certaines normes. Kridis (2002) illustre ce propos en présentant une pratique spécifique, le « méta-entretien », qui consiste à modifier le contrat de communication, en sollicitant le client pour qu’il produise une analyse sur ses productions langagières. Il en résulte, dans le cadre d’une problématique de développement du projet professionnel, un effet sur la distanciation vis-à-vis du discours et sur l’appropriation des informations. Il existe une tradition à considérer les interactions dans les entretiens de counseling de carrière comme des situations d’influence (Heppner et Claiborn, 1989). Au cours des 15 dernières années, de nombreuses recherches ont étudié l’impact des actes langagiers et des conduites du professionnel, notamment le mode de communication verbale utilisé, la prise de notes, les styles d’apprentissage, les caractéristiques démographiques et les compétences langagières du professionnel. Une attention particulière a également été accordée aux recherches sur la question des « révélations de soi » (« counselor self-disclosure ») que le professionnel est susceptible de manifester vis-à-vis des bénéficiaires. Poser la question des révélations de soi revient à se demander ce que le professionnel peut s’autoriser à dire ou à laisser paraître à propos de lui-même au cours de la consultation. Si dans la tradition psychanalytique le professionnel doit transmettre Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -47- le minimum d’information sur lui-même, représentant une sorte d’écran blanc sur lequel le patient peut projeter toutes sortes de scénarii inconscients, il n’en est pas nécessairement de même dans les situations de counseling de carrière où l’accent est mis sur le travail collaboratif et le développement d’une alliance de travail positive. Dans ce cadre, la question des révélations de soi s’est posée à travers la nécessité de créer un climat de confiance et d’atténuer l’asymétrie qui se produirait si le professionnel se montrait silencieux et observateur en face d’un bénéficiaire producteur d’une chaîne d’informations plus ou moins intimes. Evidemment, le risque n’est pas à négliger dans les conduites de révélation de soi, ce qui peut amener beaucoup de professionnels à se montrer circonspects par rapport à une telle option ; le sentiment de perdre sa neutralité en évoquant des aspects intimes par rapport à soi, la difficulté à gérer un changement des règles de la communication peut demander à revoir la façon de piloter les patrons d’intervention. Les recherches qui ont abordé la question de l’impact des révélations de soi dans le counseling personnel remontent à quelques années. La recherche de Vandecreek et Angstadt (1985) est une des premières à s’être intéressée à l’effet du niveau de révélation de soi lors d’entretiens filmés. Il apparaît que les professionnels sont plus appréciés dans les conditions où ils fournissent des révélations sur eux-mêmes. Dans le même esprit, mais plus récemment, Barrett et Berman (2001) reprennent l’idée selon laquelle les révélations de soi pourraient participer à l’établissement d’un climat de sincérité favorisant la compréhension mutuelle dans la relation d’aide. Ces auteurs proposent une distinction des révélations de soi selon le niveau d’intimité : les informations démographiques, intérêts et évènements de la vie quotidienne sont considérés comme peu intimes alors que les sentiments, opinions et difficultés personnelles du professionnel correspondent à un niveau d’intimité élevé. Les auteurs montrent que la condition de révélation de soi à niveau élevé d’intimité a un effet plus important sur la réduction des symptômes psychologiques que la condition de révélation de soi à niveau d’intimité faible. L’application du concept de révélation de soi à l’entretien d’orientation professionnelle a également fait l’objet de recherches. Watkins, Savickas, Brizzi et Manus (1990) ont étudié l’impact de plusieurs modes de communi- cations sur l’évaluation du professionnel. Pour cela, les auteurs filment des entretiens fictifs dans lesquels ils font varier la nature des interventions du professionnel: outre les révélations de soi, interviennent des réponses impliquantes, des réponses empathiques et des questions ouvertes. Les résultats montrent que les révélations de soi ne figurent pas parmi les plus appréciées et par ailleurs, il semble que l’appréciation du professionnel dépende de la composition de la dyade professionnel-bénéficiaire. En effet, les évaluations du professionnel produisant des révélations de soi semblent plus positives lorsque les dyades sont de même sexe, comme si le partage d’informations intimes pouvait être perçu comme non adapté au script attendu de l’entretien lorsque les interlocuteurs sont de sexe différent. Dans une recherche menée par Multon, Ellis-Kalton, Heppner et Gysbers (2003), trois entretiens réels impliquant des professionnels formés et des clients demandeurs d’une intervention de counseling de carrière font l’objet d’un enregistrement audio. Les interventions du professionnel sont ensuite soumises à une analyse de contenu sur la base du modèle proposé par Hill (1985). Parmi les 9 catégories d’intervention relevées, les révélations de soi sont minoritaires, représentant 3% des interventions du professionnel. Par ailleurs, le nombre total de révélations de soi est corrélé négativement à l’alliance de travail évaluée à la fin des entretiens. Il semble donc que les révélations de soi, lorsqu’elles sont importantes en nombre, sont perçues comme des freins à l’établissement d’une collaboration efficace entre le professionnel et le bénéficiaire. Dans une recherche récente, Bernaud & Leblond (2005) ont également étudié l’effet des révélations de soi en confrontant des sujets à deux enregistrements audio d’entretien d’orientation et en étudiant l’impact de variables différentielles comme la crainte de l’intimité. L’entretien met en scène une conseillère d’orientation qui reçoit une étudiante engagée dans un cursus juridique et qui est confrontée à une problématique d’indécision de carrière. Après un temps de présentation de la conseillère, l’échange porte sur quelques thèmes relatifs aux difficultés mentionnées par l’étudiante. Dans la condition comportant des « révélations de soi », la conseillère présentait la démarche d’aide à l’orientation en soulignant, à cinq reprises, certains aspects relatifs à elle-même. Dans la condition dite « sans révélation de soi », la conseillère abordait les mêmes thèmes, donnant ainsi une tournure équivalente aux propos mais sans faire référence à elle-même. Les sujets étaient ensuite invités à répondre à différentes mesures comme l’échelle CRF (« Counseling Rating Form » qui mesure l’expertise, l’attirance et la loyauté) et l’échelle d’intention de consulter la conseillère d’orientation. Les résultats n’ont pas montré d’effet significatif des révélations de soi sur les deux variables dépendantes, cependant un effet d’interaction intéressant est identifié : pour les sujets ayant une forte crainte de l’intimité, il apparaît que les révélations de soi ont un impact positif sur l’appréciation du conseiller et l’intention de consulter. Autrement dit, c’est lorsque le sujet présente des difficultés à partager des informations douloureuses et craint les relations intimes que les révélations de soi de la conseillère sont les mieux perçues. Il est possible ici que les sujets présentant un certain niveau de malaise social apprécient les révélations de soi du professionnel car le contrat de communication invite à alors penser que l’entretien d’orientation ne sera pas exclusivement focalisé sur le bénéficiaire. En conclusion, si le concept de révélation de soi dans la conduite d’un entretien d’orientation semble avoir une valeur heuristique, les éléments que nous avons présentés montrent la nécessité de poursuivre des travaux sur l’analyse et l’explication du processus, en lien avec le type d’information délivré et les caractéristiques des sujets. Le modèle vers lequel il paraît nécessaire de tendre est qu’il n’existe pas un effet universel des révélations de soi mais des effets modulés par le format des interventions, les conditions contractuelles de la communication et les caractéristiques des acteurs en présence. De telles recherches, ont évidemment un intérêt pratique puisqu’elles permettent à chacun de repenser sa conception de l’accompagnement et de réfléchir à cette thématique si centrale qu’est la question de l’influence en consultation. Si les données des recherches sur le counseling de carrière sont encore loin d’avoir pu permettre une modélisation des patrons d’intervention, elles ont ce double attrait de contribuer à l’analyse de processus fondamentaux et de réfléchir à l’évolution de nos pratiques. J Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -48- Références bibliographiques Barrett, M.S. & Berman, J.S. (2001). Is psychotherapy more effective when therapists disclose information about themselves ? Journal of consulting and clinical psychology, 69, 597-603. Watkins, C.E., Savickas, M.L., Brizzi, J. & Manus, M. (1990). Effects of counselor response behavior on clients’impressions during vocational counseling. Journal of counseling psychology, 37, 138-142. 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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -49- Recrutement et évaluation du personnel : des biais de jugement aux méthodes valides Pascale DESRUMAUX Université Lille3 J L’évaluation va donc dépendre Le recrutement constitue un processus composé de différentes phases au cours desquelles un (ou plusieurs) évaluateur(s) va (vont) estimer la correspondance entre un (ou plusieurs) candidat(s) et un poste. Dans cette recherche de correspondance, le processus, censé être rationnel, n’est pas linéaire puisqu’il dépend de jugements humains. Ce processus et la décision vont dépendre des attentes des évaluateurs, du repérage d’informations valides et non valides, des biais liés à l’apparence, au genre et aux explications des candidats. Dans un premier temps, nous mettrons en évidence la situation paradoxale dans laquelle est placé le recruteur censé choisir des outils valides mais restant soumis aux biais issus d’informations normatives, stéréotypiques… Dans un deuxième temps, nous discuterons des outils valides dans le recrutement et de l’évolution du métier de recruteur. 1) de ce que l’on évalue, la cible (une personne, une production, un style de management…) et plus précisément la qualité, la quantité, l’efficacité, l’efficience…, 2) de ce à quoi on compare cette cible : existe-t-il un prototype ?…, 3) de la manière dont on procède : quelles informations traite-t-on, quels outils utilise-t-on pour traiter les informations ? 4) en outre l’évaluation est une conduite sociale, elle consiste à juger la valeur d’une personne en référence à l’utilité des comportements ou des résultats qu’elle nous renvoie (Pansu, 2001, p 292). Cette idée qu’évaluer est une conduite sociale et génère un repérage de la valeur par l’intermédiaire du rapport social établi entre les personnes a fait l’objet de recherches quelques années plus tôt dans la thèse de Tarquinio (1997). Ainsi, toute conduite d’évaluation n’implique pas seulement la passation d’outils mais aussi l’élaboration de jugements qui sont influencés par différents biais. En outre, toute évaluation est contextualisée et dépend non seulement du rapport humain mais aussi de l’organisation. Qu’est ce qu’évaluer ? L’évaluation peut être définie comme “ un ensemble de connaissances, d’outils et de techniques qui vont permettre la comparaison d’une personne à un profil attendu ou d’une production à un prototype préalablement défini ou non ”. Evaluer c’est porter un jugement sur des informations, sur une personne, sur un processus de travail ou sur un résultat de travail. Juger implique donc un traitement d’informations, l’accès à ces informations dépendant des supports (écrits, oraux, visuels), de leur disponibilité en mémoire et des processus conscients ou non conscients qui accompagnent tout jugement. Les principaux biais de jugements Pour une revue de question des principaux bais, il est possible de consulter la synthèse de Gaingouian (1999) dans laquelle sont détaillés certains des biais évoqués ci dessous. - L’erreur fondamentale d’attribution mise en évidence par Ross (1977) consiste en une préférence pour les explications causales internes. Dans le monde de l’évaluation, ce biais est mis en évidence dans les pratiques de travail social. Le Poultier (1986) : "ce qui détermine fondamentalement et implicitement les pratiques quotidiennes du travail social est d'ordre psychologique". "... l'essentiel des pratiques afférentes au travail social et à l'adaptation sociale serait marqué par une surestimation des déterminismes psychologiques au détriment des facteurs du milieu, des circonstances ou de la situation". - Le biais de confirmation d’hypothèse est la tendance à privilégier les questions dont la réponse peut valider ou confirmer une hypothèse de départ. - Le biais de corrélation illusoire (Hamilton & Gilford, 1976 ; Le Poultier, 1990) consiste à surestimer certaines relations entre deux informations du simple fait qu’elles semblent avoir une particularité commu-ne. - La distorsion systématique (Schweder, 1975 ; Le Poultier, 1990) consiste à associer lorsque l’on décrit une personne des traits qui vont bien ensemble (ex : l’extraversion associée à la sociabilité). - Le biais de positivité ou effet pollyanne (Boucher & Osgood, 1969 ; Le Poultier & Le Dreff, 1996) consiste à recourir plus fréquemment et de manière plus variée aux mots évalués positivement lors des descriptions psychologiques. Il affecte la perception, la mémoire, la formation d’impression, le jugement et l’explication des conduites. - Le biais de négativité (Peeters, 1971) est défini comme le résultat d’un plus grand impact d’une information négative sur un jugement par comparaison avec une information positive d’intensité égale. - Le biais de complaisance se traduit par la tendance à internaliser le succès et à externaliser l'échec (Zuckerman, 1979 ; Reifenberg, 1986). - Le biais d’hétérocomplaisance (Weiner & Wong, 1981) entraîne une focalisation vers des causes internes et contrôlables en cas d'échec (par exemple, l'effort) et vers les causes externes et incontrôlables Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -51- en cas de succès (par exemple, la facilité de la tâche).La fonction de l’attribution peut donc être adaptative (reconnaître ses manques pour développer ces aptitudes) ou défensive (externaliser l’échec en public). Le stéréotype de beauté (Dion, Berscheid & Walster, 1972 ; pour une revue de questions : Bruchon-Schweitzer, 1990) se traduit par un biais de positivité envers les personnes attrayantes et a deux conséquences majeures : “ce qui est beau est bon” et “ce qui est beau doit être récompensé”. L’attrait augmente les chances d’être embauché (Heilman & Saruwatari, 1979 ; Marlowe et al., 1996 ; Stevenage & McKay, 1999). L’attrait entraîne une surévaluation des prestations et du potentiel professionnel des salariés (Heilman & Stopeck, 1985 ; Marlowe et al., 1996) qui sont rapportés à des qualités intrinsèques et durables. Leur travail est estimé de meilleure qualité (Drogosz & Levy, 1996 ; Landy & Sigall, 1974). Les sujets attrayants seraient perçus comme performants (pour une revue de questions : Jackson, Hunter & Hodge, 1995) et plus compétents (Dion et al., 1972 ; Jackson et al., 1995). Enfin, les sujets attrayants bénéficient de récompenses en termes de recommandations de salaires et de promotions. Les stéréotypes liés au sexe et à l’apparence Le biais de sexe largement mis en évidence dans le monde du travail consiste à privilégier les hommes en termes de recrutement, de salaire ou de promotion (Hurtig & Pichevin, 1990). L’apparen-ce physique a un effet différencié selon le sexe des candidats. D’une manière générale, la beauté d’un homme augmente sa probabilité d’être embauché quel que soit le niveau hiérarchique du poste à pourvoir (Heilman & Saruwatari, 1979) sauf si l’emploi est typiquement féminin. A la différence des hommes, la beauté des femmes intervient de manière sélective. Une femme attrayante a plus de chances d’être embauchée qu’une femme non-attrayante lorsqu’elle postule pour un emploi considéré comme typiquement féminin ou pour un emploi de niveau hiérarchique faible ou moyen (Desrumaux et al., 2000 ; Heilman & Saruwatari, 1979 ; Heilman & Stopeck, 1985). Le modèle d’Heilman Heilman (1983) a proposé un modèle du manque de correspondance (lack of fit) qui s’appuie sur deux idées : 1) la beauté accentuerait les attributs liés au genre. Un homme séduisant serait perçu comme plus masculin qu’un homme non attrayant et une femme belle serait perçue comme plus féminine, 2) l’attrait ne jouerait pas de la