Word - Faculté de théologie catholique de Strasbourg

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& théologie
Le Courrier théologique
des professeurs de la faculté de théologie catholique
(Université de Strasbourg)
no 8, juin 2015
Billet : Un génocide en terre chrétienne catholique, le Rwanda (1959-1994)
Le Rwanda est devenu célèbre en 1994 en raison de la tentative d'extermination totale des Tutsi, avec
leurs amis-parents-soutiens parmi les Hutu et les Twa : entre 800 000 et un million de victimes en trois
mois, avec comme armes principales des outils agricoles, la machette en particulier. En proportion,
l'artisanat génocidaire rwandais a fait bien plus de morts que le système industriel nazi (1940-1945),
plus que le Goulag stalinien, plus que les rizières maudites des Khmers rouges (1975-1979) ; il n'y a
guère que le premier génocide de la Modernité, celui des Arméniens en 1915 pratiqué par le régime
Jeune-Turc de l'empire ottoman, qui atteigne ce degré d'efficacité et de célérité dans l'horreur. Ce qui
fait la spécificité du génocide des Tutsi du Rwanda n'est presque jamais relevé : des chrétiens hutu,
très majoritairement catholiques (environ 70 % de la population en 1994), ont exterminé d'autres
chrétiens surtout tutsi, sans respect des prêtres, religieux et religieuses, séminaristes, en profanant les
églises qui telle celle de Nyamata furent le théâtre de boucheries. Le catholicisme contemporain, si
avide de repentance, ne s'est pas penché sur ce scandale à faire hurler les pierres : sans doute parce que
le nombrilisme occidental tend à marginaliser ce qui ne l'affecte pas directement ou bien, à la façon de
Bernard Lugan, il écarte la difficulté par une prétendue christianisation superficielle. Taux record de
pratique religieuse, catéchèse longue et précocement inculturée, engagement des laïcs massif –
l'homme-orchestre du génocide, Théoneste Bagosora, était un dirigeant de la puissante Légion de
Marie –, séminaires pleins, 2,5 fois plus de vocations sacerdotales qu'en France : une chrétienté
superficielle, vraiment ?
Un jeune théologien catholique américain, James Jay Carney, a soutenu une thèse en 2011 qui a été
publiée en 2013. Il y relève le défi, en historien de l'Église contemporaine, d'étudier la part proprement
catholique d'un génocide dont les spécialistes nient la dimension religieuse car, mise à part la
minuscule minorité musulmane (< 2%) qui a localement été menacée, des catholiques ont « coupé »,
brûlé, noyé des catholiques, des protestants ont tué d'autres protestants. Rien de semblable aux guerres
de religion du XVIe siècle en France ou aux abominations de « l'État islamique » en Irak et Syrie. J.J
Carney explique avec méthode et sur la base d'un solide corpus de sources comment ce « royaume
chrétien » sous tutelle belge devint une république indépendante tout aussi chrétienne en 1959-1962,
avec un Grégoire Kayibanda et ses compagnons du parti Parmehutu tous très proches de l'Église, le
premier président constitutionnel ayant été jociste puis à la direction du journal catholique et ayant
fondé avec son épouse la Légion de Marie dans le pays. Il montre aussi comment l'épiscopat, mené par
le Père blanc suisse André Perraudin, et à l'exception de Mgr Bigirumawmi, a assimilé la Question
sociale réelle au Rwanda à une lecture ethnicisée (Hutu opprimés contre Tutsi oppresseurs). La
doctrine sociale de l'Église, l'option préférentielle pour les pauvres présente à Vatican II et consacrée à
Medellin, l'essor de la démocratie chrétienne, tout a concouru à la mise en place d'un État bien en
phase avec Dignitatis humanae, à la fois laïque dans sa forme et bienveillant envers le catholicisme,
un exemple de séparation en trompe-l'oeil imaginée par Jacques Maritain. Le Rwanda des Ière et IIe
Républiques est en phase avec les idéaux de Vatican II, ce que ne souligne pas l'auteur qui a (trop) été
à l'école des jésuites américains, ses évêques en 1962 (3 sur 4 sont autochtones) ont tous été dans la
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majorité conciliaire et s'en réclament ardemment. La faute de Mgr Perraudin et avec lui de la
hiérarchie rwandaise fut celle observée en 1938 avec le « Heil Hitler Kardinal » de Vienne : une
excessive immersion dans la société de son temps. Pour l'archevêque de Kabgayi et ses confrères
comme Mgr Vincent Nsengiyumva, assassiné par le F.P.R. en représailles en 1994, le modèle néointransigeant, héritage révisé par le Concile de l'État confessionnel syllabusien, a été trop prégnant au
point de se laisser aller à cautionner un pouvoir qui dérivait en dehors des 10 Commandements dès les
massacres de 1963-1964.
