L`approche psychologique du travail

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Colloque AFPA/INOIP/AIPTLF
17 et 18 novembre 2005
Actes du colloque
international
L'approche
psychologique
du travail
ses apports dans les champs
de l'orientation, de la formation
et des ressources humaines
INSTITUT NATIONAL DE L'ORIENTATION ET DE L'INSERTION PROFESSIONNELLES
Direction de l'Ingénierie
et ASSOCIATION INTERNATIONALE DE PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL DE LANGUE FRANCAISE
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -2-
L’approche psychologique du travail
Organisé en partenariat avec l’Association Internationale de Psychologie du Travail en
Langue Française, premier réseau mondial francophone dans le champ de la psychologie du
travail et des organisations, le colloque dont témoignent ces actes s’est révélé un moment clef
de réflexion à travers la présentation de nombreux travaux conduits sur les questions
d’orientation professionnelle, de formation et de ressources humaines.
Comme nous en avons coutume chaque année depuis maintenant trois ans, ce colloque a voulu rassembler autour d’un même échange chercheurs et praticiens pour contribuer à
fonder des pratiques plus éclairées pour les professionnels à travers la présentation de travaux parmi les plus actuels. Il s’inscrit clairement dans les missions de l’Institut National de
l’Orientation Professionnelle de l’AFPA, sur le champ du développement, de méthodes et
d’instruments à l’articulation de la recherche et de la pratique.
En rassemblant 250 participants autour de 14 intervenants il a formidablement illustré la
diversité des approches mobilisées en psychologie pour traiter de l’homme au travail. Il a ainsi
permis de souligner la richesse qu’apportait justement cette diversité offrant aux nombreux
participants une occasion unique de ressourcement et de prise de recul vis à vis d’un exercice
professionnel très prégnant.
Ouvert par Estelle Morin sur les conditions de « bien être » et « de mal être » au travail,
l’ensemble des autres interventions s’est situé dans la continuité avec trois thématiques dominantes :
- La nécessité du sens pour « agir sensé » comme l’a fortement rappelé Alexandre Lhotellier,
- La centralité de l’homme dans toutes les problématiques traitées,
- Les effets majeurs des contextes dans lesquels sont immergées les personnes.
Il a aussi fréquemment illustré cette phrase de Bertrand Russel : « la logique est la
science qui fonde les idées vraies, la psychologie la science qui explique les idées fausses ».
Les travaux présentés dégagent de nombreuses perspectives pour des partenariats entre recherches et applications. Ces actes devraient permettre à chaque lecteur de trouver
nombres de repères permettant de nourrir sa réflexion pour conduire à des pratiques plus
étayées.
Ils nous engagent aussi, en tant que bureau d’études, à faire que ce colloque ne soit
pas seulement un événement mais qu’il irrigue nos travaux en matière de démarches et
d’instrumentation des professionnels, tout comme de développement de compétences.
Placé sous le signe de l’écoute et de la réflexion ce colloque a atteint ses objectifs
comme nous l’a confirmé le haut niveau de satisfaction exprimé tant par les participants que
par les intervenants. Gageons que le lecteur retrouvera dans ces Actes quelque peu du souffle de ce colloque joliment qualifié par André Savoie de « grand moment de célébration psychologique ».
Bruno SIMON
Directeur de l’INOIP
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -3-
Sommaire
Jeudi 17 novembre 2005
Conférence d’ouverture
Estelle MORIN (HEC MONTREAL)
Souffrances et plaisirs au travail. Contributions des psychologues à l’amélioration
de la qualité de vie au travail
page
7
Jacques AUBRET (CNAM INETOP - Paris)
De la logique de compétences à l’analyse de l’expérience : le cas de la VAE
13
Christine LAGABRIELLE et Anne-Marie VONTHRON (Univ. BORDEAUX)
L’engagement en formation - Quels processus pour comprendre l’entrée et le
maintien dans un parcours de formation professionnelle continue ?
19
Alain TROGNON (Univ. NANCY II)
Les métiers de l'interaction : leur développement et le développement de leurs
études
23
Georges MASCLET (Univ. LILLE III)
Manager humainement ! Pourquoi et Comment ?
29
Pierre Henri FRANCOIS (Univ. POITIERS)
Sentiment d’efficacité personnelle et évaluation de la motivation
35
Geneviève VINSONNEAU (Univ. PARIS V)
Dynamiques interculturelles, travail et variations des identités
39
André SAVOIE (Univ. MONTREAL)
Prévenir les résistances en monitorant (et bien sûr en gérant) les préoccupations
des destinataires du changement
43
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -4-
Vendredi 17 novembre 2005
page
Jean Luc BERNAUD (Univ. ROUEN)
Les apports des recherches sur le counseling de carrière : analyser les processus
en jeu dans les consultations d'orientation
47
Pascale DESRUMAUX (Univ. LILLE III)
Recrutement et évaluation du personnel : des biais de jugements aux méthodes
valides
13
Ginette HERMAN (Univ. LOUVAIN)
Entre chômage et travail : comment résister aux identités négatives ?
59
Alexandre LHOTELLIER
Des conditions fondamentales, nécessaires et motivantes pour tenir conseil
ou de quelques considérations inactuelles et intempestives
63
Lionel DAGOT (Univ. Bordeaux II) et Hervé LEGRAIN (AFPA / INOIP)
Norme d'internalité et allégeance
67
Claude LEMOINE (Univ. LILLE III)
Tendances et questions actuelles en psychologie du travail
71
Claude LEMOINE
Postface
77
Les actes reprennent l’ordre de présentation des communications. Celles-ci portent sur quatre thèmes principaux : l’orientation professionnelle et le conseil, la
formation continue, l’évaluation en recrutement, le management et la place des
personnes dans le travail et les organisations. Pour chacun des champs, l’activité
des psychologues intervenant dans le domaine du travail est précisée.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -5-
Souffrances et plaisirs au travail.
Contributions des psychologues à l’amélioration de la qualité de
vie au travail.
Estelle M. MORIN
Ph.D., psychologue et professeur titulaire, HEC Montréal
J
Le travail joue un rôle important
dans le développement de la personne. À
prime abord, il lui permet d’assurer sa
subsistance et des conditions de vie
décentes, c’est certain, mais ce n’est pas
là son seul intérêt. Le travail est avant tout
une activité par laquelle une personne se
définit, s’insère dans le monde, actualise
son potentiel, et crée de la valeur, ce qui
lui donne, en retour, le sentiment
d’accomplissement et d’efficacité personnelle, voire peut-être un sens à sa vie.
Toutefois, il arrive que des facteurs de l’organisation du travail engendrent des problèmes de santé mentale,
entraînant des conséquences désastreuses non seulement pour les personnes
mais aussi pour l’entreprise. Ainsi, le
travail est source de souffrances tout
autant que de plaisirs. Actuellement, les
coûts associés aux problèmes de santé
au travail sont tels que plusieurs gestionnaires ont dû mettre en place des mesures pour les prévenir et promouvoir la
qualité de vie au travail.
Cette conférence a pour but de
présenter les contributions que peuvent
apporter les psychologues à la compréhension des souffrances et des plaisirs
associés au travail ainsi qu’au développement de pratiques managériales permettant de prévenir les troubles de santé
mentale et de promouvoir la qualité de vie
au travail.
Quand on songe au travail, on
pense bien souvent à l’emploi. Pourtant,
le travail est bien plus qu’un emploi. Le
travail est une activité primordiale pour la
préservation de la santé des personnes.
Parce qu’il permet à la personne
de produire des résultats qui lui sont
singuliers, parce que ses produits sont
utiles, servent à quelque chose, le travail
permet à la personne de faire la preuve
de son existence, de se reconnaître et
d’être reconnue. En raison de ses routines
et de sa quotidienneté, le travail est aussi
un formidable moyen de se défendre
contre l’angoisse du vide. Pour s’en
convaincre, on a qu’à écouter la détresse
des gens qui se retrouvent au chômage
du jour au lendemain, ou encore celle des
personnes qui prennent leur retraite à un
âge précoce.
déjà cette opinion en 1990 et l’a renforcée
en 2001 (NIOSH, 2001). S’il est exact que
les problèmes de santé, physique mais
aussi psychologique, des employés peuvent être engendrés par des dispositions
personnelles, des styles de vie désorganisés, ou des problèmes personnels, on
reconnaît aujourd’hui qu’ils peuvent aussi
être engendrés par des problèmes
d’organisation du travail et des mauvaises
conditions de travail (Kahn et Langlieb,
2003 ; Kalimo, El-Batawi et Cooper, 1987;
Quick et Tetrick, 2003).
Ce n’est que depuis récemment
(depuis 20 ans) que l’on apprécie à sa
juste valeur l’importance du travail pour
préserver et stimuler la santé des personnes. Et c’est encore plus récemment que
des gestionnaires reconnaissent les impacts que peut avoir le travail sur la santé
(Barling et Frone, 2004 ; Kahn et Langlieb, 2003 ; Quick et Tetrick, 2003 ;
Vinet, 2004). Au Canada, Stephens et
Joubert (2001) évaluent que la dépression
et l’anxiété auraient coûté au moins 14,4
milliards de dollars en frais médicaux,
perte de production, indemnisations, etc.
Aussi, on attribue aux troubles de santé
mentale et physique l’aggravation de
plusieurs indicateurs de performance
organisationnelle dont l’absentéisme, les
accidents de travail, les départs volontaires, les conflits, le harcèlement, l’inefficience, et la diminution de l’engagement
des employés (Danna et Griffin, 1999 ;
Dierendonck, Haynes, Borrill et Stride,
2004). L’Organisation Mondiale de la
Santé (OMS, 1999) estime qu’en 2020, la
dépression sera au second rang des
maladies, entraînant le plus lourd fardeau
en matière d’incapacité dans le monde.
Or, les problèmes de santé au travail ne
seront pas endigués tant et aussi longtemps que les facteurs qui sont à leur
origine ne seront pas déterminés, reconnus et corrigés. Le National Institute for
Occupational Safety and Health émettait
Pourtant, on continue de gérer le
travail de façon à produire des résultats
financiers attendus, mais pas nécessairement pour réaliser la raison d’être de
l’organisation qui rend légitimes ses activités, ni pour contribuer au développement
des personnes ou celui de la société. Se
posent alors des questions éthiques
importantes mettant en cause le travail
dans ces organisations.
En effet, le travail est déshumanisé dans beaucoup d’entreprises, y compris celles des services publics : les personnes sont des ressources, les temps de
travail sont réduits à l’état d’urgence, les
rythmes de travail s’accélèrent, les frontières entre les espaces et les sphères de
l’existence se fondent et se confondent, le
travail lui-même devient incertain et, quant
à l’avenir, encore plus incertain. Encore
aujourd’hui, des soupirs d’impatience,
d’impuissance voire de résignation se font
entendre à tous les paliers des organisations. Il est grand temps d’y voir, car les
problèmes de santé engendrés par le
travail ou les conditions dans lesquelles il
s’effectue augmentent à tel point que cela
pourrait devenir un problème de santé
publique.
Dans les organisations, nombre
d’efforts ont été faits au cours des dernières années pour soulager la souffrance,
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -7-
notamment par le biais des programmes
d’aide aux employés. Beaucoup de programmes ont été mis en place pour aider
les gens à reconnaître les signes et les
symptômes du stress avant que la situation ne s’aggrave, grâce à des programmes de mieux-être, des activités de sensibilisation, des séminaires de perfectionnement ou des politiques d’hygiène de vie
et de promotion de la santé. Ces efforts
ont essentiellement porté sur le développement de stratégies individuelles pour
faire face au stress ou pour recouvrer la
santé. Il faut féliciter les employeurs qui
ont eu le courage de soutenir ces programmes et qui veillent à les enrichir.
Par ailleurs, la recherche dans le
domaine de l’organisation du travail (job
design) est encore très éparse. En effet,
les connaissances dans ce domaine sont
dispersées à travers différents courants,
modèles ou disciplines, rendant difficile la
synthèse et ardus les progrès.
L’organisation du travail est un concept
complexe mettant en jeu des facteurs à
différents niveaux d’analyse : individuel
(psychologie, médecine, santé, etc.),
groupal (psychosociologie, psychologie
sociale, administration, etc.), organisationnel (administration, stratégie, économie, finances, etc.) et sociétal (sociologie,
anthropologie, etc.). Il y a aussi très peu
de publications dans ce domaine. Nous
avons effectué une recherche de titres,
publiés depuis 1974, sur la base de données de l’American Psychological Association — qui comprend les articles publiés dans 1 932 revues scientifiques — à
l’aide des combinaisons des mots clés
suivants, cités dans le titre ou dans le
résumé des documents : «travail», «emploi», «efficacité», «performance», «santé» et «bien-être». Les différentes requêtes ont permis de trouver seulement 51
documents pertinents, soit en moyenne
1,7 titres par année ! Parmi ces documents, moins d’une vingtaine constituent
des articles abordant directement la question du travail et ses relations avec la
santé des personnes, des équipes, des
organisations et de la société.
L’organisation du travail
En psychologie, deux modèles
sont prédominants : le modèle des caractéristiques d’emploi de Hackman et Oldham (1976) et le modèle sociotechnique
de Trist (1978).
Hackman et Oldham (1976) ont
déterminé trois caractéristiques qui semblent contribuer à donner du sens au
travail : la variété des tâches (le degré
auquel un travail implique une variété de
tâches qui exigent une variété de compétences), l’identité du travail (le degré
auquel un travail permet de faire quelque
chose du début à la fin, avec un résultat
tangible, identifiable) et la signification du
travail (le degré auquel un travail a un
impact substantiel sur le bien-être ou le
travail des autres personnes, que ce soit
dans l’organisation ou dans le milieu).
Leur modèle présente deux autres caractéristiques d’un emploi stimulant :
l’autonomie (le degré auquel un travail
laisse une bonne marge de liberté,
d’indépendance, et de discrétion à la
personne pour organiser ses horaires de
travail et déterminer les façons
d’accomplir son travail) et le feedback (le
degré auquel l’accomplissement des
tâches résulte de l’information que
l’individu obtient directement sur sa performance).
D’après le modèle sociotechnique
proposé par Trist (1978), le travail doit
présenter six propriétés pour stimuler
l’engagement de celui qui l’accomplit :
1. Etre raisonnablement exigeant, comporter suffisamment de variété, reconnaissant le plaisir que procurent
l’exercice des compétences et la résolution de problèmes.
2. Offrir des occasions d’apprentissage
sur une base régulière, stimulant le
besoin de croissance personnelle.
3. Faire appel à la capacité de décision
de la personne, reconnaissant le besoin d’autonomie et le plaisir tiré de
l’exercice du jugement personnel au
travail.
4. Reconnaître le travail accompli et
soutenir les efforts, stimulant le besoin
d’affiliation et d’appartenance.
5. Permettre de relier l’exercice des
activités à leurs conséquences sociales, contribuant à la construction de
l’identité sociale et à la sauvegarde de
la dignité personnelle.
6. Pouvoir envisager un futur désirable ;
cela pourrait impliquer des activités de
perfectionnement et d’orientation pro-
fessionnelle, reconnaissant l’espérance comme un droit humain.
En plus de ces aspects intrinsèques du travail, le design des systèmes
sociotechniques prend en considération
plusieurs aspects extrinsèques pouvant
affecter l’engagement au travail, tels que
le salaire, les conditions matérielles et
physiques et les règles organisationnelles
(Ketchum et Trist, 1992).
Ces deux modèles ont été développés dans des milieux de travail anglosaxons dans les années 60. Depuis, le
travail a beaucoup changé, ne serait-ce
qu’en raison de l’évolution des technologies et de l’élévation du niveau de scolarité de la population active. Quelles sont les
caractéristiques d’un travail qui a du sens
aujourd’hui, en 2005 ?
Depuis 1993, nous menons des
enquêtes dans différents milieux afin de
déterminer les caractéristiques d’un travail
qui a du sens (Morin, 1997 ; Morin et
Cherré, 1999 ; Morin, 2001 ; Morin,
2003a, 2003b). Le modèle qui semble se
dégager de l’ensemble des recherches
menées au Québec depuis 1997 est
composé de cinq facteurs : l’utilité du
travail, la rectitude morale, des occasions
d’apprendre et de se développer,
l’autonomie, et la qualité des relations.
Un travail qui a du sens est utile
pour la société ou pour les autres. À
l’instar du modèle sociotechnique, il importe de faire quelque chose qui serve à
quelque chose, à quelqu’un, qui apporte
une contribution aux autres ou à la société. Le travail a du sens lorsqu’il est fait
d’une façon responsable, non seulement
dans son exécution, mais aussi dans les
produits et les conséquences qu’il engendre.
Voici une autre dimension qui est
assez peu répandue dans les modèles
d’organisation du travail : la rectitude
morale. Les problèmes éthiques et moraux constituent une préoccupation grandissante dans les milieux de travail. Par
exemple, Jackall (1996) décrit le dilemme
moral dans lequel se trouvent des gestionnaires alors qu’ils sont témoins de la
médiocrité des décisions prises à l’égard
des salariés ; ils se voient coincés entre
leurs valeurs personnelles de justice et
d’honnêteté et leurs ambitions de carrière.
Tandis que certains font le choix d’agir
comme le dicte leur conscience, d’autres
sacrifient leur moralité et jouent le jeu de
la «survie». Courpasson (1997) a observé
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -8-
le même phénomène auprès des cadres
français : si un cadre veut progresser
dans l’entreprise, il est essentiel qu’il
maîtrise l’art de bien se faire voir et reconnaître par ses supérieurs, quels que
soient les moyens qu’il prenne. Il va de soi
que de tels agissements ont un prix :
l’intégrité personnelle. Le travail est une
activité qui met des personnes et des
groupes de personnes en relations, qui
donnent lieu à des conflits et qui entraînent des conséquences qui ne sont pas
toujours prévisibles. Un travail a du sens
lorsqu’il s’accomplit dans un contexte qui
respecte les règles de bienséance et de
devoir et lorsqu’il est inspiré par des
valeurs morales et spirituelles.
Pour que le travail ait un sens, il
doit également procurer du plaisir à la
personne qui l’effectue. Pour cela, il doit
correspondre à ses intérêts, faire appel à
ses compétences, stimuler le développement de son potentiel et lui permettre
d’atteindre ses objectifs de manière efficace.
Pour que le travail ait un sens, il
doit aussi permettre à celui qui le fait
d’être autonome, c’est-à-dire de pouvoir
exercer ses compétences et son jugement, de faire preuve de créativité dans la
résolution des problèmes et d’avoir voix
au chapitre quant aux décisions qui le
concernent. Cela nécessite la restauration
de la dignité humaine dans les pratiques
managériales contemporaines.
Pour que le travail ait un sens, il
doit être fait dans un milieu qui stimule le
développement
de
relations
professionnelles positives : faire un travail
qui permet d’avoir des contacts
intéressants, des bonnes relations avec
les autres, de développer une complicité
avec ses collègues.
L’impact du travail sur la santé et le
bien-être psychologique des personnes
En médecine du travail, il est admis que l’organisation du travail a des
effets sur la santé physique et psychologique (Davezies, 1999). Warr (1987) a
même qualifié les effets du travail comme
étant
vitaminiques.
Autant
que
l’organisation du travail le permet, le
travail agit comme un véritable tonique sur
l’identité personnelle, en outre parce qu’il
contribue à rehausser l’estime de soi. De
Jonge et Schaufeli (1998) ont récemment
testé le modèle de Warr dans les milieux
de la santé et ils ont trouvé en effet que
les caractéristiques de l’emploi (c’est-àdire les exigences du travail, le degré
d’autonomie et le soutien social) sont
reliées au bien-être psychologique des
employés. Ces résultats corroborent la
recherche dirigée par Karasek qui examine deux facteurs déterminants : la
charge de travail (physique et mentale) et
l’autonomie décisionnelle (le pouvoir
d’agir et la possibilité de s’accomplir).
Le travail a donc des effets négatifs et positifs sur la santé des personnes.
Dans nos enquêtes sur la santé au travail,
nous évaluons trois indicateurs : la santé
physique, la détresse psychologique
ressentie au cours de la dernière semaine
et le bien-être psychologique ressenti au
cours de la dernière année. Cela nous a
permis de découvrir entre autres que les
facteurs qui expliquent le mieux la détresse psychologique ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui expliquent
le mieux le bien-être psychologique.
Mais avant d’aborder ce sujet, faisons le point sur la définition de la santé
mentale. Plusieurs auteurs s’entendent
pour dire que la santé mentale constitue
un concept multidimensionnel (cognitif,
motivationnel, affectif, social) référant non
seulement à l’absence de maladie (ex. :
anxiété, dépression, irritabilité, insatisfaction au travail), mais aussi à la présence
de manifestations positives (ex. : croissance personnelle, actualisation de soi,
atteinte des buts valorisés par l’individu)
(Kasl, 1992). La santé mentale fait également référence à la notion d’équilibre. Tel
que définie par l’OMS (1948), la santé
réfère a un état de bien-être physique,
mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou
d’infirmité.
Dans la recherche sur la santé au
travail, deux modèles servent de référence : celui de Karasek et celui de Siegrist. Pour Karasek et Theorell (1990),
deux facteurs déterminent le niveau de
stress vécu au travail : les demandes
psychologiques (les exigences de l'emploi
et la charge de travail) et la latitude décisionnelle (la marge d’autonomie et la
diversité des compétences mobilisées).
Le niveau de stress serait à son maximum
lorsque les demandes psychologiques
sont élevées et que la latitude décisionnelle de l'employé est faible. Le niveau de
stress serait toutefois diminué en présence de soutien. Ainsi, ce modèle permet de comprendre l’impact de deux
facteurs de risque, les demandes psycho-
logiques et la latitude décisionnelle, et
d’un facteur de protection, le soutien
social.
Selon Siegrist (1996), ce serait le
déséquilibre perçu entre les efforts qu'un
employé déploie dans son travail et les
récompenses qu'il en reçoit qui entraîne le
stress. Les effets de ce déséquilibre perçu
seraient plus néfastes pour les personnes
qui ont tendance à sous-estimer le niveau
des exigences du travail et à sur-estimer
leurs ressources personnelles. Celles-ci
sont dites «sur-engagées»
(overcommitted).
Les facteurs de stress pouvant
entraîner des problèmes de santé sont
largement reconnus. Il y a la charge de
travail, l’autonomie, l’équilibre effortsrécompenses, le soutien et le niveau
d’engagement des personnes dans leur
travail. À cette liste, nous proposons
d’examiner d’autres facteurs pouvant
aussi avoir des impacts sur la santé et le
bien-être psychologique : les horaires de
travail, la reconnaissance, les occasions
d’apprentissage, la rectitude morale,
l’utilité du travail, et la qualité des relations
avec les collègues et le supérieur immédiat. Nous avons examiné les relations
entre ces facteurs et les trois indicateurs
de santé dans plusieurs échantillons au
Québec.
Dans un échantillon de 582 cadres supérieurs des établissements de
santé et de services sociaux du Québec,
ce sont la charge de travail, la reconnaissance et le soutien du supérieur immédiat
qui expliquent le mieux l’état de détresse
psychologique. En effet, si le sujet perçoit
son travail comme ayant une charge
adaptée à ses capacités, pour lequel il se
sent reconnu et qu’il peut compter sur le
soutien de son supérieur, alors le score
qu’il obtient à l’indicateur de détresse
psychologique au cours de la dernière
semaine tend à être faible, c’est-à-dire
que le risque de présenter un état de
détresse psychologique (à court terme)
est faible. Cette observation corrobore les
résultats trouvés par d’autres chercheurs
dont Karasek et Theorell (1990).
Par contre, les occasions
d’apprentissage, l’autonomie et la qualité
des relations avec les collègues sont les
facteurs qui expliquent le mieux l’état de
bien être psychologique. En d’autres
termes, si le cadre supérieur éprouve du
plaisir à faire son travail, qu’il perçoit qu’il
a de l’autonomie pour le faire et qu’il a des
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -9-
bonnes relations avec les autres, alors le
score qu’il obtient à l’indicateur de bienêtre psychologique au cours de la dernière année tend à être élevé, c’est-à-dire
que la chance de présenter un état de
bien-être psychologique (à moyen ou long
terme) est élevée.
Dans un autre échantillon, celui
de 238 employés d’un pénitencier fédéral
à sécurité maximale, ce sont les occasions d’apprentissage, la qualité des
relations et la charge de travail qui expliquent le mieux l’état de détresse psychologique, alors que ce sont seulement les
occasions d’apprentissage et la qualité
des relations qui sont retenus pour expliquer l’état de bien-être psychologique.
Enfin, dans un autre échantillon,
celui de 99 employés d’un centre fédéral
de recherche, la perception de symptômes de détresse psychologique au cours
de la dernière semaine serait clairement
déterminée par les facteurs suivants : la
charge de travail, les occasions
d’apprentissage et la reconnaissance.
Quant à l’état de bien-être psychologique,
il serait mieux expliqué par l’utilité sociale,
la charge de travail et la reconnaissance.
Ces résultats portent à réfléchir
sur les modèles d’organisation du travail
et à s’interroger sur leur niveau de complexité. En outre, une question se pose de
manière persistante : serait-il possible que
la promotion du bien-être psychologique
au travail implique des interventions différentes de celles visant la prévention des
troubles de santé mentale ? Afin de promouvoir la santé au travail, il importe de
mesurer non seulement des indices de
détresse psychologique mais également
de bien-être psychologique, car il est fort
probable qu’il faille agir dans les deux
sens : la prévention des troubles de santé
et la promotion de la santé.
Fort des résultats de nos recherches au cours de 10 dernières années, il
est possible de définir les contributions
des psychologues.
Les pratiques de recrutement et
de sélection doivent continuer de faire
valoir l’importance de l’appariement des
intérêts et des compétences de la personnes avec les exigences du poste, car
cela aura un impact sur l’estimation que
l’employé fera de ses chances à atteindre
ses objectifs de travail et par conséquent,
sur le niveau de stress ressenti dans
l’exercice de ses fonctions. Les pratiques
d’orientation professionnelle et de développement de carrière doivent aider les
personnes à faire des choix qui respectent
leur identité et leurs talents, afin
d’améliorer leurs chances de s’accomplir
et de se dépasser dans leur emploi, sans
mettre en péril leur santé et leur équilibre.
Les pratiques de formation doivent être
encouragées et soutenues dans le cadre
des activités quotidiennes des employés.
Il faut porter une attention aux pratiques
de récompenses et de reconnaissance
afin d’assurer la perception de la justice et
de l’équité dans les traitements. Quant
aux pratiques d’accompagnement des
cadres, il faut les aider à développer les
compétences suivantes :
-
Donner des orientations claires à leur
personnel ainsi que des objectifs
stimulants et cohérents avec la stratégie de l’organisation
-
Valoriser et reconnaître les résultats
des personnes
-
Reconnaître les compétences de leur
personnel
-
Ajuster la charge de travail aux
capacités et aux ressources de chacun
-
Donner du support à leur équipe de
façon bien concrète.
-
Donner à leur équipe la marge de
manœuvre suffisante pour organiser
le travail de la façon qui leur apparaît
la plus efficace
-
Permettre à leur personnel d’exercer
leur jugement et leur influence dans
leur milieu
-
Faciliter le développement de relations professionnelles positives et significatives
-
Confier des responsabilités à leur
personnel et faciliter leur développement professionnel
Faut-il se rappeler ce que Freud
lui-même disait du travail : comme
l’amour, il est une nécessité vitale pour le
développement des personnes et de la
société démocratique. Le travail façonne
l’identité et la vie psychique des personnes en même temps que les personnes
façonnent et transforment, par leur travail,
la matière, l’information, les relations, et
par extension, la société dans laquelle
elles vivent ainsi que l’héritage qu’elles
laisseront aux générations futures. Les
portées du travail sont multiples : matérielles, biologiques, psychologiques, psychi-
ques, sociales, spirituelles, économiques.
Il est essentiel de comprendre les principes à l’œuvre dans l’organisation du
travail afin de pouvoir préserver la santé
psychologique et stimuler l’engagement
des employés.
J
Bibliographie
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Courpasson, D. (1997). Le retour de la
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -11-
De la logique de compétences à l’analyse de l’expérience :
le cas de la Validation des Acquis de l’Expérience
Jacques AUBRET
Professeur émérite INETOP/CNAM (Paris)
J
Le langage des « compétences »
sature les échanges entre les différents
acteurs et partenaires du monde professionnel, de la formation et des pratiques
sociales attachées à l’orientation et à
l’insertion professionnelle. La « logique
des compétences » comme façon de
penser et de poser le problème des relations de l’homme au travail peut se comprendre comme une manière cohérente
de présenter et de justifier certaines pratiques de gestion et de management « de »
et « par » les compétences.
Nous nous interrogeons, cependant, sur le caractère potentiellement
réducteur de cette logique plutôt attachée
à l’immédiateté adaptative et au constat
d’efficacité en situation qu’à la manifestation du potentiel adaptatif des individus et
à l’explicitation des conduites de changement qui permettraient d’exprimer ce
potentiel de manière efficace.
A partir des pratiques touchant à
la validation des acquis de l’expérience
(VAE), nous tenterons de clarifier différents aspects de la contribution de la
psychologie en matière d’évaluation,
d’orientation et d’accompagnement des
personnes en transition, lorsqu’elle permet de considérer l’«expérience » non
seulement comme « preuve » d’acquis et
de compétences mais comme « indicateur » des changements en cours et
des évolutions possibles.
_____________________________
« Christophe a 21 ans. Il a quitté le Lycée
il y a trois ans sans aucun diplôme et
aucune qualification professionnelle et
s’est engagé dans la vie active pour gagner son indépendance et sa liberté. Il ne
s’est jamais trouvé sans travail, acceptant
tous les petits boulots qui se présentaient:
livraison de colis, service à domicile,
station service, animation dans une
grande surface (« père noël »), surveillant
en Lycée pour un remplacement de quatre mois, et même intermittent du spectacle (« régie »). Cette succession de contrats à durée déterminée et d’embauches
à la demande attachés à de faibles rémunérations et sans perspective d’évolution
est mal vécue. Christophe n’a pas de
projets d’avenir mais se demande comment il pourrait sortir de la précarité qu’il
accepte de moins en moins. Il a entendu
parler de la VAE (Validation des Acquis
de l’Expérience), comme une seconde
chance dans un parcours de qualification,
accessible à tous ceux qui ont trois
années d’expérience professionnelle, ce
qui est son cas. Mais personne ne sait
vraiment pas comment prendre ses
interrogations. Psychologues, conseillers
de bilan ou accompagnateurs vont à tour
de rôle s’intéresser à son expérience,
constater ses qualités d’adaptation, son
intelligence pratique, son initiative et son
autonomie, et ses capacités à agir de
manière efficace dans les tâches qui lui
sont confiées. Mais son parcours d’emploi
est atypique. Christophe présente les
caractéristiques d’une personne efficace
et compétente, mais ses références professionnelles portent sur des emplois
« non qualifiés ».
Ce cas, illustre la solidarité des
problèmes qui se posent aux personnes
dès l’entrée dans la vie professionnelle,
confrontées à la précarité des emplois et
au chômage, et placées dans l’obligation,
à un moment ou l’autre, de développer
des stratégies d’adaptation qui dépassent
les seules considérations sur le court
terme (développement de l’employabilité
par la qualification professionnelle, projets
d’orientation et de carrière, projets personnels, etc.). Lorsque les psychologues
du travail inscrivaient l’exercice de leur
métier dans la gestion des ressources
humaines, ils étaient à la fois « gestionnaires » (participation à la définition
des règles de gestion relatives aux res-
sources et aux emplois) et « opérateurs »
(implication directe dans le recrutement).
Lorsqu’ils s’investissent dans le champ
éducatif et social, ils ne peuvent pas être
seulement les agents de la collectivité au
service de mandats ou de missions qui
sont définis en dehors d’eux et souvent
sans eux, mais ils répondent à des cahiers de charges personnalisés qui reconnaissent le droit et la qualification des
personnes bénéficiaires à traiter de leurs
problèmes et leur qualité de psychologue
intervenant comme conseillers accompagnateurs au service de ces démarches
personnelles.
Il pourrait sembler paradoxal de
partir des procédures de Validation des
Acquis de l’Expérience, pour traiter de la
posture des psychologues dans le champ
social, alors que ceux-ci n’ont ni les compétences ni les prérogatives des valideurs
et des certificateurs. Toutefois, il n’est pas
hors de propos de se demander comment
un dispositif, « situé » dans le temps, peut
porter en lui toutes les ambiguïtés et
contradictions qui se posent à un moment
donné, dans les représentations et la
gestion par la collectivité des rapports
« individu-collectivité ». C’est d’ailleurs
parce qu’ils sont impliqués dans la résolution de ces contradictions que les psychologues ont plus que jamais un rôle à jouer
près des individus et des organisations.
Ainsi, pour mieux comprendre les évolutions que l’on a vu se dessiner à partir des
années 1980, dans l’exercice du métier de
psychologue et que l’on a vu se préciser
avec le développement des bilans de
compétences dans les années 1990, nous
partirons de l’analyse du dernier né des
dispositifs mis en œuvre par les pouvoirs
publics pour favoriser l’accès à la qualification professionnelle sur la base de la
validation des acquis de l’expérience.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -13-
La validation des acquis de
l’expérience (vae) : pratique
sociale et présupposés
La validation des acquis professionnels et de l’expérience est entrée
dans la législation française et dans le
code du travail de manière progressive.
Trois étapes significatives ont marqué
cette histoire :
-
-
-
dispense de titres requis pour accéder
à une formation diplômante : un décret du 23 août 1985 fixait les conditions de validation des études, expériences professionnelles ou acquis
personnels en vue de l’accès aux différents niveaux de l’enseignement
supérieur ;
dispense de parties d’examen pour
l’obtention d’un diplôme : selon la loi
du 20 juillet 1992, toute personne qui
avait exercé pendant cinq ans une activité professionnelle pouvait demander la validation d’acquis professionnels (VAP) pour justifier d’une partie
des connaissances et des aptitudes
exigées en vue de l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur et
pour tous les diplômes de
l’enseignement technologique et professionnel classés aux niveaux III, IV
et V de la nomenclature des niveaux
de formation. Les dispositifs créés en
application des textes de 1992 ont
fonctionné depuis 1993 pour les diplômes du secondaire et du supérieur,
depuis1998 pour les diplômes du ministère de l’agriculture et 1999 pour
les Brevets d’état du ministère de la
jeunesse et des sports, jusqu’à la
promulgation d’une nouvelle loi en
2002.
validation par un diplôme sanctionnant les acquis de l’expérience. Les
articles de la loi dite de « modernisation sociale » du 17 janvier 2002
concernant la validation des acquis de
l’expérience (Vae) s’organisent autour
de deux axes : création d’un droit à la
candidature à la Vae permettant
d’acquérir tout ou partie d’un diplôme;
réorganisation de l’ensemble des diplômes garantis par l’état autour d’un
répertoire des certifications professionnelles. La durée de l’expérience
professionnelle requise pour être candidat à la Vae est ramenée de cinq à
trois ans. En outre la totalité d’un diplôme peut être obtenue par validation.
La «Vae», telle qu’elle est opérationnalisée par la loi sur la modernisation
sociale, est inscrite dans une continuité
législative et gestionnaire (acteurs sociaux
et pouvoirs publics) par des textes relevant de la formation continue, de
l’éducation permanente, du bilan de compétences, de la formation tout au long de
la vie, de la formation professionnelle :
-
Lois de Juillet 1971 sur la formation
continue et l’éducation permanente ;
-
Loi du 31 décembre 1991 sur le bilan
de compétences professionnelles et
personnelles ;
-
Convention de l’Unedic en 2001,
instituant un bilan de compétences
approfondi (BCA), pour les chômeurs
rencontrant des difficultés à trouver un
emploi ;
-
Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout
au long de la vie et au dialogue social.
L’adaptation aux mutations économiques, sociétales et culturelles affichée dans le cadre de la formation continue et de l’éducation permanente en 1971
se réduit progressivement, depuis cette
date, à des considérations sur la formation professionnelle qui devient le symbole
de la formation tout au long de la vie. On
est bien loin de l’idéal révolutionnaire
démocratique et égalitaire énoncé par
Condorcet: « L’instruction doit être universelle, c’est-à-dire s’étendre à tous les
citoyens. Elle doit, dans ses divers degrés, embrasser le système entier des
connaissances humaines, et assurer aux
hommes dans tous les âges de la vie, la
facilité de conserver leurs connaissances,
ou d’en acquérir de nouvelles ... » (rapport
présenté à l’Assemblée nationale, au nom
du Comité d’instruction publique, par
Condorcet, les 20 et 21 avril 1792). La
Vae présentée parfois comme « une
nouvelle chance » accroît paradoxalement
l’effet de cette réduction de l’éducation
tout au long de la vie à la formation professionnelle en donnant le sentiment que
l’obtention d’un diplôme remplit à elle
seule ce qui est impliqué par la nécessité
de la formation dans un parcours de vie.
En outre, deux présupposés fortement entretenus dans les discours sur la
Vae, entretiennent l’idée que l’expérience
professionnelle «qualifie» les travailleurs
et que l’ «on apprend» par l’expérience.
Certes, les compétences se mettent en
œuvre et s’évaluent à travers des réalisations professionnelles, mais l’expérience
professionnelle peut aussi être interprétée
selon ses contenus, soit comme un témoignage de l’adaptabilité des travailleurs
soit comme l’expression des routines
créées par la répétitivité des mêmes
tâches à accomplir. L’expérience peut
«déqualifier». Les difficultés de réinsertion
professionnelle que rencontrent les
travailleurs licenciés, après vingt ou trente
années de travail en usine le montrent
presque quotidiennement. De même,
personne ne contestera réellement que
l’expérience fait partie intégrante des
processus d’apprentissage, au même titre
que l’on devra admettre que des conditions psychologiques extérieures à
l’activité professionnelle (par exemple la
capacité d’apprendre des personnes, ou
l’«apprenance», selon les termes de
Carré, 2004) sont nécessaires pour
qu’une expérience laisse des traces durables en termes d’acquisition.
La Vae comme pratique sociale
trouve sa place dans un ensemble de
mesures de gestion destinées à faciliter
l’accès de tous à la formation et aux
diplômes et notamment de « publics » qui
en seraient écartés (de manière injuste),
d’accompagner le développement de
l’employabilité tout au long de la vie, de
donner une « seconde chance » à ceux
qui ont laissé échapper la première
chance offerte par la scolarité obligatoire.
Raccourcir le cas échéant les temps de
formation continue, lutter contre le chômage, inciter les personnes à retourner le
plus rapidement possible vers un emploi,
sont aussi des objectifs affichés. Mais la
Vae en raison des ambiguïtés et des
contradictions que son application soulève ne peut pas être présentée comme le
seul moyen de valoriser l’expérience
personnelle et professionnelle (Aubret &
Gilbert, 2003).
Ambiguïtés et contradictions de
la validation des acquis de
l’expérience
Les pratiques de Vae se sont situées, dès les années 1980, dans la
perspective internationale développée
autour des pratiques de validation des
acquis non formels et de la reconnaissance et de la validation des acquis (Cf.
Colardyn, 1996 ; 2002). D’une certaine
manière la validation des acquis de
l’expérience introduit une nouvelle forme
de césure entre le formel et l’informel en
sélectionnant, en quelque sorte, les expériences valorisables (recevables au terme
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -14-
de la loi). Le principe est explicite dans la
loi de modernisation sociale. En effet,
« peuvent être prises en compte, au titre
de la validation, l'ensemble des compétences professionnelles acquises dans
l'exercice d'une activité salariée, non
salariée ou bénévole, en rapport direct
avec le contenu du diplôme ou du titre. La
durée minimale d'activité requise ne peut
être inférieure à trois ans ». (cf. article 133
et 134 de la loi du 17 janvier 2002).
