L`Évolution, entre hasard et nécessité, entre science et sociétés

L’Évolution, entre
hasard et nécessité,
entre science
et sociétés
Ou comment les théories darwiniennes ont replacé
l’homme au sein du vivant et l’amènent à revoir son
comportement vis-à-vis de ses semblables et des
autres êtres vivants de la planète.
Alain Pa
membre de l'Académie des Technologies,
correspondant de l'Académie d'Agriculture
et membre de plusieurs sociétés savantes, biométricien,
professeur des Universités à Lyon
(Comme convenu entre le conférencier et les organisateurs, la conférence
d’Alain Pas’est déroulée sous forme d’interview par deux animateurs du GREP,
Jacques Perqui a introduit les différentes parties, et Nicole Durup qui a posé des
questions additionnelles).
Introduction
Jacques Perié
- On fait souvent référence aux « théories darwiniennes », ou à
la « théorie de l’évolution ». Ma première question est celle-ci: 150 ans plus tard,
faut-il toujours parler de théorie ou peut-on considérer plutôt qu’il s’agit d’un
ensemble d’observations et de faits suffisamment avérés, en particulier par tout ce
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qui a été fait en science depuis Darwin, pour que l’on parle simplement de
« l’Evolution », ceci quelle que soit par ailleurs l’ardeur d’irréductibles opposants
tels que les créationnistes américains?
Alain Pa
- La réponse est ouiet je m’explique. Reprenons le sens du mot
théorie: il s’agit, suivant le Petit Robert, d’une construction intellectuelle métho-
dique et organisée, de caractère hypothétique (au moins en certaines de ses par-
ties) et synthétique. Puis replaçons-nous dans le contexte historique. Et enfin
précisons que la méthode scientifique n’est pas figée, elle est en constante « évolu-
tion ». Dans beaucoup de domaines de la science, on se trouve devant une alterna-
tive. Ou bien une théorie est démontrée ou confortée : démontrée comme un
théorème en mathématiques, confortée par l’expérience, dans les sciences expéri-
mentales, ou encore par l’observation, dans beaucoup de cas des sciences de la
nature, de l’univers ou de l’homme et de la société. Ou bien réfutée: démonstra-
tion fausse, paradoxe qu’il faut résoudre, expérience ou observation déterminante.
Darwin, d’ailleurs dans la continuité des démarches de l’époque, mais qu’il va
développer de façon plus importante et pertinente que les autres, va utiliser un
faisceau d’arguments pour montrer que sa théorie est plausible. Son approche fait
débat, car c’est un nouveau style de démonstration.
Prenons l’exemple de l’ouvrage très officiel de J. Langlebert (1885) pour les
classes du niveau du baccalauréat. Au début du livre, dans une partie de 4 pages
intitulée « De l’espèce en histoire naturelle. Origine des espèces. Théorie de
Darwin », l’auteur présente la théorie darwinienne en soulignant qu’elle fait
« l’objet de vives discussions ». Il évoque le fixisme en citant Linné, Jussieu et
Cuvier, puis le transformisme avec Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire. Enfin il en
vient à l’évolutionnisme, la « théorie de Darwin » fondée sur la « lutte pour l’exis-
tence ou concurrence vitale et la sélection naturelle qui en résulte ». Dans ce dis-
cours, il fait allusion à « la loi de l’hérédi » et à la « permanence héréditaire »,
importantes à considérer dans le cadre de l’évolution. C’est d’ailleurs le seul
endroit du livre il parle d’hérédité et c’est normal car, à l’époque, les travaux
de Mendel étaient encore largement ignorés. À la fin de cette partie, prudent
quand même, il signale qu’on ne peut pas prouver cette théorie de l’évolution et
très probablement qu’on ne le pourra jamais. Il reste sur une vision classique de
« la démonstration » par l’expérience.
Donc, on parle toujours de la théorie de l’évolution, plus par habitude que par
conviction. La grande majorité des spécialistes parlent de fait et non d’hypothèse.
Cela étant les mécanismes restent encore largement à explorer, même si les
grandes catégories (i.e. variation/sélection) sont bien cernées.
