afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 1 DOSSIER FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE Face à un patient en fin de vie, nous sommes confrontés à notre propre peur de la mort et à notre peine de la séparation. Il nous est difficile d’accepter la mort, et pourtant, la mort fait partie de la vie. Elle l’achève et la clôture. “ Je suis infirmière libérale, l’an dernier, nous suivions une jeune femme (Cancer de l’utérus incurable, diabétique et hémodialysée). Elle se rend trois fois par semaine à l’hôpital pour être dialysée. Elle supporte de plus en plus mal ses séances et souhaitent les arrêter : elle en connait le risque. Elle est tellement mal après les dialyses que l’équipe de soins pensent qu’elle va finir par mourir dans l’ambulance après une séance de dialyse…Elle réitère à plusieurs reprises sa demande d’arrêter ces séances. Les membres de l’équipe : médecin traitant, néphrologue et les équipes infirmières d’hémodialyse et libérales, se concertent et la démarche éthique conduit à penser qu’il s’agit d’acharnement et qu’il faut accéder à sa demande. Elle sera accueillie en unité de soins palliatifs et les dialyses seront progressivement arrêtées, elle décédera au bout de 6 jours avec des soins de confort maximal, entourée de sa mère et de sa meilleure amie. (et non dans l’ambulance…) “ 19 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 2 DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE HISTOIRE DES SOINS PALLIATIFS ET DE L'ACCOMPAGNEMENT Les prémisses : le soin aux incurables Au Moyen Age, les soins aux indigents et incurables étaient déjà la préoccupation des confréries "de la bonne mort" et des Hôtels Dieu. Mais cet accueil ne faisait pas l'objet de structures spécifiques vouées aux soins palliatifs. Pour cela, il faudra attendre le XIXème siècle. En 1874, toujours sous l'égide de l'œuvre du Calvaire, Aurélie Jousset crée un hospice à Paris, dans le XV ème arrondissement : ce centre deviendra l'actuelle Maison Jeanne Garnier qui, avec ses 80 lits, est aujourd'hui la plus grande unité de soins palliatifs en France. C'est en effet en 1842, dans le quartier du calvaire à Lyon, qu'une jeune femme, Jeanne Garnier, fonde l'association des Dames du Calvaire pour accueillir les malades incurables. En 1870, les sœurs néerlandaises de la Charité ouvrent l'hospice Notre Dame à Dublin et en 1905 celui de St Joseph à Londres. Le mouvement des hospices anglais est amorcé. Le travail précurseur des soignants anglo-saxons Un médecin, Cicely Saunders, jouera un rôle prépondérant dans le développement des soins palliatifs. Elle met au point des protocoles antalgiques, étudie et fait connaître le maniement des morphiniques par voie orale. Elle développe également le concept de «total pain » (douleur globale) prenant en considération la douleur physique mais aussi les souffrances psychologiques, sociales et spirituelles des malades en fin de vie. En 1967, en banlieue de Londres, Cicely Saunders fonde le St Christopher's Hospice autour d'une équipe interdisciplinaire dans laquelle les professionnels de santé, les bénévoles, les agents du culte travaillent ensemble pour prendre en charge le patient et ses proches. Véritable pionnier du mouvement des soins palliatifs, le St Christopher's Hospice reste un lieu de référence. A peu près à la même époque, d'autres figures anglosaxonnes contribuent à faire émerger la question de la prise en charge des malades en fin de vie : en 1969, aux Etats-Unis, Elisabeth Kübler-Ross publie «On death and Dying», à propos des réactions psychologiques de malades confrontés à la mort ; en 1974, à Montréal (Canada), grâce à l'enseignement qu'il a reçu au St Christopher's Hospice, le Dr Balfour Mount crée la première unité d'hospitalisation en milieu universitaire, au Royal Victoria Hospital. Il choisit l'appellation soins palliatifs plutôt que de conserver le terme hospice qui présente au Canada une connotation péjorative. Le mouvement va ensuite se développer rapidement en Amérique du Nord. 20 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 3 L'émergence du mouvement des soins palliatifs en France En 1973, au retour d'un voyage d'étude au St Christopher's Hospice, les publications du Père Patrick Verspieren ont un retentissement important. Le Ministère de la Santé prend alors conscience de la nécessité de réfléchir à la prise en charge de ces malades en fin de vie ; il constitue ainsi un groupe d'experts sur l'accompagnement des malades en phase terminale. Dans ses conclusions, ce groupe prend officiellement position en faveur du soulagement de la douleur. Mais, aucune suite particulière ne sera donnée. Sur le territoire français, le mouvement des soins palliatifs se développe. Les premiers services ou consultations spécifiquement dédiés vont se créer. Vers un enjeu de santé publique 1984 est un tournant dans la prise de conscience de l'importance des soins palliatifs. Dans un article de la revue "Etudes", le Père Patrick Verspieren dénonce les pratiques d'euthanasie dans les hôpitaux; le Comité Consultatif d'Ethique Médicale est créé; la voix de quelques soignants se fait entendre pour désapprouver les positions en faveur de l'euthanasie de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD). Un nouveau groupe de travail est constitué par le Ministère de la santé. Il conduira la ministre Michèle Barzach à officialiser les soins palliatifs par la "Circulaire du 26 août 1986 relative à l'organisation des soins et à l'accompagnement des malades en phase terminale". Une véritable dynamique associative L'accompagnement des malades suscite la création de nombreuses associations, preuve que la société française toute entière manifeste son intérêt et sa solidarité. En 1989, beaucoup de ces associations, animées des mêmes objectifs, se rapprochent des professionnels de la santé (médecins, infirmières, psychologues…) pour fonder la Société Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP). Sa mission est de représenter, de stimuler et de faciliter l'action des personnes morales ou physiques impliquées dans le mouvement des soins palliatifs et de l'accompagnement des personnes en fin de vie, dans le but de développer et d'améliorer la prise en charge des personnes et la qualité des soins reçus. La SFAP est notamment leur porte-parole auprès des pouvoirs publics. Elle adhère également à l'Association Européenne des Soins Palliatifs (EAPC). Anne-Marie CADART Source SFAP Un dispositif en constante évolution A partir des années 90, une série de textes fait progresser la reconnaissance des soins palliatifs et de l'accompagnement ; des dispositifs opérationnels sont mis en place, même si les moyens ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. 1991 : la loi hospitalière du 31 juillet introduit les soins palliatifs dans les missions de tout établissement de santé. 1993 : le rapport du Dr Delbecque, à la demande du Ministère de la Santé, fait le point sur les évolutions intervenues depuis la circulaire de 1986 et émet des propositions, lesquelles s'articulent autour de trois axes : • Développement des soins palliatifs à domicile • Planification des centres de soins palliatifs • Enseignement/information des soins palliatifs. 1994 : le sénateur Lucien Neuwirth se prononce pour l'amélioration de la prise en charge de la douleur et travaille à l'élaboration de textes en ce sens. 1998 : Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat chargé de la santé, déclare que «les soins palliatifs et la douleur sont une priorité de santé publique». Le plan triennal 19992001 entraîne plusieurs actions de formation (en faculté de médecine et dans les instituts de soins infirmiers) ainsi que la création de nouvelles structures de soins. 1999 : d'une valeur juridique supérieure à la circulaire Laroque, la loi du 9 juin votée à l'unanimité par le Parlement garantit un droit d'accès aux soins palliatifs pour toute personne en fin de vie (article 1). La loi institue aussi un congé d'accompagnement que peuvent prendre des personnes désireuses d'accompagner un proche en fin de vie (articles 11 et 12). D'autres dispositions concernent : • L'intégration des soins palliatifs dans le Schéma Régional d'Organisation Sanitaire et Sociale (SROS), outil servant à la répartition des ressources, en fonction de priorités définies (article 2) • L'organisation de l'enseignement des soins palliatifs (article 7) • L'organisation du bénévolat (article 10) 2000 : la circulaire du 22 mars de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM), définit la contribution du fonds d'action sanitaire et social de la caisse pour le maintien au domicile des personnes en fin de vie. Elle prévoit en particulier une aide financière (sous conditions) pour le paiement de gardes-malades et l'achat d'équipements spécifiques. Une dotation est créée pour soutenir la formation des bénévoles d'accompagnement ; la gestion en est confiée à la SFAP. En outre, le gouvernement édite la circulaire du 30 mai qui encourage le développement de l'hospitalisation à domicile par les Agences Régionales Hospitalières (ARH), en précisant que ces structures doivent participer à la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs. 2002 : la circulaire du 19 février précise l'organisation des soins palliatifs et de l'accompagnement. Elle définit les missions et les modalités de fonctionnement en ce qui concerne les réseaux de soins palliatifs et l'hospitalisation à domicile, la notion de démarche palliative dans tous les services et le concept de lits identifiés soins palliatifs. Cette circulaire s'accompagne d'un second programme national de développement des soins palliatifs 20022005 privilégie trois axes : • Le développement des soins palliatifs à domicile • La poursuite du renforcement et de la création de structures spécialisées • La sensibilisation et l'information de l'ensemble du corps social à la démarche palliative. 