L`Évolution, entre hasard et nécessité, entre science et sociétés

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L’ÉVOLUTION, ENTRE HASARD ET NÉCESSITÉ, ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉS
L’Évolution, entre
hasard et nécessité,
entre science
et sociétés
Ou comment les théories darwiniennes ont replacé
l’homme au sein du vivant et l’amènent à revoir son
comportement vis-à-vis de ses semblables et des
autres êtres vivants de la planète.
Alain Pavé
membre de l'Académie des Technologies,
correspondant de l'Académie d'Agriculture
et membre de plusieurs sociétés savantes, biométricien,
professeur des Universités à Lyon
(Comme convenu entre le conférencier et les organisateurs, la conférence
d’Alain Pavé s’est déroulée sous forme d’interview par deux animateurs du GREP,
Jacques Perié qui a introduit les différentes parties, et Nicole Durup qui a posé des
questions additionnelles).
Introduction
Jacques Perié - On fait souvent référence aux « théories darwiniennes », ou à
la « théorie de l’évolution ». Ma première question est celle-ci : 150 ans plus tard,
faut-il toujours parler de théorie ou peut-on considérer plutôt qu’il s’agit d’un
ensemble d’observations et de faits suffisamment avérés, en particulier par tout ce
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qui a été fait en science depuis Darwin, pour que l’on parle simplement de
« l’Evolution », ceci quelle que soit par ailleurs l’ardeur d’irréductibles opposants
tels que les créationnistes américains ?
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Alain Pavé - La réponse est oui… et je m’explique. Reprenons le sens du mot
théorie: il s’agit, suivant le Petit Robert, d’une construction intellectuelle méthodique et organisée, de caractère hypothétique (au moins en certaines de ses parties) et synthétique. Puis replaçons-nous dans le contexte historique. Et enfin
précisons que la méthode scientifique n’est pas figée, elle est en constante « évolution ». Dans beaucoup de domaines de la science, on se trouve devant une alternative. Ou bien une théorie est démontrée ou confortée : démontrée comme un
théorème en mathématiques, confortée par l’expérience, dans les sciences expérimentales, ou encore par l’observation, dans beaucoup de cas des sciences de la
nature, de l’univers ou de l’homme et de la société. Ou bien réfutée: démonstration fausse, paradoxe qu’il faut résoudre, expérience ou observation déterminante.
Darwin, d’ailleurs dans la continuité des démarches de l’époque, mais qu’il va
développer de façon plus importante et pertinente que les autres, va utiliser un
faisceau d’arguments pour montrer que sa théorie est plausible. Son approche fait
débat, car c’est un nouveau style de démonstration.
Prenons l’exemple de l’ouvrage très officiel de J. Langlebert (1885) pour les
classes du niveau du baccalauréat. Au début du livre, dans une partie de 4 pages
intitulée « De l’espèce en histoire naturelle. Origine des espèces. Théorie de
Darwin », l’auteur présente la théorie darwinienne en soulignant qu’elle fait
« l’objet de vives discussions ». Il évoque le fixisme en citant Linné, Jussieu et
Cuvier, puis le transformisme avec Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire. Enfin il en
vient à l’évolutionnisme, la « théorie de Darwin » fondée sur la « lutte pour l’existence ou concurrence vitale et la sélection naturelle qui en résulte ». Dans ce discours, il fait allusion à « la loi de l’hérédité » et à la « permanence héréditaire »,
importantes à considérer dans le cadre de l’évolution. C’est d’ailleurs le seul
endroit du livre où il parle d’hérédité et c’est normal car, à l’époque, les travaux
de Mendel étaient encore largement ignorés. À la fin de cette partie, prudent
quand même, il signale qu’on ne peut pas prouver cette théorie de l’évolution et
très probablement qu’on ne le pourra jamais. Il reste sur une vision classique de
« la démonstration » par l’expérience.
Donc, on parle toujours de la théorie de l’évolution, plus par habitude que par
conviction. La grande majorité des spécialistes parlent de fait et non d’hypothèse.
Cela étant les mécanismes restent encore largement à explorer, même si les
grandes catégories (i.e. variation/sélection) sont bien cernées.
Nicole Durup - Vous écrivez dans l’un de vos ouvrages que « l’on peut trouver des ancêtres communs entre toutes les formes vivantes actuelles ». Tous les
évolutionnistes ne sont pas d’accord avec vous sur ce point. Par exemple,
Guillaume Lecointre écrit que « nombre de darwiniens ne cherchent même plus à
savoir quels pouvaient être les ancêtres communs aux espèces actuelles » (cité par
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L’ÉVOLUTION, ENTRE HASARD ET NÉCESSITÉ, ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉS
Jean Staune dans « Notre existence a-t-elle un sens ? »). Il ajoute que certains évolutionnistes ont renoncé aux arbres généalogiques et construisent des « arbres de
proximité ». Pour cela, ils comparent les séquences de l’ADN des espèces voisines
prises deux à deux. « Il paraît vain de chercher qui descend de qui », dit
Guillaume Lecointre. Qu’en pensez-vous ?
Alain Pavé - C’est un raccourci, comme on en fait souvent. Je conseille quand
même la lecture de l’ouvrage récent de Richard Dawkins : « Il était une fois nos
ancêtres - une histoire de l’évolution » (Robert Laffont, 2007). On y trouve un
exposé très original qui remonte le temps en partant de notre état actuel et qui,
comme dans une construction généalogique, retrouve nos ancêtres et nos cousins,
alors que dans les exposé classiques on descend le temps : on va des formes les
plus simples et primitives jusqu’aux formes actuelles, de complexité variable mais
croissante en moyenne. Tout être vivant aujourd’hui a des ancêtres jusqu’aux premières formes vivantes. Vous avez des ancêtres communs avec vos cousins, ce sont
vos grands-parents. Je crois qu’il y a une confusion aussi dans la méthode utilisée :
les « arbres de proximités » résultent d’une analyse statistique, classiquement
l’analyse hiérarchique ascendante. Elle est fondée sur le calcul d’une distance
entre caractères ou ensembles de caractères. Qui dit distance dit mesure
(métrique en termes savants). Cette méthode permet de construire un arbre
fondé sur ces distances. Reste à interpréter ces arbres. Par exemple prenons 4
fragments comparables du génome : il s’agit du gène du cytochrome C, présent
dans la plupart des organismes, et qui a été l’un des premiers analysés systématiquement.
Il ne faut pas en conclure que le cheval et le
lapin ont le même ancêtre immédiat, mais que le
cheval et le lapin sont, au filtre de la distance calculée sur le gène du cytochrome C, plus proches
qu’ils ne le sont du macaque et de l’homme. La
divergence entre les primates d’un côté, les équidés et les lagomorphes de l’autre apparaît aussi
dans ce schéma.
En pratique, on ne procède pas que d’une seule analyse. L’analyse statistique
des fragments de génomes n’est qu’un élément de la reconstruction du passé et
donc de l’évolution. D’autres arguments, notamment morphologiques, permettent
de trouver les formes ancestrales les plus proches qui se confondent pour identifier ou imaginer les organismes de la population ancestrale (ou des populations
ancestrales s’il y a hybridation). En inversant ce schéma ascendant, on peut plaquer le mécanisme évolutif mêlant variations et sélections, voire hybridation.
