L’Encéphale (2011) 37, 1—3 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP ÉDITORIAL Interrogations autour de la valorisation de l’activité en psychiatrie Questions about the future French mental health finance La valorisation de l’activité en psychiatrie (VAP) est un modèle pluraliste de financement des établissements publics et privés de santé ayant une activité de psychiatrie, visant à remplacer le mode de financement actuel. Ce modèle de financement, en cours d’élaboration, devrait reposer sur quatre compartiments : un compartiment décrivant des coûts en relation avec l’activité, à partir d’un recueil harmonisé, le recueil d’informations médicalisées en psychiatrie (RIM-P) ; un compartiment géopopulationnel prenant en compte les facteurs géographiques, épidémiologiques et sociodémographiques des populations desservies sur le plan régional, territorial et sectoriel ; un compartiment décrivant des missions d’intérêt général (MIG) ; et un compartiment pour les médicaments onéreux [7]. Les travaux relatifs à la VAP sont suspendus depuis mai 2008, date de la dernière réunion du comité de pilotage comprenant la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et des fédérations d’établissements publics et privés. La DGOS a annoncé le 7 juin 2010 une reprise prochaine des travaux du comité de pilotage du financement de l’activité en psychiatrie, notamment sur la base de l’exploitation du RIM-P. Selon la DGOS, le RIM-P représente une base de plus en plus fiable pour dégager les grands axes de financement de l’activité. En effet, le RIM-P fait l’objet d’un recueil trimestriel de l’activité, obligatoire depuis janvier 2007. Le taux d’exhaustivité des données recueillies dépasserait 90 % en 2010. Le RIM-P devrait ainsi permettre de procéder à une analyse médicoéconomique de l’activité des établissements de psychiatrie. Ce recueil porte sur l’ensemble des prises en charge sanitaires de psychiatrie (temps complet, temps partiel, et prise en charge ambulatoire) et repose principalement sur des données 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.08.003 administratives. Parmi ces données, le nombre de journées passées en chambre d’isolement ainsi que le mode de placement du patient doivent notamment être recueillis. Quant aux données médicales, elles reposent sur l’utilisation de deux nomenclatures : la classification internationale des maladies et des problèmes de santé connexes — 10e révision (CIM-10) adoptée par l’Organisation mondiale de la santé en 1992 [13], et l’échelle des activités de la vie quotidienne (échelle AVQ). L’élaboration du futur modèle de financement de la psychiatrie à partir du RIM-P soulève de nombreuses interrogations en particulier auprès des professionnels de santé qui sont en charge de le mettre en œuvre. En dehors d’interrogations relatives à la disparité existant entre les établissements dans la façon de recenser l’activité dans le RIM-P, deux préoccupations sont fréquemment mises en avant. L’influence des processus de facturation et de codage sur la pratique soignante La première interrogation des professionnels concerne les conséquences que peuvent avoir certains « codages » sur la prise en charge des patients. On peut comprendre qu’il y ait, par le biais d’une incitation tarifaire, une politique de santé qui se mette en place. Trois exemples du RIM-P peuvent avoir des conséquences sur la pratique psychiatrique, celui des chambres d’isolement, des modes de placement et des échelles AVQ. L’isolement en psychiatrie implique un accompagnement des soins et une surveillance accrus [1]. À ce titre, il apparaît justifié que le futur modèle de financement de la psychiatrie 2 propose un « tarif » pour l’isolement supérieur à celui d’une prise en charge sans isolement. Mais parallèlement, on peut craindre que l’isolement en psychiatrie soit renforcé par le biais de cette « incitation » tarifaire. La même problématique peut être soulevée pour les modes de placement des patients. Quant à l’échelle AVQ, son remplissage dans le cadre du RIM-P va conduire à son utilisation dans la pratique clinique en permettant aux professionnels d’évaluer ponctuellement ou de manière répétée les difficultés de fonctionnement des patients. Or, un outil ne peut être considéré comme fonctionnel que s’il présente des qualités de mesure et il a été démontré dans un travail récent que les qualités métrologiques de cette échelle étaient hétérogènes [2]. Plusieurs propriétés apparaissaient insuffisantes posant ainsi la question de la pertinence de son utilisation. L’échelle AVQ mesure préférentiellement les soins personnels et se rapproche plus d’une échelle d’autonomie physique et pratique des personnes âgées. Or il a été montré que le concept d’autonomie ne se superposait pas totalement dans les maladies somatiques et psychiatriques [10,11]. L’échelle AVQ peut apparaître pertinente pour mesurer une incapacité fonctionnelle d’accomplissement de tâches dans la cadre d’une maladie somatique, mais elle semble moins bien saisir une incapacité liée à une perte de l’évidence naturelle et à une difficulté de situer une tâche dans un contexte global doué de sens. Les diagnostics pour financer l’activité en psychiatrie ? Une deuxième interrogation concerne l’utilisation des diagnostics dans le financement de la psychiatrie. Les diagnostics sont sensés prédire le niveau de consommation de ressources de patients (diagnosis-related group) en fonction du diagnostic principal, d’éventuelles interventions ou prise en charge spécifiques et de diagnostics secondaires indiquant ou non des complications ou comorbidités. Or il a été démontré en psychiatrie que les diagnostics n’expliquent en rien les différences de coûts entre patients, ainsi que les variations de durée de séjour [9,12]. Il est donc actuellement admis que le modèle de financement