la musique s'est, elle, déchirée sur la licence globale défendue par les interprètes mais décriée par les
compositeurs.
« La grande force du monde de la culture, c'est qu'il sait se rassembler dès qu'un danger plane sur ses
intérêts », analyse Hervé Digne. D'un coup, la famille parle d'une seule voix. Cette unité lui a permis
de prospérer dans la complicité avec les politiques, de gauche comme de droite. Depuis Malraux, la
politique culturelle en France est un des grands domaines d'intervention de l'Etat incarné par
l'existence d'un ministère de la Culture. Jack Lang, ministre emblématique de François Mitterrand,
ayant même étendu son champ à la bande dessinée... et à la gastronomie. Très actif, le microcosme
de la culture a lui aussi été de toutes les batailles pour lutter contre le rouleau compresseur
américain et protéger la création française, tirant sa légitimité d'un dialogue privilégié avec les
pouvoirs publics. Au point que ces derniers seraient devenus « trop complaisants face à lui », comme
le suggère un observateur ?
Dans les hautes sphères de l'Etat, les messages sont en tout cas entendus. C'est ainsi qu'un soir de
septembre 2010, les grands patrons du septième art ont été reçus à l'Elysée par Nicolas Sarkozy,
obtenant qu'il renonce à relever la TVA acquittée par Canal+. Et dans les nombreux bras de fer qui
l'opposent au lobby des télécoms, la « culture » l'emporte régulièrement.
Le milieu dispose, il est vrai, d'une arme redoutable pour se faire entendre : un pouvoir de
médiatisation inégalé. Il peut mobiliser, dans ses propres rangs, des stars connues du grand public.
En plein débat sur la loi « Création et Internet » rebaptisée Hadopi, on a ainsi vu Juliette Gréco, Pierre
Arditi, Michel Piccoli, Raphaël, Patrick Bruel tacler publiquement le Parti socialiste, hostile au texte.
Occupation permanente du terrain, surmédiatisation... Cela n'empêche pas le modèle hexagonal du
lobby culturel de s'essouffler. « Court-termiste », « miné par un réflexe de citadelle assiégée »,
« dénué d'esprit de conquête » sont des reproches qui émanent de ses détracteurs. La faculté du
microcosme à réclamer régulièrement des nouvelles aides en agace également plus d'un. « Il n'y a
plus de limite à la surenchère ! » s'est indignée dans une tribune publiée par Rue89, la députée Laure
de la Raudière, chargée des dossiers numériques à l'UMP, alors que la filière réclamait la création de
nouvelles taxes sur les fournisseurs d'accès à Internet pour se financer.
A regarder l'étude d'Ernst & Young présentée au Forum d'Avignon, les secteurs du champ culturel
ont toutefois bénéficié de manière variable de la politique du lobby culturel : ainsi, en 2009, dans
l'Hexagone, l'audiovisuel et le cinéma accaparaient, à eux seuls, 80 % du montant des subventions
versées au secteur de la culture. De plus, « la politique menée dans cette filière a conduit à un
saupoudrage des aides », regrette Didier Duverger, banquier chez Coficiné. Un effet du clientélisme
politique ?
Par ailleurs, dans un monde où le numérique abolit les frontières, l'efficacité du lobby culturel
s'affaiblit. Dans un essai au titre évocateur, « Pour en finir avec l'exception culturelle », Philippe
Bailly, fondateur de NPA Conseil, société de conseil en audiovisuel, estime ainsi qu' « à défaut de
favoriser l'émergence de champions nationaux capables de rivaliser avec les géants internationaux,
l'hyper-réglementation française ne protège plus les créateurs eux-mêmes ». « L'exception culturelle
est devenue une exception réglementaire française », analyse-t-il.
Qui plus est, le fossé se creuse « entre les créateurs et les syndicats professionnels, qui, très
conservateurs, freinent les adaptations à la nouvelle donne créée par le numérique. Il faut
maintenant raisonner pour l'avenir », insiste Pascal Rogard.