La parole du mois
« On ne peut geler l'autorité magistérielle de l'Église à l'année 1962 – ceci doit être bien clair pour la
Fraternité [sacerdotale Saint Pie X]. Cependant, à certains de ceux qui se proclament comme de
grands défenseurs du Concile, il doit aussi être rappelé que Vatican II renferme l'entière histoire
doctrinale de l'Église. Celui qui veut obéir au Concile, doit accepter la foi professée au cours des
siècles et il ne peut couper les racines dont l'arbre vit. » (Benoît XVI, Lettre aux évêques de l'Église
catholique au sujet de la levée de l'excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre,
10 mars 2009).
Entre l'évolutionnisme condamné d'un Alfred Loisy et le providentialisme au premier degré de
l'histoire sainte d'antan, l'historien(ne) de l'Église moderne et contemporaine travaille à éclairer, à
l'instar des autres disciplines de la théologie mais pas moins qu'elles, ce qu'est « la foi professée au
cours des siècles » et par ex. comment l'année 1962 a pu être relue, idéologisée, brouillée, combien
le monde « de ce temps » (cf. Gaudium et spes) a changé depuis la clôture du concile Vatican II.
Lectures pour approfondir le sujet du billet
Hélène DUMAS, Le Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Seuil, 2014, 384 p.
Publication de la thèse qui a choisi une approche micro-historique : quelques secteurs d'une
commune pas très éloignée de la capitale Kigali sont étudiés au microscope pour la période 1990
(début des incursions du F.P.R.) à la fin du génocide en 1994 et au triomphe du F.P.R. L'auteur
reconstitue les événements, les discours, les modes et les lieux de tueries avec une minutie qui par
endroit glace le sang Elle reconnaît n'avoir pas pris le religieux comme objet d'étude alors qu'il
affleure partout dans le livre au fil des témoignages. Elle m'a confié vouloir s'atteler à cette tâche
dans le futur.
James Jay CARNEY, Rwanda Before the Genocide. Catholic Politics and Ethnic Discourse in the Late
Colonial Era, Oxford University Press USA, 2013, 358 p. [Le Rwanda avant le génocide. Politique
catholique et discours ethnique à la fin de l'époque coloniale.]
L'ouvrage fait la part belle, d'où son titre, à la période 1950-1962 mais il évoque largement le
premier XXe siècle avec les phases de l'évangélisation qui débute en 1900 et surtout il aborde les
deux crises (1963-1964 et 1973) qui annoncent le génocide de 1994.
Bernard LUGAN, Rwanda, le génocide, l'Église et la démocratie, Éd. Du Rocher, 2004, 242 p.
On a évoqué le principal reproche fait à cette analyse qui s'appuie en outre à l'excès sur
l'historiographie « ethnicisée » du premier XXe siècle.
Jean-Pierre CHRETIEN, Marcel KABANDA, Rwanda, racisme et génocide. L'idéologie hamitique, Belin,
2013, 304 p.
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L'idéologie « hamitique » – en référence à la figure biblique de Ham – forgée à la fin du XIXe siècle en
Europe est disséquée dans sa genèse et les auteurs montrent qu'elle informe les représentations dès
le premier colonisateur allemand du Ruanda-Urundi puis des autorités de tutelle belges et jusqu'aux
Pères blancs, spécialement avec Mgr Léon Classe, bien en amont de la décision d'inscrire la mention
tutsi-hutu-twa sur les cartes d'identité. Toutefois la démonstration tend à minimiser la distinction
sociale dominante tutsi-hutu, distinction qui se durcit au XIXe siècle dès avant l'arrivée du
colonisateur allemand. Allemands et Belges l'ont trouvée mais, du fait de l'idéologie hamitique, ont
parachevé un processus amorcé sous Kigeli IV Rwabugiri (1853-1895), avant-dernier souverain
indépendant d'un Rwanda en expansion au détriment des petits États à dynasties hutu du Nord.
Jean-Pierre CHRETIEN, Jean-François DUPAQUIER, Burundi 1972 au bord des génocides, Karthala, 2007,
496 p.