même manière selon qu’un métier est sexuellement typé ou ne l’est pas. Lorsqu’un métier n’est pas sexuellement typé, des qualités qu’elles soient féminines ou masculines sont attendues pour le poste et la beauté favorise le candidat indépendamment du genre. Lorsqu’un métier est sexuellement typé, les qualités associées au genre représentant le poste sont considérées comme requises pour le succès. Ainsi, pour un emploi de cadre de type masculin, une femme belle, perçue comme plus féminine, voit décroître ses chances d’être embauchée par rapport à une femme peu attrayante alors qu’un homme beau sera privilégié par rapport à un homme de faible attrait (Heilman & Stopeck, 1985). Des réplications récentes ne retrouvent cependant pas ces résultats (Marlowe et al., 1996 ; Desrumaux-Zagrodnicki, Masclet, Sterckeman & Poignet, 2000). Une nouvelle explication de cette non réplication du modèle s’inspire de la révision de ce modèle (Jackson et al., 1995 ; Polinko 2000) : les personnes attrayantes sont perçues comme plus socialement compétentes et les candidats attrayants sont préférés aux non attrayants pour un poste requérant de hautes compétences sociales par opposition à un poste à faibles compétences sociales. Nous avons souhaité dans une nouvelle recherche tester les effets de l’apparence, du genre ainsi que ceux de la norme d’internalité. Une recherche mettant en évidence l’influence des stéréotypes de sexe, de beauté et la norme d’internalité sur les décisions de recrutement (Desrumaux, 2005) L’effet de la norme d’internalité (Beauvois, 1984 ; Dubois, 1994, 2003) dans les situations d’évaluation a souvent été expérimentalement mis en évidence. Dans le monde du travail, une préférence pour les évalués internes est mise en évidence non seulement lorsque seules les explications causales sont transmises dans les dossiers par l’intermédiaire de questionnaires ou d’entretiens (Beauvois, Bourjade & Pansu, 1991 ; Castra, 1995 ; Gangloff, 1995) mais aussi lorsque d’autres informations valides sont portées à la connaissance des recruteurs (Desrumaux-Zagrodnicki, 2001 ; DesrumauxZagrodni-cki & Rainis, 2000 ; Luminet 1996 ; Pansu, 1997). Les recherches prenant en compte à la fois l’internalité/ externalité et l’apparence physique mettent en évidence un effet prépondérant de l’internalité sur l’apparence physique de candidats aussi bien masculins que féminins pour des postes non ciblés (Laberon, De Montaigut, Vonthron & Ripon, 1998). Une première recherche que nous avons réalisée sur une population de candidates montre que la beauté favorise le recrutement d’une candidate pour un poste subalterne mais n’influence pas le recrutement d’une femme cadre supérieur (Desrumaux-Za-grodnicki et al., 2000). Une deuxième recherche avec des hommes montre que la beauté favorise systématiquement les jugements de recrutement (Desrumaux-Zagrodnicki, Léoni, & Masclet, 2003) quel que soit le niveau du poste et entraîne des recommandations de salaires et de promotion supérieures. Une troisième recherche impliquant des hommes et des femmes met en évidence un effet systématique de l’internalité et des effets de l’apparence et du sexe dépendants du type hiérarchique du poste (De Bosscher & Desrumaux-Zagrodnicki, 2002). Nous avons donc souhaité confronter ces trois sources d’informations dans une nouvelle recherche en tenant compte du caractère sexuellement typé et du niveau hiérarchique du poste. L’impact de l’internalité sur les décisions de recrutement s’expliquerait par le fait qu’elle est porteuse d’utilité sociale (Dubois, 2005) et active le sentiment d’une correspondance entre la personne et les valeurs attendues dans l’organisation. Parallèlement, le jugement est influencé par une autre correspondance (Heilman), entre l’apparence physique et les qualités attendues sur le poste. Nous avons émis les hypothèses (H1) que l’internalité aurait un effet quel que soit le type de poste sur les notes de recrutabilité et sur les classements, (H2) que des candidats attrayants seraient jugés plus recrutables et seraient mieux classés que des candidats non attrayants, (H3) que l’attrait aurait un effet plus discriminant pour les postes subalternes que pour les postes supérieurs et (H4) qu’il aurait un effet plus discriminant pour les postes féminins que masculins. 40 professionnels du recrutement de Paris et du Nord de la France, recru- Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -52- teurs en entreprise, ont été répartis en deux groupes de 20 sujets. Le premier donnait son avis pour les postes supérieurs, masculin et féminin (directeur des ventes automobile/directeur des ventes en parfumerie) et le deuxième groupe donnait son avis pour les postes subalternes, masculin et féminin (vendeur automobile/vendeur prêt à porter). Le plan d’expérience S <H2*SR2> * T2* S2*A2*I2 incluait trois variables intra sujets concernant les candidats : le sexe (S), l’apparence physique (A : attrayante/non attrayante), le style d’explications causales du candidat (I : interne/externe), une variable intra-sujet concernant le caractère sexuellement typé du poste (T) et deux variables inter-sujets concernant le statut hiérarchique du poste (H : directeur/vendeur) et le sexe du recruteur (SR). Chaque candidature était composée d’un curriculum vitæ incluant une photographie couleur (le choix des photos a fait l’objet d’un prétest) et d’une synthèse des résultats au questionnaire de locus of control présentant soit un profil interne, soit un profil externe. Les différents curriculum vitæ ne constituaient pas un biais dans la mesure où les informations étaient rendues équivalentes. Les résultats indiquant les effets principaux de l’internalité, de l’apparence physique et du sexe des candidats sont significatifs : conformément aux Hypothèses 1 et 2, les internes sont préférés aux externes [F(1, 36) = 69.8, p < .001] et les candidats attrayants sont préférés aux non attrayants [F(1, 36) = 36.83, p < .001]. Le sexe des candidats a un effet significatif [F(1, 36) = 5.53, p < .05] qui s’oriente cependant dans un sens inattendu : les candidats féminins obtiennent des notes de recrutabilité supérieures aux candidats masculins. Le statut hiérarchique du poste (F(1, 36) = 0.50, ns), le type sexuel du poste (F(1, 36) = 0.01, ns) et le sexe des recruteurs (F(1, 36) = 1.16, ns) n’ont pas d’effet significatif. L’Hypothèse 3 est infirmée. Deux interactions indiquent que l’attrait exerce un effet plus discriminant pour les postes féminins que masculins [F(1, 36) = 15.83, p < .001] et pour les internes que pour les externes [F(1, 36) = 9.03, p < .01]. Les classements confirment les effets de la norme d’internalité et de l’attrait pour les deux types de postes ; le biais de sexe n’est retrouvé que pour les postes masculins et est inversé pour les postes féminins. En résumé, cette recherche met à la fois en évidence l’effet de plusieurs types de biais sur les jugements de recrutements mais aussi l’évolution de ces biais. Les informations manipulées ici ne pouvaient être considérées comme valides. Ainsi, en l’absence de critères rationnels, finalement, le risque de prendre en considération des critères irrationnels s’accroît. C’est ce qu’affirment Laberon, Dubos & Ripon (1999) : “les recruteurs, dans la situation inconfortable et angoissante de l’indécision, vont se référer à des dimensions saillantes, des facteurs irrationnels, qui pour eux vont devenir pertinents et pris, par conséquent, comme critères de sélection fiables et/ou prédictifs ”. Les biais induits par des supports d’informations stéréotypiques ou normatifs ont d’autant plus de chance d’influencer les décisions qu’ils constituent les seules informations disponibles. Ces informations ont sans doute d’autant plus d’effet que les méthodes utilisées ne sont pas valides (entretiens non structurés, graphologie, références…). Une autre question est de savoir si les recruteurs sont clairvoyants ou non de l’impact des normes qui orientent leurs décisions (Py & Somat, 1991). Un moyen de limiter l’intervention des biais est donc de recourir à des méthodes valides. mais pour valider les méthodes en sélection du personnel (Bernaud, 2000 ; LévyLeboyer, 1996), il est nécessaire de mesurer la validité des prédicteurs au regard de critères tels que la performance au travail, la réussite, la promotion. La validité critérielle est la capacité à établir un lien entre une dimension mesurée par le test et des critères observables (éléments d’efficience, de réussite, quantité, qualité de la production…). La validité critérielle s’évalue en fonction de l’utilisation qui est faite du test. Qu’est-ce qu’une méta-analyse ? Les méta-analyses sont des synthèses fondées sur des méthodes statistiques permettant de condenser et de tester la généralisabilité (différents emplois, différents contextes) de la validité critérielle des différentes dimensions et d’établir la validité synthétique. Des études ont montré que certaines dimensions relatives aux aptitudes cognitives ou à certaines dimensions de la personnalité sont généralisables à différents emplois, différents contextes et différentes cultures (Rolland, 2001, p 44). Le tableau 1 présente les taux de validité relatifs à la performance de la méta analyse (Schmidt & Hunter, 1998). Validité des outils de recrutement et utilisation en France La démarche classique en recrutement comprend quelques étapes bien connues. La première étape concerne l’analyse initiale du poste de travail. Dans un deuxième temps, l’analyse de poste permet d’extraire les attributs psychologiques, cognitifs et psychomoteurs requis par un individu pour travailler sur le poste. Les attributs ou critères servent à élaborer le profil de poste et à rédiger l’annonce… Les méthodes de sélection donc les prédicteurs seront choisis de manière à tester la présence des attributs, qualités attendus sur le poste. Beaucoup d’indices mesurant la sensibilité, la fidélité et la validité existent1 Une méthode d’évaluation efficace et valide devrait respecter les conditions suivantes (Rolland, 2001) : une méthode est sensible quand elle apporte des informations c’est-à-dire qu’elle est discriminante et permet de différencier finement les individus. Elle est fidèle, c’est-àdire qu’elle fournit des informations cohé- 1 rentes (consistance interne, alpha de Cronbach) et constantes (test-retest). Un coefficient acceptable soit être de .70. La validité de contenu correspond à un champ clairement défini de connaissances ou d’aptitudes ou à un concept psychologique défini par un modèle théorique scientifique. Pour tester la validité de structure, les tests étant souvent multidimensionnels (tests d’aptitudes ou tests de personnalité), il faut établir la pertinence des regroupements d’items selon des dimensions et l’indépendance des dimensions. La validité convergente-divergente est basée sur la comparaison des résultats des sujets au test aux résultats d'un test de référence. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -53- Outils de mesure Validité Classt GMA + outil Classt * Gain % gain (r) * mentionné validité validité GMA (aptitude mentale générale) .51 2-3 Echantillons de travail .54 1 .63 2-3 .12 24 % Tests d’intégrité .41 8 .65 1 .14 27 % Test de conscience .31 12 .60 4 .09 18 % Entretien structuré .51 2-3 .63 2-3 .12 24 % Entretien non structuré .38 9-10 .55 10 .04 8% Tests de connaissances professionnelles .48 5 .58 5-6-7-8 .07 14 % Essai professionnel .44 7 .58 5-6-7-8 .07 14 % Evaluations par des pairs .49 4 .58 5-6-7-8 .07 14 % Méthode de consistance comportementale (en- .45 6 .58 5-6-7-8 .07 14 % traînement et expérience) Contrôle des références .26 13 .57 9 .06 12 % Expérience professionnelle .18 15-16 .54 12 .03 6% Biodata (données biographiques) .35 11 .52 13-14-15-16 .01 2% Assessment centers .37 9-10 .53 11 .02 4% Méthode (entraînement et expérience) .11 17 .52 13-14-15-16 .01 2% Années de formation .20 13 .52 13-14-15-16 .01 2% Intérêts .18 15-16 .52 13-14-15-16 .01 2% Graphologie .02 18 .51 17-18 .00 0% Age - .01 19 .51 17-18 .00 0% * ajout de deux colonnes « classement » (Desrumaux, 2005) Tableau 1 : Validité des méthodes au regard de la performance professionnelle (Schmidt & Hunter, 1998, p 265) Validité Classt * .validite avec GMA Gain en % GMA (aptitude mentale générale) .56 1 Tests d’intégrité .38 2 .67 20 Test de conscience .30 5-6 .65 16 Entretien structuré et non structuré .35 4 .59 5 Evaluations par des pairs .36 3 .57 1.4 Contrôle des références .23 7 .61 9 Expérience professionnelle .01 10 .56 0 Biodata (données biographiques) .30 5-6 .56 0 Années de formation .20 8 .60 7 Intérêts .18 9 .59 .5 * : ajout de la colonne « classement » (Desrumaux, 2005) Tableau 2 :Validité des méthodes au regard des apprentissages professionnels (Schmidt & Hunter, 1998, p 266) Commentaires du tableau 1 Les méthodes les plus valides sont dans l’ordre les échantillons de travail, les GMA et l’entretien structuré. Elles sont suivies par les évaluations par les pairs, les tests de connaissances professionnelles et les méthodes comportementales. Si l’on considère la validité incrémentielle obtenue en cumulant les GMA avec une autre méthode, les GMA/tests d’intégrité arrivent en première position et sont suivis en deuxième et troisième position (ex æquo) des GMA/échantillons de travail et des GMA/entretien structuré puis en qua- trième position des GMA/di-mension conscience. Le tableau fait apparaître le parti pris des auteurs relatif aux GMA. L’aptitude mentale générale est la capacité d’un individu à apprendre avec rapidité et exactitude une tâche, un sujet ou une habileté dans des conditions opti-males d’apprentissage (Salgado, 2001, p. 7). Elle sous-tend des opérations telles que trouver des solutions aux problèmes, prendre les bonnes décision, analyser une situation, utiliser un raisonnement abstrait, acquérir des connaissances, les utiliser dans de nouveaux contextes. Les auteurs défendent un certain nombre d’arguments répertoriés par Salgado (2001) : les GMA auraient le plus haut niveau de validité prédictive de toutes les procédures en sélection du personnel. De coût faible, elles possèdent une validité critérielle incomparable pour prédire l’efficience au travail, sont les meilleurs prédicteurs de l’apprentissage professionnel, de la réussite en formation et des connaissances professionnelles, possèdent des fondements théoriques solides, sont les meil-leurs prédicteurs de la faculté d’adapta-tion. Si les GMA sont incontestablement de bonnes méthodes de sélection, on peut aussi émettre quelques critiques relatives à ce tableau : Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -54- - Les outils mentionnés mesurent tantôt une seule dimension (conscience) tantôt plusieurs dimensions relatifs à un concept théorique (GMA) ou encore plusieurs dimensions relatives à différents concepts (entretiens, assessments). Il est ainsi regrettable que la validité de certaines méthodes incluses dans les assessments telles que les in-baskets… n’apparaisse pas isolément. - La validité est basée sur la performance et en particulier sur une estimation de cette performance par les notations des supérieurs. Or, les notations des supérieurs constituent-elles des critères valides ? a) Comme nous l’avons évoqué plus haut, ils sont fortement soumis aux biais (l’apparence physique par exemple a autant d’effet pour le recrutement que pour l’évaluation professionnel le, il en va de même pour la norme d’internalité qui influence à la fois le recrutement et l’évaluation. b) Le supérieur évaluant le salarié est-il vraiment en contact avec ce salarié ? c) L’hégémonie des notations des supérieurs comme critère a été renforcée par le courant mettant l’accent sur le comportement citoyen et contextuel comme élément de la performance au travail. - Il était possible de calculer la validité incrémentielle d’autres doublons ou de calculer la validité incrémentielle de trois méthodes, les décisions de recrutement étant souvent basées sur trois méthodes. - La manière dont la validité synthétique est calculée peut être révisée (Robertson & Smith, 2001). En résumé, les méta-analyses telles que celle de Schmidt et Hunter et celle de Salgado mettent en évidence l’intérêt de prendre en compte les GMA. Ces GMA peuvent être complétés par des mesures de la personnalité car la performance ne dépend pas seulement des capacités cognitives. En effet, une étude de Salgado (1999) montre que la validité des aptitudes et de la dimension “ caractère consciencieux ” est généralisable du point de vue de la validité, c’est-à-dire qu’elle est commune à différents critères pour différents emplois dans différents contextes, ce qui conduit Salgado, Viswesvaran et Ones (2001) à proposer d’ailleurs l’équation suivante : “ Performance professionnelle = f (potentiel cognitif, caractère consciencieux). En définitive, les recherches sur l’utilisation des méthodes de recrutement