LES DOULEURS NEUROPATHIQUES : GENERALITES NEUROPATHIC PAIN : GENERAL POINTS F. Lisovoski Centre du Rachis - CMC Ambroise Paré - 25, Bd Victor Hugo, 92200 Neuilly-sur-Seine es douleurs neuropathiques représentent une forme fréquente de douleurs chroniques rebelles aux thérapeutiques. Elles ont des caractéristiques spécifiques qui les distinguent des douleurs par excès de nociception. Malgré d’incontestables progrès dans la compréhension de leurs mécanismes, les retombées pratiques en terme de traitement ne sont pas encore concrétisées et les grandes lignes de l’approche thérapeutique n’ont pas varié depuis de nombreuses années. Porter un diagnostic de douleur neuropathique oriente à la fois vers une attitude médicale active mais aussi vers la notion de douleur chronique, difficile à traiter dont il conviendra de lui enseigner la gestion grâce à une prise en charge globale. secondaire à une lésion des voies de la sensibilité périphériques ou centrales. La lésion entraîne des perturbations complexes des neurones nociceptifs : hypersensibilité des récepteurs, perte de spécificité des fibres sensitives, apparition de décharges spontanées au sein des neurones nociceptifs, perte des contrôles inhibiteurs par atteinte des fibres myélinisées, réorganisation des couches neuronales de la corne postérieure de la moelle épinière, hyperactivité du sympathique, hyperactivité des neurones centraux… Cette situation se situe exactement à l’opposé des douleurs par excès de nociception où une lésion tissulaire périphérique excite un système nociceptif intact. L Diagnostic positif d’une douleur neuropathique Mécanisme des douleurs neuropathiques Même si les étiologies sont variées, la séméiologie des douleurs neuropathiques est relativement uniforme. La qualité de la douleur spontanée nécessite une écoute de la plainte du patient, en s’aidant au besoin de La douleur neuropathique est caractérisée par la traduction clinique d’une hyperactivité spontanée ou provoquée des voies de la douleur. Cette hyperactivité est RACHIS - Vol. 16, n°3, Septembre 2004 161 DOSSIER Article original F. Lisovoski Amputation : membre fantôme douloureux. Douleurs post-herpétiques : fréquentes au delà de 50 ans. ● Neuropathies : diabète, toxiques et iatrogènes, infectieuse (SIDA), héréditaires… questionnaires d’adjectifs comme le Questionnaire de Saint Antoine (QDSA) pour plus de précision. Brûlure, picotement, décharge électrique, broiement, chaud/froid sont des éléments très caractéristiques et spécifiques d’une douleur neuropathique. La topographie de la douleur dans un territoire correspondant à une systématisation neurologique. L’examen clinique confirme les altérations de fonctionnement du système nerveux et trouve, selon la terminologie internationale de l’IASP (International Association for the Study of Pain). ● ● Lésions du système nerveux central : ● Atteintes médullaires : un niveau lésionnel hyperesthésique ou allodynique, associé à des douleurs souslésionnelles, des douleurs mécaniques par troubles de la statique, des douleurs à composante musculaire et une spasticité. ● Lésions cérébrales : s’accompagnent souvent d’une hyperpathie (séquelles d’AVC, tumeurs, SEP…). 1- Une hyperalgésie : réponse anormalement intense à une stimulation douloureuse. 2-Une allodynie : réponse douloureuse à une stimulation normalement indolore (tact léger, température modérée, mouvement…), très spécifique des douleurs neuropathiques, et source de handicap fonctionnel : difficulté à l’habillement, à la marche, impossibilité de supporter le contact des draps… Le contexte neurologique n’est pas connu : Les lésions iatrogènes du SN, souvent méconnues, peuvent donner lieu à des douleurs neuropathiques. Leur diagnostic est difficile, par méconnaissance de ce type de mécanisme et parce qu’il existe fréquemment un intervalle libre : les douleurs peuvent être retardées de plusieurs semaines, voire plusieurs mois par rapport à la lésion. Ainsi, les douleurs sur cicatrices ou voies d’abord sont sources d’erreurs diagnostiques conduisant à des réinterventions itératives si la nature neuropathique de la douleur n’est pas repérée. A titre d’exemples : douleurs post-thoracotomie, certaines douleurs dentaires ou faciales après des extractions ou traitements ORL, douleur du crural après abord du Scarpa, syndrome post-mammectomie, sciatalgie chronique après cure de hernie discale. Dans ce dernier cas, en présence d’une lésion irréversible de la racine, qui n’a que peu de rapport avec la fibrose post-opératoire, le risque réside dans des interventions itératives inutiles. 