LE MOUVEMENT ŒCUMÉNIQUE Jusqu’aux commencements du xxe siècle encore, l’histoire de l’Église apparaît placée sous le signe de la division des chrétiens, voire d’oppositions qui semblent figés et irréductibles. Les essais d’union entre Orient et Occident (conciles de Lyon et de Florence) avaient avorté. En Occident, après quelques colloques qui, au temps de la Réforme, essaient d’empêcher la rupture, la controverse domine dans les rapports entre chrétiens « romains » et chrétiens de la Réforme. A la centralisation croissante de l’Église catholique s’opposera la diversité des Églises issues de la Réforme. Une inflexion – changement de mentalité et premières ébauches de dialogue et de collaboration – se produit vers la fin du xixe siècle, inaugurant un mouvement œcuménique dont peu à peu l’ensemble des Églises chrétiennes devient- partie prenante et qui, comme tel, représente l’un des phénomènes majeurs de l’histoire du christianisme au xxe siècle Ce mouvement représente un effort sans précédent dans l’histoire pour retrouver l’unité de l’Église. Il implique tout à la fois une prise de conscience aiguë du scandale des divisions, un examen à frais nouveaux, dans un contexte pacifié, des différences doctrinales et autres qui séparent les Églises, une réflexion renouvelée sur ce qu’est l’Église et son unité, ainsi qu’une prise de conscience nouvelle de la responsabilité commune des chrétiens dans le monde. Ce mouvement est le fait tout d’abord d’Églises non-catholiques (Réforme, anglicanisme, orthodoxie), et ne sera rejoint que plus tard par une Église catholique d’abord méfiante, voire hostile. -------------------------------------------------------------------------------- 1. Les Églises non-catholiques 1.1. Les commencements La date symbolique des commencements organisés de l’œcuménisme est celle de la première conférence missionnaire d’Edimbourg en 1910, dont les participants, protestant et anglicans, firent l’expérience forte de ce que la division des Églises est en contradiction avec le message de l’Évangile, et d’une urgence d’une recherche de l’unité. Il en résultera la naissance de deux mouvements : 1. Foi et constitution qui allait aborder de façon plus particulière et systématique les problèmes théologiques et ecclésiastiques. La première conférence aura lieu à Lausanne en 1927 ; la deuxième à Édimbourg en 1937. On y formulera cette règle qui commandera le travail théologique dont ce mouvement sera désormais le lieu : « Il faut examiner scientifiquement ce qui sépare et ce qui unit ; ce qui unit doit être approfondi ; ce qui sépare doit être surmonté. » Aujourd’hui “Foi et Constitution” constitue un mouvement intégré en tant que commission au Conseil Œcuménique des Églises. 2. Le mouvement du “Christianisme pratique” (Vie et Action) qui, laissant de côté les questions dogmatiques et théologiques, vise la collaboration dans des tâches concrètes : éducatives, sociales, etc., selon le principe « la doctrine divise, l’action unit ». Les premiers congrès eurent lieu à Stockholm en 1925 et à Oxford en 1937. En fait, la séparation entre action et doctrine va se révéler difficile à maintenir, et après le retard imposé par la guerre, les deux mouvements se joindront au sein du Conseil Œcuménique des Églises (COE) dont l’assemblée constituante aura lieu en 1948 à Amsterdam. Y participent alors 147 Églises de 44 pays. Le Conseil missionnaire international s’y intégrera à son tour en 1961. Aujourd’hui, plus de 300 Églises font partie du COE, représentant toutes les traditions chrétiennes. Seule parmi les grandes Églises, l’Église catholique n’en est même pas membre (tout en entretenant avec le COE de nombreux liens de collaboration). La vie du COE est rythmée par ses assemblées générales qui ont lieu tous les sept ans et qui définissent les grandes orientations, et par les assemblées annuelles du comité central (150 membres) qui décident de leur application. 