Insuline, IGF-1 et cancer du sein.

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R. Kaaks
Insuline, IGF-1 et cancer du sein.
R. Kaaks
IARC - Lyon
Résumé
Le taux d’incidence des cancers du sein, beaucoup plus élevé dans les pays riches, est à
relier au mode de vie caractérisé par une faible activité physique, une alimentation riche en graisses totales et saturées, en hydrates de carbone raffinés et en protéines animales. Les études de
cohortes ont montré une augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes ménopausées qui présentent un profil endocrinien de type hyperandrogénique modéré. Ce profil est souvent associé à une hyperinsulinémie chronique, souvent elle-même induite par une obésité et une
insulinorésistance associée. Cette hyperinsulinémie est liée à une diminution des taux plasmatiques des protéines de liaison et peut augmenter la biodisponibilité de l’IGF-1 au niveau des tissus
cibles. Comme l’insuline, l’IGF-1 inhibe la production hépatique des protéines de liaison des
hormones sexuelles et stimule la production ovarienne de stéroïdes. De plus l’IGF-1 peut stimuler
directement le développement de tumeurs mammaires. L’ensemble de ces observations a conduit
à l’hypothèse d’un risque accru de cancer du sein chez les femmes qui présentent les caractéristiques suivantes : une augmentation des taux plasmatiques d’insuline à jeun, une augmentation
des taux d’IGF-1 pour des niveaux donnés des protéines de transport. L’hyperinsulinémie et/ou
l’augmentation des taux plasmatiques d’IGF-1 biodisponible, non lié aux protéines de transport,
pourraient constituer le lien physiologique entre le mode de vie occidental, la suralimentation, le
profil en hormone stéroïde de type hyperandrogène et l’augmentation du risque de cancer du
sein.
Cancer du sein / Insuline / IGF-1 / Ménopause / Alimentation
INTRODUCTION :
ENVIRONNEMENT ET
CANCER DU SEIN
ðLe thème principal sera l’effet de
l’environnement sur le cancer du
sein. L’aspect environnement sera pris
dans un sens large incluant les facteurs de style de vie tels que l’activité physique, l’alimentation et l’utilisation de certains médicaments
dans la vie quotidienne.
On essaiera également de focaliser le
rôle du métabolisme hormonal des
hormones stéroïdiennes, de l’insuline
et de l’IGF-1 (insuline micro-growth
factor one), catégories d’hormones
très importantes dans l’histologie du
cancer du sein.
Correspondance : R. Kaaks - Head Hormons and Cancer Group – IARC - 150 cours Albert Thomas – 69008 Lyon
E-mail : [email protected]
Médecine Nucléaire -
Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1
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Insuline, IGF-1 et cancer du sein
Le cancer du sein est une tumeur 10
fois plus fréquente dans les pays industriellement développés, tels que
la France ou les Etats –Unis que dans
des pays en voie de développement
ou moins développés économiqueFigure 1
ment (Figure
1). Parmi les causes
possibles de cette différence, l’environnement semble jouer un rôle très
important. En France, le cancer du sein
qui a toujours existé, s’est peu à peu
accru avec le temps, devenu plus fréquent depuis les années 1950 jusqu’à
l’an 2000. Par contre, pour certains
autres cancers, notamment le cancer
de l’estomac, c’est l’inverse qui est
observé. Ces différences font l’objet
de constatations identiques au plan
international.
- Figure 1 Nombre de cas par an de cancer du sein pour 100 000 femmes et pour une population de structure d’âge standardisée
A part les études qui ont exclu la responsabilité des facteurs génétiques
dans la plus grande fréquence des
cancers du sein dans les pays riches,
les études sur les migrants passés
d’un pays pauvre à un pays riche ont
montré qu’en l’espace d’une ou
deux générations, les femmes ou
leurs filles ont des taux de cancer du
sein presque identiques à ceux des
populations d’accueil.