2003 : le plan cancer remis au Président de la République insiste sur la nécessité de développer les soins de support, permettant une prise en charge globale du patient dans laquelle s'inscrivent les soins palliatifs et l'accompagnement. Les débats concernant l’euthanasie ont régulièrement secoué la société française, resurgissant lors de chaque nouvelle affaire touchant à cette question. Le cas de Vincent Humbert a cristallisé toutes les interrogations et les positions partisanes. Entre la fin 2004 et le printemps 2005, dans un contexte émotionnel particulièrement dramatique, une mission parlementaire est mise en place, présidée par M. Jean Léonetti. Cette mission a débouché sur une proposition de loi qui a été adoptée à l’unanimité à l'Assemblée Nationale le 1er décembre 2004, puis votée en termes conformes par le Sénat le 12 avril 2005. Pour soutenir et signer en ligne le plaidoyer des professionnels de santé et de bénévoles d'accompagnement concernant le débat sur la fin de la vie : http://www.sfap.org/component/option,com_wrapper/Itemid,163/ 21 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 4 DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE QUELQUES DÉFINITIONS Définition des soins palliatifs Par la "loi de 1999" Article 1er de la loi n°99-477 Titre 1er : Droits de la personne malade : Art. L.1er A. – Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Art. L.1er B. – Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. Art. L.1 er C. – La personne malade peut s’opposer à toute investigation ou thérapeutique. Par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) Définition de 1990 Les soins palliatifs sont des soins actifs, complets, donnés aux malades dont l’affection ne répond pas au traitement curatif. La lutte contre la douleur et autres symptômes et la prise en considération des problèmes psychologiques, sociaux et spirituels, sont primordiales. Le but des soins palliatifs est d’obtenir la meilleure qualité de vie possible pour les malades et leur famille. De nombreux éléments des soins palliatifs sont également applicables au début de l’évolution de la maladie, en association avec un traitement anticancéreux. " C'est tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus rien à faire " (1976) Par Thérèse Vanier : 22 Les soins palliatifs affirment la vie et c o n s i d è re n t l a m o r t c o m m e u n processus normal, ne hâtent ni ne retardent la mort, procurent un soulagement de la douleur et des autres symptômes pénibles, intègrent les aspects psychologiques et spirituels dans les soins aux malades, offrent un système de soutien pour aider les malades à vivre aussi activement que possible jusqu’à la mort, offrent un système de soutien qui aide la famille à tenir pendant la maladie du patient et leur propre deuil. Définition de 2002 Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision, ainsi que le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés. Les soins palliatifs procurent le soulagement de la douleur et des autres symptômes gênants, soutiennent la vie et considèrent la mort comme un processus normal, n’entendent ni accélérer ni repousser la mort, intègrent les aspects psychologiques et spirituels des soins aux patients, proposent un système de soutien pour aider les patients à vivre aussi activement que possible jusqu’à la mort, offrent un système de soutien qui aide la famille à tenir pendant la maladie du patient et leur propre deuil, utilisent une approche d’équipe pour répondre aux besoins des patients et de leurs familles en y incluant si nécessaire une assistance au deuil, peuvent améliorer la qualité de vie et influencer peut-être aussi de manière positive l’évolution de la maladie, sont applicables tôt dans le décours de la maladie, en association avec d’autres traitements pouvant prolonger la vie, comme la chimiothérapie et la radiothérapie, et incluent les investigations qui sont requises afin de mieux comprendre les complications cliniques gênantes et de manière à pouvoir les prendre en charge. Par le Conseil National de l’Ordre des Médecins (1996) Les soins palliatifs sont les soins et l’accompagnement qui doivent être mis en œuvre toutes les fois qu’une atteinte pathologique menace l’existence, que la mort survienne ou puisse être évitée. Par l’ANAES (2002) (Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé) Les soins palliatifs sont des soins actifs, continus, évolutifs, coordonnés et pratiqués par une équipe pluriprofessionnelle. Ils ont pour objectif, dans une approche globale et individualisée, de prévenir ou de soulager les symptômes physiques, dont la douleur, mais aussi les autres symptômes, d’anticiper les risques de c o m p l i c a t i o n s e t d e p re n d re e n compte les besoins psychologiques, sociaux et spirituels, dans le respect de la dignité de la personne soignée. Les soins palliatifs cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables et se refusent à provoquer intentionnellement la mort. Selon cette approche, le patient est considéré comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Les soins palliatifs s’adressent aux personnes atteintes de maladies graves évolutives ou mettant en jeu le pronostic vital ou en phase avancée ou terminale, ainsi qu’à leur famille ou à leurs proches. Des bénévoles, formés à l’accompagnement et appartenant à des associations qui les sélectionnent peuvent compléter, avec l’accord du malade ou de ses proches, l’action des équipes soignantes. t e e - e r t e s e e - t t x s e e e t s s s afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 5 Par Cicely Saunders : " La médecine palliative repose sur la définition suivante : le suivi et la prise en charge de patients atteints d'une maladie active, progressive, dont le stade est très avancé et le pronostic très limité, et dont le traitement vise au maintien de la qualité de vie ." Par Maurice Abiven : " Une discipline nouvelle est née, les soins palliatifs terminaux : il s'agit de prendre en charge des malades atteints d'une maladie inéluctablement mortelle, dans un délai en général bref (en moyenne moins de trois mois). Cette maladie ne peut plus par définition, comporter de thérapeutique curative.” (1990) Définition de l’euthanasie À l'origine, l'euthanasie (gr: - , bonne, , mort) désigne l'ensemble des moyens et recours permettant de soulager, d'abréger ou d'éviter l'agonie à une personne en fin de vie1. Etymologiquement, "euthanos" signifie la "bonne mort". "Autrefois synonyme de mort calme et sans souffrances, ce terme est aujourd'hui réservé à la pratique qui consiste à hâter la mort d'un malade incurable, dans le dessein d'abréger ses souffrances." Définition extraite du Dictionnaire de Médecine Flammarion. On distingue deux types d'euthanasie : > l'euthanasie active : c'est le geste d'un tiers qui donne la mort. > l'euthanasie passive : c'est l'arrêt des traitements qui abrège la vie lorsque le cas est désespéré. Certains disent que c'est un refus d'acharnement thérapeutique. On emploie aussi le mot pour désigner l'acte d'aider une personne qui le souhaite, et quelles que soient ses motivations, à mourir. Dans ce cas, les termes plus appropriés sont plutôt l'aide au suicide ou le suicide assisté. Un autre usage abusif du mot est son application aux soins palliatifs, qui ne visent jamais à hâter le décès ou éviter le prolongement de l'agonie des patients même si, pour soulager la douleur, il arrive aux soignants d'user de doses d'analgésiques ou d'antalgiques risquant d'anticiper la mort. Définition de l'Eglise catholique « Il faut distinguer de l’euthanasie la décision de renoncer à ce qu’on appelle l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire à certaines interventions médicales qui ne conviennent plus à la situation réelle du malade, parce qu’elles sont désormais disproportionnées par rapport aux résultats que l’on pourrait espérer ou encore parce qu’elles sont trop lourdes pour lui et pour sa famille. Dans ces situations, lorsque la mort s’annonce imminente et inévitable, on peut en conscience "renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire et pénible de la vie, sans interrompre pourtant les soins dus au malade en pareil cas" » Evangelium vitae n°65 Dans un document approuvé par le pape Benoît XVI, la Congrégation pour la doctrine de la foi estime que l'alimentation et l'hydratation artificielles constituent "un moyen ordinaire et proportionné de maintien de la vie", qui ne doit être interrompu sous aucun prétexte par respect pour la dignité des patients. Anne-Marie CADART Sources : Dictionnaire de médecine Flammarion Site internet OMS Dictionnaire Larousse Site Internet du Conseil de l’ordre des médecins Site Internet de l’HAS (ANAES) SFAP 23 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 6 DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE ÉTHIQUE : EST-IL ACCEPTABLE « UN PATIENT À MOURIR ? Au-delà des procès médiatiques, la question de la fin de vie, interpelle les soignants, et nous incite à une réflexion personnelle. Avant de prétendre apporter une réponse à l’ensemble des problèmes posés par la fin de vie, ouvrons le débat. La délicate issue fatale Avec les patients atteints de cancer en phase terminale, les patients souffrant de maladies dégénératives, o u c h ro n i q u e s , l e s a c c i dentés de la route, les personnes âgées dont les fonctions vitales se sont dégradées, la mort dans notre société s’est médicalisée. Inévitablement, les soignants sont confrontés à la redoutable situation, où ces personnes estimeront qu’elles ne vivent plus dignement, et réclameront d’être aidées à mourir. Peut-on provoquer la mort d’un malade quelque soit sa pathologie, son âge, lorsque lui et sa famille y consentent ? Et quand le malade est inconscient, ou souffre d’une affection psychiatrique, quelle est la référence à prendre en compte pour prendre une décision ? La loi Leonetti Dans la majorité des cas c’est à l’euthanasie passive, autorisée par la loi Leonetti, que les soignants font référence. Cette loi votée en avril 2005 permet de respecter le malade dans ses choix et d’éviter l’obstination déraisonnable (l’acharnement thérapeutique) par un questionnement éthique de l’équipe de soins autour de la question de l’arrêt ou de la limitation de