Dans cette sélection, le terrain le
plus favorable pour la Vae concerne les
aspects « professionnalisés » des emplois
occupés ou des activités professionnelles
exercées, c'est-à-dire ceux qui, d’une
manière ou d’une autre sont formalisés
par l’existence d’une chaîne de référentiels (référentiel professionnel, référentiel
de formation, référentiel de diplôme ou de
certification). Ces référentiels expriment
ce qui est « typique » dans un emploi, un
métier ou une profession. Ils sont
l’aboutissement de processus de
« formalisation ». Ils matérialisent l’espace
occupé par le travail dit « qualifié » : celui
que l’on aborde par un diplôme professionnel, celui qui est pris en compte dans
les conventions collectives et permet de
progresser en rémunération et dans la
carrière. Dans cet espace très organisé,
Christophe, dont on a évoqué les trois
années de parcours professionnel, présente une candidature recevable sous
l’angle de la durée de l’expérience mais
irrecevable sous celui du caractère atypique des emplois occupés.
Si la Vae se situe, par principe,
sur le terrain de la qualification, elle peut
accompagner des processus de professionnalisation comme le montrent d’une
certaine manière les statistiques résultant
des applications de la loi. La comparaison
entre les différentes études menées par la
Dares (Direction de l’animation, de la
recherche, des études statistiques du
Ministère de l’emploi, du travail et de la
cohésion sociale, 2004) et la DEP, (Direction de l’Evaluation et de la Prospective
du Ministère de l’Education Nationale,
février, 2003), montre des différences
importantes dans le recours à la validation
selon les organismes valideurs ou ministères concernés. Par exemple, plus de 7
candidats sur 10 sont des demandeurs
d’emploi pour les titres du ministère de
l’emploi (principalement délivrés par
l’Association pour la Formation Professionnelle des Adultes, AFPA), contre 25%
seulement pour les titres du ministère de
l’Education Nationale (délivrés par les
GRETA et le CNAM). 80 % des demandes concernent des titres de niveau CAPBEP au ministère de l’emploi, dont une
majorité vise le titre d’assistante de vie,
alors que ce niveau n’est concerné que
par un quart des candidats dans
l’Education nationale. Les diplômes les
plus recherchés, dans l’enseignement
supérieur sont les DESS, les DEA et les
licences professionnelles. La validation
des acquis, dans le supérieur touche,
avant tout, les actifs (70% des demandes)
et non les chômeurs.
Pour les niveaux de qualification
les moins élevés la Vae se présente
comme un élément de valorisation des
emplois (et par contre coup des personnes) au sens où elle permet de définir
pour les métiers considérés (assistante de
vie essentiellement) ce qui relève d’une
qualification. Mais elle touche un très petit
nombre d’emplois. Pour les niveaux de
qualification plus élevés la Vae sert essentiellement les progrès en qualification
des personnes. C’est à ce niveau qu’est
concerné le plus grand nombre des candidats. Ces effets positifs n’ont pas
l’impact attendu d’une mesure qui, pour
être équitable, devrait concerner toutes
les personnes et toutes les formes
d’emploi humain. Prend-on le risque
d’avoir à constater dans un bilan futur de
la Vae ce qui avait été observé pour la
formation professionnelle : les moyens de
la formation professionnelle continue ont
davantage profité à ceux qui en avaient le
moins besoin (cf. Péry, 1999) ?
Les principales contradictions que
soulève la mise en pratique de la Vae se
trouvent dans les ambiguïtés et les usages de la référence à la notion même
d’expérience professionnelle. En matière
d’organisation du travail, on ne peut séparer les usages de cette notion des manières de penser les relations de l’homme au
travail et à ses pairs. Durant ces vingt
dernières années on a souvent opposé,
de ce point de vue, « logiques de poste
ou de statut » et « logiques des compétences ».
Dans une logique de poste, de
statut, d’emploi, les considérations sur le
travail humain sont structurées par la
référence à la notion de « qualification »
(qualification des emplois et qualification
des travailleurs). La définition des postes
et des emplois et le recrutement professionnel sont les héritiers de l’organisation
scientifique du travail, de la division des
tâches, des classifications. Chaque tra-
vailleur a sa place dans cette organisation. Il est évalué sur la conformité de ses
actes à des normes définies pour chacun
des gestes professionnels qu’il exécute.
Dans cette logique, l’expérience professionnelle, n’est qu’une forme d’application, répétée dans l’espace et dans le
temps, des gestes appris. Un enseignant,
un médecin, un formateur, un conseiller,
etc., peuvent « avoir de l’expérience » ou
« être sans expérience ». L’expérience
renforce les apprentissages, réduit le taux
d’erreur, permet de spécifier l’exercice de
la qualification à la variété des contextes
et des situations rencontrées. L’initiative
et l’autonomie du travailleur s’exercent
dans le cadre fixé par le métier ou la
profession. Les travailleurs non qualifiés
apprennent leur métier sous la tutelle d’un
patron : c’est le principe même de
l’apprentissage et de ce qui a fait, et fait
encore, la force du compagnonnage.
L’expérience est qualifiante.
Dans une logique des compétences, le travail est d’abord conditionné par
les réponses que l’on doit apporter à des
demandes, des clients, des missions. La
norme d’évaluation est la satisfaction du
client. On a défini les compétences
comme la capacité à être efficace « en
situation ». La logique des compétences
exploite cette définition jusqu’à l’extrême.
Toutefois, comme l’indique Zarifian (2001)
il n’y a pas d’opposition radicale entre
qualification et compétence. La compétence pourrait résulter précisément de la
capacité à mettre en œuvre sa qualification quelles que soient les variations des
conditions contextuelles de son application. Dans cette perspective, l’initiative et
l’autonomie, la capacité à prendre des
risques sont des qualités essentielles du
travailleur que seule l’expérience professionnelle confirme et renforce. En outre,
cette logique conçue à partir de l’aval,
implique la solidarité de chacun dans une
chaîne de travail, dont rend compte en
quelque sorte la notion de compétence
collective, et l’obligation pour tous
d’apprendre à coopérer.
Mais la logique des compétences
peut aussi se déconnecter partiellement
de toute référence à la qualification. C’est
ce qui se produit dans ce que l’on appelle
le travail « non qualifié », non professionnalisé, non formalisé. Au sein des entreprises ou des administrations, ce sont les
emplois « bouche-trou » confiés à des
« agents à tout faire ». Ils concernent tout
ce qui n’est pas pris en charge par la
définition des postes ou des statuts mais
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -15-
qui assure le bon fonctionnement de
l’ensemble. Les emplois jeunes ont été
créés dans cette logique. Au départ, ni
métier, ni carrière, ni « existence professionnelle ». Dans le meilleur des cas, une
qualification est possible lorsque l’emploi
se professionnalise. D’autres exemples
peuvent être trouvés dans toutes les
formes de service qui correspondent à
des besoins personnels, sociaux, à domicile ou au sein d’associations de tout
genre. Le contenu de l’activité et son
évaluation sont pilotés par la demande du
client et sa satisfaction. De même, entre
les entreprises et les clients existent de
multiples formes de service peu structurées, mais bien visibles (ex : gardiennage,
surveillance, livraisons, distribution de
publicité, etc.). Tous ces emplois ont en
commun une très grande variabilité des
tâches, une faible spécificité, et exigent
disponibilité, adaptabilité aux circonstances. Il n’existe pour ces emplois aucune
référence ni à la carrière, ni à un groupe
professionnel. Les travailleurs sont généralement recrutés de manière précaire.
D’une certaine manière, le cas de Christophe illustre parfaitement cette situation :
sa durée dans l’emploi (trois ans) témoigne largement de ses capacités adaptatives, et de la maîtrise de compétences
sociales et comportementales souvent
considérées comme des compétences
clés (Evéquoz, 2004) mais en même
temps cette durée l’oriente vers une impasse dans la mesure où cette expérience
ne permet pas de construire sur le temps
une véritable identité professionnelle, tant
sur le plan d’un métier que sur celui des
appartenances professionnelles. Dans
cette perspective, l’expérience est atypique, sans statut.
La Vae ne fructifiera dans le domaine de la reconnaissance du travail non
qualifié que lorsqu’elle permettra de prendre en compte la totalité des expériences
personnelles et profession-nelles de
chacun. Il sera alors nécessaire de
s’affranchir d’une vision des acquis de
l’expérience trop associée à la contingence des situations de travail (vision
attachée à la notion de compétences)
pour considérer les acquis de la personne
sous l’angle d’un potentiel en évolution
dont les performances ne traduisent que
la partie visible.
Il s’agit donc de dépasser à la fois
les logiques de qualification et de compétences pour ancrer le travail psychologique dans une logique de développement
et d’investissement personnel et profes-
sionnel. C’est l’objet de l’analyse psychologique de l’expérience.
Dépasser les ambiguïtés et les
contradictions de la Vae par
l’analyse psychologique de
l’expérience professionnelle
Le psychologue de l’orientation et
du travail confronté aux problèmes de
Christophe ne fera sans doute pas de la
Validation des acquis de l’expérience le
seul objectif de son intervention (même si
ce passage vers des validations successives dans le temps est un élément stratégique pour progresser). L’idée légitime de
stabilisation dans un emploi passe nécessairement par la définition coordonnée de
buts proches et à moyen terme en fonction des atouts actuels qui sont, dans ce
cas précis, un élément positif pour une
insertion immédiate (ce que prouve le
parcours), et des atouts à développer qui
constitueront les bases d’une identité
professionnelle à conquérir.
Le psychologue place la dimension cognitive du sujet au centre de
l’observation, c’est-à-dire qu’il se focalise
d’abord sur les opérations de conception,
de pilotage, de régulation, de contrôle de
ses actions par le sujet. Il s’intéresse
aussi aux opérations de traitement des
environnements par le sujet, à ses capacités d’actions et d’interactions en réponse
à leur sollicitation. Le « sujet cognitif » est
aussi observé comme sujet qui prend
conscience et qui évalue les causes et les
effets de ses actes. L’expérience est donc
de nature cognitive pour le psychologue,
et les acquis de l’expérience peuvent être
assimilés aux transformations provisoirement stabilisées des manières d’être, de
connaître et d’agir de l’individu dans ses
environnements. C’est dans ce sens que
l’expérience peut faire partie des processus d’apprentissage et de développement
au même titre que les formations académiques. Bien des doutes subsistent cependant quant à la nature réelle de ces
transformations, aux moments où elles se
produisent, de l’enchaînement des causes
et des effets qui les produisent. Si la
perception et les représentations qu’en a
le sujet pour les expliciter, constituent des
éléments incontournables de leur mise en
évidence, on perçoit d’emblée la nécessité de recourir à des formes d’analyse
objective de l’expérience.
On dispose d’une pluralité de méthodes permettant de prendre conscience
des changements progressifs des manières de connaître, d’être et d’agir résultant
des confrontations de la personne avec
ses environnements (y compris les environnements de travail). Qu’il s’agisse
d’explicitation de l’expérience (Vermersch,
1996), d’analyse clinique de l’activité
(Clot, 1999), des pratiques de portefeuilles de compétences (Aubret J., & Fédération des CIBC 2001), de bilan de compétences ou de bilans personnalisés (Lemoine, 2005 ; Aubret & Blanchard, 2005),
ou de pratiques fondées sur les histoires
et les récits de vie (Delory-Momberger,
2000), l’expérience est toujours considérée dans un schéma d’interaction entre un
sujet qui opère et l’effet en retour de ses
actes. La formalisation de l’expérience
nécessite cependant un temps de réflexion et de reconstruction qui actualise
ces interactions et leur donne du sens par
rapport à de nouvelles pistes de développement. C’est ce que l’on a tenté de
résumer dans le tableau ci-après.
Quatre facettes articulées de
l’expérience sont ainsi présentées correspondant chacune à des énoncés typiques
des récits que font les personnes de leur
parcours de vie (cf. Havet, 2002) : « Je
décris ce que j’ai fait et comment j’ai
fait » ; « Je peux dire en quoi je me suis
impliqué dans l’action », « Je peux dire ce
qui a changé dans mes manières d’être,
de connaître et d’agir » ; « J’ai une idée
de la manière dont je vais exploiter ce que
j’ai acquis. Je sais ce que je vais faire
maintenant ».
Si la culture de l’évaluation professionnelle, sur la base d’une explicitation des expériences des sujets et des
acquis susceptibles d’en résulter, laisse
une place à une lecture psychologique de
l’expérience, celle-ci n’a cependant
d’utilité véritable que lorsqu’elle contribue
à nuancer des évaluations trop dépendantes des contextes socioculturels ou socioéconomiques, notamment lorsque ces
contextes conduisent à des interprétations
négatives des expériences individuelles.
Autrement dit, la mise en valeur de
l’expérience ne se comprend pas d’abord
comme un acte qui conclurait un processus d’investigation et d’interprétation de
données, mais comme un processus
dynamique qui s’enracine dans l’activité
de prise de conscience du sujet sur son
activité, se développe à travers des processus d’explicitation, se confronte à des
évaluations externes, s’argumente à partir
de faits et de réalisations probantes,
reconnaissables et acceptables par autrui.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -16-
Description
de l’expérience
Objectivation
Les expériences
professionnelles et
personnelles
Analyse réflexive
Pistes de
développement
Elaboration de projets
Explicitation
Analyse de
l ’implication
subjective
Reconnaissance des acquis
Reconnaissance
des effets sur soi
La mise en valeur de sa propre expérience, comme processus psychologique,
est donc faite à la fois de décentration
cognitive (reconnaître le point de vue
d’autrui sur soi et sur ses actes) et
d’objectivation (réaliser le dossier de
réalisations personnelles et professionnelles) qui permet à autrui non seulement de
tester l’authenticité du contenu des déclarations, mais d’en comprendre la portée.
Evaluer l’expérience professionnelle c’est
accompagner un processus de mise en
valeur, propre à faire émerger à la fois les
objets sur lesquels porte l’évaluation et les
critères qui permettent d’attribuer de la
valeur. Le psychologue apporte à la personne qui s’évalue le regard extérieur qui
va lui permettre le dépassement de sa
propre subjectivité en s’appuyant sur son
expression ; le psychologue apporte à la
collectivité un regard psychologique qui
ne réduit pas le potentiel de la personne à
ce qu’elle a fait, mais qui, en intégrant les
évolutions de la personne, laisse une
place à l’expression et à la réalisation du
possible.
En conclusion
L’avènement de la Vae donne une
nouvelle légitimité et de nouvelles utilités
sociales à l’analyse de l’expérience professionnelle. Si les psychologues ne sont
pas impliqués dans les actes de certification ils peuvent tenir une place essentielle
en amont et en aval des procédures, pour
leur donner du sens dans des projets
d’orientation et des stratégies de réalisation.
Mais leur appréhension de
l’expérience doit pouvoir dépasser les
contradictions qu’engendrent les références aux logiques de qualification et de
compétences pour se situer davantage
dans des schémas de développement
personnel et professionnel qui prennent
en compte l’ensemble du processus
d’apprentissage par l’expérience comportant à la fois des réussites et des échecs
et une compréhension du potentiel humain qui, certes se prouve par des performances, mais qui ne se réduit pas à ce
qui a été manifesté à un moment donné
dans des circonstances particulières.
Autrement dit l’analyse de l’expérience ne
doit pas enfermer l’individu dans son
passé et dans ce qu’il a fait.
Le rôle de gestionnaire des ressources humaines largement sollicité par
le recrutement professionnel s’efface
devant des rôles de manager,
d’accompagnateur, de conseiller où
l’intervenant est moins préoccupé par
l’évaluation des personnes que par
l’accompagnement des changements
personnels associés aux transformations
progressives des images de soi sur le
temps d’un bilan de compétences ou celui
de la réalisation d’un dossier de validation.
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J
Références
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -17-
L’engagement en formation
Quels processus pour comprendre l’entrée et le maintien
dans un parcours de formation professionnelle continue ?
C. LAGABRIELLE,
A.M. VONTHRON 1
D. POUCHARD2
J
Pour les adultes, la formation professionnelle continue est rendue indispensable par le contexte très évolutif du
monde du travail : nécessité de maintien
ou de redéploiement des compétences,
redéfinition des postes et des activités
afférentes, réorganisations des qualifications et des métiers, mobilité accrue dans
l ’emploi, par les difficultés d’insertion
actuelles ou encore par la multiplication
des ruptures et des transitions socioprofessionnelles. Malgré cette nécessité, un
taux conséquent de non aboutissement
des parcours formatifs qualifiants est
constaté, que ce soit lors de la phase
d ’intégration ou lors du déroulement des
cycles formatifs. Les interrogations soulevées à ce propos sont nombreuses et
portent entre autres sur l’intentionnalité
d’inscription dans de tels parcours formatifs, les défections ou l’entrée effective
dans les stages proposés ou encore les
abandons en cours de formation. Derrière
ces questions, force est de souligner la
complexité des problématiques en jeu
relevant de la prédiction des issues formatives ou de la compréhension des processus d’engagement mis en œuvre. Les
études présentées ici visent à identifier
différents facteurs susceptibles d’intervenir dans les conduites d’engagement et
de maintien en formation.
1 - L’entrée en formation
Pour tenter de mieux comprendre
l’entrée en formation, deux cadres
conceptuels ont été considérés. Par-là, il
s’agit d’appréhender leurs apports et leurs
limites respectives quant à la compréhension du phénomène d’intégration (vs nonintégration) d’un parcours programmé de
formation professionnelle qualifiante. Le
premier a trait au champ socio-cognitif
avec la théorie du comportement planifié
(Ajzen, 1985 ; Ajzen & Madden, 1986).
Dans cette perspective, quatre dimensions principales sont étudiées afin de
comprendre ce qui amène les individus à
réaliser un projet (ici, celui d’intégrer une
formation professionnelle qualifiante) :
l’attitude envers le comportement visé
(fondée sur les conséquences associées
à sa réalisation et l’évaluation positive ou
négative de ces conséquences), la norme
sociale (renvoyant au fait que des personnes signifiantes approuvent ou pas
celle qui veut adopter le comportement
ainsi que l’importance accordée à leur
appui), la perception de contrôle (fruit de
l’estimation de la personne à disposer des
moyens nécessaires pour adopter le
comportement voulu) et la fermeté de
l’intention à réaliser l’action projetée. La
théorie du comportement planifié mentionne que les trois premières dimensions
prédisent chacune l’intention, qui, ellemême, prédit l’adoption du comportement
visé. On constate ainsi que l’intention
apparaît comme le déterminant immédiat
d’un comportement à condition que celuici soit spécifique, voulu et effectué dans
une situation clairement définie.
Le deuxième cadre conceptuel se
situe dans le champ motivationnel et
s’appuie plus particulièrement sur les
travaux de Battistelli & al (1993, 1994,
1998, 2000). Dans la lignée des travaux
de Tannenbaum & Yukl (1992), ces auteurs distinguent différentes dimensions
de la motivation à la formation : une motivation à suivre la formation (dans ce cas,
la formation représente essentiellement
un moyen dirigé vers le but d’obtention
d’un emploi ou d’une amélioration du
statut socioprofessionnel actuel), une
motivation à apprendre qui relève de
l’acquisition et/ou du développement de
connaissances et capacités professionnelles et une motivation à transférer les
compétences acquises dans le travail qui
renvoie aux perspectives d’utilisation des
éléments appris en contexte professionnel. Pour ces auteurs, les conduites d’intégration peuvent être expliquées à partir
de ces composantes motivationnelles. Ils
insistent notamment sur l’importance des
aspects motivationnels intrinsèques comme prédicteurs de l’intégration dans un
parcours formatif (motivation à apprendre), les éléments motivationnels à orientation instrumentale (motivation à suivre)
ne permettant pas, à eux seuls, d’assurer
la mise en œuvre d’actions d’intégration
dans un parcours formatif.
Deux modèles de recherche3 référant à chacune de ces deux orientations
théoriques ont donc été élaborés et mis à
l’épreuve auprès de sujets retenus pour
être intégrés dans des parcours formatifs
qualifiants. 127 sujets ont été sollicités par
questionnaires auto-complétés relatifs au
modèle du comportement planifié et 96
sujets ont répondu à des questionnaires
relatifs aux dimensions motivationnelles,
un mois après leur participation à un
dispositif d’orientation et d’affectation à un
stage débutant dans le trimestre suivant.
Sur les 127 sujets, 60,6% a effectivement
intégré par la suite la formation prévue ;
1 Equipe Psychologie sociale des insertions, Laboratoire de Psychologie EA3662, Université Victor Segalen-Bordeaux2, 3 ter place de
la victoire, 33076 Bordeaux Cedex, [email protected], [email protected]
2 AFPA-CROP Aquitaine, 48-51 rue de Marseille, 33000 Bordeaux, [email protected]
3 Les questionnaires complets sont disponibles sur demande adressée à D. Pouchard.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -19-
sur les 96 sujets, 58,3% est ensuite entré
en stage.
Concernant la modélisation issue
de la théorie du comportement planifié, il
apparaît effectivement que plus l’intention
d’entrée en stage définie au préalable est
ferme, plus elle se soldera dans les mois
qui suivent par une conduite d’intégration.
Ce lien significatif entre intention et comportement indique bien que l’on se situe
dans un cadre d’étude de comportement
ayant un caractère volitif quant au choix
final d’entrée ou pas en stage. En outre,
nous observons que la norme sociale est,
auprès de cette population, la seule dimension significativement prédictive de
l’intention d’entrée en formation et qu’elle
intervient pour influencer la conduite
ultérieure. Ainsi, c’est la dimension d’approbation sociale qui apparaît ici comme
la plus adéquate pour comprendre les
mécanismes à l’œuvre dans l’action finale. La formation professionnelle qualifiante représentant un événement important dans la vie professionnelle et personnelle du sujet (Lagabrielle, 1999), il semble logique que l’avis de l’entourage participe activement au choix effectué en
matière d’engagement en formation.
Concernant la modélisation issue
des théories motivationnelles relatives à
l’adulte en formation, les résultats indiquent l’existence de liens entre l’importance de la motivation et la mise en œuvre d’un comportement ultérieur d’entrée
en stage. En outre, cinq facteurs motivationnels ont été mis en évidence : un
premier facteur nommé « développement
du statut socioprofessionnel », un deuxième facteur renvoyant au « développement des opportunités de changement
professionnel », un troisième facteur
centré sur « l’amélioration de la maîtrise
des activités de travail », un quatrième
facteur reposant sur le « développement
de l’expertise et de la spécialisation » et
un cinquième facteur relatif à « l’augmentation de l’employabilité ». Deux facteurs
motivationnels spécifiques s’avèrent avoir
une influence prépondérante sur la
conduite d’entrée en formation : le premier
renvoie à l’élévation attendue du statut
socioprofessionnel, le deuxième à l’ouverture des possibilités de modifier son parcours en emploi. Dans les deux cas, la
notion de mobilité professionnelle apparaît
de façon marquée au détriment de
l’approfondissement des activités professionnelles connues. Par ailleurs, l’augmentation de l’employabilité, maître mot
de ces dernières années et notamment
dans le domaine de la formation tout au
long de la vie ne se présente pas pour
notre population comme un élément
motivateur significatif, générant un engagement dans un parcours formatif et ce,
bien que 60% environ de la population
interrogée soit constituée de personnes
au chômage.
2 - Le maintien en formation
Afin d’analyser le processus de
maintien ou d’abandon en formation,
plusieurs composantes motivationnelles,
cognitives et sociales pouvant avoir un
effet lors de la confrontation des personnes aux situations formatives ont été
considérées. L’objectif est d’étudier leurs
effets concomitants dans la mesure ou la
littérature fait état de processus complexes et interactifs. Plus spécifiquement,
le maintien en formation pourrait s’appuyer sur des processus motivationnels
favorisant ou non l ’engagement durable
(Vallerand & Thill, 1993; Boutinet, 1998 ;
Battistelli & al, 1998, 2000), sur le sentiment d’auto-efficacité (Bandura, 1986;
Sadri & Robertson, 1993), sur le sentiment de concordance entre l’avenir professionnel envisagé et la formation suivie
(Nuttin, 1987) ou encore sur les soutiens
sociaux perçus (Lent & al, 1994).
Concernant le sentiment d’autoefficacité, il convient de rappeler qu’il
s’agit d’une évaluation de l’ordre des
croyances individuelles quant à ses propres capacités à effectuer ou à persister
dans une action donnée. Il est montré
notamment que si cette croyance en ses
capacités est faible, le risque d’abandon
est plus important pour la personne ayant
à se confronter à des situations difficiles
ou coûteuses. Les études antérieures sur
le sujet incitent donc à identifier les éléments inhérents à la formation perçus
comme « pénibles » pour l’individu (les
nouveaux rythmes de travail, les contenus
à intégrer, la fatigue engendrée par la
formation, les relations avec les autres
stagiaires ou les formateurs etc.) ainsi
qu’à supposer que le sentiment d’autoefficacité vis-à-vis de la situation formative
et vis-à-vis du métier visé peut faire obstacle au maintien en formation.
La question de la concordance
entre l’avenir professionnel souhaité et la
formation suivie renvoie, quant à elle, au
fait que les individus, pour la majorité
d’entre eux, relient la formation au travail,
à l’emploi mais également à leur trajec-
toire professionnelle. Ainsi, selon Nuttin
(1980, 1984), les représentations que
chacun se fait de son avenir sont génératrices de buts et orientent vers certaines
conduites perçues en adéquation avec ce
qui est visé. C’est dans le cas où le sujet
percevrait la formation comme appropriée
à ses projets d’activité professionnelle que
celle-ci pourrait répondre à ses besoins
de développement et l’aider à persister
dans les conduites mises en place.
Les soutiens sociaux, enfin, recouvrent les ressources fournies par les
autres (Cohen & Syme, 1985) et se manifestent au travers de supports variés
(concrets ou perçus) d’ordre matériel,
émotionnel ou informationnel. Pour ce qui
est du soutien social tel qu’estimé par
l’individu, percevoir que son entourage
personnel ou professionnel apporte de
l’appui ou qu’il est disponible en cas de
besoin permettrait de mieux faire face aux
obstacles surgissant lors d’une situation
(Cohen & Wills, 1985). Inversement, se
sentir peu assisté dans les difficultés
rencontrées amènerait davantage de
vulnérabilité chez la personne.
Deux groupes de stagiaires constituent la population de l’étude visant à
éprouver l’impact de ces dimensions sur
le maintien vs l’abandon en formation
professionnelle qualifiante. Le premier
comprend 213 sujets interrogés un mois
après l’entrée en stage (30 d’entre eux
soit 14,1% ont ensuite abandonné en
cours de formation), le deuxième est
composé de 212 sujets interrogés un mois
avant la fin du stage (7 ont ensuite quitté
le stage avant son issue soit 3,3%). Les
deux groupes de sujets sont comparables
pour les caractéristiques socio-biographiques suivantes : l’âge est de 32,6% en
moyenne ; 40,2% de l’échantillon total a
toujours travaillé, 32% a vécu une alternance chômage/emploi, 9,4% a effectué
de courtes missions et 11,8% a connu
une longue interruption de travail, seul
3,6% n’a jamais travaillé ; la durée
d’inactivité des personnes au chômage au
moment de l’étude, soit 72%, est de
moins de 6 mois pour 29,4%, de 6 à 12
mois pour 33% et de plus de 12 mois pour
19%. Les deux groupes de différencient
par contre pour la répartition hommes/femmes : ces dernières sont 47,6%
dans le deuxième groupe alors qu’elles
sont seulement 20% dans le premier.
Les résultats indiquent en premier
lieu que l’intensité de la motivation générale à la formation est similaire que l’on
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -20-
soit en début ou en fin de stage. Le niveau de motivation ne se modifie pas
significativement durant la formation, par
contre la structuration de cette motivation
à la formation varie selon que l’on est en
début ou en fin de formation1. Parmi les
facteurs motivationnels apparus lors des
analyses, seule la « motivation à acquérir
de nouveaux savoirs professionnels »
(motivation à orientation intrinsèque), en
début de formation, influence significativement la persistance jusqu’à l’issue du
stage. Si les résultats obtenus pointent
l’existence d’une dynamique motivationnelle en cours de parcours formatif, pour
autant, les facteurs motivationnels identifiés s’avèrent peu explicatifs des conduites de maintien ou d’abandon en formation contrairement aux croyances largement véhiculées dans ce domaine.
En second lieu, les résultats attestent de l’influence également significative
du sentiment d’auto-efficacité dans la
formation ainsi que du sentiment de concordance entre la formation suivie et
l’avenir professionnel souhaité sur la
conduite de maintien en formation (en
début comme en fin de stage). Ainsi, on
constate que les sujets qui quittent la
formation indiquent des niveaux plus
faibles pour ces dimensions. Le sentiment
d’efficacité dans le métier devient, lui,
prédictif seulement en fin de formation.
Par-là, semblent être renforcées, d’une
part, l’importance de prendre en compte
les croyances des personnes quant à
leurs capacités à se mobiliser et à persister dans la situation formative, puis dans
le choix du métier visé et, d’autre part, la
nécessité de considérer la formation
comme devant participer pleinement aux
objectifs professionnels poursuivis par les
individus. Dans la littérature relative aux
carrières, François (2000) rappelle que le
Sentiment d’Efficacité Personnelle se
révèle un bon prédicteur des choix
d’études et de carrière. Plusieurs études
montrent ainsi que le choix de carrière et
celui des actions menées pour le concrétiser (telle que la formation) dépendent en
Voir à ce propos Pouchard, D., Lagabrielle, C., Vonthron, A.M., & Patte, F.
(2005). Quels facteurs pour comprendre
le maintien dans un parcours formatifs, In
A. Battistelli, M. Depolo, & F. Fraccaroli
(sous la direction de), La qualité de la vie
au travail dans les années 2000, Actes du
XIIIème congrès de Psychologie du Travail et des Organisations. CD-rom. Bologna : CLUEB.
1
partie de l’évaluation des chances de
réussir dans ces actions. En outre,
l’intégration de la formation dans la trajectoire de travail (et son adéquation avec ce
qui est souhaité) se justifie dans le sens
où la formation échappe au seul caractère
d’ajustement professionnel ou socioéconomique mais répond également à un
certain nombre d’aspirations plus personnelles des individus concernés (Demol,
1995).
En dernier lieu, en début de stage,
la pénibilité perçue de la formation apparaît plus forte chez les personnes qui
abandonneront par la suite leur parcours
formatif alors que les ressources sociales
dont elles estiment bénéficier s’avèrent
plus faibles. Ces éléments amènent à
porter une attention toute particulière aux
difficultés ressenties par les stagiaires
lorsqu’ils intègrent un stage qui les amène
à se confronter à de multiples exigences
en termes d’apprentissage, de relations
ou d’organisation pratique à mettre en
place. Exigences qui peuvent être vécues
comme trop coûteuses et défavorables au
maintien en formation. Les supports sociaux perçus sont justement censés aider
la personne à mieux vivre les situations
d’inconfort ou d’incertitude. Déclinés dans
cette étude en plusieurs types de ressources « subjectives », il apparaît que ce
sont celles émanant de l’entourage et des
formateurs qui se révèlent avoir un impact
sur les conduites ultérieures de persistance en formation (et non celles des
autres stagiaires ou d’autres professionnels par exemple). Ces résultats en contexte formatif peuvent être rapprochés
d’autres travaux en contexte de travail qui
mettent l’accent à la fois sur l’impact des
soutiens perçus de la part des proches et
sur l’importance des soutiens perçus
apportés par le milieu professionnel, en
terme d’estimation de l’aide destinée à
résoudre ou dépasser un problème rencontré, des conseils et des informations
donnés pour réaliser les tâches ou des
appréciations relatives à la valeur des
activités menées. Il semble, ici, que la
perception de disposer plus ou moins
fortement de telles ressources provenant
du formateur soit une donnée considérable pour la poursuite du stage jusqu’à son
terme.
Au final, nous pourrions souligner, au travers des études présentées,
l’intérêt de développer des modèles multidimensionnels à même de cerner des
mécanismes complexes et concomitants.
Un article en cours, portant spécifique-
ment sur le maintien en formation, analyse les liens existants entre ces différentes dimensions. Il montre par exemple des
relations significatives entre certains
facteurs motivationnels et le sentiment de
concordance entre la formation suivie et
l’avenir professionnel souhaité ou encore
entre le sentiment d’auto-efficacité et la
pénibilité perçue de la formation.
Enfin, d’un point de vue appliqué,
souhaitons que ces résultats puissent
enrichir la réflexion des psychologues
œuvrant dans le domaine de la formation
professionnelle et orientent vers des
pistes d’actions favorisant le déroulement
des parcours formatifs.
J
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -22-
Les métiers de l’interaction : leur développement
et le développement de leurs analyses
(les apports de la psychologie à l’étude de la consultation de médecine prédictive)
Alain TROGNON et Martine BATT
GRC/LPCC (EA 3946), Université Nancy2
J
La communication est devenue un
registre incontournable de fonctionnement
des sociétés modernes. De la diffusion
massive des technologies de communication et de l’évolution parallèle des idéologies de l’information et de la communication émergent aujourd’hui de nouvelles
formes de socialité et de pratiques sociales, voire des pratiques professionnelles
inédites, que la puissance publique tente
avec plus ou moins de bonheur de réglementer.
En tant que pratique sociale, la
médecine est aujourd’hui dans ce cas. En
effet, alors que des contraintes réglementaires nouvelles sont imposées aux pratiques sociales de soins (comme la loi n°
2002-303 sur les droits des malades et la
qualité du système de santé publiée le 5
mars 2002 au J.O1., les lois dites de
bioéthique du 29 juillet 1994 et les décrets
de l’année 2002 qui ont suivi), et que la
demande publique évolue profondément
(cf. la juridisation croissante des rapports
médecin-malade), une « autre » médecine, dite médecine prédictive, apparaît
bouleversant profondément le "dialogue
singulier" que le médecin de la médecine
Parmi les principales dispositions figurent le droit des usagers du système de
santé à l’information et le droit à l’accès
direct au dossier médical.
2 Le décret n°95-570 vise en particulier
les informations à donner avant un test
génétique lors d’une consultation médicale individuelle. Dans ce contexte, interviennent le règlement européen, en particulier par la signature de la convention du
4 avril 1997 du Conseil de l’Europe, ainsi
que l’Organisation Mondiale de la Santé
qui a émis des propositions de directive
internationale en 1997
1
« classique » de soins entretient traditionnellement avec le malade. Ces transformations profondes sont structurelles et
s’exercent sur deux plans. Premièrement,
le référent de l'intervention médicale n'est
plus seulement une maladie déclarée
dans un monde réel, c’est aussi une
maladie possible dans un monde possible
(diagnostic probabiliste en oncogénétique)
ou une maladie certaine dans un monde à
venir (diagnostic prédictif de maladies
avant l’expression de leurs symptômes
qui, le plus souvent, ne peut pas être suivi
d’une proposition médicale à visée thérapeutique) : au « monde de la maladie », le
monde réel hinc et nunc, typique de la
médecine « classique » se substitue donc
une pluralité de « mondes possibles » ; ce
qui ne peut pas ne pas avoir des conséquences interactives, cognitives ou affectives majeures. Secondement, les pratiques dialogiques mises en oeuvre « en
accompagnement du soin » se modifient
également : à côté du jeu de langage
habituel (relations médecin-patient de
face à face focalisées, dialogues
d’élicitation (Falzon, 1994)) en apparaissent d'autres [dialogues de formation
expert-profane (Trognon & al., 2004, par
exemple] qui ne sont pas formalisés et
que les praticiens concernés « bricolent »
empiriquement au sein de leur pratique.
Une brève définition empirique
de la consultation de médecine
prédictive
La loi prévoit l’encadrement de
l’examen des caractéristiques génétiques
(Art R. 145-15-5 du CSP et arrêté du 2
mai 2001). La consultation prédictive ne
peut avoir lieu dans le cadre d’une consultation médicale individuelle, mais doit
s’organiser autour d’une équipe pluridisciplinaire rassemblant des compétences
cliniques et génétiques, cette équipe
constituant un conseil génétique. Par
exemple, les demandes de test prédictif
de maladie de Huntington (MH), maladie
neurodégénérative à début tardif qui se
transmet sur le mode autosomique dominant, sont prises en charge au CHU de
Nancy selon protocole représenté sur le
tableau 1 suivant. :
Que la psychologie, en général,
et la psychologie du travail en particulier
soient à même d’étudier les structures
émergentes de ces pratiques nouvelles et
d’exposer rigoureusement les processus
qui s’y déroulent, c’est ce que nous allons
montrer au cours de cet exposé. L’enjeu
de ces travaux n’est certes pas seulement
académique : il en va de la qualité des
prestations proprement médicales, de la
félicité de la relation médecin-consultant
et, finalement, de la transmission des
compétences requises « par le métier »
aux praticiens concernés.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -23-
Étape B
Étape A
Prélèvement sanguin Notification
du statut génétique
Signature
du consentement libre
et éclairé
Demande de diagnostic génétique
Période de réflexion avant la signature
du consentement libre et éclairé
A1
A2
Entretien
Cs-Génét.
Entretien
Cs-neurol.
1
A3
2
3
Entretiens
Cs-Psy.
Étape C
Entretien
Cs–Génét.
Entretien
Cs– Binôme :
Génét. Psy.
Étape D
Prise en charge de
l’impact psychologique
de la révélation
D1
Dn
Entretiens
Cs-Psy.
Tableau 1 : Organisation de la consultation prédictive de MH
(Cs = Consultant ; Génét. = Généticien ; Neurol. = Neurologue ; Psy. = Psychologue)
La consultation s’organise ainsi en
plusieurs étapes et fait intervenir une
équipe composée d’un généticien, d’un
neurologue et d’un psychologue. En oncogénétique, toujours à Nancy, le même
principe est appliqué, mais seuls le médecin oncogénéticien et le psychologue
interviennent. Chaque demande peut
nécessiter 1 à 10 entretiens.
La consultation prédictive est
donc constituée d’une suite de dialogues
(professionnels de santé et patient) et de
polylogues (binômes constitués de professionnels de santé et patient). En
conseil génétique, médecins et psychologue doivent informer le patient sur des
notions souvent nouvelles et parfois difficiles à expliquer, analyser la demande de
test prédictif, évaluer l’appropriation du
discours médical indispensable à la signature d’un consentement éclairé, poser des
hypothèses quant à l’impact psychologique en amont et en aval de la consultation de notification de statut génétique.
Le demandeur de test prédictif détient,
quant à lui, une dimension perceptive de
la maladie qui s’entrecroise avec une
perception subjective du risque héréditaire. On observe ainsi l’effet de
l’interaction médecin-malade sur les
croyances a priori des malades, verbalisées explicitement ou implicitées, croyances tout à la fois fragiles, logiques et non
irrationnelles bien que souvent décalées
par rapport à une réalité médicale. Ainsi,
cette situation d’interaction communicative
est complexe parce qu’elle construit un
espace de parole où, tout à la fois, se
transmettent des informations, où
s’expriment des émotions, où se verbalise
une anticipation, où s’énoncent des
croyances et où s’annonce un savoir
objectivé par l’analyse moléculaire.
Eléments de méthode
D’un point de vue formel, la
consultation de médecine prédictive se
présente comme une succession ordonnée de jeux de dialogues (Bromberg &
Trognon, 2000, 2005).
