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PATRICK LEGERON : psychiatre et autres fonctions
Décryptage
ENQUÊTE
Troubles psy en entreprise :
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le grand tabou français
Les troubles de la personnalité explosent dans les sociétés modernes.
Un phénomène qui retentit et s'exacerbe même dans les entreprises,
lieux de socialisation privilégiés. Mais, en France, le déni prime encore...
D
es personnalités excessives,
nous en côtoyons tous et
nous nous en arrangeons
peu ou prou. Mais quand le
trait de caractère s'hypertro-
phie, quand le manipulateur devient per-
vers, l'anxieux paranoïaque, le séducteur
hystérique, le cyclothymique bipolaire, on
entre dans une autre dimension, celle du
trouble de la personnalité et de la maladie
psychique. Une réalité qui, depuis ses
formes les plus atténuées jusqu'aux
symptômes les plus critiques, toucherait
de 20 à 30% de la population.
Plus préoccupant encore : ces patho-
logies psychiques seraient en nette aug-
mentation dans les sociétés modernes.
Selon l'Organisation mondiale de la santé,
en 2020, elles devraient même devenir
le premier vecteur de morbidité dans
les pays industrialisés, prenant le pas sur
les maladies cardio-vasculaires. «Cette
augmentation concerne en particulier les
troubles "borderline", ces états limites
entre le normal et le pathologique, que
nous avons encore du mal à qualifier, à diagnosti-
quer et à soigner», explique Julien-Daniel Guelfi,
professeur de psychiatrie à l'université de Paris-V
et psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne.
Pour expliquer cette augmentation des perturba-
\ lions mentales, les psychiatres désignent un premier
I coupable : le délitement des repères sociaux. Eclate-
I ment de la cellule familiale, effritement de l'autorité
\ parentale, disparition des tabous, consécration de
5 l'enfant roi, montée en puissance de l'individualisme :
I en quèlques décennies, ce qui structurait tant bien
i que mal les individus a volé en éclats. «Pour se cons-
I truire socialement, une personnalité a besoin de
I "contenants", c'est-à-dire d'éléments référents qui
= vont la "contenir". Faute de quoi, elle n'a plus de sou-
? pape, plus de limites, et c'est la porte ouverte au-
l sordre psychique», explique Marie-José Lacroix, psy-
î chosociologue et psychanalyste. Un phénomène
E auquel les plus jeunes générations sont particulière-
30%
de la population
souffrirait de troubles
de la personnalité
400
suicides
seraient directement
liés au travail chaque
année en France
25%
des patrons seraient
psychopathes,
un taux quatre fois
plus élevé que dans le
reste de la population
ment exposées. L'autre grand facteur serait
d'ordre économique. Crise, mondialisation,
fragilité de lemploi, sentiment accru d'insé-
curité alimentent un climat anxiogène dont
les effets sur le mental sont beaucoup plus
profonds qu'on ne l'imagine. Car s'il est un
facteur que notre psychisme redoute, c'est
le changement. A tel point que tout individu
à peu près adapté peut basculer - momen-
tanément ou définitivement- sous leffet de
changements majeurs. «Nous ne voulons
qu'une chose, c'est persévérer dans notre
équilibre, tel qu'il s'est construit au fil des
ans, analyse Marie-José Lacroix. Toute rup-
ture génère une frustration contre laquelle
nous déclenchons des mécanismes de-
fense dont l'intensité croît à mesure que
notre tolérance au changement diminue.»
Qu'ils affectent le comportement, l'hu-
meur, la pensée, la perception ou les émo-
tions, les troubles de la personnalité sont
donc toujours l'expression exacerbée de
nos défenses psychiques face à un chan-
gement. L'élément déclencheur peut être
d'origine personnelle ou professionnelle,
affective ou relationnelle. Il peut produire son effet
de manière soudaine ou progressive, spectaculaire
ou anodine. Mais il a toutes les chances de réveiller
un terrain favorable, généralement structures
l'enfance ou l'adolescence. «Le facteur identifié
comme déclencheur est en fait rarement le premier.