traitement lorsque le risque devient pour le malade plus important que le bénéfice. Elle ne permet pas l’euthanasie active par injection d’un produit en vue de provoquer la mort. Le pouvoir de décision reste au médecin. Il n’a pas l’obligation de respecter les volontés du malade, l’aide au suicide est interdite. Jean Leonetti 24 La loi Leonetti est- elle suffisante ? Deux manifestes signés par des médecins et des soignants ont circulés en Mars 2007 : l’un demandait la dépénalisation de l’euthanasie, l’autre s’y opposait. Le manifeste des 2000 médecins et soignants, publié dans la presse trouvait la loi insuffisante : « La majorité des gens peuvent être endormis et soulagés par la morphine, mais il y en a d’autres pour qui les traitements antidouleur ne marchent pas du tout » Il déclare aussi « que les signataires avaient aidé des patients à mourir. Ils demandent la dépénalisation de l’euthanasie, et l’arrêt immédiat des poursuites judiciaires des soignants mis en accusation. Ils exigent aussi des moyens adaptés permettant d’accompagner les patients en fin de vie quels que soient les lieux et les conditions de vie… » Selon les signataires « Les améliorations apportées par loi Leonetti de 2005 sont également insuffisantes puisque celle-ci est toujours aussi répressive et injuste envers les soignants qui aident leurs patients à mourir… » « Je ne veux pas vivre sur la souffrance des autres. Par deux fois j’ai donné à des patients une surdose de morphine pour les aider à partir » confie le docteur T.L.D. généraliste dans le département de Haute -Garonne. La Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, dans son manifeste qui sera signé par plus de 4500 personnes, médecins, infirmiers, psychologues, bénévoles déclare : « Ne pas se reconnaître dans le mouvement réclamant la légalisation de l’euthanasie. Elle tient à réaffirmer que la complexité des problèmes posés appelle une réflexion approfondie, dépassionnée, et non des solutions simplistes. » Trois revendications dans son plaidoyer : informer le public ; former les personnels de santé ; créer un observatoire qui assurerait un rôle d’information, d’expertise et de médiation dans les cas les plus délicats. Fadek Beloucif, anesthésiste réanimateur, déclare quand à lui « que la loi Leonetti règle les choses de manière humaine… Le droit au suicide assisté n’est pas un acte médical, ce n’est pas un boulot de docteur… » Jean Leonetti, à l’origine de cette loi, déplore la confusion qui règne sur la terminologie dans ce débat, et soutien que : « la loi n’est pas connue, mal comprise, et mal appliquée. La première chose à faire serait d’abord de remédier à cela. » Edouard Ferrand, anesthésiste réanimateur à l’hôpital Henri Mondor à Créteil, membre de plusieurs commissions d’éthiques médicales affirme : « 2 ans après son adoption cette loi est loin d’être appliquée comme elle le devrait…elle permet de lutter contre l’acharnement thérapeutique en instaurant la collégialité, afin de prendre la moins mauvaise décision…Mais il y a un fossé majeur entre le cadre légal sur le droit des patients, le respect de leur dignité, et ce qui se passe dans la réalité… Nous constatons encore des fins de vie qui sont accélérées, ou des actes qui ne correspondent à ce qui a été défini comme de bonnes pratiques… La législation prévoit notamment la possibilité pour le patient de désigner un tiers de confiance, mais cela n’est pratiquement jamais fait. » (Le Monde 10/03/07) L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) L’ADMD est une association qui milite pour permettre à chacun d’avoir une fin de vie conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté. Dans cette perspective, elle entend obtenir le vote légalisant l’euthanasie. Elle milite pour le développement des soins palliatifs, de telle sorte que soit préservé en toutes circonstances le choix du patient, le recours à l’eut h a n a s i e n e d e v a n t p a s ê t re e n v i s a g é comme une alternative à un défaut d’accès aux soins palliatifs. afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 7 Fin de vie et soins palliatifs E « D’AIDER » Un débat qui traverse l’Europe. Dans la plupart des pays d’Europe, l’euthanasie et le suicide assisté sont illégaux, et à chaque nouvelle affaire le débat refait surface avec passion, pour faire évoluer la législation. Et, conséquence, la justice tantôt poursuit, tantôt rend un non lieu. Les Pays-Bas premier pays à avoir dépénalisé l’euthanasie Les Pays-Bas souhaitaient, en 2001 mieux contrôler l’euthanasie, et en réduire le nombre de cas. « L’euthanasie doit être un refuge ultime… » explique le Ministre de la Santé Els Borst. L’euthanasie active est autorisée sous conditions très strictes et des critères, dits de minutie : > Etre convaincu que la demande du patient est volontaire, réfléchie et réitérée. > Etre convaincu que la souffrance du patient est insupportable et sans issue. > Avoir informé le patient sur son état actuel et sur le pronostic. > Etre arrivé avec le patient à la conclusion qu’il n’y a pas d’autre solution acceptable. > Avoir consulté au moins un autre médecin indépendant qui, après avoir examiné le patient, a émis un avis concernant le respect des critères de minutie. > Avoir procédé à la fin de vie selon les critères médicaux. La loi reconnaît la validité d’une déclaration écrite anticipée de demande d’euthanasie pour le cas ou un individu deviendrait incapable de s’exprimer. L’euthanasie reste punissable d’une peine maximale de 12 ans de prison et d’une très forte amende dès lors que les critères de minutie ne sont pas respectés par un médecin. Une étude de pratique sur 10 ans indique que si les demandes sont passées de 25.000 à 34.700, les euthanasies n’ont augmentées que de 3%. La Belgique deuxième pays autorisant l’acte pratiqué par un tiers L’euthanasie est autorisée pour les personnes dans un état désespéré, et en proie à des souffrances tant physiques que psychiques. S’il ne s’agit pas d’un patient en phase terminale, l’avis d’un confrère est requis. Les conditions et p ro c é d u re s s o n t t r è s s e m b l a b l e s a u x critères requis aux Pays-Bas. S’il y a une équipe soignante, elle doit être consultée. Une clause de liberté existe, aucun médecin n’est tenu de pratiquer une euthanasie, mais dans ce cas, il doit en informer le patient. Aucun soignant, n’est tenu de participer à une euthanasie. En Espagne L’euthanasie n’est pas autorisée. Le 1 er . Mars 2007, une patiente de 51 ans a obtenu le droit de faire débrancher le respirateur qui la maintenait en vie depuis 9 ans. Cette patiente totalement paralysée, avait officiellement formulée sa demande et médiatisé son cas. Les autorités lui ont répondu favorablement, se fondant sur une disposition législative qui autorise les patients à refuser un traitement. (L’humanité, 12 Mars 2007) En Grande- Bretagne Pas de suicide assisté, ni d’euthanasie au Royaume Uni. Les médecins bravent la loi. Néanmoins la Chambre des Lords ouvre le débat. Un débat sur l’euthanasie des prématurés lourdement handicapés est relancé. L'Association des médecins britanniques s'est prononcée à 65 % contre la légalisation du suicide assisté par un médecin et, à une plus forte majorité (94 %), contre l'euthanasie «non volontaire», sans l'accord d'un patient inconscient. Les médecins britanniques soutiennent en revanche le développement des soins palliatifs. Le débat sur l'euthanasie a été ouvert au Royaume-Uni par une proposition de loi visant à permettre aux médecins de prescrire les médicaments ad hoc aux patients qui souhaiteraient mettre fin à leurs jours. La Chambre des Lords a décidé le 12 mai de repousser de six mois l'examen du texte. En Suisse Le Conseil Fédéral refuse de légiférer sur l’euthanasie. Elle est interdite, mais pourtant elle se banalise. La Suisse tolère le suicide assisté, même pour les étrangers. (0,4% des décès.) Deux associations, Exit et Dignitas, « aident » les candidats au suicide en leur préparant une potion mortelle, qu’ils n’auront plus qu’à boire. Un médecin prescrit le médicament, après avoir confirmé le caractère incurable de la maladie. En Italie Le débat est relancé à chaque affaire. La justice se range du côté des patients qui refusent l’acharnement thérapeutique. « La démarche palliative, démarche qui limite les gestes et les actes, n’est pas valorisée, il n’y a aucun intérêt même économique à la développer. »(1) Résultat 700 lits seulement accueillent les malades en soins palliatifs en France. Au moins 100.000 personnes devraient en bénéficier. Et si l’on estime que tous les malades doivent mourir dans les unités de soins palliatifs, on ne pourra jamais créer suffisamment de lits. La démarche palliative doit donc concerner tous les services hospitaliers, et la médecine de ville. Les soignants sont insuffisamment formés à la prise en charge des patients en fin de vie. Actuellement, l’enseignement est centré sur le curatif. C’est comme s’il y avait une hiérarchie consistant à s’occuper des malades curables avant les incurables et les mourants. Il faut transformer le concept de soins, il ne faut pas que du savoir-faire mais aussi du savoir être. La formation doit leur apprendre à appréhender les problèmes éthiques complexes, à pouvoir en discuter. Elle devrait devenir une priorité dans les formations continues. (2) L’association Pierre Clément, basée à Strasbourg, milite pour les soins palliatifs. Son président Maurice Chausson déclare : « Supprimons la douleur plutôt que la personne ! La souffrance physique peut être ôtée dans 92 à 95% des cas. Seulement, très peu de médecins savent faire : on ne leur apprend pas à gérer la douleur en fin de vie, qui est complexe, multiple. Il faut les former. Les 5% de douleurs ne cédant pas aux antalgiques, devraient bénéficier de la sédation induite qui est comme une anesthésie profonde. » Conclusion L’euthanasie est peut être le sujet qui cache le vrai problème, celui de la prise en charge de la fin de vie. Aujourd’hui près d’un français sur deux meurt à l’hôpital. Une étude (3) sur les conditions de décès à l’hôpital révèle une solitude profonde en fin de vie. Elle pointe une prise en charge, non pas déficiente, mais… absente. Les infirmières présentes dans 80% des décès sont en première ligne. La prise en charge des patients en fin de vie n’a été discutée que dans 17% des cas ; il n’existe le plus souvent pas de procédure spécifique dans les services. L’épuisement professionnel des soignants est dû en grande partie, à la mauvaise gestion de la fin de vie (1) dans les services. Il ne faut pas faire de la collégialité un quart d’heure avant la mort du malade. Les soignants doivent en discuter en amont, s’asseoir autour d’une table, connaître l’environnement du patient, qui le représente, ce qu’il souhaitait, son histoire. En amorçant le processus très tôt on arrive à prendre des décisions plus tôt et donc à diminuer l’acharnement thérapeutique. Bibliographie. (1). E. Ferrand, anesthésiste réanimateur a l’hôpital Henri Mondor Créteil, membre de plusieurs commissions d’éthique médicale. Mourir le moins mal possible. Le Monde. 