permettent de dégager plusieurs constats. - Les méthodes les plus fréquemment utilisées en France comme l’entretien, la graphologie (Bruchon-Schweitzer & Ferrieux, 1991 ; Lévy-Leboyer, 1994) ne constituent pas une base valide pour la prise de décision (Lévy-Leboyer, 1994 ; Schmidt & Hunter, 1998). - Un certain nombre de biais interviennent lors de l’entretien de recrutement (Arvey & Campion, 1982), soit lors de la prise de décision. On sait en outre que le type d’entretien et le statut des recruteurs influencent le discours et les contenus (Camus, 1996 ; 1999). - L’utilisation de certaines méthodes peut être source d’injustice (Schmidt & Hunter, 1998) : certaines méthodes invalides entraînent un choix fortuit de candidats et génèrent une injustice pour les candidats rejetés et d’autres méthodes valides (tests d’aptitudes) peuvent mettre en échec certaines catégories de population (Gottfredson & Sharf, 1988 ; Schmidt, Ones & Hunter, 1992). - La démarche de recrutement et les choix de méthodes mettent en évidence certaines logiques économiques, subjectives et valides qui vont dépendre de l’entreprise (Desrumaux-Zagrodnicki & Zagrodnicki, 2003). - Les méthodes donnent lieu à des jugements d’équité différents (Steiner, 2000 ; Steiner & Gilliland, 1996) : les CV, les échantillons de travail et les entretiens sont jugés les plus équitables par opposition aux tests de personnalité, aux contacts personnels (connaissance d’une personne influente dans l’entreprise) et à la graphologie considérés comme les supports les moins équitables.1 Le sentiLe jugement d’équité repose sur la comparaison entre les rétributions et les contributions pour la justice distributive mais aussi sur l’estimation de la justice des procédures utilisées, appelée justice procédurale. Après avoir estimé l’efficacité de chaque méthode de recrutement, les sujets (117 étudiants français et 142 étudiants américains) de Steiner et Gilliland (1996) devaient exprimer leur sentiment d’équité vis-à-vis de la procédure dans le cas où ils ne seraient pas retenus pour le poste. Enfin, sur le plan 1 ment de justice ne semble être influencé, ni par les fréquences d’utilisation (la graphologie même si elle est très utilisée en France est considérée comme injuste), ni par la validité (les tests d’aptitude mentale générale en dépit de leur validité ne font pas partie des méthodes jugées les plus équitables). Quelques outils à développer Un objectif à poursuivre serait d’améliorer la validité prédictive de certaines méthodes telles que l’entretien structuré (Balicco, 2001) et de développer l’utilisation des méthodes présentant une validité prédictive intéressante (GMA, tests d’intégrité, biodatas…) Les tests d’intégrité Aussi référencés comme échelles d’honnêteté, ils correspondent à des échelles de personnalité dont les critères sont focalisés sur l’emploi. Ils évaluent l’intégrité, l’honnêteté, la dépendance et facilitent la prédiction du vol et des comportements malhonnêtes au travail (Ones et Viswesvaran, 2001). Wanek (1999) ajoute à certaines de ces dimensions, la conscience, la fiabilité, la loyauté. Sackett et Harris (1984) distinguent les tests ouverts (les objectifs des échelles apparaissant clairement) utilisant par exemple des échelles sur le vol (exemple pour l’attitude : “ pensez-vous qu’une personne arrêtée pour avoir volé doit dénoncer les collègues qui l’ont aidé pour ce vol ”, “ Pensez-vous qu’il y a une part de malhonnêteté en chaque personne ? ” ; exemple pour les items de faits admis “ quelle valeur en dollar ou en quantité de marchandise avez vous dérobé à votre employeur ? ”) et les tests basés sur la personnalité (objectifs masqués) mesurant l’honnêteté et l’intégrité (“ ma vie familiale est toujours heureuse ”). Ones, Viswesvaran et Schmidt (1993) ont montré que les tests d’intégrité présentaient une bonne validité prédictive pour prédire la performance et les comportements contre productifs au travail. Sur le plan de la validité incrémentielle, lorsqu’ils sont utilisés en complément d’un GMA, les tests d’intégrité possèdent la validité incrémentielle la plus élevée de tous les tests non cognitifs (Ones & Viswesvaran, procédural, ils mesuraient le sentiment de justice en qualifiant chaque méthode sur sept dimensions (caractère scientifique, droit, respect de la vie privée…). Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -55- 2001). Ces auteurs suggèrent que d’autres critères de personnalité focalisés sur l’emploi peuvent être mesurés en complément des tests d’intégrité : les échelles de violence, les échelles de tolérance au stress et les échelles évaluant les services à la clientèle. Les biodatas Les biodatas (données biographiques) mesurent des expériences de la vie passée, dans la famille, à l’école, au travail et dans les loisirs. Lautenschlager (1994) les définit comme : “ des questions factuelles portant sur la vie et le travail, ainsi que des items mettant en jeu les opinions, valeurs, croyances et attitudes dans une perspective historique. ” Deux types d’items de biodatas peuvent être construits : ceux portant sur des faits, des comportements, qualifiés d’items vérifiables et ceux portant sur des opinions, valeurs, croyances ou attitudes, qualifiés d’items non vérifiables. Dean (2004) a examiné la validité de critères des biodatas en lien avec plusieurs critères de performance auprès de 6036 candidats aux postes de contrôleur de systèmes automatisés. Elle compare les résultats aux biodatas avec un test de connaissance, des échelles comportementales de simulation de la performance et un test de simulation de problèmes. Les résultats indiquent que les biodatas permettent de prédire la performance sur un certain nombre de critères. Van Iddekinge (2003) a utilisé la technologie vocale interactive afin de faire passer des biodatas (42 items et une échelle composite de 6 items). Les résultats sont bien corrélés avec les notations de la performance par des supérieurs. La technologie vocale est largement préconisée parce qu’elle permet un gain financier important pour les organisations. Une étude de validité concurrente de Mount, Witt et Barrick (2000) auprès de 376 employés de bureau examinait l’utilisation conjointe des GMA, des biodatas et des tests de personnalité en tant que prédicteurs de quatre critères : la quantité et la qualité du travail, la résolution de problèmes, la facilitation interpersonnelle et la probabilité de maintien sur le poste. Les résultats indiquent que les biodatas apportent une variance incrémentielle substancielle qui va au delà de celle obtenue avec les GMA et le test de personnalité pour 3 critères sur 4. Tears (2003) a pour sa part testé l’utilité de biodatas mesurant la probabilité de s’engager dans des comportements citoyens organisationnels. Elle conclue que les biodatas permettent de prédire les notations des supérieurs. Les biodatas constituent finalement des méthodes qui ont le même niveau de validité que les assessments mais sont plus économiques en temps. Les évolutions Le modèle traditionnel de recrutement (critère-prédicteur) et le modèle traditionnel de validation des méthodes n’ont pas changé. Un premier élément qui a changé le plus en revanche dans les 10 dernières années est la confiance dans la validité des méthodes utilisées. Cette confiance s’est renforcée grâce aux nombreuses méta-analyses. Un deuxième élément qui a évolué est la manière de choisir les critères de performance. Selon Robertson & Smith (2001), en 1980, on dénombrait trois catégories d’informations : les critères de performance, les données sur la personne et les jugements sous forme de notation par les supérieurs. Hunter & Schmidt (1998) utilisent pour leur part les critères de performance et les critères basés sur le jugement (notations des supérieurs). Le plus important changement pour Robertson & Smith (2001) concerne le construit de performance au travail. Il inclue maintenant non seulement la performance effective au travers des tâches pertinentes mais aussi la performance contextuelle et le comportement citoyen (Borteman & Motowildo, 1997 ; Coleman & Borman, 1999). Le recrutement est aussi soumis à d’autres problèmes liés à l’organisation contemporaine du travail. En effet, selon Robertson & Smith (2001), la durée moyenne de travail d’une personne sur un poste est plus courte qu’il y a 10 ou 15 ans. En effet, il fut un temps où l’espérance de vie d’une technologie et l’étendue de la carrière de travail des employés étaient liés. A l’heure actuelle, les technologies, les pratiques de travail et même les formes d’organisation se succèdent et s’effacent au profit d’autres au fur et à mesure de la vie de travail. Les individus aussi risquent donc de se succéder. Cela signifie que les méthodes de sélection devront aussi s’adapter à chaque fois à l’évolution des postes et des métiers. Comme nous l’avons vu, le métier de recruteur évolue et les techniques doivent s’adapter à l’évolution de la société, des métiers, des techniques et des organisations. Evolution des techniques (informatique) : Les tests par exemple subissent l’évolution de l’informatique. Les techniques papier-crayon vont peu à peu s’effacer au profit des techniques sur écran et des techniques basées sur les boîtes vocales. L’avantage est la disparition de techniques non valides telles que la graphologie mais aussi quelques fois la perte de performances. Certaines recherches montrent que les sujets sont moins efficaces devant un écran qu’avec une procédure papier-crayon (Schmidt & Hunter, 1998) ; d’autres recherches ne montrent aucune incidence. La passation de test n’impliquera plus nécessairement une relation testeur-testé. Une autre conséquence est la taylorisation du travail du recruteur. Plusieurs types de postes sont envisagés à différentes étapes du processus et risquent d’être assurés par plusieurs personnes : sourcing (recherche informatisée des candidats), screening (évaluation par les tests et entretiens), sous traitance des corrections des tests et enfin prise de décision par une personne dotée de responsabilité. Développement des mesures physiologiques : Les mesures physiologiques (EEG..) vont se développer pour évaluer notamment l’adaptabilité neuronale (neural adaptability index). Certaines corrélations sont mises en évidence avec l’intelligence générale. Certains aspects de la personnalité tels que la stabilité émotionnelle, l’extraversion présentent des corrélations avec des mesures neurophysiologiques. Développement des systèmes de comparaison (benchmarking) : Les organisations pour gagner en efficacité et productivité vont avoir tendance à comparer leurs systèmes de sélection à ceux d’organisations leaders. Développement des modèles exploratoires : Conclusion et prospectives Au-delà des méthodes, telles que les GMA, des niveaux d’analyses théoriques et pratiques plus larges sont requis. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -56- Smith (1994) suggère ainsi l’existence de trois caractéristiques (intelligence, vitalité, proportion de l’espace de vie qu’un individu est prêt à consacrer à son travail) pour prédire la performance au travail. Ces derniers indices sont rarement inclus dans la recherche traditionnelle bien qu’ils soient mesurés indirectement par l’interview ou les biodatas. Leur mesure peut certes être influencée par les biais mais il est possible que ces critères fassent l’objet de mesures valides. Chercheurs et professionnels pourront encore travailler à la mise en évidence de dimensions humaines nouvelles requises dans le monde du travail. En conclusion, tant que les rapports humains sont en jeu dans les organisations et plus ces rapports humains seront en jeu, plus les biais et les normes interviendront. Ils font partie intégrante de toute organisation humaine et de tout mode d’évaluation. Tant que ces biais interviendront dans les rapports humains, nous aurons besoin de chercheurs, de psychologues et de praticiens pour les mettre en évidence ou pour chercher des méthodes valides limitant leurs incidences. Comme le disait Le Poultier (2005) lors d’un récent colloque de psychologie sociale appliquée, une activité d’interface entre les chercheurs des laboratoires et les acteurs de l’environnement socio-économique est indispensable, pour traduire des concepts en outils professionnels, mettre à la disposition des professionnels des outils, négocier les conditions de transfert d’une technologie, professionnaliser des docteurs et doctorants. Ces éléments sont autant de propositions que nous partageons. J Références bibliographiques Arvey, R. D., & Campion, J. E. (1982). The employment interview : a summary and review of recent research. Personnel Psychology, 35, 281-322. Balicco, C. (2001). Mieux recruter grâce à l’entretien structuré. In : C LévyLeboyer, M. Huteau, C. Louche & J-P. Rolland, (Eds). RH, les apports de la psychologie du travail, pp. 53-69. Paris : Dunod. Beauvois, J. L. (1984). La psychologie quotidienne. Paris : Presses Universitaires de France. Beauvois, J. 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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -58- Entre chômage et travail : Comment résister aux identités négatives ?1 Ginette HERMAN, David BOURGUIGNON et Georges LIENARD Université catholique de Louvain, Belgique J 1 Des effets du chômage Nombreuses sont les études qui ont montré que la privation d’emploi constitue en tant que telle une source de malêtre. Une méta-analyse conduite tout récemment par McKee-Ryan, Song, Wanberg, & Kinicki, 2005 (2005) conclut à l’existence d’une relation causale entre ces deux variables. Ce résultat est étayé par les études transversales qui montrent que les chômeurs ont un bien-être inférieur à celui des travailleurs. Il est confirmé dans les études longitudinales au cours desquelles le bien-être décline à mesure que les individus passent de la situation de travail à celle de chômage et augmente dans le cas de figure inverse. Et les effets sont d’autant plus dramatiques que la durée du chômage s’allonge. Pour rendre compte des effets délétères du chômage, nous nous sommes penchés sur les explications qui mobilisent la manière dont la société, dans son ensemble, perçoit les chômeurs, juge les raisons de leur privation d’emploi, évalue leurs efforts de réintégration professionCe texte constitue un résumé d’un article qui sera publié par les Cahiers d’Ergologie en 2006. Différentes recherches citées dans cet article ont été réalisées grâce au soutien du Fonds Social Européen, de la Région wallonne (IWEPS/OWE) et de la Communauté française de Belgique, dans le cadre de l’Objectif 1 Hainaut. Elles ont, par ailleurs, bénéficié de la collaboration d’organismes de formation et d’insertion socioprofessionnelle situés en Région wallonne et dans la Région de BruxellesCapitale (Belgique). 