FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE

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DOSSIER
FIN DE VIE :
RÉFLEXION ÉTHIQUE
Face à un patient en fin de vie, nous sommes confrontés à notre propre peur de la mort
et à notre peine de la séparation. Il nous est difficile d’accepter la mort, et pourtant, la
mort fait partie de la vie. Elle l’achève et la clôture.
“
Je suis infirmière libérale, l’an dernier, nous suivions une jeune femme (Cancer de l’utérus incurable, diabétique et hémodialysée). Elle se rend trois fois par semaine à l’hôpital pour être dialysée. Elle supporte de plus en plus mal ses séances et souhaitent les arrêter : elle en connait le
risque. Elle est tellement mal après les dialyses que l’équipe de soins pensent qu’elle va finir par
mourir dans l’ambulance après une séance de dialyse…Elle réitère à plusieurs reprises sa demande
d’arrêter ces séances. Les membres de l’équipe : médecin traitant, néphrologue et les équipes infirmières d’hémodialyse et libérales, se concertent et la démarche éthique conduit à penser qu’il s’agit
d’acharnement et qu’il faut accéder à sa demande. Elle sera accueillie en unité de soins palliatifs et
les dialyses seront progressivement arrêtées, elle décédera au bout de 6 jours avec des soins
de confort maximal, entourée de sa mère et de sa meilleure amie. (et non dans l’ambulance…)
“
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DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE
HISTOIRE DES SOINS
PALLIATIFS ET DE
L'ACCOMPAGNEMENT
Les prémisses : le soin aux incurables
Au Moyen Age, les soins aux indigents et
incurables étaient déjà la préoccupation des
confréries "de la bonne mort" et des Hôtels
Dieu. Mais cet accueil ne faisait pas l'objet de
structures spécifiques vouées aux soins palliatifs. Pour cela, il faudra attendre le XIXème siècle.
En 1874, toujours sous l'égide de l'œuvre
du Calvaire, Aurélie Jousset crée un hospice
à Paris, dans le XV ème arrondissement : ce
centre deviendra l'actuelle Maison Jeanne
Garnier qui, avec ses 80 lits, est aujourd'hui la
plus grande unité de soins palliatifs en France.
C'est en effet en 1842, dans le quartier du
calvaire à Lyon, qu'une jeune femme, Jeanne
Garnier, fonde l'association des Dames du
Calvaire pour accueillir les malades incurables.
En 1870, les sœurs néerlandaises de la
Charité ouvrent l'hospice Notre Dame à Dublin
et en 1905 celui de St Joseph à Londres. Le
mouvement des hospices anglais est amorcé.
Le travail précurseur des
soignants anglo-saxons
Un médecin, Cicely Saunders, jouera un rôle prépondérant dans le développement des soins palliatifs. Elle met au point des protocoles antalgiques,
étudie et fait connaître le maniement des morphiniques par voie orale. Elle
développe également le concept de «total pain »
(douleur globale) prenant en considération la
douleur physique mais aussi les souffrances
psychologiques, sociales et spirituelles des
malades en fin de vie. En 1967, en banlieue
de Londres, Cicely Saunders fonde le
St Christopher's Hospice autour d'une
équipe interdisciplinaire dans laquelle les
professionnels de santé, les bénévoles,
les agents du culte travaillent ensemble
pour prendre en charge le patient et ses
proches. Véritable pionnier du mouvement des soins palliatifs, le
St Christopher's Hospice reste un lieu de référence.
A peu près à la même époque, d'autres figures anglosaxonnes contribuent à faire émerger la question de la
prise en charge des malades en fin de vie : en 1969, aux
Etats-Unis, Elisabeth Kübler-Ross publie «On death and
Dying», à propos des réactions psychologiques de
malades confrontés à la mort ; en 1974, à Montréal
(Canada), grâce à l'enseignement qu'il a reçu au St Christopher's Hospice, le Dr
Balfour Mount crée la première unité d'hospitalisation en milieu universitaire,
au Royal Victoria Hospital. Il choisit l'appellation soins palliatifs plutôt que
de conserver le terme hospice qui présente au Canada une connotation
péjorative. Le mouvement va ensuite se développer rapidement en
Amérique du Nord.
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L'émergence du
mouvement des soins
palliatifs en France
En 1973, au retour d'un voyage d'étude au St
Christopher's Hospice, les publications du Père Patrick
Verspieren ont un retentissement important. Le Ministère de
la Santé prend alors conscience de la nécessité de réfléchir à
la prise en charge de ces malades en fin de vie ; il constitue
ainsi un groupe d'experts sur l'accompagnement des
malades en phase terminale. Dans ses conclusions, ce groupe
prend officiellement position en faveur du soulagement de la
douleur. Mais, aucune suite particulière ne sera donnée.
Sur le territoire français, le mouvement des soins palliatifs
se développe. Les premiers services ou consultations spécifiquement dédiés vont se créer.
Vers un enjeu
de santé publique
1984 est un tournant dans la prise de conscience de l'importance des soins palliatifs. Dans
un article de la revue "Etudes", le Père
Patrick Verspieren dénonce les pratiques
d'euthanasie dans les hôpitaux; le Comité
Consultatif d'Ethique Médicale est créé; la voix
de quelques soignants se fait entendre pour
désapprouver les positions en faveur de l'euthanasie de
l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD).
Un nouveau groupe de travail est constitué par le Ministère
de la santé. Il conduira la ministre Michèle Barzach à officialiser
les soins palliatifs par la "Circulaire du 26 août 1986 relative à
l'organisation des soins et à l'accompagnement des malades
en phase terminale".
Une véritable
dynamique associative
L'accompagnement des malades suscite la création de
nombreuses associations, preuve que la société française toute
entière manifeste son intérêt et sa solidarité.
En 1989, beaucoup de ces associations, animées des mêmes
objectifs, se rapprochent des professionnels de la santé (médecins, infirmières, psychologues…) pour fonder la Société
Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP).
Sa mission est de représenter, de stimuler et de faciliter l'action des personnes
morales ou physiques impliquées dans le mouvement des soins
palliatifs et de l'accompagnement des personnes en fin de vie,
dans le but de développer et d'améliorer la prise en charge des
personnes et la qualité des soins reçus. La SFAP est notamment
leur porte-parole auprès des pouvoirs publics. Elle adhère également à l'Association Européenne des Soins Palliatifs (EAPC).
Anne-Marie CADART
Source SFAP
Un dispositif en
constante évolution
A partir des années 90, une série de
textes fait progresser la reconnaissance des
soins palliatifs et de l'accompagnement ;
des dispositifs opérationnels sont mis en
place, même si les moyens ne sont pas
encore à la hauteur des enjeux.
1991 : la loi hospitalière du 31 juillet introduit les soins palliatifs dans les missions de
tout établissement de santé.
1993 : le rapport du Dr Delbecque, à la
demande du Ministère de la Santé, fait le
point sur les évolutions intervenues depuis la
circulaire de 1986 et émet des propositions,
lesquelles s'articulent autour de trois axes :
• Développement des soins palliatifs à domicile
• Planification des centres de soins palliatifs
• Enseignement/information des soins
palliatifs.
1994 : le sénateur Lucien
Neuwirth se prononce pour
l'amélioration de la prise
en charge de la douleur et
travaille à l'élaboration de
textes en ce sens.
1998 : Bernard Kouchner, secrétaire
d'Etat chargé de la santé, déclare que «les
soins palliatifs et la douleur sont une priorité
de santé publique». Le plan triennal 19992001
entraîne
plusieurs actions de
formation (en faculté
de médecine et dans
les instituts de soins
infirmiers) ainsi que la
création de nouvelles
structures de soins.
1999 : d'une valeur juridique supérieure à la
circulaire Laroque, la loi du 9 juin votée à
l'unanimité par le Parlement garantit un
droit d'accès aux soins palliatifs pour toute
personne en fin de vie (article 1). La loi
institue aussi un congé d'accompagnement
que peuvent prendre des personnes désireuses d'accompagner un proche en fin de
vie (articles 11 et 12). D'autres dispositions
concernent :
• L'intégration des soins palliatifs dans le
Schéma Régional d'Organisation Sanitaire
et Sociale (SROS), outil servant à la répartition des ressources, en fonction de priorités
définies (article 2)
• L'organisation de l'enseignement des
soins palliatifs (article 7)
• L'organisation du bénévolat (article 10)
2000 : la circulaire du 22 mars
de la Caisse Nationale
d'Assurance Maladie (CNAM),
définit la contribution du
fonds d'action sanitaire et social de la caisse
pour le maintien au domicile des personnes en
fin de vie. Elle prévoit en particulier une aide
financière (sous conditions) pour le paiement
de gardes-malades et l'achat d'équipements
spécifiques. Une dotation est créée pour
soutenir la formation des bénévoles d'accompagnement ; la gestion en est confiée à la SFAP.
En outre, le gouvernement édite la circulaire du
30 mai qui encourage le développement de
l'hospitalisation à domicile par les Agences
Régionales Hospitalières (ARH), en précisant
que ces structures doivent participer à la prise
en charge de la douleur et des soins palliatifs.
2002 : la circulaire du 19 février précise l'organisation des soins palliatifs et de l'accompagnement. Elle définit les missions et les
modalités de fonctionnement en ce qui
concerne les réseaux de soins palliatifs et
l'hospitalisation à domicile, la notion de
démarche palliative dans tous les services et
le concept de lits identifiés soins palliatifs.
Cette circulaire s'accompagne d'un
second programme national de développement des soins palliatifs 20022005 privilégie trois axes :
• Le développement des
soins palliatifs à domicile
• La poursuite du renforcement et de la création de
structures spécialisées
• La sensibilisation et l'information de l'ensemble du corps social à la démarche palliative.
2003 : le plan cancer remis au Président de la
République insiste sur la nécessité de développer
les soins de support, permettant une prise en
charge globale du patient dans laquelle s'inscrivent les soins palliatifs et l'accompagnement.
Les débats concernant l’euthanasie ont
régulièrement secoué la société française,
resurgissant lors de chaque nouvelle affaire
touchant à cette question. Le cas de Vincent
Humbert a cristallisé toutes les interrogations
et les positions partisanes.
Entre la fin 2004 et le printemps 2005,
dans un contexte émotionnel particulièrement
dramatique, une mission parlementaire est
mise en place, présidée par M. Jean Léonetti.
Cette mission a débouché sur une proposition
de loi qui a été adoptée à l’unanimité à
l'Assemblée Nationale le 1er décembre 2004,
puis votée en termes conformes par le Sénat le
12 avril 2005.