10 /03/07 - (2). Eric Favereau. On meurt seul à l’hôpital. Libération 23/10/05. - (3). Enquête nationale (SAR-Samu 94, Hôpital Henri Mondor - Créteil) Dr. Ferrand, Lemaire, Marty. - (4). Journal L’Alsace .Débat : la mort aidée. 24 mars 2007 Internet. 1. Association P. Clément : www.association-pierre-clement.fr 2. Jusqu’à la mort accompagner la vie : www.jalmalv.fr 3. ADMD : www.admd.net 4. Dignitas :[email protected] Loi Leonetti - Téléchargement du texte complet : http://www.legifrance.gouv.fr/imagesJOE/2005/0423/joe_20050423_0095_0001.pdf Jean-Claude CLERC 25 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 8 DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE Le livre blanc de l’ADMD L'ADMD a publié en mars 2007 un livre blanc dans lequel elle soulignait que la loi Leonetti [du 22 avril 2005 relative au droit des malades et la fin de vie] n'était pas encore appliquée et restait peu connue. Le député Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes) a défendu cette loi, tout en reconnaissant qu'elle était encore "peu appliquée". Lors "d'un tour de France", il a constaté que les médecins étaient "éloignés de cette pratique". Il a admis aussi que les citoyens ne s'étaient pas "appropriés" les termes et les idées de la loi. Estimant pourtant qu’elle était "claire", il a reconnu qu'elle aurait mérité plus de décrets d'application pour la "décortiquer" et "l'expliquer". Pour que sa loi soit mieux appliquée, il a formulé trois propositions : > Former l'ensemble du corps médical > Créer un observatoire des pratiques sur la fin de vie > Organiser un grand débat avec l'ensemble des citoyens ARRÊT DES SOINS, FIN DE VIE, QUESTIONNEMENTS Le débat sur la fin de vie existe depuis longtemps, entre les "pros" et les "antis" euthanasie, mais aussi entre toutes les « euthanasies » possibles. Chacun d’entre nous est unique, chaque fin de vie le sera également. Ce débat est aujourd’hui relayé par l’actualité et porté par Marie Humbert, la mère de Vincent dont nous connaissons tous la douloureuse histoire. Alors, faut-il arrêter les traitements, ne pas les commencer, définir de façon radicale ce qui est palliatif ou non, tout ceci reste complexe. Que dire de l’arrêt des soins ? Posons-nous d’abord la question de la définition du soin. Un soin n’est pas forcément curatif, il est hors de question pour un soignant d’arrêter les soins chez un patient, quand bien même ce patient serait en unité palliative. Dispenser des soins d’hygiène, relationnels, de confort, hydrater, alimenter un patient, assurer une réfection des pansements, soulager la douleur par des massages ou le toucher sont des soins indispensables, même en fin de vie. Alors de quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’arrêt des soins ? Prenons l’exemple d’un patient dialysé, qui ne veut plus assurer son traitement. N o m b re d ’ e n t re n o u s o n t é t é confrontés à ce cas de figure. Il est certes « facile » d’arrêter le traitement par dialyse, chacun sait que le patient mourra. Oui, mais dans quelle conditions ? L’arrêt de la dialyse ne doit-il pas être associé à d’autres traitements, curatifs dans la vie quotidienne, mais palliatifs dans ce cas précis, puisque destinés à soulager l’inconfort physique lié à cet arrêt de dialyse ? Est-il supportable de débrancher u n re s p i r a t e u r, s a n s s o u l a g e r l a détresse respiratoire qui en résultera ? Est-il dans ces conditions raisonnable de définir ce qui est palliatif ou ne l’est pas ? D’autant plus que la sensibilité de chacun interviendra dans nos choix. J’entends encore cette collègue croisée dans un couloir de l’hôpital et révoltée par l’acharnement thérapeutique sur une patiente âgée souhaitant mourir : « Elle fait un choc septique et « ils » la sorte de là !!! Maintenant, tous les matins, c’est à nous qu’elle demande la piqûre !! » « Ils », les acteurs de cette « résurrection », au contraire, défendent leur action car «c’était un problème aigu au cours d’une pathologie chronique ». Cette souffrance, tant au niveau du patient que du soignant, montre bien l’absence de frontière entre le palliatif, le curatif et la perception qu’en a chacun d’entre nous. Arrêter la chimiothérapie ou toute thérapie chez un patient cancéreux dont on sait qu’il ne guérira plus ou ne pas commencer la dialyse chez un patient âgé souffrant de démence sénile ou de maladie d’Alzheimer sont des démarches relativement faciles à définir, bien que toujours très difficiles à appliquer ou à discuter. Mais que faire pour des patients dans la situation de Vincent Humbert par exemple, incapables de vivre sans assistance, mais vivants, en bonne santé, et sans espoir d’amélioration de leur état ? Là, point d’arrêt de traitement curatif, il n’y en a pas, arrêt des soins de base ? C’est bien entendu une question terrifiante et polémique dont personne ne parle réellement sérieusement, laissant le patient, sa famille et la société dans le désarroi que l’on connaît actuellement. Une solution peut-elle être la bonne solution ? Quelle serait la société idéale ? Celle qui développerait des centres de soins palliatifs, accessibles à tous les patients en fin de vie, apportant confort et réconfort, mais oublierait les patients n’acceptant pas leur déchéance physique et souhaitant partir avant cette déchéance, celle qui légaliserait l’euthanasie dite active, laissant la porte ouverte à des excès et se dédouanerait de cette façon, de la mise en place d’unités de soins palliatifs ? Sommes-nous prêts à donner à la fin de vie la place philosophique, sociale et économique qu’elle requiert ? Le débat n’est donc pas encore clos ; notre société n’aime pas la mort, elle est pourtant la seule certitude de notre avenir. Il serait grand temps de s’en rendre compte. Béatrice BAGHDASSARIAN 26 e t s t e s e à s r t ? l ? e e e a e s s t s e t t e t e à e ; t e n N afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 9 ÉTHIQUE ET FIN DE VIE EN DIALYSE Les structures pouvant traiter les patients en insuffisance rénale chronique étaient peu nombreuses, lorsque le traitement par dialyse a débuté en France. (Début des années 60) Les performances du matériel étaient restreintes, avec comme conséquence l’obligation d’épurer les patients pendant 12 heures pour obtenir des résultats corrects. Sélection des patients La longueur des séances, la rareté des postes ne permettaient pas de prendre tous les patients insuffisants rénaux chroniques au stade terminal. Il y avait donc obligation de faire une sélection drastique des patients pris en charge. Les critères retenus étaient, l’âge, le statut social, les pathologies associées. Le profil type du patient était donc un adulte de 16-40 ans, bien inséré socialement. Les patients âgés, diabétiques, cardiaques, psychiatriques, marginaux etc... ne pouvaient être dialysés et mouraient. Si parfois en fin de vie ces patients étaient dans un coma calme, ce n’était pas toujours le cas et souvent la mort succédait à des symptômes d’étouffement, des hémorragies, des nausées. Cette sélection était un choix douloureux, puisqu’il fallait refuser à de nombreux patients un traitement salvateur. La dialyse que nous pratiquions était très artisanale. Nous ne disposions pas de matériel à usage unique, et avions peu de possibilité d’augmenter la capacité d’accueil. Les soignants étaient très motivés, avaient le sentiment d’être les pionniers d’une technique nouvelle, et les patients étaient reconnaissants. L’amélioration du matériel permit fort heureusement d’augmenter le nombre de patients traités. Mais de nombreux paramètres de la technique n’étaient pas maîtrisés, et c’est l’apparition de complications chez certains patients qui permettra de l’améliorer. Dans quelques centres, les dialysés après quelques années de traitement présentaient des troubles de la conscience, puis devenaient complètement végétatifs par encéphalopathie aluminique, provoquée par l’eau et les traitements par gels d’alumine. L’eau était uniquement adoucie, et les osmoseurs qui permettent d’obtenir une eau pure pas encore disponibles. Une des solutions pour tenter d’enrayer cette complication fut de transférer les patients les plus atteints dans des structures disposant d’une eau correcte. Plusieurs de ces patients furent pris en charge chez nous. Dialyser des patients en état végétatif était éprouvant et les améliorations rares. Il n’était pourtant pas question d’arrêter le traitement. La situation était vécue La population dialysée change progressivement La moyenne d’âge pour la transplantation rénale est repoussée. Les patients dits lourds, à l’espérance de vie très courte, sont pris en charge. Et lorsque l’état de ces patients devient précaire, se pose la question, acharnement thérapeutique ou arrêt des séances ? L’équipe soignante proposera de continuer les séances en réduisant les fréquences à 2 fois par semaine, ou le temps de séance, progressivement. Ces changements sont adaptés à l’état du patient. La décision d’interrompre les séances se posera seulement quand le patient perd conscience. Il est indispensable de dialoguer le plus