Les études épidémiologiques ont
permis d’identifier depuis longtemps
un certain nombre de facteurs clés.
En premier lieu, on sait que les femmes qui ont eu des règles plus précoces et des ménopauses plus tardi-
10
ves présentent une augmentation du
risque de cancer du sein. Le risque
est également accru pour celles qui
sont de plus grande taille.
Ces données indiquent un rôle très
probable de l’environnement et notamment de la nutrition pendant l’enfance, et surtout à l’adolescence.
On sait aussi qu’un faible taux de
maternité, une maternité tardive et
l’absence d’allaitement sont des éléments importants. En regroupant les
données concernant 50 000 femmes
qui ont développé un cancer du sein
et presque 100 000 témoins, Key et
son groupe à Oxford ont clairement
Médecine Nucléaire -
établi le rôle de ces trois facteurs indépendants : l’age tardif pour le premier enfant, le petit nombre d’enfants
et une durée d’allaitement limitée. Il
est probable que les différences constatées au plan international entre pays
riches et pays pauvres soient en
grande partie (40 à 50 %) attribuables
à ces facteurs.
L’obésité peut être aussi un facteur
de risque, notamment pour la femme
ménopausée. Un manque d’activité
physique et la consommation d’alcool augmentent aussi le risque.
Un grand nombre d’études sur l’influence de l’alimentation a montré –
Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1
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de façon plus nuancée- que la nutrition à l’age adulte peut jouer un rôle
important.
Les études qui suivent vont essayer
de faire le lien entre l’alimentation,
l’état nutritionnel et le métabolisme
hormonal comme mécanisme de
transmission du facteur de risque de
cancer du sein.
Dernièrement, on a aussi reconnu
comme facteur de risque l’utilisation
d’hormones substitutives après la
ménopause, soit oestrogènes seuls,
soit association oestrogènes et
progestogènes. L’article de F. Clavel
étudie le lien entre l’utilisation de ces
hormones stéroïdiennes exogènes et
le métabolisme de l’IGF-1 qui peut
être impliqué dans le développement
du cancer du sein.
L’EXCÈS PONDÉRAL ET
L'ACTIVITÉ PHYSIQUE
ðEn ce qui concerne l’effet de l’alimentation : on a, tout d’abord, dans
les différents pays, corrélé le risque
au pourcentage de l’énergie provenant des graisses. On ne sait pas si ce
sont vraiment les graisses qui comptent ou le changement de composition alimentaire en terme de macronutriments, associé au développement économique. Les seules sources d’énergie de notre alimentation,
à part la faible contribution de l’alcool, se trouvent dans les glucides,
les lipides et les protides.
Les changements associés au développement économique se trouvent
dans la composition alimentaire. On
voit sur les graphiques anciens qui
donnent la composition en macronutriments en fonction du Produit
National Brut que, en pourcentage
d’énergie, les protides restent plus ou
moins constants, avec toutefois une
diminution des protides végétaux et
une augmentation des protides d’origine animale.
On note une augmentation de l’énergie provenant des graisses animales
et des graisses séparées (margarine,
huiles…), mais une diminution des
Médecine Nucléaire -
graisses liées à des aliments d’origine
végétale.
En ce qui concerne les glucides, on
observe une réduction du pourcentage d’énergie provenant globalement
des glucides mais une augmentation
des sucres. Il y a donc augmentation
des glucides rapidement digérés, absorbés par le sang avec des effets sur
la glycémie très différents de ceux
qui sont dus aux amidons, digérés
plus lentement.
Il y a donc un énorme changement
dans le type de glucides consommés.
Rien n’est encore prouvé sur la cause
alimentaire du risque de cancer du
sein mais le débat reste ouvert et personnellement, je crois que l’augmentation de la protéine animale et, peutêtre, de l’indice glycémique des glucides jouent un rôle important.
