le mouvement œcuménique - Faculté de théologie catholique de

LE MOUVEMENT ŒCUMÉNIQUE
Jusqu’aux commencements du xxe siècle encore, l’histoire de l’Église apparaît placée sous le
signe de la division des chrétiens, voire d’oppositions qui semblent figés et irréductibles. Les
essais d’union entre Orient et Occident (conciles de Lyon et de Florence) avaient avorté. En
Occident, après quelques colloques qui, au temps de la Réforme, essaient d’empêcher la
rupture, la controverse domine dans les rapports entre chrétiens « romains » et chrétiens de la
Réforme. A la centralisation croissante de l’Église catholique s’opposera la diversité des
Églises issues de la Réforme. Une inflexion – changement de mentalité et premières ébauches
de dialogue et de collaboration – se produit vers la fin du xixe siècle, inaugurant un
mouvement œcuménique dont peu à peu l’ensemble des Églises chrétiennes devient- partie
prenante et qui, comme tel, représente l’un des phénomènes majeurs de l’histoire du
christianisme au xxe siècle Ce mouvement représente un effort sans précédent dans l’histoire
pour retrouver l’unité de l’Église. Il implique tout à la fois une prise de conscience aiguë du
scandale des divisions, un examen à frais nouveaux, dans un contexte pacifié, des différences
doctrinales et autres qui séparent les Églises, une réflexion renouvelée sur ce qu’est l’Église et
son unité, ainsi qu’une prise de conscience nouvelle de la responsabilité commune des
chrétiens dans le monde. Ce mouvement est le fait tout d’abord d’Églises non-catholiques
(Réforme, anglicanisme, orthodoxie), et ne sera rejoint que plus tard par une Église catholique
d’abord méfiante, voire hostile.
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1. Les Églises non-catholiques
1.1. Les commencements
La date symbolique des commencements organisés de l’œcuménisme est celle de la première
conférence missionnaire d’Edimbourg en 1910, dont les participants, protestant et anglicans,
firent l’expérience forte de ce que la division des Églises est en contradiction avec le message
de l’Évangile, et d’une urgence d’une recherche de l’unité. Il en résultera la naissance de deux
mouvements : 1. Foi et constitution qui allait aborder de façon plus particulière et
systématique les problèmes théologiques et ecclésiastiques. La première conférence aura lieu
à Lausanne en 1927 ; la deuxième à Édimbourg en 1937. On y formulera cette règle qui
commandera le travail théologique dont ce mouvement sera désormais le lieu : « Il faut
examiner scientifiquement ce qui sépare et ce qui unit ; ce qui unit doit être approfondi ; ce
qui sépare doit être surmonté. » Aujourd’hui “Foi et Constitution” constitue un mouvement
intégré en tant que commission au Conseil Œcuménique des Églises. 2. Le mouvement du
“Christianisme pratique” (Vie et Action) qui, laissant de côté les questions dogmatiques et
théologiques, vise la collaboration dans des tâches concrètes : éducatives, sociales, etc., selon
le principe « la doctrine divise, l’action unit ». Les premiers congrès eurent lieu à Stockholm
en 1925 et à Oxford en 1937.
En fait, la séparation entre action et doctrine va se révéler difficile à maintenir, et après le
retard imposé par la guerre, les deux mouvements se joindront au sein du Conseil
Œcuménique des Églises (COE) dont l’assemblée constituante aura lieu en 1948 à
Amsterdam. Y participent alors 147 Églises de 44 pays. Le Conseil missionnaire international
s’y intégrera à son tour en 1961. Aujourd’hui, plus de 300 Églises font partie du COE,
représentant toutes les traditions chrétiennes. Seule parmi les grandes Églises, l’Église
catholique n’en est même pas membre (tout en entretenant avec le COE de nombreux liens de
collaboration). La vie du COE est rythmée par ses assemblées générales qui ont lieu tous les
sept ans et qui définissent les grandes orientations, et par les assemblées annuelles du comité
central (150 membres) qui décident de leur application.
1.2. La dynamique du COE à travers ses assemblées
Il ne saurait être question, en quelques pages, de retracer l’activité du COE en ses différentes
instances, ni d’indiquer toutes les directions dans lesquelles la réflexion s’est engagée. Nous
nous efforcerons donc d’essayer de saisir la dynamique qui s’exprime à travers la succession
des assemblées depuis 1948, en n’oubliant pas, cependant, que l’œcuménisme ne se ramène
pas tout entier aux activités du COE.