Pour soutenir et signer en ligne le plaidoyer des professionnels de santé et de bénévoles d'accompagnement
concernant le débat sur la fin de la vie :
http://www.sfap.org/component/option,com_wrapper/Itemid,163/
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DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE
QUELQUES DÉFINITIONS
Définition des soins palliatifs
Par la "loi de 1999"
Article 1er de la loi n°99-477
Titre 1er :
Droits de la personne malade :
Art. L.1er A. – Toute personne malade
dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un
accompagnement.
Art. L.1er B. – Les soins palliatifs sont
des soins actifs et continus pratiqués
par une équipe interdisciplinaire en
institution ou à domicile. Ils visent à
soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la
dignité de la personne malade et à
soutenir son entourage.
Art. L.1 er C. – La personne malade
peut s’opposer à toute investigation
ou thérapeutique.
Par l’OMS (Organisation
Mondiale de la Santé)
Définition de 1990
Les soins palliatifs sont des soins
actifs, complets, donnés aux malades
dont l’affection ne répond pas au traitement curatif. La lutte contre la
douleur et autres symptômes et la
prise en considération des problèmes
psychologiques, sociaux et spirituels,
sont primordiales. Le but des soins
palliatifs est d’obtenir la meilleure
qualité de vie possible pour les
malades et leur famille.
De nombreux éléments des soins
palliatifs sont également applicables
au début de l’évolution de la maladie,
en association avec un traitement
anticancéreux.
" C'est tout ce qui
reste à faire quand il n'y a plus
rien à faire " (1976)
Par Thérèse Vanier :
22
Les soins palliatifs affirment la vie et
c o n s i d è re n t l a m o r t c o m m e u n
processus normal, ne hâtent ni ne retardent la mort, procurent un soulagement de la douleur et des autres symptômes pénibles, intègrent les aspects
psychologiques et spirituels dans les
soins aux malades, offrent un système
de soutien pour aider les malades à vivre
aussi activement que possible jusqu’à la
mort, offrent un système de soutien qui
aide la famille à tenir pendant la
maladie du patient et leur propre deuil.
Définition de 2002
Les soins palliatifs cherchent à
améliorer la qualité de vie des patients et
de leur famille, face aux conséquences
d’une maladie potentiellement mortelle,
par la prévention et le soulagement de la
souffrance, identifiée précocement et
évaluée avec précision, ainsi que le traitement de la douleur et des autres
problèmes physiques, psychologiques et
spirituels qui lui sont liés.
Les soins palliatifs procurent le
soulagement de la douleur et des autres
symptômes gênants, soutiennent la vie
et considèrent la mort comme un
processus normal, n’entendent ni accélérer ni repousser la mort, intègrent les
aspects psychologiques et spirituels des
soins aux patients, proposent un
système de soutien pour aider les
patients à vivre aussi activement que
possible jusqu’à la mort, offrent un
système de soutien qui aide la famille à
tenir pendant la maladie du patient et
leur propre deuil, utilisent une approche
d’équipe pour répondre aux besoins
des patients et de leurs familles en y
incluant si nécessaire une assistance au
deuil, peuvent améliorer la qualité de
vie et influencer peut-être aussi de
manière positive l’évolution de la
maladie, sont applicables tôt dans le
décours de la maladie, en association
avec d’autres traitements pouvant
prolonger la vie, comme la chimiothérapie et la radiothérapie, et incluent les
investigations qui sont requises afin de
mieux comprendre les complications
cliniques gênantes et de manière à
pouvoir les prendre en charge.
Par le Conseil National de
l’Ordre des Médecins (1996)
Les soins palliatifs sont les soins et
l’accompagnement qui doivent être
mis en œuvre toutes les fois qu’une
atteinte pathologique menace l’existence, que la mort survienne ou
puisse être évitée.
Par l’ANAES (2002)
(Agence Nationale d’Accréditation
et d’Evaluation en Santé)
Les soins
palliatifs sont
des soins actifs,
continus,
évolutifs, coordonnés et pratiqués par une équipe
pluriprofessionnelle. Ils ont pour
objectif, dans une approche globale et
individualisée, de prévenir ou de
soulager les symptômes physiques,
dont la douleur, mais aussi les autres
symptômes, d’anticiper les risques de
c o m p l i c a t i o n s e t d e p re n d re e n
compte les besoins psychologiques,
sociaux et spirituels, dans le respect de
la dignité de la personne soignée.
Les soins palliatifs cherchent à
éviter les investigations et les traitements déraisonnables et se refusent à
provoquer intentionnellement la
mort. Selon cette approche, le patient
est considéré comme un être vivant et
la mort comme un processus naturel.
Les soins palliatifs s’adressent aux
personnes atteintes de maladies
graves évolutives ou mettant en jeu le
pronostic vital ou en phase avancée
ou terminale, ainsi qu’à leur famille
ou à leurs proches. Des bénévoles,
formés à l’accompagnement et
appartenant à des associations qui les
sélectionnent peuvent compléter,
avec l’accord du malade ou de ses
proches, l’action des équipes
soignantes.
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Par Cicely Saunders :
" La médecine palliative
repose sur la définition
suivante : le suivi
et la prise en charge de
patients atteints d'une
maladie active, progressive,
dont le stade est très
avancé et
le pronostic
très limité, et
dont le traitement vise
au maintien
de la qualité
de vie ."
Par Maurice Abiven :
" Une discipline nouvelle
est née, les soins palliatifs
terminaux : il s'agit
de prendre en charge
des malades atteints
d'une maladie
inéluctablement mortelle,
dans un délai en général
bref (en moyenne moins
de trois mois).
Cette maladie ne
peut plus par
définition,
comporter de
thérapeutique
curative.” (1990)
Définition
de l’euthanasie
À l'origine, l'euthanasie (gr: - , bonne, , mort)
désigne l'ensemble des moyens et recours permettant de soulager, d'abréger ou
d'éviter l'agonie à une personne en fin de vie1.
Etymologiquement, "euthanos" signifie la "bonne mort".
"Autrefois synonyme de mort calme et sans souffrances, ce terme est
aujourd'hui réservé à la pratique qui consiste à hâter la mort d'un malade
incurable, dans le dessein d'abréger ses souffrances."
Définition extraite du Dictionnaire de Médecine Flammarion.
On distingue deux types d'euthanasie :
> l'euthanasie active : c'est le geste d'un tiers qui donne la mort.
> l'euthanasie passive : c'est l'arrêt des traitements qui abrège la vie lorsque le cas
est désespéré. Certains disent que c'est un refus d'acharnement thérapeutique.
On emploie aussi le mot pour désigner l'acte d'aider une personne qui le
souhaite, et quelles que soient ses motivations, à mourir. Dans ce cas, les termes
plus appropriés sont plutôt l'aide au suicide ou le suicide assisté. Un autre
usage abusif du mot est son application aux soins palliatifs, qui ne visent jamais
à hâter le décès ou éviter le prolongement de l'agonie des patients même si, pour
soulager la douleur, il arrive aux soignants d'user de doses d'analgésiques ou
d'antalgiques risquant d'anticiper la mort.
Définition de l'Eglise catholique
« Il faut distinguer de l’euthanasie la décision de renoncer à ce qu’on
appelle l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire à certaines interventions
médicales qui ne conviennent plus à la situation réelle du malade, parce
qu’elles sont désormais disproportionnées par rapport aux résultats que l’on
pourrait espérer ou encore parce qu’elles sont trop lourdes pour lui et pour
sa famille. Dans ces situations, lorsque la mort s’annonce imminente et inévitable, on peut en conscience "renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis
précaire et pénible
de la vie, sans interrompre pourtant les
soins dus au malade
en pareil cas" »
Evangelium vitae
n°65
Dans un document approuvé par le
pape Benoît XVI, la
Congrégation pour
la doctrine de la foi
estime que l'alimentation et l'hydratation artificielles constituent "un moyen ordinaire et proportionné de maintien de la vie", qui ne doit être interrompu sous aucun prétexte
par respect pour la dignité des patients.
Anne-Marie CADART
Sources : Dictionnaire de médecine Flammarion
Site internet OMS
Dictionnaire Larousse
Site Internet du Conseil de l’ordre des médecins
Site Internet de l’HAS (ANAES)
SFAP
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DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE
ÉTHIQUE : EST-IL ACCEPTABLE «
UN PATIENT À MOURIR ?
Au-delà des procès médiatiques, la question de la fin de vie, interpelle les soignants, et nous
incite à une réflexion personnelle. Avant de prétendre apporter une réponse à l’ensemble
des problèmes posés par la fin de vie, ouvrons le débat.
La délicate
issue fatale
Avec les
patients atteints
de cancer en
phase terminale, les
patients souffrant de
maladies dégénératives,
o u c h ro n i q u e s , l e s a c c i dentés de la route, les
personnes âgées dont les fonctions
vitales se sont dégradées, la mort dans
notre société s’est médicalisée.
Inévitablement, les soignants sont
confrontés à la redoutable situation, où ces
personnes estimeront qu’elles ne vivent plus
dignement, et réclameront d’être aidées à
mourir. Peut-on provoquer la mort d’un malade
quelque soit sa pathologie, son âge, lorsque lui
et sa famille y consentent ? Et quand le malade
est inconscient, ou souffre d’une affection
psychiatrique, quelle est la référence à prendre
en compte pour prendre une décision ?
La loi Leonetti
Dans la majorité des cas c’est à l’euthanasie passive, autorisée par la loi Leonetti,
que les soignants font référence.
Cette loi votée en avril 2005 permet de
respecter le malade dans ses choix et d’éviter
l’obstination déraisonnable (l’acharnement
thérapeutique) par un questionnement éthique
de l’équipe de soins autour de la question de
l’arrêt ou de la limitation de traitement lorsque
le risque devient pour le
malade plus important que
le bénéfice. Elle ne permet
pas l’euthanasie active par
injection d’un produit en
vue de provoquer la mort.
Le pouvoir de décision reste
au médecin. Il n’a pas l’obligation de respecter les
volontés du malade, l’aide
au suicide est interdite.
Jean Leonetti
24
La loi Leonetti est- elle suffisante ?
