qui a été fait en science depuis Darwin, pour que l’on parle simplement de
« l’Evolution », ceci quelle que soit par ailleurs l’ardeur d’irréductibles opposants
tels que les créationnistes américains?
Alain Pavé
- La réponse est oui… et je m’explique. Reprenons le sens du mot
théorie: il s’agit, suivant le Petit Robert, d’une construction intellectuelle métho-
dique et organisée, de caractère hypothétique (au moins en certaines de ses par-
ties) et synthétique. Puis replaçons-nous dans le contexte historique. Et enfin
précisons que la méthode scientifique n’est pas figée, elle est en constante « évolu-
tion ». Dans beaucoup de domaines de la science, on se trouve devant une alterna-
tive. Ou bien une théorie est démontrée ou confortée : démontrée comme un
théorème en mathématiques, confortée par l’expérience, dans les sciences expéri-
mentales, ou encore par l’observation, dans beaucoup de cas des sciences de la
nature, de l’univers ou de l’homme et de la société. Ou bien réfutée: démonstra-
tion fausse, paradoxe qu’il faut résoudre, expérience ou observation déterminante.
Darwin, d’ailleurs dans la continuité des démarches de l’époque, mais qu’il va
développer de façon plus importante et pertinente que les autres, va utiliser un
faisceau d’arguments pour montrer que sa théorie est plausible. Son approche fait
débat, car c’est un nouveau style de démonstration.
Prenons l’exemple de l’ouvrage très officiel de J. Langlebert (1885) pour les
classes du niveau du baccalauréat. Au début du livre, dans une partie de 4 pages
intitulée « De l’espèce en histoire naturelle. Origine des espèces. Théorie de
Darwin », l’auteur présente la théorie darwinienne en soulignant qu’elle fait
« l’objet de vives discussions ». Il évoque le fixisme en citant Linné, Jussieu et
Cuvier, puis le transformisme avec Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire. Enfin il en
vient à l’évolutionnisme, la « théorie de Darwin » fondée sur la « lutte pour l’exis-
tence ou concurrence vitale et la sélection naturelle qui en résulte ». Dans ce dis-
cours, il fait allusion à « la loi de l’hérédité » et à la « permanence héréditaire »,
importantes à considérer dans le cadre de l’évolution. C’est d’ailleurs le seul
endroit du livre où il parle d’hérédité et c’est normal car, à l’époque, les travaux
de Mendel étaient encore largement ignorés. À la fin de cette partie, prudent
quand même, il signale qu’on ne peut pas prouver cette théorie de l’évolution et
très probablement qu’on ne le pourra jamais. Il reste sur une vision classique de
« la démonstration » par l’expérience.
Donc, on parle toujours de la théorie de l’évolution, plus par habitude que par
conviction. La grande majorité des spécialistes parlent de fait et non d’hypothèse.
Cela étant les mécanismes restent encore largement à explorer, même si les
grandes catégories (i.e. variation/sélection) sont bien cernées.
Nicole Durup
- Vous écrivez dans l’un de vos ouvrages que « l’on peut trou-
ver des ancêtres communs entre toutes les formes vivantes actuelles ». Tous les
évolutionnistes ne sont pas d’accord avec vous sur ce point. Par exemple,
Guillaume Lecointre écrit que « nombre de darwiniens ne cherchent même plus à
savoir quels pouvaient être les ancêtres communs aux espèces actuelles » (cité par
ALAIN PAVÉ
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PARCOURS 2008-2009