Des études déjà anciennes (Tannenbaum, 1945), confirmées par d’autres
auteurs en 1982, montrent chez l’animal, une nette influence de la disponibilité de l’énergie alimentaire sur
le nombre de tumeurs développées.
Chez l’humain, on ne peut pas faire
ce genre d’expérimentation. Par contre, on peut rechercher les indices
d’un effet de l’excès d’énergie alimentaire sur le risque. De nombreuses études démontrent une augmentation très significative du cancer du
sein chez les femmes ménopausées
présentant un excès pondéral. Sur une
bonne centaine d’études, la comparaison de groupes de femmes ménopausées ayant un Index de Masse
Corporelle (Body Mass Index ou BMI)
supérieur à 27-28 kg/m2 ou inférieur
à 22 kg/m2 a mis en évidence une
augmentation du risque chez la
femme ménopausée jusqu’à un niveau de BMI de l’ordre de 28 kg/m2
dans les pays développés.
On a également constaté que le gain
de poids entre la fin de l’adolescence
(18-20 ans) et différents points de
l’age adulte, permet de prédire l’augmentation du risque chez la femme
ménopausée.
Plusieurs études ont établi une réduction du risque chez les femmes
ayant une activité physique importante ou chez les femmes classées
comme plus actives par rapport à des
femmes moins actives. Malgré l’hétérogénéité de ces études, il est bien
admis qu’une activité physique soutenue réduit le risque de cancer du
sein.
Au CIRC de Lyon Centre International de Recherche sur le Cancer ), une
réunion d’experts a donné lieu en
2002 à la publication d’un ouvrage
portant sur "weight control and
physical activity" qui consigne tous
les résultats précédents (http://
www.iarc.fr/[email protected])
HORMONES STÉROÏDIENNES
ð Comme le souligne dans ce volume T. Key, un des mécanismes possibles par lequel l’obésité augmente
le risque de cancer du sein, est la
transformation dans le tissu adipeux,
d’androgènes en oestrogènes chez
les femmes ménopausées. Ainsi, les
femmes plus obèses ont plus d’oestrogènes dans le sang et probablement une plus grande formation
d’oestrogènes dans les glandes mammaires elles-mêmes. Lorsque la concentration sanguine d’oestradiol total augmente en fonction du BMI, parallèlement la protéine de transport
qui lie les oestrogènes (SBP ou Sex
steroïd Binding Protein) diminue et
donc la fraction libre d’oestradiol
augmente. La figure 2 montre que les
taux d’oestradiol total et libre, ainsi
que des autres oestrogènes sont directement associés au risque de cancer du sein. Les taux d’androgènes
sont eux aussi associés avec le cancer du sein.
C’est vraisemblablement l’hormone
stéroïdienne qui a l’influence la plus
directe sur la prolifération cellulaire.
Le risque de développement de la
tumeur est donc en relation avec une
activité accrue au niveau des ovaires
et des glandes surrénales. Nous avons
déjà vu que les androgènes sont transformés en oestrogènes dans le tissu
adipeux et représentent une source
importante d’oestrogènes. Sur le plan
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Insuline, IGF-1 et cancer du sein
F
igur
vaila
b le estr
adiol in rrelation
elation to BMI (post-menopaused w
omen)
Figur
iguree 2 – Total and bioa
bioav
ailab
estradiol
women)
Intra-abdominal
body fat
( + Growth hormone
cortisol, testosterone )
Diet rich in
(saturated) fat
and in high-glycemicindex foods
Plasma free
fatty acids
low physical activity
Liver :
- oxidation of fat
Muscle :
- oxidation of fat
- insulin receptors
- insulin receptors
- glucose uptake
- glucose uptake
- gluconeogenesis
- glycogen storage
Fasting plasma
glucose
Post prandrial
glycemic response
Hyper-insulinemia
Figure 3 – Development of insuline resistance
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de la prévention, il est important de
savoir si on peut réduire l’activité
ovarienne après la ménopause, le lien
avec l’alimentation peut concerner
l’augmentation de la production
d’oestrogènes.