Deux manifestes signés par des médecins
et des soignants ont circulés en Mars 2007 :
l’un demandait la dépénalisation de l’euthanasie, l’autre s’y opposait. Le manifeste des
2000 médecins et soignants, publié dans la
presse trouvait la loi insuffisante : « La majorité
des gens peuvent être endormis et soulagés
par la morphine, mais il y en a d’autres pour
qui les traitements antidouleur ne marchent
pas du tout » Il déclare aussi « que les signataires avaient aidé des patients à mourir. Ils
demandent la dépénalisation de l’euthanasie,
et l’arrêt immédiat des poursuites judiciaires
des soignants mis en accusation. Ils exigent
aussi des moyens adaptés permettant d’accompagner les patients en fin de vie quels que
soient les lieux et les conditions de vie… »
Selon les signataires « Les améliorations apportées par loi Leonetti de 2005 sont également
insuffisantes puisque celle-ci est toujours aussi
répressive et injuste envers les soignants qui
aident leurs patients à mourir… »
« Je ne veux pas vivre sur la souffrance des
autres. Par deux fois j’ai donné à des patients
une surdose de morphine pour les aider à
partir » confie le docteur T.L.D. généraliste
dans le département de Haute -Garonne.
La Société Française d’Accompagnement
et de Soins Palliatifs, dans son manifeste qui
sera signé par plus de 4500 personnes, médecins, infirmiers, psychologues, bénévoles
déclare : « Ne pas se reconnaître dans le
mouvement réclamant la légalisation de l’euthanasie. Elle tient à réaffirmer que la
complexité des problèmes posés appelle une
réflexion approfondie, dépassionnée, et non
des solutions simplistes. » Trois revendications dans son plaidoyer : informer le public ;
former les personnels de santé ; créer un
observatoire qui assurerait un rôle d’information, d’expertise et de médiation dans les cas
les plus délicats.
Fadek Beloucif, anesthésiste réanimateur,
déclare quand à lui « que la loi Leonetti règle
les choses de manière humaine… Le droit au
suicide assisté n’est pas un acte médical, ce
n’est pas un boulot de docteur… »
Jean Leonetti, à l’origine de cette loi,
déplore la confusion qui règne sur la terminologie dans ce débat, et soutien que : « la loi
n’est pas connue, mal comprise, et mal appliquée. La première chose à faire serait d’abord
de remédier à cela. »
Edouard Ferrand, anesthésiste réanimateur à l’hôpital Henri Mondor à Créteil,
membre de plusieurs commissions
d’éthiques médicales affirme : « 2 ans après
son adoption cette loi est loin d’être appliquée comme elle le devrait…elle permet de
lutter contre l’acharnement thérapeutique
en instaurant la collégialité, afin de prendre
la moins mauvaise décision…Mais il y a un
fossé majeur entre le cadre légal sur le droit
des patients, le respect de leur dignité, et ce
qui se passe dans la réalité… Nous constatons encore des fins de vie qui sont accélérées, ou des actes qui ne correspondent à ce
qui a été défini comme de bonnes
pratiques… La législation prévoit notamment la possibilité pour le patient de désigner un tiers de confiance, mais cela n’est
pratiquement jamais fait. » (Le Monde
10/03/07)
L’Association pour le Droit de
Mourir dans la Dignité (ADMD)
L’ADMD est une association qui milite
pour permettre à chacun d’avoir une fin de
vie conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté. Dans cette
perspective, elle entend obtenir le vote
légalisant l’euthanasie. Elle milite pour le
développement des soins palliatifs, de telle
sorte que soit préservé en toutes circonstances le choix du patient, le recours à l’eut h a n a s i e n e d e v a n t p a s ê t re e n v i s a g é
comme une alternative à un défaut d’accès
aux soins palliatifs.
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Fin de vie et
soins palliatifs
E « D’AIDER »
Un débat qui traverse l’Europe.
Dans la plupart des pays d’Europe, l’euthanasie et le suicide assisté sont illégaux,
et à chaque nouvelle affaire le débat refait surface avec passion, pour faire évoluer la
législation. Et, conséquence, la justice tantôt poursuit, tantôt rend un non lieu.
Les Pays-Bas premier
pays à avoir dépénalisé
l’euthanasie
Les Pays-Bas souhaitaient, en 2001
mieux contrôler l’euthanasie, et en réduire le
nombre de cas. « L’euthanasie doit être un
refuge ultime… » explique le Ministre de la
Santé Els Borst. L’euthanasie active est autorisée sous conditions très strictes et des
critères, dits de minutie :
> Etre convaincu que la demande du patient
est volontaire, réfléchie et réitérée.
> Etre convaincu que la souffrance du patient
est insupportable et sans issue.
> Avoir informé le patient sur son état actuel
et sur le pronostic.
> Etre arrivé avec le patient à la conclusion
qu’il n’y a pas d’autre solution acceptable.
> Avoir consulté au moins un autre médecin
indépendant qui, après avoir examiné le
patient, a émis un avis concernant le respect
des critères de minutie.
> Avoir procédé à la fin de vie selon les
critères médicaux.
La loi reconnaît la validité d’une déclaration écrite anticipée de demande d’euthanasie pour le cas ou un individu deviendrait
incapable de s’exprimer.
L’euthanasie reste punissable d’une peine
maximale de 12 ans de prison et d’une très
forte amende dès lors que les critères de
minutie ne sont pas respectés par un médecin.
Une étude de pratique sur 10 ans indique
que si les demandes sont passées de 25.000
à 34.700, les euthanasies n’ont augmentées
que de 3%.
La Belgique deuxième
pays autorisant l’acte
pratiqué par un tiers
L’euthanasie est autorisée pour les
personnes dans un état désespéré, et en
proie à des souffrances tant physiques
que psychiques. S’il ne s’agit pas d’un
patient en phase terminale, l’avis d’un
confrère est requis. Les conditions et
p ro c é d u re s s o n t t r è s s e m b l a b l e s a u x
critères requis aux Pays-Bas. S’il y a une
équipe soignante, elle doit être consultée.
Une clause de liberté existe, aucun
médecin n’est tenu de pratiquer une
euthanasie, mais dans ce cas, il doit en
informer le patient. Aucun soignant, n’est
tenu de participer à une euthanasie.
En Espagne
L’euthanasie n’est pas
autorisée. Le 1 er . Mars
2007, une patiente de 51 ans a obtenu le
droit de faire débrancher le respirateur qui la
maintenait en vie depuis 9 ans. Cette
patiente totalement paralysée, avait officiellement formulée sa demande et médiatisé
son cas. Les autorités lui ont répondu favorablement, se fondant sur une disposition législative qui autorise les patients à refuser un
traitement. (L’humanité, 12 Mars 2007)
En Grande- Bretagne
Pas de suicide assisté, ni
d’euthanasie au Royaume
Uni. Les médecins bravent la loi. Néanmoins
la Chambre des Lords ouvre le débat. Un
débat sur l’euthanasie des prématurés lourdement handicapés est relancé.
L'Association des médecins britanniques
s'est prononcée à 65 % contre la légalisation
du suicide assisté par un médecin et, à une plus
forte majorité (94 %), contre l'euthanasie
«non volontaire», sans l'accord d'un patient
inconscient. Les médecins britanniques
soutiennent en revanche le développement
des soins palliatifs. Le débat sur l'euthanasie a
été ouvert au Royaume-Uni par une proposition de loi visant à permettre aux médecins de
prescrire les médicaments ad hoc aux patients
qui souhaiteraient mettre fin à leurs jours. La
Chambre des Lords a décidé le 12 mai de
repousser de six mois l'examen du texte.
En Suisse
Le Conseil Fédéral
refuse de légiférer sur l’euthanasie. Elle est interdite, mais pourtant elle
se banalise. La Suisse tolère le suicide assisté,
même pour les étrangers. (0,4% des décès.)
Deux associations, Exit et Dignitas,
« aident » les candidats au suicide en leur
préparant une potion mortelle, qu’ils n’auront plus qu’à boire. Un médecin prescrit le
médicament, après avoir confirmé le caractère incurable de la maladie.
En Italie
Le débat est relancé à
chaque affaire. La justice
se range du côté des patients qui refusent
l’acharnement thérapeutique.
« La démarche palliative, démarche qui limite les gestes et
les actes, n’est pas valorisée, il n’y a aucun intérêt même
économique à la développer. »(1)
Résultat 700 lits seulement accueillent les malades en soins
palliatifs en France. Au moins 100.000 personnes devraient en
bénéficier. Et si l’on estime que tous les malades doivent mourir
dans les unités de soins palliatifs, on ne pourra jamais créer suffisamment de lits. La démarche palliative doit donc concerner tous
les services hospitaliers, et la médecine de ville.
Les soignants sont insuffisamment formés à la prise en
charge des patients en fin de vie. Actuellement, l’enseignement
est centré sur le curatif. C’est comme s’il y avait une hiérarchie
consistant à s’occuper des malades curables avant les incurables et les mourants. Il faut transformer le concept de soins, il ne
faut pas que du savoir-faire mais aussi du savoir être.
La formation doit leur apprendre à appréhender les
problèmes éthiques complexes, à pouvoir en discuter. Elle
devrait devenir une priorité dans les formations continues. (2)
L’association Pierre Clément, basée à Strasbourg, milite
pour les soins palliatifs. Son président Maurice Chausson
déclare : « Supprimons la douleur plutôt que la personne ! La
souffrance physique peut être ôtée dans 92 à 95% des cas.
Seulement, très peu de médecins savent faire : on ne leur
apprend pas à gérer la douleur en fin de vie, qui est complexe,
multiple. Il faut les former. Les 5% de douleurs ne cédant pas
aux antalgiques, devraient bénéficier de la sédation induite
qui est comme une anesthésie profonde. »
Conclusion
L’euthanasie est peut être le sujet qui cache le vrai
problème, celui de la prise en charge de la fin de vie.
Aujourd’hui près d’un français sur deux meurt à l’hôpital. Une
étude (3) sur les conditions de décès à l’hôpital révèle une solitude profonde en fin de vie. Elle pointe une prise en charge,
non pas déficiente, mais… absente. Les infirmières présentes
dans 80% des décès sont en première ligne. La prise en
charge des patients en fin de vie n’a été discutée que dans
17% des cas ; il n’existe le plus souvent pas de procédure
spécifique dans les services.
L’épuisement professionnel des soignants est dû en grande
partie, à la mauvaise gestion de la fin de vie (1) dans les services. Il
ne faut pas faire de la collégialité un quart d’heure avant la mort
du malade. Les soignants doivent en discuter en amont, s’asseoir
autour d’une table, connaître l’environnement du patient, qui
le représente, ce qu’il souhaitait, son histoire. En amorçant
le processus très tôt on arrive à prendre des décisions plus tôt
et donc à diminuer l’acharnement thérapeutique.