1.2. La dynamique du COE à travers ses assemblées Il ne saurait être question, en quelques pages, de retracer l’activité du COE en ses différentes instances, ni d’indiquer toutes les directions dans lesquelles la réflexion s’est engagée. Nous nous efforcerons donc d’essayer de saisir la dynamique qui s’exprime à travers la succession des assemblées depuis 1948, en n’oubliant pas, cependant, que l’œcuménisme ne se ramène pas tout entier aux activités du COE. En 1920, l’Église de Constantinople (Patriarcat œcuménique orthodoxe) fut la première Église à proposer publiquement la création d’un organe permanent de communauté et de collaboration de toutes les Églises, une sorte de Société des Églises (koinonia ton ekklesion), similaire à la Société des Nations (koinonia ton ethnon) créée après la première guerre mondiale. Au cours des années 1920, des appels semblables furent lancés par des dignitaires ecclésiastiques comme l’archevêque Nathan Söderblom (Suède), l’un des fondateurs du CP (1925), et J.H. Oldham (Royaume-Uni), l’un des fondateurs du CIM (1921). En juin 1937, à la veille de la Conférence mondiale de Vie et Action à Oxford et de Foi et Constitution à Édimbourg, des représentants de ces deux mouvements se réunirent à Londres. Ils décidèrent de les unir et de mettre en place une assemblée réellement représentative des Églises partageant ces préoccupations. La nouvelle organisation proposée « ne [devait] pas avoir le droit de légiférer pour les Églises ni de les engager sans leur consentement ; mais pour être efficace, elle [devait] mériter et se gagner le respect des Églises dans une mesure telle que les personnes les plus influentes de celles-ci soient disposées à consacrer leur temps et leur réflexion à ses activités ». On entendait également intégrer les laïcs « exerçant des responsabilités et une influence dans le monde séculier » et « un personnel de haut niveau intellectuel ». Le nom de Conseil œcuménique des Églises fut suggéré par S. Mac Crea Cavert (États-Unis). Les deux conférences d’Oxford et d’Édimbourg acceptèrent cette proposition et chacune désigna sept membres pour former un comité qui se réunit à Utrecht en mai 1938. Ce dernier, à son tour, créa un comité provisoire, responsable du COE en formation. William Temple (archevêque d’York puis de Cantorbéry) fut désigné pour le présider et W.A. Visser’t Hooft (Pays-Bas) pour en être le secrétaire général. Ce Comité provisoire établit solidement les fondations du COE en résolvant les questions constitutionnelles relatives à sa base, son autorité et sa structure. En octobre-novembre 1938, il envoya des invitations officielles à 196 Églises, tandis que Temple écrivait personnellement au Secrétaire d’État du Vatican. A Tambaram (Inde), en 1938, le CIM exprima son intérêt pour le COE mais décida de demeurer une organisation distincte. Un certain nombre de ses sociétés missionnaires membres ne souhaitaient pas se soumettre aux Églises et l’on craignait que les Églises d’Europe et d’Amérique du Nord ne donnent pas aux jeunes Églises d’ailleurs la place qui leur revenait. Cependant, le CIM aida ces Églises à entrer dans le COE, s’associa à lui en 1948 et finit par s’y intégrer en 1961. En 1939, le Comité provisoire décida d’organiser la première assemblée générale du COE en août 1941, mais le déclenchement de la guerre mondiale entrava ses projets et la période de formation se prolongea pendant une décennie. Entre 1940 et 1946, le Comité provisoire ne put pas fonctionner normalement par l’entremise de ses divers comités, mais ses membres et d’autres personnes se réunirent aux États-Unis, en Angleterre et en Suisse. A Genève, pendant la guerre, plusieurs activités furent mises en place sous la conduite de Visser’t Hooft : service d’aumônerie, aide aux prisonniers de guerre, aide aux juifs et autres réfugiés, transmission d’informations aux Églises, préparation, par des contacts avec d’autres responsables chrétiens de tous bords, de la réconciliation et de l’entraide des Églises après la guerre. Une fois la guerre terminée, le Comité provisoire se réunit à Genève (1946) et à Buck Hills, Pennsylvanie (1947). Il put affirmer que la tragédie de la guerre avait renforcé la détermination des Églises de manifester leur communauté de réconciliation. En 1948, 90 Églises avaient accepté l’invitation à faire partie du COE. Lorsque l’Assemblée inaugurale s’ouvrit le 22 août 1948, ses 147 Églises de 44 pays représentaient d’une certaine manière toutes les familles confessionnelles du monde chrétien, à l’exception de l’Église catholique romaine. Le jour suivant, l’Assemblée adopta la constitution du COE et la communauté nouvellement créée publia son message : « Le Christ nous a faits siens et il n’est pas divisé. En le cherchant, nous nous trouvons les uns les autres. Ici, à Amsterdam, nous avons contracté envers le Christ un nouvel engagement et avons fait alliance les uns avec les autres en constituant le Conseil œcuménique des Églises. Nous sommes décidés à demeurer ensemble. » A Amsterdam, les tâches du Conseil furent définies d’une manière générale dans sa constitution et, plus précisément, dans les décisions relatives aux lignes directrices, aux programmes et au budget. L’Assemblée autorisa le COE à faire des déclarations aux Églises et au monde, tout en définissant clairement les limites de ces déclarations. 