
2 Éditorial
propose un «tarif »pour l’isolement supérieur à celui d’une
prise en charge sans isolement. Mais parallèlement, on peut
craindre que l’isolement en psychiatrie soit renforcé par le
biais de cette «incitation »tarifaire. La même probléma-
tique peut être soulevée pour les modes de placement des
patients.
Quant à l’échelle AVQ, son remplissage dans le cadre du
RIM-P va conduire à son utilisation dans la pratique clinique
en permettant aux professionnels d’évaluer ponctuellement
ou de manière répétée les difficultés de fonctionnement
des patients. Or, un outil ne peut être considéré comme
fonctionnel que s’il présente des qualités de mesure et
il a été démontré dans un travail récent que les qualités
métrologiques de cette échelle étaient hétérogènes [2]. Plu-
sieurs propriétés apparaissaient insuffisantes posant ainsi la
question de la pertinence de son utilisation. L’échelle AVQ
mesure préférentiellement les soins personnels et se rap-
proche plus d’une échelle d’autonomie physique et pratique
des personnes âgées. Or il a été montré que le concept
d’autonomie ne se superposait pas totalement dans les
maladies somatiques et psychiatriques [10,11]. L’échelle
AVQ peut apparaître pertinente pour mesurer une inca-
pacité fonctionnelle d’accomplissement de tâches dans la
cadre d’une maladie somatique, mais elle semble moins bien
saisir une incapacité liée à une perte de l’évidence naturelle
et à une difficulté de situer une tâche dans un contexte
global doué de sens.
Les diagnostics pour financer l’activité en
psychiatrie ?
Une deuxième interrogation concerne l’utilisation des
diagnostics dans le financement de la psychiatrie. Les
diagnostics sont sensés prédire le niveau de consomma-
tion de ressources de patients (diagnosis-related group)
en fonction du diagnostic principal, d’éventuelles inter-
ventions ou prise en charge spécifiques et de diagnostics
secondaires indiquant ou non des complications ou comor-
bidités. Or il a été démontré en psychiatrie que les
diagnostics n’expliquent en rien les différences de coûts
entre patients, ainsi que les variations de durée de séjour
[9,12]. Il est donc actuellement admis que le modèle de
financement de la psychiatrie ne pourra pas être simple-
ment une adaptation des modèles de financement de la
médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) et qu’il constitue en
soi une innovation. À ce titre, des études impliquant des
ressources importantes et du temps sont nécessaires. En
d’autres termes, la question qui se pose ici est de savoir
si l’analyse des données issues du RIM-P permettra de pro-
poser un modèle de financement pertinent dans un avenir
proche.
Par ailleurs, les interrogations portent également sur la
pertinence d’un modèle qui serait construit à l’aide de la
CIM-10 [13] alors que la CIM-11 et le DSM-V sont attendus
à partir de 2012. La CIM-10, utilisée depuis 1992, a fait
l’objet de nombreux travaux en psychiatrie qui ont permis
d’identifier un certain nombre de «faiblesses ». Il a notam-
ment été mis en avant l’absence de validité scientifique
et d’utilité de certaines catégories diagnostiques [14].Ila
été montré que la combinaison de représentations dimen-
sionnelles (comme les symptômes positifs, négatifs, de
désorganisation, dépressifs, maniaques, et neurocognitifs)
et catégorielles (CIM-10 ou DSM-IV) était plus utile sur le
plan clinique que l’utilisation isolée d’une classification
catégorielle [8,14]. Par ailleurs, si certains patients ou
proches peuvent trouver utile un diagnostic dichotomique,
d’autres le trouvent stigmatisant. Des groupes de travail
développant la future CIM vont donc proposer des solutions
sur les difficultés diagnostiques énoncées ci-dessus.
En conclusion, le RIM-P devrait permettre de décrire plus
précisément les activités des établissements de psychia-
trie et aider ainsi à l’élaboration d’un nouveau modèle de
financement prenant en compte des exigences de qualité et
d’efficience économique. Cette évolution du mode de finan-
cement s’intègre à une réforme plus large de l’organisation
des soins hospitaliers au niveau des territoires, avec en ligne
de mire une convergence des tarifs publics/privés et une
mise en concurrence des secteurs publics, privés à but non
lucratif et privés à but lucratif [3,12]. Une réflexion éthique
sur les axes politiques et organisationnels de la «future »
psychiatrie apparaît nécessaire [5].«Innover ne va pas sans
risque. Le risque jusqu’où ? Le risque admis par qui ? »[4].
Il est notamment important de s’interroger sur le rôle des
professionnels de santé mentale qui peut être perc¸u, d’une
part, comme légitimant ou validant ces recueils de données
dans une gestion économique et administrative des popula-
tions malgré les limites quant à la validité scientifique et à la
pertinence clinique de certains d’entre-eux et, d’autre part,
comme «courroie »de transmission dans un fonctionnement
institutionnel dont la maîtrise lui échappe complètement.
Cette approche peut laisser craindre une gestion des popu-
lations porteuses de risques et un établissement prévisionnel
de profils aux dépends de la relation d’une équipe thérapeu-
tique avec un individu souffrant [6].
Conflit d’intérêt
Dr Laurent Boyer certifie sur l’honneur pour l’ensemble des
auteurs de l’article «Interrogations autour de la valorisation
de l’activité en psychiatrie »l’absence de conflit d’intérêt.
Remerciements
Nous tenons à remercier Olivier Maurel pour sa relecture et
ses conseils.
Références
[1] Anaes. L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres
d’isolement en psychiatrie. Agence nationale d’accréditation
et d’évaluation en santé; 1998.
[2] Boyer L, et al. Caractéristiques psychométriques de l’échelle
des activités de la vie quotidienne (AVQ). Encéphale 2010.
doi:101016/jencep201001001.
[3] Boyer L, Maurel O, Stingre D, et al. Réforme hospitalière et
psychiatrie publique. Encéphale 2009;35(3):203—5.
[4] Canguilhem G. Journées annuelles d’éthique. Paris: La Docu-
mentation franc¸aise; 1986.
[5] Cano N. Fondements éthiques de la psychiatrie institution-
nelle. Encéphale 2006;32(2 Pt 1):205—12.