3- Une hyperpathie : réponse douloureuse intense se prolongeant après l’arrêt du stimulus, et impliquant un territoire débordant largement la zone stimulée. Ce symptôme est surtout rencontré dans les lésions centrales (syndrome thalamique). Ces douleurs et cette réactivité coexistent avec des déficits neurologiques, en particulier sensitifs dont l’analyse permet le diagnostic de la lésion neurologique. Des signes de dysfonctionnement sympathique peuvent être constatés à des degrés divers : troubles vasomoteurs, dépilation, troubles des phanères… Etiologies des douleurs neuropathiques Douleurs neuropathiques potentiellement curables : La névralgie du trijumeau, outre les traitements symptomatiques, peut donner lieu à un geste visant à réduire un conflit vasculo-nerveux. Les syndromes canalaires peuvent entraîner un traitement par infiltration ou chirurgie après confirmation EMG. En dehors du classique syndrome du canal carpien, il faut connaître les syndromes plus rares (méralgie paresthésique, atteinte du nerf honteux…). Certaines douleurs peuvent enfin relever d’un mécanisme mixte chez un même patient comme, par exemple, le syndrome de Pancost-Tobias, ce qui souligne la nécessité d’une évaluation précise pour chaque cas. La douleur neuropathique représente une cause fréquente de douleurs chroniques, car la lésion neurologique est souvent définitive, ou sa réparation incomplète. Le contexte neurologique lésionnel est connu : Lésions du système nerveux (SN) périphérique : ● Traumatiques : avulsion du plexus brachial (accident de moto), plaie de nerf (accident, coupure, autolyse…). RACHIS - Vol. 16, n°3, Septembre 2004 162 Les douleurs neuropathiques : généralités Traitement des douleurs neuropathiques Cet effet est démontré par de nombreux essais cliniques contrôlés et confirmé par des méta-analyses mais reste insuffisamment connu ou mentionné dans les RCP. Dans le respect strict des contre-indications (liées à l’effet anticholinergique), il est classique de les essayer sur la composante permanente de la douleur neuropathique (brûlure, étau, paresthésies…). Toutefois, le maniement de ces molécules anciennes reste délicat car les posologies efficaces et la tolérance sont variables, de 15 à 200 mg/j en moyenne chez l’adulte, ce qui nécessite un ajustement individuel. Leur délai d’action est souvent retardé de 3 à 4 semaines. Il est conseillé d’utiliser des doses progressivement croissantes, certaines présentations en gouttes permettent un ajustement très précis, pour limiter les effets secondaires à l’instauration du traitement. De nombreux effets indésirables peuvent limiter la tolérance (sédation, bouche sèche, troubles du transit, hypotension orthostatique, prise de poids, troubles sexuels, tremblements, troubles du rythme cardiaque. Il convient donc de parfaitement accompagner cette prescription (explications, suivi régulier du patient). Il faut souligner l’intérêt pratique des perfusions dans les cas difficiles permettant une meilleure surveillance clinique, gestion quotidienne des effets indésirables, mise en place d’autres méthodes de prise en charge à la faveur de l’hospitalisation. Les molécules possèdent chacune un spectre d’activité neurochimique propre, ce qui rend légitime des essais successifs en changeant de produit en cas de mauvaise réponse clinique. Celui-ci s’avère toujours délicat ne serait-ce qu’en raison de leur caractère classiquement résistant aux antalgiques communément utilisés, quel que soit leur palier selon la classification de l’OMS. Objectifs du traitement Ces douleurs ne répondent pas ou très peu aux antalgiques même morphiniques. Lors d’une utilisation rationnelle de traitements adaptés, les résultats restent le plus souvent incomplets : de 50 à 75 % de répondeurs selon les pathologies, et cette réponse correspond à une atténuation de la sensation douloureuse plutôt qu’une disparition. La prise en charge doit donc être dans l’esprit d’une aide globale, à la fois médicale, mais aussi psychosociale, comme pour toute douleur persistante. L’ancienneté des douleurs représente un facteur péjoratif, ce qui plaide pour un dépistage et un traitement précoce de la composante neuropathique d’une douleur. A la différence des douleurs par excès de nociception, on ne dispose pas de guide précis comme les paliers de l’OMS, et les traitements sont habituellement menés par principes d’essais successifs. On peut toutefois dégager un certain nombre de règles thérapeutiques. Traitements inutiles Des médicaments utilisés traditionnellement (vitamines, neuroleptiques, les tranquillisants…) n’ont jamais fait la preuve de leur intérêt et alourdissent les prescriptions au risque parfois d’effets secondaires. Tous les gestes de destruction non spécifique des voies nerveuses (neurotomie, alcoolisation, cordotomies…), de même que toutes les interventions chirurgicales à la recherche d’une compression persistante (exemple des sciatalgies sequellaires multiopérées) risquent d’aggraver une situation déjà fragile en majorant la source neurologique même de la douleur. On ne dispose en revanche que de peu d’information sur le rôle antalgique des antidépresseurs plus récents, en particulier les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine par manque d’études contrôlées suffisantes. Ces produits, souvent mieux tolérés, représentent toutefois une alternative en seconde intention après échec ou effets indésirables des tricycliques. Les anticonvulsivants S’ils ne disposent de l’AMM que pour la