Bibliographie.
(1). E. Ferrand, anesthésiste réanimateur a l’hôpital Henri Mondor Créteil, membre de plusieurs commissions d’éthique médicale. Mourir le
moins mal possible. Le Monde. 10 /03/07 - (2). Eric Favereau. On meurt
seul à l’hôpital. Libération 23/10/05. - (3). Enquête nationale (SAR-Samu
94, Hôpital Henri Mondor - Créteil) Dr. Ferrand, Lemaire, Marty. - (4).
Journal L’Alsace .Débat : la mort aidée. 24 mars 2007
Internet.
1. Association P. Clément : www.association-pierre-clement.fr
2. Jusqu’à la mort accompagner la vie : www.jalmalv.fr
3. ADMD : www.admd.net
4. Dignitas :[email protected]
Loi Leonetti - Téléchargement du texte complet : http://www.legifrance.gouv.fr/imagesJOE/2005/0423/joe_20050423_0095_0001.pdf
Jean-Claude CLERC
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DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE
Le livre
blanc de
l’ADMD
L'ADMD a publié en
mars 2007 un livre blanc
dans lequel elle soulignait
que la loi Leonetti [du 22
avril 2005 relative au droit
des malades et la fin de vie]
n'était pas encore appliquée et restait peu connue.
Le député Jean Leonetti
(UMP, Alpes-Maritimes) a
défendu cette loi, tout en
reconnaissant qu'elle était
encore "peu appliquée".
Lors "d'un tour de France",
il a constaté que les médecins étaient "éloignés de
cette pratique".
Il a admis aussi que les
citoyens ne s'étaient pas
"appropriés" les termes et
les idées de la loi. Estimant
pourtant qu’elle était
"claire", il a reconnu qu'elle
aurait mérité plus de décrets
d'application pour la "décortiquer" et "l'expliquer".
Pour que sa loi soit
mieux appliquée, il a formulé trois propositions :
> Former l'ensemble du
corps médical
> Créer un observatoire des
pratiques sur la fin de vie
> Organiser un grand débat
avec l'ensemble des
citoyens
ARRÊT DES SOINS,
FIN DE VIE,
QUESTIONNEMENTS
Le débat sur la fin de vie existe depuis longtemps, entre les
"pros" et les "antis" euthanasie, mais aussi entre toutes les
« euthanasies » possibles. Chacun d’entre nous est unique,
chaque fin de vie le sera également. Ce débat est aujourd’hui
relayé par l’actualité et porté par Marie Humbert, la mère de
Vincent dont nous connaissons tous la douloureuse histoire.
Alors, faut-il arrêter les traitements, ne pas les commencer, définir
de façon radicale ce qui est palliatif ou
non, tout ceci reste complexe.
Que dire de l’arrêt des soins ?
Posons-nous d’abord la question de
la définition du soin. Un soin n’est pas
forcément curatif, il est hors de question
pour un soignant d’arrêter les soins chez
un patient, quand bien même ce patient
serait en unité palliative.
Dispenser des soins d’hygiène,
relationnels, de confort, hydrater,
alimenter un patient, assurer une
réfection des pansements, soulager la
douleur par des massages ou le
toucher sont des soins indispensables,
même en fin de vie.
Alors de quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’arrêt des soins ?
Prenons l’exemple d’un patient dialysé,
qui ne veut plus assurer
son traitement.
N o m b re d ’ e n t re n o u s o n t é t é
confrontés à ce cas de figure. Il est
certes « facile » d’arrêter le traitement
par dialyse, chacun sait que le patient
mourra. Oui, mais dans quelle conditions ? L’arrêt de la dialyse ne doit-il pas
être associé à d’autres traitements,
curatifs dans la vie quotidienne, mais
palliatifs dans ce cas précis, puisque
destinés à soulager l’inconfort physique
lié à cet arrêt de dialyse ?
Est-il supportable de débrancher
u n re s p i r a t e u r, s a n s s o u l a g e r l a
détresse respiratoire qui en résultera ?
Est-il dans ces conditions raisonnable de définir ce qui est palliatif ou
ne l’est pas ? D’autant plus que la
sensibilité de chacun interviendra dans
nos choix. J’entends encore cette
collègue croisée dans un couloir de
l’hôpital et révoltée par l’acharnement
thérapeutique sur une patiente âgée
souhaitant mourir : « Elle fait un choc
septique et « ils » la sorte de là !!!
Maintenant, tous les matins, c’est à
nous qu’elle demande la piqûre !! »
« Ils », les acteurs de cette « résurrection », au contraire, défendent leur
action car «c’était un problème aigu au
cours d’une pathologie chronique ».
Cette souffrance, tant au niveau
du patient que du soignant, montre
bien l’absence de frontière entre le
palliatif, le curatif et la perception
qu’en a chacun d’entre nous.
Arrêter la chimiothérapie ou toute
thérapie chez un patient cancéreux dont
on sait qu’il ne guérira plus ou ne pas
commencer la dialyse chez un patient
âgé souffrant de démence sénile ou de
maladie d’Alzheimer sont des démarches
relativement faciles à définir, bien que
toujours très difficiles à appliquer ou à
discuter. Mais que faire pour des patients
dans la situation de Vincent Humbert par
exemple, incapables de vivre sans assistance, mais vivants, en bonne santé, et
sans espoir d’amélioration de leur état ?
Là, point d’arrêt de traitement curatif, il
n’y en a pas, arrêt des soins de base ?
C’est bien entendu une question terrifiante et polémique dont personne ne
parle réellement sérieusement, laissant le
patient, sa famille et la société dans le
désarroi que l’on connaît actuellement.
Une solution peut-elle être la
bonne solution ?
Quelle serait la société idéale ? Celle
qui développerait des centres de soins
palliatifs, accessibles à tous les patients
en fin de vie, apportant confort et
réconfort, mais oublierait les patients
n’acceptant pas leur déchéance
physique et souhaitant partir avant
cette déchéance, celle qui légaliserait
l’euthanasie dite active, laissant la porte
ouverte à des excès et se dédouanerait
de cette façon, de la mise en place
d’unités de soins palliatifs ?
Sommes-nous prêts à donner à
la fin de vie la place philosophique, sociale et économique
qu’elle requiert ?
Le débat n’est donc pas encore clos ;
notre société n’aime pas la mort, elle est
pourtant la seule certitude de notre
avenir. Il serait grand temps de s’en
rendre compte.
Béatrice BAGHDASSARIAN
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ÉTHIQUE ET FIN
DE VIE EN DIALYSE
Les structures pouvant traiter les patients en insuffisance rénale chronique étaient peu
nombreuses, lorsque le traitement par dialyse a débuté en France. (Début des années 60)
Les performances du matériel étaient restreintes, avec comme conséquence l’obligation
d’épurer les patients pendant 12 heures pour obtenir des résultats corrects.
Sélection des patients
La longueur des séances, la rareté
des postes ne permettaient pas de
prendre tous les patients insuffisants
rénaux chroniques au stade terminal. Il
y avait donc obligation de faire une
sélection drastique des patients pris en
charge. Les critères retenus étaient,
l’âge, le statut social, les pathologies
associées. Le profil type du
patient était donc un
adulte de 16-40 ans, bien
inséré socialement. Les
patients âgés, diabétiques,
cardiaques, psychiatriques,
marginaux etc... ne
pouvaient être dialysés et
mouraient. Si parfois en fin
de vie ces patients étaient
dans un coma calme, ce
n’était pas toujours le cas
et souvent la mort succédait à des symptômes
d’étouffement, des hémorragies, des nausées. Cette sélection
était un choix douloureux, puisqu’il
fallait refuser à de nombreux patients
un traitement salvateur. La dialyse que
nous pratiquions était très artisanale.
Nous ne disposions pas de matériel à
usage unique, et avions peu de possibilité d’augmenter la capacité d’accueil.
Les soignants étaient très motivés,
avaient le sentiment d’être les pionniers
d’une technique nouvelle, et les
patients étaient reconnaissants.
L’amélioration du matériel
permit fort heureusement d’augmenter
le nombre de patients traités. Mais de
nombreux paramètres de la technique
n’étaient pas maîtrisés, et c’est l’apparition de complications chez certains
patients qui permettra de l’améliorer.
Dans quelques centres, les dialysés
après quelques années de traitement
présentaient des troubles de la conscience, puis devenaient complètement
végétatifs par encéphalopathie aluminique, provoquée par l’eau et les traitements par gels d’alumine. L’eau était
uniquement adoucie, et les osmoseurs
qui permettent d’obtenir une eau pure
pas encore disponibles. Une des solutions
pour tenter d’enrayer cette complication
fut de transférer les patients les plus
atteints dans des structures disposant
d’une eau correcte. Plusieurs de ces
patients furent pris en charge chez nous.
Dialyser des patients en état végétatif
était éprouvant et les améliorations rares.
Il n’était pourtant pas question d’arrêter
le traitement. La situation était vécue
La population dialysée change
progressivement
La moyenne d’âge pour la transplantation rénale est repoussée. Les patients
dits lourds, à l’espérance de vie très
courte, sont pris en charge. Et lorsque
l’état de ces patients devient précaire,
se pose la question, acharnement
thérapeutique ou arrêt des séances ?
L’équipe soignante proposera de
continuer les séances en réduisant les
fréquences à 2 fois par semaine, ou le
temps de séance, progressivement.
Ces changements sont adaptés à
l’état du patient. La décision d’interrompre les séances se posera seulement quand le patient perd conscience. Il est indispensable de
dialoguer le plus tôt possible avec la
famille, lui faire prendre
conscience qu’une issue
défavorable est à envisager. Un accompagnement est alors possible, la
famille pourra faire
connaître à l’équipe
jusqu’où elle désire que le
traitement soit poursuivi.
“La déchéance physique
et la mort sont présentes à
l’esprit des patients dialysés.
Ils n’en parlent guère chez
eux, de peur d’alourdir
le climat familial.”
comme un échec par les médecins, la
prise en charge était entièrement gérée
par l’équipe soignante. Le terme d’acharnement thérapeutique n’était pas encore
utilisé, et la seule loi évoquée pour
prendre une décision était l’assistance ou
la non-assistance à personne en danger.
L’environnement de la dialyse en
progrès, matériel fiable, qualité de
l’eau, abords vasculaires de qualité, la
DP ambulatoire, font disparaitre les
dernières contre-indications.