1.3. Nature et objectif du COE En 1948, les Églises membres avaient conscience que le COE n’était pas une Église supérieure et encore moins une Église universelle ou un embryon d’Église mondiale. Elles concevaient le Conseil comme un instrument leur permettant de témoigner ensemble de leur engagement commun envers Jésus Christ, de rechercher l’unité que le Christ veut pour son Église unique et de collaborer dans les domaines exigeant des déclarations et des décisions communes. L’Assemblée faisait sienne la définition du COE donnée par Visser’t Hooft : « une solution temporaire, une étape ; [...] une communauté qui s’efforce d’exprimer l’unité qu’elle a déjà reçue en Christ et de frayer la voie à une expression plus complète et plus profonde de cette unité. » En 1948, n’était pas claire la manière dont la nature spirituelle de cette communauté se rapporte à la conception que les Églises membres ont de la nature et des limites du COE et de leur conception de leurs relations ecclésiales avec les autres membres. En d’autres termes, estce que le fait pour une Église d’être membre du COE a des conséquences sur la conception qu’elle a d’elle-même ou sur sa position ecclésiologique ? Pour clarifier les choses, le Comité central du COE de 1950 adopta la Déclaration de Toronto sur l’Église, les Églises et le Conseil œcuménique des Églises. Issue d’un débat passionné, son contenu « définissait un point de départ et non pas la voie à suivre ni le but à atteindre » (L. Newbigin). Aux termes de cette Déclaration, le COE « n’est pas une super-Église et ne devra jamais le devenir ». Il ne négocie pas d’unions entre les Églises. « Il ne repose pas sur une conception particulière de l’Église et ne devrait pas le faire. » La qualité de membre « n’implique pas qu’une Église considère sa propre conception de l’Église comme simplement relative » ni n’accepte « une doctrine spécifique concernant la nature de l’unité de l’Église ». Néanmoins, le témoignage commun des membres « doit reposer sur la confession commune que le Christ est la tête divine du corps », qui « conformément au Nouveau Testament », est constitué par l’Église unique du Christ. Le fait d’appartenir à l’Église du Christ « implique davantage » que l’appartenance à une Église particulière, mais « n’implique pas que chaque Église doive considérer les autres Églises membres comme des Églises au sens plein et authentique du terme. » Toutefois, le fait d’être membre du COE implique dans la pratique que les Églises « devraient se reconnaître solidaires les unes des autres, se porter assistance les unes aux autres en cas de besoin et s’abstenir de toute acte incompatible avec des relations fraternelles ». Tout en ayant intégré le COE, Foi et Constitution continue à y avoir sa vie propre en tant qu’instance de travail proprement théologique organisant ses propres conférences et assemblées et travaillant de façon approfondie sur de grands dossiers théologiques, au bénéfice de l’ensemble des Églises. Si l’Église catholique n’est pas membre du COE, elle l’est cependant à part entière de Foi et Constitution depuis 1970 (nous reviendrons sur les travaux de cette commission dans la partie consacrée aux dialogues théologiques). 1.4. Le C.O.E. et l’unité des Églises Saisi à travers la succession des assemblées du COE, le mouvement œcuménique apparaît ainsi comme un long parcours, sinueux et parfois chaotique, de réflexion et d’action à travers lequel se dessinent peut à peut les contours d’une Église ré-unie dans sa visibilité, même s’il est vrai que la manière dont le but visé est évoqué comporte encore bien des ambiguïtés et des points aveugles, et qu’en outre les différentes Églises ne donnent pas le même contenu aux mots et aux concepts à travers lesquels se fait cette évocation. Le COE en tant que tel n’a pas d’ecclésiologie qui lui serait propre et qui s’imposerait de quelque manière aux Églises membres : aucune n’est tenue de renoncer à ses propres conceptions, c’est-à-dire à la façon dont elle comprend ce qu’est ou ce que doit être l’Église et son unité. Autrement dit, « chaque Église membre est libre de se