Si l’on n’admet pas ce schéma, on suppose implicitement que des formes sans
ancêtres ont pu apparaître spontanément. C’est-à-dire un schéma créationniste.
Or nous n’en avons pas besoin. Pour cela, il faudrait imaginer un organisme qui
ne puisse être lié en aucune façon aux formes existantes.
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La référence à Jean Staune me gêne un peu quand même, sachant qu’il est un
représentant de l’intelligent design… on comprend alors que son argument est
spécieux, ou du moins qu’il n’a pas, sans doute par ignorance, envisagé toutes les
dimensions du problème.
Le cœur de la théorie de l’évolution
Jacques Perié - Pourriez-vous en donner les principaux aspects, à la fois ceux
que Darwin lui-même avait jugés comme étant les plus marquants, et ceux qui ont
été rajoutés par 150 ans d’activité scientifique, à la fois en paléontologie, génétique, biologie moléculaire et autres. Quel est ce processus de longue maturation
que vous évoquez, en citant par exemple le milliard d’années qui a été nécessaire
à l’acquisition d’une paroi dans le noyau des cellules ?
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Alain Pavé - D’abord, l’idée d’évolution ou de transformation, opposée à un
monde figé, créé une fois pour toute, est plus ancienne que Darwin et s’était déjà
imposée comme une hypothèse sérieuse. On peu citer Lucrèce (-90 av. J.-C.)
comme référence très ancienne. Maupertuis au XVIIIe siècle et bien sûr Lamarck
fin XVIIIe et début XIXe. De même, les débats entre Etienne Geoffroy SaintHilaire, tenant du transformisme, et Georges Cuvier, tenant du fixisme, entre 1800
et 1830. Mais c’est Darwin, dans « De l’origine des espèces » qui va construire
patiemment sa démonstration sur la base du couple variation-sélection. Il s’est
fondé sur une analyse comparative qu’il a pu construire à partir des observations
faites lors de son voyage sur le Beagle. Il mettra 20 ans à élaborer sa démonstration, complétée par des analyse sur les fossiles et des références à d’autres considérations, notamment sur la sélection pratiquée pas les éleveurs. Il lui aura
manqué la génétique, qui apportera des arguments déterminants pas la suite,
après la redécouverte de travaux de Mendel, au début du XXe siècle.
Une première catégorie de scientifiques, peu connus du grand public, mérite
d’être citée. Elle regroupe les biométriciens, dont l’un des premiers, Francis
Galton, est un cousin de Darwin. Ils vont apporter des méthodes d’analyse quantitative qui vont s’avérer très fructueuses tout au long de l’histoire de la théorie
de l’évolution. Un autre biométricien doit être cité, Sir Ronald Fisher, dont la
contribution reste comme l’une des plus importantes. Par exemple, l’arbre présenté ci-dessus résulte de techniques élaborées par des biométriciens.
Dans son ouvrage, Darwin parle d’hérédité (d’ailleurs, il ne rejette pas l’hérédité des caractères acquis, mécanisme du transformisme imaginé par Lamarck),
mais il ne peut pas aller plus loin, ignorant qu’il est des travaux de G. Mendel. De
fait la génétique va apporter des arguments décisifs, en permettant d’expliquer
l’origine des variations et bien sûr, inversement des conservations : ce sont des
modifications, ou non, du support de l’hérédité, d’abord identifié comme les chro-
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mosomes, puis comme l’ADN, piégé dans ces chromosomes au moment des divisions cellulaires. Beaucoup plus : la génétique des populations, avec ses expériences et ses modèles, va mettre en évidence en laboratoire des phénomènes de
microévolution et permettre de représenter et de simuler les phénomènes évolutifs (Dobzhansky, Haldane, Malécot, etc.). La biologie moléculaire en tant que
telle est restée discrète, comme le signale Michel Morange dans un récent article
de La Recherche, mais ses résultats, notamment toutes les techniques de séquençage, vont permettre de raffiner le schéma et de faire des comparaisons globales
sur le même support avec une méthodologie unique conçue par les biométriciens.
En résumé, tout ce que l’on a trouvé va dans le sens de la théorie, rien ne la
contredit.
Un point important, qu’il faut bien avoir à l’esprit et nous allons y revenir, est
qu’on raisonne sur des échelles de temps immenses par rapport à notre perception. Parmi les questions qui doivent retenir notre attention : pourquoi les premiers pas ont-ils été si longs ? Pourquoi, ensuite, ces explosions, cette
diversification ? (pour Claude Bouschet : inclure ici approx image3 et image4)
Enfin, les systèmes vivants, organismes, populations, communautés… biosphère, sont les résultats de l’évolution. Il est très efficace de mettre tout ce que
nous observons en perspective par rapport à cette évolution. Comme l’a si bien
dit Theodosius Dobzhansky : « Rien ne prend sens, en biologie, si ce n’est à la
lumière de l’évolution ». C’est pour cette raison, et j’y reviendrai, qu’on ne peut
que regretter le peu de place laissé à l’enseignement de cette « théorie »
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Histoire de la vie sur la Terre (I)
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Histoire de la vie sur la Terre (II)
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Nicole Durup - Le sang de certains animaux, dont les descendants sont les
oiseaux, est devenu « chaud » et les femelles se sont mises à couver des œufs. Ces
deux phénomènes ont dû avoir lieu en même temps sinon les poussins n’auraient
pas pu éclore. Ou encore, la transformation des pattes de devant en ailes a dû
accompagner l’apparition de muscles puissants pour les mouvoir. Comment expliquer le synchronisme de ces phénomènes très différents et complexes.
Alain Pavé - Commençons par la fin, rien ne prouve le synchronisme de ces
apparitions, vu l’échelle de temps et la base de temps à laquelle nous avons accès.
Par ailleurs, beaucoup d’ovipares sont aussi poïkilothermes, c’est-à-dire que leur
température interne est toujours proche de celle du milieu dans lequel ils se trouvent à un moment donné.
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Nous n’avons que peu d’éléments sur l’apparition de comportements. Ils ne
peuvent s’imaginer que par les positions relatives de certains fossiles, fossilisés au
même moment, ou des traces qu’ils ont laissées. Par exemple, des œufs fossiles
regroupés peuvent faire penser à un nid et donc à un « investissement parental »,
et cela indépendamment de l’apparition de l’homéothermie. On a de fortes indications en faveur d’un investissement parental chez les dinosaures. L’exemple des
oiseaux est excellent. Ce sont les « descendants » de ces dinosaures.
Le scénario pourrait être le suivant : (1) le comportement de protection des
œufs est apparu en premier et l’on a de forts arguments en faveur de cette hypothèse, y compris en observant des espèces actuelles. Ce comportement augmente
la « fitness » (valeur adaptative, valeur sélective) en accroissant le taux de succès
de la reproduction par la protection de la descendance. On comprend qu’il ait été
sélectionné. Puis, (2) l’apparition, indépendante, de l’homéothermie augmente
aussi la « fitness » par une meilleure adaptabilité au milieu. Le comportement de
couver les œufs serait la superposition d’une « protection rapprochée » et de l’homéothermie, et non pas d’une nécessité « physiologique » a priori pour le développement de ces œufs. Enfin, (3) au cours des générations, la pression de
sélection maintenant la capacité des œufs à se développer dans un environnement
variable a disparu et a conduit à la nécessité d’un développement dans des conditions de température « chaudes et constantes » et donc de couver ces œufs.
