Histoire de Genève

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Histoire de Genève
La situation géographique
Rôle du lac et de la navigation
De tout temps, Genève a profité de l'atout qu'offre sa position géographique. Des échanges
économiques à longue distance existent déjà. La vallée du Rhône est une des grandes
routes parcourues par les marchandises et les hommes, et Genève est placée à un point
important de cet axe, qui unit le nord de l'Europe à la Méditerranée. Dans le sens est-ouest,
des cols franchissent les Alpes en direction de l'Italie, en particulier le Grand et le Petit-SaintBernard, avec des itinéraires conduisant à Genève.
Le site jouit d'un second avantage, son emplacement au bord d'un lac et d'un fleuve. Jusqu'à
l'invention du chemin de fer, la voie d'eau, beaucoup moins coûteuse, sera souvent préférée
à la voie de terre pour le transport des marchandises. Le port de Genève, actif jusqu'à la fin
du XIX e siècle, a eu des débuts timides dès ces temps reculés.
Enfin, sur le Rhône, la présence de l'île facilite le passage d'une rive à l'autre, à gué d'abord
à travers un cours d'eau plus large et moins profond qu'actuellement, puis par un pont, bâti
au I e siècle avant J.-C., légèrement en aval du pont de l'Ile.
Ces éléments favorables sont à garder en mémoire, car ils ont eu une valeur permanente à
travers toute l'histoire genevoise.
Les premières traces d'occupation humaine du site de Genève remontent à 3'000 av. J.C.
environ; elles ont été découvertes sur les rives du Léman, où s'élevaient des villages
lacustres. La colline de la Vieille Ville, centre de l'ancienne Genève, ne sera habitée que
beaucoup plus tard, probablement pas avant 1000 av. J.-C.; vers 500, des membres de la
peuplade celte des Allobroges s'y installent à l'intérieur d'un refuge fortifié.
© Helvetia Genevensis 2006
Antiquité
Genève romaine
La Genève antique
Illustration concrète du rôle du lac et de la navigation, les recherches récentes des
archéologues font apparaître la Genève antique d'abord sous l'aspect d'un port situé vers le
haut de Longemalle et le bas de la rue de la Fontaine. Ces vestiges sont de peu antérieurs à
121 avant J.-C., date capitale puisque c'est celle de la conquête par les Romains de la partie
sud-est de la Gaule, peuplée par une tribu celte, les Allobroges.
Postérieure peut-être à l'implantation au bord de l'eau, l'occupation de l'éminence qui
deviendra le noyau historique de Genève, la haute ville. Cette colline est un refuge de choix.
Sur trois côtés, elle est protégée par le lac, le Rhône et l'Arve, qui coule alors près de la
Corraterie. Sur le seul côté vulnérable, à l'Est, les occupants creusent des fossés, marqués
peut-être encore par les dénivellations du Bourg-de-Four.
Les Helvètes
Les Allobroges tombés sous la domination romaine, Genève devient un poste frontière. De
l'autre côté du Rhône commence le territoire de Celtes encore insoumis, les Helvètes. Ceuxci subissent la pression de peuples vivant au-delà du Rhin, qui cherchent à traverser le
fleuve pour s'établir sur le Plateau suisse.
Devant cette menace, les Helvètes quittent leur sol natal en 58 avant J.-C. pour gagner le
sud-ouest de la Gaule. La route la plus commode consiste à passer le pont de Genève et à
suivre la rive gauche du Rhône, mais c'est violer le territoire romain.
Jules César
La marche des Helvètes est arrêtée par Jules César, grand homme politique et grand chef
militaire romain, qui achèvera, au cours des trois années suivantes, la conquête de la Gaule.
César est aussi écrivain.
Dans un livre rédigé en 52 qui décrit sa campagne de France, il raconte qu'il fit couper le
pont de Genève pour retenir les Helvètes. C'est sous sa plume qu'apparaît pour la première
fois par écrit le nom de Genève, « Genua » en latin. Ce nom serait d'origine gauloise et
signifierait l'« embouchure ».
La prospérité de Genève
Les découvertes archéologiques prouvent la prospérité de Genève durant la longue paix qui
règne dans l'Empire romain jusqu'à la fin du III e siècle ap. J.-C.. Des ports à la Fusterie et à
Longemalle servent au transit des marchandises.
La ville dépasse les limites du bourg allobroge ; dans ces temps tranquilles, les villes n'ont
plus besoin de fortifications. Le centre administratif était la Cour Saint-Pierre. Il y restera un
millénaire et demi.
Le palais burgonde, puis celui de l'évêque, seigneur de Genève au Moyen Age, succéderont
aux bureaux romains. A la Réforme, après le départ de l'évêque, lorsque les conseils
communaux formeront le gouvernement de la République indépendante, les autorités
siégeront à deux pas de là, à l'Hôtel de Ville, où elles sont encore.
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L'influence romaine
Bien que la langue celtique ait persisté longtemps, le latin finit par triompher au sein d'une
ville complètement romanisée. La campagne garda plus longtemps des traits celtiques, mais
les nombreuses villas, centres de vastes domaines qu'y possédaient de grands propriétaires
urbains, contribuèrent à la romaniser à son tour. Cette influence romaine, plus forte sur
Genève et sa région que sur le Plateau suisse, les rapproche des pays situés plus au sud,
de la Savoie à la Provence. Par bien des côtés, Genève est parente du Midi de la France.
La fin de l’antiquité
La chute de l'empire Romain
A partir du III e siècle ap. J.-C., l'Empire romain se porte mal. Il est miné à la fois par une
crise interne et des menaces extérieures. A plusieurs endroits, les frontières sont crevées.
En 260, des Germains et les Alamans, lancent des raids destructeurs vers le Sud.
Conséquence capitale, les villes de la Gaule s'entourent de murailles qui les enferment dans
une enceinte réduite, plus facile à défendre et suffisante pour abriter une population en
diminution.
Dans la ville de Genève, des restes de murs du IIIe siècle constitués de gros blocs de pierre
sont bien visibles dans la cour du No 11 de la rue de l'Hôtel-de-Ville et dans le garage
souterrain derrière l'Auditoire.
Genève chef-lieu d'une cité indépendante
La ville de Genève a abandonné les quartiers extérieurs et s'est repliée sur la haute ville.
Dans son enceinte, elle n'occupe plus qu'un rectangle irrégulier d'environ trois cents mètres
de long et cent quarante mètres de large. Pendant sept siècles, cette superficie restreinte lui
suffira.
Pourtant, cette époque troublée voit grandir le rôle administratif de Genève. Jusqu'alors, elle
n'occupait qu'un rang modeste. Elle dépendait de la civitas ou «cité» de Vienne sur le
Rhône. Ce terme de cité désignait de grandes divisions territoriales romaines.
Peut-être déjà à la fin du IIIe siècle, la cité de Vienne fut démembrée et Genève devint le
chef-lieu d'une cité indépendante, sans doute à cause de sa situation stratégique vitale pour
la défense de l'Empire contre les incursions barbares venues d'outre-Rhin.
Genève chef-lieu d'un diocèse
Au IVe siècle, la crise de l'Empire semble surmontée. Ce siècle est celui de l'adoption
progressive du christianisme comme religion d'Etat. La situation de Genève sur une grande
voie de communication laisse supposer que la foi nouvelle y fut répandue assez tôt. Une
communauté chrétienne est attestée à Lyon en 177. Une église a-t-elle pu exister à Genève
à la fin du II e siècle déjà ? C'est certainement le cas au cours du IIIe siècle.
Dès la deuxième moitié du IV e siècle, comme la plupart des capitales de cités, Genève
devient le chef-lieu d'un diocèse, imposant espace qui englobera une zone allant de
l'Aubonne au lac du Bourget et du Jura au Mont-Blanc. Le premier chef de ce diocèse attesté
de façon sûre, l'évêque Isaac, était en fonction vers 400.
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L’adoption du christianisme
Des édifices religieux
Une longue et fructueuse campagne de fouilles dans le temple de Saint-Pierre a révélé les
vestiges d'une église de la fin du IVe siècle, accompagnée d'un baptistère et d'une salle
d'apparat ornée de mosaïques.
Vers 400, une seconde église fut élevée, formant avec la première une cathédrale double
selon un modèle fréquent dans l'Antiquité tardive. L'ampleur et la qualité de ces restes, ainsi
que d'autres indices, montrent que la ville a joui d'une période de prospérité à la fin de
l'Empire.
Durant le Ve siècle, d'autres sanctuaires sont bâtis: Notre-Dame-la-Neuve (nommée
maintenant l'Auditoire), Saint-Germain et, un peu plus tard, la Madeleine. Tels qu'ils se
présentent aujourd'hui, ces édifices sont le résultat de remaniements postérieurs. L'église
Saint-Victor s'élevait à l'emplacement de l'église russe et présentait la particularité d'être une
construction ronde.
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Le Moyen-Âge
Genève capitale burgonde
En 443, une tribu germanique, les Burgondes, se fixe dans la région. Pendant trente ans,
Genève abrite la capitale de leur royaume. Celui-ci est occupé par les Francs en 534 :
Genève est incorporée à la monarchie mérovingienne, puis à l'Empire carolingien. La
désagrégation de ce dernier, au IX e siècle, voit naître le Second royaume de Bourgogne,
auquel Genève appartient.
En 1032, cet Etat passe aux empereurs germaniques. En droit, Genève dépend désormais
de l'Empire ; en fait, depuis le XI e siècle et jusqu'à la Réforme, elle est gouvernée par ses
évêques devenus seigneurs de la ville. Genève reste une localité secondaire jusqu'à la fin du
Moyen Age. Ses foires, qui atteignent leur plus grand essor au XV e siècle, lui donnent alors,
et pour la première fois, une réputation internationale.
Cependant, son indépendance est menacée par la Savoie, dont les princes s'efforceront, du
XIII e au XVII e siècle, de s'emparer de la ville, sans y parvenir.
Genève du 6ème au 10ème siècles
Les siècles obscurs
En 534, le royaume burgonde est absorbé par les Francs, Germains conquérants de la
Gaule. Jusqu'à la fin du IX e siècle, Genève, la Savoie, la Suisse Romande sont rattachées
au royaume franc, d'abord sous la dynastie des rois mérovingiens, puis sous les
Carolingiens. Avec l'incorporation de Genève à la royauté franque débutent des siècles de
silence qui privent de renseignements l'historien local. Ce n'est que par comparaison avec
d'autres villes qu'on a une idée du sort de la nôtre.
A partir du VIIe siècle, elle a dû partager la décadence générale des villes européennes, qui,
dépeuplées, survivent au ralenti. Deux circonstances laissent penser que Genève ne
descendit pas tout au bas de la pente: la vallée du Rhône, malgré la diminution des
échanges, ne fut pas totalement abandonnée par le trafic, la présence d'un évêque et de son
entourage maintint une activité économique et culturelle.
Les évêques seigneurs de la ville de Genève
Il est probable que, dès le VIIe ou le VIIIe siècle, les évêques sont devenus les vrais maîtres
de Genève. Les rois ne gouvernent plus que théoriquement, car l'autorité publique s'est
morcelée entre une infinité de petits chefs locaux. Dans les villes où réside un évêque, c'est
lui, souvent, qui commande et joint le pouvoir politique à son pouvoir religieux.
Quand l'empire proclamé en 800 par Charlemagne se disloque, un royaume se forme en
Suisse Romande en 888, le second royaume de Bourgogne. Genève en fait partie, mais les
rois confirment le pouvoir des évêques, si bien que ceux-ci, dès 1020, frappent des
monnaies à leur nom, ce qui démontre le degré d'indépendance qu'ils ont atteint.
Genève ville d’empire et lutte contre les comtes
Genève ville d'Empire
Le dernier des rois de Bourgogne, mort sans enfants en 1032, lègue ses possessions à
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l'empereur Conrad II, souverain du Saint Empire romain germanique, fondé en 962, qui
comprend non seulement l'Allemagne, mais aussi des pays voisins comme la Suisse.
Héritiers des rois de Bourgogne, les empereurs placent sous leur souveraineté des régions
qui vont de la Suisse romande à la Méditerranée. Toutefois, la suprématie impériale, bien
lointaine, n'est guère plus que nominale. Le pouvoir réel est assuré par des seigneurs
locaux, laïques ou ecclésiastiques. On l'a vu, à Genève, les évêques sont les seigneurs de la
ville.
Lutte contre les comtes
Depuis le milieu du XI e siècle, ils eurent à se défendre contre une nouvelle famille de
comtes de Genève. A l'origine fonctionnaires royaux, les comtes se sont rendus de plus en
plus autonomes, gèrent à leur guise les terres de leur comté, en annexent d'autres.
Giraud, le premier des nouveaux comtes, se crée un domaine dans le diocèse de Genève et
le Pays de Vaud. Les comtes réussissent à s'introduire dans Genève. Ils construisent un
château au débouché de la rue de l'Hôtel-de-Ville sur le Bourg-de-Four. Les évêques
risquent d'être dépossédés de leur autorité civile.
Un évêque décidé, Humbert de Grammont, enraye les projets des comtes. Soutenu par le
pape, il oblige le comte Aymon Ie à négocier. Dans l'accord de Seyssel de 1124, Aymon
rend les droits enlevés à l'évêque et lui abandonne entièrement le gouvernement de la ville.
Néanmoins, les comtes poursuivirent une offensive longue d'un siècle contre les évêques,
mais ceux-ci résistèrent avec acharnement, ils reçurent l'appui de l'empereur Frédéric I, dit
Barberousse, qui régna de 1152 à 1190. Il accorda la garantie impériale aux possessions
des évêques et leur reconnut la qualité de princes immédiats de l'Empire. Ces dispositions
les protégeaient contre les attaques des seigneurs laïques.
Au XII e siècle, les évêques agrandissent leurs propriétés. En plus de la ville, ils sont les
détenteurs de trois châtellenies rurales, appelées le plus souvent mandements: Peney,
Jussy et Sallaz. Peney, qui a gardé pour lui seul aujourd'hui le nom de mandement, avait
pour villages principaux Satigny, Bourdigny, Peissy et Peney ; deux autres villages de
l'évêque, Genthod et Céligny, furent rattachés administrativement à ce mandement.
Les terres de Peney et Jussy ont formé le noyau du territoire campagnard genevois. Quant
au mandement de Sallaz ou de Thiez dans le Faucigny, séparé de Genève par une distance
plus grande, il échappera à celle-ci au XVI e siècle.
La renaissance urbaine
Genève recommence à grandir
Après des siècles de déclin, Genève recommence à grandir. Dans toute l'Europe, les villes
sortent de leur sommeil aux Xl e et XII e siècles. Ce réveil est dû vraisemblablement à un
développement antérieur de l'agriculture et à une augmentation de la population rurale.
L'élan parti des campagnes gagne les villes. Les anciennes progressent, il en naît de
nouvelles.
Pour répondre à la demande, elles multiplient leurs activités industrielles et commerciales.
Elles puisent la main-d'œuvre nécessaire dans les campagnes. L'émigration rurale vers les
villes commence. Hors de l'enceinte réduite de la fin de l'Antiquité, le plus souvent autour
d'un marché, des maisons s'élèvent et forment une petite agglomération, un «bourg». Après
quelque temps, une fusion s'opère. L'enceinte est agrandie pour entourer les bourgs.
La présence d'un couvent de cordeliers, ou franciscains, est attestée à Genève en 1266.
Construit le long de la voie marchande à proximité de la porte de la ville, île couvent occupe
une position stratégique dans la cité. Comme pour les autres édifices religieux, l'essor des
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foires fut particulièrement favorable à son développement et à son enrichissement. Ainsi,
c'est le banquier florentin Sassetti qui finança les somptueuses stalles de l'église. A côté de
l'église avec ses nombreuses chapelles, s'élevait le cloître, les bâtiments conventuels, les
jardins et les dépendances. Devant, se trouvait une grande place dite "place des
prédications", particularité de l'architecture franciscaine, qui fut dotée d'un toit à la fin du XVe
siècle et qui servira après la Réforme à abriter le bois de la Seigneurie. La plupart des autres
bâtiments furent détruits à la Réforme.
Le Bourg-de-Four
L'extension de Genève correspond à ce schéma. L'expansion commence au Bourg-de-Four,
endroit qui avait été laissé en dehors des murailles antiques. «Bourg-de-Four» signifie bourg
du marché ( forum en latin). Cette place retrouve, au XI e siècle, la fonction qu'elle avait eue
dès l'époque celtique, celle d'un marché. Abandonnée au début du Moyen Age, elle reprend
ce rôle lors du renouveau urbain. Des ateliers d'artisans s'ouvrent autour de la place et ses
environs. La localisation du marché à cet endroit s'explique facilement. Le Bourg-de-Four est
un nœud routier. Là convergent les itinéraires qui rejoignent Genève. La route principale
venant de la Provence et de Lyon suivait la rive gauche du Rhône jusqu'à Seyssel. Elle
gagnait ensuite Genève par Frangy et Chaumont.
Les marchandises transportées par eau prenaient d'ordinaire le même chemin. Les barques
s'arrêtaient à Seyssel, à cause des obstacles naturels qui rendaient la navigation impossible
en amont, et le transport continuait par voie terrestre.
A Carouge, cette route rencontrait celle qui venait d'Italie par les cols du Petit-Saint-Bernard
et du Mont-Cenis et qui passait par Annecy. Carouge, du latin « quadruvium », carrefour, doit
son nom à cette réunion routière. Après avoir franchi l'Arve par un pont, la route du sud se
terminait au Bourg-de-Four.
Deux autres chemins, moins importants, y parvenaient aussi: la route de la vallée de l'Arve
par Chêne et la route de la rive gauche du lac qui conduisait dans le Valais et au col du
Grand-Saint-Bernard. Si l'on voulait continuer son voyage, on empruntait la rue de l'Hôtel-deVille et la Grand-Rue, pour arriver au pont du Rhône qui menait vers la Suisse et l'Allemagne
par la rive droite. La ville s'étendit ensuite du côté du lac Léman. La renaissance du
commerce avait ranimé le port de Genève ; un autre espace fut bâti en descendant vers le
lac, qui baignait encore les Rues-Basses.
La nouvelle enceinte
Les bourgs se fondirent avec la ville ancienne par l'agrandissement de l'enceinte romaine.
Une campagne de fortification eut lieu au XII e siècle. On vit grand. Les nouveaux murs
furent édifiés au-delà de l'espace construit et inclurent des champs, des vignes et des
jardins. La surface de la partie enclose mesurait près du triple de la superficie ancienne. Au
XII e siècle, on peut évaluer la population à deux mille ou trois mille habitants.
Le développement des villes eut des conséquences sur leur organisation religieuse. Pendant
longtemps, elles avaient formé qu'une seule paroisse ayant pour centre la cathédrale. Les
autres églises restaient dans la dépendance de l'église mère. L'extension urbaine entraîna le
découpage de la paroisse unique en plusieurs unités. Pour Genève, sept paroisses se
constituèrent du XI e au XIII e siècle. En outre, deux couvents avaient été fondés près de la
ville: la très vieille église Saint-Victor fut transformée en prieuré clunisien peu après l'an 1000
; sur la rive droite, au bord du Rhône, l'église Saint-Jean accueillit un prieuré au début du
XIIe siècle.
Vers 1180, sous l'évêque Arducius de Faucigny, commença la reconstruction de la
cathédrale Saint-Pierre, qui dura jusque peu avant 1250. Cette opération donna à l'intérieur
du sanctuaire l'aspect général que nous lui connaissons.
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Les foires genevoises
Une renommée internationale au XIIIe
Le XIIIe siècle est marqué par trois facteurs nouveaux qui auront une influence durable sur
l'histoire genevoise : l'essor des foires, l'ingérence savoyarde et les débuts de la commune.
A côté des marchés qui servaient aux échanges locaux, des foires se tenaient quelques
jours par an. Une clientèle plus étendue, mais encore régionale, accourait à cette occasion.
Assez brusquement, semble-t-il, ces foires se mettent à recevoir des marchands et des
hommes d'affaires venus de loin, en particulier d'Italie ; les Italiens sont les meilleurs
négociants de cette époque.
Les foires font connaître le nom de Genève en Europe. Avant d'être, au XVI e siècle, une
capitale religieuse, Genève eut, pour la première fois, une renommée internationale grâce à
son rôle dans l'économie.
L'apogée des foires aux XIVe et XVe
La conjoncture économique générale est dominée par la récession. Sur ce plan, pourtant,
Genève fait exception. Tous les indices prouvent la montée ininterrompue des foires au
cours du XIV e et de la première moitié du XV e siècle. Elles sont à leur apogée au milieu de
ce siècle.
Genève est alors un des principaux lieux d'échanges de marchandises en Suisse et en
Europe. Il faut remarquer que, dans ce négoce international, la part des produits genevois
est dérisoire. il n'existe pas encore d'industrie d'exportation ; les artisans du XV e siècle
travaillent presque exclusivement pour des clients locaux.
A côté du commerce s'exerce une activité financière intense ; déjà, Genève prend rang
parmi les grandes cités bancaires. Les plus grands banquiers du temps, les Medici de
Florence, y ouvrent une succursale en 1424. Il y avait quatre foires principales dans l'année ;
chacune durait dix jours, pendant lesquels la ville prenait l'allure d'un caravansérail où se
côtoyaient des gens venus de partout: Italiens, Français, Allemands, Suisses, Néerlandais,
etc.
Le déclin des foires genevoises
Après l'apogée du milieu du XV e siècle, les foires subissent un recul sensible. Des
changements survenus dans les courants commerciaux internationaux sont la première
raison de ce déclin.
Un autre coup leur est porté par le roi de France Louis XI, qui veut faire profiter Lyon des
avantages que Genève retire de ses foires. En 1462, il défend aux marchands français et
étrangers, sous peine de représailles, de fréquenter les foires de Genève et prend diverses
mesures pour favoriser ceux qui se rendent à Lyon.
L'opération réussit. Les Italiens, qui étaient l'élément moteur du commerce et de la banque à
Genève, la quittent peu à peu pour s'établir à Lyon. Le volume des échanges et du trafic
bancaire est sensiblement diminué. Toutefois, déclin n'est pas mort. En 1480, les foires ont
encore fière allure. Si les Italiens ont disparu, les clientèles allemande et suisse sont restées
fidèles.
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L’ingérence savoyarde
Née au XI e siècle, la maison des comtes de Savoie est riche de possessions sur les deux
versants des Alpes. Au Xlll e siècle, elle se rend maîtresse du Pays de Vaud. Les comtes
s'intéressent de plus en plus à Genève. Le chemin le plus court entre la Savoie et Vaud
passe par Genève et le pont du Rhône. De plus, peuplée, bien fortifiée, en pleine croissance
économique, la ville conviendrait merveilleusement pour servir de capitale au comté de
Savoie. Pendant plus de trois siècles, les convoitises savoyardes vont menacer Genève.
La première offensive
Une première offensive se déroule de 1285 à 1290. Au mépris des droits de l'évêque, le
comte Amédée V occupe la ville. Au début du XIII e siècle, l'évêque Aymon de Grandson
avait construit un puissant château protégeant le pont du Rhône ; il n'en reste aujourd'hui
que le donjon, la Tour de l'Ile. Il fallut un siège de quatorze mois pour que les troupes du
comte fissent capituler le château.
En 1290, l'évêque Guillaume de Conflans fut contraint de reconnaître le fait accompli dans
un traité conclu à Asti (Italie, Piémont) : la Savoie gardera le château de l'Ile. En outre,
l'évêque doit céder au comte la charge de vidomne, fonctionnaire qui juge les procès civils
entre les particuliers et mène l'instruction des affaires pénales.