En 1920, l’Église de Constantinople (Patriarcat œcuménique orthodoxe) fut la première Église
à proposer publiquement la création d’un organe permanent de communauté et de
collaboration de toutes les Églises, une sorte de Société des Églises (koinonia ton ekklesion),
similaire à la Société des Nations (koinonia ton ethnon) créée après la première guerre
mondiale. Au cours des années 1920, des appels semblables furent lancés par des dignitaires
ecclésiastiques comme l’archevêque Nathan Söderblom (Suède), l’un des fondateurs du CP
(1925), et J.H. Oldham (Royaume-Uni), l’un des fondateurs du CIM (1921).
En juin 1937, à la veille de la Conférence mondiale de Vie et Action à Oxford et de Foi et
Constitution à Édimbourg, des représentants de ces deux mouvements se réunirent à Londres.
Ils décidèrent de les unir et de mettre en place une assemblée réellement représentative des
Églises partageant ces préoccupations. La nouvelle organisation proposée « ne [devait] pas
avoir le droit de légiférer pour les Églises ni de les engager sans leur consentement ; mais
pour être efficace, elle [devait] mériter et se gagner le respect des Églises dans une mesure
telle que les personnes les plus influentes de celles-ci soient disposées à consacrer leur temps
et leur réflexion à ses activités ». On entendait également intégrer les laïcs « exerçant des
responsabilités et une influence dans le monde séculier » et « un personnel de haut niveau
intellectuel ». Le nom de Conseil œcuménique des Églises fut suggéré par S. Mac Crea Cavert
(États-Unis).
Les deux conférences d’Oxford et d’Édimbourg acceptèrent cette proposition et chacune
désigna sept membres pour former un comité qui se réunit à Utrecht en mai 1938. Ce dernier,
à son tour, créa un comité provisoire, responsable du COE en formation. William Temple
(archevêque d’York puis de Cantorbéry) fut désigné pour le présider et W.A. Visser’t Hooft
(Pays-Bas) pour en être le secrétaire général. Ce Comité provisoire établit solidement les
fondations du COE en résolvant les questions constitutionnelles relatives à sa base, son
autorité et sa structure. En octobre-novembre 1938, il envoya des invitations officielles à 196
Églises, tandis que Temple écrivait personnellement au Secrétaire d’État du Vatican. A
Tambaram (Inde), en 1938, le CIM exprima son intérêt pour le COE mais décida de demeurer
une organisation distincte. Un certain nombre de ses sociétés missionnaires membres ne
souhaitaient pas se soumettre aux Églises et l’on craignait que les Églises d’Europe et
d’Amérique du Nord ne donnent pas aux jeunes Églises d’ailleurs la place qui leur revenait.
Cependant, le CIM aida ces Églises à entrer dans le COE, s’associa à lui en 1948 et finit par
s’y intégrer en 1961.
En 1939, le Comité provisoire décida d’organiser la première assemblée générale du COE en
août 1941, mais le déclenchement de la guerre mondiale entrava ses projets et la période de
formation se prolongea pendant une décennie. Entre 1940 et 1946, le Comité provisoire ne put
pas fonctionner normalement par l’entremise de ses divers comités, mais ses membres et
d’autres personnes se réunirent aux États-Unis, en Angleterre et en Suisse. A Genève, pendant
la guerre, plusieurs activités furent mises en place sous la conduite de Visser’t Hooft : service
d’aumônerie, aide aux prisonniers de guerre, aide aux juifs et autres réfugiés, transmission
d’informations aux Églises, préparation, par des contacts avec d’autres responsables chrétiens
de tous bords, de la réconciliation et de l’entraide des Églises après la guerre. Une fois la
guerre terminée, le Comité provisoire se réunit à Genève (1946) et à Buck Hills, Pennsylvanie
(1947). Il put affirmer que la tragédie de la guerre avait renforcé la détermination des Églises
de manifester leur communauté de réconciliation. En 1948, 90 Églises avaient accepté
l’invitation à faire partie du COE.
Lorsque l’Assemblée inaugurale s’ouvrit le 22 août 1948, ses 147 Églises de 44 pays
représentaient d’une certaine manière toutes les familles confessionnelles du monde chrétien,
à l’exception de l’Église catholique romaine. Le jour suivant, l’Assemblée adopta la
constitution du COE et la communauté nouvellement créée publia son message : « Le Christ
nous a faits siens et il n’est pas divisé. En le cherchant, nous nous trouvons les uns les autres.