1 nelle. Depuis les travaux de Goffman (1963), on sait combien le regard d’autrui, s’il est négatif, est source de stigmatisation et suscite un cortège de conséquences parmi lesquelles un mal-être, un sentiment de honte… La perspective adoptée dans cet article s’inscrit en droite ligne de cette conception. Elle s’interroge moins à propos des lacunes qui caractérisent les personnes sans emploi qu’elle n’analyse les effets des images que la société s’est construit à propos de ces dernières. Le nœud du problème tel que nous le posons réside donc dans les relations qui se nouent entre groupes : ceux qui portent un regard dévalorisant sur autrui et ceux qui en sont la cible. Une brève approche de la stigmatisation Etre stigmatisé renvoie au fait de posséder « une caractéristique associée à des traits et stéréotypes négatifs qui font en sorte que ses possesseurs subiront une perte de statut et seront discriminés au point de faire partie d’un groupe particulier ; il y aura « eux », qui ont une mauvaise réputation, et « nous » les normaux » (Croizet & Leyens, 2003, p.14). En d’autres termes, une personne est stigmatisée lorsqu’elle possède (ou croit posséder) un attribut ou une caractéristique qui véhicule une identité sociale dévalorisée au travers de laquelle les autres la définissent dans un contexte particulier (Crocker, Major & Steele, 1998). A quelles conditions dès lors, une caractéristique donnée est-elle susceptible d’être transformée en stigmate ? Plusieurs éléments y contribuent. Ce qui est essentiel, c’est d’abord le fait de croire qu’un individu possède un attribut dévalorisé, que cette croyance soit portée par l’individu lui-même ou par autrui. Ensuite, cette conviction doit être partagée par un ensemble de personnes, faire l’objet d’un certain consensus. Il en résulte qu’aucun attribut n’est par nature un stigmate mais qu’il peut le devenir sous l’effet d’un contexte particulier (Crocker & al., 1998). En l’occurrence, ne deviennent stigmates que les caractéristiques qui sont associées à une identité sociale négative, c’est-à-dire celles qui correspondent à un groupe, à un statut ou à une catégorie dévalorisés. Les effets de la stigmatisation ont fait l’objet de nombreuses recherches. L’une des conséquences parmi les plus étudiées a porté sur le bien-être psychologique (en particulier, l’estime de soi, la satisfaction de la vie et la dépression). Crocker et al. (1998) résument les résultats de la manière suivante. La stigmatisation n’entame que faiblement l’estime de soi et la satisfaction de la vie des personnes stigmatisées, des mécanismes de défense de soi devenant probablement actifs et permettant de préserver un niveau suffisant. Cependant, elle affecte l’amplitude de la dépression des membres de divers groupes (African-Américains, femmes, adolescents gay, personnes obèses…) et leurs niveaux de bien-être subjectifs, contrairement à ceux des personnes non stigmatisées, ne sont jamais situés dans les zones positives des échelles. D’autres effets ont également été étudiés, en particulier ceux liés à la menace potentielle que représente le fait de se sentir interpellé sur sa valeur, face aux préjugés négatifs dont on est l’objet. En effet, il n’est pas toujours simple de se convaincre que ces préjugés sont faux, que son groupe est disqualifié à tort. Même si le stéréotype n’est pas personnel, il atteint l’individu par le fait qu’il s’attaque à sa composante sociale (Luhtanen & Crocker, 1992), et le menace d’activer le recours à des stratégies dont Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -59- certaines peuvent se révéler largement contre-productives (voir infra, la menace du stéréotype). Le chômage peut-il être considéré comme une forme de stigmatisation ? Pour répondre empiriquement à cette question, plusieurs éléments doivent être rencontrés. Le premier concerne les représentations que se construit la société en général (et les travailleurs en particulier) à propos des chômeurs : leur associe-t-elle des attributs négatifs qui les classent dans un groupe particulier ? Le second concerne les perceptions des chômeurs eux-mêmes : sont-ils conscients des images véhiculées à leur égard ? ; pensent-ils appartenir à un groupe stigmatisé ? Les chômeurs, groupe stigmatisé ? Que les chômeurs aient mauvaise réputation naguère ou aujourd’hui, plusieurs études l’ont mis en évidence (e.g., Hayes & Nutman, 1981 ; Paugam & Russel, 2000). Elles montrent que les attitudes à l’égard des personnes sans emploi sont souvent négatives et se manifestent sous la forme d’une dépréciation avérée. En particulier, les employeurs lorsqu’ils ont à juger des candidats dont le chômage est de longue durée, les considèrent a priori moins productifs que les autres (Furaker & Blomsterberg, 2003). De plus, les chômeurs sont vus non seulement comme responsables du problème mais aussi comme responsables de la solution à y apporter. Ces informations révèlent l’existence, dans la société, d’attitudes négatives à l’égard des chômeurs. Mais pour qu’on puisse parler pleinement de stigmatisation, il faut encore vérifier si les chômeurs sont conscients de ces images et s’ils les considèrent comme déterminantes de leur vie. Afin d’analyser la manière dont les chômeurs se perçoivent eux-mêmes, différentes voies ont été suivies. La première a consisté à mettre en évidence les méta-stéréotypes des chômeurs. Il s’agissait d’interroger les chômeurs sur ce qu’ils pensent que la société pense d’eux. Les réponses, recueillies en Wallonie, furent marquées d’une grande homogénéité : « Les chômeurs sont vus comme fainéants, incompétents et parasites» (Herman & Van Ypersele, 1998). Elles corres- pondent donc, en grande partie, aux images véhiculées par les travailleurs. Est-ce que pour autant leur identité sociale en est affectée ? La deuxième voie a investigué les groupes d’appartenance des chômeurs en référence à la théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1981). Selon cette théorie, l’identité est composée de trois dimensions. La première est de nature cognitive ; elle porte sur la connaissance que l’individu a des groupes auquel il appartient et de celui qu’il estime central de son identité. Une fois ce groupe précisé, c’est de valence attribuée au groupe dont il sera question. Aussi, la deuxième dimension précise si l’individu juge son groupe comme positif ou négatif, comme attractif ou déplaisant. Mais comme l'appréciation de sa propre identité n’est pas nécessairement consistante avec celle que pratique autrui, la troisième dimension porte sur l’évaluation que d’autres personnes portent sur le groupe. Ces trois dimensions ont été investiguées au travers de plusieurs études (e.g., Herman, 1999). Elles montrent de manière consistante que les personnes sans emploi s’auto-catégorisent comme membres du groupe des chômeurs (1ère dimension), qu’elles se sentent mal dans ce groupe (2ème dimension) et qu’elles s’estiment peu respectées par autrui (3ème dimension). De ces résultats, il découle que les chômeurs se perçoivent bien comme faisant partie d’un groupe stigmatisé. Menace du stéréotype On a vu que le chômage avait des effets délétères envahissants. Sont-ils dus à la stigmatisation que connaissent les chômeurs ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes inspirés de la théorie de la menace du stéréotype qui avance que lorsque des stéréotypes négatifs à propos de la catégorie d’appartenance sont intériorisés, ils entraînent des effets appelés « auto-handicapants » (Steele & Aronson, 1995). Autrement dit, une personne qui a le sentiment que son groupe est stigmatisé craint d’être jugée ou traitée sur base des stéréotypes dont son groupe est la cible. Et dès lors de se sentir menacée sur le plan de son image personnelle et de celle de son groupe. Cette menace portée sur soi-même n’est pas sans effet. Elle peut handicaper le fonctionnement de la personne en augmentant, par exemple, son anxiété ou ses pensées parasites (e.g., « il ne faut surtout, surtout pas qu’on croit que je colle aux clichés »), dans des domaines en rapport avec le contenu du stéréotype et, d’une manière paradoxale, le confirmer. Appliquée à la situation de chômage, cette théorie suggère que puisque les personnes sans emploi sont conscientes d’être considérées comme ‘incompétentes, apathiques ou parasites’, elles risquent de manifester des attitudes et des conduites congruentes avec ces stéréotypes. Plus précisément, comme ceux-ci touchent à la fois la sphère cognitive et la sphère motivationnelle, ils sont susceptibles de s’attaquer non seulement au fonctionnement cognitif des chômeurs et à leurs apprentissages, mais aussi à leurs capacités de prendre des initiatives, d’être proactifs. Nous avons testé cette hypothèse au travers de deux des domaines touchés directement par les images négatives véhiculées à propos des chômeurs : les performances intellectuelles (cf. l’attribut « d’incompétent ») et le dynamisme déployé tant dans le domaine de la recherche d’emploi que des activités culturelles (cf. l’attribut « d’apathique »). Plusieurs études ont été conduites, qui utilisaient une procédure expérimentale. Les participants des recherches – tous chômeurs – furent placés aléatoirement dans deux contextes différents. Dans l’un, on rappelait simplement au stagiaire son appartenance à la catégorie ‘chômeur’ ; dans l’autre, on soulignait brièvement le fait qu’il faisait partie d’un groupe neutre, celui des ‘adultes’. Le premier contexte est dit ‘menaçant’ car l’individu est confronté à son identité stigmatisée de chômeur tandis que le deuxième est considéré comme ‘non menaçant’ puisque l’individu se réfère à l’identité non stigmatisée d’adulte. Sur le plan cognitif, un texte relativement complexe a été proposé à la lecture. Les résultats indiquent que confrontés à leur identité de « chômeur », les participants l’ont moins bien compris que les participants pour qui l’identité dominante étant celle “ d’adulte ”. De même, les premiers eurent tendance à faire plus d’erreurs que les seconds dans une tâche de reconnaissance de mots, en acceptant de manière erronée des itemsleurres qui renvoyaient aux préjugés attachés au groupe des chômeurs (Herman, Desmette, & Bourguignon, 2002). Sur le plan motivationnel, l’étude de Herman et al. (2002), fournit égale- Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -60- ment des informations concluantes. Les intentions de recherche d’emploi ont été retenues en premier lieu car elles sont situées au cœur-même de la problématique, les chômeurs étant souvent accusés de ne pas « en faire assez ». De fait, comparés à ceux de la condition “adulte”, les participants de la condition “chômeur” montrent une moindre envie d’entreprendre des stratégies de recherche d’emploi (par exemple, envoyer son curriculum vitae à des employeurs qui embauchent, rencontrer des employeurs, se présenter régulièrement dans des agences d’intérim,…). Mais cette apathie est sélective car elle ne se généralise pas à tous les domaines. En effet, les domaines qui ne sont pas menaçants pour l’identité du chômeur se voient épargnés. Par exemple, aucune différence entre les conditions n’apparaît pour la pratique sportive. Qui plus est, dans d’autres cas, c’est le résultat inverse qui est observé. Par exemple, les participants qui se trouvent dans la condition “ chômeur ” sont plus enclins à vouloir entreprendre de nouveaux projets et moins désireux de rechercher des activités passives (rester chez soi, regarder la télévision, boire un verre dans un café) que ceux qui sont dans la condition “ adulte ” (Herman et al., 2002). En quelque sorte, dans les domaines non concernés par les stéréotypes attachés au chômage, les intentions d’action seraient préservées. Ces différents résultats soulignent combien le fait de se voir attribuer une étiquette négative entraîne des attitudes et des conduites qui accentuent l’état de privation dans lequel se trouve la personne sans emploi. L’anticipation d’un reproche dans le regard d’autrui, en particulier dans celui d’un éventuel employeur, rend ces démarches coûteuses et pénibles. Stratégies de défense de soi Comment les personnes stigmatisées font-elles face à cette situation difficile ? Mettent-elles en place des stratégies qui les protègent au moins partiellement des répercussions négatives, qui contribuent à restaurer une estime de soi positive ? Ces questions font l’objet, depuis plusieurs années, de nombreux travaux (i.e., Folkman, Lazarus, DunkelSchetter, DeLongis & Gruen, 1984). Parmi ceux-ci, on en trouve certains qui se centrent directement sur le problème et sur sa résolution tandis que d’autres s’attachent plutôt à la gestion des conséquences émotionnelles. Plus précisément, il s’agit, dans le premier cas, d’étudier la manière dont les chômeurs élaborent des solutions pour changer les rapports qu’ils entretiennent avec leur environnement social et dans le second, d’analyser la manière dont ils réduisent les affects négatifs de la stigmatisation et/ou maintiennent une estime de soi positive. Concernant les stratégies centrées sur le problème, c’est la mobilité individuelle (chercher du travail, entreprendre une formation, pratiquer du ‘travail au noir’) qui semble la plus utilisée par les chômeurs (Herman & van Ypersele, 1998). Quelle est sa contribution du point de vue de la santé mentale ? Des données montrent que les effets délétères du chômage qu’on relève habituellement ne s’observent pas dans certaines circonstances : la santé mentale (mesurée par un indice de dépression) des demandeurs d’emploi qui suivent des formations qualifiantes ou pré-qualifiantes ou qui s’investissent dans des organismes culturels ou sportifs atteint un niveau tout à fait normal. De plus, le sentiment qu’ils ont de pouvoir agir et influencer leur environnement social ou institutionnel devient opérant ; enfin, une proximité avec le monde du travail est réactivée (Herman, 1999). En ce qui concerne les stratégies émotionnelles, diverses stratégies peuvent être mobilisées, qui tentent de minimiser les affects négatifs émergeant dans ce contexte et de protéger l’estime de soi (Miller & Major, 2000). Le fait de se comparer aux membres de son propre groupe plutôt qu’aux membres d’un groupe non stigmatisé préserve l’estime de soi de l’individu car, d’une part, la menace que constitue le groupe dominant n’est pas activée et, d’autre part la situation vécue par les autres chômeurs peut être vue comme encore moins favorisée que la sienne propre (Martinot et al, 2002). Dans les travaux que nous avons réalisés avec des personnes sans emploi, nous avons mis en évidence la valeur de certaines de ces stratégies. En ce qui concerne la comparaison avec d’autres chômeurs, elle se révèle, de fait, un procédé profitable du point de vue de la santé mentale. Les chômeurs, s’ils considèrent leur situation meilleure que celle des autres chômeurs, se préservent mieux de la dépression (Herman & van Ypersele, 1998). La perception de discrimination pourrait également être exploitée par les chômeurs. Les données indiquent que face à un contexte de stigmatisation, les chômeurs amoindrissent la discrimination dont ils peuvent être la cible, ce qui les préserve d’une perte d’estime de soi (Bourguignon & Herman, 2005). Par contre, lorsque le contexte est favorable, discrimination et estime de soi restent indépendantes l’une de l’autre. En somme, ces résultats suggèrent que les chômeurs confrontés à un contexte stigmatisant se protègent des effets délétères de la discrimination en la minimisant. Enfin, les personnes stigmatisées peuvent également tenter de réaménager l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. Par exemple, elles peuvent diminuer l’importance des domaines dans lesquels elles sont désavantagées, leur accorder une valeur moindre, voire même se désengager de la situation. Cette stratégie permettrait de préserver l’estime de soi puisqu’elle est dissociée des conséquences négatives (Major & Schmader, 1998). Concernant les chômeurs, nous avons, au travers de plusieurs études (Herman & van Ypersele, 1998, Bourguignon & Herman, 2005), tenté d’examiner si la vision fermée ou ouverte du monde du travail pouvait affecter l’importance accordée à la sphère professionnelle. Il est apparu que plus les chômeurs développent une vision fermée du monde du travail, moins ils accordent de l’importance au domaine professionnel et plus ils éprouvent des émotions négatives par rapport à la recherche de travail. Malgré leur valeur protectrice sur le plan de la santé mentale, ces stratégies ne présentent pas que des avantages. Plusieurs auteurs ont attiré l’attention sur les coûts qu’elles pouvaient entraîner (i.e., Croizet & Martinot, 2003). Ainsi, en limitant les comparaisons au sein de leur propre groupe, en faisant abstraction de la position avantagée de l’exogroupe (celui des travailleurs), les chômeurs se privent de la possibilité de prendre conscience de leur statut défavorisé et de le remettre en question au sein de la société. La minimisation de la discrimination entraîne également des effets pervers. En niant eux-mêmes le fait qu’existe une discrimination à leur égard, les chômeurs assument personnellement une partie de la responsabilité de leur non-emploi et, ce faisant, légitiment la discrimination dont ils sont l’objet. Comment en effet s’expliquer autrement leur situation ? Enfin, en se désengageant, même partiellement, de la sphère professionnelle, ils limitent leurs Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -61- investissements dans le domaine de la recherche d’emploi et renforcent la probabilité de rester sans travail. Ici aussi, alors que la stratégie de retrait est pourtant un des effets du contexte de stigmatisation, elle risque de porter préjudice à la personne stigmatisée. Conclusions Les études qui ont été présentées dans les pages qui précèdent montrent que les chômeurs se sentant considérablement dépréciés, voire méprisés, développent une identité négative qui entraîne diverses conséquences. Parmi celles-ci, on trouve que non seulement le fonctionnement cognitif des chômeurs et leurs apprentissages sont altérés mais également leurs capacités à prendre des initiatives, à entamer des démarches dans la sphère professionnelle de leur vie. Ces différents résultats soulignent combien le fait de se voir attribuer une étiquette négative entraîne des attitudes et des conduites qui ne font qu’accentuer l’état de privation dans lequel se trouve la personne sans d’emploi. Loin de considérer l’absence de dynamisme dont on qualifie parfois le chômeur comme la cause de son non-emploi, elle en est, en fait, une des ses conséquences, en particulier lorsque de manière répétée, les efforts de recherche d’emploi se soldent par des fins de non-recevoir ou des refus. Confrontés à cette stigmatisation, les chômeurs tentent néanmoins de développer des stratégies leur permettant d’y faire face. Les plus fréquentes incluent différentes formes de mobilité individuelle (fréquentation de formations professionnelles, démarches de recherche d’emploi, participation à la vie associative). D’autres stratégies sont mises en place, qui relèvent, quant à elles, d’une gestion des émotions, destinée à se protéger contre le regard d’autrui quand il s’avère méprisant. Si elles se révèlent utiles du point de vue de la protection de l’estime de soi dans certaines circonstances, de nombreux auteurs ont attiré l’attention sur les effets pervers qu’elles pouvaient entraîner, en ce sens qu’elles contribuaient à un maintien de la situation de chômage, voire à une internalisation renforcée des causes du chômage. L’analyse qui vient d’être proposée est centrée essentiellement sur la position du chômeur. A aucun moment, elle n’a toutefois suggéré que la résolution de la situation se trouvât à son niveau, ni qu’il lui fût possible de réduire efficacement la stigmatisation. Le fait que les chômeurs aient moins de pouvoir et de ressources que d’autres groupes sociaux les empêchent d’être les acteurs privilégiés de leur propre devenir, tant au niveau individuel (trouver un emploi) que collectif (améliorer le statut des chômeurs). Les solutions sont à rechercher d’abord à un niveau socio-économique et politique, par la création d’un nombre suffisant d’emploi. Ensuite, si le taux de chômage se maintient à un niveau élevé, il importe à la société en général et à l’autorité publique en particulier, de mettre en place des politiques qui élimineraient le préjudice dont sont objet les chômeurs. En Belgique, certaines actions publiques vont dans cette direction en encourageant, par des mesures de réduction des charges patronales, l’engagement de chômeurs. Mais d’autres ont l’effet inverse quand elles développent, au travers de mesures telles qu’un contrôle renforcé ou un « plan d’accompagnement », le sentiment pour les chômeurs de porter une part majeure de responsabilité dans leur non-emploi. J Bibliographie Bourguignon, D., & Herman, G. (2005). La stigmatisation des personnes sans emploi: conséquences psychologiques et stratégies de défense de soi. Recherches Sociologiques, 36, 53-78. Crocker, J., Major, B., & Steele, C. (1998). Social stigma. In D. T. Gilbert, & S. T. Fiske (Eds.), Handbook of social psychology (4ème éd., Vol. 2, pp. 504-553). 