Jusqu'à la suppression du vidomnat en 1528, les fonctions de châtelain de l'Ile et de
vidomne furent réunies et confiées au même homme, un vassal des comtes de Savoie. Voilà
donc ceux-ci solidement établis à Genève.
La période de la commune
La naissance de la commune (XIIIe-XIVe)
Le XIII e siècle est marqué par trois facteurs nouveaux qui auront une influence durable sur
l'histoire genevoise : l'essor des foires, l'ingérence savoyarde et les débuts de la commune.
La naissance de la commune, est celle dont les conséquences furent les plus profondes. A
la Réforme, succédant à l'évêque, la commune saisira le gouvernement de la cité, ses
institutions deviendront celles de la République protestante jusqu'à la fin de l'Ancien Régime
en 1792.
Le progrès des villes depuis le XI e siècle avait engendré une classe de commerçants et
d'artisans. Cette classe supportait mal la forme seigneuriale du gouvernement urbain. Elle
entama la lutte pour arracher sa part dans les affaires publiques. A cette fin, elle se donna
une organisation révolutionnaire, la commune. L'apparition de celle-ci à Genève est tardive
par comparaison avec beaucoup d'autres villes. La première mention d'un mouvement
collectif des habitants remonte à 1263. Au commencement, il est appuyé par les comtes de
Savoie. En aidant les citadins en conflit avec l'évêque, ils affaiblissaient celui-ci.
Les efforts violents des citadins pour faire triompher leurs revendications durèrent un demisiècle. En 1309, l'évêque Aymon de Quart dut reconnaître l'existence légale de la commune
et lui permettre de participer à l'administration de la ville. La révolution communale genevoise
avait réussi.
Les progrès de la commune (XIVe et XVe)
Au XIV e siècle vit grandir la sphère d'intervention de la commune. Entre 1344 et 1364, les
syndics obtinrent le droit d'exercer la justice pénale ; dorénavant, les syndics, chefs de la
commune, jugent les affaires criminelles. Comme la justice pénale est un des privilèges
fondamentaux du pouvoir seigneurial, son passage aux mains de la commune prouve le
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degré de puissance auquel celle-ci est parvenue. L'évêque Adhémar Fabri lui octroie, en
1387, une charte de franchises qui confirme solennellement ses droits.
Dorénavant, même si Genève reste juridiquement une principauté sur laquelle règne un
évêque, la domination réelle dans la cité appartient à la commune, à tel point que les
évêques lui prêtent serment d'observer les franchises ; la commune, elle, ne prête serment à
personne. Expression matérielle encore vivante de sa force, l'imposante Tour Baudet qu'elle
fit bâtir à partir de 1455, où siège de nos jours le gouvernement genevois.
La base de l'organisation communale était le Conseil général, qui ressemblait aux
«Landsgemeinden» suisses. C'était une assemblée à laquelle assistaient alors non
seulement les bourgeois qui avaient reçu le droit de bourgeoisie leur garantissant des
avantages économiques, mais aussi les simples habitants. Le Conseil général élisait les
quatre syndics, magistrats annuels dirigeant la commune, et était fréquemment consulté sur
les questions les plus diverses.
Les syndics s'entouraient de conseillers variant en nombre de douze à vingt, qui
constituaient le Petit Conseil. Cette organisation communale genevoise a une originalité: le
maintien de sa base populaire représentée par le Conseil général. La plupart des autres
villes adoptent assez rapidement un régime plus aristocratique, la primauté est accaparée
par des conseils restreints. A Genève, au XV e siècle, le Conseil général reste l'autorité
suprême.
Les crises du XIVe siècle
Les progrès de la commune se déroulaient au moment où le monde occidental souffrait
d'une crise à une extrême gravité. Il fut assailli par des famines et des guerres et, surtout,
par des épidémies de peste. Cette maladie avait disparu de l'Europe depuis cinq ou six
siècles. Venue d'Orient, elle fait un retour foudroyant à partir de 1347 et s'installe jusqu'au
XVII e siècle.
Les premières vagues, celles du XIV e siècle, furent les plus terribles. L'Europe occidentale
perdit la moitié de sa population en cinquante ou soixante ans. Cette proportion est la même
pour la région genevoise. La dépopulation, l'omniprésence de la mort eurent des
répercussions dramatiques sur tous les aspects de la vie et de la mentalité des gens.
La population croit fortement
Le développement urbain
Le succès des foires eut des répercussions sur la topographie et la population. Le Bourg-deFour et la haute ville ne suffisaient plus à la foule des négociants et à l'abondance des
marchandises. En 1309, l'évêque Aymon de Quart, en contrepartie de la reconnaissance
accordée à la commune, demanda aux citoyens de construire une halle aux marchandises.
Ce bâtiment fut érigé au Molard. On gagna du terrain en mordant sur le lac et le rivage
recula des Rues-Basses à la rue du Rhône. Les pâtés de maisons qu'on bâtit
progressivement furent séparés par les trois places de Longemalle, du Molard et de la
Fusterie, chacune débouchant sur un port.
La peur des grandes compagnies de soldats brigands qui sévissaient dans la vallée du
Rhône poussa les évêques Alamand de Saint-Jeoire et Guillaume de Marcossey à
reconstruire une enceinte plus solide de 1364 à 1376. Les murs enfermèrent les quartiers
récents. Sur la rive gauche, la surface intérieure de la ville n'augmentera plus jusqu'à la
démolition des fortifications dès 1849.
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La population genevoise
Conséquence de la prospérité, la population croît fortement. Le nombre d'habitants à
Genève s'élève rapidement et dépassera les dix mille avant le milieu du XV e siècle. Dès
lors, Genève est la ville la plus peuplée de la Suisse actuelle. Elle ne sera dépassée par
Zurich qu'au milieu du XIX e siècle.
En conséquence, les faubourgs grossissent, notamment Plainpalais le long de la route de
Carouge, mais c'est Saint-Gervais qui grandit le plus. Dès 1424, la rue de Coutance est
bâtie. Les lotissements ne sont pas laissés au hasard ; l'opération est planifiée: les parcelles
ont toutes la même surface, des règles sont fixées sur la hauteur des maisons, les toitures,
les fenêtres, les escaliers.
Dans toutes les villes anciennes, l'augmentation du nombre d'habitants dépend de
l'immigration, car les naissances n'y compensent qu'à peine les décès. Les nouveaux
citadins sont attirés par les occasions de travail que fournit la prospérité de Genève et par
les bons salaires. Les pertes humaines dues aux épidémies rendent la main-d'œuvre rare et
bien payée. En ce qui concerne leur provenance, les immigrants sont avant tout des gens
des environs immédiats et de la Savoie, puis viennent les Français, des Bourguignons
surtout.
Les Italiens forment une petite colonie, où l'on trouve les habitants les plus riches. En 1457,
le plus gros contribuable est un Génois, qui paie le double de ce que verse François de
Versonnex, le Genevois le plus cossu, On remarque aussi un groupe de juifs. Ils ne
participent pas aux grandes affaires, mais vivent du petit négoce.
La vague d'antisémitisme qui déferla sur l'Europe à la fin du Moyen Age n'épargna pas
Genève. En 1428, les juifs furent relégués dans un ghetto situé au Grand-Mézel. Ils furent
expulsés en 1490 par une décision communale. A cette date, d'ailleurs, la plupart des villes
européennes les ont déjà bannis. Jusqu'à la Révolution, aucun d'eux ne fut plus autorisé à
séjourner durablement à Genève.
Religion et culture
La religion
Dans la première moitié du XV e siècle, l'évêché a à sa tête des hommes d'envergure. Jean
de Bertrand, Jean de Rochetaillée, François de Metz (Metz près d'Annecy) s'efforcent de
faire appliquer dans leur diocèse les règles de réforme ecclésiastique préconisées par les
conciles de Constance et de Bâle.
Aux monastères du haut Moyen Age étaient venus s'ajouter, dans la deuxième moitié du XIII
e siècle, les couvents des Dominicains, à la Corraterie, et des Franciscains, à Rive. Des
Clarisses s'installèrent au Bourg-de-Four en 1476 ; leur maison servit, après la Réforme, à
l'Hôpital général avant de devenir le Palais de justice. Un ultime couvent, celui des Ermites
de Saint-Augustin, se fixa en 1480 près du pont sur l'Arve.
Les arts s'épanouissent
Au Moyen Age, les lettres et les sciences genevoises sont pauvres. En revanche, les arts
s'épanouissent au XV e siècle. L'aisance permet de reconstruire quatre églises paroissiales:
la Madeleine, Notre-Dame-la-Neuve, Saint-Germain et Saint-Gervais.
Le monument le plus intéressant est la chapelle Notre-Dame ou des Macchabées accolée à
la cathédrale Saint-Pierre, terminée avant 1406, bel exemple de gothique tardif. Elle avait été
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fondée par le cardinal Jean de Brogny, originaire du diocèse et évêque de Genève, de 1423
à 1426.
A la Réforme, d'innombrables sculptures et peintures religieuses furent détruites. La célèbre
"Pêche miraculeuse", de Konrad Witz - gloire du Musée d'Art et d'histoire de Genève - est
une des seules œuvres conservée.
La maison de Savoie
Au XIV e siècle, la Savoie avait occupé le Faucigny et le Pays de Gex: Genève était presque
cernée. Elle l'est complètement en 1401 quand le comte de Savoie Amédée VIII, après la
mort du dernier comte de Genève, se fait adjuger son héritage. Cet encerclement renforce la
pression des princes savoyards sur Genève. Ils tâchent d'en obtenir la possession complète.
Aux XIV e et XV e siècles, ils se contentent de moyens diplomatiques en tentant de se faire
céder par le pape la seigneurie de Genève, terre d'Eglise puisqu'elle appartient à un évêque.
Ces projets furent annihilés par les évêques et la commune, qui parvinrent à convaincre les
souverains pontifes de leur désir de ne rien changer à leur statut politique.
Le péril savoyard
Le péril savoyard va prendre une autre forme à la suite de circonstances insolites. En 1416,
l'empereur Sigismond avait accordé à Amédée VIII le titre de duc, qui correspondait à la
grandeur qu'avait atteinte l'Etat savoyard. Ce premier duc se retira en 1434 dans la maison
religieuse qu'il avait fondée à Ripaille, près de Thonon.
Le concile de Bâle (1431-1449), en lutte avec le pape, élut l'ex-duc comme pape dissident en
1439 ; Amédée de Savoie devint Félix V. En 1444, il s'attribua l'évêché de Genève, vacant
par la mort de François de Metz. Félix abdiqua la papauté en 1449, non sans avoir reçu du
pape Nicolas V un privilège permettant aux ducs de Savoie de désigner dorénavant les
évêques dans leur Etat, y compris à Genève.
En conséquence, de 1451 à la Réforme, cinq des évêques et seigneurs de Genève furent
des membres de la maison de Savoie. Les quatre autres étaient issus de familles nobles
vassales des ducs.
Selon les apparences, le sort de Genève paraît réglé. Quand un duc le jugera bon, il
écartera l'évêque et l'incorporera à son Etat. Cette évolution paraît d'autant plus probable
que la commune résistante du premier XV e siècle est devenue collaborationniste, malgré
quelques sursauts. Les familles dirigeantes entretiennent des liens étroits avec la Savoie.
Parfois même, des mariages les unissent à la noblesse du duché. La politique des autorités
communales à l'égard de la Savoie est illustrée par une déclaration du syndic Pierre Braset,
en 1482, à des ambassadeurs suisses: « Les syndics, citoyens et bourgeois ont à obéir aux
ordres du duc, auquel ils ne veulent déplaire en aucune manière ».
Genève et les suisses
L'aide des cantons suisses de Fribourg et Berne
Au moment où la liberté semblait perdue, Genève sera sauvée grâce à l'aide de deux
cantons suisses, Fribourg et Berne. A l'origine, les relations de Genève avec les Suisses
furent étroitement liées aux foires. Leur succès profita aux villes du Plateau suisse, qui
écoulaient leurs produits sur l'ample marché genevois. Tel était le cas des Fribourgeois, gros
producteurs d'étoffes de laine. La circulation des hommes et des marchandises résultant des
foires était aussi avantageuse pour les cantons.
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D'autre part, les deux cantons les plus à l'Ouest, Fribourg et Berne, admettaient mal la
présence savoyarde dans le Pays de Vaud. Berne, qui poursuivait une politique territoriale
ambitieuse, prit comme objectif la conquête du Plateau jusqu'à sa frontière naturelle du côté
sud-ouest, le bassin de Genève.
Durant les guerres de Bourgogne
Les guerres de Bourgogne furent la première étape de cette poussée. La Savoie, alliée de
Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, fut victime des hostilités déclenchées en 1474.
Comme Genève avait alors pour évêque Jean-Louis de Savoie, elle fut considérée comme
ennemie par les Confédérés, qui avaient occupé le Pays de Vaud et s'apprêtaient à
l'attaquer. Gagnée par la peur qu'inspiraient les terribles guerriers suisses, la ville leur
dépêcha des envoyés afin de les détourner de leur dessein. Les Confédérés renoncèrent à
l'assaillir, mais au prix d'une énorme rançon.
La guerre finie, l'évêque Jean-Louis rechercha l'amitié des cantons suisses. Il conclut une
alliance, ou combourgeoisie, avec Berne et Fribourg, en 1477. La combourgeoisie n'était que
temporaire et s'éteignit en 1482 à la mort de Jean-Louis. Elle constitue le premier acte officiel
scellé entre Genève et des cantons.
C'était aussi le signe que Fribourg et Berne avaient reconnu l'importance stratégique de
Genève pour leur sécurité. Une expression frappante prononcée pour la première fois en
1476 énonce bien cette idée: « Genève, clef de la Suisse ». Elle sera souvent employée par
la suite comme argument pour faire entrer la ville dans la Confédération suisse.
La révolution du premier tiers du XVIe siècle
Les événements du premier tiers du XVI e siècle font de cette période une phase capitale de
l'histoire de Genève. Son avenir s'y joua: la ville échappa à la Savoie, elle s'organisa en
république indépendante de tout seigneur, elle adopta la Réforme.
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L’époque moderne
La résistance contre la Savoie
Charles II
Charles II, duc de Savoie en 1504, réalise l'unification de son Etat en supprimant les
particularismes locaux, si nombreux au Moyen Age. Moins encore que ses ancêtres, il ne
peut tolérer la situation de Genève. Son but sera de faire passer sous sa souveraineté cet
îlot resté autonome, au moins en droit. Cette annexion aurait été normale, en quelque sorte.
A cette époque, beaucoup de villes-Etats semblables à Genève perdent leur autonomie.
Elles sont absorbées par les Etats centralisateurs modernes. Genève, elle, sauvera sa
liberté.
Le détail des agressions commises par Charles Il est trop long à raconter. L'important, c'est
que la passivité pro-savoyarde de la commune est secouée par des hommes courageux qui
se battront pour une Genève libre. Qui sont-ils ? Beaucoup sont des Genevois de toute
fraîche date. Le chef de la résistance est Besançon Hugues ; son père ne s'est fixé à
Genève qu'après 1470. Le héros martyr Philibert Berthelier était né à Virieu-le-Grand, dans
le Bugey savoyard. Le premier en date des résistants, le syndic Pierre Lévrier, était né en
Savoie. Ils se distinguent aussi par leur rang social. La classe dirigeant la commune est une
aristocratie bourgeoise. Les défenseurs de l'autonomie appartiennent à la classe moyenne
des marchands et des artisans.
Ils refusent l'absorption dans la monarchie savoyarde au nom d'un idéal républicain. Cette
forme d'Etat leur garantit la participation politique comme citoyens, condition supérieure à
celle de sujets d'un royaume ou d'une seigneurie. Tout naturellement, leurs sympathies les
rapprochent des Suisses, avec lesquels certains sont en rapport d'affaires. Dans les cantons
fleurit la liberté à laquelle ils aspirent. C'est auprès d'eux qu'ils chercheront l'aide
indispensable. Seuls, ils le savent bien, ils succomberont devant la puissance ducale. « Si le
duc veut nous attaquer, faisons-nous Suisses et changeons notre ville en un canton de leur
pays», dira Philibert Berthelier.
Une Genève libre
Le détail des agressions commises par Charles Il est trop long à raconter. L'important, c'est
que la passivité pro-savoyarde de la commune est secouée par des hommes courageux qui
se battront pour une Genève libre. Qui sont-ils ? Beaucoup sont des Genevois de toute
fraîche date. Le chef de la résistance est Besançon Hugues ; son père ne s'est fixé à
Genève qu'après 1470. Le héros martyr Philibert Berthelier était né à Virieu-le-Grand, dans
le Bugey savoyard. Le premier en date des résistants, le syndic Pierre Lévrier, était né en
Savoie. Ils se distinguent aussi par leur rang social. La classe dirigeant la commune est une
aristocratie bourgeoise. Les défenseurs de l'autonomie appartiennent à la classe moyenne
des marchands et des artisans.
Ils refusent l'absorption dans la monarchie savoyarde au nom d'un idéal républicain. Cette
forme d'Etat leur garantit la participation politique comme citoyens, condition supérieure à
celle de sujets d'un royaume ou d'une seigneurie. Tout naturellement, leurs sympathies les
rapprochent des Suisses, avec lesquels certains sont en rapport d'affaires. Dans les cantons
fleurit la liberté à laquelle ils aspirent. C'est auprès d'eux qu'ils chercheront l'aide
indispensable. Seuls, ils le savent bien, ils succomberont devant la puissance ducale. « Si le
duc veut nous attaquer, faisons-nous Suisses et changeons notre ville en un canton de leur
pays», dira Philibert Berthelier.
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L'alliance avec les Confédérés
Un premier pas est accompli en 1519. Une combourgeoisie avec Fribourg est acceptée par
le Conseil général. Charles Il réagit. Il presse les cantons de faire annuler la combourgeoisie.
« Les Genevois sont mes sujets, prétend le duc, et ils n'ont pas le droit de conclure des
traités ». Fribourg s'incline. Charles Il veut faire sentir sa force aux rebelles. Il occupe
Genève avec une armée. L'évêque Jean de Savoie, son cousin, ordonne l'arrestation et
l'exécution de Berthelier, qui est décapité le 23 août 1519 devant le château de l'Ile.
A présent, deux camps ennemis s'affrontent: d'un côté, les Eidguenots, partisans de la
liberté et de l'alliance avec les Confédérés (Eidgenossen), de l'autre, ceux que les
Eidguenots désignent par le sobriquet injurieux de Mammelus, tenants de la Savoie, traîtres
à leur patrie comme les mamelouks, chrétiens passés à l'islam, étaient traîtres à la foi
chrétienne. Disputes et bagarres mettent la ville en effervescence.
Les Mammelus
De 1519 à 1525, les Mammelus l'emportent dans les conseils. Pour leur part, les Eidguenots
continuent leur propagande en faveur de l'indépendance et de l'alliance suisse. Les
Mammelus usent de l'argument pacifiste: «N'aimeriez-vous pas mieux être à Monseigneur le
duc, qui est si bon prince, plutôt qu'aux Suisses, qui ne sont que canailles et contraignent les
gens à aller à la guerre ?»
Les Mammelus triomphent: le 10 décembre 1525, lors du Conseil général dit des
Hallebardes (parce que des hallebardiers savoyards surveillent l'assemblée), les citoyens
sont obligés de reconnaître Charles Il comme « leur protecteur en souveraine protection ».
C'est l'annexion, déguisée en protectorat.
La combourgeoisie de 1526
La combourgeoisie avec Berne et Fribourg
Trop confiant, Charles Il a quitté Genève tôt après le Conseil des Hallebardes, sûr que son
rêve est réalisé. Il ne se doute pas qu'aucun duc de Savoie ne remettra jamais plus le pied à
Genève. Par un extraordinaire coup de théâtre, en quelques semaines, le cours des
événements se renverse et la liberté de la cité est définitivement établie grâce à un pacte
avec Fribourg et Berne.
Comment s'explique ce revirement ? En automne 1525, les principaux Eidguenots craignant
pour leur vie avaient fui à Fribourg et entamé des pourparlers avec les autorités de cette cité
pour conclure un nouveau traité. Ils y parvinrent. Surtout, ils réussirent à convaincre Berne
de se joindre à Fribourg. Jusque-là, la puissante république avait hésité à soutenir Genève.
Elle était retenue par sa diplomatie, dont l'amitié avec la France était la base. Or la Savoie
était l'alliée du roi François I, en guerre avec l'empereur Charles Quint. Placée dans le même
camp que le duc, Berne n'osait rien entreprendre contre lui de peur de mécontenter la
France. Mais, en 1525, le duc se rangea du côté de l'empereur. Berne n'avait plus à le
ménager, elle pouvait se lier à Genève.
En février 1526, la combourgeoisie entre Genève, Berne et Fribourg est scellée ; elle est
confirmée par le Conseil général le 25 février. Le lendemain, les familles prosavoyardes
commencent à émigrer. Le contenu du pacte est simple. Il s'agit d'un traité d'assistance
mutuelle. Si l'une des villes est attaquée, les deux autres doivent lui porter secours. La
portée de la combourgeoisie de 1526 est immense. Sans elle, Genève serait devenue
savoyarde. Elle n'aurait pas accueilli la Réforme et Calvin ; ville de second ordre, elle aurait
vivoté à l'arrière-plan de l'histoire.
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Le pouvoir à la commune
La sécurité extérieure assurée, l'aile la plus énergique des Eidguenots vainqueurs, ceux
qu'on nomme les «communautaires», dépossède le prince-évêque des droits qui lui restent:
il régnera, mais ne gouvernera pas. La combourgeoisie était déjà un acte de rébellion, la
politique étrangère étant du ressort du seigneur. Dès 1527, la commune administre la justice
civile ; on se souvient qu'elle détenait la justice pénale au moins depuis 1364.
Quelle fût la réaction de l'évêque, qui était, depuis 1522, Pierre de La Baume, membre d'une
grande famille noble vassale de la Savoie ? Il eût fallu un homme d'Etat exceptionnel pour
faire face à une situation aussi épineuse. La Baume se bornera à des protestations verbales
ou à des admonestations comme dans cette lettre de 1532 où se lit le mépris du noble pour
les bourgeois: « Je pense que vous croyez être les princes. Contentez-vous d'être ce que
vous étiez et de vivre comme vos parents, qui étaient de bons marchands ! »
Le conseil des deux-cent
Dans le cours de 1526, année décisive, apparaît un nouvel organe, le Conseil des DeuxCents. Cette assemblée est l'ancêtre du Grand Conseil genevois comme le Petit Conseil est
celui du Conseil d'Etat.
Les contemporains ne nous ont pas laissé d'explication de cette création. A Berne et à
Fribourg, l'assemblée générale des citoyens avait perdu ses pouvoirs, transférés à un Grand
Conseil de deux cents membres. L'imitation de ce modèle helvétique joua certainement.
Mais le nouveau conseil n'abolit pas le Conseil général, bien qu'il lui retire une partie de son
influence.
Dès l'origine, les membres des Deux-Cents furent choisis par les syndics et le Petit Conseil.