Il est indispensable pour comprendre l'histoire du Rwanda contemporain de s'intéresser à celle de
son voisin, un royaume de même culture (les langues locales sont très proches) devenu république
en 1966 mais longtemps sous une dominante tutsi. Les massacres au Burundi, spécialement celui de
1972, ont été perpétrés par l'armée tutsi contre les élites hutu, soit le miroir inversé du Rwanda. Les
auteurs évoquent l'attitude contrastée de l'Église burundaise en 1972, le pays est le plus catholique
d'Afrique juste devant le Rwanda ; des résistances plus nombreuses ont été observées. En 1994, alors
que le président hutu burundais était tué avec son homologue rwandais, Juvénal Habyarimana, dans
l'attentat contre l'avion qui ramenait ce dernier à Kigali, une union nationale a coupé court aux
violences au Burundi tandis que le jour-même, le génocide démarrait au Rwanda.
André PERRAUDIN, Un évêque au Rwanda. « Par-dessus tout la charité », les six premières années de
mon épiscopat, Éd. Saint-Augustin, 2003, 443 p.
Le plaidoyer pro-domo de l'évêque (1914-2003) qui a joué, avec la tutelle belge au départ, un rôle
déterminant pour le Rwanda à partir de sa nomination comme Vicaire apostolique en 1956 et jusqu'à
la fin de la IIe République en 1994. Il ne regrette rien… et il importe de comprendre pourquoi.
Parmi les parutions récentes :
Philippe LEVILLAIN, La Papauté foudroyée. La face cachée d'une renonciation, Tallandier, 2015, 254 p.
Faute de dévoiler une quelconque « face cachée », l'ouvrage est une brève synthèse du pontificat de
Benoît XVI et des débuts de celui du pape François.
Nouvelles de la faculté et autres lieux
Après la première expérience d'E.C.I. (évaluation continue intégrale en Licence) en 2013-2014, une
nouvelle formule s'achèvera courant juillet, avec la première session de rattrapage juxtaposée au
régime E.C.I.
Puisse-t-elle être favorable aux étudiants sérieux et travailleurs qui jouiront ensuite, comme les
enseignants et le secrétariat, d'un repos amplement mérité.
Luc Perrin
• Pour préparer les Semaines sociales de France 2015 : Visioconférence – Stammtisch, Mardi 2 juin à
19 h 15 au FEC, 17, place Saint-Etienne. « Quel apport du christianisme dans l’espace public ? » avec
le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, M. Jean Picq,
président de Chambre honoraire à la Cour des Comptes, professeur à Sciences Po, P. Alain
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Thomasset, sj, professeur de théologie morale au Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris, président
de l’Association de théologiens pour l’étude de la morale (ATEM). Une brève présentation de la
session sera faite en fin de conférence. La discussion se poursuivra sur place à Strasbourg autour
d’un verre et de bretzels…
• Soutenance de thèse de Monsieur Jean MACÉ, le samedi 13 juin à 14h en salle 47 au Palais
Universitaire, sur le thème « Pénitence et rémission des péchés dans les communautés chrétiennes
des IIème et IIIème siècles. De la Didachè à la Didascalie ».
• Le congrès annuel de l'ATEM (Association de théologiens pour l'étude de la morale) aura lieu à
Trento (Italie) du 26 au 29 août 2015 et sera consacré à la question : « Quelle identité de l'éthique
théologique aujourd'hui ? Pour quel service ? » Il est possible de participer sans être membre de
l'ATEM. <http://www.ethique-atem.org>
• Congrès international de l'Association Européenne de Théologie Catholique à Leuven (Belgique) du
17 au 20 septembre 2015 sur le thème : « L'âme de la théologie. Sur le rôle de l'Écriture en
théologie ». Cette rencontre qui a lieu tous les deux ans réunit quelque 250 théologiens européens
de toutes disciplines. Mais on peut participer sans être membre de l'association. La section française
est présidée par Marie-Jo Thiel. Répondez à l'appel à communications, au Prix de l'article ou livre en
théologie, inscrivez-vous : <http://www.kuleuven.be/eurotheo/congresses>
• Colloque universitaire international à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Don Bosco
(1815) à Lyon du 14 au 16 octobre 2015 sur le thème « Les intuitions pédagogiques de Don Bosco ».
Renseignements et inscriptions : <www.centrejeanbosco.com>
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