On pourrait faire un raisonnement analogue pour les oiseaux. La transition
entre dinosaures et oiseaux a été longue et très précisément décrite par les
paléontologues.
La nécessité du hasard
Jacques Perié - Parlons maintenant, si vous le voulez bien, du rôle du hasard
dans l’évolution et dans la création de la diversité, ce que vous nommez en titre
de l’un de vos ouvrages « La nécessité du hasard ». Pouvez-vous nous parler de
tous ces processus par lesquels la nature crée de l’aléatoire ? Par exemple dans
« l’expression aléatoire des gènes », pour reprendre le titre d’un ouvrage du biologiste Kupiec.
Alain Pavé - En fait, le hasard est omniprésent dans de nombreux phénomènes vivants, de la course erratique de proies fuyant des prédateurs à la répartition en grande partie aléatoire des arbres dans les grands écosystèmes tropicaux,
en passant par la distribution au hasard des chromosomes de chaque paire lors de
la division cellulaire ou encore des nombreuses modifications du génome.
La traduction première du hasard est la variabilité : oscillations aléatoires
autour d’une trajectoire moyenne de fuite, petites différences entre les descen-
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dants d’une même lignée, sur la base, bien sûr, d’une grande ressemblance globale. Cette variabilité est due à de minuscules différences entre les génomes, hormis pour des jumeaux homozygotes. Elle résulte aussi des expressions différentes
de ces génomes, beaucoup plus complexe et variable qu’on le pensait il y a 40 ans,
au moment de l’explosion de la biologie moléculaire, au point que certains gènes
s’expriment de façon aléatoire, comme le signale J.J. Kupiec.
Pour traiter du hasard, de l’aléatoire, nous avons créé des outils efficaces, ceux
de la théorie des probabilités et de la statistique. Les biométriciens ont bien
contribué à leur développement. Les biologistes et écologues en sont de grands
consommateurs. C’est d’ailleurs un enseignement dispensé à nos étudiants biologistes, le seul de type mathématique obligatoire.
Cependant, reste une question de fond : quels sont les mécanismes qui produisent du hasard ? Il y a bien sûr des aléas de l’environnement, extérieurs aux systèmes biologiques, mais aussi ceux qui sont produits par des mécanismes
biologiques. On commence à en décrypter quelques-uns.
À ce sujet, on peut utiliser le paradigme des jeux de hasard, très employé par
les probabilistes, au moins sur le plan pédagogique. Prenons trois exemples : le jeu
de pile ou face, le jeu de dé ou la roulette des casinos. En fait, il s’agit de systèmes
mécaniques qui engendrent des résultats qui ressemblent fortement à du hasard,
celui idéal des mathématiciens. Pour comprendre, on peut penser en termes de
modèles mathématiques. Il s’agit de dispositifs physiques macroscopiques, on peut
représenter leurs fonctionnements avec les lois de la mécanique et les modèles
correspondants. Ces modèles sont dits déterministes, au sens où il n’apparaît pas
de terme aléatoire dans leur expression. Ces modèles sont non linéaires et leurs
dimensions sont suffisantes pour engendrer une large gamme de solutions dont
certaines peuvent produire des résultats non prévisibles. On connaît le médiatique « chaos déterministe », engendré par des systèmes très sensibles aux conditions initiales, si bien que deux expériences répétées dans des conditions
apparemment identiques ne produisent pas les mêmes résultats. Une autre façon
d’engendrer du hasard est d’avoir des points d’équilibre multiples, au fond de ce
qu’on appelle des bassins d’attraction, correspondant, par exemple, à la position
pile ou face de la pièce immobilisée après un lancer. On vient précisément de
modéliser ce pile ou face (Strzałko J., Grabski J., Stefa ski A., Perlikowski P.,
Kapitaniak T. : Dynamics of coin tossing is predictable, Physics reports, 2008, 469,
59-92.). Les auteurs montrent que le système n’est pas chaotique, mais que les
deux positions d’équilibre sont suffisamment proches pour que, pratiquement, il
soit très difficile lors de deux lancers successifs d’être assez précis pour prévoir
l’une ou l’autre des deux alternatives.
Mais revenons à la biologie et à l’écologie. Beaucoup des processus, biochimiques par exemple, peuvent être modélisés avec des équations du même type
que celles de la mécanique. Rien n’empêche donc qu’ils puissent exhiber des comportements eux aussi du même type, ressemblant à du hasard (sachant que la
définition mathématique du hasard est très formelle, faite pour construire une
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théorie mathématique et n’a pas d’équivalent dans la réalité tout en essayant de
l’approcher, comme l’a très bien souligné Émile Borel). La possibilité de tels comportements est donc démontrée. Il reste à vérifier qu’ils existent. En fait, comme
on l’a souligné, l’on observe les résultats qu’ils produisent et beaucoup sont aléatoires. Reste à mieux les identifier et à les modéliser.
Il n’empêche que, culturellement, nous avons des difficultés avec le hasard, vu
souvent sous l’angle des risques afférents, c’est-à-dire une vision négative. Plus
profondément nous craignons l’incertain, les scientifiques comme les autres. Pour
illustrer cela prenons une citation de Robert Solé tirée du Monde littéraire : « Le
hasard a longtemps été nié par l’Église qui y voyait une insulte aux plans de Dieu.
Puis il a été nié par les savants pour qui l’univers était une mécanique bien huilée. À
la limite, il y avait des lois que nous ne connaissions pas encore. »
Le hasard joue un rôle important dans l’évolution, mais pourquoi les processus qui l’engendrent ont-ils été sélectionnés alors que nous avons l’habitude
d’être admiratifs devant certains de « ses » résultats très spectaculaires et précis,
comme l’œil et le système visuel ?
En fait, ces processus munissent les systèmes vivants d’un avantage important,
celui d’assurer leur survie dans un environnement variable, avec d’importants
aléas. Ainsi, à l’échelle géologique, le fait que, dans les populations d’êtres vivants,
les individus ne soient pas identiques, a permis lors de variations drastiques de cet
environnement qu’il en préexiste une partie, même minime, potentiellement
adaptés aux nouvelles conditions. Et les chances sont d’autant plus grandes qu’il y
a de nombreuses populations, de nombreuses espèces, qui engendrent des
variants encore plus nombreux, c’est-à-dire une grande biodiversité. A une autre
échelle, celle des systèmes écologiques comme les grandes forêts tropicales, la
grande biodiversité liée au mélange des individus est aussi un facteur de maintien
de ces systèmes. Mais pour autant tout n’est pas rose. C’est aussi la possibilité
d’engendrer des variants qui permet à des organismes pathogènes de contourner
nos défenses immunitaires ou de créer des organismes résistants aux antibiotiques, par exemple.
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Histoire de la vie
sur la Terre (III)
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En pratique, on assiste à un changement de perception, d’une vision du hasard
contingente et plutôt négative à une vision d’un hasard aussi fabriqué par des
processus biologiques et plutôt positive : celle d’un hasard nécessaire. On peut
déjà avancer que la compréhension des processus engendrant du hasard et leur
contrôle sera essentielle, par exemple pour lutter contre les pathologies infectieuses ou pour mieux gérer la biodiversité qui nous intéresse.
