EERO TARASTI
17h15 — « OÙ SE TROUVE LE SENS MUSICAL ?
DÉVELOPPEMENT DE L’ANALYSE SÉMIOTIQUE DE LA MUSIQUE AU SEIN DE LA MUSICOLOGIE ET LA THÉORIE SÉMIOTIQUE ».
Les études sur la signification musicale ont subi pendant les trente dernières années des changements et mutations fort remarquables.
En fait, si l’on parle de ‘linguistic turn’ en philosophie positiviste et dans le cercle de Vienne au début du XXe siècle, dans les années 1920, on préfèrera le terme de ‘formalist
turn’, puis de ‘structuralist turn’ pour aboutir, à la fin du XXe siècle, à ‘cognitive turn’ et finalement ‘existential turn’. La musicologie a été en quête des lieux de sens en musique,
si évidents intuitivement pour les musiciens et la communication musicale en soi, mais si difficiles à représenter dans un langage approprié. Si l’esthétique musicale a eu son
point de départ dans la pensée de Kant sur les jugements esthétiques comme ‘
ohne Begriffe
’ et ‘
ohne Intresse
’ (sans concept, sans intérêt pratique), cela s’est manifesté dans
le canon de la musique érudite par exemple dans le style élevé des grands
adagios
des Sonates de Beethoven.
Mais en même temps, si l’on approche le sens musical comme un processus temporel, on aboutit à une analyse narrative. Ses méthodes ont reçu une impulsion radicale grâce à
l’influence du formalisme russe et de Vladimir Propp et à son ouvrage
Morphologie du conte
(1928). Toute analyse narrative ensuite a appliqué l’idée de la segmentation du texte
musical en unités minimales, ‘fonctions’, leur consécution syntagmatique (la condition minimale d’un récit étant que quelque chose se transforme en quelque autre chose) et les
acteurs/actant, qui poursuivent ses fonctions. Tout cela a été appliqué aussi au discours musical dans la ligne de Boris Asaiev, A.J. Greimas et à partir de la naissance de la
sémiotique musicale, comme modèles d’analyse générative (voir par exemple la grammaire modale de Chopin dans Tarasti 1994/1996 ou analyses par Marta Grabocz 1996,
2009).
Ces modèles classiques n'ont rien perdu de leur pertinence méthodologique, mais un nouveau tournant épistémique a eu lieu dans les années 2000, avec l’émergence de ce que
l’on appelle la néo-sémiotique. Bien que le postmodernisme ait réévalué le rôle du sujet, la néo-sémiotique a puisé ses sources - entre autres - dans une orientation
philosophique nouvelle ; dans mon cas une sémiotique
existentielle
. En dépit de sa forte inspiration dans l’héritage philosophique continental à partir de Hegel jusqu’à Jaspers,
Heidegger, Sartre, et Marcel, cette approche reste tout de même fidèle à certaines idées de la sémiotique, et notamment celles de l’École de Paris (modalités, isotopies etc). La
nouvelle méthode souligne plutôt les catégories de Moi/Soi et quatre modes d’existence du sujet (le corps, personnalité, pratique sociale et valeurs/normes) ainsi que leurs
représentations, même en musique.
Ces catégories ne s’organisent plus comme processus générativo-organique mais manifestent plutôt des conflits du sens. Cela peut être illustré par mes analyses récentes sur
Schumann (Fantaisie en ut majeur op. 17) et Fantaisie de Mozart en ré mineur (Tarasti 2012,
Semiotics of Classical Music
).
Littérature :
Eero Tarasti : 1996
Sémiotique musicale.
Traduit de l’anglais par B. Dublanche. Limoges : Presses Universitaires de Limoges (version originale
A Theory of Musical Semiotics.
Bloominton,
Indianapolis : Indiana University Press
" 2003
Mythe et musique. Wagner-Sibelius-Stravinsky.
Traduit de l’anglais par Damien Pousset. Paris : Michel de Maule.
" 2009
Fondements de la sémiotique existentielle.
Traduit de l’anglais par Jean-Laurent Csinidis. Paris : L’Harmattan.
" 2010
Fondamenti di semiotica esistenziale.
Traduit de l’anglais par Massimo Berruti. Roma, Bari : Giuseppe Laterza Edizioni
" 2012
Semiotics of Classical Music. How Mozart, Brahms and Wagner Talk To Us.
Berlin : Mouton de Gruyter
Eero Tarasti est musicologue et sémioticien finlandais internationalement reconnu. Il exerce actuellement en tant que professeur à l'université d'Helsinki.