réalités en rhumatologie # 48_Octobre 2012 Repères pratiques Thérapeutique Comment remplacer le dextropropoxyphène et le clonazépam en consultation ? rise en charge des douleurs [ Paprès l’arrêt du DXP 1. Dans les douleurs aiguës ➞P. VERGNE-SALLE Service de Rhumatologie et Unité de la Douleur, CHU Dupuytren, LIMOGES. L’ arrêt du dextropropoxyphène (DXP) et les restrictions d’utilisation du clonazépam ont laissé le monde médical de la douleur et de la rhumatologie démuni tant ces prescriptions étaient fréquentes. Le DXP a été arrêté suite à un avis défavorable de l’Agence européenne du médicament en juin 2009, après une nouvelle étude aux Etats-Unis ayant montré un risque d’effets indésirables cardiaques, à des doses équivalentes au double des doses thérapeutiques recommandées en France. Le retrait définitif en France a été repoussé en septembre 2011. Pour le clonazépam, l’Affsaps a mis en place des restrictions de prescription dont l’application a été repoussée au 15 mars 2012, pour favoriser son bon usage et limiter les prescriptions hors AMM (AMM uniquement dans l’épilepsie). La prescription doit désormais être réalisée sur ordonnance sécurisée en toutes lettres, sans chevauchement des prescriptions sauf mention expresse sur l’ordonnance, avec une prescription initiale et un renouvellement annuel réservés aux neurologues et aux pédiatres. Ces restrictions sont justifiées par un rapport bénéfice/risque non établi dans le traitement de la douleur, avec une absence de preuves scientifiques d’efficacité dans la douleur et des risques iatrogéniques (pharmacodépendance, altération des fonctions cognitives, risque de chute chez les personnes âgées). 28 Les recommandations 2011de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM, ex-Afssaps) préconisent dans les douleurs faibles à modérées d’optimiser la dose de paracétamol (4 g/j chez l’adulte et 3 g/j chez les sujets âgés), puis dans les douleurs modérées à intenses de passer à un AINS à dose antalgique en cure courte ou un opioïde faible (codéine, tramadol) et enfin à des opioïdes faibles ou forts dans les douleurs intenses [1] (fig. 1). Bien entendu, il est nécessaire d’évaluer de façon rapprochée la douleur pour modifier rapidement le traitement en cas d’inefficacité. Le tramadol peut être prescrit avec des formes à libération prolongée (LP) 2 fois/j associées à des formes à libération immédiate (LI) en interdoses en cas de pics douloureux, sans dépasser la dose maximale de 400 mg/j. Pour les opioïdes forts, il est préférable de réaliser une titration avec une association de formes LP et de formes LI en interdoses, et uniquement des formes LI et de faibles doses chez les sujets âgés, tout en prévenant systématiquement la constipation même en cure courte [2]. 2. Dans les douleurs chroniques Les recommandations de l’ANSM préconisent dans un premier temps de faire une nouvelle évaluation complète de la douleur : intensité de la douleur et ses différentes composantes (nociceptive et/ou neuropathique, composante affectivo-émotionnelle, socioprofessionelle, handicap), âge, terrain, comorbidités, traitements reçus et leur dose, attentes du patient, etc. Les thérapeutiques de remplacement du DXP proposées par les recommandations sont le paracétamol à dose optimale et réalités en rhumatologie # 48_Octobre 2012 Evaluation de la douleur (intensité, étiologie…) Bilan des traitements pris Douleur aiguë nociceptive Douleur légère à modérée Paracétamol à dose optimale (500 mg ou 1g par prise, max 3 ou 4 par jour) Douleur modérée à intense AINS à dose antalgique en cure courte OU Antalgique de palier II Douleur intense Antalgique de palier II OU Antalgique de palier III si douleur très intense Douleur chronique récurrente avec composante nociceptive Douleur contrôlée avec 2 à 4 gélules par jour de DXP/P ou DXP/P/C : – Paracétamol à dose optimale (500 mg ou 1g par prise, max 3 ou 4 par jour) – Efficacité insuffisante : antalgique de palier II à dose faible avec titration progressive Douleur contrôlée avec une posologie supérieure à 4 gélules par jour de DXP/P ou DXP/P/C : – Antalgique de palier II à dose moyenne, avec ou sans complément de paracétamol sans dépasser une dose totale de 3 ou 4 g de paracétamol par jour – Réévaluation après 1 semaine : augmenter progressivement la dose de l’antalgique de palier II et diminuer la dose du complément de paracétamol en conséquence Fig. 1 : Prise en charge des douleurs de