Des décisions délicates souvent impossibles à prendre avec la famille. Le
conjoint souhaitant l’arrêt, les enfants
non, ou bien personne ne voulant
s’impliquer dans la décision.
Le patient en fin de vie lorsqu’il est
conscient sait que si on arrête les dialyses
il mourra : ce n’est pas son état qui
entraînera sa fin mais bien l’arrêt du traitement. A cette angoisse s’ajoutera aussi
le sentiment d’abandon par l’équipe qui
l’a entouré, parfois des années.
Après de nombreuses
concertations, des expériences douloureuses,
nous, équipe soignante,
sommes persuadés que
l’accompagnement thérapeutique de
la maladie doit se faire jusqu’à la mort
de la personne.
La gestion de l’accompagnement de fin de vie doit être construite
très tôt par l’équipe soignante, et
non au dernier moment, les décès
des personnes étant très souvent
prévisibles.
La déchéance physique, la mort
sont toujours présentes à l’esprit
des patients dialysés. Ils n’en parlent
guère chez eux, de peur d’alourdir le
climat familial. La rencontre avec les
soignants est une des possibilités de le
faire. Bien sûr ce n’est pas à nous
d’aborder le sujet, mais en faisant
preuve d’une disponibilité d’écoute, la
confiance s’installera, et la communication se fera. Il est indispensable de
connaître l’environnement du patient,
de connaître sa personne référente, de
connaître son histoire, de savoir ce
qu’il souhaite. Et quelque soit l’avenir
de ce patient, la décision qui sera prise
pour et avec lui, sera respectueuse et
humaine.
Jean-Claude CLERC
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DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE
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légale
euthanasie ?
Pas une euthanasie active.
> vous ne pouvez pas disposer librement de votre corps :
l'interdiction d'euthanasie constitue l'une des applications du principe d'indisponibilité du corps humain.
> en outre, l’euthanasie active est pénalement réprimée. Elle peut
constituer un meurtre, un homicide involontaire, un délit de non
assistance à personne en péril, un empoisonnement, une provocation
au suicide ... De plus, la personne qui provoque l'euthanasie peut être
condamnée à payer des dommages et intérêts et si elle a agit dans le
cadre de sa profession, elle encourt des sanctions disciplinaires.
Peut-on être poursuivi
si on demande ou provoque une euthanasie
pour soi-même ou
autrui (un membre de
sa famille par exemple) ?
> par contre, la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux
droits des malades et à la fin de vie autorise désormais le
médecin à limiter ou arrêter un traitement concernant une
personne « hors d’état d’exprimer une volonté » alors que « la
limitation ou l’arrêt du traitement serait susceptible de
mettre sa vie en danger » (C. santé publique, art. L. 1111-4).
Le médecin peut également, lorsque le malade est en « fin de
vie et hors d’état d’exprimer sa volonté », « limiter ou arrêter
un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre
objet que la seule prolongation artificielle de la vie » (C. santé
publique. art. L. 1111-13). Dans ces deux cas, le médecin doit
respecter plusieurs conditions et une procédure collégiale.
> Le décret n° 2006-120 du 6 février 2006 précise que la décision est
prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec
« l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un
médecin, appelé en qualité de consultant » et le cas échéant celui
d’autres personnes (personne de confiance, membre de la famille,
proche, titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur si le patient est
mineur (C. santé publique. art. R. 4127-37)
La tentative d'euthanasie
est-elle réprimée ?
La tentative de crime est punissable.
En cas d'euthanasie active qui peut être qualifiée de meurtre
ou d'empoisonnement, la tentative est donc punissable.
Il faut un commencement d'exécution et que la tentative n'ait
pas été suspendue ou qu'elle n'ait manqué son effet qu'en raison
de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur.
> pour soi-même :
Votre demande ne peut justifier légalement une euthanasie active.
Par contre, vous ne pouvez pas être
poursuivi au motif que vous avez sollicité
une euthanasie active : Le suicide n'est pas
réprimé.
> pour autrui :
L'euthanasie active est constitutive d'infractions pénales : meurtre, non-assistance à
personne en péril, empoisonnement ...
Toute personne qui a contribué à sa
réalisation peut être poursuivie comme
coauteur ou complice.
Elle peut également être condamnée le
cas échéant à payer des dommages et intérêts à la famille ou à l'intéressé en cas d'échec
(la tentative d'euthanasie est punissable).
Si vous avez agi dans l'exercice de votre
profession, vous encourez en outre des sanctions disciplinaires.
Enfin, dans le cadre d'un conflit entre
héritiers, dans l'hypothèse où l'un d'eux a
provoqué l'euthanasie :
La tentative de mort ou le fait de donner
la mort peut entraîner la déchéance de la
succession.
En outre la complicité de mort ou la
mort par un donataire ou légataire peut
entraîner la révocation de la donation et/ou
du testament pour cause d'ingratitude
28
Quelles sont les sanctions encourue
s?
> L'auteur de l'euthanasie
peut être poursuivi au pénal
sur les fondements suivants:
> Meurtre :
> Empoisonnement :
L'article 221 - 5 du NCP
dispose à cet effet : "le fait
d'attenter à la vie d'autrui par
l'emploi ou l'administration
de substances de nature à
entraîner la mort constitue un
empoisonnement.L'empoison
nement est puni de trente ans
de réclusion criminelle ...".
Art 221-3 NCP :"Le fait de
donner volontairement la
mort à autrui constitue un
meurtre. Il est puni de trente
ans de réclusion criminelle. "
Article 221 - 3 du NCP : "le
meurtre commis avec préméditation constitue un assas- > Il faut :
sinat. Il est puni de la réclusion 1. Un élément matériel : l'utilisation ou l'administration de
criminelle à perpétuité."
substances de nature à
entraîner la mort. L'infraction
> Il faut :
est constituée que le résultat
1. Un élément matériel :
soit atteint ou non.
le fait de donner la mort.
2. Un élément moral : l'inten2. Un élément moral :
tion de donner la mort. Le
l'intention de tuer.
À défaut, il s'agirait de mobile est également indiffécoups ayant entraîné la mort rent à la constitution de l'insans intention de la donner fraction. La Cour d'assises
(article 222 - 7 et 222 - 8 du NCP) d'Ille-et-Vilaine dans un arrêt
Le mobile est indifférent : du 11 mars 1998 a ainsi récempeu importe que l'euthanasie ment condamné l'auteur d'un
ait été provoquée en vue de geste euthanasique à cinq ans
soulager les souffrances d'une d e p r i s o n a v e c s u r s i s p o u r
empoisonnement.
personne ou de lui nuire.
Outre les peines pénales,
la personne responsable peut
être condamnée à payer des
dommages intérêts à la
famille de la victime.
De plus, si la personne qui
a procédé au geste d'euthanasie est un médecin, il
encourt des sanctions disciplinaires.
Le Conseil Régional de
l'Ordre des Médecins constitue la juridiction de
première instance.
Le Conseil National est la
juridiction d'appel.
Les décisions du Conseil
National peuvent faire l'objet
de recours en cassation
devant le Conseil d'État.
Le Conseil peut ainsi
prononcer des blâmes, l'int e r d i c t i o n d ' e x e r c e r, l a
radiation..., ce indépendamment des autres juridictions civiles, pénales ou
administratives.
Anne-Marie CADART
Source : © Carine DIEBOLT "Droit pour Tous" - 2006
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LE SUICIDE ASSISTÉ DE MAÏA SIMON
RELANCE LE DÉBAT DE L’EUTHANASIE
La comédienne française Maïa
Simon, est décédée mercredi 19
septembre 2007 en Suisse à l'âge
de 67 ans après avoir eu recours
à un "suicide médicalement
assisté" en toute légalité, pour
"abréger ses souffrances".
"Je veux
choisir
ma mort"
L'actrice, atteinte d'un cancer,
est morte entourée de ses amis et de
membres de sa famille, à Zurich, où
elle était partie deux jours plus tôt.
"Elle a pris d'elle-même un
médicament, le penthotal, qui lui
avait été prescrit" afin de mettre fin
à ses jours, a précisé Jean-Luc
Romero, le président de
l'Association pour le droit de
Mourir dans la Dignité (ADMD).
Après passage devant une
commission médicale, l'ADMD a
mis en contact la malade avec une
association suisse nommée
Dignitas. Celle-ci fournit une
potion létale aux candidats au
suicide, qu’ils doivent ingurgiter
eux-mêmes, comme cela a été le
cas pour Maïa Simon.
Dans un long entretien diffusé
sur RTL, l'actrice avait dénoncé
« l'hypocrisie française en matière
d'euthanasie ». Elle a qualifié
la situation dans l'Hexagone
d'"absolument ignoble”, soulignant que les patients "trouvent
toujours des gens qui peuvent
les aider", avec le risque que
"les médecins ou anesthésistes"
soient punis.
"Quand vous êtes dans un
centre de soins palliatifs, vous
attendez la mort de manière
passive, vous ne faites pratiquement plus rien, vous êtes un peu
végétatif. Moi j'étais une nomade,
toujours entre deux voyages. Si je
n'ai plus la liberté d'aller caracoler
à l'extérieur, c'est comme si on
m'assassinait, comme si je m'étiolais comme un oiseau en cage".
"Au lieu d'attendre la mort
d'une manière passive, j'organise
mon dernier voyage avec ma
famille et mes amis. Comme nous
n'avons pas la possibilité d'accomplir cette chose en France, je suis
obligée de partir à l'étranger.
Quelque part cette idée me séduit
parce que ça me donne la possibilité d'une escapade (...). Et quand
j'arriverai là-bas, ce sera le grand
bond", ajoutait-elle.
"Au début ça n'a pas été facile
de leur faire admettre ma décision.
Et puis, petit à petit, ils ont quand
même compris (...) que ce que je
choisissais c'était essentiel pour
moi. Donc ils sont passés au-delà
de leurs a priori ou de leurs peurs",
expliquait la comédienne.
"Je veux choisir ma mort"
Ses amis veulent poursuivre
son combat pour faire changer la
loi sur la fin de vie.
Roselyne Bachelot a accepté
de rencontrer ses proches. Et la
Ministre de la Santé indique ne pas
"fermer la porte" à une évolution
de la loi.
Anne-Marie CADART
Sources : ADMD, Le figaro,
l’express, le Monde, RTL
« A MON HEURE, JE MOURRAI
DIGNEMENT ET L’ESPRIT EN PAIX. »
Mulhouse, deuxième ville d’Alsace, la Suisse alémanique est toute proche.