D'autres symptômes ont pu survenir auparavant,
mais ils sont passés inaperçus ou ont été occultés par
le sujet», précise Gisèle Birck, psychiatre.
Commercial dans le secteur immobilier, Hadrien
a ainsi accumulé les crises maniaques, et connu une
alternance de syndromes dépressifs et de phases
d'exaltation. «Sans le savoir, je suivais le parcours-
type du bipolaire, commente-t-il aujourd'hui. Il me
fallait toujours plus, jusqu'à la démesure. Tant que
j'étais surperformant, mes employeurs étaient ravis,
mais à chaque rechute, je me retrouvais sur la
touche.» Et puis un jour, c'est le burn-out. «C'était
une semaine avant mon mariage. J'ai dû prendre
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C'est
souvent
entre 20
et 35 ans
que se
révèle un
trouble,
ce qui
coïncide
avec
l'entrée
dans le
monde
du travail
peur, realiser que je n'étais pas seul, que j'avais
une compagne, une petite fille, qu'il fallait que cela
cesse » Paradoxalement, la depression engendre sou-
vent une reaction positive La souffrance devient
telle que les personnes atteintes puisent dans ce qu'il
leur reste de volonté pour tenter de se reprendre en
main En commençant par mettre des mots sur leurs
troubles «Tant qu'ils sont en forme', les rigides les
agressifs, les paranoïaques sont incapables de recon
naître que quelque chose ne va pas, résume Julien
Daniel Guelfi C'est la depression qui les pousse a
consulter Ils sont souvent armes d'un autodiagnos
tic a côte de la plaque, car ils refusent d'admettre leur
névrose ou leur psychose Maîs au moins, un pre
mier pas est franchi »
RH et managers démunis
face à la maladie psychique
La verbalisation est donc la condition sine qua non
d'une possible amelioration «Le déni est intrinsèque
a la maladie Et il est dautant plus difficile den sor
tir qu'il est la plupart du temps conforte par le
monde du travail», affirme Claire Hatala, sociologue,
specialiste du handicap psychique dans les entre
prises Ces dernieres n'étant qu un reflet de la societe,
il ny a pas de raison qu'elles soient épargnées D au
tant qu'elles seraient un lieu privilégie d'exacerba-
tion, voire de déclenchement des déséquilibres La
vague de suicides chez Renault et France Telecom a
mis au jour le potentiel destructeur d organisations
tendues vers des objectifs quantitatifs D'après le
Conseil economique, social et environnemental, on
recense chaque annee en France 400 suicides directe
ment lies au travail Et l'Institut national de preven-
tion et d'éducation pour la sante (Inpes) pointe une
augmentation des conduites addictives en entreprise
elle serait de 10% pour la consommation d'alcool et
de 13% pour celle de cannabis Les problèmes de
sante mentale apparaissent aujourd'hui comme les
principales causes de l'absentéisme de la perte d'em-
ploi et des prises de retraite anticipées
Pourtant, quand la Grande Bretagne débloque
950 millions d'euros sur trois ans pour Ie traitement
et la prevention des maladies mentales, lorsque le
Quebec et les Etats Unis orchestrent des actions et
des campagnes massives et récurrentes sur le sujet,
la France - qui compte avec les Etats Unis le plus
grand nombre de psychiatres par habitant au
monde - se montre encore très en retrait La recon-
naissance officielle du handicap psychique ne date
chez nous que de 2005 ' Et il était temps, semble t il,
car, depuis cette date, une personne sur trois recon-
nue handicapée l'est pour maladie psychique <Face
aux problèmes psychiques les ressources humaines
sont démunies, les medecins du travail considèrent
Patrick LÉGERON, psychiatre a I
que ce nest pas de leur ressort, les managers et les
collaborateurs sont dans la fuite Tout le monde a la
trouille», résume Ricardo Croati, coach, president de
France Training Le psychisme est la part la plus mys-
térieuse de l'individu et la psychiatrie le lieu de tous
les fantasmes Si, a la faveur des progres therapeu
tiques, la maladie mentale n'est plus punie d'enfer-
mement elle reste souvent associée a la folie
La symptomatologie particulièrement complexe
du trouble psychique renforce cette mcomprehen
sion Non seulement les conséquences sur les
comportements sont tres variables, maîs un dia-
gnostic peut fluctuer avec le temps et le sujet pas
ser d'un trouble a l'autre, voire cumuler les patho-
logies «Même si Ie problème est identifie, il est
difficile de prévoir les comportements futurs d'un
individu donne», résume Gisèle Birck Une per-
sonne stabilisée peut aussi être confrontée a de nou-
velles périodes de difficultés, qui se manifestent
sous des formes parfois médites
En fait, pour l'entreprise, un collaborateur de
primé, colérique ou manipulateur est avant tout un
salarie qui «y met de la mauvaise volonté» A lui de
faire un effort, aux autres de s'adapter Bref, l'occul-
tation a force de loi A tel point que même les sujets
parfaitement conscients de leurs troubles déploient
souvent des subterfuges épuisants pour ne rien en
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DU TROUBLE DE LA PERSONNALITE A LA PSYCHOSE
V
otre chef a un besoin démesuré
de se faire mousser et adore parler
de lui. Maîs il manque sérieusement
d'empathie envers ses équipes..