l’adulte modérées à intenses, tiré de [1]. les opioïdes faibles, les AINS étant plutôt réservés aux poussées douloureuses inflammatoires, en cure courte, en raison de leur effets indésirables digestifs, cardiovasculaires et rénaux au long cours [1] (fig. 1). Cependant, les opioïdes faibles, même à dose optimale, ne sont pas toujours suffisants et ne sont pas dénués d’effets indésirables. En effet, 10 à 15 % de la population ne possède pas l’équipement enzymatique (CYP2D6) nécessaire à la transformation de la codéine et à son efficacité antalgique. Chez les métaboliseurs lents, le tramadol peut également avoir un effet opioïde aboli et un effet monoaminergique amplifié générant des effets indésirables. En termes d’effets indésirables, ils peuvent être responsables de somnolence, de constipation, de nausées, de dysurie et de dépendance, notamment le tramadol. Il est possible d’utiliser le néfopam (Acupan), antalgique d’action centrale non opiacé, dont la forme parentérale est utilisée par voie orale, sans dépasser 120 mg/j et en respectant les contre-indications (troubles prostatiques et glaucome à angle fermé en raison des effets anticholinergiques, épilepsie). L’avantage est qu’il peut être associé au paracétamol et aux opioïdes faibles et forts. Dans certaines situations, il peut être justifié de prescrire des opioïdes forts dans la douleur chronique en cure courte dans les poussées douloureuses ou parfois au long cours. Les indications concernent le plus souvent des douleurs rebelles et réfractaires aux prises en charge médicamenteuses et non médicamenteuses recommandées dans la pathologie. Ces indications sont reprises dans les recommandations de Limoges mises à jour en 2011 [2, 3]. Par exemple, dans l’arthrose de hanche et de genou, les opioïdes forts peuvent être proposés après échec ou insuffisance d’action des traitements habituellement recommandés, ou lors d’une contre-indication à la chirurgie ou en attente de celle-ci. Cette prescription doit être entourée de précautions et faire notamment l’objet d’une surveillance rigoureuse et régulière de son efficacité avec des objectifs pré-établis précis, mais aussi de ses effets indésirables. La recherche d’un mésusage ou de signes de dépendance doit être systématique. Enfin, les techniques antalgiques non médicamenteuses font partie de la prise en charge globale des douleurs rhumatologiques et peuvent permettre de limiter les doses de médicament : kinésithérapie, balnéothérapie, TENS endorphinique, techniques cognitivo-comportementales, acupuncture, etc. Il ne faut pas non plus oublier de traiter une éventuelle composante neuropathique par les traitements recommandés (cf. chapitre sur le clonazépam). remplacer le clonazépam [ Cenomment consultation ? Il est nécessaire, dans un premier temps, d’évaluer la douleur, sa prise en charge thérapeutique et les attentes du patient. Les difficultés de sevrage doivent être anticipées en recherchant notamment des signes de dépendance, des troubles psychiatriques associés (troubles anxieux et/ou dépressifs) qui devront être pris en charge avant d’entreprendre l’arrêt. 1. Comment arrêter le clonazépam ? Selon les recommandations de l’ANSM, il doit être arrêté de façon très progressive, sur une durée variant de 4 à 10 semaines, en fonction de la dose [4]. Mais cet arrêt peut être prolongé davantage, sur plusieurs mois. Le passage de la forme cp (cp 29 réalités en rhumatologie # 48_Octobre 2012 Repères pratiques Thérapeutique Monothérapie en première intention Anti-épileptiques Gabapentine Prégabaline ou anti-dépresseurs tricycliques ou anti-dépresseurs mixtes (venlafaxine, duloxétine) Neuropathie focale : lidocaïne patch Tramadol Capsaïcine Association de traitements dans les réponses partielles Opioïdes Fig. 3 : Stratégie thérapeutique médicamenteuse des douleurs neuropathiques, inspirée des recommandations françaises et européennes [5, 6]. 