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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -62- Des conditions fondamentales nécessaires et motivantes pour tenir conseil ou de quelques considérations inactuelles et intempestives Alexandre LHOTELLIER [email protected] J J’ai une conviction ; le conseil est une voie forte de la psychologie et des sciences humaines. Cette conviction est-elle si inactuelle, si intempestive ? L’intempestif c’est d’aller au simple, à l’essentiel, à ce qui est le plus nécessaire à notre pratique Mon souci est la compréhension réciproque d’une démarche commune à la fois à des organisateurs, des théoriciens et des praticiens pour des usagers. Nous avons des théories nuageuses qui servent de pavillons de contrebande à des pratiques diverses. Chacun s’en réclame selon la mode dominante ou la sensibilité affective. Si le conseil ne présente pas une structuration forte il sera mangé par les dernières modes, les dernières contraintes. S’il n’est pas centré sur l’agir pratique des gens. Le conseil doit être centré sur la pratique des gens. Ce n’est pas une invention abstraite, c’est une démarche commune. LE DENI DU CONSEIL Il y a en France un déni du conseil, on parle d’ailleurs avec le terme anglo-saxon « counselling ». Le conseil existe en France mais nous sommes coincés entre expertise et thérapie, mais aussi les différences entre consultants et coachs. On parle et on écrit plus volontiers de psychothérapie et beaucoup moins de conseil. Or, Il y a davantage d’activité de conseil dans notre pays. Et ce n’est ni le conseillisme étatique ni la conseillite libérale. Alors comment exister sans un suffixe en ING ? La démarche de conseil , c’est la construction dialogique d’une démarche d’action, un travail méthodique et pluriel du sens d’une situation problème et l’élaboration d’une décision fondatrice d’une action responsable autonomisante. Mais la véritable définition du conseil, c’est sa pratique Le déni du conseil est un problème francofrançais. Le Déni c’est le refus de reconnaître une réalité dont la perception est traumatisante pour le sujet : Qu’est ce qui nous traumatise entre les recherches, la théorie et la pratique en France ? Avons-nous une censure, un oubli, un refus ? Les apports de SUPER en 59 et de nombreux théoriciens qui lui ont succédés sont tombés à la trappe. Je m’interroge sur ce déni sur la « maltraitance théorique » cf revue Pratiques Psychologique 2003 – n° 4 . Qu’est-ce que cela induit sur les pratiques professionnelles et la manière de penser ? En France, on enseigne la psychologie mais veut-on vraiment former des praticiens ? Y a-t-il adéquation entre les concepts utilisés et les problématiques actuelles ? La maltraitance théorique serait une maltraitance induite par les théories et les pratiques inadéquates aux situations. L’inadéquation des méthodes utilisées laisse à l’écart des éléments. Cette maltraitance aboutit au malaise, à la souffrance des conseillers. Peut être est-il urgent de penser le conseil dans sa démarche, dans sa globalité… d’où ma conception dialogique de la théorie du conseil. La connaissance scientifique du monde social passe par une critique de la connaissance savante. Le subjectivisme et l’objectivisme sont deux éléments possibles de la connaissance savante mais leur antagonisme n’est qu’apparent dans la mesure où ils sont opposés l’un et l’autre à la connaissance pratique. (Bourdieu) Coincé entre diagnostic psychologique et thérapie, le conseil n’a pu se développer en méthode. Il s’est centré sur le spécialiste sans souligner le travail nécessaire de l’usager, sa capacité de dialogue ; contribution à la construction du Savoir et du Pouvoir de l’autre. Le mot clé est celui de Dialogue ; mot irremplaçable. Mais la transmission d’un savoir n’est pas l’imposition d’un catéchisme, ni un passe partout qui viserait à transformer l’autre en trou de serrure parce que l’on croit avoir trouvé une clé. L’appropriation du savoir est fragile, difficile, toujours à recommencer. Ce n’est pas une domination ni une emprise. Nous n’avons pas une culture du dialogue, nous le considérons comme la juxtaposition polie de 2 monologues avec écoute gracieuse ; se parler jusqu’à ce que l’on soit d’accord, chacun voulant montrer la supériorité de son point de vue. Mais nous avons une tradition théorique du dialogue (de Buber – Bahktine – Francis Jacques à nos jours) mais la lisons nous ? Pourquoi vouloir entrer en dialogue ? Nous avons besoin de dialogue et n’avons pas la culture du dialogue. 1 - construction dialogique Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -63- LA QUESTION DE L’AUTRE Triade pour vivre ensemble : Partir de l’autre, tenir l’entre (l’entre nous) et Apprendre sa propre langue. Le dialogue n’est pas seulement la recherche d’un consensus, c’est aussi prendre du recul pour remettre en perspective la parole qui nous est commune. Une seconde triade illustre le vivre ensemble. Reconnaissance – connaissance – nouvelle naissance. Dans le dialogue l’autre doit se sentir reconnu, ouvert à un travail nouveau. Il doit voir le sens pour ne pas se sentir colonisé ; une nouvelle naissance entre les 2 interlocuteurs est envisageable. Pas de travail possible si chacun n’est pas éveillé par la question du sens. Seul ce qui fait sens est engendré par les deux partenaires et seul ce qui est engendré par les deux partenaires aura un impact sensé. Le dialogique est un apprentissage mutuel continu. Il ne s’agit pas d’appliquer ou de vérifier une vérité préconçue. Le dialogue n’est pas la mise en œuvre de techniques rhétoriques pour triompher de l’autre. Le dialogue est la voie qui libère la personne de son ignorance. En disant « tu » je deviens « je ». Le sens naît du dialogue. Ce qui est reçu importe plus que ce qui est émis. Un travail dialogique requiert que l’on renvoie à sa propre structure d’entendement les personnes en présence. LE SAVOIR « Savoir dans la vie : une expérimentation de la connaissance ». Le savoir n’est pas facile à recevoir ; tout nouveau savoir dérange car il bouscule un savoir ancien. Il coexiste un désir et une peur de savoir. Le partage du savoir n’est pas anodin, on peut mettre l’autre en difficulté (le déstabiliser). Seul le savoir qu’on sait est agissant dans la conduite. La connaissance a un pouvoir transformateur. Savoir c’est l’appropriation des informations et des connaissances à un moment donné de mon existence. Il existe trop en miettes. L’important c’est son articulation avec les actes. La question n’est pas seulement de mesurer ni de diagnostiquer mais que cela soit actif par et pour l’autre dans sa construction même. Mais prenons garde à ce que les cris des hommes ne nous soient inaccessibles à cause de notre savoir, de notre blindage dans les théories. Il faut veiller à ce que le savoir ne soit pas une injustice, une humiliation ni une injonction mais un éveil à de nouveaux actes, une vertu de force et non un rapport de force. LE POUVOIR DU SENS C’est l’articulation entre informations, savoir et notion de valorisation. L’intérêt du conseil c’est l’agir sensé en situation d’une personne en devenir. C’est une question de réflexivité, de pensée, on dit aussi maintenant de motivation et de volonté. Le sens n’est pas personnel mais relationnel, le sens n’est pas donné mais construit à partir de nos interactions au sein de nos pratiques quotidiennes. Priver la considération de l’agir de sa dimension éthique rend impossible la compréhension de l’agir. Ce n’est pas le savoir seul qui va faire agir. L’acte ne surgit pas tout fait de la science, il ne faut pas rejeter le savoir humain. L’action est liée à une décision dont la rationalité est subordonnée à la qualité de délibération qui la précède. Le sens n’est pas soluble dans le concept. Le travail du sens c’est mettre du sens au travail. Tenir conseil c’est pouvoir donner sens. Le sens n’est pas personnel mais relationnel, il n’est pas donné mais construit dans la relation. Le savoir seul ne permet pas d’agir. Le dialogique c’est l’humanisation continue de l’inhumain qui est en chacun de nous. C’est l’acte qui mesure la qualité de la parole. 2 – une démarche d’action Un impensé du conseil ; le travail du conseiller. Nécessité de fonder l’approche sur une autre base que celle de la succession d’outils, de procédures administratives et de relations empiriques. Ce n’est ni une conversation banale ni un interrogatoire alors qu’est ce que la démarche du tenir conseil ? La démarche ne peut pas être une application uniforme à des personnes différentes d’un système général qui serait des contraintes. Ce n’est jamais prescriptif mais à la fois une visée de valeurs et une vision globale. C’est une écoute continue des processus en cours, d’où l’importance de l ‘attention au temps partagé. Ce n’est pas une injonction à se mettre dans un moule mais l’organisation claire de la voie choisie. Ce n’est jamais acquis une fois pour toutes. Il faut tenir compte d’un temps multiple, des sociétés, des institutions et des personnes. La démarche est donc la mise en forme de nos actes dans un certain style Le dialogue est un travail permanent de reprise de soi qui implique simplicité du langage, pauvreté des moyens, proximité des personnes. La démarche est une manière de vivre et de travailler qui transforme celui qui la développe. 3) L’ordinaire et les pratiques Le rapport au quotidien La violence la plus redoutable, celle qui empêche de vivre sa vie au quotidien, c’est la mort de l’autre. Peut être qu’une méthode va s’ancrer dans une pratique ordinaire : l’invention du quotidien. Il ne s’agit pas de réduire la société aux pratiques quotidiennes mais d’associer ces pratiques aux autres modes de fonctionnement de la réalité sociale. L’enjeu du quotidien est ce qu’il y a de plus difficile à découvrir. La contingence, le souci de l’ordinaire c’est débanaliser toute action. Il ne peut pas y avoir des rapports extraordinaires et des rapports qui n’auraient aucun sens. C’est parce que l’on vit par, et de, l’essentiel que les détails ont beaucoup d’importance. Les choses les plus importantes sont cachées à cause de leur simplicité et de leur banalité. Le quotidien n’est pas le superficiel anecdotique mais l’essentiel de notre vie. Le savoir n’est pas attendu comme le messie, l’ordinaire c’est le tragique même. La question de l’ordinaire est liée au travail des pratiques : Tout être humain a besoin de devenir compétent dans son action et simultanément dans la réflexion sur son action, Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -64- de façon à apprendre à partir d’elle. Le pire mépris de la pratique est de ne pas en parler, de la confondre avec une simple application de la théorie. On parle de l’analyse des pratiques mais c’est très difficile à faire, puisqu’on a peur les uns des autres. Elle est plus célébrée que mise en œuvre, car toute pratique risque sans cesse de devenir outil sclérosé si on ne la travaille pas. CONCLUSION Doit on alors se transformer en « remonteur de moral »? on se souvient de Beckett « ne faisons rien, c’est plus prudent » ou encore ceci « ce qui ne veulent faire de peine à personne finissent par trahir tout le monde » . Mais Vygotski disait « le comportement n’est à aucun moment une lutte qui s’apaise » Alors, sans illusion, mais sans résignation , avec détermination, je cherche à mieux fonder le sens du tenir conseil pour que ce travail ait un sens fort, reconnu dans cette société. J Coordonnées A.LHOTELLIER [email protected] Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -65- Internalité et allégeance Hervé LEGRAIN, Psychologue du travail à l’Institut National de l’Orientation et de l’Insertion Professionnelles de l’AFPA Lionel DAGOT, Chargé d’enseignement et de recherches à l’Université Bordeaux II Laboratoire de Psychologie Sociale des Insertions J deux exemples : les normes d’internalité et d’allégeance. Peut-on être à la fois soumis et autonome ? On peut définir la norme d’internalité comme la « valorisation sociale des explications des évènements qui accentuent le poids de l’acteur comme facteur causal » (Beauvois, 1994). A propos de cette norme nous pouvons relever quelques éléments importants. Il est primordial de noter que la valorisation sociale de l’internalité est d’abord (et peut-être même seulement, cf. Cueillens et Castra, 1998) observée dans la sphère des activités socio-professionnelles (travail, insertion professionnelle, action sociale, enseignement). Ainsi dans le cadre de rapports sociaux marqués par l’asymétrie des statuts, l’individu occupant la place hiérarchique inférieure (l’employé, le bénéficiaire du RMI, le demandeur d’emploi) a tout intérêt à adopter un discours faisant de lui le principal responsable de sa situation, évitant ainsi d’évoquer des facteurs externes (le supérieur, l’assistante sociale, les politiques de l’emploi). Ce type de discours interne présente pour l’évaluateur l’avantage de ne pas être tenu responsable de la situation de l’intéressé. Cette valorisation de l’internalité est à resituer dans le contexte général des démocraties libérales (Beauvois, 1994), et au niveau plus particulier des activités socio-professionnelles dans le cadre des méthodes d’encadrement et de direction d’inspiration libérale (Dubois, 1994). Ces pratiques sont caractérisées notamment par un accroissement de l’autonomie et de la responsabilité accordée aux individus. Parallèlement le contrôle de ces mêmes individus se produit « à distance », par le biais d’outils d’évaluation portant sur les capacités des personnes à atteindre leurs objectifs de façon autonome (individuellement ou en groupe). On retrouve ce mode libéral d’exercice du pouvoir dans les développements récents en matière de gestion de l’action sociale et de Parmi les critères d’évaluation professionnelle, la psychologie sociale s’est notamment intéressée à l’impact des jugements tenus par les évalués, à propos de leur propre situation, sur les évaluations produites par les professionnels. Les concepts d’explication et d’attribution causale ont ainsi fourni le socle théorique à de nombreuses études montrant que les évaluateurs étaient influencés dans leurs prises de décision par la façon dont les évalués (candidats par exemple) expliquaient leur situation (professionnelle par exemple). Ces travaux relèvent d’un courant de recherche traitant des normes sociales de jugement (Dubois, 2002). Nous relèverons ici seulement certains apports majeurs pour cette étude. Il est important de rappeler que la valorisation sociale, dont font l’objet certains types de jugements, est principalement liée à la nature de la relation entre l’évalué et l’évaluateur, en l’occurrence relation de pouvoir. Ainsi, dans le cadre d’une relation dissymétrique, certains jugements de la part de l’évalué seront mieux perçus que d’autres par l’évaluateur ; on dira que ces jugements possèdent un caractère normatif du fait de leur adéquation avec ce rapport social de pouvoir. Mais pour mieux saisir les mécanismes de valorisation sociale des jugements, il est nécessaire de prendre en compte les modalités d’expression des relations de pouvoir. L’évolution des modes de management nous fournit un très bel exemple des diverses variétés de commandement. Afin de mieux saisir comment des types de pratiques d’encadrement peuvent valoriser tel ou tel type de discours, nous allons faire appel à l’insertion professionnelle (pédagogie du projet, méthodes d’autonomisation et de responsabilisation), et des ressources humaines (management participatif, logique de compétences, fixation d’objectifs individuels). La norme d’allégeance peut être définie comme la « valorisation sociale des explications des évènements qui respectent et/ou soutiennent une figure de pouvoir en jeu dans la situation » (Dagot, 2002). Les travaux portant sur la norme d’allégeance sont encore peu nombreux (Dagot, 2002 ; Gangloff, 1997 et 2000) mais il est d’ores et déjà possible d’en retirer quelques enseignements. L’hypothèse d’une norme d’allégeance dans la sphère socio-professionnelle découle du postulat suivant : les pratiques de commandement ne sont pas monolithiques, et si la modalité libérale d’exercice du pouvoir est très développée aujourd’hui, cela ne signifie pas que les autres types de pouvoir aient pour autant disparu. La littérature portant sur les formes actuelles de l’autorité et du pouvoir semble focaliser son attention sur le mode libéral, mais il suffit de parcourir l’actualité du monde socio-professionnel pour constater que d’autres formes (par exemple autoritaire) y sont encore largement présentes. Ce constat pourrait avoir une traduction en termes normatifs : si des pratiques d’inspiration libérale ont pour conséquence une valorisation de l’internalité, un contexte marqué par des rapports sociaux plus autoritaires pourrait bien ne pas être aussi propice à l’expression de cette norme. Dans ce cas d’autres formes de jugements normatifs pourraient apparaître. Dans un contexte autoritaire, l’allégeance au pouvoir répondrait peutêtre mieux à cette configuration particulière de rapports sociaux. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -67- Les intermédiaires de l’emploi et les normes sociales de jugement A plusieurs reprises nous avons relevé ce qui semble être une des principales caractéristiques du travail des intermédiaires de l’emploi : la nette dissymétrie des positions du demandeur d’emploi et de l’évaluateur. Qu’il s’agisse des conseillers des Missions Locales et des Agences Locales pour l’Emploi, ou des recruteurs, leurs positions vis à vis des demandeurs d’emploi leur octroient un pouvoir évident. On peut d’ailleurs imaginer que le pouvoir de ces deux organismes publics à l’égard des demandeurs d’emploi soit encore plus marqué par la logique de contractualisation qui prévaut actuellement (Castel, 1995). Le contrat pose comme condition à sa validité la libre adhésion des contractants. Si l’on peut difficilement soutenir l’idée que les demandeurs d’emploi sont contraints d’y adhérer sous l’effet d’une force incoercible, il est par contre plus probable que leur situation matérielle et financière quotidienne restreigne leur champ de négociation avec l’institution publique. Plus simplement, dans le contrat qui s’instaure, le chômeur a beaucoup plus à perdre que l’institution. Le recrutement revêt aussi les attributs d’un contrat tacite entre le candidat et le recruteur. Si le cadre législatif tente d’imposer des méthodes de recrutement valides et objectivement justifiées, la réalité des pratiques incite à davantage de circonspection. Les fondements théoriques précaires de certaines méthodes (graphologie, entretien) pourraient légitimer le refus des candidats à s’y soumettre. Or, il semble bien que les deux parties (recruteur et candidat) soient tacitement d’accord sur un des enjeux du recrutement et par conséquent les moyens employés pour y parvenir : la recherche des limites au-delà desquelles le candidat refusera d’accepter et d’intégrer le fonctionnement organisationnel. Les connaissances ainsi produites à propos des demandeurs d’emploi pourraient être liées à l’utilité sociale des comportements et caractéristiques de ces derniers. Les justifications de leurs pratiques avancées par les conseillers et les recruteurs laissent entrevoir, entre autre, deux types de critères évaluatifs. Il y a tout d’abord une exigence de conformité face aux attentes explicites, ou implicites, de l’évaluateur. Cela reflète la nature des relations qui lient les intermédiaires et les chômeurs : l’exercice d’un pouvoir qui exige un minimum de conformité à l’égard des attentes institutionnelles et organisationnelles. L’allégeance pourrait bien être la traduction théorique de ce premier type de critère. Le deuxième type de critères fait écho aux multiples injonctions d’autonomisation et de responsabilisation adressées aux demandeurs d’emploi. On retrouve là un ensemble de propos psychopédagogiques misant sur les vertus de l’individualisation des trajectoires d’insertion. Une deuxième dimension semble poindre derrière ce type de critères : il s’agit de l’internalité. Le modèle issu du croisement de ces deux variables peut être représenté ainsi : Allégeance Externalité Internalité Non allégeance Le problème rencontré Une grande entreprise du secteur automobile fait appel en 2005 au service de psychologie du travail de l’AFPA pour recruter son personnel ouvrier. La commande passée était de présenter des personnes pour occuper un poste de « team member », soit de membre d’une équipe de travail équivalent à un poste d’ouvrier de production, aucune condition de diplôme ou d’expérience n’étant posée. Les candidats sont d’abord convoqués par l’ANPE pour une première information collective. Immédiatement après cette phase d’information, une épreuve de français et de calcul leur est proposée. Les personnes qui passent ce premier cap sont ensuite présentées à l’AFPA qui leur propose deux tests cognitifs, une épreuve de facteur g inspirée des progressives matrices de Raven et une épreuve de raisonnement mécanique pratique, inspirée du test Mécanique de Rennes. Ces deux épreuves cognitives sont éliminatoires, c’est à dire qu’il faut obtenir un score minimum pour maintenir sa candidature. Les personnes qui passent ce second cap accèdent ensuite à une épreuve de dextérité manuelle. L’épreuve, mise au point par l’entreprise, consiste à respecter une procédure de travail consistant en un montage de pièces métalliques à assembler à partir d’écrous et de pièces à visser. Trois notes sont ensuite attribuées à cette épreuve ; le nombre de montage réalisé (Montées), le nombre d’erreurs au cours des montages (Qualité) et le nombre de propositions d’amélioration du dispositif proposé par le candidat (Kaizen). Après cette épreuve, les candidats rencontrent un psychologue du travail si leurs résultats sont satisfaisants. Enfin, à la suite de l’entretien, il est décidé si la personne sera ou non présentée à l’entreprise. Pour les personnes présentées, il reste encore à subir un entretien avec deux personnes de l’entreprise, un « team leader », chef d’équipe, et une personne de la DRH. Après plusieurs mois de fonctionnement selon ces modalités, le taux de satisfaction de l’entreprise semble correct, puisqu’elle retient 2 personnes sur 3 présentées par l’AFPA. Ce résultat, bien qu’estimé positif, semble perfectible et des progrès sont demandés aux psychologues du travail, afin de parvenir à un meilleur taux d’acceptation de la part de l’entreprise. Il est demandé notamment aux psychologues de mieux prendre en compte la « motivation » et le « dynamisme » des candidats. Solutions testées Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -68- La mesure de l’évaluation en contexte de recrutement n’ayant jusqu’à présent apporté qu’assez peu de validité critérielle (voir Legrain, 2003), une autre solution a été mise en place. Afin de répondre à la demande d’une meilleure prise en compte de la motivation, il est décidé d’introduire, à titre expérimental, deux épreuves supplémentaires dans le processus de recrutement. Un premier questionnaire est tout d’abord introduit dans la procédure. Ce questionnaire est composé de 16 items, 8 items portant sur un événement socio-professionnel réussi (par exemple, trouver du travail), 8 items portant sur un événement raté (par exemple, être au chômage). Pour chacune de ces 2 dimensions, 4 items font l’objet d’une attribution interne, 4 items une attribution externe. La personne doit dire si elle est plus ou moins d’accord avec la proposition sur une échelle de Likert à 4 degrés. Exemple : « Quand vous trouvez un emploi, est-ce grâce à vos efforts personnels de recherche ? » ou encore : « Pensez-vous que votre chômage soit dû à la crise économique ? ». La seconde épreuve introduite concerne la mesure de l’allégeance. Elle reprend le paradigme des juges tel que l’a utilisé Lionel Dagot dans sa recherche sur les missions locales en 2002 (voir Dagot, 2002). Quatre extraits d’entretien sont présentés (interne allégeant, interne non allégeant, externe allégeant, externe non allégeant). Entre cinq et sept assertions du même type composent le discours du sujet. Le contenu des discours fictifs est issu d’items validés préalablement par analyse factorielle réalisée auprès d’une population de 176 étudiants. Le questionnaire de base comportait 40 items. 97 étudiants ont rempli le questionnaire en consigne d’auto-présentation normative et 79 suivant une consigne contre normative. Une analyse factorielle a permis de dégager un facteur bipolaire (baptisé allégeance/non allégeance). Le candidat, après avoir lu l’extrait d’entretien fictif, doit ensuite émettre un pronostic sur les chances que cette personne a de se faire embaucher à la suite de cet entretien. Un score global est ensuite calculé par le correcteur. Plus le candidat a valorisé les cas allégeants, plus son score d’allégeance est élevé. Le score maximum est attribué à quelqu’un qui aura accordé le maximum de points aux extraits d’entretien d’allégeants et le minimum de points aux extraits présentant un profil non allégeant. Résultats Test d'échantillons indépendants OUTIL • C2A • M • EXT • INT • KAIZEN • MONTÉES • QUALITÉ • ALLEGEANCE Trois mois après l’introduction de ces deux épreuves, le bilan est effectué sur 1 018 candidats passés par le dispositif. Sur ces 1 018 candidats, 187 ont été embauchés et 84 refusés par l’entreprise, ce qui donne un taux d’acceptation de 69%, comme précédemment. En comparant les scores aux différentes épreuves, des candidats acceptés et des candidats refusés dans un tableau croisé, le Khi deux est significatif pour un seul test, l’épreuve d’allégeance (Khi deux = 56,67 avec ddl = 20, signif. à .001). En comparant les moyennes des scores des candidats acceptés et des candidats refusés aux différentes épreuves, le t de Student ne se révèle significatif que pour deux épreuves de la batterie : le nombre d’erreurs commises lors du montage mécanique à l’épreuve de dextérité et l’épreuve de mesure de l’allégeance. Conclusion Cette étude réalisée dans le cadre d’une vaste campagne de recrutement de personnel ouvrier d’une industrie automobile, met en évidence en situation réelle, que les résultats au questionnaire d’allégeance sont moins élevés pour les candidats non retenus par les recruteurs que pour les candidats retenus. La volonté de trouver des collaborateurs « motivés » conduirait en fait à privilégier des candidats allégeants. L’internalité seule n’a pas fait ici preuve de son pouvoir attracteur, à la différence des résultats trouvés dans les autres études. La critique peut être faite à t de Student ,866 -,911 -,360 -,127 ,029 ,902 -2,442 3,497 ,387 ,363 ,719 ,899 ,977 ,368 ,015 ,001 ns ns ns ns ns ns s s cette épreuve de n’avoir pas bénéficié du même travail métrique que l’épreuve d’allégeance. Une simulation montre qu’en tenant compte de la variable allégeance, il est possible d’amener le taux d’acceptation de l’entreprise à 75%. Une seule épreuve de facteur g semble suffisante, ce qui au final allègerait la procédure et lui donnerait néanmoins une meilleure fiabilité. D’autres questions restent en suspend ; les recruteurs ont-ils raison de favoriser les candidatures allégeantes ? Comme pour l’internalité, il serait nécessaire de suivre dans le temps les personnes dans l’emploi en fonction de ces critères. On peut faire l’hypothèse que l’allégeance, comme l’internalité, n’est pas en lien direct avec la performance « à la tâche » d’un ouvrier du secteur automobile. Ces deux dimensions seraient plutôt en rapport avec une performance appelée « contextuelle », celle que l’on peut identifier à travers une catégorie de comportements, qualifiés de comportements prosociaux ou de comportements de citoyenneté organisationnelle (CCO, Dagot 2003). Les CCO sont définis comme des « comportements individuels, discrétionnaires, non directement ni explicitement reconnus par le système formel de récompenses, mais qui jouent pourtant un rôle dans l’évaluation des personnes : altruisme, refus de se plaindre, fidélité à l’organisation, conformité aux règles en place, engagement volontaire ». Autrement dit, quand une personne non avertie procède à une évaluation globale en entretien d’un salarié, en poste ou en phase de recrutement, ce n’est pas sur la base de données objectives qu’elle le fait, mais bien sur d’autres éléments non explicites. Vu sous cet angle, la recherche Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -69- sur les CCO paraît prometteuse et d’une grande valeur heuristique. Dans ce contexte, les institutions d’insertion, les intermédiaires de l’emploi, mais aussi les recruteurs, ont pour devoir de connaître et de s’approprier ces résultats, afin d’éviter des décisions non fondées. Dans un second temps, ils pourraient avoir pour mission de mettre en place une pédagogie visant à accroître le degré d’internalité et d’allégeance des chercheurs d’emploi, de mettre sur pied des dispositifs de recrutement prenant le contre pied de ces processus socionormatifs, par des mises en relation directe, afin de favoriser l’insertion du plus grand nombre. J Bibliographie l’univers de l’évaluation professionnelle ». Psychologie du Travail et des Organisations, 3, 61-75. Gangloff, B. (2000). Profession recruteur, profession imposteur. Paris : L’Harmattan. Legrain H. (2003), Motivation à apprendre : mythe ou réalité ? Point d’étape des recherches en psychologie, L’Harmattan, Paris Legrain, H. & De Gaillard, E. (2000). « Apports de la docimologie à la validation des compétences professionnelles en fin de formation ». 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(1997a). « La norme d’internalité et ses fondements : les tribulations d’une notion dans Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -70- Tendances et questions actuelles en psychologie du travail Claude LEMOINE Université Lille 3, Laboratoire PSICO (Psychologie des Interactions et des Cognitions dans les Organisations) Association Internationale de Psychologie du Travail et des Organisations, A.I.P.T.L.F. [email protected] J de compétences, nécessite une réflexion théorique sur la notion de compétences, ambiguë, polysémique et plus large que son acception scientifique, et des travaux sur les conditions qui permettent aux individus de réaliser cette démarche. Il faut ici noter que cette analyse interpelle les fondements scientifiques classiques qui séparent nettement l’observateur qui sait de l’observé qui ne sait pas (cf. la rupture épistémologique de G. Bachelard) en supposant que l’on peut analyser des éléments de sa propre situation ou même des aspects de soi, comme ses compétences. Mais comme cette démarche ne peut en général se réaliser seul et sans préparation, il est nécessaire de repérer les conditions à remplir pour y parvenir et pour éviter aussi que l’information sur soi en retour ne vienne déstabiliser sa propre image. On sait déjà que plusieurs facteurs sont à réunir : la confidentialité, qui permet la confiance, soutenue par un dispositif assurant une protection de l’individu, l’utilisation d’une démarche méthodique proposée par le psychologue afin de progresser, et le fait même de passer du statut d’observé à celui d’observateur de sa propre situation, voilà des éléments importants assurant la possibilité de cette entreprise (Lemoine, 2005). Il est toujours difficile de réaliser un panorama de la situation d’un domaine d’intervention et de recherche et de synthétiser la richesse des présentations précédentes, et ce d’autant plus que l’on se trouve en session de clôture et que l’on souhaite plutôt proposer des ouvertures. «L’approche psychologique du travail», thème des travaux, renvoie à l’idée de traiter de «La psychologie dans le travail» (Lemoine, 2003) et pas seulement de la psychologie du travail. Il s’agit ici de souligner la richesse de ce domaine, pour le valoriser, par le fait qu’il est en prise avec les réalités présentes et qu’il comprend une psychologie en phase avec les questions actuelles de la société et des milieux du travail. Cela rend ce secteur innovant, en le plaçant au cœur même de l’élaboration scientifique, mais explique aussi les difficultés et les contraintes rencontrées, et demande une exigence de rigueur particulière. 