Un jeu de dialogue se définit par
la spécification du but discursif poursuivi
par les joueurs entrant dans le jeu et par
la spécification des stratégies qui leur sont
disponibles (Carlson, 1983). Walton et
Krabbe (1995, p. 67) proposent une définition analogue : « un type de dialogue se
définit par son but primaire et ses règles,
lesquelles garantissent ou du moins facilitent l’atteinte du but du dialogue dans
chaque cas particulier d’application. Ensemble, ces deux éléments constituent un
modèle normatif du type de dialogue en
question. C’est ce modèle qu’on appelle
un jeu de dialogue ». De très nombreux
jeux de dialogue existent et Wittgenstein,
qui est à l’origine de cette notion de jeu de
dialogue, doutait qu’ils soient en nombre
fini. Nonobstant, pas mal de jeux de dialogue ont déjà été décrits, d’un point de
vue normatif et d’un point de vue empirique et beaucoup restent certainement à
décrire (Bromberg & Trognon, 2000,
2005). Par opposition aux jeux de dialogue plus ou moins naturels dont les interlocuteurs d’une langue naturelle ont une
connaissance tacite (ce qui ne l’empêche
pas d’être une variable développementale), le macro jeu de dialogue qu’est une
consultation de médecine prédictive est
un produit empirique inventé dans la
pratique, un « bricolage » plus ou moins
harmonieux d’éléments de jeux de dialogue « naturels » et d’éléments de jeux de
dialogue spécifiques à l’activité qu’il permet d’accomplir.
L’étude d’un tel jeu de dialogue
suppose une approche empirique capable
d’inférer à partir de son observation : (i)
les éléments (opérations et systèmes
d’opérations, représentations et domaines
représentationnels) qui entrent dans sa
composition ; (ii) les règles qui gouvernent
sa progression ; et (iii) les résultats (sociaux, cognitifs, affectifs) qui y sont obtenus par les joueurs. Ce travail a été accompli grâce à la Logique Interlocutoire
(Trognon, 1999, 2003 ; Trognon & Batt, à
paraître). Faute de place, nous ne présenterons pas ici cette théorie. Disons simplement qu’elle consiste à décomposer
une séquence analysée en énoncés,
chaque énoncé étant représenté par une
expressions F du système : <Mi, Mi-k,
RD, Mi-k ├ Mi, DG>. À Mi correspondent
les mouvements communicationnels écrits
sous la forme « Esp » qui, s’ils sont mutuellement compris par l’émetteur s et
l’auditeur a, sont des événements conversationnels qui ont valeur q de signe pour
a et pour s. RD est l’ensemble des règles
utilisées par les interlocuteurs. Ensemble,
elles définissent les occurrences des
types de jeu de dialogue DG qui ont été
générées au cours de l’interaction. Mi-k
est l’union de tous les mouvements qui
précèdent les mouvements Mi auxquels
ceux-ci enchaînent, le couple Mi-k ├ Mi
exprimant ainsi un séquent de dialogue
« DG » déterminé. Enfin DG est le jeu de
dialogue que les interlocuteurs ont joué.
RD comporte deux ensembles de règles :
les règles gouvernant l’architecture du
discours exprimé sous forme de matrice ;
et les règles de la « logique naturelle » du
discours. Il résulte du recours à ces deux
espèces de règles que les formules F de
la Logique Interlocutoire expriment à la
fois la composition interne du mouvement
et la position (formelle et architecturale)
de ce mouvement dans le discours global
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -24-
qui le contient. La Logique Interlocutoire
se présente ainsi comme une théorie
simultanément analytique et synthétique
des séquences interlocutoires.
Deux consultations de neurogénétique et deux consultations d’oncogénétique ont donc été enregistrées puis intégralement transcrites afin de constituer un
corpus prêt à être étudié. Ce corpus a
ensuite été décomposé en à peu près
7000 énoncés selon la méthode décrite cidessus. Afin de rendre le corpus d’étude
homogène, nous avons circonscrit notre
analyse aux étapes A (A1, A2, A3), B et C
qui précédaient la notification du résultat
pour chacune des consultations. A l’étape
où nous en sommes (car la recherche se
poursuit encore actuellement dans le but
de mettre en évidence les formats
d’interaction mis en œuvre au cours des
dialogues), les données obtenues à
l’issue de la décomposition des quatre
consultations ont été traitées par des
méthodes statistiques classiques : analyses multidimensionnelles par analyse en
composante principale (ACP) ; tests de
Xhi-2 et tests non paramétriques (Friedman).
La consultation de médecine
prédictive : une activité
coopérative
L’organisation structurelle et fonctionnelle des entretiens mise à jour par les
interrelations de variables révèle que la
consultation prédictive est une activité
conjointe, construite par les professionnels et les consultants ensemble, qui
permet le développement des discours.
On y retrouve les éléments typiques de
deux genres de dialogue : (i) les dialogues
qui progressent régulièrement et par
étapes pour imposer inférentiellement des
démonstrations au cours desquelles se produisent des apports de précisions, des comparaisons, des mises en
opposition, des récapitulations, des déductions et des conclusions ; (ii) les dialogues qui ont pour but les réalisations
collaboratives de construction d’objet ou
de concept (Trognon, 1990). Ces deux
types de dialogue sont constitués par des
discours provenant de chacun des
interactants pour s’enrichir mutuellement.
La coopération consultant-praticiens qui
s’observe dans la consultation présymptomatique est une caractéristique originale
essentielle de cette interaction. En effet,
alors que les rôles et statuts de chacun
sont bien déterminés et que les relations
entre les professionnels et les consultants
sont fondées sur la complémentarité, les
productions discursives concordent grâce
à une organisation symétrique des interactions – au sens de l’approche communicationnelle de Palo-Alto – minimisant
ainsi les différences institutionnellement
définies.
Contrairement à ce qui se passe
dans les consultations médicales
« ordinaires », dans les consultations de
médecine prédictive, et indépendamment
de leurs thèmes (oncogénétique vs neurogénétique), les rôles langagiers (Charaudeau, 1995) mis en œuvre par les
interlocuteurs développant une activité
symétrique et analogue sont égalitaires
dans leur aspect élaboré.
consultant à élaborer sa décision de
demander le test génétique. A cet égard,
l’équipe pluridisciplinaire ne peut pas faire
l’économie d’une analyse approfondie
avec le consultant du rapport qu’il entretient avec les différents facteurs (sociaux,
familiaux, affectifs, représentationnels,
etc.) qui ont contribué à la formation de
son intention de se présenter à la consultation. Ce genre de travail sur des états
mentaux (savoirs, croyances, convictions,
désirs, etc.) et des affects opérant sur les
différents registres (préconscient, inconscient) du fonctionnement psychique mobilise des processus cognitifs « de haut
niveau ». Les processus de raisonnement
que les interactants ont à « manipuler »
dans les dialogues de consultation de
médecine prédictive sont de ceux-là.
Mais sur cette trame commune
aux différents professionnels dans leur
relation aux consultantes se dégage aussi
nettement une bidisciplinairté de la
consultation. D’une part, psychologue et
médecins ne mettent pas en œuvre les
mêmes genres de dialogue. D’autre part,
les consultantes ne sont pas les mêmes
interlocutrices selon qu’elles se trouvent
face à un médecin ou face à la psychologue. L’effet du temps d’écoute supplémentaire qui leur est accordé s’observe à
travers leur participation aux différentes
interactions : avec la psychologue, elles
s’expriment plus et elles contribuent davantage à un discours élaboré au développement complexe. De plus, bien que
tous les entretiens de la consultation
convergent vers des sujets de conversation identiques, certains parmi ces derniers semblent être plus spécifiques aux
entretiens médicaux et d’autres réservés
à l’entretien psychologique. Le double
éclairage de certains phénomènes
s’observe également dans les contenus
de discours.
La psychologie, toutes branches
confondues, mais tout particulièrement la
psychologie expérimentale leur a consacré depuis les années 1960 une grande
part de son activité. Elle s’est attachée notamment à circonscrire les « écarts à la
norme » logique de l’activité humaine
« normale » de pensée ainsi que leur
rationalité ou leur fonctionnalité foncières.
L’ « écart à la norme », encore appelé
« biais de raisonnement » dans la littérature spécialisée, avec lequel le couple
consultant-neurologue, dont nous allons
analyser une séquence d’interaction, va
devoir se débrouiller est communément
dénommé « biais de négation de
l’antécédent ». Ce biais affecte le raisonnement conditionnel. Un raisonnement
conditionnel peut se représenter au
moyen de la table de vérité (tableau 2) de
l’implication matérielle dont la formule est
p⊃q:
Cette table établit la valeur de vérité de la proposition conditionnelle p ⊃ q
en fonction de la valeur de vérité de ses
propositions composantes. On y voit que
le seul cas où l’implication est fausse est
représenté à la 2ème ligne, où l’antécédent
p de l’implication est vrai et le conséquent
q de l’implication est faux. Dans toutes les
autres situations, l’implication est vraie.
Voici une illustration : une mère dit à son
garçon « si tu ramènes un 15 en dictée je
te paie une place de cinéma ». Le seul
Avatars de l’élaboration
interactive du désir de savoir
L’un des buts principaux qui est
assigné réglementairement à la consultation de médecine prédictive est d’aider le
p
vrai
vrai
faux
faux
q
vrai
faux
vrai
faux
Tableau 2
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -25-
p⊃q
vrai
faux
vrai
vrai
j
s
g
h
t
r
P
b
a
c
d
Figure 1 : extrait de l’arbre généalogique de Mme P
cas où la mère aurait dit « n’importe
quoi » en énonçant p ⊃ q serait celui où
son garçon aurait obtenu une note supérieure ou égale à 15 en dictée et où sa
mère ne lui aurait pas offert une place de
cinéma. Dans les autres cas, l’énoncé de
la mère ne serait en rien défectueux. La
table de l’implication permet une forme de
raisonnement qu’on appelle le modus
ponens : [si ((p ⊃ q) et p) alors q] ; s’il est
vrai (c’est la 3° colonne et la 2° ligne) que
(p ⊃ q) et s’il est vrai (1ère colonne et 2ème
ligne) que p alors il est vrai (2ème colonne
et 2ème ligne) que q. Comparé à modus
ponens un raisonnement conduit comme
[si ((p ⊃ q) et ∼p) alors ∼q] est erroné
ainsi que le révèle une simple consultation
du tableau, q pouvant être dans cette
situation vrai (3ème ligne) ou faux (4ème
ligne). Or ce que la psychologie du raisonnement a révélé de façon répétée
depuis près de 50 ans est que les gens
ont tendance à comprendre l’implication
matérielle comme signifiant à la fois que
[si ((p ⊃ q) et p) alors q] et que [si ((p ⊃
q) et ∼p) alors ∼q]. Un enfant qui entend
sa mère lui dire « si tu ramènes un 15 en
dictée je te paie une place de cinéma »
comprend qu’en cas de 15 il aura une
place de cinéma et qu’en cas d’une note
inférieure à 15, sa mère ne lui fera pas ce
cadeau. L’erreur de raisonnement consistant à penser [si ((p ⊃ q) et ∼p) alors ∼q]
lorsqu’on entend une implication a été
dénommée par les psychologues le biais
de la négation de l’antécédent. C’est
exactement ce biais qu’accomplit Mme P
dans l’extrait d’entretien ci-dessous :
P152 : et nous, mon frère Jules qui est
mort de ça, ben ses trois fils sont atteints,
et ses deux filles ne l’ont pas
N159 : mmmh
P153 : et sa fille a fait le test, dans la
région parisienne, et elle a pas été le
chercher.
N160 : ah bon !
P154 : oui. Ben oui, Docteur. Ses deux
parents sont morts de ça Docteur, /…/.
Elle est morte. Eh ben sa petite fille, elle
s’est mariée, elle a voulu un bébé, donc
elle a été faire le test, elle l’a pas.
2 secondes
N161 : elle n’a pas le ?
P155 : elle l’a pas.
N162 : elle l’a pas
P156 : elle l’a pas. Non. Et c’est le papa
et la maman qui se sont mariés entre
cousins germains
N163 : ah !
P157 : oui. Ils avaient la même maladie.
N164 : donc
P158 : c’est une catastrophe !
N165 : ah oui ! ah alors là, oui !
P159 : une catastrophe
N166 : mmh, alors là, c’est votre frère ?
P160 : mon frère. Et ma belle-sœur c’est,
(regardent ensemble l’arbre) voilà
N167 : ah oui, là
P161 : ben oui, c’était sûr que
3 secondes
N168 : ah oui
P162 : mmh, cousine germaine
N169 : mmmh, et, et celle qui n’est pas
allée chercher son résultat,
P163 : oui, elle
N170 : est l’une des enfants de
P164 : voilà, oui, elle l’a fait. Oui, elle l’a
fait. Elle a dit « je vais le faire quand
même, hein, voilà » Elle l’a pas. Alors,
alors sa maman l’avait pas, hein, puisque
elle, elle l’a pas
N171 : non, mais si elle l’a pas, elle peut
pas savoir si elle l’a pas puisqu’elle n’est
pas allée chercher son résultat
P165 : non, la maman n’a pas été, non.
Brigitte a une fille. Bon. Brigitte, elle a fait
le truc, et au moment d’aller le chercher,
elle a pas voulu aller le chercher. Et sa
fille, elle a rien dit à sa c’est la maman,
elle a été le faire hein, et
N172 : c’est ça, oui, mais la première là ?
P166 : oui
N173 : la première, elle, elle, elle va
bien ?
P167 : oui, oui
N174 : elle l’a, elle l’a fait quand son test ?
P168 : oh ! alors là ? y’a ? après que son
papa est mort, y’a 4, 5 ans qu’il est mort,
après que sa maman et son papa soient
morts, hein
N175 : mmmh
= les filles non atteintes par la MH;
= les garçons non atteints par la MH ;
= les filles atteintes par la MH
= les garçons atteints par la MH
P = Mme P ; j = Jules ; s = Denise ; r =
Robert ; a = Anne ; b = Brigitte ; c =
Corinne ; d = Dorothée; g = Ghislain ;
h = Hervé ; t = Thierry ; parmi ces
personnes, certaines ne sont pas porteuses de la mutation génétique, c’est
par exemple le cas de Dorothée, d’autres sont asymptomatiques, elles ne
présentent pas de symptôme, mais on
ne sait pas si elles portent la mutation,
par exemple Brigitte.
A la lecture de l’extrait apparaît
clairement que Mme P croit que les deux
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -26-
filles de Jules, Brigitte et Corinne n’ont
pas la MH (cf. P152 et P164). Mme P
affirme cette thèse en P152. Elle explique
ensuite le fondement de son affirmation
en P154. « Alors, sa maman l’avait pas,
hein, puisque elle, elle l’a pas »1, qui se
formalise ¬MHd ⊃ ¬MHb. Ainsi, Mme P
exprime que Brigitte n’est pas porteuse de
la mutation génétique responsable de la
MH parce que le test de sa fille Dorothée
(d) a montré que Dorothée n’était pas
porteuse de la maladie. Ce raisonnement
de Mme P, où s’accomplit un biais de
négation de l’antécédent, est incorrect,
car Brigitte pourrait fort bien être porteuse
et ne pas avoir transmis l’anomalie génétique à sa fille. Dans ce cas, le test de
Dorothée serait favorable alors que Brigitte serait malade sans le savoir.
Alors qu’il a été dit au cours de cet
entretien et de l’entretien précédent mené
par le généticien2 i) que si un parent n’est
pas porteur, alors ses enfants ne peuvent
pas l’être, ii) que si un parent est porteur
alors il peut transmettre ou ne pas transmettre la mutation, iii) et que si un enfant
est porteur, alors un des deux parents
l’est nécessairement, iv) on n’a, jusque
P152-P164, encore jamais abordé le cas
où un enfant n’est pas porteur. Il faudrait
détruire la conviction de Mme P. Il faudrait
qu’elle comprenne que le résultat du test
de Dorothée n’entraîne pas que sa mère
est indemne. Il faudrait donc que le médecin contredise Mme P. Il pourrait, certes,
engager un débat et en le gagnant ébranler Mme P. Et autrement que faire ?
Reprenons le script à N171 :
N171 : non, mais si elle l’a pas, elle peut
pas savoir si elle l’a pas puisqu’elle n’est
pas allée chercher son résultat
P165 : non, la maman n’a pas été, non.
Brigitte a une fille. Bon. Brigitte, elle a fait
le truc, et au moment d’aller le chercher,
elle a pas voulu aller le chercher. Et sa
fille, elle a rien dit à sa c’est la maman,
elle a été le faire hein, et
N172 : c’est ça, oui, mais la première là ?
Alors introduit le conséquent. Puisque
introduit l’antécédent et joue le rôle logique d’un si mais en « enrichissant » la
valeur argumentative de la conditionnelle :
il rappelle un argument intersubjectivement admis. L’imparfait, enfin, signale que
la conditionnelle résout une conjecture qui
a été posée dans le passé. Sur le rôle
argumentatif de puisque, cf. Ducrot
(1980).
2 Cf. Batt, Trognon & Vernant, 2003
1
P166 : oui
N173: la première, elle, elle, elle va
bien ?
P167 : oui, oui
N174 : elle l’a, elle l’a fait quand son test ?
P168 : oh ! alors là ? y’a ? après que son
papa est mort, y’a 4, 5 ans qu’il est mort,
après que sa maman et son papa soient
morts, hein
N175 : mmmh
L’énoncé N171 rate sa cible. Brigitte ne peut évidemment pas savoir si
elle est porteuse ou non porteuse. Certes,
empiriquement, cela n’est pas contestable, car effectivement elle ne connaît pas
le résultat du test. Mais surtout, cela n’est
pas non plus contestable logiquement, en
raison de la table de vérité de l’implication. Or le médecin s’appuie uniquement sur l’argument empirique que Mme P
n’a bien entendu aucun mal à admettre.
De sorte que N171 « porte à faux ». Une
autre stratégie se présente, elle consisterait à proposer un modèle qui contredise
l’affirmation de Mme P3. Elle échoue :
Brigitte ne peut pas représenter un contreexemple. Si la force d’une conviction
augmentait au fur et à mesure de ses
défenses victorieuses dans les débats
dont elle est l’occasion, il ne fait aucun
doute que la conviction entretenue par
Mme P sortirait renforcée de l’interaction
qu’elle a entretenue avec le neurologue.
Conclusion
Mme P était convaincue que les
femmes de sa famille étaient moins atteintes que les hommes. Elle croyait aussi
qu’elle-même n’était pas porteuse du
gène responsable de la chorée de Huntington. Et puis, elle désirait rassurer ses
enfants. Aussi, « sourde » aux tentatives
de mises en garde, cherchait-elle plus à
confirmer sa conviction qu’à savoir
« vraiment ». Malheureusement, il s’avéra
qu’elle était porteuse de la mutation génétique et cette information entraîna une
grave crise personnelle et familiale.
Les recherches menées en sémantique formelle sur la « théorie des
mondes possibles » ont parfois été considérées comme des occupations frivoles
de chercheurs en mal d’originalité. Et les
expériences de psychologie du raisonnement sont souvent considérées comme
une activité abstraite d’un intérêt pureLa théorie des dialogues d’investigation
et de recherche (Hintikka & Sandu, 1989)
permet d’établir ce point.
3
ment académique. Mais voilà que le réel
impose qu’on recourt pour sa compréhension à ces élucubrations gratuites décriées par les fanatiques de la réalité. « A
quoi sert la psychologie ? » se demandet-on à l’envie. Il nous semble que le cas
que nous venons de rapporter pourrait
utilement nourrir une réponse.
J
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -28-
Manager humainement !
Pourquoi et Comment ?
Georges MASCLET
Université Lille 3
J
Quand on regarde le nombre de
symptômes dont souffrent nos organisations aujourd'hui : burn-out, stress, addictions, violences harcèlements…, on peut
dire que manager les hommes aujourd’hui
est devenu un problème de société impérieux auquel il est plus que temps de faire
face. Mais en quoi consiste donc cette
souffrance dans le travail, dont nous
affirmons ici qu’elle serait massivement
méconnue ?
Les raisons du malaise sont multiples et les recherches pratiquées ces
dernières années, tant en France qu’à
l’étranger, révèlent derrière les vitrines du
progrès social un monde de souffrance
qui laisse parfois incrédule.
Il y a ainsi la souffrance de ceux
qui ont peur de ne pas donner satisfaction, de n’être pas à la hauteur des
contraintes de l’organisation du travail :
contraintes de temps, de cadence, de
formation, d’information, d’apprentissage,
de niveau de connaissances et de diplôme, d’expérience, de rapidité
d’acquisition intellectuelle et pratique
d’adaptation à la « culture » ou à
l’idéologie de l’entreprise, aux contraintes
du marché, aux rapports avec les clients,
les particuliers ou le public, etc.
Une autre cause fréquente de
souffrance dans le travail survient quand
la compétence et le savoir-faire sont hors
de cause. Alors même que celui qui travaille sait ce qu’il doit faire, il ne peut pas
le faire, parce qu’il en est empêché par les
contraintes sociales du travail. Des collègues lui mettent des bâtons dans les
roues, le climat social est désastreux,
chacun travaille seul, cependant que tous
pratiquent la rétention d’informations qui
ruine la coopération, etc. Les tâches dites
d’exécution fourmillent de ce type de
contradictions où l’on empêche, en quelque sorte, le travailleur de faire correctement son travail, parce qu’on le coince
dans des procédures et des réglementations incompatibles entre elles. C’est la
violence au travail.
Une autre manière de souffrir
c’est l’attente de reconnaissance. En effet
les résultats des travailleurs sont obtenus
en général au prix d’efforts qui engagent
toute leur personnalité et leur intelligence.
Il y a certes des tire-au-flanc et des gens
malhonnêtes mais, dans leur majorité,
ceux qui travaillent s’efforcent de faire au
mieux et donnent pour cela beaucoup
d’énergie, de passion et d’investissements
personnels. Il serait juste que cette contribution soit reconnue. Mais comme bien
souvent elle ne l’est pas, et qu’elle passe
inaperçue dans l’indifférence générale, il
en résulte une souffrance fort dangereuse
pour la santé mentale. En effet la reconnaissance attendue par celui qui mobilise
sa subjectivité dans le travail passe par
des formes extrêmement réglées et bien
connues des psychologues de la santé.
En effet il n’y a pas de crise psychopathologique qui ne soit centrée sur une crise
d’identité. C’est ce qui confère au rapport
au travail sa dimension proprement dramatique car, faute des bénéfices de la
reconnaissance de son travail et de pouvoir accéder ainsi au sens de son rapport
vécu au travail, le sujet est renvoyé à sa
souffrance et à elle seule. Souffrance
absurde qui ne génère que de la souffrance, selon un cercle vicieux, et bientôt
déstructurant, capable de déstabiliser
l’identité et la personnalité et de conduire
à toutes ses maladies mentales nouvellement apparues au cours de ces quinze
dernières années.
Notre contribution ne sera pas ici
de donner les solutions du malaise mais
de tenter de contribuer à sa résolution
par la compréhension de ce qui s'est
passé du point de vue managérial ces
trente dernières années. Pour cela notre
propos comprendra trois temps :
- L'état d'esprit managérial à la fin et au
début des années 70
- La réalité des managements aujourd'hui
- Quelques pistes de travail
La libéralisation des managements
La première phase du libéralisme
organisationnel fut initiée par Maslow
(1946) dès les années 50. Ce courant a
cherché à intégrer l’individu à l’organisation en tentant de modifier les structures
formelles et le fonctionnement qu’elles
induisaient, pour qu’ils répondent aux
besoins de l’homme en général et des
travailleurs en particuliers. Il fallait pour
cela une théorie capable de dépasser la
simple reconnaissance des besoins économiques (théories classiques) et des
besoins sociaux (théories du courant des
relations humaines).
A.H.Maslow (1946) propose un
modèle hiérarchique qui distingue cinq
types de besoins :
- les besoins physiologiques
- les besoins de sécurité
- les besoins sociaux
- les besoins d’estime
- les besoins de réalisation.
Sans négliger les autres niveaux,
le courant des néo-relations humaines
s'est surtout intéresser aux besoins
d’estime (être considéré de façon positive
par les autres et par soi-même), et aux
besoins de réalisation (atteindre ses
propres buts et développer l’ensemble de
ses potentialités).
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -29-
Comment les organisations peuvent-elles aller à la rencontre de ces
besoins ?
Toutefois ce sont D. Mc Grégor
(1974), C. Argyris (1970) et R. Likert
(1974) qui ont tenté de voir comment les
organisations pouvaient aller à la rencontre de ces besoins. Parmi les principes
traditionnels de fonctionnement des organisations, Mc Grégor (1960, trad.
Franç.1974). mit particulièrement en
question celui de l’autorité conçue comme
unique moyen de contrôle du comportement humain. Pour étayer son argumentation, il distingua deux conceptions de la
nature humaine qui pouvaient sous-tendre
les théories organisationnelles : la théorie
X qu’il rejette, et la théorie Y.
Selon la théorie X, qui inspire
l’organisation classique, l’individu moyen
n’aime pas le travail : c’est une punition
divine (on rappelle ici le mythe d’Adam et
Eve) à laquelle il essaie de se soustraire.
Si l’organisation veut atteindre ses objectifs, elle doit contraindre, contrôler et
menacer de sanctions les travailleurs qui
préfèrent le contrôle et la sécurité aux
responsabilités.
Pour la théorie Y, l’individu moyen
ne répugne pas au travail qui est une
situation de la vie comme une autre, tel le
jeu ou le repos. Le travailleur peut
s’autocontrôler lorsqu’ il se sent responsable de l’atteinte de certains objectifs et
celle-ci lui permet de satisfaire ses besoins d’estime et de réalisation. Pour peu
que les circonstances soient favorables –
et il ressort de l’œuvre de Mc Grégor(1974) que c’est à la direction de
l’organisation de les susciter – l’individu
moyen apprend à accepter voire à rechercher les responsabilités. La théorie Y
considère enfin que la créativité est une
qualité partagée par un grand nombre de
personnes mais que les capacités intellectuelles des travailleurs sont sousemployées par les organisations.
Toute mise en pratique de la théorie Y suppose un degré satisfaisant
d’intégration des besoins (particulièrement
des besoins sociaux, d’estime et de réalisation) et des buts de l’individu aux objectifs de l’organisation. Mc Grégor propose
dans cette perspective des analyses et
des recommandations concernant notamment la direction par objectifs, l’appréciation des performances, les relations
hiérarchie-services fonctionnels et la
formation des dirigeants.
C. Argyris (1957, 1964, trad.
Franç. 1970), pensait que toute organisation a besoin pour fonctionner efficacement de l’énergie psychologique qui
s’accroît ou décroît suivant que ses
membres connaissent ou non le succès
psychologique. Trois conditions sont
nécessaires pour parvenir à celui-ci :
-
que les individus s’accordent de la
valeur et aspirent à éprouver un sentiment croissant de compétence ;
-
que l’organisation fournisse à ses
membres des occasions de faire la
preuve de leur efficacité dans
l’atteinte des objectifs ;
-
que la culture dans laquelle baignent
les individus et l’organisation valorise
l’estime de soi et la compétence.
Rensis Likert (1961 trad.franç.
1974) pensait lui que le management de
type participatif est le plus à même
d’entraîner des résultats. Pour cela il traça
d’abord le profil psychologique des organisations en distinguant quatre systèmes
de management :
-
Le style autoritaire exploiteur : le
management par la peur et la
contrainte.
-
Le style autoritaire paternaliste : le
management par la carotte plutôt que
le bâton, mais les opérateurs restent
soumis.
-
Le style consultatif : la direction se
sert à la fois de la carotte et du bâton
et s’efforce de communiquer avec les
employés. La communication est ascendante et descendante. Les décisions sont prises par la hiérarchie.
-
Le style participatif : dans cette forme
managériale les employés participent
à des groupes de décisions. Ces derniers sont à même de prendre des
décisions quand le cas se présente.
La direction fixe des objectifs à atteindre et travaille étroitement avec les
opérateurs pour les stimuler dans la
réalisation de leurs performances. La
communication est horizontale et verticale entre pairs et supérieurs qui
sont proches psychologiquement. Les
prises de décisions s’effectuent selon
un mode participatif.
Les styles managériaux qui ont
inspirés le courant de pensée des années
70 se fondaient donc sur l’idée que pour
être efficaces, les organisations devaient
être comprises comme étant formées d’un
ensemble cohérent de groupes interactifs,
composés d’individus se soutenant mutuellement. Dans l’idéal le but était donc
de construire des organisations dont les
objectifs concernaient chacun personnellement. Nous étions en plein libéralisme
humaniste. Hélas l’utopie ne dure guère
quand il s’agit de servir le capitalisme ou
la chrématistique.
En effet dans ce contexte deux
maîtres mots semblaient devoir organiser
les hommes : « l’autonomie et la compétence ». Ils étaient devenus les outils
conceptuels pour vivre sa liberté tant au
travail que dans la société. Hélas, les
idées évoluent plus vite que les comportements humains. On ne change pas les
rapports sociaux, les modes de communications, les relations inter-individuelles
d’un coup de baguette magique. Dans les
organisations classiques, chacun savait
en arrivant à l’usine, au bureau, les formules qu’il devait employer : « bonjour Monsieur… Il fait beau… Comment vont les
enfants… », chacun connaissait le rôle
qu’il avait à jouer de par le statut qui lui
était dévolu. Chacun manipulait les quelques zones d’incertitudes du système
pour ne pas être complètement aliéné par
lui. Chacun appartenait à un groupe de
pression officiel ou officieux…Les règles
étaient connues de tous. Pour « exister »
dans l’entreprise il suffisait de se les
approprier. Plus rien de tout cela ne fonctionne en système libéral. Les chefs enragent de ne plus être reconnus et obéis. Ils
se sentent niés, incompris, inconsistants,
inutiles.. Quant aux opérateurs à qui on a
donné la liberté, ils se sentent de plus en
plus mal à l’aise, et démotivés. Que signifie cette liberté ? N’est-elle pas un piège ?
Est-on vraiment libre, se demandent-ils ?
Libre de quoi ? Pourquoi ces chefs sans
pouvoir tentent-ils d’exister au travers de
prises de positions fantaisistes ou de
nouvelles formes de harcèlement moral ?
Une bien dure époque où les modèles de
comportements du passé n’ont plus cours,
et où les nouveaux ne sont pas encore
rodés ou inventés.
Comment les managers pouvaient
-ils rattraper le coup ? Car en fait de
libéralisme et de mettre l'individu au centre du système, il s'agissait surtout d'être
efficace et performant dans la production.
Pour cela il s'agissait de s'appuyer sur les
comportements acquis et naturels des
hommes.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -30-
Les fondements des
"New Managements"
Nicole Aubert(1991) nous décrit
comment les nouveaux managers s'y
prennent pour mobiliser les individus par
devers eux.
Les techniques sont variées et
peu étudiées par les psychologues en
France. Ces derniers ont en effet, deux
attitudes humanistes vis à vis d’elles. Soit
ils les rejettent au nom de la déontologie,
soit ils en étudient les effets pour mieux
les dénoncer par exemple dans les études
sur le burn-out ou sur le stress.
Une première méthode consiste à
mettre l’individu en tension sur le plan
narcissique :
- par une forte sélectivité au niveau de
l’embauche
- par une politique active de gratifications
- par une image de toute puissance
- par une ambiance élitiste …
Une deuxième consiste à faire en
sorte que l’individu mobilise ses mécanismes de défenses contre l’angoisse
comme le décrit la psychanalyse, pour
renforcer l’investissement au travail :
- par une mobilité et une flexibilité des
structures
- par des emploi du temps très chargés
- par la résolution des problèmes dans
l’urgence
- par la survalorisation de l’action…
Une troisième tend à canaliser
l’énergie libidinale sur des objectifs productifs :
- par des possibilités de promotions
rapides
- par l’exigence du toujours plus
- par la domination des exigences
commerciales…
Une quatrième encore prône la
production et encourage l’adhésion :
- par l’excellence
- par l’image de perfection
- par des manuels de management
proposant des valeurs et une éthique…
Une cinquième enfin procède en
favorisant l’identification et la prise en
charge psychologique des exigences de
l’entreprise :
- par les entretiens de carrières
- par l’individualisation des performances
-
par l’autonomie dans l’organisation du
travail
par l’auto-actionnariat…
Ces principes managériaux reposent en fait sur un ensemble de représentations (des images, des valeurs, une
culture d’entreprise, une éthique, une
philosophie basée sur un idéal commun)
et un modèle de personnalité (fondé sur
le désir de réussite, d’aimer la compétition
et le challenge, la réalisation de soi dans
le travail, l’accomplissement personnel, le
goût de la communication). Ils se fondent
sur l’idée de la mobilisation des ressources humaines et font de l’implication des
hommes avec eux ou malgré eux, le
facteur essentiel de l’efficacité des entreprises. Dès lors, les dimensions psychologiques du management prennent une
importance considérable. Il se noue en
effet une relation interactive entre la structure psychique et la structure organisationnelle qui suppose une adéquation
entre le profil structurel et fonctionnel de
l’organisation et la personnalité des salariés. Ce système « socio-mental » du
management moderne se paie d’un fort
coût humain. Les bénéfices psychologiques : accomplissement personnel, narcissisme, plaisir, créativité… sont contrebalancés par des brûlures psychiques
comme le stress, la dépression et la
désillusion. On ne reste compétitif qu'un
temps. Les individus s'usent très vite à ce
jeu.
Masclet (2004) décrit les techniques managériales issues de ces principes. En voici quelques unes :
Le Downsizing : cette pratique
consiste à réduire de manière drastique
les effectifs d’ouvriers et d’employés.
Objectif : « débureaucratiser » l’organisation en la rendant « lean and mean »
(maigre et méchante) et par là même plus
compétitive. Ces types de pratiques ont
fini par toucher les cadres intermédiaires
et un ministre célèbre souhaitait même
l’appliquer à l’Education Nationale. Son
équivalent français est le « dégraissage ».
Il ne doit pas être confondu avec le reengineering.
Le Benchmarking est une méthode de management consistant à introduire la comparaison de sa propre performance avec celle de ses concurrents
dans le même métier. Le détour par la
comparaison est considéré comme un
facteur dynamisant.
BRP).:
Michael Hammer 1993), ingénieur
en informatique au MIT, fit du Reengineering ou le Business Process Redisign (BRP) la grande idée du début des
années 1990. Le re-engineering est un
mélange de techniques allant du juste-àtemps jusqu’aux études du temps et du
mouvement initiées par Taylor. La méthode est destinée à fluidifier les processus de travail à travers les différentes
divisions de l’entreprise pour réduire les
coûts et augmenter la productivité. En
pratique, cette forme managériale est
utilisée par les organisations pour réduire
leurs coûts opérationnels, en particulier
les coûts en personnel. La conséquence
la plus négative de cette forme de gestion
c’est la perte de potentiel qui a laissé plus
d’une entreprise incapable de saisir les
opportunités de croissance dès les années 1990 quand l’économie eut repris
une phase de croissance.
L’avantage concurrentiel ou competitive advantage est l’un des facteurs
résultant de la mise en œuvre d’une
stratégie concurrentielle, qui permet à une
entreprise de gagner des parts de marché
sur ses concurrents. C’est M.E. Porter
(1986) qui a mis au point cette formule
très perfectionnée pour déterminer comment les entreprises et les pays peuvent
obtenir des avantages concurrentiels.
La responsabilisation – ou Délégation – (empowerment) : Rosabeth Moss
Kanter (1992) est la principale instigatrice
de ce mouvement, très à la mode dans le
monde du management au début des
années 90. Le principe de responsabilisation, ou de délégation, qui doit permettre
de libérer les facultés d’innovation et de
changement des individus à l’intérieur
d’une entreprise, implique généralement
une participation accrue des employés
dans l’organisation pour stimuler leur
esprit d’initiative et d’entreprise.
Les Champions (champions) :
dans Le prix de l’excellence, Peters et
Waterman (1982) appellent «champions»
ces individus influents que l’on rencontre
généralement dans des entreprises tournées vers la recherche, dont le soutien
peut assurer la réussite d’un projet ou
d’une invention. Une entreprise possédant
de tels champions a toutes les chances
d’obtenir un brevet d’ «excellence».
En fait dans ces différents styles
managériaux la participation des travailleurs à l’organisation du travail dans les
entreprises reflète l’estompement de la
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -31-
différenciation entre production et gestion
et préside à une fusion désocialisante et
désobjectivante de l’organisation du travail. Pourquoi ? Tout simplement parce
que le capitalisme a phagocyté le libéralisme a ses fins chrématistiques (Masclet
2004). En effet, le régime néo-libéral se
caractérise selon Thomas Coutrot (1998)
par le concept paradoxal de « coopération
forcée ». Les dirigeants d’entreprises y
sont soumis à une pression extrême des
marchés financiers mondialisés. Cette
pression est répercutée sur les salariés
par l’intermédiaire des nouveaux modes
de gestion du personnel comme nous
avons pu le constater. Les directions
décentralisent l’organisation, accordant
aux équipes de travail une grande autonomie. Les organisations par projets, les
équipes autonomes imposent aux salariés
une mobilité interne extrême, qui limite les
possibilités d’émergence de collectifs de
travail stables. La coopération est alors
forcée directement par l’accentuation des
contraintes systémiques, en provenance
des marchés financiers et du marché du
travail, où règne un chômage important.
L’autonomie accordée aux équipes est
contrôlées par le jeu des contraintes et
par la pénétration des exigences de la
clientèle dans le cœur de la production.
Ce modèle est très cohérent avec
le modèle anglo-saxon du « corporate
governance », qui organise la prise de
pouvoir dans les entreprises. Il est d’une
redoutable efficacité dans la performance
financière de cours et moyen terme, qui
est le critère exclusif d’efficience reconnu
par les marchés financiers. L’analyse de
ses contradictions laisse cependant sceptique sur sa capacité à assurer la croissance et à préserver la démocratie sur le
long terme. Une reprise de la réflexion sur
la gestion des entreprises, trop vite interrompue en France, sur des bases plus
démocratiques et plus responsables
s’avère plus que jamais nécessaire.
Quelques pistes de réflexion
Le burn-out ou épuisement professionnel et toutes ces nouvelles maladies de la désorganisation du "Soi" et des
liens sociaux se sont développés au
moment où le modèle disciplinaire de la
gestion des conduites, des règles
d’autorité et de conformité aux interdits se
sont déliquéfiés. Les normes qui assignaient aux classes sociales comme aux
deux sexes leur destin ont cédé devant
des normes qui incitent chacun à l'initia-
tive individuelle en l'enjoignant à devenir
lui-même. La conséquence de cette nouvelle normativité, c'est que la responsabilité entière des vies de tous se loge non
seulement en chacun de nous, mais
également dans l’entre-nous collectif.
Ainsi le burn-out est une manière "d'être"
qui se présente comme une maladie de la
responsabilité et dans laquelle domine le
sentiment d’insuffisance. L' " épuisé" n’est
plus à la hauteur, il est fatigué d’avoir à
devenir lui-même.
Mais que signifie devenir soi ? La
question n’est simple qu’en apparence.
Elle soulève d’épineux problèmes de
frontières : entre le permis et le défendu,
le possible et l’impossible, le normal et le
pathologique. Car l’intime, dans ces
conditions, joue des rapports instables
entre culpabilité, responsabilité et pathologie mentale.
L’action s’est en effet aujourd’hui
individualisée. Elle n’a alors plus d’autre
source que l’agent qui l’accomplit et dont il
est le seul responsable. L’initiative des
individus passe au premier plan des
critères qui mesurent la valeur de la personne.
Ce changement, c'est-à-dire cette
manière "d'être au monde", a pendant
longtemps été une chose désirable parce
qu’il était lié à l’horizon d’un progrès qui
devait se poursuivre indéfiniment, et
garanti, en partie, par une protection
sociale qui ne pouvait que s’étendre. Il est
vécu aujourd’hui de façon ambivalente,
car la crainte de la chute et la peur de ne
pas s’en sortir l’emportent nettement sur
l’espoir d’ascension sociale. Tout se
passe comme si les individus n’avaient
plus que les méfaits du changement,
méfaits que les mots « vulnérabilité »,
« fragilité » et « précarité » résument.
