Fallait-il traiter à égalité les crimes de l’apartheid et les exactions commises par certains militants
de l’ANC ? Non, car la lutte armée pouvait se justifier dès le moment où le régime intensifiait sa
répression, notamment à partir de l’instauration de l’état d’urgence.
Cette commission, comme une sorte de « catharsis », a représenté un moment très fort de
l’histoire de l’Afrique du Sud et a marqué profondément l’opinion (les séances étaient
retransmises à la télévision). Elle a permis de trouver un équilibre entre « assumer le passé et
construire l’avenir ». Aujourd’hui, l’Afrique du Sud vit normalement. Elle a ses difficultés, bien sûr,
dont la nécessité de mettre fin aux inégalités. Mais, au moins, elle peut regarder son passé avec
calme et c’est déjà beaucoup.
Le cas du Rwanda
Au Rwanda, on a forcé les gens à tuer leurs propres voisins
C’est à partir de 1959 que surviennent les premiers massacres au Rwanda qui provoquent la fuite
de près de 5 000 personnes au Burundi, au Rwanda et au Congo. Nestor Bidadanure tient à revenir
d’emblée sur une idée fausse : non, le conflit entre Hutu et Tutsi n’est pas d’ordre ethnique, mais
bien politique. Les Hutu et les Tutsi parlent la même langue et ont la même culture. Les plus
grands massacres au Rwanda, au Burundi et en Somalie se passent précisément là où il n’y a pas
d’ethnie – selon la définition classique. C’est ainsi qu’il peut y avoir des pays avec beaucoup
d’ethnies et où il n’y a pas de guerre et des pays sans ethnies différentes mais des radicalismes
pouvant aller jusqu’au génocide.
Et, pour provoquer le génocide de 1994, il y a eu instrumentalisation des différences, réelles ou
non. Une instrumentalisation qui trouve son origine dans l’histoire coloniale du Rwanda : les Tutsi,
très grands, étaient considérés comme des envahisseurs venant d’Egypte et d’Ethiopie, tandis que
les Hutu, eux de « vrais noirs », comme aliénés et dépossédés de leurs terres. Une idéologie qui
entre en exacte résonnance avec l’antisémitisme.
1994 représente l’apogée des massacres ayant jalonné toute l’histoire du Rwanda depuis lors :
entre 800 000 et un million de morts en cent jours (10 000 morts par jour) sur 8 millions
d’habitants, soit 1/8ème de la population décimée (à l’échelle de la France, ce serait l’équivalent
de 10 millions d’habitants, soit la population de toute la région parisienne) ; des milices dans tous
les quartiers qui obligent tout un chacun à prendre parti contre ses propres voisins (« de quel côté
es-tu ? Si tu refuses de tuer c’est que tu es Tutsi... »).
La justice Gacaca et la philosophie de l’Ubuntu
Àprès le génocide, le pays était un véritable cimetière : un million de morts, deux millions de
personnes qui avaient fui, un système judiciaire inexistant, une économie ruinée. Jusqu’à peut-être
trois millions de tueurs qu’il aurait fallu juger, autant dire des procès à mener pendant cent ans ! Il
a fallu régler autrement ce problème quasi insurmontable : d’où cette justice « Gacaca », une
manière communautaire villageoise de rendre la justice. Elle revient à considérer que les
bourreaux, trop nombreux pour être jugés, sont aussi des victimes et à élire un comité des sages
reconnus pour leur intégrité devant lesquels ces derniers sont appelés à comparaître. Chacun des
justiciables a la possibilité de s’expliquer et une fois qu’on l’a écouté et qu’il a demandé pardon, il
peut être acquitté. Mais cet acquittement, c’est le groupe (la « colline ») qui le prononce et en
définit la nature - prison, travaux communautaires, possibilité de réintégrer la communauté... Mais
bien sûr, les planificateurs du génocide, eux, ont été arrêtés et jugés par le tribunal d’Arusha des
Nations Unies ou par des tribunaux rwandais. C’est ainsi que près d’un million de personnes ont
pu être jugées, les citoyens directement concernés ayant pu participer aux débats et aux
sentences.
Cette justice est fondée sur la philosophie dite de l’Ubuntu dont les fondements sont que l’être
humain est perfectible et que, malgré toutes les abominations perpétrées, il reste possible de vivre
ensemble. C’est, par exemple, ce qui a guidé Mandela et ses camarades lorsque dans leur prison
de Robben Island ils n’ont cessé d’approcher leurs gardiens pour les faire évoluer. Ou encore, ce
qui inspire le rituel de réconciliation dans certaines communautés ivoiriennes afin de faire prendre