A partir de 1530, le Conseil des Deux-Cents estima qu'il ne fallait pas laisser les syndics élire
seuls leurs conseillers ; il s'attribua le choix des membres du Petit Conseil. Cette cooptation
réciproque des deux conseils resta une des bases de la constitution
Les débuts de la réforme
Les mobiles de la conversion
Dès 1526, des marchands allemands propagent les idées de la Réforme intitiée par Martin
Luther parmi quelques commerçants genevois. Pendant longtemps, les adeptes de la
nouvelle foi protestante restent peu nombreux. Au commencement des années 1530, le
courant se développe sous l'influence de prédicateurs de talent, dont Guillaume Farel. Ce
Dauphinois peut exercer ses capacités de convertisseur grâce à la protection des Bernois,
qui ont adopté la Réforme en 1528. Il devient leur missionnaire en terre romande. Le jour de
l'an 1533, les réformés sortent de la clandestinité et organisent un sermon public prêché sur
la place du Molard par Antoine Froment. Durant cette même année, la majorité de la classe
dirigeante passera à la Réforme.
Les raisons de cette conversion sont complexes. Mettons en tête les motifs religieux. Depuis
le XV e siècle, la bourgeoisie des villes acceptait de plus en plus mal l'Eglise romaine qui
tardait à corriger des abus dénoncés depuis longtemps. L'enseignement de Martin Luther
correspondait mieux à ses aspirations religieuses, de même qu'à ses intérêts matériels.
Souvent, seule la réaction vigoureuse des autorités municipales ou des princes voisins
permit au catholicisme de se maintenir dans les villes. Sinon, les esprits des citadins se
laissaient assez facilement convaincre de la justesse de la foi nouvelle.
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Fréquemment, des raisons politiques renforcèrent les motifs religieux. Genève en offre un
bon exemple. Après 1526, Charles Il cherche à reconquérir la ville. En 1528, ses vassaux,
les gentilshommes dits de la Cuiller, la bloquent et ravagent les environs. En 1530, une
armée savoyarde va donner l'assaut ; des soldats bernois, fribourgeois et soleurois
accourent à l'aide. Charles doit négocier. Un traité l'oblige à mettre en gage le Pays de Vaud
; s'il attaque de nouveau Genève, Berne et Fribourg auront le droit de l'occuper. Mais toutes
sortes d'escarmouches prouvent qu'il n'a nullement renoncé à Genève. Par mesure de
sécurité, les autorités firent raser les faubourgs qui s'étaient développés hors des remparts et
facilitaient les infiltrations ennemies.
D'autre part, le duc reste inébranlablement attaché à la foi catholique. Il pourchasse les
réformés dans son Etat. Tout naturellement, une association se produit dans l'esprit des
Genevois entre l'ennemi politique qu'est Charles Il et sa défense du catholicisme. La haine
dont il est l'objet se reporte aussi sur sa religion. La cause de la liberté politique et celle de la
Réforme se confondent.
L'attitude de l'évêque pousse à la même réaction, car, après des atermoiements, il s'est
rangé du côté du duc. En juillet 1533, il réapparaît après une longue absence. Si les
catholiques espèrent beaucoup de sa présence pour résister au courant réformé, ils sont
déçus cruellement. Apeuré, Pierre de La Baume s'enfuit au bout de quinze jours ; il ne
rentrera plus. L'année suivante, les Conseils proclament vacant le siège de l'évêque et
frappent des monnaies à leur nom. Cela signifie qu'ils se considèrent comme souverains: les
autorités communales se sont élevées au rang de gouvernement d'un Etat.
Le choix à opérer entre Fribourg et Berne
Une seconde cause politique du changement de religion fut le choix à opérer entre Fribourg
et Berne. Les Fribourgeois défendent l'ancien culte et incitent les magistrats à proscrire les
prêcheurs réformés, à qui Berne exige qu'on laisse la pleine liberté d'expression. La raison
politique imposait d'opter pour Berne, infiniment plus puissante, et de laisser libre cours à la
propagande protestante. Aussi les Fribourgeois dénoncèrent-ils la combourgeoisie en mars
1534.
Durant cette année 1534, la plus grande partie de la population adhère à la Réforme. Le 10
août 1535, le Conseil des Deux-Cents suspend la messe. C'est le signe du passage de
Genève à la Réforme. Les catholiques émigrent ou se terrent ; ils n'ont plus d'existence
légale. Ils seront tolérés, petit à petit, au XVIIe et, plus encore, au XVIIIe siècle à mesure que
l'économie genevoise réclamera davantage de main-d'œuvre. Le plus souvent, ils exerceront
les tâches les plus humbles, seront domestiques ou manœuvres.
Le 21 mai 1536, le Conseil général confirme l'adoption de la Réforme, mais cette ratification
est de pure forme ; à cette date, il était hors de question de revenir en arrière.
La Savoie éliminée et le territoire de Genève
La fin du cauchemar savoyard
L'année 1536 reste néanmoins fameuse. Tout d'abord, elle supprime le cauchemar
savoyard. En 1535, la ville est menacée, une fois de plus. On appelle Berne à la rescousse.
Le 16 janvier 1536, elle déclare la guerre à Charles Il. Une campagne éclair lui livre le Pays
de Vaud, le Pays de Gex, une partie de l'ancien comté de Genève, le Chablais jusqu'à la
Dranse. La Réforme est introduite dans ces conquêtes.
Genève avait été sauvée grâce aux Bernois, qui prièrent les Genevois de bien vouloir les
accepter comme souverains. Les Conseils répondirent qu'ils n'avaient pas combattu pendant
vingt ans pour devenir les sujets de qui que ce soit! Berne n'insista pas.
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De son côté, la France avait attaqué la Savoie et occupé le reste du duché. L'Etat savoyard
avait cessé d'exister, sauf un lambeau dans le Piémont, la vallée d'Aoste et Nice. Genève
respirait. Elle avait devant elle près de cinquante ans de paix pour organiser la république
protestante qui avait remplacé la principauté épiscopale.
Le territoire de la République de Genève
Le territoire genevois est composé des anciennes possessions ecclésiastiques, qui ont été
nationalisées. En tête, figurent les terres de l'évêque: la ville de Genève, sa banlieue, les
mandements de Peney et de Jussy ; l'opposition de la France prive Genève du mandement
de Sallaz. La République genevoise reprend encore les terres détenues par le chapitre
cathédral et le prieuré de Saint-Victor. Ce territoire rural est exigu, morcelé et enclavé dans
des possessions étrangères.
La condition des paysans, sujets de la République, reste inchangée. ils demeurent sous la
domination seigneuriale, incarnée non plus par le clergé, mais par le gouvernement de la
ville. Le servage pesant sur certaines familles survivra jusqu'à l'abolition du régime féodal par
la Révolution. Une partie des biens ecclésiastiques servit à financer l'assistance publique,
réorganisée avec la fondation de l'Hôpital général en 1535.
Calvin et la « Rome protestante »
Jean Calvin
En juillet 1536, fait étape à Genève un Picard de vingt-sept ans, Jean Calvin, auteur déjà
célèbre de « l'Institution chrétienne », l'une des grandes œuvres théologiques du
christianisme. Guillaume Farel parvient à le retenir pour l'aider à consolider la Réforme et à
transformer Genève en une cité vivant selon l'Evangile. C'est un moment mémorable. Calvin
fera la gloire de Genève en l'élevant au rang de «Rome protestante».
Son action fut immense et s'étendit à tous les domaines: religion, culture, politique,
économie. il est faux de voir en lui un dictateur qui s'impose par la force. Sa seule fonction
officielle est la présidence de la Compagnie des pasteurs. Il n'occupe aucune charge
politique.
Mais son génie est tel que les magistrats recourent à ses lumières à tout propos. Les
occasions ne manquent pas en ces temps difficiles où il s'agit de reconstruire un Etat sur des
bases nouvelles. Il rédige pour l'essentiel les Edits civils de 1543, qui servent de constitution
à la République, tâche à laquelle sa formation de juriste le rend mieux apte que les membres
du gouvernement, dont aucun n'a fait d'études universitaires. En 1541, il avait déjà composé
les Ordonnances ecclésiastiques, lois constitutives de l'Eglise. Ainsi, tant dans le domaine
religieux que dans le domaine politique, Calvin fut le législateur de la Genève de l'Ancien
Régime.
Jusqu'en 1555, Jean Calvin rencontra des adversaires farouches. Il ne s'agit pas de
catholiques, il n'y en a plus ou bien ils se cachent. Ce sont plutôt des familles notables qui
avaient été parmi les premières à se convertir et les plus empressées à accueillir le
réformateur. Elles le rejetteront peu à peu.
Leur animosité provient d'abord de la place que Calvin fixe à l'Eglise et à ses représentants,
les pasteurs. Alors que dans les autres cantons gagnés par la Réforme l'Eglise entre dans la
dépendance de l'Etat, Calvin veut instituer un équilibre entre le pouvoir ecclésiastique et le
pouvoir politique.
En second lieu, Calvin lutte pour une discipline de vie sévère, moralité et religion étant
étroitement associées. Les mœurs doivent être surveillées de près, le luxe réprimé. Un
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tribunal, le Consistoire, comprenant des pasteurs et des laïcs, est chargé de punir les
infractions.
Dans les principes, rien de nouveau. L'Antiquité, le Moyen Age ont connu des prescriptions
morales et des lois destinées à combattre le luxe, vestimentaire par exemple. La différence
réside dans l'application. Ailleurs, si la règle est stricte, la pratique l'est beaucoup moins. A
Genève, sous l'impulsion de Calvin, on s'efforcera de faire coïncider, le mieux possible, la loi
et la répression. Cette volonté suscitera «un despotisme pesant sur la vie privée ». Les
rebelles à la discipline sont semoncés ou excommuniés par le Consistoire, à quoi s'ajoutent
souvent des sanctions pénales infligées par le Petit Conseil. Des membres de familles
connues sont condamnés, ce qu'elles n'apprécient guère.
Xénophobie contre les réfugiés
A partir de 1550, Genève accueille des protestants qui s'exilent de France et d'Italie à
mesure que croissent, dans ces pays, les persécutions dont ils sont victimes. Un flot humain
se déverse sur Genève. Le déclin économique avait ramené la population à dix mille
habitants. En 1560, soit en dix ans, ce nombre a doublé: on atteint les vingt mille âmes. Les
vieux Genevois sont mécontents et vitupèrent contre ces "chiens de Français». Les ennemis
de Calvin, nombreux dans les charges publiques, sont particulièrement furieux contre cet
envahissement qui menace, à long terme, leurs privilèges.
Pour toutes les raisons énumérées, une bonne partie de la classe dirigeante entretient une
opposition plus ou moins ouverte. En 1555, le Conseil général choisit pour syndics quatre
partisans de Calvin. Un faux pas de ses adversaires, qui fomentent une émeute, permet aux
Conseils d'agir contre ces hommes coupables de trahison. Quelques-uns sont exécutés,
d'autres s'enfuient. Pendant les neuf ans qui lui restent à vivre, Calvin aura un pouvoir civil
ami à ses côtés.
L'exécution de Michel Servet
L'année 1553 est célèbre par le grand crime, tant reproché à Calvin, la mort de Michel
Servet, brûlé à Champel. Il faut observer que Michel Servet, en niant le dogme de la Trinité,
s'était rendu haïssable à toutes les Eglises. Il avait déjà été condamné à mort par l'Inquisition
catholique et n'avait échappé au châtiment que par une évasion.
A Genève, il fut puni de mort par une sentence du Petit Conseil, seul capable d'émettre des
sentences criminelles. Certes, Calvin et les autres pasteurs de Genève avaient été consultés
et avaient donné un préavis de mort, de même que les Eglises protestantes de Suisse,
interrogées elles aussi. Servet fut une des seules victimes, à Genève, de ses opinions
religieuses ; aucun catholique n'y fut jamais exécuté pour avoir professé sa foi.
Développement culturel et relance économique
Le développement culturel
Le XVI e siècle genevois est d'essence religieuse. La religion règle les valeurs et les
comportements. Le réveil économique même dépend d'elle indirectement. Quant à la culture,
elle reçoit un élan très vif. La Genève du Moyen Age n'avait eu qu'une vie intellectuelle
pauvre, la Réforme en fait une ville savante.
Les deux fondements du renouveau culturel, le Collège et l'Académie, sont érigés par Calvin
en 1559. Le premier recteur de l'Académie est Théodore de Bèze, qui succédera à Calvin à
la présidence de la Compagnie des pasteurs.
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La Réforme propage aussi l'instruction élémentaire ; le taux d'alphabétisation des Genevois
et des Genevoises sera toujours plus élevé que chez leurs voisins catholiques.
La relance économique
La religion relance l'économie par l'intermédiaire des réfugiés. Ce n'est pas la quantité des
immigrés qui importe. La plupart des Français ne résident que temporairement, soit qu'ils
regagnent leur patrie lors du ralentissement des persécutions ou qu'ils se rendent dans
d'autres lieux d'accueil. La Saint-Barthélemy apporte un nouvel afflux en 1572, momentané
lui aussi. Finalement, dans les dernières années du siècle, quand le protestantisme est
toléré en France, la population de Genève ne dépasse pas treize mille ou quatorze mille
âmes.
Si le refuge du XVI e siècle eut des conséquences modestes en quantité, en qualité son
influence fut primordiale. Ces nouveaux venus, ne serait-ce que parce qu'ils ont quitté leur
patrie pour garder leur foi, font partie d'une élite intellectuelle et morale, qu'ils soient savants
de profession, hommes d'affaires ou travailleurs manuels. Outre son développement culturel,
Genève leur dut sa renaissance économique.
L'économie
L'économie, affaiblie à la fin du XV e siècle, avait continué à se dégrader dans la première
moitié du XVI e . Les réfugiés ramènent Genève dans les circuits économiques
internationaux. On trouve parmi eux des capitalistes, notamment dans la petite colonie
italienne, mais les marchands banquiers français ne sont pas absents. Ces gens apportent
de l'argent, de l'expérience, des relations avec les milieux d'affaires étrangers.
Grâce à eux naît pour la première fois à Genève une industrie travaillant pour l'exportation.
Cette industrie exportatrice prospéra rapidement, Surgie après le milieu du XVIe siècle, elle
occupera plus de 50 % de la population active à la fin du siècle suivant.
L'imprimerie
L'imprimerie fut la première branche à s'affirmer. Importée en 1478, elle n'avait eu jusqu'alors
qu'une portée régionale ; les réfugiés lui donnent un rayonnement international. Produisant
avant tout des œuvres religieuses, elle est à la jonction du spirituel et de l'économique ; avec
ses livres, Genève, à la fois, répand les idées réformées et gagne de l'argent. En 1560,
l'imprimerie sera le premier métier à être organisé en corporation, suivie peu à peu par
d'autres professions. Jusqu'à cette date, la ville n'avait pas connu ces associations d'artisans
groupés en vue de réglementer leur métier et de défendre leurs intérêts, sous le patronage
des autorités.
A la fin du XVI e siècle, la production du livre s'étiole. Elle cède la première place au travail
de la soie. En 1600, Genève est une des capitales de la soierie. Dans ce secteur, les Italiens
sont les maîtres. Le plus riche des Genevois, François Turrettini, tire de la soie le plus gros
de sa fortune. Il fit construire, en 1620, la belle maison du No 8 de la rue de l'Hôtel-de-Ville.
Turrettini est aussi banquier et négociant, car Genève est redevenue un centre commercial
animé par les ventes de la production locale et par la redistribution d'importations étrangères.
Des quantités de marchandises arrivent et repartent: textiles d'origines diverses, métaux
venus principalement d'Allemagne, sel de Provence, sucre, épices, etc. Ce rôle de relais ira
en grandissant pendant tout l'Ancien Régime.
La classe industrielle et commerçante
Au tournant des XVI e et XVII e siècles, la classe industrielle et commerçante genevoise fait
bonne figure parmi les bourgeoisies d'affaires européennes. Dans ses coffres, les capitaux
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s'accumulent. La vie des travailleurs est rude. Les horaires varient entre douze et quatorze
heures par jour, six jours par semaine, sans autre interruption que le dimanche ; dans la
Genève calviniste, toutes les fêtes religieuses chômées, y compris Noël, ont été abolies. De
ce fait, la productivité est plus grande que dans les villes catholiques avec leurs nombreux
jours de fête obligatoirement chômés. Quant aux salaires réels, ils baissent partout en raison
de la forte montée des prix qui distingue le XVI e siècle.
Le monde ouvrier
Le monde ouvrier du Moyen Age et de l'Ancien Régime englobe beaucoup de femmes,
qu'elles soient seules ou mariées, car le salaire du mari est souvent trop faible pour faire
vivre une famille et rend indispensable l'apport de celui de l'épouse et, souvent, des enfants.
Faute d'autres possibilités, il n'est pas rare que les femmes participent à des travaux de
force, tels les terrassements. Dans tous les cas, leur rémunération est bien moindre que
celle des hommes.
Dans les périodes de crise, maints salariés, maints artisans tombent dans la classe des
nécessiteux assistés habituellement par l'Hôpital général ou les organes appelés Bourses
quand les secours sont demandés par des étrangers.
La réforme à Genève
La présence de Calvin va avoir un impact durable dans la cité lémanique et bien au-delà, et
la théocratie qu’il tente d’instaurer ne laisse personne indifférent, que l’on apprécie ou non
son idéal de faire de Genève la nouvelle « ville sainte ».
Sous Calvin, la cité change radicalement, à cause bien sûr de la nouvelle forme de
gouvernement qu’il y introduit, mais aussi, et surtout, de l’afflux massif de protestants
français, italiens, néerlandais et anglais qui fuient les persécutions dont ils sont l’objet dans
le reste de l’Europe. Ces nouveaux venus tendent tout naturellement à soutenir Calvin, ce
qui déplait à la bourgeoisie locale qui craint pour son pouvoir et son influence. En 1555, une
rébellion contre les réfugiés est réprimée et permet à Calvin d’asseoir solidement son
autorité.
Les réfugiés les plus fidèles sont formés à l’exercice du ministère afin d’aller répandre la
doctrine de Calvin dans d’autres contrées. Parmi ces disciples, on citera John Knox qui, de
retour dans son pays d’origine, y fondera l’Église d’Écosse.
Il y a, parmi ces réfugiés, une grande concentration d’imprimeurs et d’éditeurs qui
contribuent aussi à l’essor de la nouvelle religion en imprimant les textes bibliques et les
traités de théologie. De plus, l’Académie fondée en 1559 attire un grand nombre de
professeurs et d’étudiants étrangers à Genève.
Les persécutions religieuses font aussi converger de nombreux artisans vers la cité de
Calvin, notamment des banquiers qui vont contribuer au développement de la ville.
Parmi les opposants les plus acharnés à la ville, la Maison de Savoie cherche régulièrement
à faire valoir ses prétentions territoriales. Le duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie tente un
dernier coup de main pour reprendre Genève en 1602, mais la garde donne l’alerte et les
Genevois repoussent l’assaillant qui cherche à franchir les murs de la ville à l’aide de
grandes échelles, d’où le nom de « L’Escalade » donné à cet épisode.
Suite à cette défaite, le duc de Savoie est contraint de signer le Traité de Saint-Julien (1603)
par lequel il renonce définitivement à Genève.
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La guerre de 1589 et l’Escalade
Réapparition de la menace savoyarde
Les transformations religieuses et politiques et l'économie avaient eu la chance de profiter
d'une cinquantaine d'années de paix. En 1559, l'Etat savoyard est reconstitué. En 1564, par
le Traité de Lausanne, les Bernois, pour conserver le Pays de Vaud, durent rendre toutes
leurs autres conquêtes à la Savoie. Redevenues savoyardes, ces terres retournèrent peu à
peu au catholicisme. Genève est à nouveau encerclée et séparée de la plus grosse partie de
son arrière-pays par une frontière politique renforcée d'une barrière religieuse.
Le rénovateur de la Savoie, le duc Emmanuel-Philibert, n'attaque pas, mais son fils, CharlesEmmanuel, sera aussi redoutable que Charles II, son grand-père. Dès son avènement, en
1580, les agressions se multiplient, Pour se prémunir, Genève s'appuie sur l'alliance
bernoise.
En 1579, Berne s'associe à la France et à Soleure dans un traité destiné à protéger Genève.
Le 30 août 1584, Zurich, conjointement avec Berne, s'allie à Genève par un pacte
d'assistance. L'alliance avec Berne et Zurich restera le seul lien de la ville avec la Suisse
jusqu'au XIXe siècle. Des efforts opérés à plusieurs reprises pour étendre cette alliance ou
pour faire de Genève un canton échoueront devant la résistance des cantons catholiques.
La guerre de 1589
Les vexations savoyardes poussèrent à bout les Genevois. Ils prirent l'initiative d'une guerre
en avril 1589. Aidés par des renforts français et bernois, ils remportèrent d'abord des
victoires. Une contre-offensive des Savoyards fut suivie d'une trêve. Les Genevois se crurent
compris dans des accords passés entre la Savoie et la France.
L'Escalade de 1602
Les Genevois furent brutalement détrompés par l'Escalade du 11 décembre 1602, attaque
nocturne par laquelle le duc Charles-Emmanuel espérait enfin s'emparer de Genève. Son
entreprise échoua et cette victoire des Genevois est restée le souvenir le plus vivant de leur
histoire. C'était une victoire nationale, c'était aussi une victoire de la liberté républicaine
contre l'assujettissement monarchique. Victoire d'hommes, certes ; pourtant seules deux
combattantes ont transmis leur nom à la mémoire populaire, dame Royaume et dame
Piaget.
La première, très célèbre, abattit un assaillant d'un jet de marmite, la plus illustre marmite de
l'histoire puisqu'elle est ressuscitée chaque année sous la forme de milliers d'exemplaires en
chocolat. La seconde dame résista en entassant les meubles les plus lourds devant la porte
de sa maison, qui faisait partie de l'enceinte protégeant la ville du côté de la Corraterie.
Dans le Traité de Saint-Julien signé en 1603, le duc de Savoie reconnaissait l'indépendance
de Genève. Celle-ci pouvait bénéficier d'une protection plus active de la France, sa voisine,
depuis que Charles-Emmanuel avait été contraint de céder le Pays de Gex au roi Henri IV en
1601.
Pendant quelques années, Charles-Emmanuel échafauda encore des plans contre Genève,
de plus en plus chimériques à mesure que lui-même et ses successeurs tournaient
davantage leurs intérêts vers la politique italienne. N'empêche que pendant presque tout le
XVIIe siècle, les Genevois vécurent dans la peur d'une nouvelle attaque. Ils améliorèrent leur
enceinte fortifiée, déjà refaite dans la seconde moitié du XVI e siècle. Pour ces travaux,
Genève reçut des fonds de l'Europe protestante, manifestation de la sympathie
internationale dont elle jouissait.
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Le XVIIème et la révocation de l’Edit de Nantes
La conjoncture au XVIIe siècle
Genève traverse une crise qui dure de 1610 à 1640. Elle est touchée par des épidémies de
peste, les dernières qu'elle subira. Le commerce avec l'étranger baisse, l'industrie est en
régression. La principale activité, la soierie, s'éteint ; dans ce domaine, comme pour les
foires au XVe siècle, Genève est supplantée par Lyon.
Vers 1650, la conjoncture se redresse. Le commerce reprend dans des proportions jamais
connues. La passementerie et la dorure utilisées pour les vêtements chamarrés du temps
remplacent la soierie. C'est alors que passent au-devant de la scène l'horlogerie et les
métiers d'art qui lui sont associés: l'orfèvrerie, la bijouterie, la gravure, l'émail. Les montres
portatives avaient été inventées au début du XVIe.
La révocation de l'Edit de Nantes : un second refuge
Les difficultés sont accrues par une nouvelle vague de réfugiés. En 1598, l'Edit de Nantes
légalisait l'existence des protestants en France. Louis XIV l'abroge en 1685. La Révocation
de l'Edit de Nantes met le protestantisme hors la loi et contraint à l'exil ceux qui ne veulent
pas abjurer. Des milliers de réfugiés arrivent à Genève. La ville ne peut les retenir tous. La
plupart s'en vont en Suisse ou en Allemagne.
