Expositions environnementales et enjeux sanitaires Docteur Fabien Squinazi Médecin biologiste Ancien directeur du Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris Santé • un état de complet bien-être physique, mental et social, • qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité Préambule de la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé, signé le 22 juillet 1946, par les représentants de 61 Etats Santé Environnement • Aspects de la santé humaine influencés par l’environnement, et notamment par les pollutions environnementales • Environnement choisi : notre comportement ou mode de vie • Environnement subi : – comportement des communautés auxquelles nous appartenons (urbaines, professionnelles,…) – qualité du milieu dans lequel nous vivons (facteurs physiques, chimiques, biologiques ou sociaux) Santé environnementale • Aspects de la santé humaine, y compris la qualité de vie des populations, et des maladies • qui sont déterminés par les facteurs biologiques, chimiques, physiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement contrôle et évaluation dans l’environnement des facteurs qui peuvent potentiellement affecter la santé Première conférence européenne sur l’environnement et la santé, 7 – 8 décembre 1989 Expositions environnementales • facteurs multiples : chimiques, physiques, biologiques • situations variées : professionnelles ou autres • âges différents de la vie • individus vulnérables : facteurs biologiques, médicaux, économiques, éducationnels, culturels, surexposition, accès aux soins,… • faibles doses • facteurs combinés et interactions potentielles : y compris socio-économiques et géographiques • fenêtre temporelle d’exposition : période fœtale, tout jeune âge, transmission mère-enfant Inégalités environnementales, territoriales et socio-économiques • Zones particulièrement polluées par les activités humaines, présentes ou passées, avec surexposition ou multi-exposition • Territoires cumulant les risques environnementaux, habitats insalubres, populations en situation de fragilité socioéconomique • Populations vulnérables : âge, milieu de travail, maladie (sujets asthmatiques, souffrant de pathologies cardiovasculaires,…) Notion d’exposome • Prendre en considération les diverses sources de pollution et de stress, susceptibles de concourir à l’altération de la santé des individus – à la fois, en considérant la totalité des voies d’exposition à un polluant ou une nuisance – et, si possible, les interactions entre polluants • S’applique à l’atteinte des organes cibles en intégrant les mécanismes de toxicité associés et la réponse biologique globale (toxicologie systémique) Lien entre contamination des milieux et biomarqueurs d’exposition, voire d’effets précoces Les risques sanitaires • Risques relatifs faibles • Risques chroniques : de longs délais entre le début des exposition et la survenue de la pathologie • Peu de substances chimiques évaluées : 900 pour plus de 40 000 présents sur le marché • Plusieurs pathologies cibles d’expositions à un ou plusieurs agents physico-chimiques • Ou une pathologie aux étiologies multiples La pollution atmosphérique (1/2) • En 2012, est responsable pour l’OMS de 7 millions de décès prématurés par : – cardiopathies ischémiques et accidents vasculaires cérébraux (80%) – bronchopneumopathies chroniques obstructives ou infections aiguës des voies respiratoires inférieures (14%) – cancer du poumon (6%) • Le CIRC a classé « cancérogène certain pour l’homme » : – les effluents d’échappement des moteurs Diesel (2012) – la pollution atmosphérique (2013) – les particules de l’air extérieur (2013) La pollution atmosphérique (2/2) • un risque environnemental majeur pour la santé dans le monde (OMS) • une charge de morbidité imputable aux niveaux de pollution atmosphérique : – accidents vasculaires cérébraux – cardiopathies – cancer du poumon – affections respiratoires, chroniques ou aiguës, y compris