Voilà des éléments typiques d'un
tempérament narcissique. Votre
comptable, tatillon et tres respectueux
des règles, refuse, lui, tout desordre
sur son bureau .. Des symptômes que
partagent nombre d'obsessionnels.
Comment distinguer un caractère
"difficile" d'un individu souffrant
d'un "trouble de la personnalité"7
ZONE GRISE. "Les troubles de la
personnalité sont une amplification
de certaines caractéristiques
psychologiques d'un individu dit
normal Dans ses versions patholo
giques, cette exagération engendre
des difficultés relationnelles
permanentes qui provoquent la
souffrance du sujet ou de son
entourage", explique Patrick
Legeron, psychiatre à l'hôpital
Sainte-Anne et fondateur de
Stimulus cabinet spécialisé dans
la prévention du stress et des
risques psychosociaux en entreprise.
L'Association américaine de psychiatrie
a recensé ces dysfonctionnements dans
son "Manuel diagnostique et statis-
tique des troubles mentaux" (DSM-5).
Elle les classe en trois catégories
les troubles excentriques (individu
paranoïaque, schizoïde...), les difficultés
émotionnelles, dramatiques (antisocial,
histriomque, narcissique...) et les
problèmes d'anxiété et de crainte
(obsessionnel-compulsif, évitant .)
Cette classification soulevé de vives
controverses dans la communauté
scientifique En fait, les troubles de
la personnalité constituent une zone
grise et mouvante, entre les personnes
que la psychologie qualifie de
"difficiles" et celles relevant plus
classiquement de la psychiatrie
PERTURBATION. Ce qui n'empêche
pas les professionnels de la santé
mentale de s'intéresser de plus en
plus au phénomène Qu'ils perturbent
le comportement (agitation, timidité,
agressivité), l'humeur (exaltation,
depression), la pensée (obsessions,
incohérences), la perception (illusions,
hallucinations) ou les émotions
(anxiété, angoisse), les troubles de la
personnalité -même quand ils ne
semblent pas "sérieux"- peuvent être
les précurseurs de symptômes plus
aigus, voire de pathologies sévères.
Bref, ils risquent de porter les germes
d'une détérioration,temporaire
ou définitive, du psychisme
SOUFFRANCE. Pour les sujets qui en
sont victimes, ces dérèglements sont
une source de souffrance, dont
l'intensité augmente avec la gravité
du dysfonctionnement. Lorsqu'ils
s'apparentent à des symptômes
névrotiques (phobies, obsessions,
angoisses) ils n'empêchent pas
l'individu de garder le contact avec la
réalité et de conserver une vie sociale,
familiale ou professionnelle, stabilisée.