Les principes
et mécanismes de la théorie
de l’évolution
De la Théorie « native »,
darwinienne
et néodarwinienne,
aux concepts actuels incorporant
les mécanismes
neutralistes et du hasard
endogène
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Jacques Perié - Vous venez de nous montrer le rôle positif et même indispensable du hasard dans la production de variations parmi lesquelles la sélection
« oriente » l’évolution ; pourriez-vous nous préciser comment ce processus s’articule avec la création de biodiversité ?
Alain Pavé - La biodiversité est le résultat des deux grands ensembles de
processus : les processus de diversification, qui l’augmentent, et les processus de
sélection, qui la diminuent. Dans les deux cas, le hasard joue. Pour la diversification, il s’agit principalement d’un hasard endogène, fabriqué par les systèmes
vivants eux-mêmes. Les mécanismes qui l’engendrent, des sortes de roulettes biologiques, sont apparus spontanément et ont été sélectionnés précisément parce
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que fondamentalement ils sont favorables à la survie de ces systèmes, que ce
soient des organismes, comme une proie, des populations au moins en partie, donc
des espèces, ou des communautés d’être vivants d’un écosystème. Ces roulettes
biologiques sont donc à la fois des produits et des moteurs de l’évolution.
La sélection va opérer sur les êtres vivants pour trier, parmi tous ceux qui
existent à un certain moment, ceux qui sont les mieux adaptés à un environnement donné sur une période plus ou moins longue. Le hasard joue aussi à ce
niveau en tant que facteur aléatoire modifiant l’environnement. La sélection
opère de différentes façons, au niveau individuel ou collectif. Elle fait un tri, c’est
donc bien un facteur de diminution. Un autre type de mécanisme d’augmentation
de la biodiversité est la dérive génétique, dont on a parlé avant la théorie neutraliste de l’évolution et qui prend tout son sens dans le cadre de cette théorie ; ce
mécanisme complète le tableau.
Sous les effets combinés de la diversification, de la sélection et de la dérive
génétique, progressivement, des fractions issues d’ensembles d’être vivants s’éloignent des formes originelles pour produire de nouvelles espèces. C’est l’évolution.
Cependant, des parties importantes ne changent pas sensiblement, mais subsistent
quand même. Si bien qu’au bout du compte, il y a accumulation et donc augmentation de la biodiversité. On pourrait presque dire que la biodiversité est un sousproduit de l’évolution. Spontanément et globalement, en l’absence de
perturbation majeure et planétaire, elle ne peut qu’augmenter. Le passé nous
apprend aussi qu’à la suite de telles perturbations, les survivants se diversifient à
nouveau efficacement. Il faut retenir enfin que, plus il y a d’êtres vivants différents, plus la biodiversité augmentera. On est en présence d’un processus quasi
autocatalytique mais qui est limité par des contraintes notamment environnementales.
Nicole Durup - La nouvelle discipline « évo-dévo » s’attache à montrer comment on passe du gène à la forme. Selon le biophysicien Vincent Fleury (auteur
entre autres ouvrages de « De l’œuf à l’éternité »), le nombre d’options parmi lesquelles peut « choisir » l’évolution, serait en fait réduit par d’autres mécanismes,
en particulier les forces physiques qui s’exercent par exemple sur un ensemble de
cellules en train de se diviser, et qui font que seules certaines formes sont possibles dans le processus embryonnaire et non pas une multitude parmi lesquelles
l’évolution aurait « choisi ». Que pensez-vous de cette hypothèse ?
Alain Pavé - Vous faites bien de mentionner cette discipline en plein développement et non plus… embryonnaire. En effet, curieusement, malgré l’affirmation de Ernst Haeckel : « l’ontogenèse récapitule la phylogenèse », la biologie du
développement n’avait pas bien fait le pont avec l’évolution. La découverte des
gènes homéotiques, qui président à l’élaboration des plans de base des organismes, a remis la biologie du développement dans le contexte évolutif. Cela
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étant, je suis en plein accord avec Vincent Fleury, seul un sous-ensemble de
formes est possible pour des raisons physico-chimiques. Il en est de l’évolution
comme ce que peut faire l’homme, il existe un grand nombre de possibilités abstraites mais les « lois de la nature », pour reprendre cette formulation générale et
un peu surannée, limite l’ensemble des réalisations concrètement possibles. Cela
étant, elles restent suffisamment nombreuses pour autoriser une grande variété
de formes, qui font que les livres naturalistes sont de véritables œuvres d’art.
Science, nature
et esthétique :
illustration tirée
d’un ouvrage
de Ernst Haeckel.
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Cependant, il y a quelque chose (qui est pourtant explicable, ne serait-ce que
par la simple réitération de schémas de base) qui reste mystérieux, pour moi au
moins : pourquoi des organismes de plus en plus complexes apparaissent et subsistent au cours de l’évolution ?
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Le caractère actuel des théories darwiniennes
Jacques Perié - La dernière partie de nos questions porte sur le caractère
actuel des théories darwiniennes. Pouvez-vous nous parler tout d’abord de l’impact qu’a eu cette théorie de Darwin, ce que vous nommez le « séisme darwinien ». « Non seulement fait scientifique » écrivez-vous, « mais aussi élément
culturel essentiel, un évènement crucial dans l’histoire des sociétés ».
Alain Pavé - La communauté scientifique était préparée à cette annonce,
même si beaucoup n’y adhéraient pas encore. Il n’en demeure pas moins que la
réunion de l’Association britannique pour l’avancement des sciences du 30 juin
1860, portant précisément sur la Théorie darwinienne de l’évolution, a été très
houleuse. Première secousse.
Rendons-nous compte que, d’un seul coup, le récit de la création passait du
statut d’une vérité absolue et révélée à celui d’une fable, d’un roman. La diffusion
dans la population a donc remis en cause ce récit fondateur. De même, l’homme
descend de son piédestal ; il est un animal, qui peut être classé dans cet univers
parmi les autres. Il est banalisé et intégré dans la communauté des êtres vivants
de la planète, mais, comme l’avait auparavant si bien montré Rousseau, avec une
liberté que n’ont pas les autres et par là même une responsabilité particulière.
Désormais il doit faire sans l’espoir d’un recours à une divine providence pour
régler ses problèmes. Néanmoins, on constate que, 149 ans après ce débat, l’image
créationniste est omniprésente sur la planète.
Sur le plan scientifique, outre le résultat lui-même, la méthode est nouvelle.
Au moment où s’élabore la preuve par l’expérience, brillamment illustrée pas les
travaux de Claude Bernard, et qui complète la preuve formelle du mathématicien, Charles Darwin utilise, en fait, une démonstration proche de la démarche
juridique, c’est-à-dire un faisceau d’arguments faisant office de démonstration.
Démarche peu habituelle en science, ou du moins sous cette forme aussi achevée,
mais d’une logique tout aussi rigoureuse.
Je regrette aujourd’hui que notre enseignement ne fasse pas la part que
mérite l’exposé de cette théorie progressivement érigée au statut de fait scientifique au cours de ces 150 dernières années. Exposé de cette théorie, mais aussi des
travaux qui suivirent, qui complétèrent l’exposé initial, y ajoutant de multiples
arguments et décryptant les mécanismes de cette évolution. La génétique, inconnue à l’époque, a apporté ensuite des éléments déterminants.