Nous changeons, certes, mais nous
n’avons plus le sentiment de progresser.
Combinée à tout ce qui incite aujourd’hui
à s’intéresser à sa propre intimité, la
« civilisation du changement » stimule une
attention massive à la souffrance psychique. Elle sourd de partout et s’investit
dans les multiples marchés de l’équilibre
intérieur. C’est dans les termes de
l’implosion, de l’effondrement dépressif
ou, au contraire de l’explosion – de violence, de rage ou de recherche de sensations dans des addictologies de toute
sorte ou des prises de risques extrèmes
– que se manifeste aujourd’hui une large
part des tensions sociales. La psychologie
contemporaine nous l’enseigne, l’impuis-
sance personnelle peut se figer dans
l’inhibition, exploser dans l’impulsion ou
connaître d’inlassables répétitions comportementales dans la compulsion.
L'épuisement est ainsi au carrefour des
normes définissant l’action, d’un usage
étendu de la notion de souffrance ou de
mal-être dans l’abord des problèmes
sociaux.
La maladie du système libéral,
c’est la responsabilité. Responsable mais
non coupable, disaient certains de nos
ministres accusés de violences indirectes
sur des personnes malades, voilà bien le
lot de notre temps. L’actualisation des
pulsions n’est pas chose aussi simple
quand il s’agit de les sublimer.
Faut-il en revenir au pyramidalisme (Maslet 2004) quand on constate les
effets négatifs que peut avoir le libéralisme? Certes non, l'idéologie de la "liberté" se doit de s'actualiser. Mais il est clair
que ce n’est pas en nous apitoyant sur
notre ego et notre passé que l'on sortira
de ses problèmes organisationnels. Il est
évident qu’à l’heure où toute la planète
semble choisir le libéralisme comme voie
économique, camper sur nos positions
serait suicidaire. Et pourquoi nous saborder alors que l’histoire nous ouvre les
voies pour ne pas perdre notre âme ? Le
libéralisme condorcéen (Masclet 1995)
offre sans conteste des idées pour devenir libéral et rester humaniste. Mettre "la
compétence" au service du bien de tous,
selon les vœux de Condorcet, n’est-il pas
un moyen de préserver l’individu pour
enrichir le groupe ?
C’est donc moins d’une position
affective que d’une position réaliste dont
nous avons besoin pour organiser les
entreprises de tous ordres dans notre
pays. C’est bien plus de la compréhension
du fonctionnement des systèmes économiques que de leur choix qui importe. Or il
semblerait bien que les politiques actuelles, Masclet (1995), conduisent plus à une
démarche alternative entre l’un ou l’autre
système qu’à une éducation des choix.
Les sciences humaines et la psychologie
particulièrement, devaient nous aider
dans cette voie. En effet notre science a
joué un rôle important dans les économies
de ce début de siècle pour permettre
l’adaptation de l’homme aux sociétés
pyramidales, Masclet (1998a).
Cette contribution a d’ailleurs souvent fait l’objet de prises de positions
idéologiques notamment à partir des
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -32-
années 60, dans plusieurs travaux
d’obédiences sociologiques (Snyders 70,
Bourdieu et Passeron 64, Romian 74).
Que fallait-il faire ? Sous prétexte
que la recherche en psychologie et ses
applications contribuaient, en plaçant
l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, à
l’essor du capitalisme, fallait-il stopper
toute investigation scientifique en sciences humaines ? Le débat de l’utilisation
humaniste des produits de la recherche
n’est hélas pas de seul fait des scientifiques. Certains travaux des pionniers de la
psychologie ont sans doute contribué à la
croissance économique et au développement du capitalisme. Ce qu’on peut reprocher à la psychologie du début du siècle
c’est peut-être de n’avoir pas pris suffisamment de précautions déontologiques
dans ses applications. C’est la remarque
qu’on peut faire à toute science naissante
et qu’on aurait pu faire à la physique
nucléaire, à l’informatique et qu’on semble
faire avec le génie génétique.
Il est toutefois à remarquer qu’à
une époque où l’on manque de gens qui
entreprennent, où tous les hommes aspirent à la liberté, et où chacun veut vivre sa
propre spiritualité, la psychologie a sûrement encore beaucoup de chose à apporter. Il y a fort à penser que cette fois la
dimension humaniste sera présente, le
dernier code de déontologie des psychologues en est, et c'est à espérer, l’un des
garants.
L'heure n'est donc pas au refus du
marché, mais à comment l'apprivoiser.
Pour cela l'organisation ne doit plus être
le lieu de l'urgence (Aubert 2003) et de
l'aliénation. Au contraire elle doit devenir
un des lieux privilégiés de l'échange, de
l'épanouissement et de la créativité. Pour
cela il est d'abord nécessaire de retrouver
le "Sens" de ce que veut dire être ensemble et pourquoi. Car à l'heure où 73,2%
d'entre nous mènent leur activité dans les
services, il est plus qu'urgent de se garantir contre deux dangers. Le premier
c'est celui de la vente des services. Le
service çà se Rend, çà ne se Vend pas,
sinon l'essence humaine est pervertie.
Ainsi dans les premières sociétés de type
cynégétique les individus s'organisaient
pour chasser pour ensuite manger. Par
contre quand l'argent devient le moteur de
l'organisation, la perversion n'est plus loin
(Masclet 2000). Pour exemple regardons
ce que les U.S.A. ont fait de leurs services
de santé. Le deuxième danger qui menace une société de services c'est la création de services artificiels pour occuper les
personnes. Ainsi à une époque où les
services d'orientation sont pléthore, les
français n'ont jamais été aussi désorientés. Et cela sans compter que certains
services arbitraires contribuent à maintenir des personnes dans la précarité pour
justifier leur existence (associations et
services d'allocations).
Le temps est à l'imagination ne
nous décevons pas les uns les autres
J
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -33-
Sentiment d’efficacité personnelle et évaluation de la motivation
Mise en perspective par les représentations sociales des compétences
Pierre-Henri FRANÇOIS,
Maître de conférences en psychologie du travail, Université de Poitiers
J
Nos travaux sur les représentations sociales des compétences, menés
depuis quelques années à Poitiers (François & Aïssani, 2002, François, 2003,
2004a), avec comme références principales la théorie sociale cognitive de Bandura
(TSC) et les conceptualisations relatives
aux représentations sociales nous
conduisent à considérer trois types principaux de représentations des compétences (RC) : les représentations des compétences en général (définition de ce qu’est
une compétence), les représentations des
compétences requises pour mener à bien
certaines activités et les représentations
de ses propres compétences. Dans la
terminologie de la TSC, le premier type
correspond à ce que Bandura appelle les
conceptions des compétences et a surtout
été étudié sous l’angle des représentations fixistes vs incrémentielles, le second
correspond à l’attente de résultats, le
troisième au sentiment d’efficacité personnelle (SEP). Le couplage de la TSC
avec les représentations sociales permet
d’insister sur les déterminants sociaux de
ces représentations. Dans l’évaluation de
la motivation, les trois types de représentations apportent des informations importantes.
Les personnes (incrémentielles)
qui considèrent que les compétences sont
acquises par expérience ou apprentissage
recherchent les situations qui leur permettent d’augmenter leurs connaissances,
leurs compétences : elles considèrent les
erreurs comme des moyens d’apprendre
et évaluent plutôt leurs capacités en terme
de progression personnelle que par comparaison sociale. Les personnes (fixistes)
qui voient dans les compétences l’expression de qualités innées, de dons, apprécient particulièrement les situations où
elles sont performantes et tendent à éviter
les situations pouvant amener un échec
puisque celui-ci est évocateur d’un manque irrévocable de capacités.
La distinction entre conceptions
fixistes et incrémentielles des compétences trouve sa place dans la TSC et éclaire
certains processus d’autorégulation des
conduites. Pour Bandura (2003, p. 343)
les conceptions fixistes des compétences
tendraient
à
diminuer
l’autodéveloppement des capacités alors que
les conceptions incrémentielles seraient
associées à la tendance inverse. Bandura
(ibid. p. 342) indique aussi que les
conceptions des compétences jouent un
rôle dans l’effet motivationnel des attributions (par rapport à un succès ou un
échec) en terme d’effort. Par exemple,
dire à un fixiste qu’il a réussi parce qu’il a
produit un gros effort peut l’amener à
penser que cet effort était nécessaire pour
compenser une déficience d’aptitude alors
qu’un incrémentiel y verra la preuve que
l’effort a porté ses fruits. Ainsi les attributions évoquant l’effort peuvent avoir des
effets variables. Bandura (ibid. p. 343)
suggère que de telles attributions peuvent
avoir un effet décourageant, par exemple
quand elles sont répétées. Un élève en
difficulté qu’on exhorte continuellement à
l’effort se découragera mais pourra se
remobiliser s’il interprète un succès ponctuel comme la marque d’un certain niveau
d’aptitude.
L’attente de résultat est pour Bandura (2003) une composante importante
des processus motivationnels. Elle correspond aux croyances d’un individu que
certains comportements peuvent lui permettre d’atteindre des résultats visés.
Dans le même ordre d’idée, François
(2003, p. 32) définit « la représentation de
l’efficacité des moyens (REM) comme
étant l’identification et l’évaluation des
moyens qui mènent à une performance »,
la performance permettant ensuite l’at-
teinte des résultats visés. Le fait d’identifier des moyens efficaces permettant
d’atteindre un objectif précis augmenterait
la motivation à mettre en œuvre les conduites correspondantes. La REM est
souvent de fait constituée de représentations des compétences utiles pour atteindre un effet donné. Rien d’étonnant à cela
si on considère comme Levy-Leboyer
(1996, p. 42) que les compétences sont
des répertoires de comportements et que
l’attente de résultat (ou REM) chez Bandura concerne principalement les conséquences des comportements. Pour Bandura, les attentes de résultats se constituent à partir des expériences vécues par
le sujet et aussi par modelage. Par la
réflexion sur ses propres actions ou sur
celles d’une personne observée (modèle),
le sujet infère des croyances sur les comportements efficaces qui peuvent mener à
certains résultats attendus. Ces règles de
fonctionnement inférées pourront ensuite
être appliquées dans l’autoguidage des
activités. Nous avons obtenu plusieurs
résultats avec des populations françaises
(voir par ex. François et Baudry, accepté
2006) suggérant que l’attente de résultat
pourrait, dans certaines conditions,
s’avérer plus déterminante de la performance que le SEP, alors que Bandura
met, lui, nettement l’accent sur cette
dernière composante.
Pour Bandura, le SEP est une des
principales composantes de la motivation
humaine. On peut définir le SEP comme
les croyances d’un individu sur ses capacités à mettre en œuvre les comportements qu’il pense utiles pour atteindre des
résultats visés. Le SEP renvoie « aux
jugements que les personnes font à propos de leur capacité à organiser et réaliser des ensembles d'actions requises
pour atteindre des types de performances
attendus » (Bandura, 1986), mais aussi
aux croyances à propos de leurs capacités à mobiliser la motivation, les ressour-
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -35-
ces cognitives et les comportements
nécessaires pour exercer un contrôle sur
les événements de la vie (Wood et Bandura, 1989). Ces croyances constituent le
mécanisme le plus central et le plus général de la gestion de soi (personal agency).
En particulier, le SEP influe sur les performances, le choix des activités et leurs
environnements et sur la dépense d'efforts, leur persistance, les types de pensées (positives vs négatives) et les réactions émotionnelles face aux obstacles.
Le SEP influe positivement sur la performance. Il a un rôle direct en permettant
aux personnes de mobiliser et organiser
leurs compétences. Il a un rôle indirect en
influençant le choix des objectifs et des
actions. Les résultats de la méta-analyse
effectuée par Sadri et Robertson (1993)
confirment que le SEP est corrélé avec la
performance (r après correction = .40) et
avec le choix du comportement (r après
correction = .34).
La TSC repose sur un modèle
triadique de causalité réciproque entre les
trois composantes que sont la personne,
les comportements et l’environnement (cf.
Figure 1). Il est important d’intégrer cette
perspective pour comprendre toute la
richesse de cette approche. On peut
situer les processus qui mettent en jeu les
trois types de RC. Les conceptions des
compétences en général (fixistes vs incrémentielles) ont été étudiées jusque là
par les auteurs nord américains dans une
perspective différentielle c'est-à-dire
dépendant de P mais les auteurs stipulent
l’influence possible de l’environnement
éducatif ou culturel. On a donc P qui
détermine E (perçu) et est éventuellement
influencé par E. Et P détermine aussi
l’interprétation des comportements et de
leurs renforcements comme dans les
exemples présentés plus haut. Pour les
deux autres types de RC, le modèle
s’applique plus facilement dans son intégralité. Les attentes de résultats et le SEP
dépendent du pôle P en ce sens que P
traite l’information relative aux comportements et à l’environnement. Notamment,
en fonction des RC, P choisit, réalise et
évalue les comportements. E détermine P
en fournissant des modèles, des schémas
de pensée, des informations symboliques
(connaissances). C influe sur E : l’individu
tente d’intervenir sur E par le moyen de C
dans un sens qui lui soit favorable et donc
en fonction des RC, comme on l’a dit. Les
résultats obtenus par C, et donc qui dépendent des renforcements par E, vont
alimenter les RC (P) en forgeant des
attentes de résultats et en permettant
l’évaluation de l’efficacité personnelle.
P
C
E
Figure 1 Modèle triadique de causalité
réciproque (Bandura, 1986) P=personne,
C=comportement, E= environnement.
Le croisement des attentes de résultat et du SEP est tout à fait fondamental pour accéder à la compréhension des
processus motivationnels situés dans un
environnement socioéconomique. Ainsi
Bandura (2003, p 38) propose-t-il le tableau ci-dessous pour rendre compte du
rôle de ce qu’il appelle la réactivité du
milieu dans la formation de modes de
relations à l’environnement et d’autorégulation comportementale. C’est bien les
représentations concernant ce qu’il faut
faire et ce qu’on est capable de faire qui
interviennent dans ce modèle cognitif de
ATTENTES DE RESULTAT
CROYANCES
D’EFFFICACITE (SEP)
moins
plus
plus
Revendication
Engagement productif
Reproches
Aspirations
Militantisme
Satisfaction personnelle
Changement de milieu
moins
Résignation
Autodévalorisation
Apathie
Découragement
Figure 2. Effets croisés du SEP et de l’attente de résultat sur le comportement et
l’émotionnel
la motivation, mais ici Bandura développe
une argumentation qui s’inscrit bien dans
le modèle triadique de causalité réciproque à savoir que le regard porté sur les
comportements ne peut être disjoint des
renforcements du milieu.
Conceptions des compétences,
représentations des compétences requises et représentations de ses propres
compétences interviennent donc dans les
processus cognitifs motivationnels. En
nous appuyant sur les travaux de Skinner
(1996), nous avons proposé (François,
1998, 2002, 2003) une articulation des
concepts de Bandura avec le célèbre
modèle VIE de Vroom (1964) (cf. Fig. 3).
Rappelons que Bandura lui-même n’inscrit pas sa TSC dans la catégorie des théories de l’expectation / valence, notamment parce que la rationalité de ces modèles est que l’individu cherche à maximiser la satisfaction alors que pour Bandura
c’est le SEP qui joue le rôle le plus déterminant.
L’entretien de motivation peut être
structuré de façon à repérer les différentes composantes de la motivation. Nous
avons réalisé un petit film, destiné à la
formation, illustrant ce propos (François,
2000b). Ainsi pour une performance
donnée, par exemple atteindre un certain
niveau de compétence (soit reconnu
socialement avec obtention d’une qualification, soit effective permettant de réaliser
correctement certaines opérations) il est
utile de savoir ce que la personne pense
que cette performance lui procurera
comme satisfactions ou bénéfices
(conséquences de la performance sur la
figure 3), de savoir l’importance, la valence accordée à chacune de ces conséquences et la probabilité perçue par la
personne que la performance mène à
l’obtention de sa conséquence (instrumentalité). « Si vous atteignez ce niveau
de performance qu’est-ce que ça vous
amènera ? », « Ce que ça vous amènera,
est-ce important pour vous ? », « Si vous
atteignez la performance, quelle est la
probabilité que ça vous apporte quelque
chose ? ». L’attente de résultats de Bandura recouvre l’instrumentalité mais aussi,
avec le SEP permet de préciser ce qu’est
l’expectation. La question « Que faut-il
pour arriver au niveau de compétence ? »
permet de renseigner sur les moyens
jugés efficaces par la personne pour
atteindre la performance. Les réponses
peuvent être faites en termes de compétences (par exemple, savoir se servir de
tel logiciel, parler anglais …) ou de res-
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -36-
Modèle de
l’expectation
Modèle de la valence
Valence
Sentiment d’efficacité
personnelle
Performance
Attente de résultats
Conséquence
performance
Instrumentalité
Conception des compétences
Figure 3. Modèle synthétique de la motivation cognitive d’après les travaux de Vroom, Bandura et Skinner.
sources extérieures (disposer d’un ordinateur, d’une salle de documentation …).
Une fois identifiées les attentes de résultat, on peut les convertir en questions sur
le SEP : « Vous-même savez-vous vous
servir de ce logiciel ? », « Saurez-vous
trouver l’information dans un centre de
documentation ? ». La conception des
compétences viendrait moduler les attentes de résultats ; on peut la repérer en
demandant ce qu’il faut pour avoir cette
compétence et repérer si l’individu répond
plutôt en termes d’aptitudes et de traits
(conception plus fixiste) ou en terme
d’acquisitions, d’apprentissage (conception incrémentielle).
L’intérêt du modèle réside principalement dans l’articulation des différentes composantes. Modèle multiplicatif
pour VIE : si une des trois composantes
est faible ou nulle, il en va de même pour
la motivation à atteindre la performance.
Interaction entre attente de résultats et
SEP ainsi qu’il est décrit plus haut dans la
TSC (voir Figure 2). L’intérêt du modèle
réside aussi dans la résonance psychologique de chacune des composantes. On
n’est pas dans le même registre de diagnostic ou d’accompagnement motivationnel si on découvre que la personne
pense qu’il y a peu de chance que
l’accrois-sement de certaines compétences lui apporte quelque chose ou bien si
elle valorise peu ce que ça peut lui apporter. La probabilité d’occurrence de la
conséquence peut être sous-estimée ou
ignorée auquel cas une information permettant une meilleure connaissance des
conséquences de la performance sera de
nature à modifier la motivation. La valence
attribuée aux conséquences de la performance peut aussi provenir d’une méconnaissance de la conséquence (par exemple un métier auquel l’accroissement de
compétence pourrait permettre d’accéder)
mais il peut aussi provenir des goûts et du
système de valeurs de la personne qu’on
ne saurait prétendre faire évoluer dans le
cadre d’une relation de conseil en temps
restreint (comme c’est souvent le cas
dans l’accompagnement des parcours
professionnels). En ce qui concerne l’expectation, l’attente de résultat correspond
à l’identification de moyens perçus comme efficaces pour atteindre la performance ; il est clair qu’une information sur les
moyens, par exemple les contenus d’une
formation, est de nature à faire évoluer les
représentations sous-tendant la motivation. Les croyances de l’individu dans ses
capacités à mettre en œuvre ces moyens
jugés efficaces constituent le SEP. Un
SEP faible peut être rehaussé par des
encouragements mais plus certainement
par l’expérience réussie ou par l’observation d’un modèle maîtrisant les activités
en question et auquel le sujet peut
s’identifier. La communication de résultats
de tests ou l’examen accompagné de ses
expériences peuvent conforter le SEP du
sujet. La formation peut également être
propice au vécu d’expériences réussies et
au modelage. Le lecteur pourra trouver un
complément d’information sur ces perspectives appliquées au conseil dans les
textes suivants (François 2000a, François
& Botteman, 1996, 2002, Botteman, François, Faucher-Villet, 2005, François &
Langelier, 2000).
Notons aussi que dans l’approche
cognitive de la motivation c’est la façon
dont l’individu se représente la situation et
l’articulation entre ces différentes composantes représentationnelles qui comptent.
L’individu peut donc se trouver plus ou
moins motivé sur la base de représentations erronées ou biaisées : être persuadé
qu’un métier lui permettra d’exercer une
de ses activités professionnelles favorites
alors que celles-ci n’y prennent qu’une
place restreinte, croire qu’une formation
inadéquate mène à une profession, sousévaluer l’importance d’une compétence
requise pour atteindre une performance
donnée, surévaluer ses capacités. Un
manque de réalisme dans certaines représentations sous-tendant la motivation
est évidemment à prendre en compte
puisque la motivation risque de chuter
quand les représentations auront évolué
avec la confrontation du sujet à la situation réelle.
Une part importante de notre travail sur les représentations sociales des
compétences a consisté à documenter
l’ancrage social des compétences, dans
l’idée que le versant social de la TSC
pourrait être renforcé par rapport au co-
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -37-
gnitif, notamment en liant encore davantage que ne le fait Bandura les processus
cognitifs à des logiques sociales. Ainsi
avons-nous trouvé que les représentations des compétences peuvent varier
selon des logiques de fonctions professionnelles, de relations intergroupe, de
hiérarchie organisationnelle (François,
2004a, 2005, François & Baudry, accepté
2006). Les conceptions des compétences
en général varient selon le degré
d’expérience, la filière d’étude, il y aurait
un ancrage social de la dimension fixiste
incrémentielle selon des processus identitaires, selon le statut, des logiques organisationnelles. Les représentations des
compétences requises varient selon des
processus identitaires, selon le statut. Les
représentations des compétences de
l’endogroupe suivent des logiques sociales identitaires.
L’ancrage social des RC nous
permet d’entrevoir comment une catégorie
de jugement socialement construite est
impliquée dans l’identité et participe à
l’autorégulation des conduites. Cette
perspective nous incite, en tant que psychologues, à ne pas focaliser uniquement
sur des déterminations intrapsychiques
mais bien à les situer en contexte. Elle
nous incite aussi à un relativisme culturel
prudent quand il s’agit d’appliquer à nos
pratiques des modèles théoriques développés dans d’autres contextes sociaux et
culturels (François 2004b et c).
J
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -38-
Mondialisation, Dynamiques interculturelles
et variations des identités
Geneviève VINSONNEAU
Directeur d’études et de recherches en psychologie interculturelle,
Université Paris 5
J
La psychologie et l’explication
des phénomènes de culture
Comment comprendre l’homme
confronté à la mondialisation ?
Dans le contexte géopolitique et
économique de l’ouverture européenne et
de la « mondialisation », l’interdépendance des états et des continents
accentue les phénomènes de migration,
volontaire ou non, provoquant des turbulences dans l’ordre des loyautés (familiales, religieuses, nationales…) et des
citoyennetés, ce qui active la créativité
identitaire, de nouvelles formations subjectives et d’éventuels traumatismes
psychologiques. Il s’agit ici de plaider en
faveur d’une approche en psychologie
interculturelle, pour mieux comprendre la
réalité psycho sociale émergente sous
l’effet de la mondialisation et des nouvelles formes de l’immigration.
Les notions de culture et d’identité
seront discutées et l’on montrera qu’il
convient de les aborder en tant que phénomènes situationnels et relationnels et
non comme des entités stables, qui seraient attachées, une fois pour toutes, aux
individus, notamment d’après leur origine
territoriale. L’analyse des opérations
identitaires en œuvre dans la dynamique
interculturelle doit être menée au regard
des enjeux qui sous-tendent les choix
d’appartenance des sujets en situation ;
on verra comment les formations identitaires, individuelles et collectives, se déploient en tant que processus, par lesquels les acteurs génèrent et « bricolent »
des significations, des liens et des stratégies adaptatives, en instrumentalisant à
cette fin certaines ressources dont ils
disposent : la territorialité (physique et
symbolique), l’ancrage socio politique, la
religion, l’ethnicité….
L’avènement de la psychologie
anthropologique
La psychologie interculturelle recouvre un champ d’études au sein duquel
on peut distinguer plusieurs courants ; le
plus ancien et aussi le plus connu est
celui des études « culturelles » ou mono
culturelles, largement fondées sur les
outils conceptuels et méthodologiques de
l’anthropologie, principalement nordaméricaine. Ces études classiques ont
bouleversé le mode d’explication des
différences qui apparaissent entre les
conduites humaines, jusqu’alors volontiers
expliquées en termes de nature,
d’appartenances
raciales.
Avec
l’avènement de l’anthropologie scientifique, les explications en termes de formations culturelles et d’apprentissages différenciés entre les populations à travers le
monde prennent le pas sur les arguments
essentialistes. Si les populations humaines porteuses de cultures distinctes se
comportent différemment, c’est parce
qu’elles ont été équipées de codes culturels variés (elles sont « enculturées »
différemment), ce qui les prépare à projeter sur le monde des significations différentes et à développer, pour s’adapter au
réel, des modèles ou patterns de réactions dissemblables. Et ceci non parce
que la nature humaine serait hétérogène,
composée de races différentes et inégalement réparties sur une échelle hiérarchique exprimant de plus ou moins grandes aptitudes pour accéder à La
« Civilisation ».
L’anthropologie scientifique rend
donc familière une notion qui va devenir
centrale : celle du relativisme culturel. Le
regard scientifique a permis d’éclairer les
phénomènes culturels et la réalité anthropologique des cultures ; si la science vise
à comprendre, expliquer et prévoir les
évènements auxquels elle s’intéresse, son
objet ne consiste pas à établir des classements en vue d’aboutir à hiérarchiser
les populations selon des systèmes de
valeurs ou de significations. Lorsqu’elle
s’intéresse à la compréhension des cultures, la science n’a pas à décider si telle
valeur culturelle est supérieure ou inférieure à telle autre, mais à comprendre
pourquoi et comment ces valeurs respectives génèrent certains enchaînements de
conduites et d’interactions humaines dans
des circonstances spécifiées. Le relativisme culturel représente donc la condition épistémologique nécessaire au développement des études scientifiques sur
les phénomènes de culture ; mais pour
des raisons de commodités : à la fois
méthodologiques (servant des perspectives comparatives) et théoriques (visant
l’explication des formes de modelage de
la personnalité en liaison avec le type de
« socialisation »), la plupart de ces études
se sont déployées dans des sociétés de
petite dimension et au changement lent,
celles que les premiers ethnologues
qualifièrent jadis de « primitives » et dont
on a trop volontiers occulté l’hétérogénéité
et les conflits internes ; ce qui eut pour
conséquence de surdéterminer les facteurs culturels aux dépens d’autres facteurs, bien réels cependant.
Comparer les acteurs sociaux pour
distinguer particularismes et
universaux
Ainsi les études (mono)culturelles
ont-elles connu la dérive de la substantialisation. Par un effet pervers, certaines
explications des conduites humaines en
termes de culture ont parfois été abusivement comprises de manière réifiante,
ce qui conduisit à percevoir ces phénomènes non pas tels qu’ils sont :
d’incessants dynamismes, dépendant des
rapports socio politiques entre les groupes
humains ; mais comme des substances,
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -39-
des propriétés qui, sous l’effet des origines de chacun, lui seraient invariablement
attachées, une fois pour toutes, telles une
seconde nature. En raison des conséquences d’une telle dérive, ces études ont
parfois été accusées d’enfermement
« culturaliste ». Pourtant, lorsqu’il est bien
compris, leur apport est d’un évident
enrichissement. Il est essentiel dès lors
que l’on s’ouvre à la comparaison ; or la
démarche scientifique commence avec la
comparaison.
En mettant en perspective les
phénomènes repérables parmi diverses
populations porteuses de cultures distinctes, il devient possible de faire la part
entre les particularismes culturels, attribuables à la marque des cultures respectives, et les universaux, ce qui serait le
substrat de la « nature humaine », par
delà la diversité des modes d’enculturation, de socialisation, les avatars socio
historiques, politiques, économiques...
C’est une telle préoccupation qui alimente
le second courant des études de psychologie culturelle, largement constitutives de
la « cross cultural psychology » qui est
principalement anglo-saxonne.
La comparaison entre cultures est
cependant une entreprise bien difficile :
on ne devrait en effet s’autoriser à comparer que ce qui est comparable, et comment s’y prendre en l’occurrence pour
définir les entités à comparer ? On comprend la difficulté d’une telle gageure. A
un autre point de vue, pour que la compréhension des porteurs de culture ne soit
pas uniformément biaisée, elle ne devrait
pas se faire exclusivement au moyen de
la grille de lecture du réel que produisent
et véhiculent les agents de la culture
dominante ; or les outils conceptuels et
méthodologiques utilisés pour les études
comparatives entre cultures ne prennent
presque jamais en compte toutes les
parties en présence. Les paradigmes des
recherches sont régulièrement construits
au cœur d’un système dominant (dans le
monde scientifique occidental), par des
membres de ce système (porteurs du
code de la culture dominante) participant
aux concepts, théories et méthodes académiques en vigueur au moment où est
menée la recherche et (ignorant) le plus
souvent (qu’ils se trouvent) dans
l’ignorance (parfois même de l’existence)
des codes dont l’Autre est porteur. Ainsi
plaque-t-on sur l’Autre des outils qui
inexorablement falsifient sa réalité. La
plupart des études publiées dans le
champ de la « cross cultural psychology »
sont ainsi entachées d’un regrettable
ethnocentrisme scientifique.
La psychologie inter-culturelle :
comprendre les réactions face à
l’altérité
Et cependant, on cherche parfois
sincèrement à comprendre, aider, intégrer… cet Autre, surgi au carrefour des
cultures et dont la venue est apte à bouleverser l’ordre établi, les savoirs acquis.
C’est une telle préoccupation sociale qui a
fait naître le dernier courant de la psychologie interculturelle, à la fois le plus récent
et le plus représenté en pays francophones. On y traite des phénomènes psychologiques et psychosociaux qui surgissent
dans la rencontre des cultures : rencontre
entre porteurs de codes culturels distincts
(membres de groupes étrangers en situation pluriculturelle) ou entre codes distincts chez un même sujet. Ainsi les études
de « psychologie inter-culturelle » ontelles été menées initialement par des
praticiens de l’éducation et de la formation, de la santé, du travail, concernés par
le traitement des situations culturellement
hétérogènes et simultanément marquées,
le plus fréquemment, du sceau des inégalités sociales, voire de l’exclusion.
Prioritairement préoccupés par
l’action, les auteurs de l’interculturel se
sont attachés à construire des outils
conceptuels et méthodologiques pour
intervenir en vue de faciliter l’intégration,
l’harmonie sociale, la communication et le
management interculturels ; ces chercheurs proviennent des différentes sous
disciplines de la psychologie scientifique
(clinique et pathologique, expérimentale,
développementale, sociale) et ils proposent d’analyser et de guider les pratiques
psychosociales dans des situations diversement marquées par l’hétérogénéité
culturelle. Dans le champ de l’interculturel, le principe du relativisme est
généralement acquis, la dignité des cultures respectives et leur légitimité n’étant
pas mises en cause ; la reconnaissance
de l’altérité culturelle est en l’occurrence
une préoccupation majeure : l’étude de
ses déterminants constitue précisément
l’un des objectifs que l’on se propose
d’atteindre. On comprend que les entreprises pratiques et scientifiques qui en
résultent soient entachées d’empirisme,
de bonne volonté militante, de quête
d’efficacité… toutes motivations suspectes au regard de la science. Et dans ce
champ cependant se développent aujourd’hui de solides procédures scientifiques qui échappent à l’ethnocentrisme,
en reconsidérant le mode de construction
des outils conceptuels et méthodologiques qui servent à scruter l’émergence
des phénomènes liés à la rencontre interculturelle.
Reconnaissance de l’altérité
culturelle, identités et stratégies
L’hétérogénéité culturelle : source
d’émergence de l’identité/altérité
Les situations de contacts culturels sont riches d’enseignement, car elles
amènent les porteurs de culture à découvrir leurs représentations identitaires :
confrontés à l’altérité, les acteurs découvrent ce qu’ils ne sont pas, donc ce qu’ils
sont, pensent être ou voudraient être.
Ainsi les consciences identitaires se
révèlent-elles, dans des circonstances
rien moins qu’uniformes. L’hétérogénéité
et la diversité culturelles apparaissent au
grand jour dans les contextes des sociétés industrielles modernes. Constituées
de multiples sub-cultures intriquées, ces
sociétés sont le foyer de dynamiques
perpétuellement renouvelées. Dans ces
circonstances, l’étude de la construction
identitaire ne peut se faire exclusivement
à l’aide d’une conception homogène de la
culture qui serait explicative. L’acteur
social, aux prises avec les exigences de
ses opérations identitaires, se confronte
nécessairement à la question de l’altérité.
Ce rapport identité/altérité doit précisément être resitué dans le contexte des
sous systèmes sociaux en présence, pour
que les processus cognitifs qui alimentent
l’identité soient déchiffrables. Une même
situation sociale n’est pas vécue de la
même manière par des acteurs issus de
sous-groupes distincts du système social
élargi. Les normes et les valeurs impliqués sont le plus souvent hétérogènes,
les enjeux de leurs porteurs ne sont pas
les mêmes et les conflits d’intérêt
s’intriquent avec les conflits de valeurs
pour compliquer un scénario irréductible à
une close entre deux cultures.
Les cultures, un vivier de ressources
pour les constructions identitaires
Les acteurs sociaux étant constructeurs de leur identité, des matériaux
sont nécessaires à la réalisation d’un tel
ouvrage. La culture offre à ce propos des
ressources symboliques quasi inépuisables. Elle est un vivier de significations,
élaborées et partagées, à la fois par des
individus et par des groupes que rallient
des perspectives communes ou un même
ancrage historique. Le sujet, en quête de
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -40-
cohérence, cherche dans la (les)
culture(s), auxquelles il appartient ou
auxquelles il se réfère, des repères utiles
à l’édification du sens de son être et de sa
pratique. La culture oriente l’inscription de
l’individu dans le tissu social, les modalités de partage des valeurs qui s’offrent à
lui et ses choix d’appartenance. La simultanéité des appartenances possibles
enrichit le sujet de séries distinctes de
significations qui, une fois articulées entre
elles, confèrent à chacun une identité
singulière. A cette identité s’attachent des
éléments de statut subjectif et des prescriptions de rôles, des modèles de conduites à adopter et des attentes sociales
spécifiques.
Parmi les foyers d’appartenance
possibles, les groupes ethniques occupent une place privilégiée. La dynamique de construction et de reconstruction
des appartenances ethnoculturelles est à
la fois porteuse d’intégration et
d’exclusion sociales : entre Nous et Eux,
les individus se livrent à d’incessantes
négociations d’appartenances, fondées
sur le traitement dialectique des similitudes et des différences par lesquelles ils se
rapprochent/s’éloignent des groupes qu’ils
cherchent à rejoindre/à fuir.
Mondialisation et devenir des
cultures
Mondialisation/Immigration : des
conditions actuelles du travail humain
On ne peut en 2005 aborder la
question de l’homme au travail sans
évoquer la question de la mondialisation.
Nous vivons une période de turbulences
inédites, alors que l’internationalisation
des entreprises va en s’accélérant. Si,
pour partir à la recherche de travail,
comme toujours les hommes se déplacent, aujourd’hui les choses s‘accélèrent
et ils sont le plus souvent contraints de
délier pour cela aussi bien leurs attaches
intimes, familiales, territoriales … que
d’abandonner leurs pratiques culturelles
au quotidien, d’atténuer les caractéristiques par lesquels ils risquent d’être ethnicisés, de masquer les croyances par
lesquelles leur vie prend sens. Libérés de
toutes ces entraves, ils se livrent à des
stratégies parfois féroces pour la
conquête d’un emploi : plus ou moins
ponctuel, plus ou moins dépourvu de
valeur socialisatrice ou génératrice de
sens, de perspectives d’ancrage symbolique, quoi qu’il en soit inapte à compenser
la perte des ressources identitaires relé-
guées. Avec l’immigration, les mouvements de populations charriaient des
phénomènes de culture, des significations
et des projets partagés, au travers desquels l’identification sociale trouvait où
s’agripper ; la mondialisation pulvérise ces
conditions, laminant les liens sociaux,
provoquant la circulation des environnements de travail, des cadres, des pratiques de ressources humaines…
Depuis les 30 dernières années,
la mondialisation amplifie l’internationalisation des relations de travail. On
aurait pu penser que le déplacement de
biens induirait l’amoindrissement des flux
migratoires. Il n’en n’est rien. Si la
mondialisation est un phénomène actuel,
dans le même temps les migrations
augmentent de façon importante : elles
concernaient en 2000 plus de 120 millions
d’individus. On est donc en droit d’affirmer
que les flux migratoires s’accentuent sous
l’effet de la mondialisation et simultanément ils se diversifient selon les pays et
les besoins en main d’œuvre. La baisse
des prix du transport et la rapidité des
communications incitent au départ les
ressortissants des pays les moins développés : ailleurs ils espèrent avoir plus de
chances... Ainsi les migrations acquièrentelles un autre profil, plus épisodique,
moins définitif que par le passé. Ces
candidats à l’immigration vers les pays les
plus développés se heurtent cependant à
des politiques de mondialisation qui, si
elles développent la circulation de capitaux, de marchandises, d’informations,
entravent la circulation des hommes. Une
telle conjoncture favorise le trafic de
migrants à l’échelle planétaire ; le développement durable de l’emploi local réduirait ce phénomène, mais la gestion de ces
questions revient aux états, aux organismes internationaux, aux grandes entreprises multinationales...
Une culture « mondiale » : « culture »
pour tous les Hommes ?
La mondialisation, c’est autre
chose cependant que l’autre versant de
l’immigration. C’est aussi l’incessante
diffusion d’une culture dominante qui,
insidieusement, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, envahit le monde,
diffusée depuis d’innombrables canaux.
L’univers entier est inondé de produits en
provenance des Etats-Unis : incontournables pantalons issus des westerns, soda
qui fait pétiller des mirages jusqu’au fond
des déserts, séries télévisées d’où jaillissent des générations de petits garçons et
de petites filles aux prénoms américains,
«nourritures rapides», commodes et
familières, au moyen desquelles les consommateurs s’acheminent vers l’obésité,
parcs d’attraction géants où des constructions de rêve transportent les masses vers
l’enchantement…
Au travers de la mise en place de
ce puissant marché mondial, une « culture » s’instaure véritablement, soustendue par la force des industries culturelles et des réseaux d’information. La diffusion de ce système culturel vise principalement les consommateurs potentiels que
sont les jeunes, tandis qu’il repose sur
l’emprunt des techniques managériales en
entreprise. L’instauration de ce modèle
culturel mondial se calque sur la tradition
du spectacle. Les héros qui l’habitent sont
des figures de cadres supérieurs de puissantes entreprises, de magnats du pétrole, de célébrités du show business, les
plus fameux experts scientifiques…Les
décors où ces personnages évoluent sont
ceux des grands hôtels intercontinentaux,
des terrains de golf et autres îles paradisiaques, aménagées en théâtre pour
séminaires. En tant que cadre quotidien
de réalisations transnationales, une telle
culture mondiale comprend sa logique
globale, fondée sur des pratiques spécifiques : l’usage courant de la langue anglaise, le maniement familier de
l’informatique et de la comptabilité générale et analytique, les principes
d’excellence en matière de gestion,
l’utilisation du dollar.
Les Etats-Unis sont les promoteurs de cette culture libérale qui est le
produit d’une formation universaliste ; les
firmes multinationales en sont les représentantes agissant de par le monde. Il
faut remonter au siècle des Lumières pour
reconnaître les origines d’un tel système.