Néanmoins, beaucoup s'installent. De 16'000 habitants en 1690, la population s'élève à près
de 19'000 en 1710. La majorité des réfugiés sont originaires du Languedoc, des Cévennes et
du Dauphiné. L'apport démographique du premier refuge avait été faible parce qu'il survenait
à un moment où l'économie genevoise était encore incapable de procurer du travail aux
émigrés. Lors du second refuge, malgré des disettes, l'économie est en plein essor et il est
possible à plusieurs milliers d'arrivants de trouver un emploi.
Les Genevois s'efforcent d'accueillir le mieux possible ces frères en religion. On s'entasse
dans les logements existants, on surélève les maisons, on construit dans les cours et les
jardins. Cet effort n'exclut pourtant pas de nouveaux accès de xénophobie. En 1696, plus de
deux cents marchands et artisans se plaignent, dans une pétition, de la facilité avec laquelle
le gouvernement admet les Français. Ce texte hostile leur attribue bien des défauts: ces
Méridionaux sont trop remuants, ils se conduisent mal, ils n'ont pas l'esprit civique qui
convient à une république, ils acculent à la ruine les commerçants et les artisans indigènes
par des pratiques qu'on juge déshonnêtes. Le gouvernement ramena le calme en formulant
des restrictions à l'exercice du négoce par les étrangers.
L’Aurore des lumières
Le tournant du siècle est marqué par l'apparition en Europe des idées que développera le
siècle appelé des Lumières à cause de son apport à la conception rationnelle du monde et
au progrès de la pensée scientifique. Cette révolution intellectuelle est bien attestée à
Genève.
A l'Académie, Jean-Robert Chouet introduit des expériences dans ses cours de philosophie
et de sciences. En 1705, Jean-Alphonse Turrettini est nommé professeur de théologie ; il
inaugure une doctrine plus tolérante vis-à-vis des divergences d'interprétation et ouverte à
l'esprit critique. En 1708, Jean-Antoine Gautier entreprend d'écrire une histoire de Genève
où la légende n'aura pas place ; à cette fin, il consulte les documents d'archives qu'il
examine avec une critique rigoureuse.
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Ces initiateurs préludent à la brillante contribution des savants genevois à l'histoire des
sciences au XVIII e siècle avec, pour ne citer que les trois plus illustres, les biologistes
Charles Bonnet et Abraham Trembley et le géologue Horace-Bénédict de Saussure.
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L’Epoque Moderne
L’épanouissement économique au XVIIIème
La Fabrique
L'économie du XVIII e siècle est dominée par le triomphe de l'horlogerie et des métiers
annexes regroupés sous le nom général de «Fabrique». Ce terme fait penser aujourd'hui à
une concentration en usine, c'est tout le contraire. Les montres et les bijoux sont
confectionnés dans de petits ateliers artisanaux composés d'une demi-douzaine de
personnes ayant à leur tête un maître. Beaucoup de ces ateliers ont leur siège à SaintGervais, mais il s'en trouve dans tous les autres quartiers, à l'étage supérieur des maisons,
là où la lumière est la meilleure.
Un groupe de maîtres domine les autres, les maîtres marchands. Horlogers, orfèvres ou
bijoutiers, comme tous leurs collègues ils ont travaillé à l'établi et, conformément aux règles
corporatives, exécuté un chef-d'œuvre pour accéder à la maîtrise. Ils se distinguent par la
possession de capitaux suffisants. Ces disponibilités en font les fournisseurs des matières
précieuses qui servent à fabriquer les montres et les autres objets de valeur. D'autre part, un
maître ordinaire n'est pas à même de vendre directement sa production. La Fabrique
travaille pour l'exportation et seuls les maîtres marchands sont capables de commercialiser
ses produits. Ils achètent donc l'ouvrage des autres et le revendent. Bien menée, cette
activité enrichit vite.
Cependant, quelle que soit leur fortune, les maîtres horlogers sont fiers du travail hautement
qualifié qu'ils accomplissent. Ils se considèrent comme l'élite des travailleurs. La bonne
marche des affaires leur accorde des loisirs. Certains lisent beaucoup, non seulement des
romans, mais aussi des ouvrages sérieux: classiques anciens et modernes, historiens,
auteurs politiques et philosophiques.
Les autres activités économiques
Organisée d'une manière très différente de la Fabrique, l'industrie des indiennes, ou des
toiles peintes, prend naissance dans le premier tiers du XVIII e siècle et devient la deuxième
industrie en importance. Elle n'est pas soumise au régime corporatif, qui interdit les grands
ateliers. Au contraire, les indiennes sont produites dans de grandes manufactures.
L'entreprise Fazy, aux Bergues, aurait employé jusqu'à deux mille ouvriers. La plupart sont
des travailleurs étrangers non qualifiés, des femmes et des enfants.
Dans ces premières décennies du siècle, le commerce et la banque se portent bien. Des
colonies genevoises, à Paris, Londres, Amsterdam, Gênes, favorisent les transactions
internationales.
Le début du XVIII e siècle fut une époque remarquable aussi par l'activité du bâtiment tant
pour les édifices publics que pour les maisons de particuliers. La plupart de ces
constructions ont survécu: l'Hôpital, maintenant devenu le Palais de Justice, élevé de 1709 à
1712, le temple de la Fusterie (1713-1715), et une série de belles maisons à la rue Calvin, à
la cour Saint-Pierre et à la rue des Granges. Il s'y ajoute, dès 1717, l'édification d'un nouveau
système fortifié.
La seconde moitié du XVIIIe siècle
Une baisse de conjoncture survient entre 1730 et 1750. La période postérieure apporte un
progrès sans pareil dans tous les secteurs. La population croit: vingt-trois mille âmes en
1750, vingt-sept mille en 1790. Comme toutes les villes, Genève doit sa croissance à
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l'immigration, car les naissances y restent inférieures aux décès, même si la mortalité
genevoise des enfants bénéficie d'un recul spectaculaire entre le XVII e et le XVIII e siècle:
sur mille nouveau-nés qui viennent au monde de 1660 à 1670, plus de la moitié (550)
mourront avant d'avoir atteint leur onzième année ; soixante-dix ans plus tard, ils ne sont
plus que 325 à périr avant cet âge, progrès considérable et irréversible. Les immigrants qui
forment ce surplus sont pour moitié des Français jusque vers 1750, relayés ensuite par des
Suisses protestants, avec une grosse majorité de Vaudois. Le plus souvent, les étrangers
exercent les professions inférieures que les Genevois méprisent, la manutention ou les
tâches du bâtiment, par exemple.
En 1770, 70 % des hommes actifs sont employés dans l'industrie ou le bâtiment, dont 32%
dans la Fabrique. Les femmes composent près du tiers des travailleurs de l'horlogerie. Au
XVII e siècle, existaient des «horlogères» ayant fait l'apprentissage complet de la confection
d'une montre. Au XVIII e siècle, les femmes sont cantonnées dans les parties les plus
humbles de la fabrication.
La fortune accumulée grâce à la bonne marche de l'économie permet aux Genevois,
aristocrates et bourgeois, de souscrire massivement aux emprunts d'Etat français de la fin de
l'Ancien Régime. Les intérêts perçus sont considérables. Aussi la banqueroute provoquée
par la Révolution entraînera des désastres à Genève. Un autre signe de la réussite
économique est le nombre de domestiques: un tiers des ménages ont au moins un serviteur
ou, plus souvent, une servante.
Le progrès urbain est attesté par le perfectionnement de la voirie, la distribution de l'eau du
Rhône jusqu'aux points les plus hauts grâce à une pompe élévatrice, «machine» dont un de
nos ponts conserve le souvenir, l'éclairage systématique des rues.
Les révolutions de Genève
Les classes politiques genevoises
Ce XVIII e siècle économiquement et culturellement si florissant est secoué par des troubles
politiques, que les contemporains appelleront les «révolutions de Genève». Tempêtes dans
un verre d'eau quant aux effectifs, ces conflits n'en remuent pas moins des idées de valeur
générale. Leur origine provient de l'inégalité dans les droits dont jouissent les Genevois de
l'Ancien Régime. Une première division sépare les détenteurs des droits politiques et de tous
les droits civils de ceux qui n'ont aucun droit politique et sont dépourvus de certains droits
civils. Les privilégiés sont les citoyens et les bourgeois. Ces derniers sont des naturalisés qui
ont acquis la bourgeoisie moyennant le paiement d'une taxe. Leurs descendants en ligne
directe sont appelés citoyens.
Au XVI e siècle le statut d'habitant est créé. Le mot a ici un sens spécial et ne désigne pas
tous les domiciliés: on est admis à l'habitation comme à la bourgeoisie contre paiement
d'une taxe, modeste dans ce cas. Les habitants n'ont pas de droit politique et souffrent de
diverses restrictions dans leur activité économique ; ainsi, ils ne peuvent être reçus maîtres
dans les professions considérées, comme celles de la Fabrique. Leur condition est
héréditaire ; les descendants d'habitants, appelés natifs, sont soumis aux mêmes
désavantages. Bonne illustration de cette inégalité: à l'Hôpital, les citoyens et les bourgeois
ont des chambres séparées des autres classes.
Pour les habitants et les natifs de Genève, le seul moyen de sortir de leur infériorité est
d'acquérir la bourgeoisie. Cette acquisition est restée assez bon marché pendant longtemps,
mais au milieu du XVII e siècle, la taxe augmente de façon prohibitive. Habitants et natifs ne
peuvent plus quitter leur condition. Progressivement, ils deviennent la partie la plus
nombreuse de la population.
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Dès la fin du XVII e siècle, citoyens et bourgeois ne représentent que 37 % des Genevois.
En 1781, ils ne sont plus que 27 % ; on compte 34 % de natifs, 12 % d'habitants, le reste
englobant les étrangers. Il est important de constater que cette division politique recoupe les
classes sociales. Les citoyens et les bourgeois ont presque tous des professions supérieures
et lucratives et monopolisent l'essentiel de la fortune nationale.
Le conflit entre l'aristocratie et la bourgeoisie
C'est toutefois à l'intérieur du groupe privilégié formé par les citoyens et les bourgeois que la
lutte va éclater. Dans son sein, une aristocratie a accaparé peu à peu l'autorité politique, en
utilisant notamment les possibilités qu'offre le recrutement par cooptation du Petit Conseil et
du Conseil des Deux-Cents. Cette aristocratie politique est aussi une aristocratie d'argent ;
elle comprend quelque quatre cents chefs famille qui se partagent 80 % de la fortune
genevoise en 1780. Les réfugiés aisés s'y étaient intégrés rapidement et étaient même la
majorité: parmi les trente-deux familles les plus riches de Genève en 1690, vingt provenaient
du refuge du XVI e siècle.
Monopolisant le pouvoir, l'aristocratie gouverne sans plus demander l'avis du Conseil
général, qui rassemble tous les citoyens et bourgeois. Encore fréquemment consulté au XVI
e siècle jusqu'à la guerre de 1589, il l'est de moins en moins depuis. La bourgeoisie
consentit alors à abandonner d'importantes prérogatives pour permettre au gouvernement de
prendre les mesures urgentes que réclamait la guerre. La paix faite, le Petit Conseil ne
montra aucun empressement à restituer ces pouvoirs extraordinaires. Les citoyens se
laissent faire et s'accoutument à ne plus être réunis en Conseil général que pour élire les
syndics et quelques autres magistrats. Cette élection n'était guère plus qu'une formalité, le
choix des votants se réduisant aux noms portés sur une liste établie par le Petit Conseil,
sans possibilité de donner leur suffrage à quelqu'un d'autre.
Le réveil de la conscience politique des citoyens au début du XVIII e siècle aura tout
naturellement pour objectif principal de redonner au Conseil général le rôle qu'il avait perdu
afin qu'il puisse exercer un contrôle efficace sur les actes des conseils gouvernementaux.
Leur action est dirigée par un principe d'égalité contre la prédominance de l'aristocratie et un
principe de liberté qui vise à conférer aux citoyens des droits fondamentaux telles la liberté
de réunion et la liberté d'expression. Ils sont influencés par les idées des théoriciens
politiques anglais du XVII e siècle.
Exprimés d'abord de manière limitée et pratique, ces principes seront approfondis au cours
du XVIII e siècle, suivant le développement de la philosophie politique, dont le représentant
le plus illustre est le philosophe Jean-Jacques Rousseau, né à Genève en 1712. Les phases
violentes de la discorde embrassent quatre périodes: 1707, 1734 à 1738, 1764 à 1770 et
1781 à 1782.
La révolte de 1707
Le mouvement de 1707 est préparé par un mécontentement supplémentaire, d'ordre
économique. L'aristocratie abuse de son pouvoir et le met au service de ses intérêts
économiques, ce qui entraîne des préjudices pour la classe moyenne. De plus, les
capitalistes genevois inaugurent une pratique qu'on leur reprochera presque jusqu'à nos
jours. Ils investissent peu dans l'industrie locale, préférant les placements à l'étranger, plus
fructueux.
La révolte de 1707 a pour chef un membre de l'aristocratie, l'avocat Pierre Fatio, qui fixe un
programme aux aspirations confuses clés citoyens. Le point central était de rendre au
Conseil général une participation plus active. Le soulèvement échoua. Ainsi qu'il le fera
constamment pour réduire les rébellions, le Petit Conseil appelle l'étranger à son secours.
Un contingent de Bernois et de Zurichois vint renforcer la garnison.
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L'ordre rétabli, Fatio, aristocrate, fut fusillé secrètement à la prison ; un autre meneur,
Lemaître, simple citoyen, fut pendu publiquement à Plainpalais. La justice expéditive rendue
à cette occasion fut excusée par cette opinion d'un gouvernant qu'il ne fallait «pas tant
s'attacher à la procédure dans les jugements qu'au salut de l'Etat».
Les troubles de 1734-1738 et l’intervention de la France
Des troubles éclatent de nouveau en 1734. L'allure improvisée et désordonnée de la révolte
de 1707 a fait place, chez les citoyens genevois, à une détermination plus assurée: la
bourgeoisie a acquis la conscience de classe et la vision théorique qui lui manquaient. Cette
évolution n'est pas sans relation avec son enrichissement dû à la conjoncture antérieure, très
favorable. La cause du mouvement vint des nouvelles fortifications.
De mauvaises langues, dont Jean-Jacques Rousseau, diront que ce gigantesque ensemble,
plus étendu que la superficie de l'intérieur de la ville, était surtout conçu pour mater les
citoyens. En effet, ces positions réclamaient une garnison nombreuse de soldats de métier
qui pouvaient servir, en cas de besoin, contre les adversaires de la classe gouvernante.
Dans l'immédiat, le financement de ce plan grandiose devait se faire par la perception
d'impôts supplémentaires. Ces taxes furent décidées par le Petit Conseil et les Deux-Cents ;
le Conseil général ne fut pas consulté, ce qui souleva les protestations de la bourgeoisie.
Des maladresses de l'aristocratie suscitèrent des violences. En 1737, une échauffourée fit
onze morts.
Vaincu, le gouvernement alerte la France. Des intérêts économiques, bancaires en
particulier, lient l'aristocratie au royaume voisin. Des affinités politiques et psychologiques
l'orientent en direction de la Cour de Versailles, éblouissant modèle pour les aristocraties
européennes. Au contraire, la bourgeoisie et le peuple nourrissent de l'antipathie à l'égard de
la monarchie française, persécutrice des protestants, entourée d'un luxe qui répugne à leur
austérité et exemple le plus parfait du pouvoir absolu qu'ils combattent chez eux.
Néanmoins, l'intervention française se termine par un arbitrage satisfaisant pour les citoyens.
Ce «Règlement de la Médiation», accepté par le Conseil général, en 1738, servira pendant
trente ans de constitution. Il accorde au Conseil général des droits appréciables: votation des
nouvelles lois et des nouveaux impôts, droit de se prononcer sur les traités conclus avec
l'étranger, etc. Les natifs, qui avaient combattu aux côtés des citoyens, reçoivent la
possibilité d'être admis comme maîtres dans tous les métiers.
Dans le quart de siècle de tranquillité relative qui prolonge la paix de 1738, deux traités sont
signés en 1749 et en 1754 avec la France et la Savoie, devenue le royaume de Sardaigne.
Ces actes liquident, par des échanges mutuels, la survivance médiévale que constituait la
superposition de droits genevois et étrangers sur des parties de la campagne. Désormais,
Genève est entièrement maîtresse de son territoire rural, mais celui-ci reste enclavé parmi
les possessions françaises et savoyardes.
L’affaire « Rousseau » et les troubles de 1763-1770
L'article «Genève» dans l'Encyclopédie
Au milieu du siècle naît un second mythe de Genève. Le premier, création du XVII e siècle,
était celui de la Rome protestante, ville sainte pour les réformés et repaire d'abominations
pour les catholiques.
Les penseurs français, qui sont à la tête du mouvement intellectuel européen, font de
Genève une ville modèle où sont incarnées les vertus qu'ils louent: la raison et la sagesse.
Les gens sont travailleurs et instruits, les règles de gouvernement empreintes de bon sens.
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La religion même, débarrassée du surnaturel et insistant sur la morale, est devenue
philosophique et tolérante, tout fanatisme oublié.
Ce mythe est formulé en 1757 dans l'article «Genève» de l'Encyclopédie de d'Alembert et
Diderot, manifeste des esprits progressistes français. Ce texte a été fortement inspiré par
Voltaire, établi à Genève aux Délices en 1755 et qui ne cessera plus de s'intéresser de près
à la vie genevoise.
Jean-Jacques Rousseau et les troubles de 1763-1770
Démentant le certificat de tolérance décerné par l'Encyclopédie, le Petit Conseil condamne,
en 1762, deux livres ( l'Emile , consacré à l'éducation, et le Contrat social , magistral exposé
de doctrine politique) à être brûlés devant l'Hôtel de Ville parce que «tendant à détruire la
religion chrétienne et tous les gouvernements». S'il peut être saisi, leur auteur sera arrêté.
Cet auteur n'est autre que le fils le plus illustre de Genève, Jean-Jacques Rousseau.
Avec quelque retard, les citoyens protestent contre la condamnation de Rousseau, jugée
illégale, et présentent au gouvernement des plaintes, dites «représentations». De là vient le
nom de «Représentants» décerné à la bourgeoisie opposante.
En 1764, Rousseau publie les Lettres de la Montagne ; il joint son cas à la cause des
Représentants en démontrant à ceux-ci combien ils ont d'influence effective sur la marche de
la République. De son côté, le gouvernement utilise le droit strict qu'il a de ne pas tenir
compte des représentations. Ce droit de refus servira à désigner les aristocrates sous le nom
de Négatifs.
La bataille d'idées entre Représentants et Négatifs s'exprime non seulement dans les
œuvres de quelques grands noms, mais aussi dans des dizaines d'écrits émanant d'auteurs
occasionnels qui tiennent à faire connaître leur opinion sur la liberté, l'égalité et la
souveraineté populaires. Cette manie brochurière des Genevois se prolongera pendant tout
le XIX e siècle.
Aristocrates et bourgeois se réconcilient un instant en 1770. Les natifs avaient soutenu la
cause des Représentants ; ils n'avaient presque rien obtenu en échange, alors que les
Représentants avaient obligé les Négatifs à quelques concessions. Se détachant des
Représentants, les natifs formèrent une troisième force, qui exprima publiquement son
mécontentement.
Le 15 février 1770, des Représentants informent le gouvernement de leur crainte au sujet
d'une sédition que comploteraient les natifs. Ils lui demandent d'administrer une leçon
préventive à ceux-ci. La répression d'une manifestation provoqua la mort de trois natifs. «Les
voilà ces pauvres citoyens aussi durs aristocrates avec les natifs que les magistrats le furent
jadis pour eux: de ces aristocraties, j'aimerais encore mieux la première», écrivit JeanJacques Rousseau.
Révolution et contre révolution
La révolution de Genève
Les Représentants se rachètent cet épisode peu glorieux. Leurs chefs, influencés par
Rousseau, tiennent l'égalité pour un principe sacré, d'où il découle que les natifs devraient
être assimilés aux citoyens. Le conflit reprend avec l'aristocratie. Les bourgeois et les natifs
occupent la ville en février 1781. Une loi octroie l'égalité civile aux natifs, aux habitants et aux
sujets de la campagne. Des facilités d'admission à la bourgeoisie sont consenties aux natifs.
Mais l'aristocratie appelle Versailles à l'aide. Louis XVI décrète que la révolution de Genève
est un mauvais exemple pour son peuple et il importe de l'étouffer sans délai. Trois armées
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coalisées - française, sarde et bernoise - assiègent Genève, qui capitule le 2 juillet 1782.
Grâce à l'occupation étrangère, l'aristocratie est ramenée au pouvoir. Les natifs conservent
l'égalité civile, mais les facilités pour accéder à la bourgeoisie sont supprimées. Quatre cents
natifs acceptés à la bourgeoisie sous le règne des Représentants sont rétrogradés à leur
ancien rang.
Des mesures policières sont promulguées pour éviter toute agitation. Les cercles, sorte de
clubs où l'on discutait beaucoup de politique, sont dissous. La liberté de presse est muselée.
La garnison de soldats étrangers est presque doublée.
Proscription et exil
Les chefs des Représentants sont bannis. Certains se réfugient à Paris ; ils y importent des
idées républicaines qui ne resteront pas sans effet sur la Révolution française de 1789 dans
ses débuts. Mirabeau, la personnalité dominante de cette période, utilisera un «atelier»
genevois réunissant des exilés: Etienne Clavière, Etienne Dumont, Jacques Du Roveray,
Salomon Reybaz. La réputation de grand orateur laissée par Mirabeau repose, en bonne
partie, sur des discours rédigés par cette équipe genevoise.
Au même moment, dans le camp royal, on rencontre un autre personnage célèbre d'origine
genevoise, Jacques Necker, ministre des Finances de Louis XVI. Sous la première
République, Clavière occupera à son tour le ministère des Finances en 1792.
Préférant l'exil à la servitude, un millier de Représentants quittent Genève. Dix ans plus tôt,
des natifs, mécontents de leur sort, avaient fait de même. Une partie d'entre eux s'étaient
fixés à Versoix-la-Ville, localité nouvelle fondée par la France pour essayer de concurrencer
Genève. Dans les années 1780, une tentative semblable de la Sardaigne aboutira à la
création de la ville de Carouge.
Les exilés de 1782 se réfugient, pour la plupart, à Bruxelles et à Constance. Dans cette ville
naît, en 1787, le futur général Dufour, fils de l'horloger Bénédict Dufour, un bon exemple
d'artisan lettré, qui possédait dans sa bibliothèque tout Rousseau, l'Encyclopédie et Diderot.
La fin de l'Ancien Régime
Le système réactionnaire mis en place en 1782 fut ébranlé par un soulèvement prolétarien.
Les salariés étaient les floués de la prospérité du siècle, qui avait enrichi la bourgeoisie. Les
prix avaient passé de l'indice 100 en 1720 à l'indice 170 en 1780, les salaires étaient restés
les mêmes. La fin de la haute conjoncture entre 1785 et 1789, conséquence de la crise
générale qui marque la période précédant la Révolution, frappe aussi les petits patrons. Des
maîtres horlogers ruinés doivent s'engager comme ouvriers chez des collègues, avec
l'amertume que l'on imagine.