INSULINE
- Insulino-résistance
L’insulino-résistance est un phénomène métabolique associé à la fois à
un excès de poids et au manque d’activité physique. Dans ce phénomène,
les tissus, muscles, tissu adipeux, foie,
réagissent moins bien à l’effet de l’insuline, notamment en terme d’absorption du glucose du sang vers les
tissus. Cette insulino-résistance entraîne à son tour une hyperinsulinémie parce que le maintien d’une glycémie acceptable amène à surmonter la résistance par une sécrétion
accrue d’insuline.
Ainsi l’insulino-résistance mène à
une hyperinsulinémie, aussi bien à
jeun qu’après consommation d’aliFigure 3
ments (Figure
3).
Le développement de cette insulino-
résistance est très complexe. Elle est
associée à la masse des tissus adipeux,
notamment au niveau intra-abdominal. L’obésité entraîne le développement de l’insulino-résistance à travers
une augmentation des acides gras libres dans le sang qui sont libérés
dans les tissus et entraîne un développement de la résistance aussi bien
dans le muscle, le foie et les autres
tissus.
Ainsi donc, deux facteurs de risque
pour le cancer du sein, excès de
poids et manque d’activité physique,
peuvent être en cause dans ce type
de mécanisme.
- Insuline et IGF-1
L’insuline et un autre peptide hormonal de structure voisine, "insulin lack
growth factor one" ou IGF-1, inhibent
tous les deux la production du SHBP
(Sex Hormone Binding Protein) dans
le foie. Ce phénomène intervient
dans la relation établie entre un Index de Masse Pondérale élevé et une
baisse sanguine de la SHBP. C’est
donc l’insuline qui a un rôle clé dans
ce mécanisme.
Différents types d’études cellulaires
in vitro, mais également in vivo chez
des femmes hyperandrogéniques ou
des femmes présentant le syndrome
de l’ovaire polykystique, ont montré
que l’insuline joue un rôle important
dans la stimulation de la stéroïdogénèse dans l’ovaire et potentiellement
dans les glandes surrénales.
Cette stimulation met en cause deux
enzymes, tout d’abord le "cholesterol
side-chain cleavage enzyme" désigné
par CYP 11A1 et la 17 alpha –lyase,
codée CYP-17.
Le schéma de la synthèse hormonale
stéroïdienne commence avec le cholestérol. Le CYP 11 couple une chaîne, transformant le cholesterol en
prégnénolone. Ensuite le CYP 17 catalyse en deux étapes la transformation du prégnénolone en progestérone, puis la transformation des
progestogènes en androgènes. Il est
bien possible que la stimulation de
ces deux enzymes dans l’expression
de l’insuline ou de l’IGF-1, joue un
rôle dans l’augmentation des androgènes que l’on observe chez les femmes qui développent le cancer du
sein et qui sont souvent plus obèses
et peut-être plus insulino-résistantes
Figure 4
(Figure
4).
Available IGF-I
IGFBP1 in plasma,
target-tissues
Ovarian androgen
production
Plasma insulin
Plasma testosterone
Insulin resistance
Estrogen binding
to SHBG
Plasma SHBG
Free estrogen
Kaaks, Cancer Causes Control 1996
Figure 4 – Insuline and plasma sex steroïds ; women
Médecine Nucléaire -
Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1
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Insuline, IGF-1 et cancer du sein
En résumé, l’hypothèse que nous
avons formulée il y a 6 ans, à peu près
en même temps que d’autres chercheurs, est qu’une insulino-résistance
due à un excès de poids et un manque d’activité physique, pouvait induire une synthèse accrue d’androgènes dans les ovaires, peut-être aussi
dans les glandes surrénales. Il y a une
augmentation du taux d’androgènes
dans le sang, une diminution des taux
de SHBP et augmentation de la transformation d’androgènes en oestrogènes. Ceci peut, au moins partiellement,
expliquer l’augmentation d’oestrogènes dans le sang et, puisque la testostérone a une affinité de liaison avec
la protéine de transport SHBP, affinité
plus forte que l’oestradiol, l’augmentation de la testostérone aurait tendance aussi à augmenter les oestrogènes libres dans le sang.