Nicole Durup
- Vous écrivez dans l’un de vos ouvrages que « l’on peut trou-
ver des ancêtres communs entre toutes les formes vivantes actuelles ». Tous les
évolutionnistes ne sont pas d’accord avec vous sur ce point. Par exemple,
Guillaume Lecointre écrit que « nombre de darwiniens ne cherchent même plus à
savoir quels pouvaient être les ancêtres communs aux espèces actuelles » (cité par
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Jean Staune dans « Notre existence a-t-elle un sens). Il ajoute que certains évo-
lutionnistes ont renoncé aux arbres généalogiques et construisent des « arbres de
proximité ». Pour cela, ils comparent les séquences de l’ADN des espèces voisines
prises deux à deux. « Il paraît vain de chercher qui descend de qui », dit
Guillaume Lecointre. Qu’en pensez-vous?
Alain Pa
- C’est un raccourci, comme on en fait souvent. Je conseille quand
même la lecture de l’ouvrage récent de Richard Dawkins: « Il était une fois nos
ancêtres - une histoire de l’évolution » (Robert Laffont, 2007). On y trouve un
exposé très original qui remonte le temps en partant de notre état actuel et qui,
comme dans une construction généalogique, retrouve nos ancêtres et nos cousins,
alors que dans les exposé classiques on descend le temps: on va des formes les
plus simples et primitives jusqu’aux formes actuelles, de complexité variable mais
croissante en moyenne. Tout être vivant aujourd’hui a des ancêtres jusqu’aux pre-
mières formes vivantes. Vous avez des ancêtres communs avec vos cousins, ce sont
vos grands-parents. Je crois qu’il y a une confusion aussi dans la méthode utilisée:
les « arbres de proximités » résultent d’une analyse statistique, classiquement
l’analyse hiérarchique ascendante. Elle est fondée sur le calcul d’une distance
entre caractères ou ensembles de caractères. Qui dit distance dit mesure
(métrique en termes savants). Cette méthode permet de construire un arbre
fondé sur ces distances. Reste à interpréter ces arbres. Par exemple prenons 4
fragments comparables du génome: il s’agit du gène du cytochrome C, présent
dans la plupart des organismes, et qui a été l’un des premiers analysés systémati-
quement.
Il ne faut pas en conclure que le cheval et le
lapin ont le même ancêtre immédiat, mais que le
cheval et le lapin sont, au filtre de la distance cal-
culée sur le gène du cytochrome C, plus proches
qu’ils ne le sont du macaque et de l’homme. La
divergence entre les primates d’un côté, les équi-
dés et les lagomorphes de l’autre apparaît aussi
dans ce schéma.
En pratique, on ne procède pas que d’une seule analyse. L’analyse statistique
des fragments de génomes n’est qu’un élément de la reconstruction du passé et
donc de l’évolution. D’autres arguments, notamment morphologiques, permettent
de trouver les formes ancestrales les plus proches qui se confondent pour identi-
fier ou imaginer les organismes de la population ancestrale (ou des populations
ancestrales s’il y a hybridation). En inversant ce schéma ascendant, on peut pla-
quer le mécanisme évolutif mêlant variations et sélections, voire hybridation.
Si l’on n’admet pas ce schéma, on suppose implicitement que des formes sans
ancêtres ont pu apparaître spontanément. C’est-à-dire un schéma créationniste.
Or nous n’en avons pas besoin. Pour cela, il faudrait imaginer un organisme qui
ne puisse être lié en aucune façon aux formes existantes.
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La référence à Jean Staune me gêne un peu quand même, sachant qu’il est un
représentant de l’intelligent design… on comprend alors que son argument est
spécieux, ou du moins qu’il n’a pas, sans doute par ignorance, envisagé toutes les
dimensions du problème.
Le cœur de la théorie de l’évolution
Jacques Perié
- Pourriez-vous en donner les principaux aspects, à la fois ceux
que Darwin lui-même avait jugés comme étant les plus marquants, et ceux qui ont
été rajoutés par 150 ans d’activité scientifique, à la fois en paléontologie, géné-
tique, biologie moléculaire et autres. Quel est ce processus de longue maturation
que vous évoquez, en citant par exemple le milliard d’années qui a été nécessaire
à l’acquisition d’une paroi dans le noyau des cellules?