tôt possible avec la famille, lui faire prendre conscience qu’une issue défavorable est à envisager. Un accompagnement est alors possible, la famille pourra faire connaître à l’équipe jusqu’où elle désire que le traitement soit poursuivi. “La déchéance physique et la mort sont présentes à l’esprit des patients dialysés. Ils n’en parlent guère chez eux, de peur d’alourdir le climat familial.” comme un échec par les médecins, la prise en charge était entièrement gérée par l’équipe soignante. Le terme d’acharnement thérapeutique n’était pas encore utilisé, et la seule loi évoquée pour prendre une décision était l’assistance ou la non-assistance à personne en danger. L’environnement de la dialyse en progrès, matériel fiable, qualité de l’eau, abords vasculaires de qualité, la DP ambulatoire, font disparaitre les dernières contre-indications. Des décisions délicates souvent impossibles à prendre avec la famille. Le conjoint souhaitant l’arrêt, les enfants non, ou bien personne ne voulant s’impliquer dans la décision. Le patient en fin de vie lorsqu’il est conscient sait que si on arrête les dialyses il mourra : ce n’est pas son état qui entraînera sa fin mais bien l’arrêt du traitement. A cette angoisse s’ajoutera aussi le sentiment d’abandon par l’équipe qui l’a entouré, parfois des années. Après de nombreuses concertations, des expériences douloureuses, nous, équipe soignante, sommes persuadés que l’accompagnement thérapeutique de la maladie doit se faire jusqu’à la mort de la personne. La gestion de l’accompagnement de fin de vie doit être construite très tôt par l’équipe soignante, et non au dernier moment, les décès des personnes étant très souvent prévisibles. La déchéance physique, la mort sont toujours présentes à l’esprit des patients dialysés. Ils n’en parlent guère chez eux, de peur d’alourdir le climat familial. La rencontre avec les soignants est une des possibilités de le faire. Bien sûr ce n’est pas à nous d’aborder le sujet, mais en faisant preuve d’une disponibilité d’écoute, la confiance s’installera, et la communication se fera. Il est indispensable de connaître l’environnement du patient, de connaître sa personne référente, de connaître son histoire, de savoir ce qu’il souhaite. Et quelque soit l’avenir de ce patient, la décision qui sera prise pour et avec lui, sera respectueuse et humaine. Jean-Claude CLERC 27 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 10 DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE icier f é n é b n o t Peu e n u ' d t n e m légale euthanasie ? Pas une euthanasie active. > vous ne pouvez pas disposer librement de votre corps : l'interdiction d'euthanasie constitue l'une des applications du principe d'indisponibilité du corps humain. > en outre, l’euthanasie active est pénalement réprimée. Elle peut constituer un meurtre, un homicide involontaire, un délit de non assistance à personne en péril, un empoisonnement, une provocation au suicide ... De plus, la personne qui provoque l'euthanasie peut être condamnée à payer des dommages et intérêts et si elle a agit dans le cadre de sa profession, elle encourt des sanctions disciplinaires. Peut-on être poursuivi si on demande ou provoque une euthanasie pour soi-même ou autrui (un membre de sa famille par exemple) ? > par contre, la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie autorise désormais le médecin à limiter ou arrêter un traitement concernant une personne « hors d’état d’exprimer une volonté » alors que « la limitation ou l’arrêt du traitement serait susceptible de mettre sa vie en danger » (C. santé publique, art. L. 1111-4). Le médecin peut également, lorsque le malade est en « fin de vie et hors d’état d’exprimer sa volonté », « limiter ou arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie » (C. santé publique. art. L. 1111-13). Dans ces deux cas, le médecin doit respecter plusieurs conditions et une procédure collégiale. > Le décret n° 2006-120 du 6 février 2006 précise que la décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec « l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant » et le cas échéant celui d’autres personnes (personne de confiance, membre de la famille, proche, titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur si le patient est mineur (C. santé publique. art. R. 4127-37) La tentative d'euthanasie est-elle réprimée ? La tentative de crime est punissable. En cas d'euthanasie active qui peut être qualifiée de meurtre ou d'empoisonnement, la tentative est donc punissable. Il faut un commencement d'exécution et que la tentative n'ait pas été suspendue ou qu'elle n'ait manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. > pour soi-même : Votre demande ne peut justifier légalement une euthanasie active. Par contre, vous ne pouvez pas être poursuivi au motif que vous avez sollicité une euthanasie active : Le suicide n'est pas réprimé. > pour autrui : L'euthanasie active est constitutive d'infractions pénales : meurtre, non-assistance à personne en péril, empoisonnement ... Toute personne qui a contribué à sa réalisation peut être poursuivie comme coauteur ou complice. Elle peut également être condamnée le cas échéant à payer des dommages et intérêts à la famille ou à l'intéressé en cas d'échec (la tentative d'euthanasie est punissable). Si vous avez agi dans l'exercice de votre profession, vous encourez en outre des sanctions disciplinaires. Enfin, dans le cadre d'un conflit entre héritiers, dans l'hypothèse où l'un d'eux a provoqué l'euthanasie : La tentative de mort ou le fait de donner la mort peut entraîner la déchéance de la succession. En outre la complicité de mort ou la mort par un donataire ou légataire peut entraîner la révocation de la donation et/ou du testament pour cause d'ingratitude 28 Quelles sont les sanctions encourue s? > L'auteur de l'euthanasie peut être poursuivi au pénal sur les fondements suivants: > Meurtre : > Empoisonnement : L'article 221 - 5 du NCP dispose à cet effet : "le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement.L'empoison nement est puni de trente ans de réclusion criminelle ...". Art 221-3 NCP :"Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. " Article 221 - 3 du NCP : "le meurtre commis avec préméditation constitue un assas- > Il faut : sinat. Il est puni de la réclusion 1. Un élément matériel : l'utilisation ou l'administration de criminelle à perpétuité." substances de nature à entraîner la mort. L'infraction > Il faut : est constituée que le résultat 1. Un élément matériel : soit atteint ou non. le fait de donner la mort. 2. Un élément moral : l'inten2. Un élément moral : tion de donner la mort. Le l'intention de tuer. À défaut, il s'agirait de mobile est également indiffécoups ayant entraîné la mort rent à la constitution de l'insans intention de la donner fraction. La Cour d'assises (article 222 - 7 et 222 - 8 du NCP) d'Ille-et-Vilaine dans un arrêt Le mobile est indifférent : du 11 mars 1998 a ainsi récempeu importe que l'euthanasie ment condamné l'auteur d'un ait été provoquée en vue de geste euthanasique à cinq ans soulager les souffrances d'une d e p r i s o n a v e c s u r s i s p o u r empoisonnement. personne ou de lui nuire. Outre les peines pénales, la personne responsable peut être condamnée à payer des dommages intérêts à la famille de la victime. De plus, si la personne qui a procédé au geste d'euthanasie est un médecin, il encourt des sanctions disciplinaires. Le Conseil Régional de l'Ordre des Médecins constitue la juridiction de première instance. Le Conseil National est la juridiction d'appel. Les décisions du Conseil National peuvent faire l'objet de recours en cassation devant le Conseil d'État. Le Conseil peut ainsi prononcer des blâmes, l'int e r d i c t i o n d ' e x e r c e r, l a radiation..., ce indépendamment des autres juridictions civiles, pénales ou administratives. Anne-Marie CADART Source : © Carine DIEBOLT "Droit pour Tous" - 2006 T 6 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 11 LE SUICIDE ASSISTÉ DE MAÏA SIMON RELANCE LE DÉBAT DE L’EUTHANASIE La comédienne française Maïa Simon, est décédée mercredi 19 septembre 2007 en Suisse à l'âge de 67 ans après avoir eu recours à un "suicide médicalement assisté" en toute légalité, pour "abréger ses souffrances". "Je veux choisir ma mort" L'actrice, atteinte d'un cancer, est morte entourée de ses amis et de membres de sa famille, à Zurich, où elle était partie deux jours plus tôt. "Elle a pris d'elle-même un médicament, le penthotal, qui lui avait été prescrit" afin de mettre fin à ses jours, a précisé Jean-Luc Romero, le président de l'Association pour le droit de Mourir dans la Dignité (ADMD). Après passage devant une commission médicale, l'ADMD a mis en contact la malade avec une association suisse nommée Dignitas. Celle-ci fournit une potion létale aux candidats au suicide, qu’ils doivent ingurgiter eux-mêmes, comme cela a été le cas pour Maïa Simon. Dans un long entretien diffusé sur RTL, l'actrice avait dénoncé « l'hypocrisie française en matière d'euthanasie ». Elle a qualifié la situation dans l'Hexagone d'"absolument ignoble”, soulignant que les patients "trouvent toujours des gens qui peuvent les aider", avec le risque que "les médecins ou anesthésistes" soient punis. "Quand vous êtes dans un centre de soins palliatifs, vous attendez la mort de manière passive, vous ne faites pratiquement plus rien, vous êtes un peu végétatif. Moi j'étais une nomade, toujours entre deux voyages. Si je n'ai plus la liberté d'aller caracoler à l'extérieur, c'est comme si on m'assassinait, comme si je m'étiolais comme un oiseau en cage". "Au lieu d'attendre la mort d'une manière passive, j'organise mon dernier voyage avec ma famille et mes amis. Comme nous n'avons pas la possibilité d'accomplir cette chose en France, je suis obligée de partir à l'étranger. Quelque part cette idée me séduit parce que ça me donne la possibilité d'une escapade (...). Et quand j'arriverai là-bas, ce sera le grand bond", ajoutait-elle. "Au début ça n'a pas été facile de leur faire admettre ma décision. Et puis, petit à