Nicole Durup - Je rajoute à cela une question sur la place de l’homme dans
l’évolution. Vous avez écrit « tout indique, à la lecture de l’évolution au sens darwinien, que l’homme est avant tout un élément du monde vivant, un être biologique, un animal ». Peut-on considérer qu’il y ait une spécificité de l’humain, par
exemple dans tout ce qui tient à la solidarité ou à l’altruisme ?
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Alain Pavé - Bien sûr l’homme est un produit de l’évolution. Son intelligence
aussi. Il est le seul capable, aujourd’hui, de penser le monde et de se penser. On
est de plus en plus convaincu que cette intelligence est le résultat d’un processus
naturel, celui de l’émergence d’une propriété dans un système complexe.
Pour la solidarité, l’altruisme, ces propriétés ne sont en fait pas le propre de
l’homme, on les trouve aussi dans des sociétés animales, quelquefois poussées à
l’extrême. Wilson, dans son exposé sur la sociobiologie (et même si l’on n’adhère
pas à tout ce qu’il propose), en montre de multiples exemples. Ce sont sans doute
des éléments essentiels et structurants de toute société d’être vivants, même s’ils
s’expriment de façon plus ou moins intense.
La responsabilité symbiotique de l’homme.
Jacques Perié - L’identification des différents génomes, en cours depuis le
milieu des années 90, est venue apporter un support moléculaire conséquent à la
théorie de Darwin. Comme vous le rappelez, la similitude à 98,5 % des génomes
de l’homme et du chimpanzé nous montre à quel point, en tant qu’humains, nous
sommes bien partie intégrante de l’ensemble du monde vivant.
Ces découvertes, replaçant l’homme au sein du monde biologique, devraient
le conduire à un autre regard sur cet ensemble du vivant. Il en est l’élément le
plus tardif si on considère l’évolution du point de vue de la complexification, et
non pas l’élément dominant. Cela le conduit, dites-vous, à une « responsabilité
symbiotique ». Pourriez-vous développer cet aspect dans une dernière partie de
vos interventions avant que nous engagions le débat avec la salle.
216
Alain Pavé - La ressemblance des génomes est un argument important pour
relativiser la place de l’homme. Mais il faut faire attention, il y a une différence
entre la structure du génome et son expression, dont on découvre qu’elle est bien
plus complexe que le schéma classique de la biologie moléculaire : gène -> protéine -> structure ou fonction. De multiples régulations existent, mettant en cause
d’autres molécules que les protéines comme régulateurs, du type « opéron
lactose », par exemple les microRNA. Les gènes pléiotropes, suivant les tissus
dans lesquels ils s’expriment, donnent des résultats très différents. Sur le plan
théorique, on connaît des systèmes dynamiques qui changent de propriété avec
une variation quelquefois infime d’un de leurs paramètres. Il faut donc se méfier
de raisonner en termes linéaires, mais intégrer le non linéaire. Or le vivant est
essentiellement non linéaire : de faibles variations peuvent avoir de grandes
conséquences, les 1,5 % de différence peuvent avoir des conséquences importantes. La longueur de la chaine d’ADN n’est pas directement corrélée à la complexité d’un organisme. Des batraciens ont un ADN plus long que celui de
l’homme. De plus, l’homme n’a pas énormément de gènes (un peu moins de
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L’ÉVOLUTION, ENTRE HASARD ET NÉCESSITÉ, ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉS
30 000 alors qu’on en attendait trois fois plus). Pour une même longueur et un
nombre voisin de gènes, le jeu de l’expression peu mener à des résultats différents.
À ce propos, vous soulignez un rôle essentiel de la science : par les connaissances qu’elle nous apporte, elle est rassurante en permettant de mieux nous placer dans le monde, de mieux évaluer les dangers réels, donc de mieux s’en
protéger et de mieux les éviter. L’ours blanc a des allures sympathiques, mais c’est
un animal redoutable : ne laissez pas vos enfants aller le caresser. Le loup aussi est
dangereux, surtout quand il est affamé, quand il est en bande ou quand il est
enragé. Certains chiens domestiques sont bien plus dangereux, et l’on en a trop
souvent des témoignages, mais n’allez quand même pas fricoter avec les loups. En
revanche, dans la forêt amazonienne, les risques dus aux animaux sont faibles par
rapport à la chute accidentelle d’une branche ou d’un arbre et surtout de se perde
ou de glisser sur le sol humide et de se casser une jambe…
Les connaissances ainsi accumulées sur les êtres vivants et leur évolution sont
utiles pour nous et… pour eux. Nous avons une responsabilité particulière vis-à-vis
d’eux. De nouvelles solidarités sont en émergence, non réservées aux sociétés
humaines, même s’il existe encore beaucoup à faire. Cependant ne nous trompons
pas ; soyons rigoureux dans notre langage et nos actions, ne projetons pas notre
image, n’humanisons pas de façon outrancière. Cette humanisation reste du
domaine de la fable ou du rêve. Par exemple, parler de droit des animaux est un
abus de langage. Les animaux n’ont… aucun droit. En revanche, parler d’un droit
pour des animaux a un sens. C’est nous qui édictons ce droit. Ne retombons pas
dans les ornières du passé, au demeurant amusantes, où l’on faisait des procès aux
ravageurs des cultures (cf. « Le nouvel ordre écologique » de Luc Ferry).
Établissons donc de nouvelles solidarités, mais sur une base rationnelle, celle
de nos connaissances. Sans nous idéaliser : nous ne sommes pas les enfants d’un
Dieu, tels que la Bible nous le décrit, mais les produits purement fortuits d’une
évolution naturelle parsemée de multiples hasards. Et sans idéaliser non plus les
autres être vivants. Il ne faut pas en outre ignorer notre sensibilité, notre dimension affective, qui contribuent aussi à faire de nous des humains. C’est à ce prix
qu’on pourra parler d’un ordre symbiotique sur la planète. Et cet ordre est sans
doute nécessaire, en tout premier lieu pour nous-mêmes.
Nicole Durup - Comme vous l’avez écrit, la biodiversité présente des aspects
négatifs et dangereux (l’existence des parasites par exemple). La disparition de la
banquise met en péril les ours blancs qui sont des animaux redoutables : cependant, ils peuvent jouer un rôle bénéfique dans l’équilibre des espèces. Pouvezvous nous parler de celui-ci ?
Alain Pavé - Tout d’abord je tiens à balayer la notion d’équilibre, tout en
vous remerciant de l’avoir évoquée. Cette notion très répandue, notamment dans
le discours écologiste (et pas celui des écologues), n’a aucune réalité. Tout est en
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ALAIN PAVÉ
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perpétuel mouvement et changement et cela depuis « l’aube des temps ». Je dirai
que la notion d’équilibre est à rapprocher de l’idée de conservation du Jardin
d’Éden et de proche en proche, nous traînons avec nous ces images typiquement… fixistes et créationnistes. Comme ce que j’ai évoqué pour le hasard, difficile de s’en débarrasser.