Pour les philosophes des Lumières, avec
le développement des connaissances
scientifiques, la raison humaine devait
triompher des représentations d’un monde
jusqu’alors englué dans l’obscurantisme
et le sacré ; ainsi devait on en finir avec
un monde naturel et divin, face auquel
l’homme n’avait jusqu’ alors su que se
soumettre et se résigner. Le développement du savoir universel était donc supposé fournir à l’homme les moyens de
faire triompher la modernité, synonyme de
mieux être et de développement. Ainsi la
modernisation s’érigeait elle en instrument
propre à assurer Le Progrès, que l’on
imaginait continu, et que tous étaient
supposés convoiter. Le développement
de la science, de la technologie et de
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -41-
l’administration devait permettre la réalisation d’un tel but, en accroissant l’efficacité
et la production à travers le monde.
Une telle représentation des choses, élaborée en Occident, repose en
réalité sur une théorie implicite des motivations humaines. Le projet des Lumières
s’avère cohérent dans un monde où
l’individu est réellement motivé à la fois
par l’intérêt et la volonté de se libérer de
toutes contraintes sociales. Dans une telle
perspective, la conquête économique
s’érige, en effet, en condition d’accès à La
Civilisation. Si tant est que l’on accepte
un tel concept : si l’on reconnaît que La
Civilisation est à la fois un produit unique
et qu’elle exprime le meilleur des contributions respectives des diverses cultures du
monde à partir desquelles elle s’édifie. Si
cette condition est satisfaite, alors on peut
accepter l’idée selon laquelle l’avènement
du commerce - générateur de liens de
dépendance et d’utilité entre les hommes,- est synonyme d’instauration de la
paix : le commerce en effet substitue aux
guerres de prédation l’établissement de
règles d’équité et de contrat entre les
populations.
Dans cette optique on a pu imaginer que l’uniformisation de l’humanité
naîtrait : des changements nécessaires au
développement de l’industrialisation des
moyens de production, d’une part, et de
l’établissement d’un système politique
démocratique d’autre part. Mais il était
surtout question de faire naître
l’uniformisation en développant une société mondiale de consommateurs.
….Et que deviennent les créateurs de
cultures dans tout cela ?
Au terme d’un siècle de pratique
du « progrès », la critique a surgi dans
bien des domaines, l’insatisfaction se
faisant jour, s’exacerbant parfois jusqu’à
mettre en cause les modèles imposés :
aussi bien dans les domaines du travail,
des loisirs et des sports… que des relations humaines et sexuelles. Des réactions d’opposition surgissent, exprimant
les refus d’alignement, la répugnance à
l’engloutissement dans l’homogénéité. Ce
sont des proclamations identitaires qui
éclatent de tous côtés, exhortant à la
différenciation, à l’affirmation de particularismes, voire à la discrimination et à la
fermeture, et non une volonté d’ouverture
culturelle à l’uniformisation mondiale.
Ainsi a t’on pu observer le développement d’un très fort relativisme cultu-
rel, le culte de la singularité, de la différenciation de l’acteur, notamment culturel.
La contestation au sein du monde de la
consommation fleurit initialement avec les
mouvements hippies, aux USA dans les
années soixante ; en se répandant dans
les pays occidentaux, elle fit l’objet d’une
analyse
freudo-marxiste
pessimiste
d’Herbert Marcuse, qui voyait en l’homme
contemporain un naufragé désormais
«unidimensionnel». Mais les Occidentaux
ne sont pas les seuls à proclamer leur
insatisfaction. Dans les sociétés capitalistes dépendantes, anciennes colonies,
on conteste aujourd’hui avec violence les
effets nocifs du marché et l’on fait le deuil
des perspectives d’un possible développement fondé à la fois sur l’importation
des pratiques d’un management universel, que portent des firmes internationales, et sur un gouvernement hérité du seul
Etat nation. Le principe du nivellement
culturel est condamné, tout autant que le
risque de dissolution des liens sociaux
sous l’effet de la loi marchande. Ce qui
l’emporte est la volonté de resignifier un
monde auquel l’intrusion étrangère a fait
perdre son sens. Les critiques de
l’occidentalisation du monde dénoncent la
« déculturation » dont ont été victimes les
pays du Tiers Monde : leur misère
s’aggrave, leurs élites sont de plus en
plus fréquemment corrompues. A un autre
point de vue, les valeurs humaines de
coopération et d’altruisme s’évanouissent,
aussi bien dans les rapports Nord-Sud
qu’entre groupes étrangers, entre sociétés
d’« accueil » et populations immigrés
qu’entre agents d’entreprises internationales. Et la mondialisation cependant tisse
un nouveau profil d’hommes, hommes
d’affaires et/ou cadres internationaux, au
mode de vie lisse et homogène, qui partagent de mêmes rythmes temporels, en
traversant
les
mêmes
hôtels
intercontinentaux
et
les
mêmes
compagnies aériennes, semblablement
connectés aux mêmes messageries
électroniques. Chacun de ces hommes,
uniformément mobiles et dépaysés, pour
être à lui-même et préserver son identité
doit se livrer à un incessant travail de
mise en récit de sa propre existence
professionnelle, de ses actions au fil des
contacts en terre étrangère, jusqu’à se
reconstruire « le même », au fil du temps
et dans l’hétérogénéité des lieux, tout en
apprivoisant l’Autre qui ne cesse de surgir
en lui. Ainsi la mondialisation est elle
vouée à l’échec, en ce qui concerne les
déracinements. Mises en péril au gré des
nomadismes, les identités s’ancrent
encore plus profondément en des
territorialités réelles ou imaginaires,
métamorphosant volontiers les dimensions culturelles et ethniques en des
attributs de pouvoir : mobilisables certes
pour les parades identitaires, mais aussi
et surtout dans la relation à autrui, notamment au travail.
J
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -42-
Prévenir les résistances au changement en monitorant (et bien sûr
en gérant) les préoccupations des destinataires du changement ou
le changement comme vecteur de santé psychologique au travail
André SAVOIE, Université de Montréal
Céline BAREIL, HEC Montréal
Phanie RIOUX, SECOR Paris
Sophie MEUNIER, Université de Montréal
J
Le taux élevé d’échec ou de misuccès en changement organisationnel
(fusions, acquisitions, restructurations,
réorganisations, réingénierie des processus d’affaires, systèmes de gestion intégrée, renouveau technologique, création
d’unités autonomes, compression des
dépenses, réduction d'effectif), évalué
entre 40 et 80% selon les cas (Bareil,
2004) rappelle combien il est difficile de
changer une organisation et de modifier
les habitudes des travailleurs concernés.
Lors d’une transformation majeure, le « choc » se produit à trois niveaux (Savoie, Bareil, Rondeau et Boudrias, 2004): le niveau stratégique (ou la
gouvernance du changement), le niveau
fonctionnel (le pilotage de la transformation et la gestion de la transition) et finalement,
le
niveau
opératoire
(l’appropriation et l’adoption du changement par ceux et celles qui auront à le
concrétiser, les destinataires). Toutefois
quelle que soit l’envergure du changement, le niveau opératoire, celui des
destinataires, est toujours sollicité.
En effet, toute transformation ne
peut se réaliser qu’à travers les individus
qui ont à s’y adapter et à se l’approprier.
Ce n’est que par les efforts de ces destinataires que le changement prendra
véritablement racine dans une organisation. Cette Lapalissade est toutefois loin
d’être reconnue à sa juste valeur si ce
n’est sous sa version négative à l’effet
que les destinataires se voient attribués,
sous l’euphémisme «facteur humain» la
responsabilité principale des échecs.
D’autre part, que les changements soient
réussis ou non, on rapporte nombre de
conséquences négatives sur les personnes cibles du changement, qu’il s’agisse
de dépression, de désengagement,
d’hostilité.
Pour les psychologues du travail,
il s’agit là de défis majeurs qui les interpellent au cœur de leur profession d’aidant.
En effet, comment faire en sorte que le
changement organisationnel, qui s’incarne
nécessairement par l’apprentissage et la
maîtrise de nouveaux comportements,
attitudes et cognitions au travail, non
seulement réussisse mais s’actualise en
préservant et même en rehaussant la
santé psychologique des destinataires?
Que perturbe le changement?
Un inventaire de la documentation
sur les difficultés vécues lors d’un chan-
gement organisationnel a mis en évidence
six champs d’inconfort ou de souffrance
potentiels (Meunier, 2005)
Les changements dans les organisations peuvent engendrer des conséquences profondes sur les destinataires
du changement. Ils remettent souvent en
question des éléments stables et significatifs de leur vie au travail : rôles, responsabilités, autonomie et pouvoir, sens du
travail (meaning of work), charge de
travail, réseau social, compétences techniques, relationnelles et politiques, sécurité d’emploi, droits acquis, rémunération,
perspective de carrière et même emploi
(Bareil et Savoie, 2003).
Le défi, en tant que psychologue,
consiste d’une part à éviter les nombreux
dérapages en vertu desquels les individus
deviennent déconcertés, démoralisés,
désabusés, peu productifs, stressés,
déprimés, frustrés… quand ce n’est pas
l’épuisement professionnel (burn out) qui
les guette ou bien l’intention de chercher
un autre emploi et de quitter
l’organisation… D’autre part, l’enjeu est
de conserver les employés pertinents, à
amener ces individus à adopter de nouveaux comportements, à les garder motivés, engagés, productifs, efficaces, proactifs, et en bonne santé physique et psychologique.
1. Suite à l’annonce du changement
• Atteinte à l’autonomie/contrôle (la plupart des changements organisationnels sont imposés)
2. Avant et pendant l’implantation du changement
• Deuil -anticipé et putatif- de ce qui est (emploi, poste, tâches, compétences, influence / pouvoir / statut, réseau social)
• Incertitude quant à ce qui s’en vient
3. Pendant l’implantation du changement
• Surcharge de travail
• Atteinte à la qualité des relations interpersonnelles existantes
• Sentiment d’incompétence
• Perception d’injustice et d’iniquité
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -43-
Pour ce faire, nous avons privilégié une approche intégrant le succès du
changement et le respect des individus.
Dès le départ, ce choix paradigmatique
nous a obligé à écarter les perspectives
normative et prescriptive du type «How to
change…» pour étudier d’abord comment
se déroule effectivement la phase de
transition. Ensuite, il nous a obligé à
délaisser les planifications stratégiques de
gestion du changement au profit de
l’analyse du vécu des personnes en
changement. Enfin, ce choix paradigmatique nous a contraint à réévaluer la notion
simplificatrice de résistance au changement pour opter vers une lecture éclairée
des réactions et des cognitions des individus durant la période de transition.
En changement organisation, les
60 dernières années, précisément depuis
la parution des textes de Coch et French
(1947), la notion de résistance au changement s’est imposée comme explication
ultime, et souvent première, des obstacles
prévisibles et des échecs en changement
organisationnel. Cette notion acceptée
sans perspective critique a fortement
contribué à la domination de types
d’actions réactives : abattre les oppositions pour mâter la rébellion ou écouter
les doléances pour évacuer les ressentiments. Ces approches, simplificatrices
à l’outrance et rarement suffisantes et
appropriées, s’appuient sur deux présomptions ou croyances : l’une que
l’employé est par essence déloyal, paresseux et en opposition (théorie X), l’autre
que le changement chez l’employé suit
instantanément l’émission des directives
ordonnant le changement. La fameuse
phase du déplacement logée entre la
décristallisation et la recristallisation (Lewin, 1951) n’a eu que peu d’écho dans
ces écrits en développement organisationnel.
Désormais identifié sous le vocable «transition» (Bridges, 1995), ce déplacement consiste en une série de passages psychologiques vécus à travers le
temps par les destinataires. Explorée à
répétition par Hall et Hord (1987), cette
transition a fini par révéler que l’habileté à
changer, ainsi que les réactions au changement, dépendent de l’état ou de la
phase dans laquelle se trouvent les destinataires d’un changement. Weisbord
(1987) ajoute que toute intervention appropriée de l’agent de changement prend
nécessairement appui sur la phase que vit
son client. Voilà les éléments clé sur
lesquels s’est érigée la théorie des phases de préoccupation.
La teneur des phases de
préoccupation et de certaines
actions appropriées
À la suite de l’annonce du changement, apparaît la Phase 1, aucune
préoccupation, durant laquelle le destinataire est relativement indifférent, ne se
sentant pas personnellement concerné
par le changement. Il poursuit ses activités comme si de rien n’était. Cette phase,
observée à maintes reprises, est trompeuse au sens où tout semble bien aller
alors qu’en fait le projet de changement
n’a pas encore eu d’effet sur le destinataire. L’objectif de l'intervention consiste
alors à déstabiliser l’individu pour qu’il
perçoive mieux les effets du changement
à venir sur sa situation de travail. Une
manière de faire est d’illustrer les transformations qu’apportera le changement
dans le travail quotidien. En contrepartie,
il est peu utile d’offrir de la formation à ce
moment car l’ouverture à l’apprentissage
n’est pas encore présente.
Progressivement, le destinataire
commence à se préoccuper de lui-même.
Il entre alors dans la Phase 2, au cours de
laquelle il ressent de l’inconfort et une
insécurité suscités par les incidences du
changement. Il s’interroge de ce qu’il
adviendra de son rôle, ses responsabilités, son statut, son pouvoir décisionnel,
ses compétences. Bref, il se centre sur ce
que le changement occasionnera dans sa
vie au travail tout en devenant davantage
conscient des pertes (ou des gains) qui en
découleront. La stratégie d'intervention
consiste alors à le tenir informé – ce qui le
rassure - des effets du changement sur
son travail (poste, fonctions, tâches,
autorité, interdépendance, rémunération,
etc). Il est aussi opportun de légitimer
l’expression des inquiétudes personnelles.
Dans le cas de mises à pied, la façon dont
l’organisation traite les départs en dira
long sur la valeur qu’elle accorde à ses
ressources humaines et sur la façon dont
elle traitera les survivant(e)s qui eux aussi
apprécient
d’être
confortés
sur
l’importance de leur contribution à
l’organisation.
À la Phase 3, intitulée préoccupations centrées sur l’organisation, le destinataire s’interroge sur la raison d’être et
l’apport du changement. Ainsi, il se préoc-
cupe de la légitimité du changement (sa
nécessité, son à-propos), sur les effets
attendus, sur la capacité de l’organisation
à le réaliser, sur le sérieux du projet et sur
la détermination des dirigeants à le mener
à terme. Bref, il veut savoir s’il vaudra le
peine d’investir temps et énergie dans
cette aventure. C’est à cette phase qu’un
discours articulé au sujet de la décision
stratégique du changement, de ses raisons d'être, des enjeux organisationnels
(gains et pertes), des résultats visés et de
la vision qui l’enveloppe est le plus susceptible d’être entendu et écouté.
La Phase 4, centrée sur le changement, fait état d’un questionnement sur
la nature exacte du changement. Le
destinataire souhaite alors obtenir des
précisions sur les aspects suivants de la
transformation : sa nature, son déroulement temporel et son déploiement. Autrement dit, il veut connaître le processus
et la méthodologie d'implantation. À ce
moment-là, il est donc pertinent de présenter en détails le plan de mise en œuvre, le scénario, les cibles, le rythme du
changement, les résultats anticipés, les
ressources déployées, etc. Il est utile
d’inviter des gens de l'extérieur ayant
vécu le même changement à venir en
témoigner ou bien d’amener des destinataires visiter d'autres sites d'implantation.
À la phase 5, celle centrée sur
l’expérimentation concrète, le destinataire
se préoccupe de sa propre capacité à
faire face au changement et sur la formation et l’aide qui lui seront offertes pour
faciliter son adaptation. Il éprouve la
volonté de se conformer au changement
prescrit et d’en faire l’essai. Cependant, il
vit un sentiment d'incompétence par
rapport à ses nouvelles fonctions, habiletés et attitudes. Il se dit inquiet à propos
de sa capacité de réussir et c'est pourquoi
il s'interroge sur le temps, les conditions,
l'aide et le soutien qui lui sont offerts. Une
entente sur des objectifs à court terme
réalistes peut être négociée et des gestes
concrets d’appréciation des efforts sont
bienvenus. Il faut, de plus, accorder une
attention spéciale aux manifestations de
stress, d’épuisement et de dépression qui
pourraient avoir lieu durant cette phase
d’expérimentation.
Souvent, lorsque la phase 5 des
préoccupations s’atténue, une grande
partie des destinataires s’habitue à une
nouvelle routine et ne ressent plus de
préoccupation à l’égard du changement
qui est, pour eux, terminé. Toutefois,
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -44-
quelques-uns continueront à manifester
d’autres préoccupations. Il faut savoir
aussi les canaliser.
La Phase 6, appelée collaboration
avec autrui, fait référence à des préoccupations d’entraide et de coopération. Le
destinataire se montre intéressé à collaborer avec d’autres. Il désire partager son
expérience avec des collègues et s'informer sur leurs façons de faire. Il désire
participer à une mise en œuvre plus
poussée du changement.
À la Phase 7, dite d’amélioration
continue du changement, le destinataire
est préoccupé de trouver de nouveaux
défis et de nouvelles façons d’améliorer le
changement déjà mis en place. Il remet
en question les processus et méthodes de
travail afin de poursuivre l’amélioration du
changement et même le généraliser à
d’autres unités s’il en est vraiment satisfait. À titre d’interventions, il y a lieu de
favoriser le «brassage» de ces nouvelles
idées sous la forme de sessions de partage d’expériences ou de coaching envers
les collègues. Il faut inciter ces personnes
à faire l’essai de leurs idées nouvelles et à
créer des réseaux d’experts qui pourraient
échanger entre eux, de façon intra ou
inter-organisationnelle. L’erreur serait de
les restreindre à leurs tâches habituelles.
Les principes sous-tendant
l’application de la théorie des
préoccupations
Hall et Hord (1987), qui sont les
protagonistes de cette approche, ont
formulé un certain nombre de postulats
permettant de mieux comprendre et
d’appliquer la théorie des préoccupations.
Premièrement, le changement doit être
conçu et géré comme un processus qui
prend du temps et qui contient des étapes. Cette assertion est radicalement
opposée à l’idée du changement instantané. Il s’ensuit que les interventions ont
avantage à s’ajuster (respecter et stimuler) au rythme des préoccupations évolutives des destinataires tout au long de la
période de transition. Ainsi les gestes
organisationnels ne sont plus uniquement
fonction d’un calendrier de projet, ils sont
aussi en harmonie avec les préoccupations dominantes du moment.
Hall et Horde (1987) mettent en
avant le destinataire comme ultime acteur
du changement. C’est pourquoi leur se-
cond postulat est à l’effet que le changement organisationnel se concrétise par
les changements chez les individus
(destinataires). L’attention est portée sur
les individus, leur adaptation et leurs
efforts à intégrer le changement dans
leurs habitudes de travail plutôt
qu’uniquement sur des activités séquentielles de réalisation de projet. Le changement ne se réalisera que dans la mesure où les individus auront modifié leurs
habitudes de travail.
Un troisième postulat est à l’effet
qu’une intervention réussie nécessite
la prise en compte des préoccupations
des destinataires. Selon Hall et Hord
(1987), les changements échouent à une
si haute fréquence parce que les interventions ne sont pas effectuées au bon moment, au bon endroit, avec les bonnes
personnes en réponse à leurs besoins de
sorte que ces interventions sont perçues
inadaptées et impertinentes à la situation
qu'ils vivent.
Finalement, les auteurs signalent
qu’il est possible de prédire plusieurs
événements dans la mise en œuvre
d’un changement, dont les préoccupations des destinataires. Les réactions et
l’émergence de certains besoins particuliers peuvent être anticipées. La connaissance des phases de préoccupations
permet de les prévoir.
Les recherches ultérieures à ces
travaux fondateurs de Hall et Hord ont
modifié certains de leurs postulats en
préservant toutefois la conception générale de la théorie des préoccupations.
Ainsi, des recherches récentes ont effectivement démontré qu’il existe, à tout moment de la transition, sept catégories de
préoccupations (celles présentées dans
ce texte) dont l’intensité varie de quasi
inexistante à modérément forte. De plus,
l’intensité de chaque catégorie de préoccupation tend à varier selon les temps de
mesure, à savoir au début, à mi-parcours
et à la fin du changement. Il est toutefois
prématuré de considérer que les catégories de préoccupation se succèdent
linéairement l’une à l’autre au fur et à
mesure du déroulement de la période de
transition. Il appert qu’effectivement les
catégories 1 (aucune préoccupation) et 2
(destinataire) sont dominantes en début
de transition et que les catégories 6 (collaboration) et 7 (amélioration continue),
bien que présentes depuis la mi-parcours,
sont plus fortes en fin de transition. À miparcours de la période de transition, on
observe un va-et-vient continu entre les
catégories 3 (crédibilité organisationnelle),
4 (teneur du changement), 5 (expérimentation active) (Bareil, 1997). Ce chassécroisé
pourrait
s’expliquer
par
l’émergence, à l’intérieur du processus de
changement, d’objets spécifiques de
préoccupation qui peuvent susciter à leur
tour des préoccupations 3, 4 ou 5 avant
de laisser leur place à d’autres objets, une
fois résolues. La recherche qualitative de
Rioux (2005) suggère fortement que, pour
les destinataires, un grand changement
est composé de plus petits changements
lesquels obéissent à la même dynamique
que celle du grand, bref des sousroutines, qui se succèdent jusqu’à
l’implantation complète du grand changement. D’où la résurgence répétée et
apparemment rotative des catégories 3, 4
et 5 à mi-parcours de la période de transition.
D’autre part, si chaque destinataire suit sa propre séquence de préoccupations, des patrons (patterns) groupaux de préoccupation émergent. En
effet, les individus touchés par le changement de façon similaire auraient tendance à éprouver les mêmes préoccupations en même temps durant la transition.
Et contrairement à ce que l’on peut penser, le sexe, l’âge, les années de service
ne produisent pas de tels patrons groupaux dans la façon de vivre le changement. Ainsi, chaque groupe de destinataires organisationnellement similaires tend
à déclarer des préoccupations semblables
aux mêmes moments.
Ainsi la capacité prévisionnelle de
la théorie des préoccupations est moins
forte qu’anticipée par Hall et Hordes. Par
contre, sa capacité diagnostique est
actuellement sans égal. Il s’agit d’un
puissant outil de monitoring de l’évolution
des préoccupations des destinataires lors
d’un changement organisationnel. Il permet subséquemment des interventions
tant auprès de groupes que d’individus.
Selon Hall, Newlove, George, Rutherford et Hord (1991), le simple fait de
se préoccuper des préoccupations des
destinataires constitue une stratégie de
changement fort efficace qui, dans plusieurs cas, aurait fait la différence entre le
succès et l’échec d’interventions dans des
milieux différents. Ce constat met en relief
l’importance de bien sensibiliser les personnes ressources (leaders, gestionnaires, agents de changements, etc) au
processus de changement individuel
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -45-
imbriqué, mais trop souvent ignoré, dans
le changement organisationnel. Intégrer
ces connaissances permet de lire les
signaux provenant de l’environnement, de
les respecter et, enfin, d’intervenir adéquatement en fonction de ces derniers.
Comment collecter de l'information fidèle et valide au sujet des phases
de préoccupations ? Différentes façons de
faire sont efficaces. L’une d’elles, la plus
utilisée, consiste à poser directement au
destinataire une question du genre :
Qu’est-ce qui vous préoccupe actuellement par rapport à tel changement ?
Évidemment, ce type de question est
efficace dans la mesure où un climat de
confiance a été établi avec le destinataire
(individu ou groupe), qu’il ne se sent pas
menacé et qu’il a confiance en son interlocuteur. Cette méthode, dont la visée doit
être continuelle, peut être appliquée de
façon informelle, près de la machine à
café, dans les corridors ou, plus organisée, durant une rencontre formelle. Il
s’agit donc de poser la question, d’écouter
la réponse de façon empathique, de
l’analyser, de la décoder et, finalement,
d’y réagir en conséquence, c’est-à-dire
d’une manière pertinente, au moment
opportun. Le processus doit se poursuivre
périodiquement dans le but de réévaluer
la situation, d'identifier s’il y a eu réponse
à la phase antérieure, progrès ou avancement vers d’autres phases, et d’y réagir
adéquatement. Il s’agit, en fait, d’un processus de questions-réponses permanent, avec réévaluation continuelle. La
même approche peut également être
appliquée avec un questionnaire quand le
nombre de destinataires ou le nombre de
changements simultanés est élevé. Après
analyse des résultats, le psychologue du
travail peut conseiller la direction et les
amener à choisir les interventions les plus
appropriées à leur milieu, à leur culture et
à leur personnel.
Conclusion
L'attention portée aux préoccupations
des
destinataires
permet
d’appréhender le vécu de façon non
menaçante, innovatrice, constructive et
respectueuse. Cette approche est riche à
la fois en termes de contenu et
d’interprétations en vue d’interventions
spécifiques et séquentielles. Elle semble
supérieure à l’étude des émotions, des
besoins et des résistances, car elle est
plus opératoire. De plus, comme tout
modèle
dynamique,
elle
permet
de comprendre et de prédire l’évolution ou
l’absence d’évolution dans la transition
des destinataires. En ce sens, elle offre
aux psychologues du travail des points de
repère fort utiles en gestion du changement et la possibilité, pour les destinataires, de s’approprier le change-ment à leur
rythme, de participer en quelque sorte à la
mise en œuvre, de faire valoir leurs besoins et leurs préoccupations de façon à
ce qu’ils puissent s’adapter au changement en conservant la santé physique et
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -46-
Les apports des recherches sur le counseling de carrière :
analyser les processus en jeu dans les consultations d’orientation
Jean-Luc BERNAUD,
Université de Rouen,
Laboratoire PRIS, clinique et société
J
Ce texte a pour objectif d’exposer
quelques éléments de réflexion à propos
des apports des recherches sur le
counseling de carrière. En effet, à l’image
du monde du travail, le paysage de
l’orientation professionnelle connaît quelques soubresauts depuis une quinzaine
d’années. Une des conséquences les plus
visibles est l’abandon progressif de modèles linéaires et prédictifs (notamment à
propos du développement vocationnel) au
profit de théories de la rupture, comme la
question des transitions professionnelles
ou le « chaos vocationnel » (Bright &
Prior, 2005). L’intervention n’est pas en
reste. Si le début des années quatrevingt-dix a été marqué par des avancées
sociales, comme la loi sur les bilans de
compétences, les procédures, aujourd’hui
très formalisées, se sont rigidifiées à un
point tel que l’ingéniosité économique
semble primer sur l’innovation technique.
Confrontés à un maquis de prestations qui
s’empilent, le bénéficiaire comme le prescripteur s’avère de plus en plus dubitatif
face à des pratiques d’orientation jugées
à l’aune de leur « efficacité » et, en particulier, leur capacité à faire baisser le
chômage. On assiste au développement
des programmes et des sigles, sans
cesse renouvelés, mais qui se ressemblent sur bien des principes : progressivement mais insidieusement, les pratiques d’accompagnement en orientation
ressemblent au monde productiviste
auxquelles elles sont sensées préparer, la
mise en concurrence des prestataires est
désormais admise et la rémunération au
résultat tend à devenir la norme. Il en
résulte un malaise chez les praticiens de
l’orientation, qui s’interrogent sur leur
identité et leur fonction. Et finalement si la
conception même du bilan de compétences n’était qu’un miroir déformant de notre
société, égotiste – pour reprendre une
formulation de Stephen Zweig à propos
d’Henry Beyle dans « trois poètes de leur
vie » - c’est-à-dire centrée sur soi, et
rétrospective, c’est-à-dire axée sur le
passé, au détriment de modèles plus
dynamiques et plus interactionnistes ? S’il
ne faut pas condamner d’emblée et de
façon expéditive les pratiques actuelles,
qui expriment aussi beaucoup de vertus, il
est essentiel de valoriser le développement des recherches afin de bâtir de
nouvelles conceptions de l’intervention.
En matière de « boite à idées », le
champ du « counseling de carrière » (que
l’on pourrait traduire en Français par
« accompagnement professionnel » ou
encore « accompagnement en orientation ») fournit une base conceptuelle et
empirique intéressante : plus de 500
publications annuelles (pour le counseling
en général), dont plus de 150 traitent du
counseling de carrière. Si le bilan des
recherches sur le counseling de carrière
est un vrai défi pour lequel plusieurs vies
n’y suffiraient pas, il convient de souligner
la diversité, la vitalité et l’intérêt pour le
chercheur comme pour le praticien de ces
travaux, et la nécessité de participer à leur
développement, pour éviter que les pratiques oscillent simplement entre effets de
modes et injonctions économiques. A titre
d’exemple, pour illustrer notre propos,
nous présenterons une « jourdainerie »
professionnelle (ce que nous faisons sans
le savoir), les informations que le professionnel communique à propos de luimême au cours des entrevues
d’orientation et les conséquences de ces
actes de communication. L’entretien
individuel est en effet l’outil d’intervention
majeur dans le domaine du bilan de compétences, avec près de 100% des pratiques selon Laberon, Lagabrielle et Vonthron (2005). Le cadre théorique des
modèles de la communication, et, en
particulier, les concepts de « contrat de
communication » (Ghiglione, 1986) ou de
« schémas normés de communication »
(Chabrol, 1994) peuvent éclairer sur ce
qui se joue au niveau de la collaboration
entre le bénéficiaire et le professionnel.
Chabrol (2000) a analysé ce cadre normatif en posant la question des enjeux et des
objectifs de l’entretien : « on est la pour
quoi faire, quoi dire et comment ? »
(p.175). Ce cadre, plus ou moins explicite
dans la pratique de l’entretien, est susceptible d’avoir une incidence sur les conduites discursives des acteurs en présence
et sur l’intériorisation par le client de
certaines normes. Kridis (2002) illustre ce
propos en présentant une pratique spécifique, le « méta-entretien », qui consiste à
modifier le contrat de communication, en
sollicitant le client pour qu’il produise une
analyse sur ses productions langagières.
Il en résulte, dans le cadre d’une problématique de développement du projet
professionnel, un effet sur la distanciation
vis-à-vis du discours et sur l’appropriation
des informations.
Il existe une tradition à considérer
les interactions dans les entretiens de
counseling de carrière comme des situations d’influence (Heppner et Claiborn,
1989). Au cours des 15 dernières années,
de nombreuses recherches ont étudié
l’impact des actes langagiers et des conduites du professionnel, notamment le
mode de communication verbale utilisé, la
prise de notes, les styles d’apprentissage,
les caractéristiques démographiques et
les compétences langagières du professionnel. Une attention particulière a également été accordée aux recherches sur
la question des « révélations de soi »
(« counselor self-disclosure ») que le
professionnel est susceptible de manifester vis-à-vis des bénéficiaires. Poser la
question des révélations de soi revient à
se demander ce que le professionnel peut
s’autoriser à dire ou à laisser paraître à
propos de lui-même au cours de la
consultation. Si dans la tradition psychanalytique le professionnel doit transmettre
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -47-
le minimum d’information sur lui-même,
représentant une sorte d’écran blanc sur
lequel le patient peut projeter toutes sortes de scénarii inconscients, il n’en est
pas nécessairement de même dans les
situations de counseling de carrière où
l’accent est mis sur le travail collaboratif et
le développement d’une alliance de travail
positive. Dans ce cadre, la question des
révélations de soi s’est posée à travers la
nécessité de créer un climat de confiance
et d’atténuer l’asymétrie qui se produirait
si le professionnel se montrait silencieux
et observateur en face d’un bénéficiaire
producteur d’une chaîne d’informations
plus ou moins intimes. Evidemment, le
risque n’est pas à négliger dans les
conduites de révélation de soi, ce qui peut
amener beaucoup de professionnels à se
montrer circonspects par rapport à une
telle option ; le sentiment de perdre sa
neutralité en évoquant des aspects intimes par rapport à soi, la difficulté à gérer
un changement des règles de la communication peut demander à revoir la façon
de piloter les patrons d’intervention.
Les recherches qui ont abordé la
question de l’impact des révélations de soi
dans le counseling personnel remontent à
quelques années. La recherche de Vandecreek et Angstadt (1985) est une des
premières à s’être intéressée à l’effet du
niveau de révélation de soi lors
d’entretiens filmés. Il apparaît que les
professionnels sont plus appréciés dans
les conditions où ils fournissent des révélations sur eux-mêmes. Dans le même
esprit, mais plus récemment, Barrett et
Berman (2001) reprennent l’idée selon
laquelle les révélations de soi pourraient
participer à l’établissement d’un climat de
sincérité favorisant la compréhension
mutuelle dans la relation d’aide. Ces
auteurs proposent une distinction des
révélations de soi selon le niveau
d’intimité : les informations démographiques, intérêts et évènements de la vie
quotidienne sont considérés comme peu
intimes alors que les sentiments, opinions
et difficultés personnelles du professionnel correspondent à un niveau d’intimité
élevé. Les auteurs montrent que la condition de révélation de soi à niveau élevé
d’intimité a un effet plus important sur la
réduction des symptômes psychologiques
que la condition de révélation de soi à
niveau d’intimité faible. L’application du
concept de révélation de soi à l’entretien
d’orientation professionnelle a également
fait l’objet de recherches. Watkins, Savickas, Brizzi et Manus (1990) ont étudié
l’impact de plusieurs modes de communi-
cations sur l’évaluation du professionnel.
Pour cela, les auteurs filment des entretiens fictifs dans lesquels ils font varier la
nature des interventions du professionnel:
outre les révélations de soi, interviennent
des réponses impliquantes, des réponses
empathiques et des questions ouvertes.
Les résultats montrent que les révélations
de soi ne figurent pas parmi les plus
appréciées et par ailleurs, il semble que
l’appréciation du professionnel dépende
de la composition de la dyade professionnel-bénéficiaire. En effet, les évaluations
du professionnel produisant des révélations de soi semblent plus positives lorsque les dyades sont de même sexe,
comme si le partage d’informations intimes pouvait être perçu comme non adapté au script attendu de l’entretien lorsque
les interlocuteurs sont de sexe différent.
Dans une recherche menée par Multon,
Ellis-Kalton, Heppner et Gysbers (2003),
trois entretiens réels impliquant des professionnels formés et des clients demandeurs d’une intervention de counseling de
carrière font l’objet d’un enregistrement
audio. Les interventions du professionnel
sont ensuite soumises à une analyse de
contenu sur la base du modèle proposé
par Hill (1985). Parmi les 9 catégories
d’intervention relevées, les révélations de
soi sont minoritaires, représentant 3% des
interventions du professionnel. Par ailleurs, le nombre total de révélations de soi
est corrélé négativement à l’alliance de
travail évaluée à la fin des entretiens. Il
semble donc que les révélations de soi,
lorsqu’elles sont importantes en nombre,
sont perçues comme des freins à
l’établissement d’une collaboration efficace entre le professionnel et le bénéficiaire. Dans une recherche récente, Bernaud & Leblond (2005) ont également
étudié l’effet des révélations de soi en
confrontant des sujets à deux enregistrements audio d’entretien d’orientation et en
étudiant l’impact de variables différentielles comme la crainte de l’intimité.
L’entretien met en scène une conseillère
d’orientation qui reçoit une étudiante
engagée dans un cursus juridique et qui
est confrontée à une problématique
d’indécision de carrière. Après un temps
de présentation de la conseillère,
l’échange porte sur quelques thèmes
relatifs aux difficultés mentionnées par
l’étudiante. Dans la condition comportant
des « révélations de soi », la conseillère
présentait la démarche d’aide à
l’orientation en soulignant, à cinq reprises,
certains aspects relatifs à elle-même.
Dans la condition dite « sans révélation de
soi », la conseillère abordait les mêmes
thèmes, donnant ainsi une tournure équivalente aux propos mais sans faire référence à elle-même. Les sujets étaient
ensuite invités à répondre à différentes
mesures
comme
l’échelle
CRF
(« Counseling Rating Form » qui mesure
l’expertise, l’attirance et la loyauté) et
l’échelle d’intention de consulter la conseillère d’orientation. Les résultats n’ont
pas montré d’effet significatif des révélations de soi sur les deux variables
dépendantes, cependant un effet
d’interaction intéressant est identifié : pour
les sujets ayant une forte crainte de
l’intimité, il apparaît que les révélations de
soi ont un impact positif sur l’appréciation
du conseiller et l’intention de consulter.
Autrement dit, c’est lorsque le sujet présente des difficultés à partager des informations douloureuses et craint les relations intimes que les révélations de soi de
la conseillère sont les mieux perçues. Il
est possible ici que les sujets présentant
un certain niveau de malaise social apprécient les révélations de soi du professionnel car le contrat de communication
invite à alors penser que l’entretien
d’orientation ne sera pas exclusivement
focalisé sur le bénéficiaire.
En conclusion, si le concept de
révélation de soi dans la conduite d’un
entretien d’orientation semble avoir une
valeur heuristique, les éléments que nous
avons présentés montrent la nécessité de
poursuivre des travaux sur l’analyse et
l’explication du processus, en lien avec le
type d’information délivré et les caractéristiques des sujets. Le modèle vers lequel il
paraît nécessaire de tendre est qu’il
n’existe pas un effet universel des révélations de soi mais des effets modulés par
le format des interventions, les conditions
contractuelles de la communication et les
caractéristiques des acteurs en présence.
De telles recherches, ont évidemment un
intérêt pratique puisqu’elles permettent à
chacun de repenser sa conception de
l’accompagnement et de réfléchir à cette
thématique si centrale qu’est la question
de l’influence en consultation. Si les données des recherches sur le counseling de
carrière sont encore loin d’avoir pu permettre une modélisation des patrons
d’intervention, elles ont ce double attrait
de contribuer à l’analyse de processus
fondamentaux et de réfléchir à l’évolution
de nos pratiques.
J
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -48-
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -49-
Recrutement et évaluation du personnel :
des biais de jugement aux méthodes valides
Pascale DESRUMAUX
Université Lille3
J
L’évaluation va donc dépendre
Le recrutement constitue un processus composé de différentes phases au
cours desquelles un (ou plusieurs) évaluateur(s) va (vont) estimer la correspondance entre un (ou plusieurs) candidat(s) et un poste. Dans cette recherche
de correspondance, le processus, censé
être rationnel, n’est pas linéaire puisqu’il
dépend de jugements humains. Ce processus et la décision vont dépendre des
attentes des évaluateurs, du repérage
d’informations valides et non valides, des
biais liés à l’apparence, au genre et aux
explications des candidats. Dans un premier temps, nous mettrons en évidence la
situation paradoxale dans laquelle est
placé le recruteur censé choisir des outils
valides mais restant soumis aux biais
issus d’informations normatives, stéréotypiques… Dans un deuxième temps, nous
discuterons des outils valides dans le
recrutement et de l’évolution du métier de
recruteur.
1) de ce que l’on évalue, la cible (une
personne, une production, un style de
management…) et plus précisément
la qualité, la quantité, l’efficacité,
l’efficience…,
2) de ce à quoi on compare cette cible :
existe-t-il un prototype ?…,
3) de la manière dont on procède : quelles informations traite-t-on, quels outils utilise-t-on pour traiter les informations ?
4) en outre l’évaluation est une conduite
sociale, elle consiste à juger la valeur
d’une personne en référence à l’utilité
des comportements ou des résultats
qu’elle nous renvoie (Pansu, 2001, p
292). Cette idée qu’évaluer est une
conduite sociale et génère un repérage de la valeur par l’intermédiaire
du rapport social établi entre les personnes a fait l’objet de recherches
quelques années plus tôt dans la
thèse de Tarquinio (1997). Ainsi, toute
conduite d’évaluation n’implique pas
seulement la passation d’outils mais
aussi l’élaboration de jugements qui
sont influencés par différents biais. En
outre, toute évaluation est contextualisée et dépend non seulement du
rapport humain mais aussi de l’organisation.
Qu’est ce qu’évaluer ?
L’évaluation peut être définie
comme “ un ensemble de connaissances,
d’outils et de techniques qui vont permettre la comparaison d’une personne à un
profil attendu ou d’une production à un
prototype préalablement défini ou non ”.