petit, ils ont quand même compris (...) que ce que je choisissais c'était essentiel pour moi. Donc ils sont passés au-delà de leurs a priori ou de leurs peurs", expliquait la comédienne. "Je veux choisir ma mort" Ses amis veulent poursuivre son combat pour faire changer la loi sur la fin de vie. Roselyne Bachelot a accepté de rencontrer ses proches. Et la Ministre de la Santé indique ne pas "fermer la porte" à une évolution de la loi. Anne-Marie CADART Sources : ADMD, Le figaro, l’express, le Monde, RTL « A MON HEURE, JE MOURRAI DIGNEMENT ET L’ESPRIT EN PAIX. » Mulhouse, deuxième ville d’Alsace, la Suisse alémanique est toute proche. Chaque jour de milliers de personnes franchissent la frontière pour y travailler. Ce sont les frontaliers. Pour les alsaciens, la Suisse ce n’est pas seulement le pays des montagnes, des alpages et des lacs, mais également, depuis qu’un des leurs y a eu recours, le pays du suicide médicalement assisté. Un étrange tourisme ouvert aux étrangers : Canadiens, Allemands, Italiens, Français, viennent pour un ultime voyage. Suicide assisté, mode d’emploi La Suisse, pays où l’euthanasie est interdite, tolère le suicide assisté. Dignitas est la seule association au monde à proposer son assistance au suicide à des étrangers, atteints de maladies incurables, qui souhaitent abréger leurs souffrances. « Beaucoup de personnes, veulent avoir une sortie de secours, souligne son président Ludwig Minelli, si la souffrance devient un jour trop intolérable. » Créée en 1998, l’association a aidé activement, à ce jour, plus de 800 personnes à mourir. Les candidats potentiels, atteints de maladies incurables ou dégénératives, deviennent membres de l’association moyennant une cotisation de 17 euros. Ils signent un document attestant leur volonté de mettre un terme à leur existence. Ces malades sont alors assurés de pouvoir quitter le monde quand ils le décideront. Le nombre de membres augmente rapidement, de 650 en l’année 2000, ils sont actuellement plusieurs milliers. Ils viennent principalement d’Europe, les étrangers représentant 80% des candidats. Dignitas loue des appartements dans plusieurs villes, Zürich, Stäfa, etc... Les protestations des voisins qui voient des cercueils défiler (6 en 10 jours à Stäfa) obligent l’association à déménager souvent. Lorsque la personne a décidé de mettre un terme à sa vie, et obtenu le feu vert de l’association, elle est accueillie dans un des appartements. Dignitas souhaite que les patients soient accompagnés de leurs proches. Le malade doit apporter des certificats médicaux justifiant son état, et se soumettre à l’examen d’un des 7 médecins de l’association. Après l’entretien le médecin délivre ou non l’ordonnance pour le mélange mortel. Erika Luley (2) une des bénévoles de l’association, infirmière de profession, discute avec la personne et s’assure de sa détermination à mourir. Puis elle prépare le produit : c’est un mélange à base de penthiobarbital de sodium, dilué dans de l’eau. Erika n’administre jamais elle-même le cocktail mortel. FRANCIS RIGONI. (1) « La personne prend elle-même le verre et l’avale…Deux à cinq minutes plus tard elle perd connaissance, et vingt minutes à une heure plus tard elle décèdera…Je prends son pouls, et vérifie que son cœur à bien cessé de battre. Enfin j’appellerai la police.» La police, le procureur, le médecin légiste constaterons le décès, ouvriront une enquête qui aboutira à un non-lieu. Entre leur arrivée en Suisse et leur décès il s’écoule habituellement une douzaine d’heures, parfois plus selon que la personne désire un temps de réflexion. Le suicide assisté, un modèle à suivre ? (1) Francis Rigoni âgé de 61 ans souffrait d’une maladie rare, la syringomyélie. La maladie a débutée à l’âge de 13 ans par une hémiplégie. Les traitements n’ont guère empêché la maladie d’évoluer. Il était tassé au fond de son fauteuil roulant, ne supportant même plus qu’on le touche. « …J’étais déjà en hôpital. Il y a une barrière entre les souffrants qui se comprennent, et, en face les soignants. Ce sont deux mondes différents, avec, entre eux, souvent perdus, le conjoint, la famille, les amis. A mon niveau, la prise en charge de la douleur tant physique que morale en hôpital est totalement incomprise… La paralysie totale me conduira à l’hospitalisation » Il a choisit de mourir à Zürich en mars 2007. Dignitas est une association non gouvernementale très controversée en Suisse même. Elle n’a de compte à rendre à personne. Les critères de sélection des candidats sont- ils effectués par des médecins, ou acquis à l’association ? (2) Erika, infirmière bénévole à Peut-on évaluer, pour les patients Dignitas, a travaillé plus de vingt étrangers, le désir de mourir, les souffrances ans dans un service de soins physiques ou morales, l’état dépressif ou palliatifs accompagnant des psychiatrique, à distance ? cancéreux en phase terminale. Enfin il faut être suffisamment riche Sources : Pierre Hazan. www.entretemps. pour se payer le voyage en Suisse Jean-Claude CLERC asso.fr/ Stalingrad/Etudes/Suicide. Stéphanie Carter. www.ledevoir.com Journal l’Alsace. Suicide assisté. 31/03/07 29 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 12 DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE LA POSITION DES POLITIQUES n Favorables à une dépénalisatio Ouvrir un débat Dominique Voynet, Olivier Besancenot, José Bové et Corinne Lepage sont favorables à une dépénalisation de l’euthanasie. Ségolène Royal souhaite « ouvrir un débat et mettre en place une législation qui permette d’apaiser les souffrances les plus intolérables ». Le projet socialiste prévoit de saisir « le Parlement d’un projet de loi “Vincent Humbert” sur l’assistance médicalisée pour mourir dans la dignité ». Opposés Suffisant Philippe de Villiers et Jean-Marie Le Pen sont opposés à toute remise en question du caractère sacré de la vie, ce dernier assimilant l’euthanasie à un meurtre. Marie-George Buffet se démarque et considère que la loi Leonetti est suffisante. La loi Leonetti Le débat à droite François Bayrou, lui, s’en tient à la loi Leonetti. « Cette législation nous paraît suffisante pour mourir dans la dignité , explique Jean-Luc Préhel, responsable des questions de santé à l’UDF. Nicolas Sarkozy a ouvert le débat à droite: « On ne peut pas rester les bras ballants devant la souffrance d’un de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine, tout simplement parce qu’il n’en peut plus. » Le PS souhaite dépénaliser l'exception d'euthanasie Le député Pascal Terrasse (Ardèche), secrétaire national à la santé du Parti socialiste, a souligné les problèmes de moyens pour mettre en place des formations des professionnels de santé en matière de soins palliatifs. Il a estimé que la loi Leonetti était "une avancée" mais qu'elle entrait dans "un parcours initiatique" qui a démarré avec la loi Kouchner sur les droits des malades. Il a indiqué que si le parti socialiste était opposé à la légalisation du suicide assisté, il souhaitait "dépénaliser l'exception d'euthanasie". L'association "Faut qu'on s'active!", soutenue par Marie Humbert, avait proposé cette "exception d'euthanasie" en 2004. Il ne s'agit pas de légaliser l'euthanasie, mais d'introduire une 'exception' dans le code pénal, lorsqu'une aide active à mourir a été apportée à une demande clairement exprimée, dans des conditions strictement définies. LA POSITION DES RELIGIEUX Juifs et catholiques ensemble contre l'euthanasie "Le commandement biblique 'Tu ne tueras point' exige de ne pas chercher à hâter la mort du malade,… ni de demander l'aide d'autrui dans cet objectif", affirment l'archevêque de Paris Mgr André Vingt-Trois et le grand rabbin David Messas. "Porter remède à leurs souffrances" Selon l'archevêque et le grand rabbin, "la sollicitude due à nos frères et sœurs gravement malades ou même agonisants, 'en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable' selon les termes de la loi, exige de s'employer à porter remède à leurs souffrances" par le biais des soins palliatifs. Anne-Marie CADART 30 t n n - afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 13 PREMIÈRE JOURNÉE NATIONALE DES RÉSEAUX DE SANTÉ DE SOINS PALLIATIFS Le 17 octobre 2007 s'est déroulée, au Ministère de la Santé, la première Journée Nationale des Réseaux de Santé de Soins Palliatifs organisée par le Groupe de Travail « Réseaux, Interfaces et Coopération, de la SFAP » avec le parrainage du Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports et sous le haut patronage de Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République. Madame Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la Santé, a clôturé cette journée par un discours. Extraits de l’Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports : • «… que chacun puisse effectivement, dans un projet de vie au long cours, effectuer ces choix éclairés et réfléchis dont dépend à tout moment le sens de notre existence.» • «… la diffusion dans notre pays de la culture du soin palliatif procède d'une obligation morale autant que sociale. » • « … les besoins du patient doivent être saisis et compris dans leur globalité. Tel est le sens de la circulaire que je m'apprête à signer, et qui propose le développement de référentiels structurants et la mise en œuvre de la démarche palliative,... » • «… il est, à mes yeux, absolument indispensable de renforcer la formation des soignants, aussi bien la formation initiale que la formation continue,... » • « Les aidants professionnels mais aussi les proches doivent bénéficier d’une plus grande reconnaissance. » • « Les proches, en effet, ne sauraient être les oubliés d'une politique de santé globale et ambitieuse. Ainsi, je souhaite avancer dans les tous prochains mois sur la question du congé de solidarité familiale. » • « Notre détermination à améliorer le confort des patients en fin de vie, d'ores et déjà, se traduit par des efforts matériels sans précédent. [...]