1788 est une année de mauvaise récolte. Le 26 janvier 1789, le gouvernement genevois
augmente le prix du pain. Cette décision déclenche une émeute à Saint-Gervais, le quartier
le plus populaire. Chargée de ramener le calme, la garnison est repoussée à coups de
pierres, de tuiles et de seaux d'eau bouillante. La hausse fut annulée. La nécessité de
maintenir l'ordre et d'éviter une insurrection populaire eut pour résultat de réconcilier pour un
temps les adversaires de 1782 : on vit patrouiller côte à côte aristocrates et ex-leaders
représentants.
Pendant les trois années suivantes, la constitution rétrograde de 1782 se libéralise. Les
citoyens retrouvent et accroissent leurs droits. Mais l'évolution politique n'a plus une destinée
autonome ; elle subit l'influence de la Révolution française de 1789. D'ailleurs, la France fut
bien près d'annexer Genève, en septembre 1792, quand ses armées conquirent la Savoie et
la transformèrent en département français. Si l'indépendance fut sauvée provisoirement,
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l'encerclement par la France révolutionnaire eut pour résultat, en décembre 1792, un
mouvement qui abattit le gouvernement d'Ancien Régime et proclama l'égalité politique de
toutes les catégories de la population.
L’insurrection de 1794
usque dans l'été de 1794, la révolution genevoise se déroula de façon mesurée. Elle était
guidée par la bourgeoisie modérée. Une constitution fut rédigée par une Assemblée
nationale et votée par les citoyens le 5 février 1794. Très démocratique, elle institue un
contrôle étendu de la part des citoyens sur les actes du gouvernement et de l'administration,
Cependant, elle est entachée de deux restrictions graves à la notion de citoyenneté. La
première réserve celle-ci aux protestants seuls. S'il s'agit là d'une particularité locale, il n'en
va pas de même de la seconde éviction, celle des femmes, qui est générale.
A la pointe du progrès, la France révolutionnaire instaure le suffrage universel en 1793, mais
c'est un privilège réservé exclusivement aux hommes ; la citoyenneté va de pair avec la
masculinité. Tout le monde, ou presque, considère les femmes comme inaptes aux affaires
politiques. Au point de vue du droit prive, leur situation ne s'améliore pas, au contraire. Le
Code civil napoléonien de 1804, en vigueur à Genève jusqu'en 1912, rend juridiquement la
femme encore plus dépendante de l'homme que le droit ancien.
Brusquement éclata une tragédie. Des clubs extrémistes déclenchèrent une insurrection en
juillet 1794. Un tribunal révolutionnaire condamna à mort trente-sept accusés, aristocrates et
aussi gens du peuple soupçonnés de pactiser avec l'aristocratie, mais les exécutions furent
limitées à onze.
On s'interroge sur les raisons de cette poussée de violence. Dans les causes probables
figure d'abord l'obsession d'un complot contre-révolutionnaire. Il s'y ajoute la crainte du rejet
d'une loi d'impôts destinés à financer des occasions de travail, car le chômage sévit: en plus
du droit de vivre libre, le peuple revendique le droit d'avoir du travail. L'insurrection est une
réaction défensive ; victorieuse, elle punit ceux qui sont considérés comme des ennemis du
peuple, selon l'exemple de la Terreur française.
Le soulèvement ne fut pas le fait d'un prolétariat en haillons ; les meneurs étaient des
artisans ou des petits commerçants. La bourgeoisie resta aux commandes, pour éviter le
pire, déclara-t-elle après coup. N'éprouva-t-elle pas aussi de la satisfaction à se venger du
sort que lui avait réservé l'aristocratie en 1782 ?
Le 27 juillet 1794, la chute et la mort de Robespierre à Paris mettent fin à la Terreur en
France. Ce dénouement a des répercussions à Genève. Un second tribunal révolutionnaire
envoie à la mort cinq membres d'une petite minorité d'extrémistes, vaguement anarchisants,
accusés en outre d'avoir tramé l'incorporation de Genève à la France.
La période française de 1798-1814
Le Département du Léman
Avec la Révolution genevoise (1792-1798) et le temps de l’Annexion à la France (17981814), aussi appelé “période française”, la charnière XVIIIe-XIXe siècle représente pour
Genève un passage mouvementé de son histoire. Longtemps d’ailleurs la mémoire locale a
fait l’impasse sur ces deux périodes et en particulier sur celle de l’Annexion, considérant
qu’elle représentait la perte de l’indépendance genevoise acquise avec la Réforme. On
constate toutefois un regain d’intérêt pour cette période depuis quelques décennies,
notamment grâce à l’ouverture des archives du Département du Léman, conservées aux
Archives d’Etat.
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Le 15 avril 1798, le Traité de Réunion intègre Genève au territoire de la République
française. Fin août, après avoir renoncé à sa souveraineté et à ses alliances, Genève est
choisie pour chef-lieu du Département du Léman, qui réunit le territoire genevois à d’autres
territoires détachés du département de l’Ain, du Faucigny et du Chablais. L’ensemble que
forme le Département du Léman s’inscrit dans le contexte d’élargissement de la France
révolutionnaire : 1798 est aussi l’année de la naissance de la République helvétique, voulue
par Napoléon, et qui préfigure sous bien des aspects la future Confédération helvétique de
1848. Si la Révolution a réussi à conserver la souveraineté genevoise durant six brèves
années, avec l’Annexion, Genève devient une ville française parmi d’autres, et ses habitants
font alors l’expérience du centralisme napoléonien.
Administré par un Conseil général et un Conseil de Préfecture placé sous l’autorité d’un
préfet (logé à l’Hôtel du Résident de France, aujourd’hui au n° 11 de la Grand-Rue), le
Département du Léman est régi par des lois françaises, parmi lesquelles le Code civil, qui
plaça Genève sous un régime totalement nouveau, en particulier par l’introduction des
principes de liberté et d’égalité entre les citoyens et par la séparation du civil et du religieux
(la messe est à nouveau célébrée, dès octobre 1803, à l’église Saint-Germain). De même, la
loi du 28 Pluviôse an VIII (17 février 1800) fait de Genève et des villages de l’ancienne
République des communes placées sous l’autorité d’un maire, d’adjoints et d’un Conseil
municipal : on trouve là l’un des fondements du régime municipal en vigueur de nos jours.
Sur le plan économique, une clause du Traité de Réunion laisse à Genève la licence
d’administrer elle-même ses biens propres, estimés à 4,4 millions de florins en 1798. La
gestion de ce patrimoine est confiée à la Société économique, société civile administrée par
des anciens Genevois. Cette société repris les attributions de l’ancienne Chambre des Blés,
et fonctionna comme un “Etat dans l’Etat” (Ruchon), tant il est vrai que la plupart de ses
membres étaient des partisans du retour à l’ancienne République d’avant la Révolution de
1792. Outre une fiscalité imposante, la limitation des importations et la soumission des
exportations à de nombreuses taxes, Genève doit aussi fournir son lot de soldats engagés
par le biais de la conscription.
Le retour dans une République restaurée
Mais ce sont aussi les revers militaires de l’Empereur français qui sonneront la fin de
l’Annexion, et le retour dans une République restaurée. Après la débâcle en Russie, les
armées napoléoniennes refluent, et fin 1813, Bâle est occupée par le gros des forces alliées.
Un corps de troupes commandées par le général autrichien Bubna est chargé de traverser la
Suisse et d’occuper Genève, où, dès son arrivée, il est contacté par un groupe d’anciens
magistrats soucieux de rétablir l’indépendance genevoise.
Le 31 décembre, après le retrait définitif du préfet du Département du Léman, le
gouvernement provisoire mis en place par ces “résistants” proclama la Restauration de la
République, par la voix d’Ami Lullin, chef de file du mouvement. Par cet acte, Genève
recouvrait ses institutions, lois et souverainetés, pour entrer alors dans la période dite de la
Restauration (1814-1846), marquée par un conservatisme relativement progressiste que la
Révolution radicale fera voler en éclats.
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L’époque contemporaine
Le retour à l’indépendance
Le marasme est général
L'économie locale genevoise est victime du marasme général. Le nombre d'habitants tombe
de vingt-sept mille en 1790 à vingt-cinq mille en 1805. La Fabrique est gravement touchée et
perd 30 % de ses effectifs. Une foule de pauvres doit recourir à l'assistance publique. Le
peuple subit le poids de la conscription.
Beaucoup de jeunes soldats genevois périrent dans les campagnes de celui qu'Ami Fillion,
horloger de Saint-Gervais, nommait « Napoléon le Féroce » dans ses souvenirs inédits. Les
riches avaient la possibilité de payer un remplaçant qui allait se battre à leur place.
Le retour à l'indépendance
L'issue désastreuse de la campagne de Russie clôt l'ère des victoires napoléoniennes. La
bataille de Leipzig, d'octobre 1813, s'achève par la retraite des Français, talonnés par les
armées coalisées de Russie, d'Autriche et d'Allemagne. Le 21 décembre, le général
autrichien Bubna atteint Bâle. Son but est de gagner Genève et Lyon à travers la Suisse.
A Genève, quelques hommes sont aux aguets. Les événements leur laissent espérer le
retour à la liberté. A leur tête, l'ancien syndic Ami Lullin, qui sera le véritable instigateur du
rétablissement de l'indépendance. Ceux qui l'entourent sont comme lui des aristocrates
d'Ancien Régime. En décembre 1813, ces ex-syndics et conseillers forment une commission
clandestine de gouvernement.
Bubna arrive à Lausanne le 27 décembre. La garnison française évacue Genève sans
combat le 30, après une occupation de «quatorze ans, huit mois, quatorze jours, dix heures
et trente minutes», note Fillion avec une précision tout horlogère. Le même jour, Bubna et
dix mille soldats autrichiens s'installent dans la ville. La commission de gouvernement s'érige
en gouvernement provisoire, quatre syndics sont désignés. Le 31 décembre, une
proclamation est préparée annonçant l'indépendance ; elle sera lue dans les rues et sur les
places genevoises le 1er janvier 1814.
Les hommes du gouvernement provisoire
C'est une minorité agissante qui avait restitué l'indépendance de Genève, courageuse aussi,
car rien ne prouvait que Napoléon fût battu définitivement.
Politiquement, ces aristocrates veulent un retour à la Genève d'avant 1792. Le plus engagé,
Joseph Des Arts, avait rédigé, en 1791, un petit livre, publié en 1816, où il écrit: « Les
hommes naissent et demeurent inégaux en droit»; «l'inégalité des fortunes établit l'inégalité
des droits politiques » ; «la souveraineté du peuple est une chose détestable».
Ces idées étaient celles du moment. L'époque postnapoléonienne est réactionnaire ; elle
porte le nom de Restauration parce qu'elle espéra rétablir le plus possible la société dans
l'état où elle était avant la Révolution. C'était exactement l'intention des gouvernants
genevois.
Aussi rencontrèrent-ils l'approbation des souverains et des hommes d'Etat étrangers. Le 15
mars 1814, Hardenberg, ministre du roi de Prusse, les complimentait: «Vous avez donné
une preuve non équivoque du bon esprit qui vous anime en profitant de votre liberté pour
rétablir l'ordre ancien des choses.»
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La solution suisse
L'avenir de Genève en tant qu'Etat ?
Quel allait être l'avenir de Genève en tant qu'Etat ? En ce début du XIX e siècle,
l'indépendance dans l'isolement était un idéal dépassé. L'époque des villes-Etats était
révolue. Une seule solution s'imposait, la solution suisse. Elle conciliait le maintien d'une part
importante de souveraineté avec la nécessité de s'agréger à un organisme plus fort pour se
défendre et survivre. La mémoire des liens anciens entre Genève et les Suisses ajoutait un
élément affectif à ce projet.
L'objectif fondamental du gouvernement fut donc de transformer Genève en canton suisse.
Tous les Confédérés n'étaient pas enthousiastes à l'idée d'accueillir Genève parmi eux. Plus
que la défiance catholique manifestée à l'égard de la Rome protestante, les troubles du
XVIIIe siècle inquiétaient ; ils dénotaient une turbulence dangereuse. En outre, Genève ne
touchait pas à la Suisse et ses terres étaient enclavées au milieu de possessions étrangères.
C'est pourquoi Genève eut deux conditions à remplir pour être admise dans la Confédération
: elle avait besoin d'une dot suffisante et de papiers en règle. La dot, c'était un
agrandissement qui permît le désenclavement et la contiguïté avec la Suisse. Les papiers,
c'était une constitution conservatrice, rassurante pour les cantons.
La dot
Le soin de réunir la dot fut confié à Charles Pictet de Rochemont, qui s'acquitta
admirablement de sa tâche aux Congrès de Paris et de Vienne. Un temps, il sembla qu'une
extension considérable fût promise à Genève. Toutefois, d'une part, la France et la
Sardaigne tenaient à céder le moins de territoire possible, d'autre part, une partie du
gouvernement genevois et l'opinion publique ne voyaient pas d'un bon œil un accroissement
trop large en terres catholiques, qui aurait changé le caractère religieux de Genève. Les
gains définitifs furent modestes, mais suffisants pour obtenir l'essentiel, le désenclavement et
la contiguïté avec la Suisse.
Sur la rive droite, sept communes du Pays de Gex comptant trois mille cinq cents habitants,
sur la rive gauche, vingt-quatre communes savoyardes avec douze mille sept cents habitants
vinrent compléter le territoire genevois en 1815 et en 1816.
Les papiers
La constitution devait être élaborée rapidement et satisfaire les Suisses. Le document ne fut
pas l'œuvre d'une assemblée constituante, pas même d'un conseil un peu étoffé: elle fut le
fruit du travail hâtif d'une commission de sept membres où Joseph Des Arts eut l'influence la
plus grande. Le Conseil général était supprimé et remplacé par un Conseil représentatif
choisi selon un système censitaire: la qualité d'électeur n'était accordée qu'aux citoyens
payant un certain impôt.
Un Conseil d'Etat de vingt-huit membres inamovibles s'arrogeait tout le pouvoir de fait et
maintenait la suprématie de l'aristocratie. Le gouvernement provisoire présenta l'adoption du
texte comme la condition du rattachement de Genève à la Suisse. Sous cette pression, la
constitution fut votée par le peuple en août 1814.
L'entrée de Genève dans la Confédération s'opéra en plusieurs étapes. La plus concrète fut
l'envoi par le lac, le 1 er juin 1814, de contingents fribourgeois et soleurois. Le 12 septembre
1814, treize cantons sur dix-neuf se prononçaient pour l'admission de Genève dans la
Confédération et enfin, après l'adhésion de tous les cantons, le traité définitif fut signé le 19
mai 1815.
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Genève, Etat souverain jusqu'en 1798, rétabli à la fin de 1813, n'était plus maintenant que la
vingt-deuxième partie d'un Etat suisse. il est vrai que le Pacte fédéral unissant les cantons
laissait à ceux-ci de larges prérogatives.
Genève Suisse ?
Après la défaite de Napoléon
A la suite de la défaite de Leipzig, Napoléon se replie précipitamment sur la France,
entraînant les armées des Alliés à sa poursuite. Dans ce mouvement, les troupes françaises
qui occupaient Genève évacuent la cité au matin du 30 décembre 1813. Le même jour, elles
sont remplacées par les hommes du général autrichien Ferdinand Bubna. L'administration
est alors assurée par une Commission centrale, chargée de gérer les affaires de la
préfecture et un Gouvernement provisoire autoproclamé qui entendait se charger de celles
de la ville. Plusieurs membres genevois de la première de ces institutions étaient
profrançais, tandis que la seconde tenait globalement pour le retour à l'indépendance.
A la fin de janvier 1814 déjà, soit moins d'un mois après l'entrée des forces alliées dans la
ville, ce dernier groupuscule comprend l'intérêt qu'il a à accepter les desseins helvétiques
qu'on nourrissait pour Genève. Car Joseph Des Arts, qui y exerçait un ascendant
déterminant, réalise alors que la survie de sa patrie passait nécessairement par le respect
des volontés internationales. Il déclare ainsi à ses collègues : «Nous avons vu distinctement
que quoique nous ayons excité quelque intérêt par nos malheurs (...) nous n'intéressions
essentiellement les Puissances coalisées que par notre situation géographique et par le plan
qu'elles paraissent avoir formé de faire de la Suisse une masse plus considérable (...) qu'il
était infiniment à craindre qu'on ne se souciât plus de nous si nous ne voulions être que la
petite république de Genève. Nous avons estimé que ce projet était presque arrêté, nous
devions avoir l'air d'une grande soumission...». A cette « obligation » extérieure s'ajoute bien
vite le sentiment d'une grande «utilité» intérieure. Le syndic provisoire ne manque pas de
faire remarquer qu'un rapprochement avec la Confédération mettrait la tranquillité de la cité
sous la sauvegarde de la Suisse.
Voir Genève intégrer le giron confédéré
Tandis que la conscience aiguë de la faiblesse et de la désunion des cantons le faisait
encore hésiter sur la nature du resserrement des liens qu'il convenait d'opérer avec eux,
les événements viennent précipiter ses choix. Dès le mois de février 1814, les
considérables exigences financières du général Bubna avaient exaspéré le Conseil
provisoire. Or, c'est, semble-t-il, autant cette irritation que la peur qui avaient décidé ses
différents membres à « abdiquer » quand, au plus fort de la Campagne de France, les
troupes napoléoniennes se retrouvent aux portes de Genève. Déjà marginal et marginalisé,
le Conseil se trouvait ainsi, au début du mois de mars 1814, totalement écarté au profit de
la Commission centrale du Léman. La seule manière de réinvestir l'échiquier politique était
donc de miser, plus positivement qu'elle, sur la carte helvétique. C'est donc sous le signe
de la Suisse que les syndics parviennent à réapparaître sur la scène genevoise, dès que le
danger français aura été écarté.
A partir d'avril 1814, Lullin, Des Arts et leurs amis affichent leur vœu unanime de voir
Genève intégrer le giron confédéré. Le jeu consistera alors à se servir du cantonnement
pour gagner en légitimité, tout en négociant, parallèlement, pour que l'agrandissement
territorial nécessaire pour désenclaver la cité et lui donner une frontière commune avec la
Suisse, ne soit pas trop considérable. L'opération d'« accroissement minimal » ne
s'achèvera qu'en 1816, par la signature du traité de Turin. Ironie du sort, elle est accomplie
par Pictet de Rochemont, un des seuls membres du Conseil provisoire à avoir préconisé
immédiatement le cantonnement et à avoir souhaité un élargissement notable des
frontières genevoises. Mais l'influence des vieux protestants du Conseil sera déterminante.
Des Arts et les siens parviennent à s'enrober de légitimité, à constituer le premier
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gouvernement officiel de la Restauration, à évincer la Commission du département du
Léman ; et si, pour ce faire, ils devaient transformer leur république en canton, du moins ce
canton restera-t-il extrêmement petit, stratégiquement incohérent... mais essentiellement
réformé.
L’économie de la restauration
La crise qui ravagea l'Europe en 1816-1817
Les lendemains de l'entrée de Genève dans la Confédération furent assombris par une crise
qui ravagea toute l'Europe en 1816-1817, produisant partout de graves famines. Genève
souffrit d'une disette, pour la dernière fois de son histoire. Cette crise de subsistances fut
suivie d'une dépression industrielle qui fit du début des «vingt-sept années de bonheur »,
comme on a nommé la Restauration genevoise, une dure épreuve pour les classes
laborieuses.
A l'approche de 1830, l'économie reprend vigueur et prospère pendant quinze ans. La
Fabrique est toujours l'industrie principale ; elle fait vivre près du quart de la population. Si
les petits ateliers priment encore, des établissements plus grands apparaissent, comme celui
de Bautte qui occupe directement cent quatre-vingts ouvriers ; en même temps, cent vingt
artisans à domicile travaillent pour lui.
La libéralisation s'accentue vers 1830
Si le peuple genevois est réduit au silence par le régime censitaire, une opposition
inattendue éclôt au sein du Conseil représentatif. Destiné à n'être qu'un organe
d'approbation des décrets du Conseil d'Etat, il fonctionne, en fait, comme un véritable
parlement critique.
Grâce à un règlement habilement composé par Etienne Dumont, des personnalités libérales
font entendre leur voix, tels Sismondi, Pictet de Rochemont, Bellot, Pellegrino Rossi, Dumont
lui-même. Cependant, les bourgeois aisés qui composent cette élite intellectuelle sont bien
loin du peuple et guère capables de saisir ses aspirations.
La libéralisation s'accentue vers 1830 avec le syndic Jean-Jacques Rigaud et sa politique du
«progrès graduel». Malgré les qualités indéniables de Rigaud, son plan échoue, car ses
initiatives restent trop timides. Le gouvernement rassemble contre lui plusieurs catégories de
mécontents.
Les catholiques et les protestants
A l'égard des catholiques, le Conseil d'Etat agit avec une bienveillance louable, mais, selon
la tradition de l'Ancien Régime, il veut maintenir la supériorité de l'Etat en matière religieuse.
Il commet des impairs que le curé de Genève, Jean-François Vuarin, grossit à plaisir, parfois
contre l'avis de l'évêché de Lausanne et Fribourg auquel Genève a été rattachée en 1819,
après avoir dépendu de Chambéry. Aussi les catholiques observent-ils une attitude de plus
en plus méfiante face au gouvernement conservateur.
Les protestants sont inquiets de la montée du catholicisme, accru par l'immigration
étrangère, et du zèle missionnaire de Vuarin contre lequel ils voudraient que le Conseil d'Etat
adopte une attitude plus énergique. Leur malaise se ressent aussi de la crise provoquée par
le Réveil, retour à une religion plus mystique que le protestantisme officiel, trop rationnel et
trop tiède.
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La ville se modernise
Les milieux économiques ne dissimulent pas non plus leur hostilité. Certes, sous la conduite
de l'ingénieur cantonal, Guillaume-Henri Dufour, la ville se modernise ; le Grand-Quai
(actuellement le quai Général-Guisan), le quai et le pont des Bergues sont construits.
Néanmoins, les commerçants et les industriels pensent qu'une véritable expansion n'aura
lieu qu'après la disparition des fortifications, qui n'ont plus de valeur militaire et étouffent la
ville. Ils se plaignent encore des entraves juridiques, fiscales, douanières qui gênent leur
activité. Ils accusent les dirigeants de défendre les intérêts des financiers, des propriétaires,
des rentiers, au préjudice des secteurs productifs.
Lutte pour améliorer les conditions de travail
La classe ouvrière a évidemment ses griefs, à commencer par son exclusion politique
résultant du régime censitaire. Des organisations de travailleurs entrent en lutte pour
améliorer les conditions de travail, dont on connaît la dureté: une société de secours mutuel
des ouvriers charpentiers est fondée en 1827, imitée par plusieurs autres professions ; ces
groupements tiennent lieu de syndicats, interdits par la loi.
En 1833 et 1834, des grèves de tailleurs et de serruriers sont parmi les premières grèves du
XIX e siècle en Suisse. Genève commence à occuper une place d'avant-garde dans le
mouvement ouvrier. Enfin, les citadins, dans leur ensemble, ont un motif commun de plainte:
la ville de Genève n'a pas d'autorités communales élues, mais est administrée par le Conseil
d'Etat.
L'Association du Trois Mars
Dans les années 1830, la plupart des cantons suisses « se régénèrent» en libéralisant leur
constitution et en proclamant le suffrage universel. A Genève, l'opposition a beau jeu pour
affirmer que le canton n'est plus qu'«un débris d'Ancien Régime».
Le 3 mars 1841, une formation voit le jour, qui groupe divers opposants. Bien simplement,
elle prend le nom d'Association du Trois Mars. Ses chefs appartiennent à la bourgeoisie
protestante. L'Association comprend des libéraux et une aile gauche, qui finira par
prédominer et donner le jour au parti radical. Cette gauche est menée par James Fazy.