Malheureusement, lorsqu’on fait des
études prospectives, donc de cohortes, qui sont de meilleurs modèles
parce qu’on mesure les hormonémies avant que la maladie ne se déclare, on ne confirme pas de façon
claire les résultats précédents.
D’abord, dans une cohorte de NewYork, avec 130-140 cas au total, il n’y
a pas de relation nette entre le risque
et l’augmentation de l’insulinémie.
Ces résultats ont été confirmés par
une étude suédoise, à laquelle j’ai
participé, où on a mesuré l’insulinémie comparativement chez des femmes jeunes et d’autres plus âgées.
Deux autres études plus récentes ne
montrent pas d’association significative, quoique l’étude de Berrino suggère une augmentation du risque seulement chez les femmes pré-ménopausées.
En conséquence, les conclusions sur
ce point ne semblent pas très claires
pour le moment.
L’excès de poids est un facteur de
risque chez les femmes ménopausées. Par contre, la question est plus
complexe chez les femmes pré-ménopausées.
contre le cancer du sein. On ne sait
pas exactement pourquoi mais l’excès pondéral n’est pas clairement associé à une augmentation du risque.
Chez les femmes pré-ménopausées,
l’index de poids corporel (BMI) n’est
pas directement associé à une augmentation des taux d’oestrogènes libres et totaux dans le sang.
Des études récentes ont démontré un
lien potentiel avec les taux sanguins
d’IGF-1.
- Le système IGF-1/GH
L’IGF-1 est une hormone circulante
synthétisée dans le foie et dans presque tous les autres tissus ; le principal facteur de stimulation de sa synthèse est l’hormone de croissance
(GH ou Growth Hormone), elle-même
sécrétée par l’hypophyse. Le système
IGF-1 et GH est très complexe et fait
intervenir plusieurs protéines de
transport (Binding Proteins), IGF-1BP
qui lient IGF-1 et en modulent les effets, régulant sa biodisponibilité dans
le sang pour les tissus. De même ces
protéines de liaisons ont des effets
régulateurs sur la liaison de l’IGF-1 à
des récepteurs tissulaires. L’IGF-1-BP3,
le plus abondant dans le sang lie plus
de 85% de l’IGF-1 circulant. Deux
autres protéines de transport sont
également intéressantes : l’IGBP1 et
l’IGBP2 dont les taux sont inversement liés avec l’obésité, probablement parce que c’est l’insuline qui
diminue la production de ces
"Binding Proteins".
La concentration sanguine de l’IGF-1
augmente beaucoup avec l’âge, de
l’enfance à l’adolescence et diminue
régulièrement ensuite. Ce pic de production correspond bien à la période
de forte croissance, notamment une
croissance longitudinale du corps.
L’IGF-1 est l’hormone qui sert de
médiateur à l’effet de l’hormone de
croissance. On l’appelait autrefois
"somatomedine" pour traduire ce
rôle. Rappelons que nous avons évoqué précédemment le fait qu’une
grande taille est un facteur de risque
pour le cancer du sein. On voit ainsi
la responsabilité possible de l’IGF-1
dans ce développement.
L’obésité a plutôt un effet protecteur
14
Médecine Nucléaire -
On sait en fait que l’IGF-1 est un peptide qui stimule très fortement la prolifération d’un grand nombre de cellules dans différents tissus, en augmentant la mitose et en inhibant
l’apoptose. Ainsi, des cellules qui
ont déjà cumulé des altérations de
l’ADN et des mutations et qui devraient normalement être programmées pour s’éliminer d’elles-mêmes
(apoptose) peuvent continuer à vivre
et à proliférer.