Evaluer c’est porter un jugement
sur des informations, sur une personne,
sur un processus de travail ou sur un
résultat de travail. Juger implique donc un
traitement d’informations, l’accès à ces
informations dépendant des supports
(écrits, oraux, visuels), de leur disponibilité en mémoire et des processus conscients ou non conscients qui accompagnent tout jugement.
Les principaux biais de jugements
Pour une revue de question des
principaux bais, il est possible de consulter la synthèse de Gaingouian (1999)
dans laquelle sont détaillés certains des
biais évoqués ci dessous.
- L’erreur fondamentale d’attribution mise
en évidence par Ross (1977) consiste en
une préférence pour les explications causales internes. Dans le monde de l’évaluation, ce biais est mis en évidence dans
les pratiques de travail social. Le Poultier
(1986) : "ce qui détermine fondamentalement et implicitement les pratiques
quotidiennes du travail social est d'ordre
psychologique". "... l'essentiel des pratiques afférentes au travail social et à
l'adaptation sociale serait marqué par une
surestimation des déterminismes psychologiques au détriment des facteurs du
milieu, des circonstances ou de la situation".
- Le biais de confirmation d’hypothèse est
la tendance à privilégier les questions
dont la réponse peut valider ou confirmer
une hypothèse de départ.
- Le biais de corrélation illusoire (Hamilton
& Gilford, 1976 ; Le Poultier, 1990)
consiste à surestimer certaines relations
entre deux informations du simple fait
qu’elles semblent avoir une particularité
commu-ne.
- La distorsion systématique (Schweder,
1975 ; Le Poultier, 1990) consiste à associer lorsque l’on décrit une personne des
traits qui vont bien ensemble (ex : l’extraversion associée à la sociabilité).
- Le biais de positivité ou effet pollyanne
(Boucher & Osgood, 1969 ; Le Poultier &
Le Dreff, 1996) consiste à recourir plus
fréquemment et de manière plus variée
aux mots évalués positivement lors des
descriptions psychologiques. Il affecte la
perception, la mémoire, la formation d’impression, le jugement et l’explication des
conduites.
- Le biais de négativité (Peeters, 1971) est
défini comme le résultat d’un plus grand
impact d’une information négative sur un
jugement par comparaison avec une
information positive d’intensité égale.
- Le biais de complaisance se traduit par
la tendance à internaliser le succès et à
externaliser l'échec (Zuckerman, 1979 ;
Reifenberg, 1986).
- Le biais d’hétérocomplaisance (Weiner &
Wong, 1981) entraîne une focalisation
vers des causes internes et contrôlables
en cas d'échec (par exemple, l'effort) et
vers les causes externes et incontrôlables
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -51-
en cas de succès (par exemple, la facilité
de la tâche).La fonction de l’attribution
peut donc être adaptative (reconnaître
ses manques pour développer ces aptitudes) ou défensive (externaliser l’échec en
public).
Le stéréotype de beauté (Dion,
Berscheid & Walster, 1972 ; pour une
revue de questions : Bruchon-Schweitzer,
1990) se traduit par un biais de positivité
envers les personnes attrayantes et a
deux conséquences majeures : “ce qui est
beau est bon” et “ce qui est beau doit être
récompensé”. L’attrait augmente les chances d’être embauché (Heilman & Saruwatari, 1979 ; Marlowe et al., 1996 ; Stevenage & McKay, 1999). L’attrait entraîne
une surévaluation des prestations et du
potentiel professionnel des salariés (Heilman & Stopeck, 1985 ; Marlowe et al.,
1996) qui sont rapportés à des qualités
intrinsèques et durables. Leur travail est
estimé de meilleure qualité (Drogosz &
Levy, 1996 ; Landy & Sigall, 1974). Les
sujets attrayants seraient perçus comme
performants (pour une revue de questions : Jackson, Hunter & Hodge, 1995) et
plus compétents (Dion et al., 1972 ; Jackson et al., 1995). Enfin, les sujets attrayants bénéficient de récompenses en
termes de recommandations de salaires
et de promotions.
Les stéréotypes liés au sexe et à
l’apparence
Le biais de sexe largement mis en
évidence dans le monde du travail
consiste à privilégier les hommes en
termes de recrutement, de salaire ou de
promotion (Hurtig & Pichevin, 1990).
L’apparen-ce physique a un effet différencié selon le sexe des candidats. D’une
manière générale, la beauté d’un homme
augmente sa probabilité d’être embauché
quel que soit le niveau hiérarchique du
poste à pourvoir (Heilman & Saruwatari,
1979) sauf si l’emploi est typiquement
féminin. A la différence des hommes, la
beauté des femmes intervient de manière
sélective. Une femme attrayante a plus de
chances d’être embauchée qu’une femme
non-attrayante lorsqu’elle postule pour un
emploi considéré comme typiquement
féminin ou pour un emploi de niveau
hiérarchique faible ou moyen (Desrumaux
et al., 2000 ; Heilman & Saruwatari, 1979 ;
Heilman & Stopeck, 1985).
Le modèle d’Heilman
Heilman (1983) a proposé un modèle du manque de correspondance
(lack of fit) qui s’appuie sur deux idées :
1) la beauté accentuerait les attributs liés
au genre. Un homme séduisant serait
perçu comme plus masculin qu’un homme
non attrayant et une femme belle serait
perçue comme plus féminine, 2) l’attrait
ne jouerait pas de la même manière selon
qu’un métier est sexuellement typé ou ne
l’est pas. Lorsqu’un métier n’est pas sexuellement typé, des qualités qu’elles soient
féminines ou masculines sont attendues
pour le poste et la beauté favorise le candidat indépendamment du genre. Lorsqu’un métier est sexuellement typé, les
qualités associées au genre représentant
le poste sont considérées comme requises pour le succès. Ainsi, pour un emploi
de cadre de type masculin, une femme
belle, perçue comme plus féminine, voit
décroître ses chances d’être embauchée
par rapport à une femme peu attrayante
alors qu’un homme beau sera privilégié
par rapport à un homme de faible attrait
(Heilman & Stopeck, 1985).
Des réplications récentes ne retrouvent cependant pas ces résultats
(Marlowe et al., 1996 ; Desrumaux-Zagrodnicki, Masclet, Sterckeman & Poignet,
2000). Une nouvelle explication de cette
non réplication du modèle s’inspire de la
révision de ce modèle (Jackson et al.,
1995 ; Polinko 2000) : les personnes attrayantes sont perçues comme plus socialement compétentes et les candidats
attrayants sont préférés aux non attrayants pour un poste requérant de hautes
compétences sociales par opposition à un
poste à faibles compétences sociales.
Nous avons souhaité dans une nouvelle
recherche tester les effets de l’apparence,
du genre ainsi que ceux de la norme
d’internalité.
Une recherche mettant en évidence
l’influence des stéréotypes de sexe,
de beauté et la norme d’internalité sur
les décisions de recrutement
(Desrumaux, 2005)
L’effet de la norme d’internalité
(Beauvois, 1984 ; Dubois, 1994, 2003)
dans les situations d’évaluation a souvent
été expérimentalement mis en évidence.
Dans le monde du travail, une préférence
pour les évalués internes est mise en
évidence non seulement lorsque seules
les explications causales sont transmises
dans les dossiers par l’intermédiaire de
questionnaires ou d’entretiens (Beauvois,
Bourjade & Pansu, 1991 ; Castra, 1995 ;
Gangloff, 1995) mais aussi lorsque d’autres informations valides sont portées à la
connaissance des recruteurs (Desrumaux-Zagrodnicki, 2001 ; DesrumauxZagrodni-cki & Rainis, 2000 ; Luminet
1996 ; Pansu, 1997). Les recherches prenant en compte à la fois l’internalité/
externalité et l’apparence physique mettent en évidence un effet prépondérant de
l’internalité sur l’apparence physique de
candidats aussi bien masculins que féminins pour des postes non ciblés (Laberon,
De Montaigut, Vonthron & Ripon, 1998).
Une première recherche que nous avons
réalisée sur une population de candidates
montre que la beauté favorise le recrutement d’une candidate pour un poste subalterne mais n’influence pas le recrutement d’une femme cadre supérieur (Desrumaux-Za-grodnicki et al., 2000). Une
deuxième recherche avec des hommes
montre que la beauté favorise systématiquement les jugements de recrutement
(Desrumaux-Zagrodnicki, Léoni, & Masclet, 2003) quel que soit le niveau du poste et entraîne des recommandations de
salaires et de promotion supérieures. Une
troisième recherche impliquant des hommes et des femmes met en évidence un
effet systématique de l’internalité et des
effets de l’apparence et du sexe dépendants du type hiérarchique du poste
(De Bosscher & Desrumaux-Zagrodnicki,
2002). Nous avons donc souhaité confronter ces trois sources d’informations
dans une nouvelle recherche en tenant
compte du caractère sexuellement typé et
du niveau hiérarchique du poste.
L’impact de l’internalité sur les décisions de recrutement s’expliquerait par
le fait qu’elle est porteuse d’utilité sociale
(Dubois, 2005) et active le sentiment d’une correspondance entre la personne et
les valeurs attendues dans l’organisation.
Parallèlement, le jugement est influencé
par une autre correspondance (Heilman),
entre l’apparence physique et les qualités
attendues sur le poste.
Nous avons émis les hypothèses
(H1) que l’internalité aurait un effet quel
que soit le type de poste sur les notes de
recrutabilité et sur les classements, (H2)
que des candidats attrayants seraient
jugés plus recrutables et seraient mieux
classés que des candidats non attrayants,
(H3) que l’attrait aurait un effet plus discriminant pour les postes subalternes que
pour les postes supérieurs et (H4) qu’il
aurait un effet plus discriminant pour les
postes féminins que masculins.
40 professionnels du recrutement
de Paris et du Nord de la France, recru-
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -52-
teurs en entreprise, ont été répartis en
deux groupes de 20 sujets. Le premier
donnait son avis pour les postes supérieurs, masculin et féminin (directeur des
ventes automobile/directeur des ventes en
parfumerie) et le deuxième groupe donnait son avis pour les postes subalternes,
masculin et féminin (vendeur automobile/vendeur prêt à porter).
Le plan d’expérience S <H2*SR2>
* T2* S2*A2*I2 incluait trois variables intra
sujets concernant les candidats : le sexe
(S), l’apparence physique (A : attrayante/non attrayante), le style d’explications
causales du candidat (I : interne/externe),
une variable intra-sujet concernant le caractère sexuellement typé du poste (T) et
deux variables inter-sujets concernant le
statut hiérarchique du poste (H : directeur/vendeur) et le sexe du recruteur (SR).
Chaque candidature était composée d’un
curriculum vitæ incluant une photographie
couleur (le choix des photos a fait l’objet
d’un prétest) et d’une synthèse des résultats au questionnaire de locus of control
présentant soit un profil interne, soit un
profil externe. Les différents curriculum
vitæ ne constituaient pas un biais dans la
mesure où les informations étaient rendues équivalentes.
Les résultats indiquant les effets
principaux de l’internalité, de l’apparence
physique et du sexe des candidats sont
significatifs : conformément aux Hypothèses 1 et 2, les internes sont préférés aux
externes [F(1, 36) = 69.8, p < .001] et les
candidats attrayants sont préférés aux
non attrayants [F(1, 36) = 36.83, p <
.001]. Le sexe des candidats a un effet
significatif [F(1, 36) = 5.53, p < .05] qui
s’oriente cependant dans un sens inattendu : les candidats féminins obtiennent
des notes de recrutabilité supérieures aux
candidats masculins. Le statut hiérarchique du poste (F(1, 36) = 0.50, ns), le type
sexuel du poste (F(1, 36) = 0.01, ns) et le
sexe des recruteurs (F(1, 36) = 1.16, ns)
n’ont pas d’effet significatif. L’Hypothèse 3
est infirmée. Deux interactions indiquent
que l’attrait exerce un effet plus discriminant pour les postes féminins que masculins [F(1, 36) = 15.83, p < .001] et pour les
internes que pour les externes [F(1, 36) =
9.03, p < .01]. Les classements confirment les effets de la norme d’internalité et
de l’attrait pour les deux types de postes ;
le biais de sexe n’est retrouvé que pour
les postes masculins et est inversé pour
les postes féminins.
En résumé, cette recherche met à
la fois en évidence l’effet de plusieurs
types de biais sur les jugements de recrutements mais aussi l’évolution de ces
biais. Les informations manipulées ici ne
pouvaient être considérées comme valides. Ainsi, en l’absence de critères rationnels, finalement, le risque de prendre en
considération des critères irrationnels
s’accroît. C’est ce qu’affirment Laberon,
Dubos & Ripon (1999) : “les recruteurs,
dans la situation inconfortable et angoissante de l’indécision, vont se référer à des
dimensions saillantes, des facteurs irrationnels, qui pour eux vont devenir pertinents et pris, par conséquent, comme
critères de sélection fiables et/ou prédictifs ”. Les biais induits par des supports
d’informations stéréotypiques ou normatifs
ont d’autant plus de chance d’influencer
les décisions qu’ils constituent les seules
informations disponibles. Ces informations
ont sans doute d’autant plus d’effet que
les méthodes utilisées ne sont pas valides
(entretiens non structurés, graphologie,
références…). Une autre question est de
savoir si les recruteurs sont clairvoyants
ou non de l’impact des normes qui orientent leurs décisions (Py & Somat, 1991).
Un moyen de limiter l’intervention des
biais est donc de recourir à des méthodes
valides.
mais pour valider les méthodes en sélection du personnel (Bernaud, 2000 ; LévyLeboyer, 1996), il est nécessaire de mesurer la validité des prédicteurs au regard
de critères tels que la performance au
travail, la réussite, la promotion. La validité critérielle est la capacité à établir un
lien entre une dimension mesurée par le
test et des critères observables (éléments
d’efficience, de réussite, quantité, qualité
de la production…). La validité critérielle
s’évalue en fonction de l’utilisation qui est
faite du test.
Qu’est-ce qu’une méta-analyse ?
Les méta-analyses sont des synthèses fondées sur des méthodes statistiques permettant de condenser et de
tester la généralisabilité (différents emplois, différents contextes) de la validité
critérielle des différentes dimensions et
d’établir la validité synthétique. Des études ont montré que certaines dimensions
relatives aux aptitudes cognitives ou à
certaines dimensions de la personnalité
sont généralisables à différents emplois,
différents contextes et différentes cultures
(Rolland, 2001, p 44).
Le tableau 1 présente les taux de
validité relatifs à la performance de la
méta analyse (Schmidt & Hunter, 1998).
Validité des outils de recrutement et utilisation en France
La démarche classique en recrutement comprend quelques étapes bien
connues. La première étape concerne
l’analyse initiale du poste de travail. Dans
un deuxième temps, l’analyse de poste
permet d’extraire les attributs psychologiques, cognitifs et psychomoteurs requis
par un individu pour travailler sur le poste.
Les attributs ou critères servent à élaborer
le profil de poste et à rédiger l’annonce…
Les méthodes de sélection donc les prédicteurs seront choisis de manière à tester
la présence des attributs, qualités attendus sur le poste.
Beaucoup d’indices mesurant la
sensibilité, la fidélité et la validité existent1
Une méthode d’évaluation efficace et
valide devrait respecter les conditions
suivantes (Rolland, 2001) : une méthode
est sensible quand elle apporte des informations c’est-à-dire qu’elle est discriminante et permet de différencier finement les individus. Elle est fidèle, c’est-àdire qu’elle fournit des informations cohé-
1
rentes (consistance interne, alpha de
Cronbach) et constantes (test-retest). Un
coefficient acceptable soit être de .70. La
validité de contenu correspond à un
champ clairement défini de connaissances ou d’aptitudes ou à un concept psychologique défini par un modèle théorique
scientifique. Pour tester la validité de
structure, les tests étant souvent multidimensionnels (tests d’aptitudes ou tests de
personnalité), il faut établir la pertinence
des regroupements d’items selon des
dimensions et l’indépendance des dimensions. La validité convergente-divergente
est basée sur la comparaison des résultats des sujets au test aux résultats d'un
test de référence.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -53-
Outils de mesure
Validité Classt GMA + outil Classt *
Gain
% gain
(r)
*
mentionné
validité validité
GMA (aptitude mentale générale)
.51
2-3
Echantillons de travail
.54
1
.63
2-3
.12
24 %
Tests d’intégrité
.41
8
.65
1
.14
27 %
Test de conscience
.31
12
.60
4
.09
18 %
Entretien structuré
.51
2-3
.63
2-3
.12
24 %
Entretien non structuré
.38
9-10
.55
10
.04
8%
Tests de connaissances professionnelles
.48
5
.58
5-6-7-8
.07
14 %
Essai professionnel
.44
7
.58
5-6-7-8
.07
14 %
Evaluations par des pairs
.49
4
.58
5-6-7-8
.07
14 %
Méthode de consistance comportementale (en- .45
6
.58
5-6-7-8
.07
14 %
traînement et expérience)
Contrôle des références
.26
13
.57
9
.06
12 %
Expérience professionnelle
.18
15-16 .54
12
.03
6%
Biodata (données biographiques)
.35
11
.52
13-14-15-16 .01
2%
Assessment centers
.37
9-10
.53
11
.02
4%
Méthode (entraînement et expérience)
.11
17
.52
13-14-15-16 .01
2%
Années de formation
.20
13
.52
13-14-15-16 .01
2%
Intérêts
.18
15-16 .52
13-14-15-16 .01
2%
Graphologie
.02
18
.51
17-18
.00
0%
Age
- .01
19
.51
17-18
.00
0%
* ajout de deux colonnes « classement » (Desrumaux, 2005)
Tableau 1 : Validité des méthodes au regard de la performance professionnelle (Schmidt & Hunter, 1998, p 265)
Validité
Classt * .validite avec GMA Gain en %
GMA (aptitude mentale générale)
.56
1
Tests d’intégrité
.38
2
.67
20
Test de conscience
.30
5-6
.65
16
Entretien structuré et non structuré
.35
4
.59
5
Evaluations par des pairs
.36
3
.57
1.4
Contrôle des références
.23
7
.61
9
Expérience professionnelle
.01
10
.56
0
Biodata (données biographiques)
.30
5-6
.56
0
Années de formation
.20
8
.60
7
Intérêts
.18
9
.59
.5
* : ajout de la colonne « classement » (Desrumaux, 2005)
Tableau 2 :Validité des méthodes au regard des apprentissages professionnels (Schmidt & Hunter, 1998, p 266)
Commentaires du tableau 1
Les méthodes les plus valides
sont dans l’ordre les échantillons de travail, les GMA et l’entretien structuré. Elles
sont suivies par les évaluations par les
pairs, les tests de connaissances professionnelles et les méthodes comportementales. Si l’on considère la validité incrémentielle obtenue en cumulant les
GMA avec une autre méthode, les
GMA/tests d’intégrité arrivent en première
position et sont suivis en deuxième et
troisième position (ex æquo) des
GMA/échantillons de travail et des
GMA/entretien structuré puis en qua-
trième position des GMA/di-mension
conscience. Le tableau fait apparaître le
parti pris des auteurs relatif aux GMA.
L’aptitude mentale générale est la capacité d’un individu à apprendre avec rapidité
et exactitude une tâche, un sujet ou une
habileté dans des conditions opti-males
d’apprentissage (Salgado, 2001, p. 7).
Elle sous-tend des opérations telles que
trouver des solutions aux problèmes,
prendre les bonnes décision, analyser
une situation, utiliser un raisonnement
abstrait, acquérir des connaissances, les
utiliser dans de nouveaux contextes. Les
auteurs défendent un certain nombre
d’arguments répertoriés par Salgado
(2001) : les GMA auraient le plus haut
niveau de validité prédictive de toutes les
procédures en sélection du personnel. De
coût faible, elles possèdent une validité
critérielle incomparable pour prédire
l’efficience au travail, sont les meilleurs
prédicteurs de l’apprentissage professionnel, de la réussite en formation et des
connaissances professionnelles, possèdent des fondements théoriques solides,
sont les meil-leurs prédicteurs de la faculté d’adapta-tion. Si les GMA sont incontestablement de bonnes méthodes de
sélection, on peut aussi émettre quelques
critiques relatives à ce tableau :
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -54-
- Les outils mentionnés mesurent tantôt
une seule dimension (conscience) tantôt
plusieurs dimensions relatifs à un concept
théorique (GMA) ou encore plusieurs
dimensions relatives à différents concepts
(entretiens, assessments). Il est ainsi regrettable que la validité de certaines méthodes incluses dans les assessments
telles que les in-baskets… n’apparaisse
pas isolément.
- La validité est basée sur la performance
et en particulier sur une estimation de
cette performance par les notations des
supérieurs. Or, les notations des supérieurs constituent-elles des critères valides ? a) Comme nous l’avons évoqué
plus haut, ils sont fortement soumis aux
biais (l’apparence physique par exemple a
autant d’effet pour le recrutement que
pour l’évaluation professionnel le, il en va
de même pour la norme d’internalité qui
influence à la fois le recrutement et l’évaluation. b) Le supérieur évaluant le salarié
est-il vraiment en contact avec ce salarié ? c) L’hégémonie des notations des
supérieurs comme critère a été renforcée
par le courant mettant l’accent sur le
comportement citoyen et contextuel
comme élément de la performance au
travail.
- Il était possible de calculer la validité
incrémentielle d’autres doublons ou de
calculer la validité incrémentielle de trois
méthodes, les décisions de recrutement
étant souvent basées sur trois méthodes.
- La manière dont la validité synthétique
est calculée peut être révisée (Robertson
& Smith, 2001).
En résumé, les méta-analyses telles que celle de Schmidt et Hunter et celle
de Salgado mettent en évidence l’intérêt
de prendre en compte les GMA. Ces GMA
peuvent être complétés par des mesures
de la personnalité car la performance ne
dépend pas seulement des capacités
cognitives. En effet, une étude de Salgado (1999) montre que la validité des
aptitudes et de la dimension “ caractère
consciencieux ” est généralisable du point
de vue de la validité, c’est-à-dire qu’elle
est commune à différents critères pour
différents emplois dans différents contextes, ce qui conduit Salgado, Viswesvaran
et Ones (2001) à proposer d’ailleurs
l’équation suivante : “ Performance professionnelle = f (potentiel cognitif, caractère consciencieux).
En définitive, les recherches sur
l’utilisation des méthodes de recrutement
permettent de dégager plusieurs constats.
- Les méthodes les plus fréquemment
utilisées en France comme l’entretien, la
graphologie (Bruchon-Schweitzer & Ferrieux, 1991 ; Lévy-Leboyer, 1994) ne
constituent pas une base valide pour la
prise de décision (Lévy-Leboyer, 1994 ;
Schmidt & Hunter, 1998).
- Un certain nombre de biais interviennent
lors de l’entretien de recrutement (Arvey &
Campion, 1982), soit lors de la prise de
décision. On sait en outre que le type
d’entretien et le statut des recruteurs
influencent le discours et les contenus
(Camus, 1996 ; 1999).
- L’utilisation de certaines méthodes peut
être source d’injustice (Schmidt & Hunter,
1998) : certaines méthodes invalides entraînent un choix fortuit de candidats et
génèrent une injustice pour les candidats
rejetés et d’autres méthodes valides (tests
d’aptitudes) peuvent mettre en échec certaines catégories de population (Gottfredson & Sharf, 1988 ; Schmidt, Ones &
Hunter, 1992).
- La démarche de recrutement et les choix
de méthodes mettent en évidence certaines logiques économiques, subjectives et
valides qui vont dépendre de l’entreprise
(Desrumaux-Zagrodnicki & Zagrodnicki,
2003).
- Les méthodes donnent lieu à des jugements d’équité différents (Steiner, 2000 ;
Steiner & Gilliland, 1996) : les CV, les
échantillons de travail et les entretiens
sont jugés les plus équitables par opposition aux tests de personnalité, aux contacts personnels (connaissance d’une
personne influente dans l’entreprise) et à
la graphologie considérés comme les
supports les moins équitables.1 Le sentiLe jugement d’équité repose sur la
comparaison entre les rétributions et les
contributions pour la justice distributive
mais aussi sur l’estimation de la justice
des procédures utilisées, appelée justice
procédurale. Après avoir estimé l’efficacité de chaque méthode de recrutement, les sujets (117 étudiants français et
142 étudiants américains) de Steiner et
Gilliland (1996) devaient exprimer leur
sentiment d’équité vis-à-vis de la procédure dans le cas où ils ne seraient pas
retenus pour le poste. Enfin, sur le plan
1
ment de justice ne semble être influencé,
ni par les fréquences d’utilisation (la graphologie même si elle est très utilisée en
France est considérée comme injuste), ni
par la validité (les tests d’aptitude mentale
générale en dépit de leur validité ne font
pas partie des méthodes jugées les plus
équitables).
Quelques outils à développer
Un objectif à poursuivre serait
d’améliorer la validité prédictive de certaines méthodes telles que l’entretien structuré (Balicco, 2001) et de développer
l’utilisation des méthodes présentant une
validité prédictive intéressante (GMA,
tests d’intégrité, biodatas…)
Les tests d’intégrité
Aussi référencés comme échelles
d’honnêteté, ils correspondent à des
échelles de personnalité dont les critères
sont focalisés sur l’emploi. Ils évaluent
l’intégrité, l’honnêteté, la dépendance et
facilitent la prédiction du vol et des comportements malhonnêtes au travail (Ones
et Viswesvaran, 2001). Wanek (1999)
ajoute à certaines de ces dimensions, la
conscience, la fiabilité, la loyauté. Sackett
et Harris (1984) distinguent les tests
ouverts (les objectifs des échelles apparaissant clairement) utilisant par exemple
des échelles sur le vol (exemple pour
l’attitude : “ pensez-vous qu’une personne
arrêtée pour avoir volé doit dénoncer les
collègues qui l’ont aidé pour ce vol ”, “
Pensez-vous qu’il y a une part de malhonnêteté en chaque personne ? ” ;
exemple pour les items de faits admis
“ quelle valeur en dollar ou en quantité de
marchandise avez vous dérobé à votre
employeur ? ”) et les tests basés sur la
personnalité (objectifs masqués) mesurant l’honnêteté et l’intégrité (“ ma vie
familiale est toujours heureuse ”). Ones,
Viswesvaran et Schmidt (1993) ont montré que les tests d’intégrité présentaient
une bonne validité prédictive pour prédire
la performance et les comportements
contre productifs au travail. Sur le plan de
la validité incrémentielle, lorsqu’ils sont
utilisés en complément d’un GMA, les
tests d’intégrité possèdent la validité
incrémentielle la plus élevée de tous les
tests non cognitifs (Ones & Viswesvaran,
procédural, ils mesuraient le sentiment de
justice en qualifiant chaque méthode sur
sept dimensions (caractère scientifique,
droit, respect de la vie privée…).
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -55-
2001). Ces auteurs suggèrent que
d’autres critères de personnalité focalisés
sur l’emploi peuvent être mesurés en
complément des tests d’intégrité : les
échelles de violence, les échelles de
tolérance au stress et les échelles évaluant les services à la clientèle.
Les biodatas
Les biodatas (données biographiques) mesurent des expériences de la vie
passée, dans la famille, à l’école, au
travail et dans les loisirs. Lautenschlager
(1994) les définit comme : “ des questions
factuelles portant sur la vie et le travail,
ainsi que des items mettant en jeu les
opinions, valeurs, croyances et attitudes
dans une perspective historique. ” Deux
types d’items de biodatas peuvent être
construits : ceux portant sur des faits, des
comportements, qualifiés d’items vérifiables et ceux portant sur des opinions,
valeurs, croyances ou attitudes, qualifiés
d’items non vérifiables. Dean (2004) a
examiné la validité de critères des biodatas en lien avec plusieurs critères de
performance auprès de 6036 candidats
aux postes de contrôleur de systèmes
automatisés. Elle compare les résultats
aux biodatas avec un test de connaissance, des échelles comportementales de
simulation de la performance et un test de
simulation de problèmes. Les résultats
indiquent que les biodatas permettent de
prédire la performance sur un certain
nombre de critères.
Van Iddekinge (2003) a utilisé la
technologie vocale interactive afin de faire
passer des biodatas (42 items et une
échelle composite de 6 items). Les résultats sont bien corrélés avec les notations
de la performance par des supérieurs. La
technologie vocale est largement préconisée parce qu’elle permet un gain financier
important pour les organisations.
Une étude de validité concurrente
de Mount, Witt et Barrick (2000) auprès
de 376 employés de bureau examinait
l’utilisation conjointe des GMA, des biodatas et des tests de personnalité en tant
que prédicteurs de quatre critères : la
quantité et la qualité du travail, la résolution de problèmes, la facilitation interpersonnelle et la probabilité de maintien sur
le poste. Les résultats indiquent que les
biodatas apportent une variance incrémentielle substancielle qui va au delà de
celle obtenue avec les GMA et le test de
personnalité pour 3 critères sur 4. Tears
(2003) a pour sa part testé l’utilité de
biodatas mesurant la probabilité de
s’engager dans des comportements citoyens organisationnels. Elle conclue que
les biodatas permettent de prédire les
notations des supérieurs. Les biodatas
constituent finalement des méthodes qui
ont le même niveau de validité que les
assessments mais sont plus économiques
en temps.
Les évolutions
Le modèle traditionnel de recrutement (critère-prédicteur) et le modèle
traditionnel de validation des méthodes
n’ont pas changé. Un premier élément qui
a changé le plus en revanche dans les 10
dernières années est la confiance dans la
validité des méthodes utilisées. Cette
confiance s’est renforcée grâce aux nombreuses méta-analyses. Un deuxième
élément qui a évolué est la manière de
choisir les critères de performance. Selon
Robertson & Smith (2001), en 1980, on
dénombrait trois catégories d’informations : les critères de performance, les
données sur la personne et les jugements
sous forme de notation par les supérieurs.
Hunter & Schmidt (1998) utilisent pour
leur part les critères de performance et les
critères basés sur le jugement (notations
des supérieurs). Le plus important changement pour Robertson & Smith (2001)
concerne le construit de performance au
travail. Il inclue maintenant non seulement
la performance effective au travers des
tâches pertinentes mais aussi la performance contextuelle et le comportement
citoyen (Borteman & Motowildo, 1997 ;
Coleman & Borman, 1999).
Le recrutement est aussi soumis à
d’autres problèmes liés à l’organisation
contemporaine du travail. En effet, selon
Robertson & Smith (2001), la durée
moyenne de travail d’une personne sur un
poste est plus courte qu’il y a 10 ou 15
ans. En effet, il fut un temps où l’espérance de vie d’une technologie et l’étendue de la carrière de travail des employés
étaient liés. A l’heure actuelle, les technologies, les pratiques de travail et même
les formes d’organisation se succèdent et
s’effacent au profit d’autres au fur et à
mesure de la vie de travail. Les individus
aussi risquent donc de se succéder. Cela
signifie que les méthodes de sélection
devront aussi s’adapter à chaque fois à
l’évolution des postes et des métiers.
Comme nous l’avons vu, le métier
de recruteur évolue et les techniques
doivent s’adapter à l’évolution de la société, des métiers, des techniques et des
organisations.
Evolution des techniques
(informatique) :
Les tests par exemple subissent
l’évolution de l’informatique. Les techniques papier-crayon vont peu à peu
s’effacer au profit des techniques sur
écran et des techniques basées sur les
boîtes vocales. L’avantage est la disparition de techniques non valides telles que
la graphologie mais aussi quelques fois la
perte de performances. Certaines recherches montrent que les sujets sont moins
efficaces devant un écran qu’avec une
procédure papier-crayon (Schmidt &
Hunter, 1998) ; d’autres recherches ne
montrent aucune incidence. La passation
de test n’impliquera plus nécessairement
une relation testeur-testé.
Une autre conséquence est la
taylorisation du travail du recruteur. Plusieurs types de postes sont envisagés à
différentes étapes du processus et risquent d’être assurés par plusieurs personnes : sourcing (recherche informatisée
des candidats), screening (évaluation par
les tests et entretiens), sous traitance des
corrections des tests et enfin prise de
décision par une personne dotée de
responsabilité.
Développement des mesures
physiologiques :
Les mesures physiologiques
(EEG..) vont se développer pour évaluer
notamment l’adaptabilité neuronale (neural adaptability index). Certaines corrélations sont mises en évidence avec
l’intelligence générale. Certains aspects
de la personnalité tels que la stabilité
émotionnelle, l’extraversion présentent
des corrélations avec des mesures neurophysiologiques.
Développement des systèmes de
comparaison (benchmarking) :
Les organisations pour gagner en
efficacité et productivité vont avoir tendance à comparer leurs systèmes de
sélection à ceux d’organisations leaders.
Développement des modèles
exploratoires :
Conclusion et prospectives
Au-delà des méthodes, telles que
les GMA, des niveaux d’analyses théoriques et pratiques plus larges sont requis.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -56-
Smith (1994) suggère ainsi l’existence de
trois caractéristiques (intelligence, vitalité,
proportion de l’espace de vie qu’un individu est prêt à consacrer à son travail) pour
prédire la performance au travail. Ces
derniers indices sont rarement inclus dans
la recherche traditionnelle bien qu’ils
soient mesurés indirectement par l’interview ou les biodatas. Leur mesure peut
certes être influencée par les biais mais il
est possible que ces critères fassent
l’objet de mesures valides. Chercheurs et
professionnels pourront encore travailler à
la mise en évidence de dimensions humaines nouvelles requises dans le monde
du travail.
En conclusion, tant que les rapports humains sont en jeu dans les organisations et plus ces rapports humains
seront en jeu, plus les biais et les normes
interviendront. Ils font partie intégrante de
toute organisation humaine et de tout
mode d’évaluation. Tant que ces biais
interviendront dans les rapports humains,
nous aurons besoin de chercheurs, de
psychologues et de praticiens pour les
mettre en évidence ou pour chercher des
méthodes valides limitant leurs incidences.
Comme le disait Le Poultier
(2005) lors d’un récent colloque de psychologie sociale appliquée, une activité
d’interface entre les chercheurs des laboratoires et les acteurs de l’environnement
socio-économique est indispensable, pour
traduire des concepts en outils professionnels, mettre à la disposition des professionnels des outils, négocier les conditions de transfert d’une technologie, professionnaliser des docteurs et doctorants.
Ces éléments sont autant de propositions
que nous partageons.
J
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -58-
Entre chômage et travail :
Comment résister aux identités négatives ?1
Ginette HERMAN, David BOURGUIGNON et Georges LIENARD
Université catholique de Louvain, Belgique
J
1
Des effets du chômage
Nombreuses sont les études qui
ont montré que la privation d’emploi constitue en tant que telle une source de malêtre. Une méta-analyse conduite tout récemment par McKee-Ryan, Song, Wanberg, & Kinicki, 2005 (2005) conclut à
l’existence d’une relation causale entre
ces deux variables. Ce résultat est étayé
par les études transversales qui montrent
que les chômeurs ont un bien-être inférieur à celui des travailleurs. Il est confirmé dans les études longitudinales au
cours desquelles le bien-être décline à
mesure que les individus passent de la
situation de travail à celle de chômage et
augmente dans le cas de figure inverse.
Et les effets sont d’autant plus dramatiques que la durée du chômage s’allonge.
Pour rendre compte des effets délétères du chômage, nous nous sommes
penchés sur les explications qui mobilisent la manière dont la société, dans son
ensemble, perçoit les chômeurs, juge les
raisons de leur privation d’emploi, évalue
leurs efforts de réintégration professionCe texte constitue un résumé d’un article
qui sera publié par les Cahiers d’Ergologie en 2006.
Différentes recherches citées dans cet
article ont été réalisées grâce au soutien
du Fonds Social Européen, de la Région
wallonne (IWEPS/OWE) et de la Communauté française de Belgique, dans le
cadre de l’Objectif 1 Hainaut. Elles ont,
par ailleurs, bénéficié de la collaboration
d’organismes de formation et d’insertion
socioprofessionnelle situés en Région
wallonne et dans la Région de BruxellesCapitale (Belgique).
1
nelle. Depuis les travaux de Goffman
(1963), on sait combien le regard d’autrui,
s’il est négatif, est source de stigmatisation et suscite un cortège de conséquences parmi lesquelles un mal-être, un
sentiment de honte… La perspective
adoptée dans cet article s’inscrit en droite
ligne de cette conception. Elle s’interroge
moins à propos des lacunes qui caractérisent les personnes sans emploi qu’elle
n’analyse les effets des images que la
société s’est construit à propos de ces
dernières. Le nœud du problème tel que
nous le posons réside donc dans les
relations qui se nouent entre groupes :
ceux qui portent un regard dévalorisant
sur autrui et ceux qui en sont la cible.
Une brève approche de la stigmatisation
Etre stigmatisé renvoie au fait de
posséder « une caractéristique associée à
des traits et stéréotypes négatifs qui font
en sorte que ses possesseurs subiront
une perte de statut et seront discriminés
au point de faire partie d’un groupe particulier ; il y aura « eux », qui ont une mauvaise réputation, et « nous » les normaux » (Croizet & Leyens, 2003, p.14).
En d’autres termes, une personne est
stigmatisée lorsqu’elle possède (ou croit
posséder) un attribut ou une caractéristique qui véhicule une identité sociale
dévalorisée au travers de laquelle les
autres la définissent dans un contexte
particulier (Crocker, Major & Steele,
1998).
A quelles conditions dès lors, une
caractéristique donnée est-elle susceptible d’être transformée en stigmate ?
Plusieurs éléments y contribuent. Ce qui
est essentiel, c’est d’abord le fait de croire
qu’un individu possède un attribut dévalorisé, que cette croyance soit portée par
l’individu lui-même ou par autrui. Ensuite,
cette conviction doit être partagée par un
ensemble de personnes, faire l’objet d’un
certain consensus. Il en résulte qu’aucun
attribut n’est par nature un stigmate mais
qu’il peut le devenir sous l’effet d’un
contexte particulier (Crocker & al., 1998).
En l’occurrence, ne deviennent stigmates
que les caractéristiques qui sont associées à une identité sociale négative,
c’est-à-dire celles qui correspondent à un
groupe, à un statut ou à une catégorie
dévalorisés.
Les effets de la stigmatisation ont
fait l’objet de nombreuses recherches.
L’une des conséquences parmi les plus
étudiées a porté sur le bien-être psychologique (en particulier, l’estime de soi, la
satisfaction de la vie et la dépression).
Crocker et al. (1998) résument les résultats de la manière suivante. La stigmatisation n’entame que faiblement l’estime de
soi et la satisfaction de la vie des personnes stigmatisées, des mécanismes de
défense de soi devenant probablement
actifs et permettant de préserver un niveau suffisant. Cependant, elle affecte
l’amplitude de la dépression des membres
de divers groupes (African-Américains,
femmes, adolescents gay, personnes
obèses…) et leurs niveaux de bien-être
subjectifs, contrairement à ceux des
personnes non stigmatisées, ne sont
jamais situés dans les zones positives des
échelles.
D’autres effets ont également été
étudiés, en particulier ceux liés à la menace potentielle que représente le fait de
se sentir interpellé sur sa valeur, face aux
préjugés négatifs dont on est l’objet. En
effet, il n’est pas toujours simple de se
convaincre que ces préjugés sont faux,
que son groupe est disqualifié à tort.
Même si le stéréotype n’est pas personnel, il atteint l’individu par le fait qu’il
s’attaque à sa composante sociale (Luhtanen & Crocker, 1992), et le menace
d’activer le recours à des stratégies dont
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -59-
certaines peuvent se révéler largement
contre-productives (voir infra, la menace
du stéréotype).
Le chômage peut-il être considéré
comme une forme de stigmatisation ?