En ce qui concerne l’ours blanc, le monde a été ému par une courte séquence
cinématographique où l’on voit l’un de ces animaux mouillé, sur son glaçon, détaché de la banquise et qui commence à flotter. C’est ignorer que l’ours blanc est un
excellent nageur, et que, sauf s’il est malade, il se sortira sans peine de cette situation. C’est un peu à mettre au même rang que le sauvetage d’animaux lors de la
mise en eau du barrage de Petit Saut en Guyane. Ces animaux vivent dans un
milieu où l’eau est omniprésente. Ils y sont donc accoutumés. Les seuls vraiment
en danger étaient les quelques centaines de millions d’insectes. Mais nous y
sommes moins sensibles qu’aux vertébrés, qui eux savent nager. Cela étant, ce
sauvetage a été l’occasion de bonnes études scientifiques. Mais revenons aux ours
blancs. Il faut souligner encore une fois que ces animaux sont redoutables et que
l’allongement de la période estivale dans les régions boréales risque plus d’être
favorable que défavorable à leur démographie. Cette remarque pertinente a été
faite à Toulouse le 23 mai 2008, par un Inuit, lors de la séance organisée pour fêter
la fin de la très sympathique aventure de « Voyageurs des sciences », à la Cité de
l’Espace. Les Inuits, contrairement à nous, sont en contacts fréquents avec ces animaux et en connaissent les risques. Il est toujours facile d’être sensible dans son
appartement lyonnais ou toulousain. Le discours sur les loups est du même ordre,
l’histoire nous apprend qu’il peut constituer un réel danger pour l’homme (1). Pas
d’angélisme.
Cela étant, et inversement, ce n’est pas une raison pour ignorer les autres êtres
vivants et ne penser qu’en termes de confrontation. Il nous faut créer les termes
d’une cohabitation sur cette planète, sauf peut-être pour certains microorganismes pathogènes. Qui se plaint aujourd’hui de la disparition de la variole ?
Pour terminer cette partie et avant de répondre aux
questions de la salle, un clin
d’œil : une photo que j’ai
prise en Guyane française
sur le bord d’une route, assez
loin de toute habitation…
Mais… sont-ils réellement en
danger ?
(1) À ce sujet, on pourra consulter : Moriceau J. M. Le grand méchant loup. Fayard, Paris, 2006.
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L’ÉVOLUTION, ENTRE HASARD ET NÉCESSITÉ, ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉS
Débat
Une participante - Je vous remercie tout d’abord de cette très intéressante
conférence. Ma question est relative aux fossiles marins dont vous avez parlé, et
dont vous dites que leur positionnement dans la roche pourrait donner l’idée
d’une forme d’altruisme.
Alain Pavé - Considérant l’évolution des espèces, il s’est posé rapidement la
question de l’émergence des sociétés animales. L’observation de l’organisation de
fossiles marins a amené à émettre l’hypothèse d’un début de comportements
sociaux, mais sans doute pas de comportements altruistes. N’allons pas trop loin
dans l’interprétation.
Une participante - Je n’ai pas étudié pour ma part l’évolution et je souhaiterais que vous reveniez sur les travaux de Fischer dont vous avez évoqué l’importance, puisque vous dites qu’ils ont contribué à valider les travaux de Darwin.
Alain Pavé - Fischer a apporté en effet une contribution importante. Je dois
parler auparavant du généticien Theodosius Dobzhansky, chercheur d’origine
ukrainienne installé aux Etats-Unis dans les années 1920, qui a développé des
études sur la drosophile (ou mouche du vinaigre), insecte qui a cette propriété
avantageuse de fournir dans des délais raisonnables un grand nombre de générations. De plus, on connaît divers mutants facilement observables, ce qui en fait un
matériel de prédilection pour la génétique. Ainsi il a pu étudier des processus
évolutifs en laboratoire grâce à un dispositif particulier : des cages à populations.
Cela permettait de mettre en évidence l’apparition de certains caractères spécifiques avec une fréquence plus élevée dans certaines cages que dans d’autres, ceci
au fur et à mesure du développement de nouvelles générations.
Fischer a fait une approche théorique de ces phénomènes et l’on peut dire que
sa contribution a été, par son importance, assez proche de celle de Darwin.
L’essentiel fait l’objet de deux ouvrages dont celui intitulé : « Théorie génétique et
sélection naturelle ». Effectivement, l’apport de la génétique à la compréhension
des phénomènes évolutifs, apport auquel avaient également participé Mandel
puis Morgan, offrait cette première clé de compréhension que Darwin avait tant
recherchée.
Notons au passage que la contribution française dans cette étape a été nulle, la
génétique étant inexistante en France dans les années 30. Heureusement, deux
mathématiciens, Georges Tessier et Philippe L’Héritier attirés par les travaux
théoriques de Fischer, comprennent rapidement l’importance du domaine. L’un
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ALAIN PAVÉ
d’eux va étudier la génétique aux Etats-Unis, notamment chez Dobzhansky et
quelques expériences seront réalisées avant la guerre. Mais ce n’est qu’à partir de
1945 que la génétique se développe chez nous, bien aidée par la nomination de
Georges Tessier à la Direction du tout jeune CNRS. Un premier Institut de
Génétique est ainsi créé, et à partir de cet évènement fondateur cette discipline se
développera rapidement pour atteindre son statut actuel, devenu largement international. La génétique a ainsi permis de créer une théorie néo-darwinienne dite
« Théorie synthétique de l’évolution ». Rendons hommage au CNRS dont le rôle
a été déterminant dans la création d’institutions de recherche adaptées, parfois
contre l’avis de l’Université à l’époque !
Une participante - Que pensez-vous du créationnisme tel qu’il s’est développé aux Etats-Unis et dont certains Etats ont légalisé l’enseignement au même
titre que le darwinisme ? Son importation en France par des groupements évangélistes est-elle à craindre ?
220
Alain Pavé - On ne peut pas en effet éluder cette question. Elle est récurrente aux USA depuis les années 1920, et elle fonde la croyance des évangélistes
en Amérique et ailleurs : cette croyance se base sur une lecture littérale de la
Bible, considérée comme vérité absolue, (alors que l’on sait maintenant que ce
texte avait été commandé par un roi d’Israël qui voulait fédérer les différentes tribus autour d’un récit commun). Notons au passage que l’histoire des hommes
s’est fondée dans toutes les civilisations autour de textes communs. Et il se pourrait bien, au moins en partie, que nos difficultés actuelles soient précisément liées
à l’absence d’un tel récit.
Phénomène récurrent aux USA donc, mais qui existe également ailleurs et
non seulement sous la forme la plus intégriste d’une vérité révélée concrète mais
aussi sous des formes plus douces telles que l’« intelligent design » ou encore
« dessein intelligent ». Cette version consiste à dire que l’on ne parle plus de la
création de la nature en 6 jours avec un repos le 7ème, un très beau récit au demeurant, mais on affirme que tout ne pouvant s’expliquer par la seule évolution, il
doit exister quelque part un principe, une idée recouvrant une orientation, une
finalité. On retrouve en fait là l’idée développée dès 1810 par William Paley telle
qu’il l’avait énoncée dans sa « Théologie naturelle » : cet ordre est là parce qu’il y
a une idée générale, un plan pour organiser l’ensemble et l’homme fait partie de
cette finalité.