On a clairement démontré que lorsqu’on ajoute un anticorps spécifique
contre l’IGF-1, on bloque ses effets,
in vitro. On sait aussi que si on transfère des tumeurs chez des animaux
déficients en IGF-1, le plus souvent,
les tumeurs ne se développent pas. Il
y a donc incontestablement des preuves expérimentales du rôle important
joué par l’IGF-1 dans le développement des tumeurs.
- Lien avec la nutrition
On peut, bien sur, s’attendre à ce
qu’un tel facteur hormonal qui stimule les effets anaboliques, soit régulé par la disponibilité d’énergie
calorique alimentaire, sous forme de
différents types de substrats et aussi
des acides aminés nécessaires à la
croissance.
On observe une forte chute de l’IGF1 chez les volontaires soumis à un
jeûne prolongé. Quand on leur redonne une alimentation normale, on
observe un rebond assez rapide des
taux. Ce rebond est moins clair si on
donne une alimentation riche en
énergie mais pauvre en acides aminés.
De nombreuses études épidémiologiques ont établi une corrélation entre
le taux sanguin d’IGF-1 et le risque
de cancer du sein. Différentes études
cas-témoins, dont on a vu les limitations, démontrent une augmentation
du risque de cancer du sein chez les
femmes jeunes et pré-ménopausées
quand les taux sanguins d’IGF-1 augmentent. Personnellement, je pense
que le facteur de risque le plus important est probablement une hypersécrétion relative de l’hormone de
croissance (GH ). Malheureusement,
le taux sanguin de GH est très diffi-
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cile à mesurer par suite de ses grandes fluctuations nyctémérales.
Des études de cohortes ont montré
que, pour un taux donné de BP-3,
l’élévation d’IGF-1 augmente le risque
d’un facteur très important (4,5) seulement chez les femmes jeunes avec
un diagnostic de cancer avant l’âge
de 50 ans.
Environ 1 % de l’IGF-1 circulant est
sous forme libre, non liée à des IGFBP ; cette fraction libre augmente chez
les obèses ou lorsqu’il y a une forte
production d’insuline comme dans
le diabète de type 2.
D’autres données expérimentales
montrent que l’insuline augmente le
nombre de récepteurs tissulaires
pour l’hormone de croissance, en
relation avec un peptide de transport
appelé "Growth Hormone Binding
Protein" ou GHBP. Le taux de GHBP
est un indicateur du nombre de récepteurs dans le foie et autres tissus.
Ainsi quand il y a assez d’insuline
endogène, il ya un effet de résistance
contre l’hormone de croissance. On
voit que le taux d’IGF-1 diminue
parce que la synthèse n’est plus aussi
efficace.
En réaction contre cette résistance,le
taux de GH va augmenter et il est possible que le taux d’IGF-1 libre ait un
effet de feed-back négatif sur la sécréFigure 5
tion de GH (Figure
5).
On peut donc penser que les effets
paradoxaux observés dans les études
précédentes peuvent s’interpréter par
le fait qu’une plus grande sensibilité
à GH avec augmentation des taux
d’insuline est en partie contrebalancée par un effet de feed-back négatif
de l’IGF-1 libre sur GH. Ainsi peut-on
Médecine Nucléaire -
observer une phase où l’IGF-1 augmente avec le taux d’insuline et une
autre où on observe l’effet inverse
Figure 6
(Figure
6).
En résumé
résumé, on peut se représenter
le schéma physiologique suivant :
- l’insuline fait diminuer les protéines de liaison (BP),
- la diminution des BP fait augmenter
l’IGF-1 libre dans le sang,
- l’augmentation de l’IGF-1 libre a un
feed-back négatif sur GH,
- l’insuline fait augmenter le nombre
de récepteurs cellulaires pour GH et
favorise la synthèse de l’IGF-1 sous
l’effet de GH.
