Ce dossier porte sur les variations linguistiques au sein de la langue française. Dans le document 1, au titre provocateur, Comment
tu tchatches !, (1998), Jean Pierre Goudailler montre comment enseignants et élèves peuvent ne pas se comprendre, faute d’une
langue commune. Le document 2, une article du Monde écrit par Alain Kihm, analyse aussi les différences entre la langue des
banlieues et le français « standard ». Victor Hugo, dans le document 3, extrait de son célèbre roman Les Misérables, se lance dans
une éloquente défense et illustration de l’argot. Enfin, le document 4, une des Histoires Pressées de Bernard Friot, illustre avec
humour la question des registres de langue. Ce corpus de texte pose la question de la coexistence de différentes variantes
linguistiques en français. Si ce sont surtout les variations linguistiques d’en bas qui sont évoquées dans le dossier, celles-ci sont
perçues par les uns comme une richesse alors que d’autres y voient une source de problème.
Quand on parle de » langue française », on a tendance à entendre une langue unique, standardisée (textes 1 et 2 ), identique pour
tous, véritable langue « circulante » pour le T1, qui parle à son propos de langue cible, c’est-à-dire langue à atteindre, à viser. On a
coutume de repérer dans cette langue des registres, familier et soutenu, illustrés par les deux personnages du père professeur de
« langue et littérature française » et de l’enfant dans le texte 4. Or les différents locuteurs parlent des langues parfois éloignées de
cet idéal. L’argot - langue du peuple, langue des voleurs, langue des bagnards – est l’une de ces variations, pour Victor Hugo, qui
va plus loin en précisant que chaque corps de métier possède son argot, son vocabulaire propre. Ces variations sont propres à des
générations (le texte 1 oppose ainsi la langue des élèves à celle de leurs enseignants), à des milieux géographiques et sociaux
(langue des cités, langue des banlieues pour les textes 1 et 2). S’agit-il de la même langue, ou notre pays est-il actuellement en
situation de diglossie, avec une langue de l’élite et une langue du peuple nettement séparées, au point que certains locuteurs
francophones, constate le document 2, se trouvent en situation de bilinguisme et ont à apprendre, à l’école, une langue différente ?
Ces constats sont aussi partagés par le document 1, qui va jusqu’à parler de « fracture linguistique », allusion à la fameuse
« fracture sociale », thème de campagne de Jacques Chirac en 1995.
Pour certains, ces variations linguistiques participent de la richesse- voire de la vigueur et de la bonne santé – de la langue. Les
linguistes indiquent qu’il s’agit de formes différentes, égales (texte2), que l’on doit accepter, et que l’on peut analyser. Ainsi le
texte 1 suggère-t-il qu’on peut, avec des élèves – établir le dictionnaire de leurs propres usages et de leurs propres mots.
Si les linguistes voient avec une certaine neutralité ces variations, les écrivains les voient avec un œil favorable. Ainsi, pour un
Bernard Friot, cette situation permet la création d’une fiction humoristique, par laquelle il se joue du personnage du père, qui fait
semblant de ne pas comprendre la langue courante de son fils, mais utilise un vocabulaire et une syntaxe du même niveau quand il
a pris conscience des dégâts causés à la moquette par la blessure de son fils. Si Bernard Friot cherche à amuser son lecteur, voire à
le faire réfléchir sur la cuistrerie des pédants, Victor Hugo voit dans les variantes linguistiques une richesse. C’est d’abord la façon
dont chaque corps de métier enrichit la langue par ses usages propres (lexicaux, voire syntaxiques). Mais l’argot – au sens
premier, langue des voleurs qui ne veulent pas se faire comprendre de la police - représente pour lui un usage de la langue, dans
lequel il retrouve des valeurs qui fondent sa propre esthétique : s’il y a des « argots » héroïques et sublimes – la langue des gens de
mer – il y a aussi des argots hideux… et il faut là se souvenir que Quasimodo le bossu est un héros de Notre Dame de Paris. Les
métaphores de l’argot, ses sonorités, ont un côté poétique, en harmonie parfaite avec les basfonds.
En revanche, pour d’autres, cette coexistence d’une langue du peuple et d’une langue de l’élite pose de nombreux problèmes.
C’est d’abord les difficultés de compréhension qui sont pointées. Si le texte de Bernard Friot montre que cette incompréhension
est toute relative et qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, plus sérieusement, le témoignage de la Conseillère
d’éducation citée dans le texte 1 montre que cette incompréhension va souvent de pair avec le sentiment d’être agressé. Pire,
l’école, qui exclut les formes non standardisées de la langue, risque d’être facteur d’exclusion pour les locuteurs de ces variantes
« d’en bas » : on pense en particulier à l’attitude stigmatisante à l’égard de ce type de pratiques langagières de l’école du début du
XXème siècle (texte 1). Au fond, c’est que l’élite, la bonne société, ne veut pas reconnaitre le peuple et sa langue. C’est ce
qu’Hugo constatait dans les Misérables, lorsqu’il commente la réception de son récit le Dernier jour d’un condamné à mort.
S’instaure alors, pour l’élite au pouvoir, une hiérarchie entre les langues, la langue des cités étant alors caractérisée de façon très
négative, pour un Alain Bentolila cité dans le texte 2, par ses carences, son déficit, son inaptitude à évoquer autre chose qu’un
univers connu, son organisation approximative. Mais ces locuteurs qui ne sont pas « héritiers » de la belle langue risquent de se
trouvent en insécurité linguistique, selon le texte 1, ayant conscience que leurs usages propres sont loin de ceux qui assurent la
promotion et la réussite sociale.
Ce dossier de texte tend donc à montrer que, pour une certaine élite, poètes, écrivains, linguistes, la variation linguistique
maitrisée, comprise, analysée est une richesse, mais que la seule maitrise d’une variation d’en bas entraine l’exclusion sociale.
C’est donc le rôle de l’école, un de ses rôles fondamentaux, que de ne pas dénigrer la langue de chacun, dans ce qu’elle exprime
ce que chacun a de plus intime, mais de travailler sur les variations, les analyser, afin de permettre à tous d’accéder à une langue
standard.