collusion et comportements dynamiques en oligopole : une synthese

Collusion et comportements dynamiques en oligopole : une synthèse
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COLLUSION ET COMPORTEMENTS DYNAMIQUES
EN OLIGOPOLE : UNE SYNTHESE
Thierry PENARD
CREREG, Université de Rennes 1
Section 1. Introduction
Les premières théories de l’oligopole se sont développées dans un cadre
statique, même si l’utilisation de « fonctions de réaction » dans l’équilibre de
Cournot pouvait laisser penser le contraire. Shapiro ([1989b], p353) rappelle
« qu’on ne peut pas analyser correctement un oligopole dynamique en utilisant
des courbes de réaction à la Cournot, car il est fort improbable qu’elles
représentent des réponses dynamiques optimales »1. Comme tout équilibre de
Nash2, l’équilibre de Cournot correspond à une situation dans laquelle aucune
firme n’a intérêt à modifier ses choix ou ses actions. Dans un duopole, cet
équilibre peut être localisé comme le point d’intersection des courbes de meilleure
réponse, mais en aucun cas il ne peut être pensé comme un processus dynamique
de coordination. Shapiro constate que les variations conjecturales (Bowley [1924])
1 Friedman [1977] formule des critiques similaires.
2 Sur ce point, Léonard [1994] montre combien les travaux de Nash (qui d’ailleurs n’avait jamais
lu Cournot !) ont modifié la perception de la solution proposée par Cournot. L’analyse de Cournot,
très critiquée entre autres par Fellner [1949] qui la jugeait dynamique, contradictoire et non
réaliste, a été réinterprétée et reconstruite dans les années 60 comme une solution statique et
cohérente pouvant fournir un fondement historique à l’équilibre de Nash.
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ou la courbe de demande coudée (Sweezy [1939]) correspondent aussi à une
approche statique de la concurrence oligopolistique.
Les jeux répétés à horizon infini sont à l’origine de la première approche
dynamique de la concurrence oligopolistique. Cette approche s’est
essentiellement intéressée à l’interdépendance stratégique des décisions des
firmes et à leur impact sur les possibilités de collusion. Elle permet de renouveler
l’analyse classique des structures de marché et des comportements collusifs, menée
jusqu’alors dans un cadre statique et souvent en dehors de la théorie des jeux.
Cet article s’organise autour des trois idées suivantes. La première idée est
que la collusion ne peut émerger que si les firmes s’accordent sur un minimum de
règles communes relatives au choix du point d’équilibre parmi les multiples
équilibres possibles et aux modalités de punitions si l’une des firmes venait à
dévier de cet équilibre. La collusion tacite ne peut donc pas se concevoir sans un
minimum de communication ou de coordination entre les firmes.
Nous insistons aussi sur l’idée que les marchés sont structurellement plus
ou moins porteurs d’incitations à la collusion. Nous établissons une distinction
importante entre les facteurs qui facilitent la conclusion d’un accord de collusion
tacite et ceux qui facilitent l’auto-exécution de cet accord.
Enfin, nous montrons qu’à travers leurs choix d’investissements, les firmes
peuvent rendre le marché structurellement plus favorable à la collusion. Cette
dernière idée permet d’analyser un certain nombre de pratiques et
d’investissements comme une aide stratégique à la collusion (facilitating devices
en anglais).
Dans la section 2, nous définissons la collusion tacite. Dans la section 3,
nous présentons un test d’évaluation des structures porteuses d’incitations à la
collusion et nous l’appliquons à différents facteurs structurels (concentration,
nature de la demande,...). Ce test est construit à partir des stratégies de déclic de
Friedman [1971]. Dans la section 4, nous analysons les effets stratégiques des
investissements sur les possibilités de collusion à l’aide de la taxonomie
animalière de Fudenberg et Tirole [1984].
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Section 2. La collusion
2.1 Les problèmes liés à la collusion
Les travaux pionniers de Orr et Mac Avoy [1965] et de Osborne [1976] sur
les cartels3 ont dégagé quatre problèmes communs à toutes les ententes explicites
ou tacites : l’accord sur une solution unique parmi les multiples solutions offertes,
la détection des déviations lors de l’exécution de cette solution, leur punition et
l’entrée de nouvelles firmes sur le marché. Commençons par ce dernier point.
La menace d’entrée :
La menace d’entrée est à l’origine d’un paradoxe : une industrie collusive
peut être caractérisée par des profits agrégés inférieurs à ceux d’une industrie
non collusive. Comme le montre Selten [1984], la collusion stimule les entrées de
nouvelles firmes et diminue la concentration et les profits sur le marché4. La libre
entrée est certainement le principal obstacle à la collusion. Toutefois, les études
d’Harrington [1989], Stenbacka [1990], Friedman et Thisse [1993a] ont montré
qu’il était possible de soutenir la collusion sur un marché avec libre entrée. Dans
ces trois modèles, les firmes en place s’accordent sur des schémas de punitions à
appliquer aux nouveaux entrants. Comme ces punitions sont dégressives avec le
temps, chaque entrant est incité à participer honnêtement à sa propre punition.