On explique ainsi qu’il y ait des effets dans les deux sens. D’autres études réalisées chez l’homme avec des
index de masse corporelle (BMI ) élevés, donc avec une insulino-résistance
et des taux augmentés d’insuline, ont
montré que l’IGF-1 augmente jusqu’à
un certain point puis commence à
diminuer de nouveau selon une relation, non pas linéaire mais curvilinéaire.
Comme cela a été démontré par
l’équipe du docteur Key, la comparaison des végétariens, des végétaliens et des omnivores, montre que
les végétaliens qui refusent de manger tout produit d’origine animale, ont
des taux d’IGF-1 plus bas. Ainsi les
protéines d’origine animale peuvent
avoir un effet sur le taux d’IGF-1. On
n’en sait pas plus actuellement sur la
relation entre la nutrition et le taux
d’IGF-1.
CONCLUSION
ðOn sait que les femmes ménopausées ayant un excès pondéral et une
faible activité physique ont un risque
augmenté de cancer du sein.
Ce risque est également associé à des
taux sanguins élevés d’oestrogènes
et aussi d’androgènes.
Quelques études suggèrent un rôle
d’une hyperinsulinémie liée à l’obésité.
En ce qui concerne les femmes préménopausées, une trop faible activité
physique est également un facteur de
risque, mais, on l’a vu, l’obésité a un
effet plutôt inverse.
Quelques études démontrent clairement l’effet de l’IGF-1 et peut-être de
l’hyperinsulinémie.
Donc, un nombre important de questions restent posées :
- quelle est l’origine de l’excès d’androgènes observé chez la femme ménopausée qui développe un cancer
du sein.
- chez les femmes pré-ménopausées,
quels sont les facteurs qui influent
sur les taux d’IGF-1 ?
- dans quelle mesure le style de vie
et les facteurs environnementaux jouent un rôle?
- enfin, pourquoi l’obésité protège
contre le risque de cancer du sein
avant la ménopause et pourquoi voiton, dans certaines études, une augmentation du risque avec l’insulinémie ?
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Insuline, IGF-1 et cancer du sein
HYPOTHALAM US
GHRH
+
SRIH
PITUITARY
_
GHBP
GH
GH-R
GH-R
IGF-I
Paracrine
Plasma IGF-I by categories of BM I
Autocrine
IGFBPs
IGF-I
Endocrine
LIVER
IGF-R
TARGET TISSUES
IGFBPs
F igur
iguree 5 - T he GH/IGF-1/IGFBP system
16
Médecine Nucléaire -
Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1
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Figure 6 - Regulation of IGF-1 bioactivity by insulin
Insuline, IGF-1 and breast cancer.
The incidence rate of breast cancers, much higher in rich countries, has to be related to
life way including weak physical activity and feeding with high amounts of total and saturated
fats, refined carbohydrates and animal proteins. Group studies have shown an increase in breast
cancer risk in menopausal women who present a moderate hyperandrogenic endocrine profile
type. This profile is often associated with a chronic hyperinsulinemy, often itself induced by obesity
and related insulino-resistance. Such hyperinsulinemy is related to a reduction of the binding
globulin plasmatic levels and can increase the IGF-1 biodisponibility on the target cells. Likely to
insulin, the IGF-1 inhibits the sex hormones binding globulin hepatic production and stimulates
the ovarian steroid production. Moreover the IGF-1 can stimulate directly the development of
breast tumours. As a whole, such findings led to the hypothesis that breast cancer risk is increased
in women with the following features : an increase in the fasting plasma insulin levels, an increase
in IGF-1concentrations at given levels of transport proteins. The hyperinsulinemy and/or the
increased biodisponibility of plasma IGF-1, unrelated to transport proteins, could constitute the
physiological link between the Western way of life, overfeeding, the hyperandrogene steroid hormone profile and the increase in breast cancer risk.
Breast cancer / Insuline / IGF-1 / Menopause / Feeding
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