R. Kaaks
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1 9
Correspondance : R. Kaaks - Head Hormons and Cancer Group – IARC - 150 cours Albert Thomas – 69008 Lyon
Insuline, IGF-1 et cancer du sein.
R. Kaaks IARC - Lyon
Résumé
Le taux d’incidence des cancers du sein, beaucoup plus élevé dans les pays riches, est à
relier au mode de vie caractérisé par une faible activité physique, une alimentation riche en grais-
ses totales et saturées, en hydrates de carbone raffinés et en protéines animales. Les études de
cohortes ont montré une augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes ménopau-
sées qui présentent un profil endocrinien de type hyperandrogénique modéré. Ce profil est sou-
vent associé à une hyperinsulinémie chronique, souvent elle-même induite par une obésité et une
insulinorésistance associée. Cette hyperinsulinémie est liée à une diminution des taux plasmati-
ques des protéines de liaison et peut augmenter la biodisponibilité de l’IGF-1 au niveau des tissus
cibles. Comme l’insuline, l’IGF-1 inhibe la production hépatique des protéines de liaison des
hormones sexuelles et stimule la production ovarienne de stéroïdes. De plus l’IGF-1 peut stimuler
directement le développement de tumeurs mammaires. L’ensemble de ces observations a conduit
à l’hypothèse d’un risque accru de cancer du sein chez les femmes qui présentent les caractéris-
tiques suivantes : une augmentation des taux plasmatiques d’insuline à jeun, une augmentation
des taux d’IGF-1 pour des niveaux donnés des protéines de transport. L’hyperinsulinémie et/ou
l’augmentation des taux plasmatiques d’IGF-1 biodisponible, non lié aux protéines de transport,
pourraient constituer le lien physiologique entre le mode de vie occidental, la suralimentation, le
profil en hormone stéroïde de type hyperandrogène et l’augmentation du risque de cancer du
sein.
Cancer du sein / Insuline / IGF-1 / Ménopause / Alimentation
INTRODUCTION :
ENVIRONNEMENT ET
CANCER DU SEIN
ðLe thème principal sera l’effet de
l’environnement sur le cancer du
sein. L’aspect environnement sera pris
dans un sens large incluant les fac-
teurs de style de vie tels que l’acti-
vité physique, l’alimentation et l’uti-
lisation de certains médicaments
dans la vie quotidienne.
On essaiera également de focaliser le
rôle du métabolisme hormonal des
hormones stéroïdiennes, de l’insuline
et de l’IGF-1 (insuline micro-growth
factor one), catégories d’hormones
très importantes dans l’histologie du
cancer du sein.
Insuline, IGF-1 et cancer du sein
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1
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Le cancer du sein est une tumeur 10
fois plus fréquente dans les pays in-
dustriellement développés, tels que
la France ou les Etats –Unis que dans
des pays en voie de développement
ou moins développés économique-
ment (Figure 1Figure 1
Figure 1Figure 1
Figure 1). Parmi les causes
possibles de cette différence, l’envi-
ronnement semble jouer un rôle très
important. En France, le cancer du sein
qui a toujours existé, s’est peu à peu
accru avec le temps, devenu plus fré-
quent depuis les années 1950 jusqu’à
l’an 2000. Par contre, pour certains
autres cancers, notamment le cancer
de l’estomac, c’est l’inverse qui est
observé. Ces différences font l’objet
de constatations identiques au plan
international.
- Figure 1 -- Figure 1 -
- Figure 1 -- Figure 1 -
- Figure 1 -
Nombre de cas par an de cancer du sein pour 100 000 femmes et pour une population de structure d’âge standardiséeNombre de cas par an de cancer du sein pour 100 000 femmes et pour une population de structure d’âge standardisée
Nombre de cas par an de cancer du sein pour 100 000 femmes et pour une population de structure d’âge standardiséeNombre de cas par an de cancer du sein pour 100 000 femmes et pour une population de structure d’âge standardisée
Nombre de cas par an de cancer du sein pour 100 000 femmes et pour une population de structure d’âge standardisée
A part les études qui ont exclu la res-
ponsabilité des facteurs génétiques
dans la plus grande fréquence des
cancers du sein dans les pays riches,
les études sur les migrants passés
d’un pays pauvre à un pays riche ont
montré qu’en l’espace d’une ou
deux générations, les femmes ou
leurs filles ont des taux de cancer du
sein presque identiques à ceux des
populations d’accueil.