névralgie faciale, les antiépileptiques sont efficaces sur certaines douleurs à composante fulgurante (décharges électriques), ou certaines hyperesthésies. Les produits les plus classiques sont la carbamazépine (Tégrétol®) et le clonazépam (Rivotril®) bien qu’il n’existe pas d’études contrôlées pour ce dernier. Les autres antiépileptiques, comme le valproate de Na (DEPAKINE®), sont traditionnellement moins utilisés et les informations sur ● Les traitements de première intention : Trois modalités thérapeutiques ont une efficacité reconnue et doivent être utilisées largement. Les antidépresseurs tricycliques (Amitriptyline, Clomipramine, Imipramine). Ils possèdent une action antalgique pure, indépendante de l’effet sur l’humeur. ● RACHIS - Vol. 16, n°3, Septembre 2004 163 F. Lisovoski allodynie car la stimulation risque d’être mal tolérée). Elle nécessite la compréhension de la technique et donc une participation active du patient. Les obstacles à cette méthode : manipulation de l’appareil, allergies aux électrodes, épuisement d’effet. leur rôle antalgique restent fragmentaires. Ils peuvent toutefois constituer une alternative possible en seconde intention. L’action antalgique de la gabapentine (NEURONTIN®) s’est confirmée au vu des études contrôlées récentes de bonne qualité sur des douleurs post-zostériennes et les neuropathies diabétiques. L’utilisation de ce produit est désormais très largement diffusée parmi les prescripteurs notamment en raison de sa bonne tolérance. L’oxcarbazépine (Trileptal®), analogue structural de la carbamazépine, semble dotée d’un effet antalgique comparable et d’une incidence d’effets indésirables notamment hépatiques beaucoup plus faible. L’action antalgique des antiépileptiques serait un plus rapide que celle des antidépresseurs. Le contrôle des taux plasmatiques n’a pas d’intérêt pour préjuger de l’efficacité antalgique mais permet d’apprécier l’observance ou d’apporter la confirmation d’une suspicion clinique de surdosage. Les effets indésirables communs à cette classe sont principalement l’effet sédatif et des troubles de l’équilibre. La carbamazépine présente des effets indésirables propres importants et nécessite un suivi attentif : - ataxie et confusion en début de traitement, notamment en cas de progression trop rapide des doses, - réactions immunoallergiques (rash cutanés, adénopathies) imposant l’arrêt immédiat du traitement, - leucopénie, hépatite, hyponatrémie (contrôle biologique nécessaire), - interactions médicamenteuses multiples. Les traitements de seconde intention En cas de douleur neuropathique rebelle, une consultation spécialisée en centre de traitement de la douleur est alors indispensable, pour décider de l’indication de techniques plus lourdes. Il convient nécessairement d’associer l’aspect médical ou technique cette prise en charge à une approche globale de soutien psychologique, familial et social. Il est alors possible de proposer d’autres médicaments, dont les indications dérivent des meilleures connaissances fondamentales sur la douleur neuropathique, mais qui restent à ce jour en cours de validation et qui ne peuvent être utilisés que par des équipes spécialisées : anesthésies locaux par voie générale (perfusions de xylocaïne), morphiniques (le débat est loin d’être clos sur leurs utilisations dans cette indication mais rien actuellement ne justifie leur prescription en première intention), antiNMDA (kétamine), traitement intrathécaux… La place de la neurochirurgie fonctionnelle doit être discutée. Sans parler du traitement neurochirurgical de la névralgie faciale qui est bien codifié, de grand progrès proviennent des techniques fonctionnelles de stimulation implantée (évoquées plus loin dans ce numéro) : stimulation cordonale postérieure (douleurs neuropathiques radiculaires post-chirurgicales, certaines artérites) ou stimulation cérébrale thalamique ou corticale (douleurs neuropathiques faciales, douleurs centrales post AVC). L’évaluation préchirurgicale doit intégrer tant des facteurs neurologiques que l’équilibre psychosocial du patient dont dépend la qualité des résultats. ● La neurostimulation transcutanée (TENS). Elle concerne l’application pratique de la théorie du Gate Control qui indique que la stimulation des fibres sensitives myélinisées du tact léger bloque la transmission de l’influx des fibres nociceptives amyéliniques dans la corne postérieure de la moelle. En pratique, un appareil miniature porté en permanence et contrôlé par le patient lui procure des paresthésies qui masquent la douleur spontanée. Deux contre-indications : pace maker, grossesse. Cette méthode s’adresse aux douleurs neuropathiques d’intensité modérée en l’absence de troubles majeurs de la sensibilité (anesthésie complète qui signe une destruction des fibres A béta, ou RACHIS - Vol. 16, n°3, Septembre 2004 Il faut aussi mentionner une technique de destruction chirurgicale limitée à la DREZ (Dorsal Root Endry Zone) pour des douleurs secondaires à une avulsion ou un envahissement du plexus brachial. ■ 164