l’asthme Programme de Surveillance Air et Santé 16 villes (InVS Janvier 2013) Pour un accroissement de 10 µg/m3 de particules fines (PM2,5 – 10), on observe un excès de risque de : • + 2,8 % pour les hospitalisations pour cardiopathies ischémiques (+ 6,4 % pour les 65 ans et plus) • + 6,2 % pour les hospitalisations pour pathologies respiratoires (0 – 14 ans) • + 4,0 % pour la mortalité cardiaque (+ 4,9 % pour les 65 ans et plus) Pour un accroissement de 10 µg/m3 de dioxyde d’azote, on observe un excès de risque de : • + 1,7 % pour les hospitalisations pour cardiopathies ischémiques (+ 2,4 % pour les 65 ans et plus) • + 0,6 % pour les hospitalisations pour pathologies respiratoires (0 – 14 ans) • + 1,6 % pour la mortalité cardiaque (+ 2,7 % pour les 65 ans et plus) 11 Etude européenne APHEKOM 2012 • Le dépassement de la valeur guide OMS pour les particules fines PM2,5 (10 µg/m3) se traduit chaque année dans 25 grandes villes européennes : – par 19 000 décès (2900 pour les 9 villes françaises) dont 15 000 (1500) pour causes cardiovasculaires – par des dépenses et coûts de santé de : • 31,5 milliards € (39 millions d’habitants) • 4,9 milliards € dans les 9 villes françaises • Si les niveaux annuels sont ramenés à 10 µg/m3, on obtient un gain moyen d’espérance de vie à l’âge de 30 ans de : – 7,5 mois à Marseille – 5 à 5,8 mois à Strasbourg, Lille, Lyon, Paris, Bordeaux Coûts imputables à la pollution de l’air de cinq maladies respiratoires (CGDD, avril 2015) Pathologie Nombre annuel de nouveaux cas Coût annuel pour le système de soins BPCO 47 900 123 millions € Bronchite chronique 72 000 72 millions € 120 000 Bronchite aiguë (E) 450 218 (A) 500 000 Asthme 400 000 Cancers VR Basses 1 608 4 020 Cancers VR Hautes 76 380 1 400 000 Hospit. Respirat. 13 796 Hosp. Cardiovascul. 19 761 TOTAL 186 millions € 170,9 millions € 314,9 millions € 1,102 milliard € 50,2 millions € 131,3 millions € 155 millions € 886 millions € 1,817 milliard € Les sources de pollution urbaine • Combustions – Foyers fixes de combustion (centrales thermiques, chauffages, foyers de l’industrie) : SO2, particules, NOx, HAP, métaux – Trafic automobile (moteurs à essence et Diesel) : Nox, hydrocarbures, C0, particules • Procédés industriels – Spécifiques de chaque type d’industrie : ex. plomb, fluor, dioxine, mercaptans • Evaporation – Stockage et distribution des carburants, utilisation des solvants : composés organiques volatils (COV) dont hydrocarbures et solvants • Réactions (photo)chimiques atmosphériques – Production de polluants secondaires : ozone (O3), NO2, aldéhydes, peroxyacylnitrates (PAN) Cancer et environnement • Agents cancérogènes avérés (CIRC) présents dans l’environnement général ou professionnel – rayonnements ionisants : radon, émissions et déchets des installations nucléaires – ultra violets – amiante résiduel dans le bâti antérieur à 1997 – benzène (industries, stations-service,…) – effluents d’échappement des moteurs Diesel – pollution atmosphérique et particules de l’air extérieur – formaldéhyde – insecticides arsenicaux – polluants persistants : PCB, dioxines Les allergies respiratoires • • • • 4ème rang des maladies chroniques dans le monde (OMS) un doublement en 20 ans dans les pays développés terrain atopique : 25 à 30 % de la population générale en France, 18 millions d’allergiques – 6 millions de personnes souffrent de rhinite allergique • 7% chez les enfants de 6 à 7 ans • 20% chez les enfants de 9 à 11 ans • 18% chez les adolescents de 13 à 14 ans • 31 à 34 % chez les adultes – 4 millions d’asthmatiques • 12,7 % des enfants de 11 à 14 ans • 6 % des adultes Des pollens plus nombreux, plus longtemps, plus allergisants • production plus importante: soleil, θ°C, CO2 • périodes de pollinisation allongées • distribution et dispersion modifiées : migrations d’espèces végétales, tempêtes et précipitations • potentiel allergisant modifié par les particules ultrafines ou le NO2 • susceptibilité accrue par la pollution atmosphérique : O3 Les enjeux énergétiques du bâtiment • Le secteur du bâtiment représente en France : – 25 % des émissions de gaz à effet de serre – 45 % de la consommation d’énergie • Le plan de rénovation thermique de l’habitat entreprendre des travaux d’isolation pour : – 500 000 logements d’ici à 2017 – 4 millions de familles en situation de précarité énergétique (logements mal isolés : « passoires thermiques ») • Des constructions performantes en énergie (BBC, BEPAS, BEPOS) Humidité des logements (n= 501) (OQAI 2003 – 2005) Problème d’humidité visible Au moins une pièce avec moisissures ≥ 1m2 Quelques taches éparses de moisissures Au moins une pièce avec revêtements dégradés Problèmes d’humidité 46 % des logements 5,4 % des logements 13% des logements 1 logement sur 3 Chambres et salles de bains / WC Moisissures intérieures • température entre 20 et 35 °C • humidité de l’air > 60 % • quantité d’eau disponible dans un substrat « water activity » – isolation excessive des habitations – aération insuffisante – production de vapeur d’eau liée à l’occupation : activités domestiques, plantes, sur occupation… – infiltrations d’eau augmentation de l’humidité Moisissures intérieures : une très grande diversité clinique • l’inhalation de spores fongiques peut provoquer des pathologies : – infectieuses (aspergillose bronchopulmonaire invasive chez le sujet immunodéprimé) – toxiques (mycotoxines) – irritatives (composés organiques volatils, glucanes) – immuno-allergiques • aspergillose bronchopulmonaire allergique • alvéolites allergiques extrinsèques • allergies fongiques : rhinites, conjonctivites, bronchites asthmatiformes, asthme Les acariens : principaux réservoirs • arthropode, de moins d’un demi-millimètre • plus d’une dizaine d’allergènes identifiés et clonés : Der p1 est l’allergène majeur (fécès) • allergènes d’acariens retrouvés dans l’environnement domestique (mais variabilité d’une maison à l’autre), portés par des particules de plus de 10 µm : – réservoirs principaux : literie, sommier tapissier – réservoirs secondaires : jouets en peluche, textiles, revêtements de sol et de murs Les acariens : facteurs favorables • humidité relative élevée – 70 à 80 % à 25 °C pour D. pteronyssimus – 50 à 60 % à 25 °C pour D. farinae • • • • • température optimale : 25 à 28 °C squames humaines : 110 à 140 mg/jour/personne produits de desquamation d’origine animale débris alimentaires moisissures Animaux domestiques (1/3) • Chat – sensibilisation : 25 % de la population générale – allergène majeur (Fel d 1) contenu dans les glandes anales et sébacées, la salive – production de Fel d 1 varie d’un facteur 8 entre « faibles producteurs » et « forts producteurs » – production variable selon la race, le sexe et la couleur de l’animal – transport des allergènes par des particules fines (< 5 µm) : vêtements, sièges capitonnés, moquettes, meubles Animaux domestiques (2/3) • Chien – sensibilisation : 14 % de la population générale – allergène majeur (Can f 1) contenu dans le pelage, la salive et la peau – taux d’allergènes 10 fois plus élevé dans la poussière (tapis, moquettes) des maisons abritant un chien – transport des allergènes par des particules fines (< 5 µm) : sièges rembourrés Animaux domestiques (3/3) • Rongeurs – cochons d’inde, chinchilla, gerboises, rats, souris, écureuils, furets – allergènes contenus dans les urines, le pelage, la salive et la peau – quantités importantes d’allergènes dans les litières et la poussière du sol – transport des allergènes par des particules fines (< 5 µm) Blattes • Blatella germanica - sensibilisation : jusqu’à 10 % d’une population consultant en allergologie en France (29,8 à 60 % des populations défavorisées aux Etats- Unis) - allergène majeur localisé dans l’exosquellette et les déjections, porté par des particules de plus de 10 µm - infestation majeure dans la cuisine - absence d’allergènes dans