Pour répondre empiriquement à cette
question, plusieurs éléments doivent être
rencontrés. Le premier concerne les
représentations que se construit la société
en général (et les travailleurs en particulier) à propos des chômeurs : leur associe-t-elle des attributs négatifs qui les
classent dans un groupe particulier ? Le
second concerne les perceptions des
chômeurs eux-mêmes : sont-ils conscients des images véhiculées à leur
égard ? ; pensent-ils appartenir à un
groupe stigmatisé ?
Les chômeurs,
groupe stigmatisé ?
Que les chômeurs aient mauvaise
réputation naguère ou aujourd’hui, plusieurs études l’ont mis en évidence (e.g.,
Hayes & Nutman, 1981 ; Paugam & Russel, 2000). Elles montrent que les attitudes à l’égard des personnes sans emploi
sont souvent négatives et se manifestent
sous la forme d’une dépréciation avérée.
En particulier, les employeurs lorsqu’ils
ont à juger des candidats dont le chômage est de longue durée, les considèrent a priori moins productifs que les
autres (Furaker & Blomsterberg, 2003).
De plus, les chômeurs sont vus non seulement comme responsables du problème
mais aussi comme responsables de la
solution à y apporter.
Ces
informations
révèlent
l’existence, dans la société, d’attitudes
négatives à l’égard des chômeurs. Mais
pour qu’on puisse parler pleinement de
stigmatisation, il faut encore vérifier si les
chômeurs sont conscients de ces images
et s’ils les considèrent comme déterminantes de leur vie.
Afin d’analyser la manière dont les
chômeurs se perçoivent eux-mêmes,
différentes voies ont été suivies. La première a consisté à mettre en évidence les
méta-stéréotypes des chômeurs. Il s’agissait d’interroger les chômeurs sur ce qu’ils
pensent que la société pense d’eux. Les
réponses, recueillies en Wallonie, furent
marquées d’une grande homogénéité :
« Les chômeurs sont vus comme fainéants, incompétents et parasites» (Herman & Van Ypersele, 1998). Elles corres-
pondent donc, en grande partie, aux
images véhiculées par les travailleurs.
Est-ce que pour autant leur identité sociale en est affectée ? La deuxième
voie a investigué les groupes d’appartenance des chômeurs en référence à la
théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1981).
Selon cette théorie, l’identité est composée de trois dimensions. La première est
de nature cognitive ; elle porte sur la
connaissance que l’individu a des groupes auquel il appartient et de celui qu’il
estime central de son identité. Une fois ce
groupe précisé, c’est de valence attribuée
au groupe dont il sera question. Aussi, la
deuxième dimension précise si l’individu
juge son groupe comme positif ou négatif,
comme attractif ou déplaisant. Mais comme l'appréciation de sa propre identité
n’est pas nécessairement consistante
avec celle que pratique autrui, la troisième
dimension porte sur l’évaluation que d’autres personnes portent sur le groupe.
Ces trois dimensions ont été investiguées au travers de plusieurs études
(e.g., Herman, 1999). Elles montrent de
manière consistante que les personnes
sans emploi s’auto-catégorisent comme
membres du groupe des chômeurs (1ère
dimension), qu’elles se sentent mal dans
ce groupe (2ème dimension) et qu’elles
s’estiment peu respectées par autrui (3ème
dimension). De ces résultats, il découle
que les chômeurs se perçoivent bien
comme faisant partie d’un groupe stigmatisé.
Menace du stéréotype
On a vu que le chômage avait des
effets délétères envahissants. Sont-ils dus
à la stigmatisation que connaissent les
chômeurs ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes inspirés de la
théorie de la menace du stéréotype qui
avance que lorsque des stéréotypes négatifs à propos de la catégorie d’appartenance sont intériorisés, ils entraînent des
effets appelés « auto-handicapants »
(Steele & Aronson, 1995). Autrement dit,
une personne qui a le sentiment que son
groupe est stigmatisé craint d’être jugée
ou traitée sur base des stéréotypes dont
son groupe est la cible. Et dès lors de se
sentir menacée sur le plan de son image
personnelle et de celle de son groupe.
Cette menace portée sur soi-même n’est
pas sans effet. Elle peut handicaper le
fonctionnement de la personne en augmentant, par exemple, son anxiété ou ses
pensées parasites (e.g., « il ne faut surtout, surtout pas qu’on croit que je colle
aux clichés »), dans des domaines en
rapport avec le contenu du stéréotype et,
d’une manière paradoxale, le confirmer.
Appliquée à la situation de chômage, cette théorie suggère que puisque
les personnes sans emploi sont conscientes d’être considérées comme ‘incompétentes, apathiques ou parasites’, elles
risquent de manifester des attitudes et
des conduites congruentes avec ces
stéréotypes. Plus précisément, comme
ceux-ci touchent à la fois la sphère cognitive et la sphère motivationnelle, ils sont
susceptibles de s’attaquer non seulement
au fonctionnement cognitif des chômeurs
et à leurs apprentissages, mais aussi à
leurs capacités de prendre des initiatives,
d’être proactifs.
Nous avons testé cette hypothèse
au travers de deux des domaines touchés
directement par les images négatives
véhiculées à propos des chômeurs : les
performances intellectuelles (cf. l’attribut
« d’incompétent ») et le dynamisme déployé tant dans le domaine de la recherche d’emploi que des activités culturelles
(cf. l’attribut « d’apathique »). Plusieurs
études ont été conduites, qui utilisaient
une procédure expérimentale. Les participants des recherches – tous chômeurs –
furent placés aléatoirement dans deux
contextes différents. Dans l’un, on rappelait simplement au stagiaire son appartenance à la catégorie ‘chômeur’ ; dans
l’autre, on soulignait brièvement le fait
qu’il faisait partie d’un groupe neutre, celui
des ‘adultes’. Le premier contexte est dit
‘menaçant’ car l’individu est confronté à
son identité stigmatisée de chômeur
tandis que le deuxième est considéré
comme ‘non menaçant’ puisque l’individu
se réfère à l’identité non stigmatisée
d’adulte.
Sur le plan cognitif, un texte relativement complexe a été proposé à la
lecture. Les résultats indiquent que
confrontés à leur identité de « chômeur »,
les participants l’ont moins bien compris
que les participants pour qui l’identité
dominante étant celle “ d’adulte ”. De
même, les premiers eurent tendance à
faire plus d’erreurs que les seconds dans
une tâche de reconnaissance de mots, en
acceptant de manière erronée des itemsleurres qui renvoyaient aux préjugés
attachés au groupe des chômeurs (Herman, Desmette, & Bourguignon, 2002).
Sur le plan motivationnel, l’étude
de Herman et al. (2002), fournit égale-
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -60-
ment des informations concluantes. Les
intentions de recherche d’emploi ont été
retenues en premier lieu car elles sont
situées au cœur-même de la problématique, les chômeurs étant souvent accusés
de ne pas « en faire assez ». De fait,
comparés à ceux de la condition “adulte”,
les participants de la condition “chômeur”
montrent
une
moindre
envie
d’entreprendre des stratégies de recherche d’emploi (par exemple, envoyer son
curriculum vitae à des employeurs qui
embauchent, rencontrer des employeurs,
se présenter régulièrement dans des
agences d’intérim,…).
Mais cette apathie est sélective
car elle ne se généralise pas à tous les
domaines. En effet, les domaines qui ne
sont pas menaçants pour l’identité du
chômeur se voient épargnés. Par exemple, aucune différence entre les conditions
n’apparaît pour la pratique sportive. Qui
plus est, dans d’autres cas, c’est le résultat inverse qui est observé. Par exemple,
les participants qui se trouvent dans la
condition “ chômeur ” sont plus enclins à
vouloir entreprendre de nouveaux projets
et moins désireux de rechercher des
activités passives (rester chez soi, regarder la télévision, boire un verre dans un
café) que ceux qui sont dans la condition
“ adulte ” (Herman et al., 2002). En quelque sorte, dans les domaines non concernés par les stéréotypes attachés au
chômage, les intentions d’action seraient
préservées.
Ces différents résultats soulignent
combien le fait de se voir attribuer une
étiquette négative entraîne des attitudes
et des conduites qui accentuent l’état de
privation dans lequel se trouve la personne sans emploi. L’anticipation d’un reproche dans le regard d’autrui, en particulier
dans celui d’un éventuel employeur, rend
ces démarches coûteuses et pénibles.
Stratégies de défense de soi
Comment les personnes stigmatisées font-elles face à cette situation difficile ? Mettent-elles en place des stratégies qui les protègent au moins partiellement des répercussions négatives, qui
contribuent à restaurer une estime de soi
positive ? Ces questions font l’objet,
depuis plusieurs années, de nombreux
travaux (i.e., Folkman, Lazarus, DunkelSchetter, DeLongis & Gruen, 1984). Parmi
ceux-ci, on en trouve certains qui se
centrent directement sur le problème et
sur sa résolution tandis que d’autres
s’attachent plutôt à la gestion des conséquences émotionnelles. Plus précisément,
il s’agit, dans le premier cas, d’étudier la
manière dont les chômeurs élaborent des
solutions pour changer les rapports qu’ils
entretiennent avec leur environnement
social et dans le second, d’analyser la
manière dont ils réduisent les affects
négatifs de la stigmatisation et/ou maintiennent une estime de soi positive.
Concernant les stratégies centrées sur le problème, c’est la mobilité
individuelle (chercher du travail, entreprendre une formation, pratiquer du ‘travail au noir’) qui semble la plus utilisée par
les chômeurs (Herman & van Ypersele,
1998). Quelle est sa contribution du point
de vue de la santé mentale ? Des données montrent que les effets délétères du
chômage qu’on relève habituellement ne
s’observent pas dans certaines circonstances : la santé mentale (mesurée par un
indice de dépression) des demandeurs
d’emploi qui suivent des formations qualifiantes ou pré-qualifiantes ou qui s’investissent dans des organismes culturels ou
sportifs atteint un niveau tout à fait normal. De plus, le sentiment qu’ils ont de
pouvoir agir et influencer leur environnement social ou institutionnel devient opérant ; enfin, une proximité avec le monde
du travail est réactivée (Herman, 1999).
En ce qui concerne les stratégies
émotionnelles, diverses stratégies peuvent être mobilisées, qui tentent de minimiser les affects négatifs émergeant dans
ce contexte et de protéger l’estime de soi
(Miller & Major, 2000). Le fait de se comparer aux membres de son propre groupe
plutôt qu’aux membres d’un groupe non
stigmatisé préserve l’estime de soi de
l’individu car, d’une part, la menace que
constitue le groupe dominant n’est pas
activée et, d’autre part la situation vécue
par les autres chômeurs peut être vue
comme encore moins favorisée que la
sienne propre (Martinot et al, 2002). Dans
les travaux que nous avons réalisés avec
des personnes sans emploi, nous avons
mis en évidence la valeur de certaines de
ces stratégies. En ce qui concerne la
comparaison avec d’autres chômeurs, elle
se révèle, de fait, un procédé profitable du
point de vue de la santé mentale. Les
chômeurs, s’ils considèrent leur situation
meilleure que celle des autres chômeurs,
se préservent mieux de la dépression
(Herman & van Ypersele, 1998).
La perception de discrimination
pourrait également être exploitée par les
chômeurs. Les données indiquent que
face à un contexte de stigmatisation, les
chômeurs amoindrissent la discrimination
dont ils peuvent être la cible, ce qui les
préserve d’une perte d’estime de soi
(Bourguignon & Herman, 2005). Par
contre, lorsque le contexte est favorable,
discrimination et estime de soi restent indépendantes l’une de l’autre. En somme,
ces résultats suggèrent que les chômeurs
confrontés à un contexte stigmatisant se
protègent des effets délétères de la discrimination en la minimisant.
Enfin, les personnes stigmatisées
peuvent également tenter de réaménager
l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. Par
exemple, elles peuvent diminuer
l’importance des domaines dans lesquels
elles sont désavantagées, leur accorder
une valeur moindre, voire même se désengager de la situation. Cette stratégie
permettrait de préserver l’estime de soi
puisqu’elle est dissociée des conséquences négatives (Major & Schmader, 1998).
Concernant les chômeurs, nous avons, au
travers de plusieurs études (Herman &
van Ypersele, 1998, Bourguignon & Herman, 2005), tenté d’examiner si la vision
fermée ou ouverte du monde du travail
pouvait affecter l’importance accordée à la
sphère professionnelle. Il est apparu que
plus les chômeurs développent une vision
fermée du monde du travail, moins ils
accordent de l’importance au domaine
professionnel et plus ils éprouvent des
émotions négatives par rapport à la recherche de travail.
Malgré leur valeur protectrice sur
le plan de la santé mentale, ces stratégies
ne présentent pas que des avantages.
Plusieurs auteurs ont attiré l’attention sur
les coûts qu’elles pouvaient entraîner (i.e.,
Croizet & Martinot, 2003). Ainsi, en limitant les comparaisons au sein de leur
propre groupe, en faisant abstraction de
la position avantagée de l’exogroupe
(celui des travailleurs), les chômeurs se
privent de la possibilité de prendre conscience de leur statut défavorisé et de le
remettre en question au sein de la société. La minimisation de la discrimination
entraîne également des effets pervers. En
niant eux-mêmes le fait qu’existe une
discrimination à leur égard, les chômeurs
assument personnellement une partie de
la responsabilité de leur non-emploi et, ce
faisant, légitiment la discrimination dont ils
sont l’objet. Comment en effet s’expliquer
autrement leur situation ? Enfin, en se
désengageant, même partiellement, de la
sphère professionnelle, ils limitent leurs
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -61-
investissements dans le domaine de la
recherche d’emploi et renforcent la probabilité de rester sans travail. Ici aussi, alors
que la stratégie de retrait est pourtant un
des effets du contexte de stigmatisation,
elle risque de porter préjudice à la personne stigmatisée.
Conclusions
Les études qui ont été présentées
dans les pages qui précèdent montrent
que les chômeurs se sentant considérablement dépréciés, voire méprisés, développent une identité négative qui entraîne
diverses conséquences. Parmi celles-ci,
on trouve que non seulement le fonctionnement cognitif des chômeurs et leurs
apprentissages sont altérés mais également leurs capacités à prendre des initiatives, à entamer des démarches dans la
sphère professionnelle de leur vie. Ces
différents résultats soulignent combien le
fait de se voir attribuer une étiquette
négative entraîne des attitudes et des
conduites qui ne font qu’accentuer l’état
de privation dans lequel se trouve la
personne sans d’emploi. Loin de considérer l’absence de dynamisme dont on
qualifie parfois le chômeur comme la
cause de son non-emploi, elle en est, en
fait, une des ses conséquences, en particulier lorsque de manière répétée, les
efforts de recherche d’emploi se soldent
par des fins de non-recevoir ou des refus.
Confrontés à cette stigmatisation,
les chômeurs tentent néanmoins de développer des stratégies leur permettant d’y
faire face. Les plus fréquentes incluent
différentes formes de mobilité individuelle
(fréquentation de formations professionnelles, démarches de recherche d’emploi,
participation à la vie associative). D’autres
stratégies sont mises en place, qui relèvent, quant à elles, d’une gestion des
émotions, destinée à se protéger contre le
regard d’autrui quand il s’avère méprisant.
Si elles se révèlent utiles du point de vue
de la protection de l’estime de soi dans
certaines circonstances, de nombreux
auteurs ont attiré l’attention sur les effets
pervers qu’elles pouvaient entraîner, en
ce sens qu’elles contribuaient à un maintien de la situation de chômage, voire à
une internalisation renforcée des causes
du chômage.
L’analyse qui vient d’être proposée est centrée essentiellement sur la
position du chômeur. A aucun moment,
elle n’a toutefois suggéré que la résolution
de la situation se trouvât à son niveau, ni
qu’il lui fût possible de réduire efficacement la stigmatisation. Le fait que les
chômeurs aient moins de pouvoir et de
ressources que d’autres groupes sociaux
les empêchent d’être les acteurs privilégiés de leur propre devenir, tant au niveau
individuel (trouver un emploi) que collectif
(améliorer le statut des chômeurs). Les
solutions sont à rechercher d’abord à un
niveau socio-économique et politique, par
la création d’un nombre suffisant d’emploi.
Ensuite, si le taux de chômage se maintient à un niveau élevé, il importe à la
société en général et à l’autorité publique
en particulier, de mettre en place des
politiques qui élimineraient le préjudice
dont sont objet les chômeurs. En Belgique, certaines actions publiques vont
dans cette direction en encourageant, par
des mesures de réduction des charges
patronales, l’engagement de chômeurs.
Mais d’autres ont l’effet inverse quand
elles développent, au travers de mesures
telles qu’un contrôle renforcé ou un « plan
d’accompagnement », le sentiment pour
les chômeurs de porter une part majeure
de responsabilité dans leur non-emploi.
J
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -62-
Des conditions fondamentales nécessaires
et motivantes pour tenir conseil ou
de quelques considérations inactuelles et intempestives
Alexandre LHOTELLIER
[email protected]
J
J’ai une conviction ; le conseil est
une voie forte de la psychologie et des
sciences humaines.
Cette conviction est-elle si inactuelle, si intempestive ?
L’intempestif c’est d’aller au simple, à
l’essentiel, à ce qui est le plus nécessaire
à notre pratique
Mon souci est la compréhension
réciproque d’une démarche commune à la
fois à des organisateurs, des théoriciens
et des praticiens pour des usagers.
Nous avons des théories nuageuses qui servent de pavillons de contrebande à des pratiques diverses. Chacun
s’en réclame selon la mode dominante ou
la sensibilité affective.
Si le conseil ne présente pas une
structuration forte il sera mangé par les
dernières modes, les dernières contraintes. S’il n’est pas centré sur l’agir pratique
des gens.
Le conseil doit être centré sur la
pratique des gens. Ce n’est pas une
invention abstraite, c’est une démarche
commune.
LE DENI DU CONSEIL
Il y a en France un déni du
conseil, on parle d’ailleurs avec le terme
anglo-saxon « counselling ». Le conseil
existe en France mais nous sommes
coincés entre expertise et thérapie, mais
aussi les différences entre consultants et
coachs. On parle et on écrit plus volontiers de psychothérapie et beaucoup
moins de conseil. Or, Il y a davantage
d’activité de conseil dans notre pays. Et
ce n’est ni le conseillisme étatique ni la
conseillite libérale. Alors comment exister
sans un suffixe en ING ?
La démarche de conseil , c’est la
construction dialogique d’une démarche
d’action, un travail méthodique et pluriel
du sens d’une situation problème et
l’élaboration d’une décision fondatrice
d’une action responsable autonomisante.
Mais la véritable définition du
conseil, c’est sa pratique
Le déni du conseil est un problème francofrançais. Le Déni c’est le
refus de reconnaître une réalité dont la
perception est traumatisante pour le sujet
: Qu’est ce qui nous traumatise entre les
recherches, la théorie et la pratique en
France ?
Avons-nous une censure, un oubli, un refus ?
Les apports de SUPER en 59 et
de nombreux théoriciens qui lui ont succédés sont tombés à la trappe. Je
m’interroge sur ce déni sur la
« maltraitance théorique » cf revue Pratiques Psychologique 2003 – n° 4 .
Qu’est-ce que cela induit sur les
pratiques professionnelles et la manière
de penser ?
En France, on enseigne la psychologie mais veut-on vraiment former
des praticiens ?
Y a-t-il adéquation entre les
concepts utilisés et les problématiques
actuelles ?
La maltraitance théorique serait
une maltraitance induite par les théories
et les pratiques inadéquates aux situations. L’inadéquation des méthodes utilisées laisse à l’écart des éléments. Cette
maltraitance aboutit au malaise, à la
souffrance des conseillers.
Peut être est-il urgent de penser
le conseil dans sa démarche, dans sa
globalité… d’où ma conception dialogique
de la théorie du conseil.
La connaissance scientifique du
monde social passe par une critique de la
connaissance savante. Le subjectivisme
et l’objectivisme sont deux éléments
possibles de la connaissance savante
mais leur antagonisme n’est qu’apparent
dans la mesure où ils sont opposés l’un et
l’autre à la connaissance pratique. (Bourdieu)
Coincé entre diagnostic psychologique et thérapie, le conseil n’a pu se
développer en méthode. Il s’est centré sur
le spécialiste sans souligner le travail
nécessaire de l’usager, sa capacité de
dialogue ; contribution à la construction du
Savoir et du Pouvoir de l’autre.
Le mot clé est celui de Dialogue ;
mot irremplaçable. Mais la transmission
d’un savoir n’est pas l’imposition d’un
catéchisme, ni un passe partout qui viserait à transformer l’autre en trou de serrure parce que l’on croit avoir trouvé une
clé.
L’appropriation du savoir est fragile, difficile, toujours à recommencer. Ce
n’est pas une domination ni une emprise.
Nous n’avons pas une culture du dialogue, nous le considérons comme la juxtaposition polie de 2 monologues avec
écoute gracieuse ; se parler jusqu’à ce
que l’on soit d’accord, chacun voulant
montrer la supériorité de son point de vue.
Mais nous avons une tradition
théorique du dialogue (de Buber – Bahktine – Francis Jacques à nos jours) mais
la lisons nous ?
Pourquoi vouloir entrer en dialogue ? Nous avons besoin de dialogue et
n’avons pas la culture du dialogue.
1 - construction dialogique
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -63-
LA QUESTION DE L’AUTRE
Triade pour vivre ensemble : Partir de l’autre, tenir l’entre (l’entre nous) et
Apprendre sa propre langue.
Le dialogue n’est pas seulement
la recherche d’un consensus, c’est aussi
prendre du recul pour remettre en perspective la parole qui nous est commune.
Une seconde triade illustre le vivre
ensemble.
Reconnaissance – connaissance
– nouvelle naissance.
Dans le dialogue l’autre doit se
sentir reconnu, ouvert à un travail nouveau. Il doit voir le sens pour ne pas se
sentir colonisé ; une nouvelle naissance
entre les 2 interlocuteurs est envisageable.
Pas de travail possible si chacun
n’est pas éveillé par la question du sens.
Seul ce qui fait sens est engendré par les
deux partenaires et seul ce qui est engendré par les deux partenaires aura un
impact sensé. Le dialogique est un apprentissage mutuel continu.
Il ne s’agit pas d’appliquer ou de
vérifier une vérité préconçue. Le dialogue
n’est pas la mise en œuvre de techniques
rhétoriques pour triompher de l’autre. Le
dialogue est la voie qui libère la personne
de son ignorance.
En disant « tu » je deviens « je ».
Le sens naît du dialogue. Ce qui est reçu
importe plus que ce qui est émis.
Un travail dialogique requiert que
l’on renvoie à sa propre structure
d’entendement les personnes en présence.
LE SAVOIR
« Savoir dans la vie : une expérimentation de la connaissance ».
Le savoir n’est pas facile à recevoir ; tout nouveau savoir dérange car il
bouscule un savoir ancien. Il coexiste un
désir et une peur de savoir.
Le partage du savoir n’est pas
anodin, on peut mettre l’autre en difficulté
(le déstabiliser).
Seul le savoir qu’on sait est agissant dans la conduite. La connaissance a
un pouvoir transformateur.
Savoir c’est l’appropriation des informations et des connaissances à un
moment donné de mon existence. Il existe
trop en miettes. L’important c’est son
articulation avec les actes.
La question n’est pas seulement
de mesurer ni de diagnostiquer mais que
cela soit actif par et pour l’autre dans sa
construction même.
Mais prenons garde à ce que les
cris des hommes ne nous soient inaccessibles à cause de notre savoir, de notre
blindage dans les théories.
Il faut veiller à ce que le savoir ne
soit pas une injustice, une humiliation ni
une injonction mais un éveil à de nouveaux actes, une vertu de force et non un
rapport de force.
LE POUVOIR DU SENS
C’est l’articulation entre informations, savoir et notion de valorisation.
L’intérêt du conseil c’est l’agir
sensé en situation d’une personne en
devenir.
C’est une question de réflexivité,
de pensée, on dit aussi maintenant de
motivation et de volonté.
Le sens n’est pas personnel mais
relationnel, le sens n’est pas donné mais
construit à partir de nos interactions au
sein de nos pratiques quotidiennes.
Priver la considération de l’agir de
sa dimension éthique rend impossible la
compréhension de l’agir. Ce n’est pas le
savoir seul qui va faire agir. L’acte ne
surgit pas tout fait de la science, il ne faut
pas rejeter le savoir humain.
L’action est liée à une décision
dont la rationalité est subordonnée à la
qualité de délibération qui la précède.
Le sens n’est pas soluble dans le
concept. Le travail du sens c’est mettre du
sens au travail.
Tenir conseil c’est pouvoir donner
sens.
Le sens n’est pas personnel mais
relationnel, il n’est pas donné mais construit dans la relation. Le savoir seul ne
permet pas d’agir.
Le dialogique c’est l’humanisation
continue de l’inhumain qui est en chacun
de nous. C’est l’acte qui mesure la qualité
de la parole.
2 – une démarche d’action
Un impensé du conseil ; le travail du
conseiller.
Nécessité de fonder l’approche
sur une autre base que celle de la succession d’outils, de procédures administratives et de relations empiriques.
Ce n’est ni une conversation banale ni un interrogatoire alors qu’est ce
que la démarche du tenir conseil ?
La démarche ne peut pas être une
application uniforme à des personnes
différentes d’un système général qui serait
des contraintes. Ce n’est jamais prescriptif
mais à la fois une visée de valeurs et une
vision globale. C’est une écoute continue
des processus en cours, d’où l’importance
de l ‘attention au temps partagé.
Ce n’est pas une injonction à se
mettre dans un moule mais l’organisation
claire de la voie choisie. Ce n’est jamais
acquis une fois pour toutes. Il faut tenir
compte d’un temps multiple, des sociétés,
des institutions et des personnes.
La démarche est donc la mise en
forme de nos actes dans un certain style
Le dialogue est un travail permanent de reprise de soi qui implique simplicité du langage, pauvreté des moyens,
proximité des personnes. La démarche
est une manière de vivre et de travailler
qui transforme celui qui la développe.
3) L’ordinaire et les pratiques Le rapport au quotidien
La violence la plus redoutable,
celle qui empêche de vivre sa vie au
quotidien, c’est la mort de l’autre. Peut
être qu’une méthode va s’ancrer dans une
pratique ordinaire : l’invention du quotidien.
Il ne s’agit pas de réduire la société aux pratiques quotidiennes mais
d’associer ces pratiques aux autres modes de fonctionnement de la réalité sociale. L’enjeu du quotidien est ce qu’il y a
de plus difficile à découvrir.
La contingence, le souci de
l’ordinaire c’est débanaliser toute action. Il
ne peut pas y avoir des rapports extraordinaires et des rapports qui n’auraient
aucun sens.
C’est parce que l’on vit par, et de,
l’essentiel que les détails ont beaucoup
d’importance. Les choses les plus importantes sont cachées à cause de leur
simplicité et de leur banalité.
Le quotidien n’est pas le superficiel anecdotique mais l’essentiel de notre
vie.
Le savoir n’est pas attendu
comme le messie, l’ordinaire c’est le
tragique même.
La question de l’ordinaire est liée
au travail des pratiques :
Tout être humain a besoin de devenir compétent dans son action et simultanément dans la réflexion sur son action,
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -64-
de façon à apprendre à partir d’elle. Le
pire mépris de la pratique est de ne pas
en parler, de la confondre avec une
simple application de la théorie. On parle
de l’analyse des pratiques mais c’est très
difficile à faire, puisqu’on a peur les uns
des autres.
Elle est plus célébrée que mise en
œuvre, car toute pratique risque sans
cesse de devenir outil sclérosé si on ne la
travaille pas.
CONCLUSION
Doit on alors se transformer en
« remonteur de moral »?
on se souvient de Beckett « ne
faisons rien, c’est plus prudent » ou encore ceci « ce qui ne veulent faire de
peine à personne finissent par trahir tout
le monde »
.
Mais Vygotski disait « le comportement n’est à aucun moment une lutte
qui s’apaise »
Alors, sans illusion, mais sans résignation , avec détermination, je cherche
à mieux fonder le sens du tenir conseil
pour que ce travail ait un sens fort, reconnu dans cette société.
J
Coordonnées A.LHOTELLIER
[email protected]
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -65-
Internalité et allégeance
Hervé LEGRAIN,
Psychologue du travail à l’Institut National de l’Orientation
et de l’Insertion Professionnelles de l’AFPA
Lionel DAGOT,
Chargé d’enseignement et de recherches à l’Université Bordeaux II
Laboratoire de Psychologie Sociale des Insertions
J
deux exemples : les normes d’internalité
et d’allégeance.
Peut-on être à la fois soumis et
autonome ?
On peut définir la norme d’internalité comme la « valorisation sociale des
explications des évènements qui accentuent le poids de l’acteur comme facteur
causal » (Beauvois, 1994). A propos de
cette norme nous pouvons relever quelques éléments importants. Il est primordial
de noter que la valorisation sociale de
l’internalité est d’abord (et peut-être même
seulement, cf. Cueillens et Castra, 1998)
observée dans la sphère des activités
socio-professionnelles (travail, insertion
professionnelle, action sociale, enseignement). Ainsi dans le cadre de rapports
sociaux marqués par l’asymétrie des statuts, l’individu occupant la place hiérarchique inférieure (l’employé, le bénéficiaire
du RMI, le demandeur d’emploi) a tout
intérêt à adopter un discours faisant de lui
le principal responsable de sa situation,
évitant ainsi d’évoquer des facteurs externes (le supérieur, l’assistante sociale, les
politiques de l’emploi). Ce type de discours interne présente pour l’évaluateur
l’avantage de ne pas être tenu responsable de la situation de l’intéressé. Cette
valorisation de l’internalité est à resituer
dans le contexte général des démocraties
libérales (Beauvois, 1994), et au niveau
plus particulier des activités socio-professionnelles dans le cadre des méthodes
d’encadrement et de direction d’inspiration
libérale (Dubois, 1994). Ces pratiques
sont caractérisées notamment par un
accroissement de l’autonomie et de la
responsabilité accordée aux individus.
Parallèlement le contrôle de ces mêmes
individus se produit « à distance », par le
biais d’outils d’évaluation portant sur les
capacités des personnes à atteindre leurs
objectifs de façon autonome (individuellement ou en groupe). On retrouve ce
mode libéral d’exercice du pouvoir dans
les développements récents en matière
de gestion de l’action sociale et de
Parmi les critères d’évaluation
professionnelle, la psychologie sociale
s’est notamment intéressée à l’impact des
jugements tenus par les évalués, à propos
de leur propre situation, sur les évaluations produites par les professionnels. Les
concepts d’explication et d’attribution causale ont ainsi fourni le socle théorique à
de nombreuses études montrant que les
évaluateurs étaient influencés dans leurs
prises de décision par la façon dont les
évalués (candidats par exemple) expliquaient leur situation (professionnelle par
exemple). Ces travaux relèvent d’un courant de recherche traitant des normes
sociales de jugement (Dubois, 2002).
Nous relèverons ici seulement certains
apports majeurs pour cette étude.
Il est important de rappeler que la
valorisation sociale, dont font l’objet certains types de jugements, est principalement liée à la nature de la relation entre
l’évalué et l’évaluateur, en l’occurrence
relation de pouvoir. Ainsi, dans le cadre
d’une relation dissymétrique, certains
jugements de la part de l’évalué seront
mieux perçus que d’autres par
l’évaluateur ; on dira que ces jugements
possèdent un caractère normatif du fait de
leur adéquation avec ce rapport social de
pouvoir. Mais pour mieux saisir les mécanismes de valorisation sociale des jugements, il est nécessaire de prendre en
compte les modalités d’expression des
relations de pouvoir. L’évolution des
modes de management nous fournit un
très bel exemple des diverses variétés de
commandement. Afin de mieux saisir
comment des types de pratiques
d’encadrement peuvent valoriser tel ou tel
type de discours, nous allons faire appel à
l’insertion professionnelle (pédagogie du
projet, méthodes d’autonomisation et de
responsabilisation), et des ressources
humaines (management participatif, logique de compétences, fixation d’objectifs
individuels).
La norme d’allégeance peut être
définie comme la « valorisation sociale
des explications des évènements qui
respectent et/ou soutiennent une figure de
pouvoir en jeu dans la situation » (Dagot,
2002). Les travaux portant sur la norme
d’allégeance sont encore peu nombreux
(Dagot, 2002 ; Gangloff, 1997 et 2000)
mais il est d’ores et déjà possible d’en
retirer quelques enseignements. L’hypothèse d’une norme d’allégeance dans la
sphère socio-professionnelle découle du
postulat suivant : les pratiques de commandement ne sont pas monolithiques, et
si la modalité libérale d’exercice du pouvoir est très développée aujourd’hui, cela
ne signifie pas que les autres types de
pouvoir aient pour autant disparu. La
littérature portant sur les formes actuelles
de l’autorité et du pouvoir semble focaliser
son attention sur le mode libéral, mais il
suffit de parcourir l’actualité du monde
socio-professionnel pour constater que
d’autres formes (par exemple autoritaire)
y sont encore largement présentes. Ce
constat pourrait avoir une traduction en
termes normatifs : si des pratiques
d’inspiration libérale ont pour conséquence une valorisation de l’internalité, un
contexte marqué par des rapports sociaux
plus autoritaires pourrait bien ne pas être
aussi propice à l’expression de cette
norme. Dans ce cas d’autres formes de
jugements normatifs pourraient apparaître. Dans un contexte autoritaire,
l’allégeance au pouvoir répondrait peutêtre mieux à cette configuration particulière de rapports sociaux.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -67-
Les intermédiaires de l’emploi
et les normes sociales
de jugement
A plusieurs reprises nous avons
relevé ce qui semble être une des principales caractéristiques du travail des intermédiaires de l’emploi : la nette dissymétrie des positions du demandeur d’emploi et de l’évaluateur. Qu’il s’agisse des
conseillers des Missions Locales et des
Agences Locales pour l’Emploi, ou des
recruteurs, leurs positions vis à vis des
demandeurs d’emploi leur octroient un
pouvoir évident. On peut d’ailleurs imaginer que le pouvoir de ces deux organismes publics à l’égard des demandeurs
d’emploi soit encore plus marqué par la
logique de contractualisation qui prévaut
actuellement (Castel, 1995). Le contrat
pose comme condition à sa validité la libre
adhésion des contractants. Si l’on peut
difficilement soutenir l’idée que les demandeurs d’emploi sont contraints d’y
adhérer sous l’effet d’une force incoercible, il est par contre plus probable que
leur situation matérielle et financière quotidienne restreigne leur champ de négociation avec l’institution publique. Plus
simplement, dans le contrat qui s’instaure,
le chômeur a beaucoup plus à perdre que
l’institution. Le recrutement revêt aussi les
attributs d’un contrat tacite entre le candidat et le recruteur. Si le cadre législatif
tente d’imposer des méthodes de recrutement valides et objectivement justifiées,
la réalité des pratiques incite à davantage
de circonspection. Les fondements théoriques précaires de certaines méthodes
(graphologie, entretien) pourraient légitimer le refus des candidats à s’y soumettre. Or, il semble bien que les deux parties
(recruteur et candidat) soient tacitement
d’accord sur un des enjeux du recrutement et par conséquent les moyens employés pour y parvenir : la recherche des
limites au-delà desquelles le candidat
refusera d’accepter et d’intégrer le fonctionnement organisationnel.
Les connaissances ainsi produites
à propos des demandeurs d’emploi pourraient être liées à l’utilité sociale des
comportements et caractéristiques de ces
derniers. Les justifications de leurs pratiques avancées par les conseillers et les
recruteurs laissent entrevoir, entre autre,
deux types de critères évaluatifs. Il y a
tout d’abord une exigence de conformité
face aux attentes explicites, ou implicites,
de l’évaluateur. Cela reflète la nature des
relations qui lient les intermédiaires et les
chômeurs : l’exercice d’un pouvoir qui
exige un minimum de conformité à l’égard
des attentes institutionnelles et organisationnelles. L’allégeance pourrait bien être
la traduction théorique de ce premier type
de critère. Le deuxième type de critères
fait écho aux multiples injonctions
d’autonomisation et de responsabilisation
adressées aux demandeurs d’emploi. On
retrouve là un ensemble de propos psychopédagogiques misant sur les vertus de
l’individualisation
des
trajectoires
d’insertion. Une deuxième dimension
semble poindre derrière ce type de critères : il s’agit de l’internalité.
Le modèle issu du croisement de
ces deux variables peut être représenté
ainsi :
Allégeance
Externalité
Internalité
Non allégeance
Le problème rencontré
Une grande entreprise du secteur
automobile fait appel en 2005 au service
de psychologie du travail de l’AFPA pour
recruter son personnel ouvrier. La commande passée était de présenter des
personnes pour occuper un poste de
« team member », soit de membre d’une
équipe de travail équivalent à un poste
d’ouvrier de production, aucune condition
de diplôme ou d’expérience n’étant posée. Les candidats sont d’abord convoqués par l’ANPE pour une première information collective. Immédiatement après
cette phase d’information, une épreuve de
français et de calcul leur est proposée.
Les personnes qui passent ce premier
cap sont ensuite présentées à l’AFPA qui
leur propose deux tests cognitifs, une
épreuve de facteur g inspirée des progressives matrices de Raven et une
épreuve de raisonnement mécanique pratique, inspirée du test Mécanique de Rennes. Ces deux épreuves cognitives sont
éliminatoires, c’est à dire qu’il faut obtenir
un score minimum pour maintenir sa
candidature.
Les personnes qui passent ce second cap accèdent ensuite à une épreuve
de dextérité manuelle. L’épreuve, mise au
point par l’entreprise, consiste à respecter
une procédure de travail consistant en un
montage de pièces métalliques à assembler à partir d’écrous et de pièces à visser.
Trois notes sont ensuite attribuées à cette
épreuve ; le nombre de montage réalisé
(Montées), le nombre d’erreurs au cours
des montages (Qualité) et le nombre de
propositions d’amélioration du dispositif
proposé par le candidat (Kaizen).
Après cette épreuve, les candidats rencontrent un psychologue du travail si leurs résultats sont satisfaisants.
Enfin, à la suite de l’entretien, il est décidé
si la personne sera ou non présentée à
l’entreprise. Pour les personnes présentées, il reste encore à subir un entretien
avec deux personnes de l’entreprise, un
« team leader », chef d’équipe, et une
personne de la DRH.
Après plusieurs mois de fonctionnement selon ces modalités, le taux de
satisfaction de l’entreprise semble correct,
puisqu’elle retient 2 personnes sur 3
présentées par l’AFPA. Ce résultat, bien
qu’estimé positif, semble perfectible et
des progrès sont demandés aux psychologues du travail, afin de parvenir à un
meilleur taux d’acceptation de la part de
l’entreprise. Il est demandé notamment
aux psychologues de mieux prendre en
compte la « motivation » et le « dynamisme » des candidats.
Solutions testées
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -68-
La mesure de l’évaluation en
contexte de recrutement n’ayant jusqu’à
présent apporté qu’assez peu de validité
critérielle (voir Legrain, 2003), une autre
solution a été mise en place. Afin de
répondre à la demande d’une meilleure
prise en compte de la motivation, il est
décidé d’introduire, à titre expérimental,
deux épreuves supplémentaires dans le
processus de recrutement. Un premier
questionnaire est tout d’abord introduit
dans la procédure. Ce questionnaire est
composé de 16 items, 8 items portant sur
un événement socio-professionnel réussi
(par exemple, trouver du travail), 8 items
portant sur un événement raté (par exemple, être au chômage). Pour chacune de
ces 2 dimensions, 4 items font l’objet
d’une attribution interne, 4 items une
attribution externe. La personne doit dire
si elle est plus ou moins d’accord avec la
proposition sur une échelle de Likert à 4
degrés. Exemple : « Quand vous trouvez
un emploi, est-ce grâce à vos efforts
personnels de recherche ? » ou encore :
« Pensez-vous que votre chômage soit dû
à la crise économique ? ».