Les études épidémiologiques ont
permis d’identifier depuis longtemps
un certain nombre de facteurs clés.
En premier lieu, on sait que les fem-
mes qui ont eu des règles plus pré-
coces et des ménopauses plus tardi-
ves présentent une augmentation du
risque de cancer du sein. Le risque
est également accru pour celles qui
sont de plus grande taille.
Ces données indiquent un rôle très
probable de l’environnement et no-
tamment de la nutrition pendant l’en-
fance, et surtout à l’adolescence.
On sait aussi qu’un faible taux de
maternité, une maternité tardive et
l’absence d’allaitement sont des élé-
ments importants. En regroupant les
données concernant 50 000 femmes
qui ont développé un cancer du sein
et presque 100 000 témoins, Key et
son groupe à Oxford ont clairement
établi le rôle de ces trois facteurs in-
dépendants : l’age tardif pour le pre-
mier enfant, le petit nombre d’enfants
et une durée d’allaitement limitée. Il
est probable que les différences cons-
tatées au plan international entre pays
riches et pays pauvres soient en
grande partie (40 à 50 %) attribuables
à ces facteurs.
L’obésité peut être aussi un facteur
de risque, notamment pour la femme
ménopausée. Un manque d’activité
physique et la consommation d’al-
cool augmentent aussi le risque.
Un grand nombre d’études sur l’in-
fluence de l’alimentation a montré –
R. Kaaks
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de façon plus nuancée- que la nutri-
tion à l’age adulte peut jouer un rôle
important.
Les études qui suivent vont essayer
de faire le lien entre l’alimentation,
l’état nutritionnel et le métabolisme
hormonal comme mécanisme de
transmission du facteur de risque de
cancer du sein.
Dernièrement, on a aussi reconnu
comme facteur de risque l’utilisation
d’hormones substitutives après la
ménopause, soit oestrogènes seuls,
soit association oestrogènes et
progestogènes. L’article de F. Clavel
étudie le lien entre l’utilisation de ces
hormones stéroïdiennes exogènes et
le métabolisme de l’IGF-1 qui peut
être impliqué dans le développement
du cancer du sein.
L’EXCÈS PONDÉRAL ET
L'ACTIVITÉ PHYSIQUE
ðEn ce qui concerne l’effet de l’ali-
mentation : on a, tout d’abord, dans
les différents pays, corrélé le risque
au pourcentage de l’énergie prove-
nant des graisses. On ne sait pas si ce
sont vraiment les graisses qui comp-
tent ou le changement de composi-
tion alimentaire en terme de macro-
nutriments, associé au développe-
ment économique. Les seules sour-
ces d’énergie de notre alimentation,
à part la faible contribution de l’al-
cool, se trouvent dans les glucides,
les lipides et les protides.
Les changements associés au déve-
loppement économique se trouvent
dans la composition alimentaire. On
voit sur les graphiques anciens qui
donnent la composition en macro-
nutriments en fonction du Produit
National Brut que, en pourcentage
d’énergie, les protides restent plus ou
moins constants, avec toutefois une
diminution des protides végétaux et
une augmentation des protides d’ori-
gine animale.
On note une augmentation de l’éner-
gie provenant des graisses animales
et des graisses séparées (margarine,
huiles…), mais une diminution des
graisses liées à des aliments d’origine
végétale.
En ce qui concerne les glucides, on
observe une réduction du pourcen-
tage d’énergie provenant globalement
des glucides mais une augmentation
des sucres. Il y a donc augmentation
des glucides rapidement digérés, ab-
sorbés par le sang avec des effets sur
la glycémie très différents de ceux
qui sont dus aux amidons, digérés
plus lentement.
Il y a donc un énorme changement
dans le type de glucides consommés.
Rien n’est encore prouvé sur la cause
alimentaire du risque de cancer du
sein mais le débat reste ouvert et per-
sonnellement, je crois que l’augmen-
tation de la protéine animale et, peut-
être, de l’indice glycémique des glu-
cides jouent un rôle important.
Des études déjà anciennes (Tannen-
baum, 1945), confirmées par d’autres
auteurs en 1982, montrent chez l’ani-
mal, une nette influence de la dispo-
nibilité de l’énergie alimentaire sur
le nombre de tumeurs développées.