Maîs lorsque ces troubles s'approchent
des catégories psychotiques (paranoïa,
schizophrénie, bipolarite), on touche
aux frontières de la pathologie
sevère, aux comportements délirants
déconnectés de la réalité.
laisser transparaître. «Impossible de montrer que ma
mame de la propreté m'empêche de toucher la moin-
dre poignée de porte, raconte Marc, sujet à des trou-
bles obsessionnels. Je passe donc ma vie à guetter les
mouvements de mes collègues pour me glisser dans
leurs pas.» Evidemment, certains symptômes finis-
sent par être repéres par ceux qui côtoient quotidien-
nement une personne fragilisée altération de la so-
ciabilité, déficit d'attention, de concentration ou de
mémorisation, instabilité de l'humeur, poussées de
panique, addictions... Maîs le propre des troubles
psychiques reste leur invisibilité. Alors, puisqu'ils ne
se voient pas, gardons-nous bien de les révéler !
L'entreprise est souvent le lieu
où apparaît la pathologie
Face à l'ampleur et à la montée du phénomène, il
faudra bien pourtant que les employeurs s'en sai-
sissent. Un certain nombre d'associations, comme
Clubhouse ou Arhim Club, accompagnent les en-
treprises dans la compréhension des ressorts et des
enjeux du dysfonctionnement psychique, pour
favoriser la prise en considération des salariés
concernés et aider ceux-ci à se rapprocher de lem-
ploi ou à s'y maintenir L'action des employeurs est
d'autant plus urgente que le monde du travail est
souvent lespace où les sujets font pour la première
fois l'expérience de leur trouble ou de leur patholo-
gie. S'il n'est pas rare que les premiers symptômes
apparaissent lors de l'adolescence, c'est souvent entre
20 et 35 ans que les dysfonctionnements de la per-
sonnalité prennent une tournure critique. La décou-
verte de la maladie et l'entrée dans la vie profession-
nelle sont donc fréquemment concomitantes
De manière génerale, les personnalités fragiles ont
un seuil de tolérance plus faible aux variations, a
fortiori aux ruptures. Les entreprises d'insertion, qui
emploient en majorité des personnes en situation de
handicap psychique, comprennent mieux que
d'autres la nécessité d'une approche adaptée Ainsi
de Messidor-Rhône «Nous faisons du management
poussé à l'extrême, avec un encadrant pour quatre à
cinq salariés, une limitation maximale des sources
de stress, un entretien tous les trois mois», explique
son directeur, Philippe Triolier Les personnes su-
jettes aux troubles psychiques ont besoin de travailler
dans des organisations hyperstructurees, avec des
tâches relativement régulières, sans aléas. Il s'agit
donc en priorité d'adapter les rythmes, les processus
et les objectifs. «Ma chef me laisse une totale auto-
nomie. Je travaille en mode projet, sans "deadlme",
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mais en me fixant de courtes échéances pour
avancer. Toutes les trois semaines, je rends compte
de l'état des travaux», raconte Fabienne, chargée de
gestion documentaire au sein d'une grande entre-
prise. Anxio-dépressive, handicapée psychique, elle
ne fait aucun plan de carrière à long terme. Mais,
portée par la confiance que lui porte sa responsable,
elle a retrouvé énergie et enthousiasme.
Pour que la confiance s'installe, encore faut-il se
parler et se comprendre. La sociologue Claire Hatala
cite l'exemple d'un cadre d'EDF qui s'est résolu à
écrire une longue lettre à ses collaborateurs, leur ex-
pliquant que ce qui pouvait apparaître comme de la
froideur ou de l'indifférence n'était que le symptôme
de troubles schizoïdes et que la qualité de leur travail
n'était absolument pas en cause. Révélation salutaire
en tous points. L'équipe a commencé à se parler - ce
qu'elle ne faisait pas jusqu'alors -, à réfléchir à une
nouvelle organisation du travail plus souple, qui s'est
avérée, depuis, tellement performante qu'elle pour-
rait bien essaimer dans l'entreprise.
«Face au trouble psychique, tout ce qui apporte
de la souplesse est bon à prendre. Il faut innover,
tester, quitte à se planter», insiste Claire Hatala. Un
parti pris exploratoire également défendu par
Erwan Le Cornée, chargé de mission handicap chez
Assystem. Pour ce psychologue de formation, «il
faut aussi accepter que les réponses ne soient que
partielles, que tel dispositif fonctionne très bien
une semaine et beaucoup moins la semaine sui-
vante. Le trouble psychique appelle avant tout une
grande humilité.»