La seconde épreuve introduite
concerne la mesure de l’allégeance. Elle
reprend le paradigme des juges tel que l’a
utilisé Lionel Dagot dans sa recherche sur
les missions locales en 2002 (voir Dagot,
2002). Quatre extraits d’entretien sont
présentés (interne allégeant, interne non
allégeant, externe allégeant, externe non
allégeant). Entre cinq et sept assertions
du même type composent le discours du
sujet. Le contenu des discours fictifs est
issu d’items validés préalablement par
analyse factorielle réalisée auprès d’une
population de 176 étudiants. Le questionnaire de base comportait 40 items. 97
étudiants ont rempli le questionnaire en
consigne d’auto-présentation normative et
79 suivant une consigne contre normative.
Une analyse factorielle a permis de dégager un facteur bipolaire (baptisé allégeance/non allégeance). Le candidat,
après avoir lu l’extrait d’entretien fictif, doit
ensuite émettre un pronostic sur les chances que cette personne a de se faire
embaucher à la suite de cet entretien. Un
score global est ensuite calculé par le
correcteur. Plus le candidat a valorisé les
cas allégeants, plus son score d’allégeance est élevé. Le score maximum est
attribué à quelqu’un qui aura accordé le
maximum de points aux extraits d’entretien d’allégeants et le minimum de points
aux extraits présentant un profil non allégeant.
Résultats
Test d'échantillons indépendants
OUTIL
• C2A
• M
• EXT
• INT
• KAIZEN
• MONTÉES
• QUALITÉ
• ALLEGEANCE
Trois mois après l’introduction de
ces deux épreuves, le bilan est effectué
sur 1 018 candidats passés par le dispositif. Sur ces 1 018 candidats, 187 ont été
embauchés et 84 refusés par l’entreprise,
ce qui donne un taux d’acceptation de
69%, comme précédemment.
En comparant les scores aux différentes épreuves, des candidats acceptés et des candidats refusés dans un
tableau croisé, le Khi deux est significatif
pour un seul test, l’épreuve d’allégeance
(Khi deux = 56,67 avec ddl = 20, signif. à
.001).
En comparant les moyennes des
scores des candidats acceptés et des
candidats refusés aux différentes épreuves, le t de Student ne se révèle significatif que pour deux épreuves de la batterie :
le nombre d’erreurs commises lors du
montage mécanique à l’épreuve de dextérité et l’épreuve de mesure de l’allégeance.
Conclusion
Cette étude réalisée dans le cadre
d’une vaste campagne de recrutement de
personnel ouvrier d’une industrie automobile, met en évidence en situation réelle,
que les résultats au questionnaire d’allégeance sont moins élevés pour les candidats non retenus par les recruteurs que
pour les candidats retenus. La volonté de
trouver des collaborateurs « motivés »
conduirait en fait à privilégier des candidats allégeants.
L’internalité seule n’a pas fait ici
preuve de son pouvoir attracteur, à la
différence des résultats trouvés dans les
autres études. La critique peut être faite à
t de Student
,866
-,911
-,360
-,127
,029
,902
-2,442
3,497
,387
,363
,719
,899
,977
,368
,015
,001
ns
ns
ns
ns
ns
ns
s
s
cette épreuve de n’avoir pas bénéficié du
même travail métrique que l’épreuve
d’allégeance.
Une simulation montre qu’en tenant compte de la variable allégeance, il
est possible d’amener le taux d’acceptation de l’entreprise à 75%. Une seule
épreuve de facteur g semble suffisante,
ce qui au final allègerait la procédure et lui
donnerait néanmoins une meilleure fiabilité.
D’autres questions restent en
suspend ; les recruteurs ont-ils raison de
favoriser les candidatures allégeantes ?
Comme pour l’internalité, il serait nécessaire de suivre dans le temps les personnes dans l’emploi en fonction de ces
critères. On peut faire l’hypothèse que
l’allégeance, comme l’internalité, n’est pas
en lien direct avec la performance « à la
tâche » d’un ouvrier du secteur automobile. Ces deux dimensions seraient plutôt
en rapport avec une performance appelée
« contextuelle », celle que l’on peut identifier à travers une catégorie de comportements, qualifiés de comportements prosociaux ou de comportements de citoyenneté organisationnelle (CCO, Dagot 2003).
Les CCO sont définis comme des
« comportements individuels, discrétionnaires, non directement ni explicitement
reconnus par le système formel de récompenses, mais qui jouent pourtant un
rôle dans l’évaluation des personnes :
altruisme, refus de se plaindre, fidélité à
l’organisation, conformité aux règles en
place, engagement volontaire ». Autrement dit, quand une personne non avertie
procède à une évaluation globale en
entretien d’un salarié, en poste ou en
phase de recrutement, ce n’est pas sur la
base de données objectives qu’elle le fait,
mais bien sur d’autres éléments non
explicites. Vu sous cet angle, la recherche
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -69-
sur les CCO paraît prometteuse et d’une
grande valeur heuristique.
Dans ce contexte, les institutions
d’insertion, les intermédiaires de l’emploi,
mais aussi les recruteurs, ont pour devoir
de connaître et de s’approprier ces résultats, afin d’éviter des décisions non fondées. Dans un second temps, ils pourraient avoir pour mission de mettre en
place une pédagogie visant à accroître le
degré d’internalité et d’allégeance des
chercheurs d’emploi, de mettre sur pied
des dispositifs de recrutement prenant le
contre pied de ces processus socionormatifs, par des mises en relation directe, afin de favoriser l’insertion du plus
grand nombre.
J
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Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -70-
Tendances et questions actuelles en psychologie
du travail
Claude LEMOINE
Université Lille 3, Laboratoire PSICO
(Psychologie des Interactions et des Cognitions dans les Organisations)
Association Internationale de Psychologie du Travail et des Organisations,
A.I.P.T.L.F.
[email protected]
J
de compétences, nécessite une réflexion théorique sur la notion de
compétences, ambiguë, polysémique
et plus large que son acception scientifique, et des travaux sur les conditions qui permettent aux individus de
réaliser cette démarche. Il faut ici noter que cette analyse interpelle les
fondements scientifiques classiques
qui séparent nettement l’observateur
qui sait de l’observé qui ne sait pas
(cf. la rupture épistémologique de G.
Bachelard) en supposant que l’on
peut analyser des éléments de sa
propre situation ou même des aspects
de soi, comme ses compétences.
Mais comme cette démarche ne peut
en général se réaliser seul et sans
préparation, il est nécessaire de repérer les conditions à remplir pour y parvenir et pour éviter aussi que
l’information sur soi en retour ne
vienne déstabiliser sa propre image.
On sait déjà que plusieurs facteurs
sont à réunir : la confidentialité, qui
permet la confiance, soutenue par un
dispositif assurant une protection de
l’individu, l’utilisation d’une démarche
méthodique proposée par le psychologue afin de progresser, et le fait
même de passer du statut d’observé à
celui d’observateur de sa propre situation, voilà des éléments importants
assurant la possibilité de cette entreprise (Lemoine, 2005).
Il est toujours difficile de réaliser
un panorama de la situation d’un domaine
d’intervention et de recherche et de synthétiser la richesse des présentations
précédentes, et ce d’autant plus que l’on
se trouve en session de clôture et que l’on
souhaite plutôt proposer des ouvertures.
«L’approche psychologique du travail»,
thème des travaux, renvoie à l’idée de
traiter de «La psychologie dans le travail»
(Lemoine, 2003) et pas seulement de la
psychologie du travail. Il s’agit ici de souligner la richesse de ce domaine, pour le
valoriser, par le fait qu’il est en prise avec
les réalités présentes et qu’il comprend
une psychologie en phase avec les questions actuelles de la société et des milieux
du travail. Cela rend ce secteur innovant,
en le plaçant au cœur même de
l’élaboration scientifique, mais explique
aussi les difficultés et les contraintes
rencontrées, et demande une exigence de
rigueur particulière.
1/ Exemples d’apports récents
sur le plan des recherches
On peut d’abord se référer aux
domaines où des recherches se développent et évoquer les thèmes abordés dans
ce colloque qui, sans être exhaustifs,
indiquent des secteurs actuels en développement.
-
-
-
Les conditions de la qualité de vie au
travail (cf. E. Morin) sont sans nulle
doute une préoccupation importante.
Elles sont traitées en premier comme
une fonction du style d’organisation et
du climat de travail (cf. G. Masclet).
L’analyse des compétences, demandée au niveau individuel dans les entreprises comme pour la validation
des acquis de l’expérience (cf. Jacques Aubret) ou au cours des bilans
-
Les effets psychologiques de la formation continue, mais aussi les facteurs favorisant ou non l’entrée et la
réussite en formation (cf. C. Lagabrielle et A.M. Vonthron) sont des
thèmes intéressant les psychologues
de la formation des adultes.
L’investissement personnel dans le
travail, l’implication au travail, les valeurs du travail et le sens qu’on lui
donne (cf. E. Morin) constituent des
facteurs de soutien que les directions
d’entreprise auraient intérêt à promouvoir pour l’efficacité visée autant
que pour le bien-être des salariés.
Mais là encore, attention aux effets
non linéaires et à la double face des
notions : trop d’implication peut aussi
conduire à l’addiction au travail.
-
Le conseil dans les trajectoires de
carrière et les recherches sur les interactions spécifiques des entretiens (cf.
J.L. Bernaud, A. Lhotellier) forment un
sujet de recherche à développer qui
dépasse la notion d’influence pour rejoindre les processus liés à
l’expression de l’information sur soi.
La problématique n’est pas si éloignée des études sur les métiers de la
communication et de l’interaction verbale (A. Trognon).
-
La construction d’une identité positive
constitue typiquement une activité de
recherche et d’intervention. Elle varie
selon les cultures (cf. G. Vinsonneau).
Elle suppose la réduction des pratiques d’évaluation, le développement
de la confiance en soi soutenue par le
milieu, les autres ou les conseillers
qui favorisent le sentiment d’efficacité
personnelle (cf. P.H. François présentant les travaux de Bandura) et se
trouve au centre des questions de
chômage (cf. G. Herman qui cherche
comment résister aux identités négatives dans ces situations difficiles).
-
La gestion des changements organisationnels et les tentatives pour les
maîtriser (cf. A. Savoie), représente
également un courant de recherche et
d’intervention prometteur.
-
D’autre part les travaux théoriques et
empiriques sur les méthodes utilisées
par les psychologues et sur leur validité représentent aussi un courant de
recherche actif en liaison directe avec
les pratiques professionnelles (c. P.
Desrumaux, L. Dagot).
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -71-
2/ Les grands domaines
d’intervention et de recherche
A partir de ces perspectives, il
s’agit de présenter aux non-spécialistes
de la psychologie dans le travail les domaines d’expertise qui apportent une
pertinence spécifique aux problèmes
actuels liés au travail. On peut citer notamment :
-
l’orientation professionnelle et le
conseil de carrière (cf. J.L. Bernaud,
A. Lhotellier), qui se prolongent par
les travaux sur l’identité professionnelle (cf. G. Herman) et, pour les professionnels, par l’étude des métiers
de l’interaction (cf. A. Trognon) ;
-
la formation continue et le développement des compétences, personnelles et organisationnelles (cf. J. Aubret,
C. Lagabrielle, P.H. François) ;
-
l’organisation des relations dans le
travail, les équipes de travail, le management, les conditions du changement organisationnel, le climat de travail et la culture d’organisation (cf. A.
Savoie, G. Masclet, G. Vinsonneau) ;
-
le champ du recrutement, de l’affectation des personnels et la gestion
des emplois, qui posent de façon aiguë le problème de l’évaluation des
personnes et de la pertinence des
méthodes (cf. P. Desrumaux, L. Dagot) ;
-
l’évaluation et l’analyse des situations,
où l’on peut opposer les processus
d’évaluation en recrutement à ceux
d’analyse réalisée au profit des bénéficiaires, comme en bilan de compétences (C. Lemoine) ;
-
la prévention des risques, du stress et
le développement de la qualité de vie
au travail (E. Morin).
3/ Les originalités des démarches en psychologie du travail
et des organisations
Il s’agit ici de repérer les originalités du domaine afin de valoriser ses
atouts mais aussi de poser les questions
qui s’en suivent.
1 - L’apport des modèles et des
méthodes
C’est très positif pour nous, nous
avons des modèles, des méthodes, des
techniques, c'est ce que n’ont pas les
gestionnaires, les juristes, les ingénieurs,
qui nous demandent des méthodes, par
exemple pour évaluer. Cependant, nous
devons réfléchir à l’utilisation sociale de
ces méthodes. Quand on nous demande
de construire un référentiel des emplois,
des compétences, une évaluation sur
critères de différentes aptitudes au travail
ou encore de mesurer un résultat, quel
rôle social jouons-nous ? Il faut y réfléchir
et il est possible d’avoir des réponses
variées. En tant que chercheurs on ne
peut décider ce qu’il faut ou pas. Certains
favoriseront plutôt l’activité de la direction,
d’autres penseront à aider l’activité des
salariés. Ce sont des choix personnels,
politiques ou idéologiques, qui n’entrent
pas directement dans le champ scientifique, mais sur le terrain, dans la pratique,
on doit se positionner et définir le rôle
qu’on peut jouer. Par exemple, on essaiera de concilier les pôles différents en
cherchant à montrer que ce qui est positif
pour l’un l’est aussi pour l’autre, comme
un climat de travail supportable favorisant
à la fois la performance de l’entreprise et
le bien être des salariés.
2. La démarche sur le terrain et la
prise en compte du contexte
organisationnel
Les modèles théoriques ont aussi
leurs limites par rapport aux problèmes
rencontrés. S’ils sont un atout par rapport
à l’extérieur, par rapport à nous-mêmes il
faut se poser des questions sur leur pertinence. C’est l’intérêt de la confrontation et
de l’aller-retour que je défends entre les
modèles, abstraits, et les situations de
terrain, les nouveautés que l’on rencontre
tous les jours. C’est là qu’on est au centre
de l’innovation scientifique. Ce sont les
nouveautés rencontrées sur le terrain, les
problèmes que l’on ne sait pas résoudre
d’emblée, qui vont alimenter la réflexion
théorique. C’est l’échange avec le terrain
qui va nous permettre d’améliorer un
modèle, de le revoir, de l’abandonner
parfois, ou d’en construire un autre. Cela
est vraiment spécifique de notre démarche qui est toujours une démarche de
terrain. Par là elle s’oppose aux démarches de laboratoire ou de bureau, comme
celle des mathématiciens de l’économie
qui élaborent des modèles sans se préoccuper de la conduite des gens.
Une autre limite des modèles,
qui permet aussi de situer notre spécifici-
té, y compris par rapport à d’autres sphères de la psychologie, est leur prétention à
la généralisation. Or, on l’a vu à plusieurs
reprises, la prise en compte du contexte
organisationnel et de sa variété ne permet
pas de généraliser facilement. Des cultures et des groupes variés ne fonctionnent
pas comme d’autres, des gens se conduisent différemment, des situations entraînent des effets divers. Les réalités sont
multiples, et il est préférable d’éviter les
généralisations hâtives. Comme l’a avancé P.H. François, même le modèle de
Bandura n’est pas universel. C’est une
difficulté mais c’est aussi un atout : il évite
de simplifier, de réduire et, sous couvert
de loi générale pour tous, d’aller vers une
société du conformisme. A ce sujet, il
faudrait sans doute mieux définir la notion
d’égalité qui ne signifie pas être tous
pareils, mais avoir des droits et des devoirs identiques, ce qui est très différent.
Et c’est le 3° point, difficile pour
les chercheurs comme pour les intervenants, c’est le fait que l’on utilise des mots
du sens commun. C’est heureux d’ailleurs
pour communiquer, mais les mots du sens
commun sont polysémiques, ils sont
ambigus. La notion de motivation par
exemple était une notion scientifique mise
en place pour sortir d’une théorie insuffisante, celle du schéma stimulusréponse S-R : on s’est rendu compte
qu’avec un même stimulus on avait plusieurs réponses. Une notion intermédiaire,
la motivation, a été construite pour expliquer qu’entre S et R il se passe quelque
chose. Cela a tellement bien pris que c’est
devenu une notion du sens commun, il y a
eu naturalisation : tout manager utilise ce
terme pour son personnel, tout recruteur
parle de motivation, etc. C’est devenu un
terme polysémique, utilisé par chacun, et
non plus une notion scientifique précise.
Pour la notion de compétences, c’est
encore plus compliqué car elle n’était pas
scientifique au départ, elle l’est devenue
sur certains points définis, et puis finalement elle est reprise partout, sans référence à une notion scientifique. Ce n‘est
pas pour cela qu’il faut se sentir coupable
si on l’emploie pour parler avec les gens,
mais en même temps il faut savoir que ce
terme véhicule quelques présupposés
idéologiques, qu’il n’est pas neutre
d’utiliser l’idée de compétences plutôt que
celle de qualifications, comme J. Aubret
l’a montré hier. Tantôt elle peut mettre en
question des construits antérieurs et apporter de l’incertitude, mais tantôt elle
peut aussi ouvrir de nouveaux espaces
pour le développement de l’individu.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -72-
On a donc des modèles, ce sont
des outils pour penser la réalité, ne les
jetons pas, mais travaillons sur eux et à
partir d’eux pour les améliorer ou pour les
revoir. Pour cela il est nécessaire d’avoir
une prise de recul, de savoir prendre une
distanciation par rapport au système dans
lequel on se trouve forcément, ce qui
permet de ne pas s’enfermer dans une
pratique sociale et de se garder des idéologies ambiantes, quelles qu’elles soient.
3. Une préoccupation importante :
l’attention aux personnes
Un autre aspect nous caractérise,
par rapport aux sociologues, aux gestionnaires, et même par rapport à d’autres
chercheurs en psychologie, c’est la préoccupation de l’attention aux personnes
dans leur contexte organisationnel. C’est
vraiment très important en tant que perspective adoptée. Vous prenez un demandeur d’emploi en difficulté, vous savez
que vous ne pouvez pas changer le système dans son ensemble, mais s’il sort de
chez vous en ayant un peu plus confiance, en ayant un projet, en pensant
qu’il a des compétences et qu’il peut s’en
servir, c’est déjà gagné. Mais cela, on ne
le sait pas souvent, parce que l’on ne peut
pas l’évaluer facilement, mais il faut penser que le psychologue a un rôle social
important, même s’il n’en voit pas les
effets immédiatement. C’est un peu
comme l’enseignant qui, parfois, dix ans
après, rencontre un ancien élève qui a
réussi alors qu’il était insupportable en
classe, et qui est ravi de revoir son professeur. Mais dans beaucoup de cas on
ne sait pas ce que deviennent les gens, et
ce n’est pas évaluable par une administration.
L’important, c’est l’attention aux
personnes. G. Hermand parlait d’identité,
comment la développer, A. Lhotellier
disait comment être plus près de l’autre,
comment être à l’écoute. L’écoute n’est
pas réservée aux cliniciens ; sans se
limiter à cela, il faut aussi savoir s’en
servir, surtout quand on est face à des
modèles économiques ou managériaux
qui font fi de l’humain. Devant des modèles d’organisation qui pressent l’humain,
nous avons à nous positionner, c’est un
engagement social qui est inhérent à
notre profession, il est important de le
valoriser. On montre par exemple que ce
n’est pas en mettant les gens en situation
d’incertitude, de risque ou d’échec qu’ils
vont travailler plus ou mieux. Même si on
reste dans la norme de l’efficacité qui est
imposée, on peut montrer qu’améliorer les
conditions de vie et de travail des individus va servir aussi à l’entreprise, y compris aux actionnaires qui ne s’occupent
pas des conditions de travail ; c’est leur
montrer que si l’on ne prend pas cela en
compte, finalement ils vont gagner moins.
A ce moment ils nous comprennent,
lorsqu’on prend un langage économique
compréhensible
pour
des
nonpsychologues
4. Des méthodes qui donnent une
place aux acteurs : d’observés à
participants
Des méthodes qui donnent une
place différente aux acteurs, c’est nouveau aussi, on ne nous a pas appris cela
à l’école, où l’on parlait de cobayes. Les
acteurs ne deviennent pas seulement des
gens observés mais des participants ; et
je vais plus loin : on peut leur donner des
méthodes. On a réalisé cela avec des
jeunes par exemple, ils avaient une grille
d’observation, ils sont devenus observateurs, vous ne pouvez pas penser comme
ils ont observé avec sérieux, parce qu’ils
avaient changé de statut et qu’ils avaient
une méthode pour fonctionner. Vous
obtenez des résultats étonnants, positifs.
Cela veut dire que le sujet a droit
aussi à l’appropriation du savoir, et du
savoir sur lui. C’est aussi un positionnement professionnel. Mais le seul retour de
résultats ne suffit pas. Bien sûr, donner
des résultats en retour, c’est déjà mieux
que de tout garder pour un tiers ou pour
soi, surtout en situation d’évaluation, mais
il faut penser aux conditions pour que le
résultat puisse être approprié par
l’intéressé lui-même. Quelles sont donc
les situations à mettre en place pour lui
permettre d’accéder à une appropriation
de ses résultats et à une augmentation de
connaissance sur lui ? C’est ce que nous
avons commencé à étudier (Lemoine &
Goby, 2003), en modifiant la finalité des
méthodes de mesure et en permettant à
l’intéressé de s’approprier certaines dimensions ou items et en accédant à leur
signification pour développer son propre
discours sur lui.
5. L’analyse des conditions et des
effets de l’intervention
Afin de repérer mieux nos spécificités et nos apports, il est nécessaire de
porter attention à nos propres modes
d’intervention. Il faudrait ici parler des
effets de l’analyse scientifique, tant pour
les observés que pour les observateurs
(cf. Lemoine, 2002). On a à travailler sur
notre rôle et aussi sur notre propre mode
de fonctionnement pour savoir ce que l’on
induit auprès des autres dans l’interaction
y compris avec les méthodes employées.
Cette analyse conduit à l’idée que la
démarche scientifique va générer de
l’information nouvelle. Cette information
devient un objet d’interaction et peut être
échangée. Se pose alors la question de la
façon d’utiliser cette information nouvelle.
Au profit du bénéficiaire, à notre profit,
pour réaliser une thèse, ou à celui d’un
tiers ? Voilà une question importante.
L’analyse des conditions et des effets de
l’intervention se retrouve au niveau individuel, dans le conseil (cf. J.L. Bernaud), ou
au niveau des organisations (cf. A. Savoie).
4/ Modification du rôle du psychologue
La définition de nos démarches
a pour conséquence une interrogation sur
notre rôle et notre positionnement social.
Cela est apparu dans toutes les présentations précédentes. Si l’on prend par
exemple la notion de performance, il
ressort, en France du moins, que l’on y
est assez réticent, tout n’étant pas quantifiable et transformable en unité monétaire.
C’est le cas des services. Cela entraîne
des conflits internes, car on est poussé à
évaluer les autres sur leurs performances
alors que l’on n’est pas tout à fait
d’accord ; donc on est contraint par les
systèmes à faire ce que l’on ne souhaite
pas trop. On le fait quand même sans le
faire vraiment en se contorsionnant un
peu, et comme on n’est pas très satisfait
de cela, on voudrait trouver des solutions
pour répondre à ces situations contradictoires et paradoxales. Cependant, en se
centrant sur son métier, on peut se positionner favorablement. Voyons quelques
pistes.
1. Développer des pratiques
objectives, valides et impartiales
Il s’agit d’abord de développer des
pratiques objectives et impartiales. C’est
une garantie même si l’on sait qu’elles ne
sont pas évidentes à mettre en place sur
le terrain et qu’elles vont parfois à
l’encontre des habitudes. Mais il faut se
rappeler que l’objectivité n’est pas la
réalité en soi, c’est se servir de méthodes
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -73-
répliquables qui, utilisées de la même
façon par d’autres, vont donner le même
résultat dans les mêmes conditions. On
va donc essayer de construire des méthodes valides (cf. P. Desrumaux).
2. Construire une réalité avec les
acteurs et à leur profit
On va aussi essayer de construire
une réalité avec les acteurs et à leur
profit, et donc essayer de détecter les
facteurs favorables pour la construire. On
notera que cette opération renouvelle la
question de l’objectivité externe en se
focalisant sur l’obtention d’informations
non présentes avant l’interaction et leur
saisie par l’intéressé lui-même.
3. Moins savant ou expert et plus
accompagnateur ou révélateur
Dans ce cadre, le psychologue se
situe alors moins comme un savant ou un
expert qui apporte un résultat donné.
Toutefois il faut aussi montrer aux autres
que l’on est savant et expert afin d’être
reconnu. Mais l’expertise consiste justement à ne pas jouer à l’expert. Dans la
pratique professionnelle, il est préférable
de se situer comme conseil, mais là encore sans indiquer ce qu’il faut faire, pour
éviter d’influencer les gens sur le contenu
ou modeler leur opinion. On en arrive à du
conseil sans conseils, et à réfléchir sur
cette pratique. On a alors glissé vers une
autre notion, depuis quelques années,
celle d’accompagnateur, avec les bilans
de compétences. Mais elle peut aussi
évoquer des images inadéquates, comme
celle de soutien pour éviter de tomber. On
peut ici envisager une nouvelle notion,
celle de révélateur, qui consiste à donner
une méthode, donner les outils afin que
l’intéressé puisse réaliser la démarche par
lui-même, donner l’impulsion. Cela revient
à un changement de statut ou de
perspective d’intervention. Il s’agit donc
aussi d’un changement important dans la
gestion des méthodes, qui deviennent des
relais spécifiques d’interaction, et sont à
étudier comme tels.
5/ Questions actuelles pour la
psychologie du travail
La situation actuelle de la psychologie du travail pose plusieurs problèmes
et il faudra y faire face. Elle souffre
d’abord d’une reconnaissance insuffisante
par les instances de la recherche. Les
contraintes institutionnelles sont importan-
tes, notamment en terme de réunions
improductives et de dossiers administratifs de plus en plus nombreux à fournir, ce
qui prend sur le temps de la recherche. Le
management de la recherche est lointain
et méprisant, ce qui va à l’encontre d’un
soutien préconisé par nos propres recherches en organisation, et les instances de
la recherche ne reconnaissent pas la
psychologie du travail comme telle. Il en
résulte que le système organisationnel ne
soutient pas ses salariés, au contraire ce
sont les individus qui en arrivent à soutenir le système.
Mais des experts de la psychologie, qui sont aussi des collègues, gardent
aussi des représentations erronées qui
seraient à revoir. Ainsi penser que la
psychologie du travail est «une science
d’application» permet de la considérer
comme mineure par rapport à une psychologie qui serait fondamentale ou générale. Mais qu’est-ce qu’on appliquerait ?
On est sur le terrain, on rencontre des
problèmes nouveaux, on fait de la recherche, on construit des modèles, on les
confronte aux situations qui en retour vont
permettre de les améliorer. Cela n’est pas
du tout une science d’application, c’est
une science fondamentale que l’on est en
train de construire. Il ne suffit pas de
penser l’univers dans son entité, en généraliste, et sans s’occuper des gens. Le
risque des modèles scientifiques est
d’ignorer les personnes au profit de
points, d’entités, d’abstractions et de
relations entre ces abstractions ; c’est joli,
mais on ne s’y retrouve pas bien quand
on est sur le terrain avec les gens.
constructive, sans détruire systématiquement tout ce qui se fait. Il y a nécessité
d’une distanciation par rapport aux enjeux
et aux situations dans lesquelles on se
trouve ; il faut savoir prendre du recul tout
en étant au cœur des problèmes. Ce sont
eux qui vont faire progresser la recherche
et les interventions, dans la mesure où
l’on saura prendre ses distances et analyser sereinement les questions.
6/ Quelques propositions face à
cette situation
En fonction de cette situation, il
n’est pas très étonnant de rencontrer la
difficulté d’obtenir une image sociale
claire, cohérente et positive, mais par
rapport à cela il vaut mieux faire face.
Quelques propositions sont ici juste esquissées :
-
Accentuer la réflexion théorique et la
relier aux situations de terrain, afin de
proposer des modes d’intervention
originaux et pertinents. C’est indispensable, on l’a vu tout au long de ce
colloque.
-
Développer la recherche sur le terrain,
en coopération avec les intéressés.
Là, il faut le souligner, c’est un nouveau paradigme épistémologique, car
ce n’est pas évident de faire de la recherche avec les gens, et non plus
sur eux. C’est vraiment très différent.
-
Favoriser la formation continue des
psychologues. C’est presque une lapalissade dans un organisme de formation, mais il faut y penser quand
même. Cela peut passer par des revues, comme «Psychologie du travail
et des organisations». Lire des revues, c’est un moyen de prendre du
recul, de la distance, et de se tenir informé. Les colloques et les congrès
sont aussi des lieux de formation
continue et d’échanges. Le prochain
congrès de l’AIPTLF, début juillet
2006, portera sur le thème du développement. Il existe aussi d’autres
modes de formation continue. On peut
penser à des sessions d’analyse des
situations rencontrées. C’est impliquant, il faut se mettre ensemble pour
travailler sur son expérience et en retirer des informations nouvelles. C’est
une suggestion pour les psychologues
de l’AFPA.
-
Enfin, il faut sans doute s’organiser
davantage en réseaux pour valoriser
la profession et la représenter lorsque
D’autre part, certains chercheurs
tentent de nous culpabiliser : ils nous
disent qu’on est «idéologues» ou «soutien
du libéralisme» parce qu’on utilise la
notion de compétences ou des tests «de
sélection», ce qui n’est pas bien ! Ce
scénario a duré 35 ans. C’est comme cela
que la recherche sur les tests a été réduite en France. Mais ce n’est pas en
n’utilisant pas les tests que la sélection
est supprimée, elle se fait autrement et
parfois de façon plus dure. Ainsi, ce ne
sont pas les tests qui génèrent la sélection, mais la sélection qui parfois demande des tests, c’est très différent et il
ne faut pas renverser la logique.
Si certains sont détracteurs de
nos pratiques, d’autres psychologues aux
pratiques variées et peu fondées ne favorisent pas l’image de la profession. Il faut
donc être critique, mais dans une critique
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -74-
des décisions la concernent. C’est
pour cela qu’une nouvelle association
de psychologie du travail, au niveau
français, est en préparation. Et vous
êtes invités à y participer. C’est aussi
un moyen structurel pour favoriser les
échanges et pour se soutenir, comme
le chantait G. Brassens avec les «Copains d’abord», sachant et ayant conscience que l’on réalise un travail utile
pour la société et pour les personnes.
J
Références :
Lemoine, C. (2002). Enjeux du savoir
scientifique dans le conseil et
l’intervention dans les organisations.
Psychologie du Travail et de Organisations. 8, n°2, 13-32.
Lemoine, C. (2003). Psychologie dans le
travail et les organisations. Paris,
Dunod, Topos.
Lemoine, C. (2005). Se former au bilan de
compétences. Paris, Dunod.
Lemoine, C. & Goby, L. (2003). De
l’évaluation à l’auto-description des
compétences. In : Actes du colloque
international AFPA-INOIP. La place
de l’évaluation dans les processus
d’orientation professionnelle des
adultes. Lomme/Lille, INOIP, 156166.
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -75-
Postface
Et ce fut un moment de bonheur !
Claude LEMOINE *
C’est par ces mots que Bruno Simon concluait le colloque international «L’approche psychologique du travail» organisé par l’INOIP-AFPA et
l’AIPTLF*, à Lille, les 17 et 18 novembre 2005. Il évoquait par là la conférence d’ouverture d’Estelle Morin (HEC Montréal) qui montrait comment les
psychologues pouvaient contribuer à améliorer la qualité de vie au travail. Si apprendre dans son travail constitue un des facteurs du plaisir que l’on
peut trouver en travaillant, alors ce colloque a sans doute été une belle réussite car on y a beaucoup appris.
Au fil des communications, quatre thèmes majeurs apparaissaient et permettaient de découvrir comment des enseignants chercheurs, en
liaison avec le terrain social, traitaient les questions qui en ressortaient et proposaient des perspectives de recherche et d’intervention.
L’orientation professionnelle a été abordée par J. Aubret (INETOP) à partir de la validation des acquis de l’expérience. Il a insisté sur la
nécessaire critique de la notion de compétences, ambiguë, qui ouvre sur une logique différente de celle de qualification, et sur l’analyse de l’expérience
comme reconnaissance de soi, sachant que l’expérience ne qualifie pas toujours. Il s’est interrogé sur le rôle du psychologue qui, dans ce contexte,
apporte des repères, mais se trouve aussi mandaté par d’autres, et doit éviter de s’enfermer dans une seule pratique sociale. Dans ce cadre, les méthodes d’intervention, comme l’entretien de conseil notamment, ont été étudiées en tant qu’interactions spécifiques : A. Lhotellier a développé les
conditions du tenir conseil, situation de co-construction du sens dans une communication dialogique, tandis que J.L. Bernaud (Rouen) a présenté les
recherches actuelles sur le counseling de carrière pour montrer ce qui se joue dans la relation, ce que le professionnel communique sur lui-même et ce
qui en résulte sur le niveau de révélation de soi du côté du bénéficiaire. Dans une démarche proche, A. Trognon & M. Batt (Nancy 2) ont donné un
exemple d’analyse de dialogues entre médecin, psychologue et patient, à partir de la pragmatique formelle et empirique, où il apparaît entre autre que
le demandeur ajuste son discours au professionnel mais réalise aussi des inférences implicites parfois inexactes. Les recherches sur les formes
d’intervention du psychologue ouvrent ainsi un domaine pertinent à l’analyse de ses pratiques verbales et de leurs effets.
Le thème de la formation professionnelle a permis d’aborder le problème de l’engagement puis du maintien en formation, avec C. Lagabrielle
et A.M. Vonthron (Bordeaux 2), à partir d’une enquête soulignant notamment l’importance de facteurs extrinsèques avant la formation et de la motivation à apprendre après son commencement. Puis P.H. François (Poitiers) a présenté une synthèse de deux modèles de la motivation, celui de Vroom et
celui de Bandura, tout en prolongeant sa réflexion sur leurs retombées pratiques et sur leurs limites selon les publics et les cultures. C’est dans cette
logique relative à la perception de soi et de ses capacités que G. Herman (Louvain la Neuve) a situé ses travaux sur les conséquences du chômage en
tant que stigmatisation handicapante. Elle a aussi traité des moyens à mettre en œuvre pour résister aux identités négatives, comme l’appartenance à
un groupe plus valorisé, la construction d’une image positive de soi renvoyant les événements au contexte, la formation non centrée seulement sur le
professionnel, l’investissement vers d’autres sphères que celle du travail. Il en ressort que ces communications ont souligné la place du psychologue
pour activer les liaisons entre activité, formation et restauration ou valorisation du sentiment d’identité.
Le troisième thème fut davantage consacré aux dimensions organisationnelles dans lesquelles se trouvent les individus. E. Morin a passé en
revue plusieurs modèles pour mettre en évidence les facteurs qui contribuent à développer le bien-être au travail. Elle a souligné qu’il n’y avait pas de
modèle général et que le sens donné au travail, élément central pour équilibrer les sentiments à la fois heureux et malheureux, variait selon les groupes. Elle a été rejointe en cela par G. Vinsonneau (Paris 5) qui a insisté sur l’aspect culturel et construit de l’identité et sur l’intérêt de la méthode comparative permettant d’éviter les généralisations uniformisantes, de respecter l’altérité et de défendre la diversité culturelle. Pour sa part, A. Savoie
(Montréal) a proposé un modèle du changement organisationnel en plusieurs étapes permettant d’éviter les résistances dans la mesure où le changement est réalisé par les destinataires eux-mêmes dans un processus de concertation au niveau des activités vécues, dans un contexte non menaçant,
informatif et participatif dans les solutions à trouver. Quant à G. Masclet (Lille 3), il a cherché à poser la bonne question face à un management dominé
par le seul objectif des bénéfices et transformant l’aide et le service à autrui «que l’on rend» en services marchands «que l’on vend». A nouveau, la
place du psychologue dans ce système a été posée. Elle consiste d’abord à aider l’autre à se situer et à comprendre plutôt qu’à subir.
Dans le cadre des organisations, l’une des activités du psychologue est aussi de s’occuper du recrutement, activité positive à valoriser, par
rapport aux délocalisations ou aux licenciements, puisqu’elle consiste à insérer de nouvelles personnes dans l’entreprise. Mais l’évaluateur, qui cherche
des méthodes valides, se trouve aussi confronté à des représentations stéréotypées pouvant altérer son expertise. Ainsi l’a démontré P. Desrumaux
(Lille 3) qui propose d’utiliser davantage les bio data fondés sur l’expérience professionnelle et les tests d’aptitude, plus valides, afin de réduire ces
biais. De leur côté, L. Dagot (Bordeaux 2) et H. Legrain (INOIP/AFPA), dans une recherche sur les décisions de recrutement, ont mis en évidence
l’importance de la norme d’allégeance et de la conformité aux attentes sociales, dimensions souvent cachées ou implicites. Avec l’aide du psychologue,
la connaissance et la prise en compte de ces normes par les demandeurs d’emploi, en terme de rôle social à tenir, pourraient faciliter leur insertion
professionnelle.
Enfin, en session de clôture, Claude Lemoine (Lille 3), en s’appuyant sur les domaines traités précédemment, a cherché à dresser un panorama des orientations et des possibilités d’intervention de la psychologie du travail et des organisations. Il a insisté sur la capacité à élaborer des modèles théoriques et des méthodes à partir de l’analyse des situations vécues, afin de mieux comprendre les enjeux et de placer les interventions professionnelles au niveau de la qualité. La référence aux modèles, l’attention aux personnes, l’apport de méthodes élaborées avec elles, la capacité de recul
et d’analyse, la prise en compte du contexte sont autant d’atouts qui dessinent le rôle du psychologue. Mais celui-ci, dans le domaine du travail, doit
compter avec une insuffisance de reconnaissance et de visibilité sociale. Favoriser la réflexion théorique et la recherche centrée sur le terrain, développer la formation continue et la capacité à analyser les situations rencontrées, s’organiser en réseaux pour échanger sont des moyens à développer
pour y faire face et ouvrir des perspectives d’avenir.
* Claude Lemoine : professeur de psychologie à l’Université Lille 3, Laboratoire PSICO, responsable du master psychologie du travail et des organisations, président de
l’Association Internationale de Psychologie du Travail de Langue Française (AIPTLF), [email protected]
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Remerciements
Bruno SIMON, Directeur de l’INOIP, tient à remercier l’ensemble des acteurs qui ont contribué à la réussite de cette manifestation :
-
L’AIPTLF, co-organisatrice, et son président, Claude Lemoine, pour la coordination
scientifique qu’il a assuré
-
Les intervenants pour leur enthousiasme, le niveau de leurs interventions, leur talent
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Les participants pour la qualité de leur écoute et l’intérêt qu’ils ont montré durant les
deux jours de conférence
-
Francis Danvers pour l’excellence de son animation et des synthèses
-
Nos partenaires :
Les Editions Elsevier
L’Ecole Supérieure de Commerce de Lille
La Mairie de Lille
Fiduciale Bureautique
pour avoir contribuer à vous recevoir dans des conditions de confort maximales
-
Les techniciens de la section tourisme du centre AFPA de Lomme et les assistantes
de l’INOIP pour leur attention et leur bienveillance à vous accueillir
-
Les membres du comité d’organisation, pour leur implication et le professionnalisme
dont ils ont fait preuve lors de la préparation et du déroulement de ce colloque :
Christian Brown, Patricia Haussaire, Claude Lemoine, Jean-Gabriel Toulisse,
Marc Trzeciak, Isabelle Woestelandt,
Colloque du 17-18 novembre 2005 : « L'approche psychologique du travail » -79-
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