De plus, comme en moyenne il gagne moins que les firmes en place, il suffit qu’il
existe un coût d’entrée même très faible pour que les firmes en place puissent
obtenir un profit collusif positif sur un marché de libre entrée.
3 Pour une description du fonctionnement des cartels européens dans l’entre-deux guerres
(aluminium, acier, nitrogène.,...), on peut consulter Stocking et Watkins [1946].
4 Asch et Seneca [1976] à partir de deux échantillons de firmes américaines, le premier composé
de firmes poursuivies pour entente et le second de firmes qui n’ont jamais été poursuivies,
estiment que les firmes collusives sont moins profitables que les firmes non collusives. Ils
avancent deux explications à ce résultat quel que peu surprenant. D’une part, les industries peu
performantes auraient plus d’incitations à s’entendre si bien que leurs profits collusifs resteraient
en moyenne inférieurs aux profits des industries plus performantes. D’autre part, les firmes
poursuivies seraient celles qui auraient le plus de difficultés à soutenir discrètement une entente.
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Phase d’accord et phase d’exécution d’une collusion :
Si les barrières à l’entrée sont suffisamment élevées pour dissuader toute
entrée, les firmes peuvent se concentrer sur les trois autres problèmes identifiés
par Osborne. Les firmes apportent des réponses à ces problèmes de manière
séquentielle. En effet, toute collusion comporte deux phases distinctes, une phase
d’accord et une phase d’exécution. Dans la première phase, les firmes se
concertent, communiquent entre elles et essaient de faire converger leurs vues
sur une solution d’accord et sur des règles de punitions pour soutenir cet accord.
Dans la seconde phase, les firmes appliquent l’accord, en se surveillant
mutuellement et déclenchent les punitions prévues dès qu’une déviation est
détectée.
Les problèmes auxquels sont confrontées les firmes sont plus ou moins
grands selon la qualité des informations des firmes.
Une information incomplète sur la demande et les coûts des rivaux rend
plus difficile le choix d’un point d’accord5 et donne naissance à un problème de
sélection adverse dans la phase d’accord. Une observation imparfaite des choix
rivaux rend plus difficile la détection des déviations et donne naissance à un
problème de risque moral dans la phase d’exécution. Ces deux obstacles à une
coordination parfaite sont traités différemment selon que les firmes participent à
une entente légale ou illégale.
Les problèmes informationnels d’une entente légale :
Dans le cas d’une entente légale, les firmes font face essentiellement à un
problème de sélection adverse. En effet, le risque moral est limité par la
possibilité de signer des contrats juridiquement exécutoires ou de concevoir un
5 Car les firmes ne connaissent pas l’ensemble des accords soutenables et notamment les accords
Pareto-optimaux ou la surface de contrats.
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arrangement institutionnel avec ses propres mécanismes de contrôle et de
sanction en cas de non respect par l’une des parties de ses obligations6.
Si les firmes détiennent de l’information privée sur leurs coûts ou sur les
conditions du marché, la recherche d’un accord optimal passe par la révélation de
cette information7. Toutefois, il existe toujours des contrats qui peuvent forcer les
firmes à révéler honnêtement cette information. Par exemple, Kihlstrom et Vives
[1992] examinent les allocations de production optimales dans un contexte
d’information asymétrique sur les coûts. Ils considèrent les contraintes
d’incitations et de participation que doit satisfaire l’accord selon que les firmes
ont la possibilité de se retirer ou non du cartel, une fois les coûts connus8.
Les problèmes informationnels d’une entente illégale :
Une entente illégale est confrontée aux mêmes problèmes qu’un cartel
légal, mais ne dispose pas des mêmes facilités pour les surmonter. Comme les
firmes doivent dissimuler et limiter leur concertation, pour ne pas attirer
l’attention des autorités concurrentielles, un mode de coordination organisé ou
explicite (sous la forme d’un cartel secret) apparaît très risqué. La convergence
vers un accord optimal est alors difficile surtout si les firmes disposent
d’informations privées. De plus, les firmes ne peuvent dissuader les déviations
que par des punitions de marché (c’est à dire par des guerre de prix) à la
différence d’un cartel légal qui peut recourir à des exclusions ou à des amendes.
6 En revanche, se pose la question de la stabilité interne et externe des cartels et de leur
robustesse aux déviations de coalition. Voir par exemple d’Aspremont, Gabszewicz, Jacquemin,
Weymark [1983] ou Donsimoni [1985].
7 En information complète, le seul problème peut venir d’une asymétrie dans les coûts.
Schmalensee [1987] donne quelques exemples de technologies d’accord de cartel pour surmonter
l’asymétrie de coûts : le partage des marchés par quotas ou par zone géographique, les paiements
compensatoires, la réduction proportionnelle de la production. Une fois la technologie choisie,
Schmalensee énumère quelques solutions conceptuelles (dont celle de Nash et celle de Kalai-
Smorodinski) permettant de choisir un point unique sur la frontière des profits (appelée la surface
de contrat). Dans la réalité, nous savons très peu de choses sur les raisons qui poussent les firmes
à converger vers un point d’accord plutôt qu’un autre et la question se pose de savoir si cette voie
de recherche doit être menée dans le cadre des jeux coopératifs de marchandage ou dans le cadre
des jeux répétés non-coopératifs.
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