Chaque jour de milliers de personnes franchissent la frontière pour y
travailler. Ce sont les frontaliers. Pour les alsaciens, la Suisse ce n’est pas
seulement le pays des montagnes, des alpages et des lacs, mais également,
depuis qu’un des leurs y a eu recours, le pays du suicide médicalement
assisté. Un étrange tourisme ouvert aux étrangers : Canadiens, Allemands,
Italiens, Français, viennent pour un ultime voyage.
Suicide assisté, mode d’emploi
La Suisse, pays où l’euthanasie est
interdite, tolère le suicide assisté. Dignitas
est la seule association au monde à
proposer son assistance au suicide à des
étrangers, atteints de maladies incurables,
qui souhaitent abréger leurs souffrances.
« Beaucoup de personnes,
veulent avoir une sortie de
secours, souligne son président Ludwig
Minelli, si la souffrance devient un jour
trop intolérable. » Créée en 1998, l’association a aidé activement, à ce jour, plus de
800 personnes à mourir.
Les candidats potentiels, atteints de
maladies incurables ou dégénératives,
deviennent membres de l’association
moyennant une cotisation de 17 euros. Ils
signent un document attestant leur volonté
de mettre un terme à leur existence. Ces
malades sont alors assurés de pouvoir
quitter le monde quand ils le décideront. Le
nombre de membres augmente rapidement, de 650 en l’année 2000, ils sont
actuellement plusieurs milliers. Ils viennent
principalement d’Europe, les étrangers
représentant 80% des candidats.
Dignitas loue des appartements
dans plusieurs villes, Zürich, Stäfa, etc...
Les protestations des voisins qui voient des
cercueils défiler (6 en 10 jours à Stäfa) obligent l’association à déménager souvent.
Lorsque la personne a décidé de mettre
un terme à sa vie, et obtenu le feu vert de
l’association, elle est accueillie dans un des
appartements. Dignitas souhaite que les
patients soient accompagnés de leurs
proches. Le malade doit apporter des certificats médicaux justifiant son état, et se
soumettre à l’examen d’un des 7 médecins
de l’association. Après l’entretien le
médecin délivre ou non l’ordonnance pour
le mélange mortel.
Erika Luley (2) une des bénévoles de l’association, infirmière de profession, discute
avec la personne et s’assure de sa détermination à mourir. Puis elle prépare le produit :
c’est un mélange à base de penthiobarbital
de sodium, dilué dans de l’eau. Erika n’administre jamais elle-même le cocktail mortel.
FRANCIS RIGONI.
(1)
« La personne prend elle-même le verre et
l’avale…Deux à cinq minutes plus tard elle
perd connaissance, et vingt minutes à une
heure plus tard elle décèdera…Je prends
son pouls, et vérifie que son cœur à bien
cessé de battre. Enfin j’appellerai la police.»
La police, le procureur, le médecin
légiste constaterons le décès, ouvriront une
enquête qui aboutira à un non-lieu. Entre
leur arrivée en Suisse et leur décès il
s’écoule habituellement une douzaine
d’heures, parfois plus selon que la personne
désire un temps de réflexion.
Le suicide assisté,
un modèle à suivre ?
(1) Francis Rigoni âgé de 61 ans
souffrait d’une maladie rare, la
syringomyélie. La maladie a
débutée à l’âge de 13 ans par
une hémiplégie. Les traitements
n’ont guère empêché la maladie
d’évoluer. Il était tassé au fond
de son fauteuil roulant, ne
supportant même plus qu’on le
touche. « …J’étais déjà en
hôpital. Il y a une barrière entre
les souffrants qui se comprennent, et, en face les soignants.
Ce sont deux mondes différents, avec, entre eux,
souvent perdus, le
conjoint, la famille, les
amis. A mon niveau, la
prise en charge de la
douleur tant physique
que morale en hôpital est
totalement incomprise… La
paralysie totale me conduira à
l’hospitalisation » Il a choisit de
mourir à Zürich en mars 2007.
Dignitas est une association non gouvernementale
très controversée en Suisse
même. Elle n’a de compte à
rendre à personne. Les critères de sélection des candidats sont- ils effectués par des
médecins, ou acquis à l’association ?
(2) Erika, infirmière bénévole à
Peut-on évaluer, pour les patients
Dignitas, a travaillé plus de vingt
étrangers, le désir de mourir, les souffrances
ans dans un service de soins
physiques ou morales, l’état dépressif ou
palliatifs accompagnant des
psychiatrique, à distance ?
cancéreux en phase terminale.
Enfin il faut être suffisamment riche
Sources : Pierre Hazan. www.entretemps.
pour se payer le voyage en Suisse
Jean-Claude CLERC
asso.fr/ Stalingrad/Etudes/Suicide.
Stéphanie Carter. www.ledevoir.com
Journal l’Alsace. Suicide assisté. 31/03/07
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DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE
LA POSITION DES POLITIQUES
n
Favorables à une dépénalisatio
Ouvrir un
débat
Dominique Voynet, Olivier Besancenot, José Bové et
Corinne Lepage sont favorables à une dépénalisation de l’euthanasie.
Ségolène
Royal souhaite
« ouvrir un
débat et mettre
en place une
législation qui
permette d’apaiser les
souffrances les plus intolérables ». Le projet socialiste prévoit de saisir
« le Parlement d’un projet de loi “Vincent
Humbert” sur l’assistance médicalisée pour
mourir dans la dignité ».
Opposés
Suffisant
Philippe de Villiers et
Jean-Marie Le Pen
sont opposés à toute remise en question
du caractère sacré de la vie, ce dernier assimilant l’euthanasie à un meurtre.
Marie-George
Buffet se démarque
et considère que
la loi Leonetti est
suffisante.
La loi Leonetti
Le débat
à droite
François Bayrou, lui, s’en tient à la loi
Leonetti. « Cette législation nous
paraît suffisante pour mourir dans
la dignité , explique Jean-Luc
Préhel, responsable des questions de
santé à l’UDF.
Nicolas Sarkozy a ouvert le débat à
droite: « On ne peut pas rester les bras
ballants devant la souffrance d’un de
nos compatriotes qui appelle à ce que ça se
termine, tout simplement parce qu’il n’en peut plus. »
Le PS souhaite dépénaliser l'exception d'euthanasie
Le député Pascal Terrasse (Ardèche), secrétaire national à la santé du Parti socialiste, a
souligné les problèmes de moyens pour
mettre en place des formations des professionnels de santé en matière de soins palliatifs.
Il a estimé que la loi Leonetti était "une
avancée" mais qu'elle entrait dans "un
parcours initiatique" qui a démarré avec la
loi Kouchner sur les droits des malades. Il a
indiqué que si le parti socialiste était opposé
à la légalisation du suicide assisté, il souhaitait "dépénaliser l'exception d'euthanasie".
L'association "Faut qu'on s'active!",
soutenue par Marie Humbert, avait
proposé cette "exception d'euthanasie" en
2004. Il ne s'agit pas de légaliser l'euthanasie, mais d'introduire une 'exception'
dans le code pénal, lorsqu'une aide active à
mourir a été apportée à une demande clairement exprimée, dans des conditions strictement définies.
LA POSITION DES RELIGIEUX
Juifs et catholiques ensemble
contre l'euthanasie
"Le commandement biblique 'Tu ne tueras point' exige de ne pas chercher à hâter
la mort du malade,… ni de demander l'aide d'autrui dans cet objectif", affirment
l'archevêque de Paris Mgr André Vingt-Trois et le grand rabbin David Messas.
"Porter remède à leurs souffrances"
Selon l'archevêque et le grand rabbin, "la sollicitude due à nos frères et sœurs gravement malades ou
même agonisants, 'en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable' selon les termes
de la loi, exige de s'employer à porter remède à leurs souffrances" par le biais des soins palliatifs.
Anne-Marie CADART
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PREMIÈRE JOURNÉE NATIONALE
DES RÉSEAUX DE SANTÉ
DE SOINS PALLIATIFS
Le 17 octobre 2007 s'est déroulée, au Ministère
de la Santé, la première Journée Nationale des
Réseaux de Santé de Soins Palliatifs organisée
par le Groupe de Travail « Réseaux, Interfaces et
Coopération, de la SFAP » avec le parrainage du
Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports et
sous le haut patronage de Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la
République. Madame Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la
Santé, a clôturé cette journée par un discours.
Extraits de l’Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports :
• «… que chacun puisse effectivement, dans un projet de vie au long cours, effectuer ces choix éclairés et réfléchis dont dépend à tout moment le sens de notre existence.»
• «… la diffusion dans notre pays de la culture du soin palliatif procède d'une obligation morale autant que
sociale. »
• « … les besoins du patient doivent être saisis et compris dans leur globalité. Tel est le sens de la circulaire que
je m'apprête à signer, et qui propose le développement de référentiels structurants et la mise en œuvre de la
démarche palliative,... »
• «… il est, à mes yeux, absolument indispensable de renforcer la formation des soignants, aussi bien la formation initiale que la formation continue,... »
• « Les aidants professionnels mais aussi les proches doivent bénéficier d’une plus grande reconnaissance. »
• « Les proches, en effet, ne sauraient être les oubliés d'une politique de santé globale et ambitieuse. Ainsi, je
souhaite avancer dans les tous prochains mois sur la question du congé de solidarité familiale. »
• « Notre détermination à améliorer le confort des patients en fin de vie, d'ores et déjà, se traduit par des efforts
matériels sans précédent. [...]. J'ai d'ailleurs proposé dans le projet de loi de finance 2008 qu'une enveloppe de 30 millions d'euros soit dédiée au développement des soins palliatifs. »
• « Il me suffira de rappeler, pour conclure, l'existence d'une loi, dite loi Léonetti, qui énonce assez
clairement les grands principes qui régissent les pratiques palliatives. »
Discours complet consultable sur le site du Ministère de la Santé
Rapport du Comité National de Suivi des Soins Palliatifs
Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports a reçu le Docteur Aubry, qui
lui a remis le rapport du Comité National de Suivi des Soins Palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie.
Ce rapport est le fruit d’un groupe de travail qui s’est réuni pendant un an dans le but d’établir un état
des lieux et une stratégie de développement des soins palliatifs.
R a p p o r t c o n s u l t a b l e s u r : h t t p : / / w w w. s a n t e - j e u n e s s e - s p o r t s . g o u v. f r / a c t u a l i t e - p r e s s e / p r e s s e sante/communiques/rapport-du-comite-national-suivi-soins-palliatifs.html
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DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE
LES RÉCENTES AFFAIRES
D’EUTHANASIE
Voici en quelques dates, les récents cas d’euthanasie pratiquée par
des personnels de santé et examinés par la justice française.