de la psychiatrie ne pourra pas être simplement une adaptation des modèles de financement de la médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) et qu’il constitue en soi une innovation. À ce titre, des études impliquant des ressources importantes et du temps sont nécessaires. En d’autres termes, la question qui se pose ici est de savoir si l’analyse des données issues du RIM-P permettra de proposer un modèle de financement pertinent dans un avenir proche. Par ailleurs, les interrogations portent également sur la pertinence d’un modèle qui serait construit à l’aide de la CIM-10 [13] alors que la CIM-11 et le DSM-V sont attendus à partir de 2012. La CIM-10, utilisée depuis 1992, a fait l’objet de nombreux travaux en psychiatrie qui ont permis d’identifier un certain nombre de « faiblesses ». Il a notamment été mis en avant l’absence de validité scientifique et d’utilité de certaines catégories diagnostiques [14]. Il a été montré que la combinaison de représentations dimensionnelles (comme les symptômes positifs, négatifs, de Éditorial désorganisation, dépressifs, maniaques, et neurocognitifs) et catégorielles (CIM-10 ou DSM-IV) était plus utile sur le plan clinique que l’utilisation isolée d’une classification catégorielle [8,14]. Par ailleurs, si certains patients ou proches peuvent trouver utile un diagnostic dichotomique, d’autres le trouvent stigmatisant. Des groupes de travail développant la future CIM vont donc proposer des solutions sur les difficultés diagnostiques énoncées ci-dessus. En conclusion, le RIM-P devrait permettre de décrire plus précisément les activités des établissements de psychiatrie et aider ainsi à l’élaboration d’un nouveau modèle de financement prenant en compte des exigences de qualité et d’efficience économique. Cette évolution du mode de financement s’intègre à une réforme plus large de l’organisation des soins hospitaliers au niveau des territoires, avec en ligne de mire une convergence des tarifs publics/privés et une mise en concurrence des secteurs publics, privés à but non lucratif et privés à but lucratif [3,12]. Une réflexion éthique sur les axes politiques et organisationnels de la « future » psychiatrie apparaît nécessaire [5]. « Innover ne va pas sans risque. Le risque jusqu’où ? Le risque admis par qui ? » [4]. Il est notamment important de s’interroger sur le rôle des professionnels de santé mentale qui peut être perçu, d’une part, comme légitimant ou validant ces recueils de données dans une gestion économique et administrative des populations malgré les limites quant à la validité scientifique et à la pertinence clinique de certains d’entre-eux et, d’autre part, comme « courroie » de transmission dans un fonctionnement institutionnel dont la maîtrise lui échappe complètement. Cette approche peut laisser craindre une gestion des populations porteuses de risques et un établissement prévisionnel de profils aux dépends de la relation d’une équipe thérapeutique avec un individu souffrant [6]. Conflit d’intérêt Dr Laurent Boyer certifie sur l’honneur pour l’ensemble des auteurs de l’article « Interrogations autour de la valorisation de l’activité en psychiatrie » l’absence de conflit d’intérêt. Remerciements Nous tenons à remercier Olivier Maurel pour sa relecture et ses conseils. Références [1] Anaes. L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie. Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé; 1998. [2] Boyer L, et al. Caractéristiques psychométriques de l’échelle des activités de la vie quotidienne (AVQ). Encéphale 2010. doi:101016/jencep201001001. [3] Boyer L, Maurel O, Stingre D, et al. Réforme hospitalière et psychiatrie publique. Encéphale 2009;35(3):203—5. [4] Canguilhem G. Journées annuelles d’éthique. Paris: La Documentation française; 1986. [5] Cano N. Fondements éthiques de la psychiatrie institutionnelle. Encéphale 2006;32(2 Pt 1):205—12. Interrogations autour de la valorisation de l’activité en psychiatrie [6] Castel R. La gestion des risques. De l’antipsychiatrie à l’aprèspsychanalyse. Paris: Les Éditions de Minuit; 1981. [7] DHOS. Circulaire no DHOS/F1/2007/104 du 15 mars 2007 relative à l’avancement de la VAP. Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins; 2007. [8] Dikeos DG, Wickham H, McDonald C, et al. Distribution of symptom dimensions across Kraepelinian divisions. Br J Psychiatry 2006;189:346—53. [9] Jones J, Amaddeo F, Barbui C, et al. Predicting costs of mental health care: a critical literature review. Psychol Med 2007;37(4):467—77. [10] Kowal P, Guelfi JD. Assessing social integration in the elderly: development of a brief self-report assessment scale: the social integration and independance questionnaire. Eur Psychiatry 1992;7:115—20. [11] Leguay D, Cochet A, Matignon G, et al. L’échelle d’autonomie sociale. Premiers éléments de validation. Encéphale 1998;24(2):108—19. [12] Odier B. Du PMSI à la T2A, de la fiche par patient au RIMPsy : la grande peur de la VAP. Inf Psychiatr 2007;83:539—49. [13] OMS. La classification internationale des maladies et des problèmes de santé connexes — 10e révision Organisation mondiale de la santé, Genève; 1992. 3 [14] van Os J. ‘Salience syndrome’ replaces ‘schizophrenia’ in DSMV and ICD-11: psychiatry’s evidence-based entry into the 21st century? Acta Psychiatr Scand 2009;120(5):363—72. L. Boyer a,∗ D. Dassa b J.-C. Samuelian b C. Lancon c a Pôle de santé publique, hôpital La Timone, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille, France b Pôle de psychiatrie, hôpital La Conception, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, 13385 Marseille, France c Pôle de psychiatrie, hôpital Sainte-Marguerite, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, 13274 Marseille, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Boyer) Disponible sur Internet le 29 septembre 2010