1/ Exemples d’apports récents sur le plan des recherches On peut d’abord se référer aux domaines où des recherches se développent et évoquer les thèmes abordés dans ce colloque qui, sans être exhaustifs, indiquent des secteurs actuels en développement. - - - Les conditions de la qualité de vie au travail (cf. E. Morin) sont sans nulle doute une préoccupation importante. Elles sont traitées en premier comme une fonction du style d’organisation et du climat de travail (cf. G. Masclet). L’analyse des compétences, demandée au niveau individuel dans les entreprises comme pour la validation des acquis de l’expérience (cf. Jacques Aubret) ou au cours des bilans - Les effets psychologiques de la formation continue, mais aussi les facteurs favorisant ou non l’entrée et la réussite en formation (cf. C. Lagabrielle et A.M. Vonthron) sont des thèmes intéressant les psychologues de la formation des adultes. L’investissement personnel dans le travail, l’implication au travail, les valeurs du travail et le sens qu’on lui donne (cf. E. Morin) constituent des facteurs de soutien que les directions d’entreprise auraient intérêt à promouvoir pour l’efficacité visée autant que pour le bien-être des salariés. Mais là encore, attention aux effets non linéaires et à la double face des notions : trop d’implication peut aussi conduire à l’addiction au travail. - Le conseil dans les trajectoires de carrière et les recherches sur les interactions spécifiques des entretiens (cf. J.L. Bernaud, A. Lhotellier) forment un sujet de recherche à développer qui dépasse la notion d’influence pour rejoindre les processus liés à l’expression de l’information sur soi. La problématique n’est pas si éloignée des études sur les métiers de la communication et de l’interaction verbale (A. Trognon). - La construction d’une identité positive constitue typiquement une activité de recherche et d’intervention. Elle varie selon les cultures (cf. G. Vinsonneau). Elle suppose la réduction des pratiques d’évaluation, le développement de la confiance en soi soutenue par le milieu, les autres ou les conseillers qui favorisent le sentiment d’efficacité personnelle (cf. P.H. François présentant les travaux de Bandura) et se trouve au centre des questions de chômage (cf. G. Herman qui cherche comment résister aux identités négatives dans ces situations difficiles). - La gestion des changements organisationnels et les tentatives pour les maîtriser (cf. A. Savoie), représente également un courant de recherche et d’intervention prometteur. - D’autre part les travaux théoriques et empiriques sur les méthodes utilisées par les psychologues et sur leur validité représentent aussi un courant de recherche actif en liaison directe avec les pratiques professionnelles (c. P. Desrumaux, L. Dagot). Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -71- 2/ Les grands domaines d’intervention et de recherche A partir de ces perspectives, il s’agit de présenter aux non-spécialistes de la psychologie dans le travail les domaines d’expertise qui apportent une pertinence spécifique aux problèmes actuels liés au travail. On peut citer notamment : - l’orientation professionnelle et le conseil de carrière (cf. J.L. Bernaud, A. Lhotellier), qui se prolongent par les travaux sur l’identité professionnelle (cf. G. Herman) et, pour les professionnels, par l’étude des métiers de l’interaction (cf. A. Trognon) ; - la formation continue et le développement des compétences, personnelles et organisationnelles (cf. J. Aubret, C. Lagabrielle, P.H. François) ; - l’organisation des relations dans le travail, les équipes de travail, le management, les conditions du changement organisationnel, le climat de travail et la culture d’organisation (cf. A. Savoie, G. Masclet, G. Vinsonneau) ; - le champ du recrutement, de l’affectation des personnels et la gestion des emplois, qui posent de façon aiguë le problème de l’évaluation des personnes et de la pertinence des méthodes (cf. P. Desrumaux, L. Dagot) ; - l’évaluation et l’analyse des situations, où l’on peut opposer les processus d’évaluation en recrutement à ceux d’analyse réalisée au profit des bénéficiaires, comme en bilan de compétences (C. Lemoine) ; - la prévention des risques, du stress et le développement de la qualité de vie au travail (E. Morin). 3/ Les originalités des démarches en psychologie du travail et des organisations Il s’agit ici de repérer les originalités du domaine afin de valoriser ses atouts mais aussi de poser les questions qui s’en suivent. 1 - L’apport des modèles et des méthodes C’est très positif pour nous, nous avons des modèles, des méthodes, des techniques, c'est ce que n’ont pas les gestionnaires, les juristes, les ingénieurs, qui nous demandent des méthodes, par exemple pour évaluer. Cependant, nous devons réfléchir à l’utilisation sociale de ces méthodes. Quand on nous demande de construire un référentiel des emplois, des compétences, une évaluation sur critères de différentes aptitudes au travail ou encore de mesurer un résultat, quel rôle social jouons-nous ? Il faut y réfléchir et il est possible d’avoir des réponses variées. En tant que chercheurs on ne peut décider ce qu’il faut ou pas. Certains favoriseront plutôt l’activité de la direction, d’autres penseront à aider l’activité des salariés. Ce sont des choix personnels, politiques ou idéologiques, qui n’entrent pas directement dans le champ scientifique, mais sur le terrain, dans la pratique, on doit se positionner et définir le rôle qu’on peut jouer. Par exemple, on essaiera de concilier les pôles différents en cherchant à montrer que ce qui est positif pour l’un l’est aussi pour l’autre, comme un climat de travail supportable favorisant à la fois la performance de l’entreprise et le bien être des salariés. 2. La démarche sur le terrain et la prise en compte du contexte organisationnel Les modèles théoriques ont aussi leurs limites par rapport aux problèmes rencontrés. S’ils sont un atout par rapport à l’extérieur, par rapport à nous-mêmes il faut se poser des questions sur leur pertinence. C’est l’intérêt de la confrontation et de l’aller-retour que je défends entre les modèles, abstraits, et les situations de terrain, les nouveautés que l’on rencontre tous les jours. C’est là qu’on est au centre de l’innovation scientifique. Ce sont les nouveautés rencontrées sur le terrain, les problèmes que l’on ne sait pas résoudre d’emblée, qui vont alimenter la réflexion théorique. C’est l’échange avec le terrain qui va nous permettre d’améliorer un modèle, de le revoir, de l’abandonner parfois, ou d’en construire un autre. Cela est vraiment spécifique de notre démarche qui est toujours une démarche de terrain. Par là elle s’oppose aux démarches de laboratoire ou de bureau, comme celle des mathématiciens de l’économie qui élaborent des modèles sans se préoccuper de la conduite des gens. Une autre limite des modèles, qui permet aussi de situer notre spécifici- té, y compris par rapport à d’autres sphères de la psychologie, est leur prétention à la généralisation. Or, on l’a vu à plusieurs reprises, la prise en compte du contexte organisationnel et de sa variété ne permet pas de généraliser facilement. Des cultures et des groupes variés ne fonctionnent pas comme d’autres, des gens se conduisent différemment, des situations entraînent des effets divers. Les réalités sont multiples, et il est préférable d’éviter les généralisations hâtives. Comme l’a avancé P.H. François, même le modèle de Bandura n’est pas universel. C’est une difficulté mais c’est aussi un atout : il évite de simplifier, de réduire et, sous couvert de loi générale pour tous, d’aller vers une société du conformisme. A ce sujet, il faudrait sans doute mieux définir la notion d’égalité qui ne signifie pas être tous pareils, mais avoir des droits et des devoirs identiques, ce qui est très différent. Et c’est le 3° point, difficile pour les chercheurs comme pour les intervenants, c’est le fait que l’on utilise des mots du sens commun. C’est heureux d’ailleurs pour communiquer, mais les mots du sens commun sont polysémiques, ils sont ambigus. La notion de motivation par exemple était une notion scientifique mise en place pour sortir d’une théorie insuffisante, celle du schéma stimulusréponse S-R : on s’est rendu compte qu’avec un même stimulus on avait plusieurs réponses. Une notion intermédiaire, la motivation, a été construite pour expliquer qu’entre S et R il se passe quelque chose. Cela a tellement bien pris que c’est devenu une notion du sens commun, il y a eu naturalisation : tout manager utilise ce terme pour son personnel, tout recruteur parle de motivation, etc. C’est devenu un terme polysémique, utilisé par chacun, et non plus une notion scientifique précise. Pour la notion de compétences, c’est encore plus compliqué car elle n’était pas scientifique au départ, elle l’est devenue sur certains points définis, et puis finalement elle est reprise partout, sans référence à une notion scientifique. Ce n‘est pas pour cela qu’il faut se sentir coupable si on l’emploie pour parler avec les gens, mais en même temps il faut savoir que ce terme véhicule quelques présupposés idéologiques, qu’il n’est pas neutre d’utiliser l’idée de compétences plutôt que celle de qualifications, comme J. Aubret l’a montré hier. Tantôt elle peut mettre en question des construits antérieurs et apporter de l’incertitude, mais tantôt elle peut aussi ouvrir de nouveaux espaces pour le développement de l’individu. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -72- On a donc des modèles, ce sont des outils pour penser la réalité, ne les jetons pas, mais travaillons sur eux et à partir d’eux pour les améliorer ou pour les revoir. Pour cela il est nécessaire d’avoir une prise de recul, de savoir prendre une distanciation par rapport au système dans lequel on se trouve forcément, ce qui permet de ne pas s’enfermer dans une pratique sociale et de se garder des idéologies ambiantes, quelles qu’elles soient. 3. Une préoccupation importante : l’attention aux personnes Un autre aspect nous caractérise, par rapport aux sociologues, aux gestionnaires, et même par rapport à d’autres chercheurs en psychologie, c’est la préoccupation de l’attention aux personnes dans leur contexte organisationnel. C’est vraiment très important en tant que perspective adoptée. Vous prenez un demandeur d’emploi en difficulté, vous savez que vous ne pouvez pas changer le système dans son ensemble, mais s’il sort de chez vous en ayant un peu plus confiance, en ayant un projet, en pensant qu’il a des compétences et qu’il peut s’en servir, c’est déjà gagné. Mais cela, on ne le sait pas souvent, parce que l’on ne peut pas l’évaluer facilement, mais il faut penser que le psychologue a un rôle social important, même s’il n’en voit pas les effets immédiatement. C’est un peu comme l’enseignant qui, parfois, dix ans après, rencontre un ancien élève qui a réussi alors qu’il était insupportable en classe, et qui est ravi de revoir son professeur. Mais dans beaucoup de cas on ne sait pas ce que deviennent les gens, et ce n’est pas évaluable par une administration. L’important, c’est l’attention aux personnes. G. Hermand parlait d’identité, comment la développer, A. Lhotellier disait comment être plus près de l’autre, comment être à l’écoute. L’écoute n’est pas réservée aux cliniciens ; sans se limiter à cela, il faut aussi savoir s’en servir, surtout quand on est face à des modèles économiques ou managériaux qui font fi de l’humain. Devant des modèles d’organisation qui pressent l’humain, nous avons à nous positionner, c’est un engagement social qui est inhérent à notre profession, il est important de le valoriser. On montre par exemple que ce n’est pas en mettant les gens en situation d’incertitude, de risque ou d’échec qu’ils vont travailler plus ou mieux. Même si on reste dans la norme de l’efficacité qui est imposée, on peut montrer qu’améliorer les conditions de vie et de travail des individus va servir aussi à l’entreprise, y compris aux actionnaires qui ne s’occupent pas des conditions de travail ; c’est leur montrer que si l’on ne prend pas cela en compte, finalement ils vont gagner moins. A ce moment ils nous comprennent, lorsqu’on prend un langage économique compréhensible pour des nonpsychologues 4. Des méthodes qui donnent une place aux acteurs : d’observés à participants Des méthodes qui donnent une place différente aux acteurs, c’est nouveau aussi, on ne nous a pas appris cela à l’école, où l’on parlait de cobayes. Les acteurs ne deviennent pas seulement des gens observés mais des participants ; et je vais plus loin : on peut leur donner des méthodes. On a réalisé cela avec des jeunes par exemple, ils avaient une grille d’observation, ils sont devenus observateurs, vous ne pouvez pas penser comme ils ont observé avec sérieux, parce qu’ils avaient changé de statut et qu’ils avaient une méthode pour fonctionner. Vous obtenez des résultats étonnants, positifs. Cela veut dire que le sujet a droit aussi à l’appropriation du savoir, et du savoir sur lui. C’est aussi un positionnement professionnel. Mais le seul retour de résultats ne suffit pas. Bien sûr, donner des résultats en retour, c’est déjà mieux que de tout garder pour un tiers ou pour soi, surtout en situation d’évaluation, mais il faut penser aux conditions pour que le résultat puisse être approprié par l’intéressé lui-même. Quelles sont donc les situations à mettre en place pour lui permettre d’accéder à une appropriation de ses résultats et à une augmentation de connaissance sur lui ? C’est ce que nous avons commencé à étudier (Lemoine & Goby, 2003), en modifiant la finalité des méthodes de mesure et en permettant à l’intéressé de s’approprier certaines dimensions ou items et en accédant à leur signification pour développer son propre discours sur lui. 5. L’analyse des conditions et des effets de l’intervention Afin de repérer mieux nos spécificités et nos apports, il est nécessaire de porter attention à nos propres modes d’intervention. Il faudrait ici parler des effets de l’analyse scientifique, tant pour les observés que pour les observateurs (cf. Lemoine, 2002). On a à travailler sur notre rôle et aussi sur notre propre mode de fonctionnement pour savoir ce que l’on induit auprès des autres dans l’interaction y compris avec les méthodes employées. Cette analyse conduit à l’idée que la démarche scientifique va générer de l’information nouvelle. Cette information devient un objet d’interaction et peut être échangée. Se pose alors la question de la façon d’utiliser cette information nouvelle. Au profit du bénéficiaire, à notre profit, pour réaliser une thèse, ou à celui d’un tiers ? Voilà une question importante. L’analyse des conditions et des effets de l’intervention se retrouve au niveau individuel, dans le conseil (cf. J.L. Bernaud), ou au niveau des organisations (cf. A. Savoie). 4/ Modification du rôle du psychologue La définition de nos démarches a pour conséquence une interrogation sur notre rôle et notre positionnement social. Cela est apparu dans toutes les présentations précédentes. Si l’on prend par exemple la notion de performance, il ressort, en France du moins, que l’on y est assez réticent, tout n’étant pas quantifiable et transformable en unité monétaire. C’est le cas des services. Cela entraîne des conflits internes, car on est poussé à évaluer les autres sur leurs performances alors que l’on n’est pas tout à fait d’accord ; donc on est contraint par les systèmes à faire ce que l’on ne souhaite pas trop. On le fait quand même sans le faire vraiment en se contorsionnant un peu, et comme on n’est pas très satisfait de cela, on voudrait trouver des solutions pour répondre à ces situations contradictoires et paradoxales. Cependant, en se centrant sur son métier, on peut se positionner favorablement. Voyons quelques pistes. 