4 octobre 1985 :
Un infirmier de 30 ans qui a injecté une dose mortelle de chlorure de potassium à
une patiente gravement malade âgée de 86 ans est acquitté par la cour d’assises
du Bas-Rhin.
16 aout 1987 :
Le professeur Schwartzenberg, ancien Ministre de la Santé révèle avoir aidé
un patient à mourir. Le Conseil de l’Ordre le suspend pour un an. le 17 juillet 1990,
le conseil d’État annule la sanction.
3 février 1999 :
Une I.D.E. de 49 ans exerçant dans une maison de retraite est mis en examen à Nice,
pour assassinats. Elle reconnaît avoir aidé à mourir au moins 5 personnes âgées incurables de 89 à 97 ans. Elle assure avoir agi à la demande des patients ou avec l’assentiment des familles. Elle obtient un non-lieu en 2001.
19 septembre 1999 :
Le conseil de l’ordre des Midi Pyrénées relaxe un médecin aveyronnais auteur
d’un acte d’euthanasie active sur une nonagénaire dans le coma.
19 avril 2002 :
Des infirmiers du CHU de Besançon font état de cas d’euthanasie dans l’hôpital
dans lequel ils exercent.
15 octobre 2002 :
Christine Malèvre est condamnée à 12 ans de réclusion criminelle pour avoir
euthanasié six patients à l’hôpital de Mantes-la-Jolie.
16 février 2005 :
Suspecté d’avoir euthanasié 9 patients, le Dr. Joël de Bourayne, cardiologue dans
une clinique de Saclay, obtient un non-lieu, après avoir été mis en examen. Il s’agissait
de soins palliatifs, et non d’euthanasie.
9 janvier 2006 :
Une chirurgienne est mise en examen. Elle a avoué avoir abrégé les souffrances
d’une patiente de 74 ans. Elle revendique par ailleurs plusieurs actes d’euthanasie
en Belgique avant la dépénalisation partielle de 2002.
27 février 2006 :
Marie Humbert et le Dr. Chaussoy obtiennent un non-lieu. Ils avaient avoué avoir
aidé à mourir, à sa demande, Vincent Humbert tétraplégique. Le juge estime qu’ils ont
agi sous l’emprise d’une contrainte les exonérant de toute responsabilité pénale.
13 juin 2006 :
Le Dr. Tramois et l’infirmière Chantal Chanel sont renvoyées devant la cour
d’assises de la Dordogne. Elles sont accusées d’avoir donné la mort en 2003 à une
femme de 65 ans en phase terminale d’un cancer du pancréas.
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TÉMOIGNAGES
À la mémoire de DAVID
Un an avec sursis
pour le meurtre de
sa femme atteinte
d'Alzheimer
Au terme d'un délibéré de plus de trois heures,
le 3 octobre 2007, la cour d'assises du Val-deMarne a reconnu coupable le vieil homme âgé de
86 ans et l’a condamné à un an de prison avec
sursis pour avoir tué en 2003, parce qu'il ne
pouvait plus faire face à la situation, sa femme
atteinte de la maladie d'Alzheimer.
La défense, qui a plaidé l'acquittement, avait salué un
"réquisitoire d'une rare humanité" dans ce dossier "extrêmement singulier" où, fait aussi très rare, nul ne s'est porté
partie civile. C'est une affaire "qui trouble, qui dérange,
mais qui nous concerne tous", a dit Me Norbert Goutmann.
Mardi, le vieil homme, avait expliqué de sa voix un peu
faible, mais avec une parole toujours très claire, qu'il devait
faire la toilette de son épouse, changer ses draps. "Elle oubliait
des choses, ne savait plus la date, l'heure. Elle m'insultait, me
disait que j'avais des maîtresses...", avait-il raconté.
"Déchéance, naufrage, outrage. Une dépendance
totale, c'est ça la réalité quotidienne" de cette maladie, a
dit son avocat.
Face à cet "abandon par la médecine", que Me
Goutmann n'entend pourtant pas mettre en cause, l'octogénaire a commis "peut-être un acte de délivrance, d'amour". L'a-t-il tuée pour son confort parce qu'il était épuisé, ou pour la soulager elle, s'est interrogé l'avocat.
"Moi je crois qu'il s'agit probablement d'une addition
des deux", a-t-il répondu, en plaidant l'acquittement au
motif que l'élément moral de ce dossier, c'est "la contrainte, la compassion, la maladie".
«Euthanasie». Lors du procès, un expert psychiatre a
affirmé que ce jour-là «le discernement de M. Loyen avait
été en partie altéré par sa souffrance psychique». Marcel a
exprimé des choses, et leur contraire. «Quelqu’un m’a dit
que ça pouvait être une preuve d’amour. Chacun pensera ce
qu’il veut. Moi, ma peine est de vivre.» L’avocat de la défense a parlé d’ «euthanasie». L’avocat général a lâché :
«Personne n’a le droit de donner la mort, même à un proche qui souffre… Les faits sont graves, mais sa place n’est
pas en prison, c’est une évidence.» Avant de réclamer un an
avec sursis. Les jurés l’ont suivi sur cette peine symbolique.
David est né le 19 décembre
1985, presque jumeau de Céline,
ma fille. David et sa famille ont
appris qu’il avait une tumeur au
cerveau… inopérable, derrière
les yeux... le 24 décembre 2003.
« Ma vie s’est arrêtée là » a dit Brigitte,
sa maman, mon amie. Quel « cadeau »
de Noël atroce !
La radiothérapie et la chimiothérapie n’ont pas eu d’effet sur la tumeur,
qui a évolué plus vite que le pronostic
des cancérologues. David a été hospitalisé en service de neurochirurgie à Lyon
en février 2004. Il a subi plusieurs interventions pour limiter les complications
dues au développement de la tumeur
dont on ignore « l’histoire ». Suite à une
hémorragie cérébrale, il était devenu
hémiplégique et ne pouvait plus s’exprimer mais il entendait et comprenait
tout ce qu’on lui disait. Un clignement
des yeux signifiait qu’il nous reconnaissait, qu’il avait compris.
En juillet 2004, David entrait dans le
coma, abandonné par la médecine,
impuissante à arrêter cette « chose »
abominable qui détruisait son cerveau.
L’équipe de chirurgiens et de soignants
très compétente, capable de compassion et de sensibilité avait décidé de ne
pas le transférer en soins palliatifs. Cette
équipe a été d’un accompagnement et
d’un dévouement exemplaires.
Comment exprimer les sentiments
d’impuissance, d’injustice et de colère à
la vue de David étendu sur son lit blanc
d’hôpital, inerte, désormais, mais tellement beau, si intelligent, très bon élève
en prépa ingénieur intégrée dans une
des meilleures écoles d’ingénieurs à
Paris. Si dynamique, enthousiaste,
rayonnant… Passionné de musique, il
j o u a i t d u p i a n o , d e l a g u i t a re . S a
chanson préférée : « I am a rock, I am an
island » de Simon and Garfunkel.
La vie était agréable avant la maladie.
Tout était en train de disparaître sans
aucun espoir de retour.
Quelle souffrance atroce pour sa
maman, son papa, son frère Jonathan,
sa famille devant une telle impuissance
à empêcher l’inéluctable et pourtant
quelle énergie, quel espoir fou habite
Brigitte qui ne quittait pas le chevet de
son fils, continuant à le soutenir, le
stimuler jusqu’à l’épuisement. « Tant
qu’il vit, il y a de l’espoir », disait-elle,
« nous avons mis en place une vaste
chaîne de prières qui passe aussi par
l’Afrique du Sud où Jonathan est né. »
David n’aura jamais 19 ans. Il nous a
quittés le 2 octobre 2004. Il n’a jamais
aussi bien respiré que ce jour-là. Sans
doute sentait-il la présence toute proche
de sa mère, de ses copains. Il a ouvert les
yeux, il a souri à sa maman et dans un
soupir, « il est parti dans le vent et non
dans le vide ». Pas de souffrance, ni d’angoisse, mais un sourire : « c’est tout
David, ça ! ». Une dernière pirouette de
cet éternel farceur à cette « chose » qui
lui ronge le cerveau : « je pars mais tu
pars avec moi ! » et en même temps un
dernier clin d’œil à sa maman qui a veillé
sur lui avec une énergie, un dynamisme,
un optimisme qui forcent l’admiration :
« ne sois pas triste, je ne suis pas loin,
juste de l’autre côté du chemin ». Un
dernier clin d’œil à Jonathan, le « frangin »,
le complice, à son papa dont la douleur
est dangereusement muette, à sa famille
et à sa bande de « potes », toujours
présente…
Les images ressurgissent, envahissent l’esprit, empoisonnent l’existence.
La mort est un passage. Les morts continuent d’exister et d’intervenir dans l’existence des vivants, ceux qu’ils aimaient
mais aussi leurs ennemis. David n’avait
pas d’ennemi que cette « chose » dont
nous avons si peur de prononcer le nom,
par superstition sans doute…
Quelque part en Afrique du Sud,
Jonathan, le frangin, le complice a aussi
son frère jumeau.
Pour mon amie Brigitte, avec toute ma
tendresse. Colette
Colette TOUZET
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DOSSIER > FIN DE VIE : RÉFLEXION ÉTHIQUE
« Au fond, personne ne croit à sa propre
mort, et dans son inconscient, chacun
est persuadé de son immortalité."
(Sigmund Freud)
Aucune de ces réponses ne manifeste vraiment
d’empathie vis-à-vis de la personne. L’angoisse qui
nous envahit face à la personne en fin de vie et sa
famille nous pousse à développer des attitudes défensives qui rendent difficile l’écoute réelle de la personne
que nous accompagnons. N’oublions pas qu’au centre
de la relation humaine et du soin est l’être humain qui,
un jour, sera : VOUS, MOI !
Toute personne devrait pouvoir dire :
J’AI LE DROIT DE NE
PAS MOURIR SEUL
Face à un patient en fin de vie, nous sommes
confrontés à notre propre peur de la mort et à notre
peine de la séparation. Il nous est difficile d’accepter la
mort, celle de nos proches….révolte, détresse,
angoisse, impuissance, culpabilité, déchirement…
tant de bouleversements, de souffrance. Et pourtant
la mort fait partie de la vie. Elle l’achève et la clôture.