. J'ai d'ailleurs proposé dans le projet de loi de finance 2008 qu'une enveloppe de 30 millions d'euros soit dédiée au développement des soins palliatifs. » • « Il me suffira de rappeler, pour conclure, l'existence d'une loi, dite loi Léonetti, qui énonce assez clairement les grands principes qui régissent les pratiques palliatives. » Discours complet consultable sur le site du Ministère de la Santé Rapport du Comité National de Suivi des Soins Palliatifs Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports a reçu le Docteur Aubry, qui lui a remis le rapport du Comité National de Suivi des Soins Palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie. Ce rapport est le fruit d’un groupe de travail qui s’est réuni pendant un an dans le but d’établir un état des lieux et une stratégie de développement des soins palliatifs. R a p p o r t c o n s u l t a b l e s u r : h t t p : / / w w w. s a n t e - j e u n e s s e - s p o r t s . g o u v. f r / a c t u a l i t e - p r e s s e / p r e s s e sante/communiques/rapport-du-comite-national-suivi-soins-palliatifs.html 31 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 14 DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE LES RÉCENTES AFFAIRES D’EUTHANASIE Voici en quelques dates, les récents cas d’euthanasie pratiquée par des personnels de santé et examinés par la justice française. 4 octobre 1985 : Un infirmier de 30 ans qui a injecté une dose mortelle de chlorure de potassium à une patiente gravement malade âgée de 86 ans est acquitté par la cour d’assises du Bas-Rhin. 16 aout 1987 : Le professeur Schwartzenberg, ancien Ministre de la Santé révèle avoir aidé un patient à mourir. Le Conseil de l’Ordre le suspend pour un an. le 17 juillet 1990, le conseil d’État annule la sanction. 3 février 1999 : Une I.D.E. de 49 ans exerçant dans une maison de retraite est mis en examen à Nice, pour assassinats. Elle reconnaît avoir aidé à mourir au moins 5 personnes âgées incurables de 89 à 97 ans. Elle assure avoir agi à la demande des patients ou avec l’assentiment des familles. Elle obtient un non-lieu en 2001. 19 septembre 1999 : Le conseil de l’ordre des Midi Pyrénées relaxe un médecin aveyronnais auteur d’un acte d’euthanasie active sur une nonagénaire dans le coma. 19 avril 2002 : Des infirmiers du CHU de Besançon font état de cas d’euthanasie dans l’hôpital dans lequel ils exercent. 15 octobre 2002 : Christine Malèvre est condamnée à 12 ans de réclusion criminelle pour avoir euthanasié six patients à l’hôpital de Mantes-la-Jolie. 16 février 2005 : Suspecté d’avoir euthanasié 9 patients, le Dr. Joël de Bourayne, cardiologue dans une clinique de Saclay, obtient un non-lieu, après avoir été mis en examen. Il s’agissait de soins palliatifs, et non d’euthanasie. 9 janvier 2006 : Une chirurgienne est mise en examen. Elle a avoué avoir abrégé les souffrances d’une patiente de 74 ans. Elle revendique par ailleurs plusieurs actes d’euthanasie en Belgique avant la dépénalisation partielle de 2002. 27 février 2006 : Marie Humbert et le Dr. Chaussoy obtiennent un non-lieu. Ils avaient avoué avoir aidé à mourir, à sa demande, Vincent Humbert tétraplégique. Le juge estime qu’ils ont agi sous l’emprise d’une contrainte les exonérant de toute responsabilité pénale. 13 juin 2006 : Le Dr. Tramois et l’infirmière Chantal Chanel sont renvoyées devant la cour d’assises de la Dordogne. Elles sont accusées d’avoir donné la mort en 2003 à une femme de 65 ans en phase terminale d’un cancer du pancréas. 32 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 15 TÉMOIGNAGES À la mémoire de DAVID Un an avec sursis pour le meurtre de sa femme atteinte d'Alzheimer Au terme d'un délibéré de plus de trois heures, le 3 octobre 2007, la cour d'assises du Val-deMarne a reconnu coupable le vieil homme âgé de 86 ans et l’a condamné à un an de prison avec sursis pour avoir tué en 2003, parce qu'il ne pouvait plus faire face à la situation, sa femme atteinte de la maladie d'Alzheimer. La défense, qui a plaidé l'acquittement, avait salué un "réquisitoire d'une rare humanité" dans ce dossier "extrêmement singulier" où, fait aussi très rare, nul ne s'est porté partie civile. C'est une affaire "qui trouble, qui dérange, mais qui nous concerne tous", a dit Me Norbert Goutmann. Mardi, le vieil homme, avait expliqué de sa voix un peu faible, mais avec une parole toujours très claire, qu'il devait faire la toilette de son épouse, changer ses draps. "Elle oubliait des choses, ne savait plus la date, l'heure. Elle m'insultait, me disait que j'avais des maîtresses...", avait-il raconté. "Déchéance, naufrage, outrage. Une dépendance totale, c'est ça la réalité quotidienne" de cette maladie, a dit son avocat. Face à cet "abandon par la médecine", que Me Goutmann n'entend pourtant pas mettre en cause, l'octogénaire a commis "peut-être un acte de délivrance, d'amour". L'a-t-il tuée pour son confort parce qu'il était épuisé, ou pour la soulager elle, s'est interrogé l'avocat. "Moi je crois qu'il s'agit probablement d'une addition des deux", a-t-il répondu, en plaidant l'acquittement au motif que l'élément moral de ce dossier, c'est "la contrainte, la compassion, la maladie". «Euthanasie». Lors du procès, un expert psychiatre a affirmé que ce jour-là «le discernement de M. Loyen avait été en partie altéré par sa souffrance psychique». Marcel a exprimé des choses, et leur contraire. «Quelqu’un m’a dit que ça pouvait être une preuve d’amour. Chacun pensera ce qu’il veut. Moi, ma peine est de vivre.» L’avocat de la défense a parlé d’ «euthanasie». L’avocat général a lâché : «Personne n’a le droit de donner la mort, même à un proche qui souffre… Les faits sont graves, mais sa place n’est pas en prison, c’est une évidence.» Avant de réclamer un an avec sursis. Les jurés l’ont suivi sur cette peine symbolique. David est né le 19 décembre 1985, presque jumeau de Céline, ma fille. David et sa famille ont appris qu’il avait une tumeur au cerveau… inopérable, derrière les yeux... le 24 décembre 2003. « Ma vie s’est arrêtée là » a dit Brigitte, sa maman, mon amie. Quel « cadeau » de Noël atroce ! La radiothérapie et la chimiothérapie n’ont pas eu d’effet sur la tumeur, qui a évolué plus vite que le pronostic des cancérologues. David a été hospitalisé en service de neurochirurgie à Lyon en février 2004. Il a subi plusieurs interventions pour limiter les complications dues au développement de la tumeur dont on ignore « l’histoire ». Suite à une hémorragie cérébrale, il était devenu hémiplégique et ne pouvait plus s’exprimer mais il entendait et comprenait tout ce qu’on lui disait. Un clignement des yeux signifiait qu’il nous reconnaissait, qu’il avait compris. En juillet 2004, David entrait dans le coma, abandonné par la médecine, impuissante à arrêter cette « chose » abominable qui détruisait son cerveau. L’équipe de chirurgiens et de soignants très compétente, capable de compassion et de sensibilité avait décidé de ne pas le transférer en soins palliatifs. Cette équipe a été d’un accompagnement et d’un dévouement exemplaires. Comment exprimer les sentiments d’impuissance, d’injustice et de colère à la vue de David étendu sur son lit blanc d’hôpital, inerte, désormais, mais tellement beau, si intelligent, très bon élève en prépa ingénieur intégrée dans une des meilleures écoles d’ingénieurs à Paris. Si dynamique, enthousiaste, rayonnant… Passionné de musique, il j o u a i t d u p i a n o , d e l a g u i t a re . S a chanson préférée : « I am a rock, I am an island » de Simon and Garfunkel. La vie était agréable avant la maladie. Tout était en train de disparaître sans aucun espoir de retour. Quelle souffrance atroce pour sa maman, son papa, son frère Jonathan, sa famille devant une telle impuissance à empêcher l’inéluctable et pourtant quelle énergie, quel espoir fou habite Brigitte qui ne quittait pas le chevet de son fils, continuant à le soutenir, le stimuler jusqu’à l’épuisement. « Tant qu’il vit, il y a de l’espoir », disait-elle, « nous avons mis en place une vaste chaîne de prières qui passe aussi par l’Afrique du Sud où Jonathan est né. » David n’aura jamais 19 ans. Il nous a quittés le 2 octobre 2004. Il n’a jamais aussi bien respiré que ce jour-là. Sans doute sentait-il la présence toute proche de sa mère, de ses copains. Il a ouvert les yeux, il a souri à sa maman et dans un soupir, « il est parti dans le vent et non dans le vide ». Pas de souffrance, ni d’angoisse, mais un sourire : « c’est tout David, ça ! ». Une dernière pirouette de cet éternel farceur à cette « chose » qui lui ronge le cerveau : « je pars mais tu pars avec moi ! » et en même temps un dernier clin d’œil à sa maman qui a veillé sur lui avec une énergie, un dynamisme, un optimisme qui forcent l’admiration : « ne sois pas triste, je ne suis pas loin, juste de l’autre côté du chemin ». Un dernier clin d’œil à Jonathan, le « frangin », le complice, à son papa dont la douleur est dangereusement muette, à sa famille et à sa bande de « potes », toujours présente… Les images ressurgissent, envahissent l’esprit, empoisonnent l’existence. La mort est un passage. Les morts continuent d’exister et d’intervenir dans l’existence des vivants, ceux qu’ils aimaient mais aussi leurs ennemis. David n’avait pas d’ennemi que cette « chose » dont nous avons si peur de prononcer le nom, par superstition sans doute… Quelque part en Afrique du Sud, Jonathan, le frangin, le complice a aussi son frère jumeau. Pour mon amie Brigitte, avec toute ma tendresse. Colette Colette TOUZET 33 afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd 19/11/07 15:02 Page 16 DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE « Au fond, personne ne croit à sa propre mort, et dans son inconscient, chacun est persuadé de son immortalité." (Sigmund Freud) Aucune de ces réponses ne manifeste vraiment d’empathie vis-à-vis de la personne. L’angoisse qui nous envahit face à la personne en fin de vie et sa famille nous pousse à développer des attitudes défensives qui rendent difficile l’écoute réelle de la personne que nous accompagnons. N’oublions pas qu’au centre de la relation humaine et du soin est l’être humain qui, un jour, sera : VOUS, MOI ! Toute personne devrait pouvoir dire : J’AI LE DROIT DE NE PAS MOURIR SEUL Face à un patient