2. La prise en charge de la douleur Fig. 2 : Questionnaire DN4. Diagnostic très probable de douleur neuropathique pour un score ≥ 4/10 (tiré de Bouhassira D et al. Pain, 2005 ; 114 : 29-36). à 2 mg) à la forme buvable (2,5 mg/mL, soit 0,1 mg par goutte) peut aider au sevrage progressif. Par exemple, pour un patient prenant 20 gouttes, il est envisageable de diminuer de 25 % la première semaine, puis par palier de 3 à 4 gouttes toutes les semaines jusqu’à 8 gouttes, et enfin par palier d’une goutte tous les 7 jours. Si la posologie initiale est plus élevée, les paliers seront de 5 à 10 gouttes. Si des complications se présentent, il est possible de revenir au palier antérieur et de le prolonger un peu plus. Des consultations régulières d’accompagnement doivent être programmées. Il faut informer les patients des symptômes pouvant survenir à l’arrêt (insomnie, nervosité, agitation, céphalées, etc). En cas de difficultés avec des troubles anxieux ou des troubles du sommeil, des thérapies non médicamenteuses et l’aide d’un médecin psychiatre peuvent être nécessaires, la prescription de benzodiazépines en remplacement étant à éviter. 30 Concernant la douleur, une évaluation de la composante neuropathique de la douleur devra être réalisée : le questionnaire DN4 permet de rechercher facilement cette composante (fig. 2). Ainsi, si une composante neuropathique est présente, un traitement des douleurs neuropathiques pourra être débuté dès le début de la diminution des doses de clonazépam en suivant les recommandations françaises et européennes [5, 6] (fig. 3). La douleur neuropathique, si elle reste focale, pourra répondre à l’application locale de patch de lidocaïne et à la neurostimulation transcutanée. Si la douleur est plus étendue, un traitement par anti-épileptiques (gabapentine ou prégabaline) ou par anti-dépresseurs inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (venlafaxine, duloxétine) ou tricycliques peut être envisagé. Le choix entre les deux sera dicté par les antécédents, les éventuelles contre-indications et les comorbidités. En effet, la présence d’un éventuel syndrome dépressif orientera la prescription vers un anti-dépresseur, les troubles anxieux isolés pouvant être améliorés par la prégabaline. Dans tous les cas, ces traitements médicamenteux doivent être débutés à faible dose, avec une augmentation progressive de la posologie pour atteindre le meilleur rapport efficacité/tolérance. Cette “titration” avec de faibles doses initiales pourra être débutée dans la phase de décroissance du clonazépam pour prendre le relais. réalités en rhumatologie # 48_Octobre 2012 Enfin, la prise en charge des douleurs doit être globale et repose sur l’association de mesures pharmacologiques et non pharmacologiques. Bibliographie 1. Prise en charge des douleurs de l’adulte modérées à intenses. Mise au Point du 4.08.2011, ANSM. http://ansm.sante.fr 2. P errot S, Bannwarth B, Bertin P et al. Utilisation de la morphine dans les douleurs rhumatologiques non cancéreuses : Les recommandations de Limoges. Rev Rhum, 1999 ; 66 : 651-657. 3. V ergne-Salle P. Les recommandations de Limoges sur les opioïdes forts dans les douleurs ostéo-articulaires chroniques. Communication orale au 23e Congrès Français de Rhumatologie, Paris, 28 novembre1er décembre 2010. 4. Clonazépam (RIVOTRIL) per os utilisé hors AMM. Mise au point ANSM. http://ansm.sante.fr 5. Martinez M, Attal N, Bouhassira D et al. Les douleurs neuropathiques : diagnostic, évaluation, traitement en médecine ambulatoire. Recommandations pour la pratique clinique de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur. Douleur Analg, 2010 ; 23 : 1-16. 6. A ttal N, Cruccu G, Baron R et al. EFNS guidelines on the pharmacological treatment of neuropathic pain : 2010 revision. Eur J Neurol, 2010 ; 17 : 1 113-1 123. POINTS FORTS û Dans la douleur aiguë, selon l’intensité de la douleur, le dextropropoxyphène (DXP) peut être remplacé par du paracétamol à dose optimale, des opioïdes faibles (tramadol, codéine), des AINS à faible dose, voire des opioïdes forts en cure courte dans les douleurs intenses. û Dans les douleurs chroniques, la première étape consiste à évaluer précisément les différentes composantes de la douleur de manière à adapter POINTS la prise en FORTS charge globale avec des thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses. û Pour les patients sous clonazépam, l’arrêt doit être très progressif en anticipant les difficultés de sevrage et la prise en charge d’éventuels troubles psychologiques associés. Un relais peut être pris par un anti-épileptique (gabapentine ou prégabaline) ou un antidépresseur (tricyclique ou inhibiteur mixte) s’il existe une douleur neuropathique. Un traitement local par neurostimulation transcutanée ou patch de lidocaïne doit être privilégié dans les douleurs neuropathiques focales. L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts concernant les données publiées dans cet article. 31