1. Développer des pratiques objectives, valides et impartiales Il s’agit d’abord de développer des pratiques objectives et impartiales. C’est une garantie même si l’on sait qu’elles ne sont pas évidentes à mettre en place sur le terrain et qu’elles vont parfois à l’encontre des habitudes. Mais il faut se rappeler que l’objectivité n’est pas la réalité en soi, c’est se servir de méthodes Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -73- répliquables qui, utilisées de la même façon par d’autres, vont donner le même résultat dans les mêmes conditions. On va donc essayer de construire des méthodes valides (cf. P. Desrumaux). 2. Construire une réalité avec les acteurs et à leur profit On va aussi essayer de construire une réalité avec les acteurs et à leur profit, et donc essayer de détecter les facteurs favorables pour la construire. On notera que cette opération renouvelle la question de l’objectivité externe en se focalisant sur l’obtention d’informations non présentes avant l’interaction et leur saisie par l’intéressé lui-même. 3. Moins savant ou expert et plus accompagnateur ou révélateur Dans ce cadre, le psychologue se situe alors moins comme un savant ou un expert qui apporte un résultat donné. Toutefois il faut aussi montrer aux autres que l’on est savant et expert afin d’être reconnu. Mais l’expertise consiste justement à ne pas jouer à l’expert. Dans la pratique professionnelle, il est préférable de se situer comme conseil, mais là encore sans indiquer ce qu’il faut faire, pour éviter d’influencer les gens sur le contenu ou modeler leur opinion. On en arrive à du conseil sans conseils, et à réfléchir sur cette pratique. On a alors glissé vers une autre notion, depuis quelques années, celle d’accompagnateur, avec les bilans de compétences. Mais elle peut aussi évoquer des images inadéquates, comme celle de soutien pour éviter de tomber. On peut ici envisager une nouvelle notion, celle de révélateur, qui consiste à donner une méthode, donner les outils afin que l’intéressé puisse réaliser la démarche par lui-même, donner l’impulsion. Cela revient à un changement de statut ou de perspective d’intervention. Il s’agit donc aussi d’un changement important dans la gestion des méthodes, qui deviennent des relais spécifiques d’interaction, et sont à étudier comme tels. 5/ Questions actuelles pour la psychologie du travail La situation actuelle de la psychologie du travail pose plusieurs problèmes et il faudra y faire face. Elle souffre d’abord d’une reconnaissance insuffisante par les instances de la recherche. Les contraintes institutionnelles sont importan- tes, notamment en terme de réunions improductives et de dossiers administratifs de plus en plus nombreux à fournir, ce qui prend sur le temps de la recherche. Le management de la recherche est lointain et méprisant, ce qui va à l’encontre d’un soutien préconisé par nos propres recherches en organisation, et les instances de la recherche ne reconnaissent pas la psychologie du travail comme telle. Il en résulte que le système organisationnel ne soutient pas ses salariés, au contraire ce sont les individus qui en arrivent à soutenir le système. Mais des experts de la psychologie, qui sont aussi des collègues, gardent aussi des représentations erronées qui seraient à revoir. Ainsi penser que la psychologie du travail est «une science d’application» permet de la considérer comme mineure par rapport à une psychologie qui serait fondamentale ou générale. Mais qu’est-ce qu’on appliquerait ? On est sur le terrain, on rencontre des problèmes nouveaux, on fait de la recherche, on construit des modèles, on les confronte aux situations qui en retour vont permettre de les améliorer. Cela n’est pas du tout une science d’application, c’est une science fondamentale que l’on est en train de construire. Il ne suffit pas de penser l’univers dans son entité, en généraliste, et sans s’occuper des gens. Le risque des modèles scientifiques est d’ignorer les personnes au profit de points, d’entités, d’abstractions et de relations entre ces abstractions ; c’est joli, mais on ne s’y retrouve pas bien quand on est sur le terrain avec les gens. constructive, sans détruire systématiquement tout ce qui se fait. Il y a nécessité d’une distanciation par rapport aux enjeux et aux situations dans lesquelles on se trouve ; il faut savoir prendre du recul tout en étant au cœur des problèmes. Ce sont eux qui vont faire progresser la recherche et les interventions, dans la mesure où l’on saura prendre ses distances et analyser sereinement les questions. 6/ Quelques propositions face à cette situation En fonction de cette situation, il n’est pas très étonnant de rencontrer la difficulté d’obtenir une image sociale claire, cohérente et positive, mais par rapport à cela il vaut mieux faire face. Quelques propositions sont ici juste esquissées : - Accentuer la réflexion théorique et la relier aux situations de terrain, afin de proposer des modes d’intervention originaux et pertinents. C’est indispensable, on l’a vu tout au long de ce colloque. - Développer la recherche sur le terrain, en coopération avec les intéressés. Là, il faut le souligner, c’est un nouveau paradigme épistémologique, car ce n’est pas évident de faire de la recherche avec les gens, et non plus sur eux. C’est vraiment très différent. - Favoriser la formation continue des psychologues. C’est presque une lapalissade dans un organisme de formation, mais il faut y penser quand même. Cela peut passer par des revues, comme «Psychologie du travail et des organisations». Lire des revues, c’est un moyen de prendre du recul, de la distance, et de se tenir informé. Les colloques et les congrès sont aussi des lieux de formation continue et d’échanges. Le prochain congrès de l’AIPTLF, début juillet 2006, portera sur le thème du développement. Il existe aussi d’autres modes de formation continue. On peut penser à des sessions d’analyse des situations rencontrées. C’est impliquant, il faut se mettre ensemble pour travailler sur son expérience et en retirer des informations nouvelles. C’est une suggestion pour les psychologues de l’AFPA. - Enfin, il faut sans doute s’organiser davantage en réseaux pour valoriser la profession et la représenter lorsque D’autre part, certains chercheurs tentent de nous culpabiliser : ils nous disent qu’on est «idéologues» ou «soutien du libéralisme» parce qu’on utilise la notion de compétences ou des tests «de sélection», ce qui n’est pas bien ! Ce scénario a duré 35 ans. C’est comme cela que la recherche sur les tests a été réduite en France. Mais ce n’est pas en n’utilisant pas les tests que la sélection est supprimée, elle se fait autrement et parfois de façon plus dure. Ainsi, ce ne sont pas les tests qui génèrent la sélection, mais la sélection qui parfois demande des tests, c’est très différent et il ne faut pas renverser la logique. Si certains sont détracteurs de nos pratiques, d’autres psychologues aux pratiques variées et peu fondées ne favorisent pas l’image de la profession. Il faut donc être critique, mais dans une critique Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -74- des décisions la concernent. C’est pour cela qu’une nouvelle association de psychologie du travail, au niveau français, est en préparation. Et vous êtes invités à y participer. C’est aussi un moyen structurel pour favoriser les échanges et pour se soutenir, comme le chantait G. Brassens avec les «Copains d’abord», sachant et ayant conscience que l’on réalise un travail utile pour la société et pour les personnes. J Références : Lemoine, C. (2002). Enjeux du savoir scientifique dans le conseil et l’intervention dans les organisations. Psychologie du Travail et de Organisations. 8, n°2, 13-32. Lemoine, C. (2003). Psychologie dans le travail et les organisations. Paris, Dunod, Topos. Lemoine, C. (2005). Se former au bilan de compétences. Paris, Dunod. Lemoine, C. & Goby, L. (2003). De l’évaluation à l’auto-description des compétences. In : Actes du colloque international AFPA-INOIP. La place de l’évaluation dans les processus d’orientation professionnelle des adultes. Lomme/Lille, INOIP, 156166. Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -75- Postface Et ce fut un moment de bonheur ! Claude LEMOINE * C’est par ces mots que Bruno Simon concluait le colloque international «L’approche psychologique du travail» organisé par l’INOIP-AFPA et l’AIPTLF*, à Lille, les 17 et 18 novembre 2005. Il évoquait par là la conférence d’ouverture d’Estelle Morin (HEC Montréal) qui montrait comment les psychologues pouvaient contribuer à améliorer la qualité de vie au travail. Si apprendre dans son travail constitue un des facteurs du plaisir que l’on peut trouver en travaillant, alors ce colloque a sans doute été une belle réussite car on y a beaucoup appris. Au fil des communications, quatre thèmes majeurs apparaissaient et permettaient de découvrir comment des enseignants chercheurs, en liaison avec le terrain social, traitaient les questions qui en ressortaient et proposaient des perspectives de recherche et d’intervention. L’orientation professionnelle a été abordée par J. Aubret (INETOP) à partir de la validation des acquis de l’expérience. Il a insisté sur la nécessaire critique de la notion de compétences, ambiguë, qui ouvre sur une logique différente de celle de qualification, et sur l’analyse de l’expérience comme reconnaissance de soi, sachant que l’expérience ne qualifie pas toujours. Il s’est interrogé sur le rôle du psychologue qui, dans ce contexte, apporte des repères, mais se trouve aussi mandaté par d’autres, et doit éviter de s’enfermer dans une seule pratique sociale. Dans ce cadre, les méthodes d’intervention, comme l’entretien de conseil notamment, ont été étudiées en tant qu’interactions spécifiques : A. Lhotellier a développé les conditions du tenir conseil, situation de co-construction du sens dans une communication dialogique, tandis que J.L. Bernaud (Rouen) a présenté les recherches actuelles sur le counseling de carrière pour montrer ce qui se joue dans la relation, ce que le professionnel communique sur lui-même et ce qui en résulte sur le niveau de révélation de soi du côté du bénéficiaire. Dans une démarche proche, A. Trognon & M. Batt (Nancy 2) ont donné un exemple d’analyse de dialogues entre médecin, psychologue et patient, à partir de la pragmatique formelle et empirique, où il apparaît entre autre que le demandeur ajuste son discours au professionnel mais réalise aussi des inférences implicites parfois inexactes. Les recherches sur les formes d’intervention du psychologue ouvrent ainsi un domaine pertinent à l’analyse de ses pratiques verbales et de leurs effets. Le thème de la formation professionnelle a permis d’aborder le problème de l’engagement puis du maintien en formation, avec C. Lagabrielle et A.M. Vonthron (Bordeaux 2), à partir d’une enquête soulignant notamment l’importance de facteurs extrinsèques avant la formation et de la motivation à apprendre après son commencement. Puis P.H. François (Poitiers) a présenté une synthèse de deux modèles de la motivation, celui de Vroom et celui de Bandura, tout en prolongeant sa réflexion sur leurs retombées pratiques et sur leurs limites selon les publics et les cultures. C’est dans cette logique relative à la perception de soi et de ses capacités que G. Herman (Louvain la Neuve) a situé ses travaux sur les conséquences du chômage en tant que stigmatisation handicapante. Elle a aussi traité des moyens à mettre en œuvre pour résister aux identités négatives, comme l’appartenance à un groupe plus valorisé, la construction d’une image positive de soi renvoyant les événements au contexte, la formation non centrée seulement sur le professionnel, l’investissement vers d’autres sphères que celle du travail. Il en ressort que ces communications ont souligné la place du psychologue pour activer les liaisons entre activité, formation et restauration ou valorisation du sentiment d’identité. Le troisième thème fut davantage consacré aux dimensions organisationnelles dans lesquelles se trouvent les individus. E. Morin a passé en revue plusieurs modèles pour mettre en évidence les facteurs qui contribuent à développer le bien-être au travail. Elle a souligné qu’il n’y avait pas de modèle général et que le sens donné au travail, élément central pour équilibrer les sentiments à la fois heureux et malheureux, variait selon les groupes. Elle a été rejointe en cela par G. Vinsonneau (Paris 5) qui a insisté sur l’aspect culturel et construit de l’identité et sur l’intérêt de la méthode comparative permettant d’éviter les généralisations uniformisantes, de respecter l’altérité et de défendre la diversité culturelle. Pour sa part, A. Savoie (Montréal) a proposé un modèle du changement organisationnel en plusieurs étapes permettant d’éviter les résistances dans la mesure où le changement est réalisé par les destinataires eux-mêmes dans un processus de concertation au niveau des activités vécues, dans un contexte non menaçant, informatif et participatif dans les solutions à trouver. Quant à G. Masclet (Lille 3), il a cherché à poser la bonne question face à un management dominé par le seul objectif des bénéfices et transformant l’aide et le service à autrui «que l’on rend» en services marchands «que l’on vend». A nouveau, la place du psychologue dans ce système a été posée. Elle consiste d’abord à aider l’autre à se situer et à comprendre plutôt qu’à subir. Dans le cadre des organisations, l’une des activités du psychologue est aussi de s’occuper du recrutement, activité positive à valoriser, par rapport aux délocalisations ou aux licenciements, puisqu’elle consiste à insérer de nouvelles personnes dans l’entreprise. Mais l’évaluateur, qui cherche des méthodes valides, se trouve aussi confronté à des représentations stéréotypées pouvant altérer son expertise. Ainsi l’a démontré P. Desrumaux (Lille 3) qui propose d’utiliser davantage les bio data fondés sur l’expérience professionnelle et les tests d’aptitude, plus valides, afin de réduire ces biais. De leur côté, L. Dagot (Bordeaux 2) et H. Legrain (INOIP/AFPA), dans une recherche sur les décisions de recrutement, ont mis en évidence l’importance de la norme d’allégeance et de la conformité aux attentes sociales, dimensions souvent cachées ou implicites. Avec l’aide du psychologue, la connaissance et la prise en compte de ces normes par les demandeurs d’emploi, en terme de rôle social à tenir, pourraient faciliter leur insertion professionnelle. Enfin, en session de clôture, Claude Lemoine (Lille 3), en s’appuyant sur les domaines traités précédemment, a cherché à dresser un panorama des orientations et des possibilités d’intervention de la psychologie du travail et des organisations. Il a insisté sur la capacité à élaborer des modèles théoriques et des méthodes à partir de l’analyse des situations vécues, afin de mieux comprendre les enjeux et de placer les interventions professionnelles au niveau de la qualité. La référence aux modèles, l’attention aux personnes, l’apport de méthodes élaborées avec elles, la capacité de recul et d’analyse, la prise en compte du contexte sont autant d’atouts qui dessinent le rôle du psychologue. Mais celui-ci, dans le domaine du travail, doit compter avec une insuffisance de reconnaissance et de visibilité sociale. Favoriser la réflexion théorique et la recherche centrée sur le terrain, développer la formation continue et la capacité à analyser les situations rencontrées, s’organiser en réseaux pour échanger sont des moyens à développer pour y faire face et ouvrir des perspectives d’avenir. * Claude Lemoine : professeur de psychologie à l’Université Lille 3, Laboratoire PSICO, responsable du master psychologie du travail et des organisations, président de l’Association Internationale de Psychologie du Travail de Langue Française (AIPTLF), [email protected] Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -77- Remerciements Bruno SIMON, Directeur de l’INOIP, tient à remercier l’ensemble des acteurs qui ont contribué à la réussite de cette manifestation : - L’AIPTLF, co-organisatrice, et son président, Claude Lemoine, pour la coordination scientifique qu’il a assuré - Les intervenants pour leur enthousiasme, le niveau de leurs interventions, leur talent - Les participants pour la qualité de leur écoute et l’intérêt qu’ils ont montré durant les deux jours de conférence - Francis Danvers pour l’excellence de son animation et des synthèses - Nos partenaires : Les Editions Elsevier L’Ecole Supérieure de Commerce de Lille La Mairie de Lille Fiduciale Bureautique pour avoir contribuer à vous recevoir dans des conditions de confort maximales - Les techniciens de la section tourisme du centre AFPA de Lomme et les assistantes de l’INOIP pour leur attention et leur bienveillance à vous accueillir - Les membres du comité d’organisation, pour leur implication et le professionnalisme dont ils ont fait preuve lors de la préparation et du déroulement de ce colloque : Christian Brown, Patricia Haussaire, Claude Lemoine, Jean-Gabriel Toulisse, Marc Trzeciak, Isabelle Woestelandt, Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -79-