Chez l’humain, on ne peut pas faire
ce genre d’expérimentation. Par con-
tre, on peut rechercher les indices
d’un effet de l’excès d’énergie ali-
mentaire sur le risque. De nombreu-
ses études démontrent une augmen-
tation très significative du cancer du
sein chez les femmes ménopausées
présentant un excès pondéral. Sur une
bonne centaine d’études, la compa-
raison de groupes de femmes méno-
pausées ayant un Index de Masse
Corporelle (Body Mass Index ou BMI)
supérieur à 27-28 kg/m2 ou inférieur
à 22 kg/m2 a mis en évidence une
augmentation du risque chez la
femme ménopausée jusqu’à un ni-
veau de BMI de l’ordre de 28 kg/m2
dans les pays développés.
On a également constaté que le gain
de poids entre la fin de l’adolescence
(18-20 ans) et différents points de
l’age adulte, permet de prédire l’aug-
mentation du risque chez la femme
ménopausée.
Plusieurs études ont établi une ré-
duction du risque chez les femmes
ayant une activité physique impor-
tante ou chez les femmes classées
comme plus actives par rapport à des
femmes moins actives. Malgré l’hété-
rogénéité de ces études, il est bien
admis qu’une activité physique sou-
tenue réduit le risque de cancer du
sein.
Au CIRC de Lyon Centre Internatio-
nal de Recherche sur le Cancer ), une
réunion d’experts a donné lieu en
2002 à la publication d’un ouvrage
portant sur "weight control and
physical activity" qui consigne tous
les résultats précédents (http://
www.iarc.fr/[email protected])
HORMONES STÉROÏDIENNES
ðComme le souligne dans ce vo-
lume T. Key, un des mécanismes pos-
sibles par lequel l’obésité augmente
le risque de cancer du sein, est la
transformation dans le tissu adipeux,
d’androgènes en oestrogènes chez
les femmes ménopausées. Ainsi, les
femmes plus obèses ont plus d’oes-
trogènes dans le sang et probable-
ment une plus grande formation
d’oestrogènes dans les glandes mam-
maires elles-mêmes. Lorsque la con-
centration sanguine d’oestradiol to-
tal augmente en fonction du BMI, pa-
rallèlement la protéine de transport
qui lie les oestrogènes (SBP ou Sex
steroïd Binding Protein) diminue et
donc la fraction libre d’oestradiol
augmente. La figure 2figure 2
figure 2figure 2
figure 2 montre que les
taux d’oestradiol total et libre, ainsi
que des autres oestrogènes sont di-
rectement associés au risque de can-
cer du sein. Les taux d’androgènes
sont eux aussi associés avec le can-
cer du sein.
C’est vraisemblablement l’hormone
stéroïdienne qui a l’influence la plus
directe sur la prolifération cellulaire.
Le risque de développement de la
tumeur est donc en relation avec une
activité accrue au niveau des ovaires
et des glandes surrénales. Nous avons
déjà vu que les androgènes sont trans-
formés en oestrogènes dans le tissu
adipeux et représentent une source
importante d’oestrogènes. Sur le plan
Insuline, IGF-1 et cancer du sein
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F F
F F
Figurigur
igurigur
igure 2 – e 2 –
e 2 – e 2 –
e 2 – TT
TT
Total and bioaotal and bioa
otal and bioaotal and bioa
otal and bioavv
vv
vailaaila
ailaaila
ailabb
bb
ble estrle estr
le estrle estr
le estradiol in radiol in r
adiol in radiol in r
adiol in relation to BMI (post-menopaused welation to BMI (post-menopaused w
elation to BMI (post-menopaused welation to BMI (post-menopaused w
elation to BMI (post-menopaused women)omen)
omen)omen)
omen)
Figure 3 – Development of insuline resistanceFigure 3 – Development of insuline resistance
Figure 3 – Development of insuline resistanceFigure 3 – Development of insuline resistance
Figure 3 – Development of insuline resistance
Post prandrial
glycemic response Hyper-insulinemia
Intra-abdominal
body fat
Plasma free
fatty acids
Fasting plasma
glucose
Liver :
- oxidation of fat
- insulin receptors
- glucose uptake
- gluconeogenesis
Muscle :
- oxidation of fat
- insulin receptors
- glucose uptake
- glycogen storage
Diet rich in
(saturated) fat
and in high-glycemic-
index foods
( + Growth hormone
cortisol, testosterone )
low physical activity
R. Kaaks
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de la prévention, il est important de
savoir si on peut réduire l’activité
ovarienne après la ménopause, le lien
avec l’alimentation peut concerner
l’augmentation de la production
d’oestrogènes.