Muriel
Jaouën
"Face
au trouble
psy,
on doit
innover,
quitte
ase
planter"
Christophe Docet, fondateur de l'association Bipol Entreprises
"POUR VIVRE AVEC LA MALADIE, IL FAUT
QU'ELLE SOIT COMPRISE ET ACCEPTÉE"
Management: Comment se sont
manifestés les premiers symptômes
de votre bipolarité?
Christophe Docet: Le déclencheur
a été mon licenciement en 2001 par
l'actionnaire principal de l'entreprise que
j'avais créée. Le coup était d'autant plus
violent qu'à l'époque je connaissais des
difficultés dans ma vie conjugale. Dans un
tel contexte, n'importe qui se trouverait
sérieusement affecté. Pour moi, alors
que j'ignorais que j'étais bipolaire, la
déflagration a été extrême. J'ai sombré
dans une profonde dépression. Pendant
des mois, on m'a baladé d'un séjour en
hôpital à l'autre et prescrit des cachets.
Aucun médecin n'a donc réussi
à découvrir votre pathologie ?
C.D.: Elle est difficile à détecter. L'errance
diagnostique moyenne de la bipolarité
est de huit à dix ans; chez moi, elle n'a
duré "que" trois ans. En septembre
2003, j'ai rencontre, par le biais d'une
association, le docteur Hantouche,
qui a su donner un nom à mes troubles.
Mais j'ai vécu avant cela trois années
de souffrance. Le cocktail hôpital-
médicaments n'a fait qu'aggraver les
choses. Après deux ans de dépression,
j'ai fait un effort surhumain pour
m'inscrire en MBA à ('ESC Rennes.
Je me suis senti revivre: ce cursus
m'a permis de renouer avec une activité
intellectuelle et relationnelle exigeante.
J'ai arrêté les médicaments. Mais
de nouvelles bouffées délirantes sont
apparues, au bout de six mois. La
plupart des bipolaires ne gardent
pas de souvenirs de leurs délires
maniaques. Moi, je me souviens de
tout! Je me prenais pour un
superespion chargé de sauver la
vie du directeur de l'ESC, je
rendais à mes professeurs des
travaux abscons,.. On m'a renvoyé
h l'hôpital, d'où je suis ressorti
pour effectuer un voyage en
Chine. Les effets du "jetlag"
peuvent être désastreux pour
les bipolaires. De retour en
France, j'ai fait une dépression
et une tentative de suicide.
Aujourd'hui, comment vous
sentez-vous ? Parvenez-vous
à retravailler normalement?
C.D.: Je suis stabilisé mais je sais qu'il
me serait difficile de m'insérer dans
un environnement professionnel
traditionnel. Le diagnostic est la
condition nécessaire à un traitement
adapté. Il permet également de sortir du
déni et de l'ignorance, qui sont les pires
ennemis des personnes souffrantes.
Pour vivre normalement avec la maladie,
encore faut-il qu'elle soit comprise
et acceptée. Or, si la forme aiguë de la
bipolarité (alternance d'épisodes
maniaco-dépressifs sévères) touche 1%
de la population, ses formes atténuées
sont à la fois beaucoup plus répandues
(de 6 à 10% de la population) et très
mal diagnostiquées car moins visibles.
Quel est l'objectif de Bipol Entreprises,
l'association que vous avez créée?
C.D.: Faciliter le retour et le maintien au
travail des personnes bipolaires, en les
sortant du cycle infernal hôpital-cachets.
L'association mise sur la compétence
de malades qui sont capables de mettre
leur expérience au service des autres
pour les accompagner dans leur milieu
professionnel et stabiliser leur humeur
grâce à un protocole méthodologique
éprouvé dans les pays anglo-saxons. En
2011, nous avons ouvert un premier
centre de jour à Rennes. Il s'agit d'un lieu
de passage et d'accompagnement
personnalisé, pensé pour le mieux-être
des patients. Il est animé par une équipe
pluridisciplinaire issue du monde de la
psychiatrie et du conseil. C'est une boîte
à outils, un espace de partage, ouvert aux
entreprises et à la médecine du travail.
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