James Fazy
L'homme prête le flanc à toutes sortes de critiques et ses ennemis ne se privèrent pas
d'utiliser ses défauts dans d'innombrables polémiques. Il est incontestable, en revanche, qu'il
était doté d'un génie politique à la hauteur des grands hommes d'Etat radicaux qui créèrent
la Suisse moderne en 1848. James Fazy, lui, sera l'accoucheur de la Genève moderne.
Les révolutions de 1841 et 1846
La révolution de 1841
La mise à mort du régime conservateur s'opéra en deux phases. En novembre 1841, une
émeute tumultueuse autour de l'Hôtel de Ville a pour conséquence l'agonie du régime
instauré en 1814 et l'élection d'une assemblée constituante.
La constitution de 1842 adopte le suffrage universel masculin, rétablissant, dira James Fazy,
« la souveraineté du peuple», et réalise des réformes substantielles. Toutefois, le Conseil
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d'Etat sera choisi par le Grand Conseil et non par le corps électoral. La ville de Genève
devient une commune indépendante avec un Conseil municipal élu.
Le Grand Conseil désigné en 1842 est plutôt conservateur, le Conseil d'Etat l'est
entièrement. Fazy et ses amis radicaux, insatisfaits, se servent d'une circonstance extérieure
pour terminer définitivement le règne de l'aristocratie, l'affaire du Sonderbund, une des plus
graves crises de l'histoire suisse.
L'affaire du Sonderbund
Deux courants divisaient le pays: l'un mené par les radicaux désirait transformer la Suisse en
un Etat démocratique et centralisé, l'autre, conservateur, était partisan de la tradition et du
maintien d'une souveraineté cantonale étendue. Cette coupure rejoignait, en gros, le partage
entre cantons protestants et cantons catholiques. En 1845, sept cantons catholiques se
liguèrent dans un «Sonderbund» ou alliance séparée. Les radicaux exigèrent sa dissolution.
La révolution de 1846
Le Conseil d'Etat et la majorité du Grand Conseil refusèrent, le 3 octobre 1846, d'ordonner à
la députation genevoise à la Diète fédérale de voter la dissolution du Sonderbund, cela au
nom de la souveraineté cantonale. Les autorités de la cité de Calvin et de Rousseau au
secours du catholicisme rétrograde et séparatiste, quel magnifique thème de propagande
pour les radicaux genevois ! Ils ne se firent pas faute de l'exploiter, particulièrement à SaintGervais, la citadelle ouvrière.
Le quartier de Saint-Gervais se souleva le 5 et repoussa le 7 octobre les troupes
gouvernementales. Le Conseil d'Etat démissionna. La révolution avait triomphé, portant
James Fazy et les radicaux au pouvoir.
A la Diète, Genève put voter contre le Sonderbund. Au cours d'une brève campagne, l'armée
fédérale battit les forces adverses sous le commandement habile et humain du général
Dufour. La voie était libre pour l'édification d'une Suisse moderne sur la base d'une nouvelle
constitution, adoptée en 1848. L'année précédente, le 24 mai 1847, Genève avait voté la
sienne, dont les principes sont encore en vigueur aujourd'hui. Cette constitution était en
grande partie l'œuvre de James Fazy, qui va gouverner Genève de 1847 à 1861.
La Genève moderne
Le gouvernement Fazy
Les conservateurs, par quoi il ne faut pas entendre seulement l'aristocratie ou la haute
bourgeoisie, mais aussi des petits bourgeois farouchement attachés au passé de Genève,
détestent James Fazy, destructeur de l'ancienne cité. Leur organe, le Journal de Genève ,
prend comme devise « Nous maintiendrons».
En revanche, Fazy peut compter sur la vénération de la Fabrique et des autres ouvriers. Dès
les premières grèves, il s'est fait le soutien des classes laborieuses ; les ouvriers voteront
radical jusqu'à la fin du siècle.
Si Fazy a contre lui l'ancienne banque genevoise, la plupart des commerçants et des
industriels lui sont acquis. Ils saluent en lui le défenseur de la liberté économique et le
fondateur de deux banques, la Banque de Genève et la Caisse hypothécaire, qui leur
fournissent les crédits dont ils ont besoin. Ils pensent profiter des plans d'expansion qu'il
forge pour la Genève nouvelle.
Le rassemblement de catégories sociales différentes s'observe dans tous les partis radicaux
du XIX e siècle. L'originalité genevoise consiste dans la participation des catholiques au front
fazyste. Fazy gagna leur appui en les laissant s'occuper de leurs problèmes comme ils
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l'entendaient. De plus, la constitution de 1847 enlevait au protestantisme sa qualité de
religion dominante.
La démolition des fortifications
Le premier acte de l'avènement de la Genève moderne conçue par Fazy fut le
démantèlement du réseau fortifié. Les passéistes lancèrent un avertissement solennel lors
d'un débat au Grand Conseil: il serait fatal pour l'esprit genevois que Genève devînt une
grande ville. La démolition, votée en 1849, commença la même année. Les terrains
récupérés permirent la construction d'une ceinture urbaine allant de Rive aux Pâquis.
Les travaux arrivèrent à point pour procurer du travail aux chômeurs victimes de la crise
européenne de 1847-1850. Fazy a la conscience des problèmes sociaux, mais il est d'avis
que la démocratie politique engendrera spontanément la démocratie sociale. Son libéralisme
économique le rend hostile au socialisme: il mit brutalement à l'écart un de ses partisans,
Galeer, qui réclamait le droit au travail.
Industrie commerce et communications
L'expansion urbaine et l'industrie La grande Genève espérée par Fazy devint vite réalité.
L'agglomération passa de 38'000 habitants en 1850, à 60'000 en 1870, à 131'000 en 1914.
Cette évolution démographique correspond à l'évolution favorable de la conjoncture.
L'industrie
Pour l'industrie, on discerne deux périodes. La première, après la fin de la crise en 1850, va
jusque vers 1870 et se caractérise par l'éclat de la Fabrique. Celle-ci enregistre ensuite un
déclin dû à la concurrence étrangère qui s'adapte mieux à un marché désormais orienté
davantage vers la quantité que vers la qualité. Mais cette baisse n'entraîne pas la mort de la
vieille industrie nationale: en 1900, trois mille cinq cents personnes sont encore occupées
dans les métiers de la Fabrique. Toutefois, ils sont dépassés par des productions nouvelles
apparues entre 1860 et 1890 durant une révolution industrielle locale.
Grâce à la collaboration d'hommes d'affaires à l'affût d'innovations, de savants et de
techniciens, surgissent des ateliers et des petites usines de mécanique, d'appareillage
électrique, de produits chimiques. Au début du XX e siècle, on fabriquera même des
automobiles, dont la célèbre Pic-Pic.
Cet essor est favorisé par des moyens énergétiques intelligemment mis au service de
l'industrie par l'administration municipale. Le mérite en revient surtout à Théodore Turrettini,
conseiller administratif de la Ville en 1882. La grande source d'énergie de la révolution
industrielle, la vapeur, n'eut jamais qu'une place secondaire à Genève. En revanche, l'eau du
Rhône et de l'Arve était utilisée depuis longtemps au moyen des roues de moulins.
Une première amélioration eut lieu en 1872 avec l'usage de l'eau sous forte pression. C'est
dans ce but que fut construite, en 1886, l'usine des Forces motrices de la Coulouvrenière,
d'où l'eau mise sous pression était transmise aux ateliers par des canalisations. Puis vint
l'électricité produite en abondance par l'usine de Chèvres, entrée en service en 1896, l'année
de l'Exposition nationale, dont Théodore Turrettini dirigea l'organisation.
Le commerce et la communication
Commerce
De 1850 à 1914, le commerce et le tourisme fleurissent eux aussi, bien qu'ils souffrent de
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l'infériorité de Genève dans les communications ferroviaires. Le chemin de fer n'y parvient
qu'en 1858, alors que la première ligne suisse avait été ouverte en 1844.
Communication
Les grandes lignes qui traversent les Alpes passent au sud par le Mont-Cenis et, plus tard,
au nord, par le Simplon. Des projets viseront à remédier à cette sorte de relégation comme
celui d'un tunnel sous la Faucille ou d'un grand port fluvial sur le tracé d'un canal
transhelvétique ; ils n'aboutiront pas.
Cependant, une mesure politique eut d'heureux effets. Après l'annexion de la Savoie par la
France, en 1860, la petite zone exempte de douane autour du canton, qui remontait aux
traités de la Restauration, fut étendue jusqu'à Evian, Chamonix, Frangy. Les exportations
genevoises dans la zone franche étaient dispensées des taxes douanières.
Etrangers, ouvriers et catholiques
Immigrants et droit d'asile
La croissance de la population dans la seconde moitié du XIXe siècle fut surtout le fait
d'immigrants étrangers. En 1850, ceux-ci entraient pour 24% dans la population du canton,
en 1913 pour 42%, la plus forte proportion jamais constatée. La différence de nationalité est
atténuée par la parenté linguistique, puisque la majorité des étrangers sont des Français ; la
plupart même viennent des régions toutes proches. Mais ils font basculer le rapport entre les
religions dès 1860 : quarante-trois mille catholiques vivent dans le canton face à quarante et
un mille protestants. Des esprits s'inquiètent et font remarquer que les étrangers alimentent
la criminalité, la prostitution, la mendicité, et qu'ils interviennent dans la politique.
Droit d'asile
En effet, Genève sert d'abri à des réfugiés politiques de toute provenance. Le droit d'asile
leur est accordé assez facilement déjà sous la Restauration, puis avec libéralité par James
Fazy. Chaque minorité pourchassée a ses représentants à Genève. Le plus souvent, il s'agit
d'hommes de gauche: italiens, Allemands après l'échec des révolutions de 1848, Français
proscrits après le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851 et après la Commune
de 1871, populistes et socialistes russes, parmi lesquels le plus célèbre des réfugiés, Lénine,
qui vit à Genève en 1903-1904 et 1907-1908.
Le mouvement ouvrier
Certains exilés socialistes participent au mouvement ouvrier local. Johann-Philip Becker,
révolutionnaire allemand de 1848, contribua à faire de Genève une des places fortes de la
première Internationale ouvrière. Un congrès de l'Internationale s'y tient en 1866. La réunion
jouit de la sympathie des radicaux, tandis que les conservateurs la désapprouvent. C'est
dans ces années que se développent les syndicats et que se déroulent des conflits sociaux
graves.
La grève du bâtiment de 1868 est observée par deux mille cent ouvriers. Le Journal de
Genève calculait qu'il fallait au minimum 1500 francs par an à une famille de quatre
personnes pour subsister ; les mieux payés des maçons touchaient 900 francs. La grève leur
valut une augmentation de 10 %, la journée de travail fut réduite de douze à onze heures.
En 1902, un conflit impliquant les employés des trams fut soutenu par tous les syndicats et
aboutit à la première grève générale dans une ville suisse. Le Conseil d'Etat employa
l'armée pour maintenir l'ordre. En 1892, l'introduction de la représentation proportionnelle,
favorable aux petits partis, eut pour suite la création du parti socialiste. Il enleva d'emblée
huit sièges sur cent au Grand Conseil, La rupture n'était pas encore consommée avec les
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radicaux, qui ne voulaient pas d'ennemis à gauche. L'alliance des socialistes avec les
radicaux permit à Fritz Thiébaud de devenir le premier socialiste membre d'un exécutif
cantonal.
Le deuxième grand homme du parti radical genevois après James Fazy, Georges Favon,
président du Conseil d'Etat, pratique une politique sociale avancée. Sous son impulsion, les
tribunaux de prud'hommes sont institués en 1882. En 1900, un vote du Grand Conseil
donna, pour la première fois en Europe, force de loi aux contrats collectifs.
Les catholiques persécutés
L'avènement de la représentation proportionnelle fut également à l'origine du parti catholique
créé en 1892 sous le nom de parti indépendant. L'accord entre les catholiques et les
radicaux avait été rompu à la suite de dissentiments profonds. La condamnation, par la
papauté, de divers aspects du monde moderne et la promulgation de l'infaillibilité pontificale
par le premier concile du Vatican, en 1870, déchaînèrent des tensions à l'intérieur de l'Eglise
romaine et éveillèrent l'irritation des protestants et des libres penseurs.
Pour le gouvernement radical, cette orientation était odieuse et suscita une réaction
anticléricale, amorcée déjà un peu auparavant par la crainte qu'un évêché fût rétabli à
Genève à l'instigation du Carougeois Gaspard Mermillod, curé de Genève depuis 1864 et
futur cardinal. Cette forte personnalité se heurta à un homme aussi inflexible que lui, le
conseiller d'Etat Antoine Carteret, successeur de Fazy à la tête des radicaux.
Carteret fit voter des lois qui remettaient aux fidèles l'élection des curés et enlevaient à
l'Eglise catholique romaine ses sanctuaires et ses biens confiés à l'Eglise catholique libérale
(ou catholique chrétienne), dissidence d'une minorité qui n'avait point admis les décrets de
Vatican I. Quoique Suisse, Mermillod fut expulsé de la Confédération. Cette politique
anticléricale continua jusqu'en 1878. Le corps électoral, las des disputes religieuses, vota
alors pour les conservateurs ; dès lors, les catholiques romains apportèrent leurs voix à
ceux-ci, jusqu'à la création du parti indépendant. Quant au catholicisme libéral, il ne put
supplanter l'Eglise romaine, qui reconquit peu à peu ses lieux de culte.
L’œuvre scolaire de Carteret
Antoine Carteret
L'action positive de Carteret réside dans sa législation scolaire. La loi sur l'instruction
publique de 1872 rendit l'école obligatoire pour les enfants de six à treize ans et convertit
l'Ecole secondaire des jeunes filles en un véritable collège, disposition prolongée dans la loi
universitaire de la même année, qui admettait les étudiantes. Cette loi envisageait
l'instauration d'une Faculté de médecine et prévoyait que l'Académie prendrait le nom
d'Université.
L'université de Genève et des savants de renom
L'Académie et l'Université furent animées, au XIXe siècle, par des savants de renom, tels le
botaniste Augustin-Pyramus de Candolle, le physicien Auguste de La Rive, le zoologiste Carl
Vogt, réfugié politique allemand, et Jean-Daniel Colladon, physicien, mais tourné vers les
applications pratiques des sciences. Ces quelques noms pourraient être accompagnés de
beaucoup d'autres ; malgré sa petitesse, la Genève des XVIII e et XIX e siècles a été un
berceau incroyablement fécond d'hommes de science, souvent issus de la classe
aristocratique.
La réputation des sciences exactes, au XIXe siècle, relègue un peu dans l'ombre l'apport des
sciences humaines. Frédéric Amiel (1821-1881) vaut moins comme professeur de
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philosophie que comme auteur de l'admirable et exaspérant Journal intime, qui le met au
deuxième rang des écrivains genevois après Jean-Jacques Rousseau, quand bien même
certains lui préfèrent Rodolphe Toepffer (1799-1846), l'un des inventeurs de la bande
dessinée.
En 1891, entre à l'Université le linguiste Ferdinand de Saussure, le savant genevois dont le
nom est actuellement le plus illustre ; le système qu'il a édifié, bien au-delà de l'étude du
langage, sert aujourd'hui de base à nombre de théories des phénomènes sociaux.
De même, Jean Piaget, qui enseigne à l'Université dès 1921, à côté de sa contribution aux
sciences de l'éducation et à la psychologie de l'enfance, spécialités genevoises depuis
Rousseau, élabore une théorie de la connaissance dans les sciences de l'homme.
Lutte des radicaux et des conservateurs
L'intensité du débat social et religieux ne doit pas faire oublier la lutte majeure et permanente
entre les radicaux et l'opposition conservatrice, rassemblant l'ancienne aristocratie, des
libéraux et des radicaux modérés ; ces tendances se groupèrent dans le parti démocratique
en 1875. Si le parti radical reste au pouvoir pendant la plus grande partie des années qui
séparent 1847 de 1914, son règne est interrompu de temps à autre par des gouvernements
conservateurs.
Le combat politique était la cause de violences fréquentes, car le Grand Conseil et le Conseil
d'Etat étaient réélus tous les deux ans jusqu'en 1900 ; aux élections cantonales s'ajoutaient
les scrutins fédéraux et municipaux. Qui plus est, le corps des électeurs du canton, désigné
par le vieux nom de Conseil général, votait dans un seul et même bureau, d'abord à SaintPierre, puis de 1855 à 1886, dans un local bâti tout exprès, le Bâtiment électoral, qui se
dressait face aux Bastions, à l'emplacement de l'Université Il. Les invectives pleuvaient,
parfois les coups. Les radicaux disposaient d'une troupe de choc prompte au coup de poing
contre les conservateurs.
Le 22 août 1864 eut lieu une élection complémentaire au Conseil d'Etat. Fazy, éliminé en
1861, tablait sur cette occasion pour revenir au pouvoir. Il fut battu, mais les radicaux
contestèrent le résultat et firent annuler l'élection. Deux cortèges de manifestants radicaux et
conservateurs se rencontrèrent à Chantepoulet. Les radicaux tirèrent, tuant trois personnes.
La fondation de la Croix-Rouge
Contraste saisissant, ce même jour, à l'Hôtel de Ville, baigné par une atmosphère de guerre
civile, fut signée la Convention de Genève, concrétisant par la fondation de la Croix-Rouge la
grande idée d' Henry Dunant. Le vote au lieu de domicile et la représentation proportionnelle,
qui répartit les antagonismes entre un nombre plus grand de formations, diminuèrent la
violence politique.
Le féminisme genevois
Grâce à un certain nombre de personnalités marquantes, grâce aussi à «l’esprit de
Genève», ville ouverte et généreuse au tournant des 19e et 20e siècles, Genève a joué un
rôle important dans l’histoire du féminisme suisse et international.
La première organisation féministe internationale fut fondée par la Genevoise Marie GœggPouchoulin (1826-1899), née dans une famille d’horlogers réfugiés à Genève après la
révocation de l’Edit de Nantes. L’Association internationale des femmes (AIF) fut créée le 26
juillet 1868 à Genève, au 9 de la rue du Mont-Blanc devant un public pour le moins
clairsemé. Réorganisée en 1872 sous le nom de Solidarité, l’association avait aussi son
organe de presse, Le journal des femmes, qui devint ensuite Solidarité. Marie Gœgg était
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une visionnaire. Avec plus de cent ans d’avance, les statuts de la nouvelle organisation
préfigurent de façon étonnante l’article 8 al. 2 de la Constitution fédérale actuelle, voté par le
peuple le 14 juin 1981. Comparons. Article premier de l’AIF : « L’Association internationale
des femmes (…) réclame l’égalité dans le salaire, dans l’instruction, dans la famille et devant
la loi ». Art. 8 Cst. : « L’homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l’égalité en
particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail. Les hommes et les
femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale ».
Les femmes s’organisent
Dissoute en 1880, Solidarité a posé la première pierre d’un féminisme organisé. Mais il
faudra attendre encore onze ans pour que les Genevoises se mobilisent plus activement. En
1891, à l’initiative de Mmes Cuénod-Lombard, Choisy, Gillet, Welter-Grot, Gœgg et de Mlle
Brechbühl, la séance de fondation de l’Union des femmes de Genève a lieu au Casino de
Saint-Pierre, en présence d’une petite centaine de femmes, pour la plupart issues des élites
protestantes. Solidarité féminine, éducation, activité philanthropique et suffrage féminin sont
au programme. L’Union prend à sa charge d’organiser en 1896, à l’occasion de la deuxième
Exposition nationale suisse, le premier Congrès féminin suisse. Les femmes se pressent en
nombre durant les trois jours de conférences qui ont lieu à l’aula de l’Université. Les
réceptions ont lieu au palais Eynard. C’est la Genevoise Camille Vidart (1854-1930) qui
préside le congrès et c’est en grande partie grâce à elle qu’il doit sa réussite. Il débouchera
en 1900 sur la création à Berne de l’Alliance de sociétés féminines suisses, qui regroupe
toutes les organisations féminines, qu’il s’agisse d’associations ouvrières, professionnelles,
philanthropiques ou féministes.
A l’initiative d’Auguste de Morsier, député au Grand Conseil genevois, de Louis Bridel,
professeur de droit comparé à l’Université de Genève, de Camille Vidart et Pauline
Chaponnière-Chaix (1850-1934), Genève est un des premiers cantons où se crée une
association exclusivement vouée à l’obtention du suffrage féminin. Nous sommes en 1907.
L’écrivaine et femme de pasteur Aline Hoffmann (1856-1920) en est la première présidente
et Emilie Gourd (1879-1946) la deuxième, en 1912. Cette année-là, l’association compte 162
membres. Ils seront 216 en 1916, dont 45 messieurs. Le canton compte alors quelque
170'700 habitants. De petits succès couronnent le travail de lobbying de l’association : en
1930, après un intense combat en faveur des « prud’femmes », les femmes deviennent
électrices et éligibles aux tribunaux de prud’hommes. En 1935, la loi instituant une chambre
pénale de l’enfance prévoit que l’un des deux juges assesseurs faisant partie de cette
chambre peut être une femme. Sur le plan paroissial, les protestantes peuvent voter depuis
1908.
Figures de proue et femmes de l’ombre
Impossible de traiter du féminisme genevois, suisse et international sans évoquer la figure
d’Emilie Gourd, fondatrice, en 1912, du mensuel Le Mouvement Féministe, qui existe encore
aujourd’hui sous le titre L’émilie. Elle présida, le plus souvent jusqu’à sa mort, un très grand
nombre d’associations philanthropiques et féministes, en particulier l’Association suisse pour
le Suffrage féminin de 1914 à 1928. Auparavant, elle avait été secrétaire de l’Alliance de
sociétés féminines suisses sous la présidence de Pauline Chaponnière-Chaix, autre femme
remarquable, deux fois présidente de l’Alliance (1904-1910 et 1916-1920) et présidente du
Conseil International des Femmes de 1920 à 1922.
Ainsi, grâce à quelques personnalités féminines et masculines, grâce aussi à un grand
nombre de femmes qui travaillèrent dans l’ombre à résoudre l’épineuse question du suffrage
féminin, les Genevoises obtinrent le droit de vote et d’éligibilité sur le plan cantonal le 6 mars
1960 (55,4% de oui), après les cantons de Vaud et Neuchâtel.
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Le développement urbain de genève
Malgré la construction de quais sur les deux rives, du pont des Bergues (1831-1834) et de la
passerelle de la Machine (1841), le développement urbain de Genève est entravé par le
maintien de ses fortifications. A l'intérieur de celle-ci, la ville couvre une surface de 59 ha 70
ares. Trois portes seulement permettent le passage des chars. En 1823, l'un des premiers
ponts suspendus d'Europe a été jeté par-dessus les murs en direction du plateau des
Tranchées, bientôt suivis de deux autres aux Pâquis et à la Coulouvrenière. Seuls les
piétons peuvent l'emprunter.
De nouveaux quartiers
En 1846, la révolution radicale, appuyée par les commerçants et les artisans, ne conçoit le
développement économique de la ville qu'en favorisant l'expansion urbaine par la démolition
des fortifications. Quatre communes occupent alors le territoire actuel de la ville de Genève.