Ici, à Amsterdam, nous avons contracté envers le Christ un nouvel engagement et avons fait
alliance les uns avec les autres en constituant le Conseil œcuménique des Églises. Nous
sommes décidés à demeurer ensemble. » A Amsterdam, les tâches du Conseil furent définies
d’une manière générale dans sa constitution et, plus précisément, dans les décisions relatives
aux lignes directrices, aux programmes et au budget. L’Assemblée autorisa le COE à faire des
déclarations aux Églises et au monde, tout en définissant clairement les limites de ces
déclarations.
1.3. Nature et objectif du COE
En 1948, les Églises membres avaient conscience que le COE n’était pas une Église
supérieure et encore moins une Église universelle ou un embryon d’Église mondiale. Elles
concevaient le Conseil comme un instrument leur permettant de témoigner ensemble de leur
engagement commun envers Jésus Christ, de rechercher l’unité que le Christ veut pour son
Église unique et de collaborer dans les domaines exigeant des déclarations et des décisions
communes. L’Assemblée faisait sienne la définition du COE donnée par Visser’t Hooft : «
une solution temporaire, une étape ; [...] une communauté qui s’efforce d’exprimer l’unité
qu’elle a déjà reçue en Christ et de frayer la voie à une expression plus complète et plus
profonde de cette unité. »
En 1948, n’était pas claire la manière dont la nature spirituelle de cette communauté se
rapporte à la conception que les Églises membres ont de la nature et des limites du COE et de
leur conception de leurs relations ecclésiales avec les autres membres. En d’autres termes, est-
ce que le fait pour une Église d’être membre du COE a des conséquences sur la conception
qu’elle a d’elle-même ou sur sa position ecclésiologique ?
Pour clarifier les choses, le Comité central du COE de 1950 adopta la Déclaration de Toronto
sur l’Église, les Églises et le Conseil œcuménique des Églises. Issue d’un débat passionné, son
contenu « définissait un point de départ et non pas la voie à suivre ni le but à atteindre » (L.
Newbigin). Aux termes de cette Déclaration, le COE « n’est pas une super-Église et ne devra
jamais le devenir ». Il ne négocie pas d’unions entre les Églises. « Il ne repose pas sur une
conception particulière de l’Église et ne devrait pas le faire. » La qualité de membre «
n’implique pas qu’une Église considère sa propre conception de l’Église comme simplement
relative » ni n’accepte « une doctrine spécifique concernant la nature de l’unité de l’Église ».
Néanmoins, le témoignage commun des membres « doit reposer sur la confession commune
que le Christ est la tête divine du corps », qui « conformément au Nouveau Testament », est
constitué par l’Église unique du Christ. Le fait d’appartenir à l’Église du Christ « implique
davantage » que l’appartenance à une Église particulière, mais « n’implique pas que chaque
Église doive considérer les autres Églises membres comme des Églises au sens plein et
authentique du terme. » Toutefois, le fait d’être membre du COE implique dans la pratique
que les Églises « devraient se reconnaître solidaires les unes des autres, se porter assistance
les unes aux autres en cas de besoin et s’abstenir de toute acte incompatible avec des relations
fraternelles ».
Tout en ayant intégré le COE, Foi et Constitution continue à y avoir sa vie propre en tant
qu’instance de travail proprement théologique organisant ses propres conférences et
assemblées et travaillant de façon approfondie sur de grands dossiers théologiques, au
bénéfice de l’ensemble des Églises. Si l’Église catholique n’est pas membre du COE, elle l’est
cependant à part entière de Foi et Constitution depuis 1970 (nous reviendrons sur les travaux
de cette commission dans la partie consacrée aux dialogues théologiques).
1.4. Le C.O.E. et l’unité des Églises
Saisi à travers la succession des assemblées du COE, le mouvement œcuménique apparaît
ainsi comme un long parcours, sinueux et parfois chaotique, de réflexion et d’action à travers
lequel se dessinent peut à peut les contours d’une Église ré-unie dans sa visibilité, même s’il
est vrai que la manière dont le but visé est évoqué comporte encore bien des ambiguïtés et des
points aveugles, et qu’en outre les différentes Églises ne donnent pas le même contenu aux
mots et aux concepts à travers lesquels se fait cette évocation.
Le COE en tant que tel n’a pas d’ecclésiologie qui lui serait propre et qui s’imposerait de
quelque manière aux Églises membres : aucune n’est tenue de renoncer à ses propres
conceptions, c’est-à-dire à la façon dont elle comprend ce qu’est ou ce que doit être l’Église et
son unité. Autrement dit, « chaque Église membre est libre de se conceptions ecclésiologiques
qui peuvent l’amener jusqu’à se considérer comme seule vraie Église du Christ à l’exclusion
des autres. Néanmoins, l’appartenance au COE implique la reconnaissance que l’unique
Église du Christ dépasse les frontières confessionnelles. Non pas la reconnaissance qu’au delà
de ces frontières une quelconque de ces Églises s’identifie en tant que telle à cette unique
Église du Christ, mais seulement qu’il y a des éléments de celle-ci dans les autres Églises »
(F. Frost). Il résulte de cette position qu’aucune raison de type doctrinal ne s’oppose à ce que
l’Église catholique puisse devenir membre du COE.