Alain Pavé
- D’abord, l’idée d’évolution ou de transformation, opposée à un
monde figé, créé une fois pour toute, est plus ancienne que Darwin et s’était déjà
imposée comme une hypothèse sérieuse. On peu citer Lucrèce (-90 av. J.-C.)
comme référence très ancienne. Maupertuis au XVIIIesiècle et bien sûr Lamarck
fin XVIIIeet début XIXe. De même, les débats entre Etienne Geoffroy Saint-
Hilaire, tenant du transformisme, et Georges Cuvier, tenant du fixisme, entre 1800
et 1830. Mais c’est Darwin, dans « De l’origine des espèces » qui va construire
patiemment sa démonstration sur la base du couple variation-sélection. Il s’est
fondé sur une analyse comparative qu’il a pu construire à partir des observations
faites lors de son voyage sur le Beagle. Il mettra 20 ans à élaborer sa démonstra-
tion, complétée par des analyse sur les fossiles et des références à d’autres consi-
dérations, notamment sur la sélection pratiquée pas les éleveurs. Il lui aura
manqué la génétique, qui apportera des arguments déterminants pas la suite,
après la redécouverte de travaux de Mendel, au début du XXesiècle.
Une première catégorie de scientifiques, peu connus du grand public, mérite
d’être cie. Elle regroupe les biométriciens, dont l’un des premiers, Francis
Galton, est un cousin de Darwin. Ils vont apporter des méthodes d’analyse quan-
titative qui vont s’avérer très fructueuses tout au long de l’histoire de la théorie
de l’évolution. Un autre biométricien doit être cité, Sir Ronald Fisher, dont la
contribution reste comme l’une des plus importantes. Par exemple, l’arbre pré-
senté ci-dessus résulte de techniques élaborées par des biométriciens.
Dans son ouvrage, Darwin parle d’hérédité (d’ailleurs, il ne rejette pas l’héré-
dité des caractères acquis, mécanisme du transformisme imaginé par Lamarck),
mais il ne peut pas aller plus loin, ignorant qu’il est des travaux de G. Mendel. De
fait la génétique va apporter des arguments décisifs, en permettant d’expliquer
l’origine des variations et bien sûr, inversement des conservations: ce sont des
modifications, ou non, du support de l’hérédité, d’abord identifié comme les chro-
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mosomes, puis comme l’ADN, piégé dans ces chromosomes au moment des divi-
sions cellulaires. Beaucoup plus : la génétique des populations, avec ses expé-
riences et ses modèles, va mettre en évidence en laboratoire des phénomènes de
microévolution et permettre de représenter et de simuler les phénomènes évolu-
tifs (Dobzhansky, Haldane, Malécot, etc.). La biologie moléculaire en tant que
telle est restée discrète, comme le signale Michel Morange dans un récent article
de La Recherche, mais ses résultats, notamment toutes les techniques de séquen-
çage, vont permettre de raffiner le schéma et de faire des comparaisons globales
sur le même support avec une méthodologie unique conçue par les biométriciens.
En résumé, tout ce que l’on a trouvé va dans le sens de la théorie, rien ne la
contredit.
Un point important, qu’il faut bien avoir à l’esprit et nous allons y revenir, est
qu’on raisonne sur des échelles de temps immenses par rapport à notre percep-
tion. Parmi les questions qui doivent retenir notre attention: pourquoi les pre-
miers pas ont-ils été si longs ? Pourquoi, ensuite, ces explosions, cette
diversification? (pour Claude Bouschet: inclure ici approx image3 et image4)
Enfin, les systèmes vivants, organismes, populations, communautés… bio-
sphère, sont les résultats de l’évolution. Il est très efficace de mettre tout ce que
nous observons en perspective par rapport à cette évolution. Comme l’a si bien
dit Theodosius Dobzhansky: « Rien ne prend sens, en biologie, si ce n’est à la
lumière de l’évolution ». C’est pour cette raison, et j’y reviendrai, qu’on ne peut
que regretter le peu de place laissé à l’enseignement de cette « théorie »
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Histoire de la vie sur la Terre (I)
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