Ce sont les Eaux-Vives et Plainpalais sur la rive gauche, le Petit-Saconnex sur la rive droite,
qui, toutes trois fusionneront en 1931 avec celle de Genève proprement dite, qui ne
dépassait alors pas l'emprise des bastions et des fossés. Divers projets d'urbanisme voient
le jour en 1849 et 1950, tandis que l'on procède au démantèlement des fortifications. Un plan
d'alignement des rues et places sur les terrains devenus disponibles est adopté en 1854. Il
doit beaucoup au général G.-H. Dufour, ingénieur cantonal. Toutefois, ce plan sera fortement
modifié le 18 décembre 1855 et complété le 2 juillet 1858 par l'ingénieur Blotnitzki. Le
schéma directeur pour la construction des nouveaux quartiers édifié sur les terrains des
fortifications est désormais en place. Mais contrairement au projet Dufour, ce plan se borne à
n'envisager que les terrains disponibles sans tenir compte d'un périmètre plus vaste.
Ainsi se construisent, à partir de 1855 de nouveaux quartiers, à plan régulier rectiligne, sur le
plateau des Tranchées, aux Philosophes, à rive ou entre Chantepoulet et les Pâquis. Des
places sont créées comme le Rond-Point de Plainpalais ou celui de Rive. Divers édifices
religieux voient le jour, sur les terrains offerts par l'Etat : Eglise anglaise, Eglise Notre-Dame
pour les catholiques-romains, synagogue, Temple maçonnique, Eglise russe. Ainsi se
constitue ce qu'on appellera au XXe siècle la ceinture fazyste, toujours reconnaissable, parce
qu'elle sépare très nettement l'ancienne Genève (Vieille-Ville et Saint-Gervais) des quartiers
qui se sont construits d'une manière plus anarchique sur l'emplacement des anciens
faubourgs, aux Eaux-Vives, à Plainpalais, à la Jonction ou aux Pâquis. Durant cette période,
on poursuit la construction des quais du Mont-Blanc et des Eaux-Vives, donnant à la rade
son visage actuel. Deux nouveaux ponts sont créés : celui du Mont-Blanc (1861) et celui de
la Coulouvrenière (1857).
L'emplacement de la gare, point de jonction des lignes Lyon-Genève et Lausanne-Genève
fut fixé à Cornavin, assurant un fort développement de la rive droite, alors que Dufour eut
souhaité l'édifier à la Coulouvrenière. Une vision d'ensemble du futur réseau ferroviaire a fait
défaut. Du coup, malgré la construction de la gare des Vollandes (1888), le raccordement
ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse reste toujours d'actualité en 2005, malgré une
convention signée avec la Confédération en 1912. Les problèmes de déplacement dans
l'agglomération genevoise transfrontalière vont sans doute permettre au CEVA de voir le jour
après 120 ans d'attente ! Entre 1850 et 1888, la ville passe de 31'238 habitants à 52'043 et
les communes suburbaines de 6'486 à 13'666 habitants.
En 1915, Genève et les trois communes suburbaines atteignent 123'175 habitants. L'essor
démographique est donc considérable. Il s'accompagne d'une extension des nouveaux
quartiers desservis par un imposant réseau de tramways établi en une trentaine d'années de
1864 à 1894 et qui se déploie sur 126 kilomètres. C'est alors le plus important réseau de
Suisse.
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La ville s'étend désormais dans toutes les directions, rejoignant d'anciennes agglomérations
comme Chêne ou Carouge. On peut distinguer quatre espaces distincts : le centre urbain à
rues continues, la zone suburbaine moins dense, un espace formé de grandes propriétés
dont certaines vont constituer la future ceinture de parcs publics (la Grange, les Eaux-Vives,
Bertrand, Beaulieu, Mon-Repos, la Perle du Lac), enfin une zone de petites villas.
L'apparition de la bicyclette et de l'automobile (1'330 en 1913) facilitent les déplacements.
Les villages genevois, à la veille de la Première Guerre mondiale, bénéficient tous de
l'électricité, du tram et du téléphone et la ville commence à s'installer à la campagne, c'est-àdire que la population urbaine proprement dite stagne alors que croît fortement celle de
l'agglomération.
Un premier plan d'extension est élaboré en 1896, mais n'est adopté qu'en 1900. Il est trop
tard pour éviter morcellements et lotissements irréguliers, donnant à ces nouveaux quartiers
un aspect inachevé où les vides sont comblés par des hangars, des garages ou des ateliers.
Dans le même temps, le quartier des Rues basses subit une transformation complète. Le
vieux tissu médiéval cède la place à un parcellaire nouveau, sous prétexte d'hygiène et
d'assainissement, L'Ile, le quartier de la Tour Maîtresse et la place Bel Air subissent de
profondes transformations entre 1890 et 1903, suivies par la Rôtisserie et la Madeleine entre
1910 et 1928, au moment même où l'on perce la Corraterie pour créer la rue du Stand.
Le développement urbain s'est accompli durant la première moitié du XXe siècle sans
véritable plan d'ensemble, au gré de diverses opérations immobilières. Si la population n'a
cessé de croître jusqu'en 1918, la période de l'entre-deux guerres est pour Genève celle
d'une dépression économique due d'abord à la suppression des grandes zones, puis à la
crise économique mondiale que l'installation de la Société des Nations et du Bureau
international du Travail ne permettent pas de surmonter.
En 1936, la grande Genève, formée des quatre anciennes communes, compte 119'131
habitants. Bien que la population augmente par la suite, en 1945, Genève dénombre 136'485
habitants et n'a donc pas retrouvé le chiffre de 1918. C'est durant cette période morose
cependant que Genève se dote de l'embryon d'un service d'urbanisme, appelé d'abord
bureau du plan d'extension et d'une loi sur les constructions, en 1940, qui crée cinq zones de
constructions, outre quelques zones spécifiques pour la Vieille-Ville ou Carouge. De même,
on construit en 1945 le pont ferroviaire de la Jonction pour pousser la voie ferrée jusqu'à la
Praille. Une petite ceinture de contournement est créée sur la rive droite jusqu'au pont Butin.
Enfin, on termine l'usine hydro-électrique de Verbois en 1943, tandis que l'on bétonne les
premières pistes de Cointrin.
Les Trente glorieuses
Pourtant, les Trente glorieuses, ces trente années d'expansion économique sans précédent,
de 1945 à 1974, prendront Genève comme par surprise. Le canton dépasse les 200'000
habitants en 1948, les 300'000 en 1966, les 400'000 en 1998. Le brusque accroissement de
la population, dû tant au baby-boom qu'à la forte immigration en provenance d'Italie,
d'Espagne et du Portugal contraint le canton à des solutions d'urgence en matière de
logements. Ce seront, d'une part, les lois HLM, qui prévoient une subvention de l'Etat pour la
construction de logements à loyers modérés, à partir de 1957, d'autre part, la création de
cité-satellites édifiées dans les nouvelles communes suburbaines du grand Genève, à
Meyrin (1961), Onex, Aïre-Le Lignon, sans oublier les tours de Carouge. Finalement, de
1955 à 1978, sur 100'000 logements construits, 33'000 le seront avec l'aide de l'Etat.
Personne ne prévoit, au milieu des années cinquante, le développement de l'automobile.
Ingénieurs et urbanistes s'opposent pourtant sur la traversée autoroutière du canton. Tandis
que le projet d'amener l'autoroute en pleine ville, par les quais, est rejeté très largement par
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le peuple, le 4 décembre 1960, les autorités envisagent, après l'inauguration de l'autoroute
Genève-Lausanne, en 1964, pour l'Exposition nationale, de traverser la rade, en pont ou en
tunnel. Les opposants plaident pour une autoroute de contournement, réalisée finalement en
1993, au prix d'un milliard et demi de francs. Une fois cette dernière en chantier, le projet de
traversée (petite, moyenne ou grande) resurgit. Si le principe en est admis par le peuple en
1988, les deux projets concrets présentés en 1996 (pont ou tunnel) sont rejetés en juin 1996.
Architectes et planificateurs ne manquent alors pas de dire que l'autoroute de contournement
forme la nouvelle muraille qui corsette Genève et autour de laquelle devrait se structurer le
développement de l'agglomération. En réalité, ce dernier est entravé par l'application de plus
en plus stricte d'un zoning établi en 1957 pour l'essentiel. Chaque déclassement donne
désormais l'occasion d'une bataille au Grand Conseil, avec des majorités à géométrie
variable suivant les projets.
Un développement en flaque d'huile
Bien que conçu dans une optique strictement genevoise, pour des raisons de légalité, les
plans de développement de l'agglomération genevoise prennent de plus en plus compte de
la dimension régionale, voire transfrontalière. en effet, Genève, au sens large, tend à devenir
une seule agglomération de Nyon à Annemasse. Après la crise immobilière de 1989, la
construction de logements s'essouffle dans les années 1990. Malgré la reprise à partir de
1998, jamais la construction de logements n'a été aussi faible dans le canton.
Pourtant, l'offre d'emplois progresse d'autant plus que les bilatérales, en 1994, ont ouvert le
marché du travail. En 2005 près de 49'000 travailleurs frontaliers, venus de la Haute-Savoie
ou du Pays de Gex et près de 25'000 pendulaires vaudois viennent travailler
quotidiennement à Genève. Autour de l'ancien noyau urbain s'étend une zone suburbaine
formée de cités satellites et de larges quartiers de villas (Veyrier, Troinex, Chêne-Bougeries)
puis une zone agricole largement préservée, constitutive des espaces verts de demain.
Enfin, une dernière zone, périurbaine se développe rapidement en dehors des frontières du
canton et «mite» le territoire entre le Salève et Jura. Ce développement n'est pas cordonné
et ressemble plus à une flaque d'huile qu'à une étoile. La volonté de réaliser un train régional
express de Nyon à Lausanne participe à cette tentative de réguler une croissance
vigoureuse. En 1960, on parlait d'une Genève de 800'000 habitants comme une hypothèse
de travail. En 2005, le canton ne compte que 438'000 habitants, mais l'agglomération atteint
plus de 600'000 habitants.
L'enchevêtrement des compétences politiques communales, cantonales, départementales,
régionales ou nationales ne favorise pas un développement harmonieux de l'agglomération
genevoise malgré les réflexions nombreuses et nourries des professionnels à ce sujet.
Le début du 20ème
La Première Guerre mondiale
La décennie avant 1914 fut une période de haute conjoncture ; le niveau de vie des
travailleurs s'améliora peu à peu. La Première Guerre mondiale interrompit ce progrès. La
situation des salariés se dégrada. Les mobilisés perdaient leur gain, sans indemnité. Des
familles ouvrières ne vivaient que de la charité. En revanche, d'autres classes, comme la
paysannerie et la bourgeoisie industrielle, augmentèrent leurs profits.
Les luttes de classes s'accentuent et provoquent la grève générale nationale du 11
novembre 1918, décidée et dirigée de Suisse alémanique. En Suisse Romande et à Genève,
l'aggravation du sort des salariés est aussi sensible qu'à Zurich ou à Bâle. Pourtant, les
tensions sociales sont masquées par une francophilie délirante qui réunit toute la population
dans la haine des Allemands. Comble du ridicule, la rue des Allemands, qui rappelait depuis
© Helvetia Genevensis 2006
des siècles le souvenir des marchands germaniques qui venaient aux foires de Genève, est
débaptisée en rue de la Confédération. La presse peut dépeindre les chefs syndicalistes et
socialistes alémaniques comme des agents «boches».
La grève de 1918 coïncide avec les journées où la ville en liesse fête la victoire alliée. Dans
ces circonstances, les dirigeants ouvriers eux-mêmes sont étonnés de dénombrer huit mille
grévistes. Parmi les meneurs, un jeune postier d'origine vaudoise, Léon Nicole, refera parler
de lui.
Le durcissement des extrêmes
La mémoire de la grève générale, qui échoue, fait régner pendant vingt ans, dans tout le
pays, un climat d'hostilité entre la bourgeoisie et la paysannerie d'un côté et la classe
ouvrière de l'autre. Sous l'influence de la grève et de la Révolution russe de 1917, le parti
socialiste rédige un programme extrémiste qui met en relief la lutte des classes et la
dictature du prolétariat. La bourgeoisie prend peur et s'organise. La grève a fait surgir une
Union civique, association de défense contre les «rouges ». Des groupes empruntent des
idées à l'extrême droite française, puis au fascisme, victorieux en Italie en 1922.
Durant les années 1920, la tension entre la gauche et la droite reste limitée. Après une
courte crise, l'économie tourne à plein, les divergences sociales sont atténuées. Le parti
socialiste, conduit par une tendance modérée, prolonge son alliance électorale avec les
radicaux, ce qui lui permet d'obtenir deux sièges au Conseil d'Etat en 1924.
L'optimisme éveillé par la vitalité économique est fortifié par l'espoir d'une paix durable, que
semble capable d'établir la Société des Nations, ancêtre de l'ONU. Les efforts de Gustave
Ador, ancien conseiller d'Etat genevois, conseiller fédéral et président de la Confédération, et
du professeur William Rappard avaient concouru à ce que Genève fût choisie pour siège de
la SDN en 1919. Sous son égide, des traités lient les grandes puissances, y compris les
anciens belligérants. A partir de 1925 souffle ce qu'on a nommé «l'esprit de Genève», qui
donne confiance dans l'avenir pacifique du monde.
Le gouvernement socialiste
La grande crise
La plus grande crise qu'ait subie le capitalisme détruit ce climat d'espérance. Commencée
aux Etats-Unis en 1929, elle touche la Suisse en 1931. Le fléau du chômage se propage,
Genève compte 4'500 chômeurs en 1933. Les classes moyennes souffrent aussi. La baisse
générale de l'industrie et du commerce est accentuée par la suppression de la grande zone
franche de 1860, décrétée unilatéralement par la France. Partout la dépression amplifie les
conflits sociaux et politiques.
A Genève, ces rivalités et leurs conséquences politiques redoublent avec l'arrivée de
nombreux Confédérés, qui remplacent les étrangers, dont beaucoup sont partis pendant la
guerre. Les ressortissants des autres cantons passent d'une proportion de 27 % de la
population en 1913 à 43 % en 1935. A la différence des étrangers, ils sont électeurs.
Travailleurs manuels pour la plupart, ils votent socialiste. La députation du parti au Grand
Conseil comprend trente-sept élus en 1930 ; elle est devenue la plus forte du Parlement
cantonal.
Léon Nicole
Chez les socialistes, le ton n'est plus à la modération. En 1930, Léon Nicole et la tendance
dure ont pris la direction du parti. C'en est fini de l'alliance avec les radicaux, qui rejoignent
les conservateurs du parti national-démocratique (ce sont les libéraux d'aujourd'hui) et les
© Helvetia Genevensis 2006
catholiques, représentés par le parti indépendant chrétien-social, devenu le parti démocratechrétien, dans une hostilité implacable contre les socialistes et contre leur leader.
Léon Nicole est le type même de l'homme voué tout entier à une cause, le combat contre
l'injustice sociale. Fort peu théoricien, il est plutôt réformiste que révolutionnaire, même s'il
éprouve un attachement sentimental envers la Russie soviétique, qu'il prend pour le paradis
des travailleurs. Cependant, ce fond est masqué par un langage incendiaire, dans des
discours ou des articles où il brandit des menaces effrayantes contre les bourgeois. Nicole
jouit d'un immense prestige auprès des ouvriers et des petites gens.
La fusillade du 9 novembre 1932
En 1932 est fondée l'Union nationale, formation d'inspiration et de style fascistes menée par
Georges Oltramare. Cette extrême droite recueille des sympathies dans les partis bourgeois
à qui elle plaît par son antimarxisme, voire son antisémitisme, alors qu'elle fait preuve d'un
anticapitalisme plus nuancé. Disposant d'un appareil d'intervention prompt à la bagarre,
l'Union nationale peut tenir tête à la gauche.
L'Union nationale annonce pour le 9 novembre 1932 la mise en accusation publique à la
Salle communale de Plainpalais de Léon Nicole et de Jacques Dicker, autre dirigeant
socialiste. Les socialistes convoquent une contre-manifestation qui aura lieu le même soir
autour de la Salle communale.
Dans la crainte d'un affrontement sanglant, le Conseil d'Etat demande l'aide de l'armée
suisse. Une école de recrues est envoyée de Lausanne, bien mauvais choix pour une tâche
de police. Une partie des soldats est acculée contre le Palais des Expositions devenu Uni
Mail. On leur lance des pierres et des pavés. Les officiers commandent le feu. La fusillade
fait treize morts et soixante blessés. Rendus responsables de ces événements, Nicole et
d'autres socialistes sont condamnés par une cour d'assises fédérale.
Le gouvernement socialiste
Léon Nicole purge une peine de six mois de prison. A peine est-il sorti, qu'il est nommé
président du Conseil d'Etat. Les élections de novembre 1933 sont, en effet, une victoire pour
les socialistes. La participation a été considérable: 84 %. Les socialistes remportent
quarante-cinq sièges au Grand Conseil. Mieux, ils obtiennent la majorité au Conseil d'Etat
avec quatre sièges contre trois aux partis bourgeois.
Ce succès provenait de la coïncidence de plusieurs facteurs. Des scandales bancaires dans
lesquels des hommes politiques étaient mêlés avaient ébranlé l'opinion ; la responsabilité du
sang versé le 9 novembre était attribuée au Conseil d'Etat radical-libéral. Surtout, la crise
avait incité à se prononcer pour une politique économique différente. En plus des ouvriers,
une partie de la petite bourgeoisie avait voté pour Nicole.
Allait-on assister, avec ce premier Conseil d'Etat à majorité de gauche en Suisse, à une
expérience socialiste ? En fait, l'objectif immédiat de Léon Nicole se bornait à la volonté de
relancer l'économie par des investissements de l'Etat, notamment dans de grands travaux.
Mais, pour cela, il fallait disposer de moyens financiers. Or les caisses étaient vides et le
Grand Conseil, où les partis bourgeois disposaient de la majorité et menaient une guerre
impitoyable contre le gouvernement socialiste, refusa toute augmentation des impôts. Les
banquiers, que Nicole avait traînés dans la boue, repoussèrent ses demandes de prêt. Seul
un subside de la Confédération évita la banqueroute de l'Etat.
Pour comble, les trois ans de gouvernement socialiste correspondent à l'apogée de la crise
en Suisse. Les projets restent dans les tiroirs ou ne reçoivent que des débuts d'exécution ; le
chômage subsiste. Bref, c'est l'échec.
© Helvetia Genevensis 2006
Genève durant la seconde guerre mondiale
L'Entente nationale
Le choc provoqué par le succès socialiste de 1933 unit solidement les trois partis bourgeois
dans une Entente nationale. Les élections au Grand Conseil de novembre 1936 sont
marquées par un record absolu de participation avec 86 % de votants. L'Entente est
victorieuse. Le recul socialiste est peu sensible au Grand Conseil, où siègent encore
quarante députés de ce parti. En revanche, pour le Conseil d'Etat, la déroute est totale. Les
sept postes sont enlevés par quatre radicaux, deux libéraux et un démocrate-chrétien.
Le nouveau Conseil d'Etat est nommé juste au moment où la dévaluation du franc et d'autres
dispositions fédérales diminuent l'ampleur de la crise. Les banques accordent
immédiatement au nouveau gouvernement les crédits qui l'aideront à redresser la situation
financière du canton.
La Suisse, depuis 1936, jouit d'une diminution notable des tensions qui avaient troublé les
années précédentes. Ce changement s'explique par l'amélioration économique, l'union
sacrée entre bourgeois et socialistes face au danger nazi, la paix du travail de 1937 entre les
syndicats et les associations patronales. Par contraste, l'atmosphère reste lourde à Genève.
Les adversaires politiques s'opposent violemment au Grand Conseil, dans la presse, dans la
rue. Ces heurts cesseront seulement avec le début de la Seconde Guerre mondiale.
Durant la guerre de 1939-1945
Le pacte germano-soviétique d'août 1939 brise l'unité de la gauche. Léon Nicole, qui refuse
de désapprouver ce traité, est exclu du parti socialiste suisse. il fonde la Fédération
socialiste suisse, tandis que les militants fidèles au parti suivent un autre leader, Charles
Rosselet. Aux élections de novembre 1939 pour le Grand Conseil, les «nicoléens»
obtiennent vingt-huit sièges, les socialistes «officiels» sept. La Fédération sera interdite en
1941.
Le sort de Genève pendant la guerre n'a pas encore suscité d'histoire générale. L'angoisse
devant les événements de la seconde guerre mondiale, la peur d'une attaque sont
communes à tout le pays, mais empirées dans ce canton par son sentiment d'isolement par
rapport au reste de la Suisse et par la proximité des troupes italiennes et allemandes aux
postes frontière après la défaite de la France en 1940.
Néanmoins, la Suisse a su garder son indépendance et a réussi à ne pas être intégrée dans
l'Europe allemande, sort que lui promettait certaines cartes nazies. Pour cela, elle a dû
pratiquer une politique réaliste trop rigidement égoïste, au détriment d'une politique plus
idéaliste, plus conforme à sa réputation de terre d'asile, plus accessible aux souffrances
d'autrui, ce qui était parfaitement possible malgré les déclarations volontairement alarmistes
des autorités civiles et militaires criant à la famine prochaine et à la sécurité menacée,
attitude qui fut la cause, à nos portes, de bien des drames, hélas, dus aux mesures de
refoulement prises à l'encontre d'hommes, de femmes, d'enfants juifs qu'on envoyait à la
mort en les repoussant ; d'autres furent admis, confinés souvent et parfois durement traités
dans des camps ouverts dans divers points du canton.
A côté de ces pages noires, l'honneur est sauvé par les multiples secours publics et privés
en faveur des victimes du conflit. Signalons, en particulier, l'accueil d'enfants français dans
des familles. La Résistance trouva aussi des appuis solides ; la Suisse Romande et Genève
remplirent encore la fonction de porte-voix de la culture française, bâillonnée par l'occupation
allemande, en éditant livres et périodiques.
© Helvetia Genevensis 2006
Le dernier demi-siècle
L'accroissement démographique
Durant les années qui vont de 1950 à 1990, comme toute la Suisse, Genève a bénéficié
d'une prospérité économique inégalée. Les conséquences en ont été variées et profondes, la
plus visible étant un bouleversement du paysage du canton consécutif à l'urbanisation
provoquée par la croissance de la population. De 1925 à 1945, celle-ci avait oscillé entre
163'000 et 187'000 habitants. A la fin d'avril 1985, elle s'élevait à 363'000 personnes. La
hausse fut très rapide de 1950 à 1960, le chiffre d'habitants montant de 203'000 à 259'000,
encore plus abrupte dans les dix années suivantes, grimpant à 332'000 âmes en 1970.
Effet de cette poussée démographique, on a construit plus de bâtiments de 1947 à 1972 que
depuis 1800. Des communes rurales ont été métamorphosées en villes, telles Vernier,
Meyrin, Lancy, Onex.
Les années récentes sont celles d'un certain ralentissement dans le flux migratoire, mais les
statistiques officielles sont trompeuses. Le nombre de 428'000 âmes peuplant le canton à la
fin de 2002 est dépassé. Les 164'000 étrangers sont sous-estimés à cause d'une quantité de
clandestins, « sans papiers » non dénombrables. Quant à l'origine, les colonies étrangères
les plus fortes sont dans l'ordre les Portugais (environ 30'000), les Italiens (22'000), les
Espagnols (17'000), affirmant une priorité latine dans l'émigration.
Pendant longtemps relativement homogène, majoritairement européen et latin, l'éventail des
provenances des arrivants s'est extraordinairement ouvert, de l'Europe de l'Est à diverses
contrées de l'Afrique et de l'Asie. Les réfugiés politiques fuient des régimes odieux où la mort
guette les opposants ; le « nettoyage ethnique», épouvantable expression, expose au
massacre des populations entières. Vers la riche Europe accourent encore des malheureux
qui tentent d'échapper à la misère et à la faim. Mais quelle part voulons-nous prendre à la
détresse du monde ?