"La vie si courte, si longue, devient parfois insupportable. Elle se déroule, toujours pareille, avec la
mort au bout. On ne peut ni l'arrêter, ni la changer, ni
la comprendre. Et souvent une révolte indignée nous
saisit devant l'impuissance de notre effort. Quoi que
nous fassions, nous mourrons ! Quoi que nous
croyions, quoi que nous pensions, quoi que nous
tentions, nous mourrons." (Guy de Maupassant)
La mort n’est plus une affaire familiale, elle n’est
plus entourée. Les progrès de la médecine et de la
technique dépossèdent la personne de sa mort : elle
ne lui permet plus de prendre en charge ses derniers
moments, de les vivre sereinement, entourée des
siens… comme le laboureur de Jean de La Fontaine
qui sent venir sa mort et s’y prépare : « un riche laboureur, sentant sa mort proche, fit venir ses enfants, leur
parla sans témoins… »
Un matin, en entrant dans une chambre, une
personne nous dit : « je vais mourir aujourd’hui »… la
tentation est trop forte de lui énoncer une de ces
phrases, derrière lesquelles, nous, soignants, nous nous
réfugions :
34
• « Ne dites pas de bêtises », comme un ordre donné à
un enfant.
• « Pensez-donc à vos enfants, vous ne devriez pas dire
des choses comme ça », très moralisateur qui tend à
culpabiliser, empêchant l’expression des sentiments.
• « Vous savez, on va tous mourir un jour », qui banalise, esquive, « claque la porte » à la parole de l’autre.
• « Vous avez des pensées bien négatives ce matin »:
qui juge, blâme, enfonce dans l’impuissance et n’aide
pas à se situer en personne capable, en adulte.
• « Mais ce n’est pas possible, vos examens sont très
bons, je ne pense pas que cela soit déjà votre heure »,
opposition d’arguments objectifs servant de défense
pour soi-même.
• « A mon avis, c’est la visite de vos enfants qui vous a
perturbé et c’est à cause de cela que vous dites que
vous allez mourir », interprétation qui peut créer de la
confusion si elle est fausse ou violer l’intimité
psychique si elle est juste.
• « Pourquoi est-ce que vous dites cela ? », enquête
souvent liée à la peur du silence.
• « Vous devriez penser à autre chose », conseil trop
rapide qui ne fait pas confiance aux capacités de
l’autre à trouver sa propre solution.
• « Mais non ça va passer, vous allez tenir le coup, il ne
faut pas vous décourager, tenez bon », qui rassure,
console, encourage trop vite et ferme la possibilité d’expression de l’autre et risque de l’enfermer dans la solitude.
• « Je vais voir si le médecin peut passer vous voir
aujourd’hui », façon de se réfugier dans l’action, fuite
parfois nécessaire pour soi.
1. J’ai le droit d’être traité comme un être humain vivant
jusqu’à ma mort.
2. J’ai le droit de garder espoir, même si les raisons de mon
espoir varient.
3. J’ai le droit d’être soigné par des gens qui peuvent
m’aider à garder espoir, même si les raisons de mon espoir
varient.
4. J’ai le droit de participer aux décisions à prendre concernant les soins à me donner.
5. J’ai le droit d’exprimer mes sentiments et mes émotions
à ma manière concernant l’approche de ma mort.
6. J’ai le droit de recevoir l’attention de l’équipe médicale
et infirmière même s’il devient évident que je ne guérirai
pas.
7. J’ai le droit de ne pas mourir seul.
8. J’ai le droit de ne pas avoir mal.
9. J’ai le droit d’avoir une réponse honnête à mes questions.
10. J’ai le droit de ne pas être trompé.
11. J’ai le droit d’obtenir de l’aide venant de ma famille
afin de pouvoir accepter ma mort, et ma famille a le droit
de recevoir de l’aide afin de mieux pouvoir accepter ma
mort.
12. J’ai le droit de mourir dans la paix et la dignité.
13. J’ai le droit de conserver mon individualité et de ne pas
être jugé si mes décisions vont à l’encontre des croyances
de ceux qui me soignent.
14. J’ai le droit de discuter et partager mes expériences
religieuses et spirituelles même si elles sont différentes de
celles des autres.
15. J’ai le droit d’attendre que l’on respecte mon corps
après ma mort.
16. J’ai le droit d’être soigné par des gens capables de
compassion et de sensibilité, compétents dans leur
profession, qui s’efforcerons de comprendre mes besoins
et qui sauront trouver de la satisfaction pour eux-mêmes
dans le support qu’ils m’apporteront alors que je serai
confronté à ma mort.
(Les droits de la personne en fin de vie font l’objet de
plusieurs chartes. En 1975, un groupe de travail, dépendant
du Southwestern Michigan in Service Education
Council élabora une charte très complète: Rosette POLETTI).
Accompagner une personne en fin de vie doit être
quelque chose de naturel. Evitons de la juger, de minimiser ou fuir, ne cherchons pas à diriger sa vie ni à
prendre possession de ses derniers instants. Ecoutons
la, regardons la, ne détournons pas le regard, touchons
la : soyons présent tout simplement !
Malgré le manque cruel de présence humaine, à
la personne qui me dit « je vais mourir aujourd’hui »,
je veux pouvoir répondre « vous ne mourrez pas seule,
je suis là ! »
«Le livre de la vie est le livre suprême qu'on ne
peut ni fermer ni rouvrir à son choix. On voudrait
revenir à la page où l'on aime, et la page où l'on meurt
est déjà sous nos doigts. » Lamartine.
Colette TOUZET IDE Dialysaix- Marseille
Avec l’aide de Véronique MOUREAU- Psychologue
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LETTRE À MA MÈRE
“
Lorsque le médecin t’a annoncé, à
toi, ma mère, que cette « tâche » au
poumon était un cancer, « le temps a
suspendu son vol »… un cancer… le mot
tant redouté a été prononcé et il te
concerne, toi, ma mère que je croyais
immortelle. Le cancer du fumeur, a-t-il poursuivi, alors que nous, ses enfants, écoutions,
ahuris mais… « elle n’a jamais fumé ni vécu
dans une atmosphère enfumée » au
contraire nous vivions à la campagne…
Incompréhension, injustice, douleur…et
quand le médecin a poursuivi : « vous vous
battez ou vous baissez les bras ? » et que j’ai
entendu ta réponse instantanée : « je me
bats ! », j’ai pris une douche glacée. « Pas la
chimio, maman, s’il te plaît, je connais trop
les ravages de la chimio pour en avoir tant
fait en service… pas la chimio, un cancer du
poumon, tu ne peux pas guérir » ai-je pensé.
Pas le courage de t’enlever l’espoir. Et puis,
j’y ai cru, moi aussi…
A 86 ans, c’est une bien curieuse fin de
vie qui t’attend…Après la guerre, la captivité de papa, la résistance, les drames familiaux, l’énergie dépensée à t’occuper de tes
quatre enfants et de ceux des autres comme
enseignante…
Après une courte rémission, je t’ai vu
dépérir, manquer de souffle malgré l’oxygène
qui ne te quittait plus, sans te plaindre pour
épargner tes enfants, tes petits-enfants.
J’avais le cœur brisé, impuissant… Je ne
voulais pas que tu nous quittes mais je voulais
aussi que tu ne souffres plus. Et puis le
médecin a proposé le talcage du poumon
pour t’aider à respirer « ça passe ou ça casse ! »,
m’as-tu dit avec ton humour mais tu savais…
Tu es toujours
dans mon cœur
Ma grand-mère est morte le 8 Janvier 2005.
Fin Août, une phlébite compliquée d’une embolie
pulmonaire la conduisait à l’hôpital, ce qui entraînait une rapide dégradation de l’état général.
A 86 ans, cela n’a rien d’étonnant.
Des douleurs s’installent, une incontinence urinaire et fécale, puis une grande lassitude.
Tu nous as quittés un après-midi de juin,
seule dans ton lit d’hôpital, juste, juste, avant
que je ne passe la porte de ta chambre, trop
tard pour rentrer à la maison. Pourtant,
j’étais là près de toi, la veille, j’avais projeté
de te ramener pour que tu puisses t’en aller
près de papa, de tes enfants, de tes fleurs. Tu
me disais : « je voudrais être dans mon lit »,
c’était ta façon très pudique de me dire que
tu allais mourir…
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Partir, mourir, quitter, décéder, disparaître….perte, absence, désert, solitude,
manque, chagrin…
Chaque printemps je regarde tes roses
s’épanouir dans le jardin : elles
sont tellement belles, tu es là avec
moi et cela m’apaise.
Colette TOUZET
Très vite, se pose le problème du retour à domicile. Elle le souhaite, mon grand-père également,
quoique effrayé par l’organisation qui en découle
et la perte de l’intimité de son foyer, tout est organisé en octobre.
Vont suivre alors, trois mois difficiles pour tous.
Ma grand-mère a toujours été très lucide, mais totalement dépendante. Toilette, couches, besoin d’aide
pour manger, elle a très vite dit qu’elle en avait assez ;
certes, mais mis à part des traitements antalgiques
puissants, rien d’autre n’était mis en œuvre, il n’y avait
donc pas de possibilité d’arrêter un traitement curatif,
accédant ainsi à sa demande.
Ces mois de fin de vie ont été difficiles pour chacun de nous, il y a eu, bien sûr, des moments forts,
des paroles, des gestes, mais à quel prix ? Celui de la
déchéance physique et de la difficulté à supporter
cette déchéance et cette dépendance. Et puis,
attend-on les deniers mois, les derniers jours pour se
dire « je t’aime » ?
Nous avons pensé à l’euthanasie active, elle le
demandait, mais quelle était vraiment sa demande ?
Un jour avec, un jour sans !
Aujourd’hui, 2 ans après, je ne sais toujours pas s’il
fallait ou non répondre de façon active à son désir de
mourir plus vite, nous avons été là, tous, autour d’elle,
mais qu’aurions-nous fait si cela avait duré des mois et
des mois, si cette demande s’était faite plus pressante ?
Ma grand-mère me manque, j’ai eu le temps et la
chance de lui dire au revoir, de l’embrasser, de lui dire
que je l’aimais, mais au prix d’une agonie difficile, douloureuse, si loin de ce qu’elle avait été dans sa vie.
Alors faut-il légiférer, comment légiférer lorsque
chaque histoire est différente ? Je ne suis pas certaine
que l’on puisse répondre à cette question car chacun y
trouvera une réponse différente.
Béatrice BAGHDASSARIAN
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