On trouve donc au sein du COE non seulement des ecclésiologies différentes, mais également
des interprétations différentes de la situation actuelle de division des Églises, et, de ce fait,
différentes manières aussi d’envisager plus précisément l’unité recomposée et les différentes
étapes pour y parvenir. Ainsi, face aux Églises qui se réclament de la Réforme, aucune des
Églises existantes ne peut se présenter davantage que d’autres comme la réalisation véritable
de l’Église du Christ, mais celle-ci peut être présente en toutes dès lors que l’Évangile y est
annoncé, confessé, et mis en pratique, de sorte que la multiplicité et la diversité des Églises
n’est pas nécessairement négatrice d’une unité de l’Église qui, fondamentalement, n’est réelle
qu’en Christ.
Ecclésiologiquement, “neutre” et réunissant en son sein des Églises et des ecclésiologies
diverses, le COE n’est donc pas, et ne veut pas être, une super-Église. Il n’est pas non plus,
déjà, cette « communauté conciliaire » évoquée à Nairobi, ni une préfiguration de l’unité à
venir ; il est un moyen au service des Églises membres dans leur propre recherche de l’unité :
un cadre au sein duquel des processus d’échanges, d’entraide, de collaboration, de recherche
commune, peuvent se développer et s’articuler, selon ce qui est formulé dans sa base. Comme
tel, le COE est une réalité sans précédant historique, difficile à définir en termes
ecclésiologiques et nécessairement traversé de tensions qui tiennent à la diversité des Églises
qui en sont membres et à la diversité de leurs conceptions de l’unité. Son nom même de
conseil des Églises indique ces difficultés. Il est, en droit et en fait un conseil d’Églises, et
comme tel un organisme au service des Églises et de la réalisation de leur unité visible, et il ne
peut donc pas parler ou agir au nom des Églises. Mais, en même temps, il est aussi bien un
conseil d’Églises qui y sont engagées, et en ce sens on pourra aussi lui reconnaître une
certaine signification ecclésiale et y voir comme une ébauche, au du moins un signe de l’unité
à venir. La tension entre les deux mots “conseil” et “Églises” est bien une des constantes de
l’histoire du COE. Les Églises qui, comme les Églises orthodoxes, ont une conscience forte de
leur identité ecclésiale, seront portées à souligner que le COE n’est pas plus qu’un « conseil »,
lieu de réflexion, de collaboration en vue de l’unité, tandis que les Églises davantage portées à
relativiser leur propre ecclésialité, comme c’est le cas pour certaines Églises de la famille de
la Réforme, aimeront mettre en avant tout ce par quoi se manifeste déjà une certaine
consistance ecclésiale du COE, et seront tentes de majorer sa capacité de parler et d’agir au
nom des Églises.
2. L’Église catholique
L’Église catholique n’est engagée réellement dans le mouvement œcuménique, de façon
massive et officielle, que depuis Vatican II dont le Décret sur l’œcuménisme définit les «
principes catholiques » qui commandent cet engagement. Jusque là on distinguera entre
l’activité de « pionniers » et la position officielle de l’Église catholique : face au mouvement
œcuménique qui se développe et auquel elle refuse de prendre part, elle affirme sa propre
façon de concevoir l’unité.
2.1. Avant Vatican II
Les réactions officielles de l’Église catholique au mouvement œcuménique qui naît et se
développe furent, après une première phase d’indifférence, entièrement négatives. Cette
attitude s’explique quant au fond par l’ecclésiologie catholique alors dominante, et qu’on peut
résumer (en simplifiant) de la façon suivante : l’Église catholique est l’Église du Christ. Parce
que l’Église ne peut être qu’une, les non-catholiques doivent être considérés, du point de vue
théologique, comme des membres séparés de l’Église. L’unité est déjà donnée, et non un but à
viser : elle est réalisée dans l’Église catholique. Dès lors la seule forme possible de
disparition des schismes et l’unique moyen de rétablir l’unité est le “retour” à l’unique bercail
du Père : un retour vu comme conversion personnelle s’agissant des chrétiens de la Réforme,
comme ré-union des Églises à Rome, sous l’autorité du Pontife romain, pour les Églises
orientales (à l’image des Églises unies promues au rang de modèles).
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