en fin de vie, nous sommes confrontés à notre propre peur de la mort et à notre peine de la séparation. Il nous est difficile d’accepter la mort, celle de nos proches….révolte, détresse, angoisse, impuissance, culpabilité, déchirement… tant de bouleversements, de souffrance. Et pourtant la mort fait partie de la vie. Elle l’achève et la clôture. "La vie si courte, si longue, devient parfois insupportable. Elle se déroule, toujours pareille, avec la mort au bout. On ne peut ni l'arrêter, ni la changer, ni la comprendre. Et souvent une révolte indignée nous saisit devant l'impuissance de notre effort. Quoi que nous fassions, nous mourrons ! Quoi que nous croyions, quoi que nous pensions, quoi que nous tentions, nous mourrons." (Guy de Maupassant) La mort n’est plus une affaire familiale, elle n’est plus entourée. Les progrès de la médecine et de la technique dépossèdent la personne de sa mort : elle ne lui permet plus de prendre en charge ses derniers moments, de les vivre sereinement, entourée des siens… comme le laboureur de Jean de La Fontaine qui sent venir sa mort et s’y prépare : « un riche laboureur, sentant sa mort proche, fit venir ses enfants, leur parla sans témoins… » Un matin, en entrant dans une chambre, une personne nous dit : « je vais mourir aujourd’hui »… la tentation est trop forte de lui énoncer une de ces phrases, derrière lesquelles, nous, soignants, nous nous réfugions : 34 • « Ne dites pas de bêtises », comme un ordre donné à un enfant. • « Pensez-donc à vos enfants, vous ne devriez pas dire des choses comme ça », très moralisateur qui tend à culpabiliser, empêchant l’expression des sentiments. • « Vous savez, on va tous mourir un jour », qui banalise, esquive, « claque la porte » à la parole de l’autre. • « Vous avez des pensées bien négatives ce matin »: qui juge, blâme, enfonce dans l’impuissance et n’aide pas à se situer en personne capable, en adulte. • « Mais ce n’est pas possible, vos examens sont très bons, je ne pense pas que cela soit déjà votre heure », opposition d’arguments objectifs servant de défense pour soi-même. • « A mon avis, c’est la visite de vos enfants qui vous a perturbé et c’est à cause de cela que vous dites que vous allez mourir », interprétation qui peut créer de la confusion si elle est fausse ou violer l’intimité psychique si elle est juste. • « Pourquoi est-ce que vous dites cela ? », enquête souvent liée à la peur du silence. • « Vous devriez penser à autre chose », conseil trop rapide qui ne fait pas confiance aux capacités de l’autre à trouver sa propre solution. • « Mais non ça va passer, vous allez tenir le coup, il ne faut pas vous décourager, tenez bon », qui rassure, console, encourage trop vite et ferme la possibilité d’expression de l’autre et risque de l’enfermer dans la solitude. • « Je vais voir si le médecin peut passer vous voir aujourd’hui », façon de se réfugier dans l’action, fuite parfois nécessaire pour soi. 1. J’ai le droit d’être traité comme un être humain vivant jusqu’à ma mort. 2. J’ai le droit de garder espoir, même si les raisons de mon espoir varient. 3. J’ai le droit d’être soigné par des gens qui peuvent m’aider à garder espoir, même si les raisons de mon espoir varient. 4. J’ai le droit de participer aux décisions à prendre concernant les soins à me donner. 5. J’ai le droit d’exprimer mes sentiments et mes émotions à ma manière concernant l’approche de ma mort. 6. J’ai le droit de recevoir l’attention de l’équipe médicale et infirmière même s’il devient évident que je ne guérirai pas. 7. J’ai le droit de ne pas mourir seul. 8. J’ai le droit de ne pas avoir mal. 9. J’ai le droit d’avoir une réponse honnête à mes questions. 10. J’ai le droit de ne pas être trompé. 11. J’ai le droit d’obtenir de l’aide venant de ma famille afin de pouvoir accepter ma mort, et ma famille a le droit de recevoir de l’aide afin de mieux pouvoir accepter ma mort. 12. J’ai le droit de mourir dans la paix et la dignité. 13. J’ai le droit de conserver mon individualité et de ne pas être jugé si mes décisions vont à l’encontre des croyances de ceux qui me soignent. 14. J’ai le droit de discuter et partager mes expériences religieuses et spirituelles même si elles sont différentes de celles des autres. 15. J’ai le droit d’attendre que l’on respecte mon corps après ma mort. 16. J’ai le droit d’être soigné par des gens capables de compassion et de sensibilité, compétents dans leur profession, qui s’efforcerons de comprendre mes besoins et qui sauront trouver de la satisfaction pour eux-mêmes dans le support qu’ils m’apporteront alors que je serai confronté à ma mort. (Les droits de la personne en fin de vie font l’objet de plusieurs chartes. En 1975, un groupe de travail, dépendant du Southwestern Michigan in Service Education Council élabora une charte très complète: Rosette POLETTI). Accompagner une personne en fin de vie doit être quelque chose de naturel. Evitons de la juger, de minimiser ou fuir, ne cherchons pas à diriger sa vie ni à prendre possession de ses derniers instants. Ecoutons la, regardons la, ne détournons pas le regard, touchons la : soyons présent tout simplement ! Malgré le manque cruel de présence humaine, à la personne qui me dit « je vais mourir aujourd’hui », je veux pouvoir répondre « vous ne mourrez pas seule, je suis là ! » «Le livre de la vie est le livre suprême qu'on ne peut ni fermer ni rouvrir à son choix. On voudrait revenir à la page où l'on aime, et la page où l'on meurt est déjà sous nos doigts. » Lamartine. Colette TOUZET IDE Dialysaix- Marseille Avec l’aide de Véronique MOUREAU- Psychologue e à s s à , , e t t e e 19/11/07 15:02 Page 17 LETTRE À MA MÈRE “ Lorsque le médecin t’a annoncé, à toi, ma mère, que cette « tâche » au poumon était un cancer, « le temps a suspendu son vol »… un cancer… le mot tant redouté a été prononcé et il te concerne, toi, ma mère que je croyais immortelle. Le cancer du fumeur, a-t-il poursuivi, alors que nous, ses enfants, écoutions, ahuris mais… « elle n’a jamais fumé ni vécu dans une atmosphère enfumée » au contraire nous vivions à la campagne… Incompréhension, injustice, douleur…et quand le médecin a poursuivi : « vous vous battez ou vous baissez les bras ? » et que j’ai entendu ta réponse instantanée : « je me bats ! », j’ai pris une douche glacée. « Pas la chimio, maman, s’il te plaît, je connais trop les ravages de la chimio pour en avoir tant fait en service… pas la chimio, un cancer du poumon, tu ne peux pas guérir » ai-je pensé. Pas le courage de t’enlever l’espoir. Et puis, j’y ai cru, moi aussi… A 86 ans, c’est une bien curieuse fin de vie qui t’attend…Après la guerre, la captivité de papa, la résistance, les drames familiaux, l’énergie dépensée à t’occuper de tes quatre enfants et de ceux des autres comme enseignante… Après une courte rémission, je t’ai vu dépérir, manquer de souffle malgré l’oxygène qui ne te quittait plus, sans te plaindre pour épargner tes enfants, tes petits-enfants. J’avais le cœur brisé, impuissant… Je ne voulais pas que tu nous quittes mais je voulais aussi que tu ne souffres plus. Et puis le médecin a proposé le talcage du poumon pour t’aider à respirer « ça passe ou ça casse ! », m’as-tu dit avec ton humour mais tu savais… Tu es toujours dans mon cœur Ma grand-mère est morte le 8 Janvier 2005. Fin Août, une phlébite compliquée d’une embolie pulmonaire la conduisait à l’hôpital, ce qui entraînait une rapide dégradation de l’état général. A 86 ans, cela n’a rien d’étonnant. Des douleurs s’installent, une incontinence urinaire et fécale, puis une grande lassitude. Tu nous as quittés un après-midi de juin, seule dans ton lit d’hôpital, juste, juste, avant que je ne passe la porte de ta chambre, trop tard pour rentrer à la maison. Pourtant, j’étais là près de toi, la veille, j’avais projeté de te ramener pour que tu puisses t’en aller près de papa, de tes enfants, de tes fleurs. Tu me disais : « je voudrais être dans mon lit », c’était ta façon très pudique de me dire que tu allais mourir… “ t i a e e , afidtn81-p19-35-DOSSIER.qxd Partir, mourir, quitter, décéder, disparaître….perte, absence, désert, solitude, manque, chagrin… Chaque printemps je regarde tes roses s’épanouir dans le jardin : elles sont tellement belles, tu es là avec moi et cela m’apaise. Colette TOUZET Très vite, se pose le problème du retour à domicile. Elle le souhaite, mon grand-père également, quoique effrayé par l’organisation qui en découle et la perte de l’intimité de son foyer, tout est organisé en octobre. Vont suivre alors, trois mois difficiles pour tous. Ma grand-mère a toujours été très lucide, mais totalement dépendante. Toilette, couches, besoin d’aide pour manger, elle a très vite dit qu’elle en avait assez ; certes, mais mis à part des traitements antalgiques puissants, rien d’autre n’était mis en œuvre, il n’y avait donc pas de possibilité d’arrêter un traitement curatif, accédant ainsi à sa demande. Ces mois de fin de vie ont été difficiles pour chacun de nous, il y a eu, bien sûr, des moments forts, des paroles, des gestes, mais à quel prix ? Celui de la déchéance physique et de la difficulté à supporter cette déchéance et cette dépendance. Et puis, attend-on les deniers mois, les derniers jours pour se dire « je t’aime » ? Nous avons pensé à l’euthanasie active, elle le demandait, mais quelle était vraiment sa demande ? Un jour avec, un jour sans ! Aujourd’hui, 2 ans après, je ne sais toujours pas s’il fallait ou non répondre de façon active à son désir de mourir plus vite, nous avons été là, tous, autour d’elle, mais qu’aurions-nous fait si cela avait duré des mois et des mois, si cette demande s’était faite plus pressante ? Ma grand-mère me manque, j’ai eu le temps et la chance de lui dire au revoir, de l’embrasser, de lui dire que je l’aimais, mais au prix d’une agonie difficile, douloureuse, si loin de ce qu’elle avait été dans sa vie. Alors faut-il légiférer, comment légiférer lorsque chaque histoire est différente ? Je ne suis pas certaine que l’on puisse répondre à cette question car chacun y trouvera une réponse différente. Béatrice BAGHDASSARIAN 35