Il est vrai que cette présentation est faite dans un certain nombre de groupes
de croyants qui veulent parer le discours religieux d’un certain modernisme, mais
il est difficile de lui trouver un appui relevant d’une réalité scientifique. On sait
d’ailleurs qu’un militant islamiste turc a également diffusé à grand frais, y compris
en France, un document, intitulé « L’Atlas de la Création », donnant une vision
créationniste d’après les textes coraniques.
PARCOURS 2008-2009
L’ÉVOLUTION, ENTRE HASARD ET NÉCESSITÉ, ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉS
Chez nous en Europe, le créationnisme reste une approche bien marginale et
la tradition catholique, en particulier, a bien intégré le fait évolutif, comme le
montrait le Pape Jean-Paul II dans l’une de ses déclarations à l’Académie
Pontificale.
Il n’en reste pas moins que l’on ne peut que souhaiter que, là où cela est
nécessaire, on progresse sérieusement à propos de schémas intellectuels encore
bien rétrogrades.
Un participant - J’ai deux questions : la première serait de savoir pourquoi
l’évolution a sélectionné la symétrie, l’autre relative à la part de l’épi-génétique
dans la théorie de l’évolution.
Alain Pavé - Sur le premier point, notons tout d’abord que, depuis l’apparition
des premiers organismes multicellulaires il y a environ 600 millions d’années, il y a
eu émergence de schémas d’organisation très différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. Comment en rendre compte? Je répondrai: parce qu’ils ont fonctionné. Pourquoi la symétrie? Parce que probablement elle permet un équilibre. La
symétrie bilatérale « marche » bien avec l’organisation autour des axes antéropostérieur et dorsoventral également et l’on retrouve ces schémas morphologiques
dans la plupart espèces. On sait qu’il existe beaucoup plus d’organismes terrestres
que marins, de l’ordre de 20 à 50 fois plus, mais on constate que la plupart des schémas de développement correspondent à ceux des espèces marines. Et l’on retrouve
ces trois mêmes axes selon lesquels les organismes se sont développés.
Et chose extraordinaire de l’« évo-dévo » (l’étude du passage du gène à la
forme), « l’ontogénèse récapitule la phylogénèse », comme l’indiquait Ernst
Haeckel, à savoir que lorsque qu’on observe le développement embryonnaire des
organismes d’espèces apparues récemment, la succession des phases de développement semblent suivre celles de l’évolution ayant conduit à ces organismes.
Comme déjà évoqué, l’embryologie a été longtemps inexistante dans notre
vision de l’évolution, et elle n’y a été intégrée que très récemment, ceci sur des
bases génétiques ; et l’on connaît désormais les gènes dits homéotiques qui vont
définir la morphologie, gènes pratiquement communs à toutes les espèces animales. On les trouve aussi bien chez la drosophile que chez les vertébrés « supérieurs », dont l’homme.
Bien entendu, il en existe beaucoup d’autres qui gouvernent le développement, qui font que nous ne sommes pas tous des drosophiles. Je dirai enfin qu’il y
a aussi sans doute des propriétés physiques qui jouent un rôle dans l’apparition
des formes : toutes ne sont pas « viables » physiquement, par exemple pour des
raisons mécaniques.
Concernant l’épigénétique, c'est-à-dire tout ce qui entoure la transmission
héréditaire et dont le schéma ne suit pas la séquence : gène-protéine-fonction, plusieurs types de processus sont impliqués : il y a tout d’abord la modification par
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221
ALAIN PAVÉ
méthylation - une réaction chimique naturelle - de bases de l’ADN, réaction qui a
pour effet d’inhiber le fonctionnement du gène correspondant, ce masquage d’un
gène, dit répression, pouvant se poursuivre sur plusieurs générations avant d’être
à nouveau ré-exprimé ; de sorte que l’on a, en quelque sorte, transmission, mais
provisoire, d’un caractère acquis. Ceci n’est qu’un exemple car ce domaine de
l’épigénétique est en plein développement, comme on peut le constater en consultant Internet : on est passé d’une dizaine de références à ce propos, il y a quelques
années (nov. 2006) à plus de 70 000 aujourd’hui. Signalons encore, parmi les processus épi-génétiques importants, la fonction de petites molécules, les petits ARN,
notamment les ARN interférents, qui jouent également un rôle dans l’expression
ou la répression des gènes.
Un participant - On parle beaucoup parlé des créationnistes mais pas assez à
mon goût des « transhumanistes », encore plus dangereux selon moi. Vous nous
avez dit que l’évolution résulterait d’une dialectique entre variation génétique et
sélection naturelle. Cette évolution a abouti à un « produit », l’homme, qui justement a la possibilité de se sortir de ce processus d’évolution naturelle, qui peut
agir sur sa propre évolution, précisément parce qu’il sait comment elle se fait.
Certains pensent qu’à court terme, l’homme va être capable de prendre en charge
sa propre évolution en tant qu’espèce. Partagez-vous ce point de vue ?
222
Alain Pavé - Je commencerai par une digression : l’homme a déjà agi et
depuis longtemps sur d’autres espèces ; les premiers agriculteurs ont fait de la
sélection de variétés pour retenir les plus productives, les plus résistantes etc.
Et l’homme a aussi déjà écrit des pages sombres à propos de sélection, ceci
depuis les mouvements eugénistes nés à la suite de Darwin et de ses contemporains, Francis Galton en particulier. Et on a vu à quels types de désastres a pu
conduire cette idée de sélection humaine.
En fait le problème posé est désormais simple : d’un point de vue biologique,
on saurait sélectionner des humains comme on le fait pour des taureaux ou pour
toute autre espèce. On peut aussi faire des manipulations génétiques. On le fait
même déjà, non pour sélectionner mais pour soigner. On traite certaines maladies
(mucoviscidose par exemple) en introduisant un gène manquant ou déficient,
c’est ce que l’on nomme la thérapie génique. Mais la chose reste pour l’instant
peu maitrisée, car on ne sait jamais de façon sûre où le gène introduit ira se loger
dans le génome. Il faut ensuite qu’il s’exprime, c'est-à-dire qu’il produise la protéine correspondante. Et donc des OGM, il en a déjà été fait chez les humains,
mais, je le répète, uniquement pour les soigner.
Bien sûr, il y a derrière cela des questions d’ordre éthique, sociétal et philosophique, et donc je n’ai pas de réponse simple, si ce n’est celle-ci : je suis contre
toute forme d’eugénisme, cela est très clair. Par contre, s’il s’agit de mettre en
œuvre de nouveaux moyens thérapeutiques, je ne peux que souscrire, bien
entendu cette activité étant encadrée par une éthique et une législation adaptées.
PARCOURS 2008-2009
L’ÉVOLUTION, ENTRE HASARD ET NÉCESSITÉ, ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉS
Je reviens un instant à Francis Galton pour dire qu’à la fin du XIXe siècle,
l’idée d’eugénisme avait émergé sans que l’on ait la moindre expérience de la
chose. D’autres ont emboité le pas. Citons Fischer ou Jean Rostand qui, bien que
se réclamant d’idées humanistes, ont émis des points de vue eugénistes. Mais de
nos jours, il n’y a plus d’ambiguïté car nous avons le recul des tristes expériences
de la chose.
