
16 La communication revisitée par la conversation
échanges ni verbaux ni même verbalisables ; car aussi bien conçue soit-elle,
une chaise ne saurait parler à celui qui s’en sert.
À l’image du fauteuil éponyme inventé au XVIIe siècle pour faciliter les
confidences (deux p laces assises tête-bêche), la « conversation » apparaît
ici telle une mise en condition, un dispositif caractérisé par l’intention
de favoriser la communication entre les possibles participants. Le terme
désigne donc tout à la fois un imaginaire et une pratique possible sans être
nécessairement avérée, dans la mesure où le dispositif préexiste et surv it à
l’usage qui pourrait en être fait. Le fauteuil « conversation » garde son nom
et sa r aison d’être quelle que soit la pratique à laquelle s’adonnent ceux
qu’il accueille : on peut s’y asseoir sans converser, on peut même ne pas s’y
asseoir, la « conversation » demeure.
Ce dossier analyse et discute la notion de « conversation », très répandue
aujourd’hui parmi les professionnels du marketing. Il a pour objectif de
faire parler cette « conversation » qui prétend parler partout et tout le
temps, de la saisir pour mieux comprendre ce dont cet usage florissant est le
symptôme. La cristallisation dans un terme partagé, quasiment consensuel
chez les professionnels de la communication et du marketing, en France
mais aussi en Europe et en Amérique du Nord, offre l’occasion de capter l es
intentions de ses promoteurs. À cette pér iode où la circulation d’idées se fige
en un terme porte-drapeau, les traits du masque se dessinent, le mouvement
donne à voir en même temps sa forme et son sens – dans les deux sens du
terme, c’est-à-dire tant ce qu’il désig ne que l’intention qui le motive.
Le règne de la « conversation » nous renseigne sur les métamorphoses
de la communication d’entreprise (les pratiques des professionnels des
marques et des médias ainsi que celles des consultants qui les conseillent),
mais aussi sur les (auto)représentations effectives et rêvées de la com-
munication en tant que secteur économique. Substituer « conversation »
à « communication » n’est pas un simple effet de style, même si la
« conversation » est dans la plupart des cas métaphorique : toute situation
de communication dans laquelle le destinataire est susceptible d’interagir
tendant à être recatégorisée comme conversationnelle, les distorsions entre
ce qu’est censée être une « conversation » du point de vue de la linguistique
et des sciences de l’information-communication et ce qui est désigné
comme tel dans le champ de la communication organisationnelle sont
manifestes. Mais là n’est pas l’essentiel dans le projet qui anime ce dossier.
Ce qui nous importe principalement, c’est de comprendre pourquoi ce
terme « conversation » suscite un tel engouement : il s’agit d’interroger à
la fois la nouvelle donne dans les pratiques de communication médiatisée,
les liens de causalité entre adaptation des stratégies de communication
communication & langages – n◦ 169 – Septembre 2011