Résumé
Pour comprendre la dynamique récente de l'agriculture et de ses rapports
avec son environnement, nous nous proposons de réinterpréter son histoire
séculaire comme la construction face au capital industriel et financier traditionnel,
d'un pouvoir de marché qui a orienté les conditions d'évolution des exploitations et
exclu certaines d'entre elles. L'hétérogénéité des exploitations et des choix
d'insertion sur les marchés expliquent que cette construction ait emprunté diverses
formes. De ce fait, il existe de notre point de vue aujourd'hui au sein même de
l'agriculture productiviste deux scénarios de sortie de la crise des excédents : le
premier privilégie la concurrence interne à l'agriculture en vue de renforcer et
d'orienter les mécanismes de sélection ; le second correspondant à un projet de
développement d'agroindustries finalisées par l'écoulement de matières premières
agricoles locales au détriment d'autres matières premières. Les chances de
succès de ces deux scénarios se jouent donc dans des dimensions différentes de
l'activité économique.
Ce travail mobilise les apports des approches sectorielles en termes de
régulation de la fin des années 80 et entend les préciser dans deux directions.
D'une part, celles-ci sont utilisées comme outils d'économie industrielle permettant
d'inscrire notre démarche dans la longue période, ce qui nous conduit à considérer
les formes et l'objet de la régulation comme des questions d'ordre empirique
fournissant un cadre à l'étude de l'évolution des formes des structures sectorielles
et interindustrielles. D'autre part, la dialectique des stratégies et des structures qui
est au coeur du projet de l'Economie Industrielle est envisagée de façon à
caractériser la période de crise contemporaine. Celle-ci ne peut être considérée ni
comme un moment de désordre, ni comme le prélude à la bifurcation d'une
logique économique dans une autre comme dans un modèle de dynamique
chaotique, mais comme une phase de redéfinition des stratégies de
développement mises en oeuvre dans le passé.
Or celles-ci ne peuvent être conçues uniquement en fonction des
caractéristiques nouvelles, en rupture avec le passé ; elles s'inscrivent aussi dans
la continuité d'avantages compétitifs et de configurations héritées qui rendent
possible l'émergence de la nouveauté. C'est ce qui, à nos yeux du moins, justifie
de s'appuyer sur la longue période et sur l'analyse de l'articulation de l'agriculture
au reste de l'économie pour cerner les dimensions de l'activité économique sur
lesquelles des fractions du capital agricole sont susceptibles de peser, et les
formes d'organisation dont il se dote pour réussir à le faire.