INSULINE
- Insulino-résistance- Insulino-résistance
- Insulino-résistance- Insulino-résistance
- Insulino-résistance
L’insulino-résistance est un phéno-
mène métabolique associé à la fois à
un excès de poids et au manque d’ac-
tivité physique. Dans ce phénomène,
les tissus, muscles, tissu adipeux, foie,
réagissent moins bien à l’effet de l’in-
suline, notamment en terme d’ab-
sorption du glucose du sang vers les
tissus. Cette insulino-résistance en-
traîne à son tour une hyperinsuliné-
mie parce que le maintien d’une gly-
cémie acceptable amène à surmon-
ter la résistance par une sécrétion
accrue d’insuline.
Ainsi l’insulino-résistance mène à
une hyperinsulinémie, aussi bien à
jeun qu’après consommation d’ali-
ments (Figure 3Figure 3
Figure 3Figure 3
Figure 3).
Le développement de cette insulino-
résistance est très complexe. Elle est
associée à la masse des tissus adipeux,
notamment au niveau intra-abdomi-
nal. L’obésité entraîne le développe-
ment de l’insulino-résistance à travers
une augmentation des acides gras li-
bres dans le sang qui sont libérés
dans les tissus et entraîne un déve-
loppement de la résistance aussi bien
dans le muscle, le foie et les autres
tissus.
Ainsi donc, deux facteurs de risque
pour le cancer du sein, excès de
poids et manque d’activité physique,
peuvent être en cause dans ce type
de mécanisme.
- Insuline et IGF-1- Insuline et IGF-1
- Insuline et IGF-1- Insuline et IGF-1
- Insuline et IGF-1
L’insuline et un autre peptide hormo-
nal de structure voisine, "insulin lack
growth factor one" ou IGF-1, inhibent
tous les deux la production du SHBP
(Sex Hormone Binding Protein) dans
le foie. Ce phénomène intervient
dans la relation établie entre un In-
dex de Masse Pondérale élevé et une
baisse sanguine de la SHBP. C’est
donc l’insuline qui a un rôle clé dans
ce mécanisme.
Différents types d’études cellulaires
in vitro, mais également in vivo chez
des femmes hyperandrogéniques ou
des femmes présentant le syndrome
de l’ovaire polykystique, ont montré
que l’insuline joue un rôle important
dans la stimulation de la stéroïdogé-
nèse dans l’ovaire et potentiellement
dans les glandes surrénales.
Cette stimulation met en cause deux
enzymes, tout d’abord le "cholesterol
side-chain cleavage enzyme" désigné
par CYP 11A1 et la 17 alpha –lyase,
codée CYP-17.
Le schéma de la synthèse hormonale
stéroïdienne commence avec le cho-
lestérol. Le CYP 11 couple une chaî-
ne, transformant le cholesterol en
prégnénolone. Ensuite le CYP 17 ca-
talyse en deux étapes la transforma-
tion du prégnénolone en progesté-
rone, puis la transformation des
progestogènes en androgènes. Il est
bien possible que la stimulation de
ces deux enzymes dans l’expression
de l’insuline ou de l’IGF-1, joue un
rôle dans l’augmentation des andro-
gènes que l’on observe chez les fem-
mes qui développent le cancer du
sein et qui sont souvent plus obèses
et peut-être plus insulino-résistantes
(Figure 4Figure 4
Figure 4Figure 4
Figure 4).
Figure 4 – Insuline and plasma sex steroïds ; womenFigure 4 – Insuline and plasma sex steroïds ; women
Figure 4 – Insuline and plasma sex steroïds ; womenFigure 4 – Insuline and plasma sex steroïds ; women
Figure 4 – Insuline and plasma sex steroïds ; women
Available IGF-I
IGFBP1 in plasma,
target-tissues
Plasma insulin
Insulin resistance
Plasma SHBG
Ovarian androgen
production
Plasma testosterone
Estrogen binding
to SHBG
Free estrogen
Kaaks, Cancer Causes Control 1996
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