L'immigration étrangère
Puis se pose la question de l'intégration. Malgré les efforts énormes des enseignants du
primaire et du secondaire, l'école est-elle encore capable d'exercer sa mission de grande
assimilatrice envers tant d'enfants de langues et de civilisations différentes ? Ou bien
renoncera-t-on à l'intégration généralisée au moins pour les communautés qui tiennent à
conserver au maximum leurs particularités ? Combien malaisée la tâche de l'Etat qui doit
concilier le devoir d'humanité avec la régulation du flux migratoire !
L'immigration proprement dite étant insuffisante pour couvrir les besoins de main-d'œuvre
d'une économie en pleine expansion, on recourut à d'autres étrangers, les frontaliers,
travaillant à Genève, mais n'y habitant pas. En 2002, ils furent 35'000 à franchir chaque
matin la frontière et à regagner chaque soir leur demeure de l'Ain ou de la Savoie. C'était un
nombre record.
Le cas des frontaliers et bien d'autres réclament des négociations constantes avec les
départements français limitrophes et, au-delà, avec toute la région Rhône-Alpes, dont
Genève fait partie de fait, métropole donnant et recevant. Est-ce trop hardi d'y voir la marque
que Genève a recouvré, grâce à cette collaboration interrégionale, une part de politique
étrangère ?
Les immigrants étrangers, principal élément de l'augmentation de la population, se
répartissent en catégories bien tranchées. Le plus gros contingent est celui des travailleurs
employés dans le bâtiment, presque complètement délaissé par les nationaux, dans
l'industrie et dans les postes inférieurs du secteur tertiaire.
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L’économie et l’instruction publique
L'économie
Le trait dominant de l'économie genevoise durant ce tiers de siècle a été la chute de
l'industrie. Victime de la concurrence extérieure ou de la concentration des entreprises, une
usine sur cinq a fermé ou quitté Genève de 1966 à 1972, et ces cessations d'activité se sont
poursuivies depuis. Beaucoup des entreprises qui restent ont passé sous contrôle suisse
alémanique ou étranger. Genève n'a plus la vocation industrielle ou, du moins, son rôle se
limite-t-il de plus en plus à des fabrications très spécialisées dans des domaines de pointe.
La supériorité du tertiaire (commerce, banque, administration, hôtellerie, etc) est maintenant
éclatante. Dans le secteur de l'économie privée également, Genève est un centre
international: quantité de maisons étrangères ont installé leur siège ou une succursale dans
notre ville. Une image révélatrice est offerte par la banque. En 1945, le canton possédait
trente-neuf comptoirs bancaires: en 1982, ou en recensait deux cent cinquante-quatre. Plus
qu'aux vieilles banques privées et aux filiales des grandes banques helvétiques, cet essor
est dû à la multitude des établissements étrangers qui ont proliféré. Si toutes les opérations
bancaires sont pratiquées, celle qui prime est la gérance de fortune, alimentée par l'arrivée
de capitaux étrangers, parfois d'origine douteuse, recherchant la sécurité helvétique: Genève
détient la première place en Suisse par la valeur des fonds gérés.
L'essor du tertiaire a dépendu aussi d'un net progrès des transports. Deux innovations ont
porté remède à la médiocrité des relations ferroviaires: l'aéroport intercontinental de Cointrin
et le percement du tunnel du Mont-Blanc.
En automne 1974, un brusque retournement de la conjoncture survint, mais qui fut bref.
Persistante, en revanche, la crise commencée avec le début des années 1990. Genève a
été un des cantons les plus durement frappés. L'indice le plus révélateur et le plus affligeant
est l'extension du chômage: 2000 chômeurs complets ou partiels en 1985, 13'000 environ en
1997 dont plus du quart n'ont pas travaillé pendant un an ou plus. Autres victimes de
l'évolution économique, deux quotidiens ont cessés de paraître: «La Suisse» en 1994 ainsi
que le doyen de la presse locale, le «Journal de Genève», âgé de 172 ans, qui expira le 27
février 1998.
Les finances de l'Etat ont plongé ; sa dette se monte à 10 milliards de francs. La crise a sa
part dans cette infortune avec la diminution des recettes fiscales et la flambée des dépenses
sociales, passées de 247 à 871 millions entre 1987 et 1995, mais les experts incriminent
aussi une politique trop généreuse, peu soucieuse des revirements possibles de la
conjoncture. Enfin, trait le plus voyant et le plus triste, la mendicité a réapparu dans les rues
genevoises.
La réforme de l'instruction publique
Dès 1962 le type d'études, longues ou courtes, humanistes ou professionnelles furent fondus
dans une institution unique, le Cycle d'orientation, sous l'impulsion du socialiste André
Chavanne, conseiller d'Etat chargé du Département de l'instruction publique de 1962 à 1985,
qui fut le plus populaire des hommes d'Etat genevois de l'après-guerre.
Autre unification, en 1969, la mixité, qui facilita l'éclatement du Collège et de son parallèle
féminin, l'Ecole secondaire et supérieure des jeunes filles en une série de collèges aux noms
magnifiant d'illustres Genevois: Calvin, Rousseau, de Saussure, Sismondi, Dunant,
Germaine de Staël et d'autres, ainsi que Voltaire, hôte de Genève.
© Helvetia Genevensis 2006
Le désenchantement
La prise de conscience
Genève, avec Zurich et Bâle-Ville, a été un des trois cantons suisses qui ont le plus profité
de la réussite économique. Pourtant, l'euphorie produite par une réussite sans précédent est
loin d'être dépourvue de désillusions. Dans l'inquiétude répandue chez toutes les sociétés
avancées, il n'est pas aisé de démêler ce qui est propre à Genève. Pour ne citer qu'un
exemple, l'expansion urbaine non maîtrisée avec ses agressions contre la qualité de la vie,
le dépeuplement du centre de la ville au profit d'immeubles de bureaux, les dommages au
paysage urbain et rural forment un phénomène commun, qui appartient à la crise générale
des villes du monde occidental. La réaction populaire contre les ravages subis par
l'environnement s'est cristallisée dans le vote de 1996 refusant la construction d'une nouvelle
traversée de la rade.
A Genève, toutefois, la prise de conscience fut peut-être plus précoce qu'ailleurs. La
croissance brutale, qui paraissait sans limite (ne parlait-on pas, vers 1965, d'une Genève
future de 800'000 habitants ?), vouait à une urbanisation totale un canton bloqué à l'intérieur
d'un territoire étroit. L'identité genevoise était noyée sous une emprise étrangère plus lourde
que celle des autres cantons puisque Genève abritait non seulement des travailleurs
immigrés, mais des « internationaux », fonctionnaires ou employés d'entreprises étrangères,
dont on a signalé le rôle dans notre économie ; trop de riches étrangers accaparaient
maisons et terrains. Dès 1959, cet afflux s'attirait le reproche de «saturation». Au milieu des
années 1960, Genève fut une des premières régions suisses où les mouvements
xénophobes recueillirent de larges adhésions.
Le malaise genevois
Les composantes du malaise genevois ne peuvent être analysées ici. Il faut se borner à
relever un seul élément, la peine qu'ont les Genevois à se situer dans l'Etat suisse. Eloignée
des centres de décision économique et politique du pays, Genève éprouve parfois
l'impression pénible d'être tenue pour peu de chose. Les faits corroborent cette idée: depuis
le XIX e siècle, le canton n'a obtenu que rarement et avec difficulté des appuis que la
Confédération octroyait largement à d'autres. Ce sentiment de frustration s'est exprimé avec
force en 1996, quand l'aéroport de Cointrin, une des grandes fiertés des Genevois, fut
dépossédé de plusieurs vols internationaux au profit de Zurich. Enfin, il a fallu attendre trois
quarts de siècle avant que Genève retrouve une place au Conseil fédéral en la personne de
Ruth Dreifuss, élue en 1993 (elle le quittera en 2002).
Le malaise diffus que ressentent les Genevois se traduit nettement dans le domaine
politique, L'abstentionnisme en matière électorale est un phénomène national, mais nulle
part ce désintérêt des citoyens n'est plus continu et plus prononcé. Le pourcentage des
participants à l'élection du Grand Conseil, qui était de 76 % en 1945, était descendu à 35 %
en 1993. Cette baisse est alarmante et pose des questions de fond.
A côté du refus facile de la «cuisine», politique et de la conviction que le vote ne changera
rien aux décisions prises d'en haut par les politiciens, ne faut-il pas admettre le décalage
entre un système de partis et des doctrines héritées du XIX e siècle et la mentalité et les
nouvelles façons de vivre des gens d'aujourd'hui ? Ces facteurs ont pour conséquence une
dégradation de l'esprit public et un effondrement des valeurs citoyennes.
Les changements politiques
Les années 1950 à 1990
Du côté des partis politiques, tous, sans exception, ont été secoués par des crises plus ou
moins graves. Un seul est allé jusqu'à la scission, le parti du travail, parti communiste fondé
© Helvetia Genevensis 2006
par Léon Nicole en 1944, qui se sépara en 1952 de son vieux leader ; celui-ci créa un parti
progressiste, disparu rapidement.
La crise du parti radical date de la défaite qu'il essuya en 1961. Grand parti des années
1950, première des formations politiques au Grand Conseil avec trente-sept députés en
1957, majoritaire au Conseil d'Etat avec quatre sièges, il perdait dix sièges au Grand Conseil
et n'avait plus, au Conseil d'Etat, qu'un seul représentant. Ce choc était dû à l'usure du
pouvoir ; les radicaux étaient rendus responsables des ratés de l'expansion. En 1965, ils ont
retrouvé un second mandat au gouvernement.
La crise du parti libéral, en 1969, affaire de personnes, est moins importante que les remous
qui se firent jour chez les démocrates-chrétiens, les socialistes et les communistes. Ces
difficultés sont le reflet du malaise dont il a été parlé ; elles prirent la forme d'un conflit entre
jeunes et vieux, les premiers, partisans d'une politique sociale plus avancée, accusant les
seconds d'immobilisme ou d'embourgeoisement. Ces conflits, plus ou moins latents, furent
avivés par la révolte parisienne de mai 1968 qui eut ses répercussions à Genève,
particulièrement chez les étudiants de l'Université, et donna le jour à des groupes
«gauchistes».
Cependant, la traduction politique la plus manifeste du «malaise» fut la création, en 1965,
d'un nouveau mouvement, les Vigilants. Hostiles à la surpopulation étrangère, les Vigilants
luttaient pour le maintien des valeurs traditionnelles. Cette formation s'éteignit au début des
années 1990.
Créations récentes, une Alliance de gauche, associant le parti du travail - devenu moins
doctrinaire, à l'image des autres partis communistes européens - à diverses tendances de la
gauche non socialiste, et, tout nouveau, un parti écologiste fondé en 1983 et entré au Grand
Conseil en 1985, avec huit députés.
Les années 1990 à 1999
Un événement marquant survint en 1993. Compte tenu de la force des partis dans le Grand
Conseil, l'usage s'était ancré d'introduire au Conseil d'Etat, à majorité bourgeoise, deux
socialistes. Cette année-là, l'Entente bourgeoise, qui avait succédé à l'Entente nationale,
rompit l'habitude prise. Ayant remporté la majorité absolue au Grand Conseil, elle présenta
sept des siens comme candidats au Conseil d'Etat, soit la totalité des sièges du
gouvernement cantonal. Cette option fut ratifiée par le corps électoral, qui les désigna tous.
Ce Conseil d'Etat « monocolore» comprenait pour la première fois une femme.
Le renouvellement de 1997 est digne de mémoire à plus d'un titre. Premier point à relever,
les voix exprimées sont en progression. En 1993, on l'a vu plus haut, le niveau minimal avait
été atteint, les urnes n'ayant recueilli les bulletins que d'un électeur sur trois pour le choix
des membres du Grand Conseil. En 1997, ce pourcentage passe à 39 %, rejoignant à peu
près le taux de 1985. Plus spectaculaire, l'augmentation des votants pour le Conseil d'Etat,
qui bondit de 33 % à 48 % et oblige à retourner jusqu'en 1965 pour rencontrer un chiffre
équivalent. Une lutte plus accentuée, et donc plus mobilisatrice, entre la gauche et la droite
explique en partie et surtout pour la seconde de ces élections, cette amélioration, à laquelle
a contribué la généralisation du vote par correspondance.
Deuxième élément à mettre en relief, le succès de la gauche et des Verts envoyant 51
députés au Grand Conseil et obtenant ainsi la majorité absolue.
Troisièmement, la réussite de la gauche remit en selle un Conseil d'Etat panaché
comprenant quatre magistrats bourgeois (deux radicaux, un libéral, un démocrate-chrétien)
et, de l'autre côté, deux socialistes et un écologiste, avec une conseillère dans chaque camp.
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Les années 2000
Les années récentes sont celles d'un certain ralentissement dans le flux migratoire, mais les
statistiques officielles sont trompeuses. Le nombre de 428'000 âmes peuplant le canton à la
fin de 2002 est dépassé. Les 164'000 étrangers sont sous-estimés à cause d'une quantité de
clandestins, « sans papiers » non dénombrables. Quant à l'origine, les colonies étrangères
les plus fortes sont dans l'ordre les Portugais (environ 30'000), les Italiens (22'000), les
Espagnols (17'000), affirmant une priorité latine dans l'émigration.
Les élections de 2001 ont été marquées par des surprises de taille. La majorité au Grand
Conseil et au Conseil d'Etat est revenue à la droite augmentée d'un nouvel élément, l'Union
démocratique du centre, nom pris par l'ancien parti des paysans, artisans et bourgeois,
fondé au lendemain de la Première Guerre mondiale, pendant longtemps cantonné à la
suisse allemande et qui venait de s'implanter à Genève : le scrutin lui donna d'emblée dix
sièges.
Au Conseil d'Etat, l'épisode mémorable, fut l'éviction des radicaux. Les créateurs de la
Genève moderne, après cent cinquante années de présence continue n'ont, pour l'instant,
plus de représentants à l'exécutif cantonal. En revanche, la ville de Genève reste ancrée à
gauche : son exécutif, le Conseil Administratif, compte sur cinq conseillers, quatre membres
de formations de gauche.
Dans les temps difficiles que nous traversons, lorsque s'accumulent les problèmes les plus
divers et les plus complexes, dans le régime de démocratie semi-directe qui nous dirige, une
nécessité évidente impose de rassembler, dans un effort commun, toutes les forces
compétentes et de mettre en veilleuse les divergences idéologiques pour adopter la solution
de la «concordance», comme disent nos Confédérés, qui est la plus sage et la plus efficace.
Néanmoins, l'observateur constate en 2003 un renforcement de l'antagonisme entre la
gauche et la droite, durcissant leurs positions et leur langage, celui-ci appelant par certains
côtés les outrances des années 1930.
Il a été fait mention du désenchantement dont souffraient les Genevois au lendemain de trois
décennies de prospérité ininterrompue. Evidemment, ce malaise n'était pas circonscrit à
notre étroit espace, mais gagnait peu ou prou tout le monde développé. Ce qui convenait
pour la première édition de cet opuscule, parue en 1980, est dépassé.
Au début du XXI e siècle le malaise a grandi au point que parler de désarroi est plus exact
maintenant. A la fin de cet abrégé, on ne tiendra pas rigueur, croyons-nous, à l'auteur de ce
récit, modeste et impersonnel, de l'achever par une remarque générale sur le trouble qui
hante aujourd'hui l'esprit humain.
Une série de crises touchent l'ensemble de l'existence et de la pensée. Peut-être est-il
préférable d'employer le mot de « mutations » ; la crise est une perturbation passagère,
tandis que les changements en cours se déroulent dans la très longue durée. Dans cette
évolution, les permanences sur lesquelles reposaient la société vacillent. Les
«technosciences», en particulier la biotechnique, bouleversent des données qui paraissaient
éternelles. Les conventions qui régissaient les comportements sociaux et moraux sont
ébranlées, les religions traditionnelles délaissées. La culture dite classique perd ses repères,
les grands textes littéraires et philosophiques deviennent étrangers aux préoccupations
contemporaines. Le fonctionnement des opérations de l'esprit et de notre logique pourrait
être modifié sous la puissante influence clé la communication informatique.
Un «tremblement d'histoire» ruine un modèle de civilisation commencé il y a cinq mille ans.
Ce séisme a pour cause la gestation d'une civilisation nouvelle. Les générations futures en
jetteront les bases et trouveront les équilibres originaux qui la caractériseront, mais cet
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enfantement demandera beaucoup de temps et sera parsemé de périodes de désordre, de
confusion et de doute à l'image de celle que nous vivons actuellement.
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La Genève internationale
Une expansion en dents de scie
L’histoire de la Genève internationale au XXe siècle commence très fort avec l’attribution en
1901 du premier Prix Nobel de la Paix à Henry Dunant, fondateur de la Coix-Rouge,et du
Nobel de la Paix 1902 aux deux pacifistes genevois Elie Ducommun et Albert Gobat.
Chronologiquement, cette histoire se déroule en trois étapes : les années 1900-1919 avec la
poursuite des activités humanitaires et des conférences sur la paix initiées au XIXe siècle
après la création de la Société de la paix par Jean-Jacques de Sellon (1830), la fondation du
Comité international de la Croix-Rouge (1864), les réunions de la Première Internationale
consacrées au problème du travail (1866) et l’arbitrage de l’Alabama entre la GrandeBretagne et les Etats-Unis (1872).
La période 1919-1946 correspond à l’installation, l’expansion puis à la crise de la Société
des Nations, installée d’abord au Palais Wilson puis dès 1937 au Palais des Nations. Enfin,
la période qui s’étend de 1946 à nos jours voit la création de l’Office européen des Nations
Unies et le déploiement des grandes organisations internationales de coopération
technique : communication, propriété intellectuelle, recherche nucléaire, santé, travail,
commerce, développement et désarmement en particulier.
Tout au long du siècle, la Genève internationale a donc pu consolider les trois points forts
hérités des années 1860-1870 - engagement humanitaire et en faveur de la paix, rencontres
diplomatiques et politiques au sommet et coopération internationale au jour le jour dans les
domaines les plus divers – mais avec des bonheurs variables selon les époques et des
tensions parfois vives avec la Genève locale.
Les chroniques du temps permettent de distinguer trois grands moments d’intense
rayonnement international, de 1914 à 1919 avec la création de l’Agence centrale des
prisonniers de guerre au Musée Rath; de 1920 à 1932 avec les immenses espoirs mis dans
la Société des Nations, la ronde brillante des ministres et de la bonne société internationale
autour de la rade et les débuts de l’Organisation internationale du travail sous l’égide d’Albert
Thomas ; et enfin de 1954 à 1985 avec les grandes rencontres au sommet, de la Conférence
sur l’Indochine de 1954 et du Sommet des Quatre Grands de 1955 à celui de ReaganGorbatchev en novembre 1985 en passant par les conférences atomiques, les réunions de
l’OPEP et les négociations très médiatisées sur la réduction des armes nucléaires entre les
Etats-Unis et l’Union soviétique dans les décennies 1960 à 1980. Le début du siècle,
moment où la vie internationale a semblé se concentrer sur Berne et Bâle, mais surtout les
années 1934-1946 et 1990-1998 ont en revanche été des moments de crise.
Quant aux relations avec la Cité, elles ont souvent été tumultueuses : l’engagement militant
de personnalités locales comme Gustave Ador et William Rappard dans les années 1920,
d’Albert Picot, de Jacques Freymond et de Robert Vieux plus tard, contraste avec la grogne
contre les coûts de la SDN dans les années 1930, la curieuse alliance des élites bourgeoises
et des communistes contre le CERN en 1952, le referendum de défiance contre la FIPOI en
1965, les critiques contre les privilèges fiscaux des diplomates et des fonctionnaires
internationaux au début des années 1990 et les manifestations violentes contre l’OMC dès
1998.
De la société à l’union des nations
Tout au long du XXe siècle, Genève a accueilli des dizaines de milliers de réunions,
sessions, conférences et négociations internationales de toutes sortes et de tous formats sur
les sujets les plus divers, parfois obscurs et oubliés, mais souvent très médiatisés. L’histoire
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a toutefois retenu très peu d’accords et de traités qui portent la signature de Genève. C’est
que, par sa situation géographique, sa neutralité, sa discrétion et la qualité de ses
infrastructures, Genève apparaît comme un lieu idéal de dialogue et de négociations qui sont
ensuite conclues ailleurs. Deux domaines font toutefois exception, celui du droit humanitaire
et du désarmement.
Le nom de Genève reste d’abord attaché aux fameuses Conventions qui ont fait suite à la
convention de 1864 sur la protection des blessés de guerre. En 1925, à l’initiative de la
Société des Nations, le Protocole de Genève est signé afin d’interdire l’emploi de poisons et
de gaz asphyxiants dans les combats. La convention relative aux blessés, malades et
prisonniers de guerre suit en 1929 et déploiera ses effets pendant la Seconde Guerre
mondiale. En 1949, ces trois conventions sont révisées et complétées par une quatrième sur
la protection des civils en temps de guerre. Cette importante conférence, bien que peu
médiatisée, est à l’origine du droit humanitaire moderne et fait depuis lors l’objet
d’adaptations constantes.
En matière de limitation des armements, le nom de Genève est également associé à l’accord
de 1963 sur le «téléphone rouge», qui a permis de mettre en place une ligne de fax directe
entre Washington et Moscou, à la convention de 1972 sur l’interdiction des armes
biologiques, chimiques et bactériologiques et aux négociations START sur la limitation des
missiles stratégiques, ouvertes en 1982 mais dont l’accord final attend toujours d’être ratifié
par les Etats-Unis.
Enfin, le terme d’Accords de Genève a également été accolé aux traités qui ont permis de
mettre fin à la première guerre d’Indochine (21 juillet 1954) et dont la préparation a vu
séjourner à Genève trois mois durant les têtes d’affiche de la diplomatie internationale des
années 1950, John Foster Dulles, Viatcheslav Molotov, Anthony Eden, Chou En Lai et Pierre
Mendès France.
Ces événements spectaculaires ne doivent pourtant pas faire oublier que le phénomène le
plus marquant de l’histoire de la Genève internationale au XXe siècle fut d’abord quantitatif et
réside dans la progression constante du nombre d’organisations, d’agences spécialisées et
de fonctionnaires internationaux, dont la concentration a donné naissance à un véritable
quartier international.
En réussissant la passation du témoin entre la SDN et l’ONU en 1946, Genève a pu obtenir
le siège du plus important bureau européen des Nations Unies et, de là, attirer la majeure
partie des organisations internationales. A la fin des années 1920, la SDN employait 700
fonctionnaires et rassemblait une quarantaine de pays alors que la Genève internationale
occupe aujourd’hui près de 30'000 personnes dans 20 organisations internationales, 153
missions diplomatiques et les dizaines d’organisations non gouvernementales (ONG) qui ont
accompagné l’émergence de la société civile internationale. En 1965, la création de la
Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et la
fondation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1993-1994 sont venues
compléter ce dispositif.
A la fin du XXe siècle, Genève a sans doute perdu son statut de capitale de la diplomatie
mondiale. Mais elle a gagné en surface, en poids, en confirmant son rôle de facilitateur et en
confortant son leadership dans la plupart des domaines techniques de la coopération
internationale.
Librement adapté de http://www.memo.fr/recherche.asp?ID=gen%E8ve&I1.x=14&I1.y=15
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