l’air ambiant, en l’absence de perturbation aérienne Les polluants de l’air intérieur • • • • • • • • particules PM10 - PM2,5 dioxyde d’azote monoxyde de carbone fumée de tabac environnementale composés organiques volatils aldéhydes (formaldéhyde) composés organiques semi-volatils radon et autres substances polluantes du sous-sol Des sources de pollution intérieure diverses • environnement extérieur • matériaux de construction, d’ameublement et de décoration • occupants, activités et comportements (appareils de combustion, équipements, ménage, bricolage, désodorisation, présence d’animaux domestiques, tabagisme, température, humidité, aération, ventilation) Les systèmes de renouvellement d’air des locaux • Trois fonctions : – apporte l’air neuf – évacue les odeurs, biocontaminants et polluants physicochimiques – évite les désordres dus à l’humidité • Trois méthodes : – aération – ventilation naturelle par tirage thermique – ventilation mécanique contrôlée dispositifs d’entrée et de sortie d’air Coût socio-économique de la pollution de l’air intérieur (M €) ANSES – OQAI – Université Paris I (2014) Benzène TCE Radon CO PM FTE Total 342 20 2 074 98 16 236 1 114 19 884 mortalité -437 -26 -2 089 -237 -5 760 -322 - 8 871 qualité de vie -369 -7 -309 0 -7 350 -837 -8 872 production -36 -2 -282 -72 -1 102 -85 - 1 579 Total coût ext. -842 -35 -2 680 -309 - 14 212 - 1 244 - 19 322 -18 -4 -61 -3 -236 -37 -360 - - - - - - -11 retraites 10,2 0,61 49 4 136,5 8 +209 Total fin.publ. -7,8 -3,4 -12 0,9 -99,5 -29 -161,3 effet FP/BE -9,4 -4 -14,4 1,1 -119,4 -35 -194 Var. bien-être -851 -39 -2 694 -308 -14 331 -1 279 - 19 526 Nombre décès Coût externe Finances publ. soins recherche. Les maladies infectieuses • Maladies environnementales – Legionella et autres micro-organismes hydriques • Maladies transmises par des vecteurs – Chigungunya : La Réunion et Mayotte 2005/2006 Antilles et Guyane 2014 – Dengue : Antilles et Guyane 2007, 2010, 2013 – Zika : Polynésie française et Nouvelle Calédonie 2013/2014 – Aedes albopictus (moustique tigre) : sud-est du territoire métropolitain Nombre de cas déclarés de légionellose en France 1600 1400 1200 1000 800 600 400 200 0 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 cas déclarés Le changement climatique • Elévation d’environ 1°C des températures moyennes globales à la surface de la terre dans les 150 dernières années, et pour ses trois quarts, dans les 50 dernières années. • Le réchauffement des 50 dernières années est principalement dû aux activités humaines : augmentation des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane) Changement climatique : ses impacts environnementaux • Amplification des risques biologiques – pollens – pollution de l’eau – maladies à vecteurs • Amplification des risques physiques – évènements extrêmes (canicules, grands froids, fortes précipitations , inondations,…) – ultra violets (ozone, …) • Amplification des risques chimiques – pollution atmosphérique Des pistes prioritaires d’action 1. Améliorer la connaissance des expositions et faciliter l’accès et l’utilisation des données 2. Poursuivre l’étude des liens entre l’exposition aux polluants et le développement d’une pathologie ou d’un symptôme 3. Protéger la santé des personnes vulnérables et mieux caractériser les inégalités environnementales territoriales 4. Réduire les émissions 5. Favoriser l’intégration SE dans les politiques publiques et l’implication de la population « Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes avec la même façon de penser que celle qui les a engendrés », disait Albert Einstein. Il nous faut un renversement de perspective : c'est l'Humanité qui doit être au centre de nos préoccupations. Nous pouvons tous y contribuer, individuellement et collectivement. En mettant en commun nos réflexions et nos efforts. En faisant preuve de sobriété, d'inventivité et de solidarité. Jean-Claude Ameisen, Forum du CESE, 4 juin 2015