Une participante - Ma question concerne l’enseignement de l’évolution sur
lequel je me permettrai d’exprimer un désaccord : nous abordons les questions de
classifications en classe de 6ème, les arbres phylogénétiques en 3ème, l’évolution
des organismes et l’histoire de la terre en terminale. La relation entre phylogénèse et évolution fait l’objet d’un chapitre entier en terminale. L’Education
Nationale est bien consciente et depuis déjà plusieurs années de la nécessité d’un
enseignement de l’évolution. Il me semble donc que la situation actuelle répond à
vos préoccupations.
Alain Pavé - Je prends acte de votre réponse sur la situation actuelle ; mais si
je remonte de quelques années, je dirai que, si la génétique faisait déjà l’objet
d’enseignements, ce qui a trait à l’évolution n’y figurait pas. Les progrès dont vous
parlez sont donc récents.
Je rajouterai que ma trajectoire personnelle, bien peu naturaliste à ses débuts
- je viens d’une filière Maths-Technique - n’est pas représentative. Mais je
constate autour de moi que ce qui reste de l’enseignement de la biologie n’est en
général pas immense.
Il y a un désir de bien faire chez les enseignants, pas de doutes Mais dans les
Sciences de la Vie et de la Terre, les enseignements ne me paraissent pas spécialement faits pour motiver les lycéens. Et là, je parle d’un retour sur 5 ou 6 ans relatif
à des enfants qui me sont proches.
Un participant - Vous avez dit au cours de votre conférence que la science
était rassurante parce qu’elle confère la connaissance. Mais je partage seulement
en partie ce point de vue, car quand on a la connaissance, on a aussi la responsabilité. Des théories comme celle du dessein intelligent sont plus simples, plus rassurantes et aussi plus déresponsabilisantes qu’une vraie connaissance du processus
d’évolution.
Alain Pavé - Je suis bien d’accord sur le point que vous soulignez. Et je
rajoute que la science a en outre une autre fonction, dans le sens que vous indiquez de la responsabilité, celle d’alerter. Aujourd’hui, si l’on dit : « Attention au
réchauffement climatique », c’est grâce à la science. Cela étant, la fonction
d’alerte s’est développée de façon considérable. Mais pas toujours de façon qui
échappe à la critique ; car c’est un bon moyen d’obtenir… des crédits de
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ALAIN PAVÉ
recherche ! S’intéresser par exemple aujourd’hui à la biodiversité peut être un
bon filon, même si l’on n’a pas encore de vision un peu globale sur la biodiversité.
Mais cela n’est pas toujours raisonnable. Voir par exemple ce qui est dit sur les
ours blancs et que j’ai évoqué plus haut. Il est donc important que la science s’emploie à tenir un discours aussi objectif que possible.
Une participante - Je ne suis pas d’accord avec vos critiques sur l’enseignement de la biologie, les programmes sont bien faits, me semble-t-il. Ma seconde
remarque concerne ce que vous avez dit relativement à la plus grande attention
que l’on porte à la nature aujourd’hui par rapport à ce que faisaient les générations précédentes. En pensant à mes grands-parents, j’ai le sentiment inverse.
Alain Pavé - Sur le premier point, je prends acte de la critique, mais j’ai fait
néanmoins référence à un certain nombre de points de vue convergents sur la
question.
Sur le second point que vous soulevez, je suis à la fois d’accord et en désaccord. D’une part, il est vrai que nous avons acquis des moyens techniques qui
nous permettent d’être en rapport avec la nature de manière beaucoup plus
agressive qu’autrefois. Par ailleurs, l’évolution démographique a pour conséquence l’exercice d’une pression de plus en plus grande sur le milieu naturel.
Mais ne construisons pas de légende. Les Indiens de la forêt amazonienne ne
sont, par exemple, pas très écologistes au sens où nous l’entendons. Ils ont à faire
avec une nature difficile et n’en sont pas très protecteurs. De plus, on confond
souvent avec les aspects religieux, très emprunts d’animisme.
Depuis une cinquantaine d’années, notre relation à la nature n’a rien à voir
avec ce que nos ancêtres vivaient. Pour eux, le loup devenait acceptable quand il
avait été éradiqué, car auparavant, il avait fait de nombreux morts.
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Jacques Perié - Avec mon épouse, nous avons parcouru les chemins de St
Jacques de Compostelle au départ du col de Roncevaux. L’abbaye qui est juste en
dessous côté espagnol a été construite par des moines qui s’indignaient à juste
titre du grand nombre de pèlerins - pour la plupart des pauvres qui gagnaient leur
pitance en allant expier pour d’autres - dévorés par les loups.
Nos ancêtres n’étaient pas plus écologistes que nous. On entend dire parfois :
« On mangeait mieux autrefois, et plus sain ». Entièrement faux ! Avant 1939, la
France comptait 10 000 morts par an du fait d’intoxications alimentaires.
Les sociologues qui ont analysé l’évolution des relations de l’homme avec la
nature sont bien d’accord sur une plus grande sensibilité de l’homme actuel à son
environnement et en particulier à la nature.
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L’ÉVOLUTION, ENTRE HASARD ET NÉCESSITÉ, ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉS
Une participante - On continue d’enseigner la taxonomie alors que ce qui
est devenu important, c’est le génome et les applications que l’on peut tirer de sa
connaissance, par exemple dans le traitement des maladies. Pourquoi continuer à
enseigner des notions obsolètes.
Alain Pavé - Je pense que vous avez raison de poser cette question d’enseignement des notions les plus pertinentes. Mais en même temps, nous devons réaliser que face à la diversité du vivant, la difficulté était de reconnaître et
d’identifier. Et même aujourd’hui, cette pratique de la taxonomie constitue une
démarche intellectuelle très formatrice.
Ceci dit, la connaissance, les techniques évoluent et on est en train de franchir
très vite des étapes que l’on a du mal à intégrer en temps réel, en particulier dans
nos enseignements. Par exemple la technique d’identification d’une partie de
gène à l’aide de puces à ADN (supports sur lesquels ont été déposés les
séquences complémentaires du ou des gènes à caractériser) se développe de
manière très rapide, et l’enseignement n’est pas en mesure de mettre en place
l’apprentissage des notions correspondantes aussi vite.
Un participant - L’enseignement de l’évolution en France doit être approfondi car on a tendance à la ramener à la phylogénie. On enseigne trop peu les
mécanismes par lesquels se fait l’évolution. Darwin a indiqué un premier moteur
de cette évolution et nous devons continuer d’exploiter cette idée géniale.
Alain Pavé - Je confirme tout à fait ce point de vue.
Le 12 février 2009
Alain Pavé, membre de l'Académie des Technologies, correspondant de l'Académie
d'Agriculture et membre de plusieurs sociétés savantes, est professeur des
Universités et en poste à Lyon. Ingénieur de formation, il est biométricien,
spécialiste de la modélisation des systèmes biologiques et écologiques. Auteur de
130 publications et ouvrages, il continue de publier régulièrement. Il vient de passer
6 ans en Guyane pour implanter des équipes de recherche du CNRS dans cette
région française d'Amazonie. Il continue à diriger le Programme Amazonie du
CNRS, qu'il a lancé il y a 5 ans. Ce programme interdisciplinaire est principalement
axé sur l'étude, la modélisation et la théorie de la biodiversité amazonienne afin de
mieux la gérer et la valoriser.
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