conceptions ecclésiologiques qui peuvent l’amener jusqu’à se considérer comme seule vraie Église du Christ à l’exclusion des autres. Néanmoins, l’appartenance au COE implique la reconnaissance que l’unique Église du Christ dépasse les frontières confessionnelles. Non pas la reconnaissance qu’au delà de ces frontières une quelconque de ces Églises s’identifie en tant que telle à cette unique Église du Christ, mais seulement qu’il y a des éléments de celle-ci dans les autres Églises » (F. Frost). Il résulte de cette position qu’aucune raison de type doctrinal ne s’oppose à ce que l’Église catholique puisse devenir membre du COE. On trouve donc au sein du COE non seulement des ecclésiologies différentes, mais également des interprétations différentes de la situation actuelle de division des Églises, et, de ce fait, différentes manières aussi d’envisager plus précisément l’unité recomposée et les différentes étapes pour y parvenir. Ainsi, face aux Églises qui se réclament de la Réforme, aucune des Églises existantes ne peut se présenter davantage que d’autres comme la réalisation véritable de l’Église du Christ, mais celle-ci peut être présente en toutes dès lors que l’Évangile y est annoncé, confessé, et mis en pratique, de sorte que la multiplicité et la diversité des Églises n’est pas nécessairement négatrice d’une unité de l’Église qui, fondamentalement, n’est réelle qu’en Christ. Ecclésiologiquement, “neutre” et réunissant en son sein des Églises et des ecclésiologies diverses, le COE n’est donc pas, et ne veut pas être, une super-Église. Il n’est pas non plus, déjà, cette « communauté conciliaire » évoquée à Nairobi, ni une préfiguration de l’unité à venir ; il est un moyen au service des Églises membres dans leur propre recherche de l’unité : un cadre au sein duquel des processus d’échanges, d’entraide, de collaboration, de recherche commune, peuvent se développer et s’articuler, selon ce qui est formulé dans sa base. Comme tel, le COE est une réalité sans précédant historique, difficile à définir en termes ecclésiologiques et nécessairement traversé de tensions qui tiennent à la diversité des Églises qui en sont membres et à la diversité de leurs conceptions de l’unité. Son nom même de conseil des Églises indique ces difficultés. Il est, en droit et en fait un conseil d’Églises, et comme tel un organisme au service des Églises et de la réalisation de leur unité visible, et il ne peut donc pas parler ou agir au nom des Églises. Mais, en même temps, il est aussi bien un conseil d’Églises qui y sont engagées, et en ce sens on pourra aussi lui reconnaître une certaine signification ecclésiale et y voir comme une ébauche, au du moins un signe de l’unité à venir. La tension entre les deux mots “conseil” et “Églises” est bien une des constantes de l’histoire du COE. Les Églises qui, comme les Églises orthodoxes, ont une conscience forte de leur identité ecclésiale, seront portées à souligner que le COE n’est pas plus qu’un « conseil », lieu de réflexion, de collaboration en vue de l’unité, tandis que les Églises davantage portées à relativiser leur propre ecclésialité, comme c’est le cas pour certaines Églises de la famille de la Réforme, aimeront mettre en avant tout ce par quoi se manifeste déjà une certaine consistance ecclésiale du COE, et seront tentes de majorer sa capacité de parler et d’agir au nom des Églises. 2. L’Église catholique L’Église catholique n’est engagée réellement dans le mouvement œcuménique, de façon massive et officielle, que depuis Vatican II dont le Décret sur l’œcuménisme définit les « principes catholiques » qui commandent cet engagement. Jusque là on distinguera entre l’activité de « pionniers » et la position officielle de l’Église catholique : face au mouvement œcuménique qui se développe et auquel elle refuse de prendre part, elle affirme sa propre façon de concevoir l’unité. 2.1. Avant Vatican II Les réactions officielles de l’Église catholique au mouvement œcuménique qui naît et se développe furent, après une première phase d’indifférence, entièrement négatives. Cette attitude s’explique quant au fond par l’ecclésiologie catholique alors dominante, et qu’on peut résumer (en simplifiant) de la façon suivante : l’Église catholique est l’Église du Christ. Parce que l’Église ne peut être qu’une, les non-catholiques doivent être considérés, du point de vue théologique, comme des membres séparés de l’Église. L’unité est déjà donnée, et non un but à viser : elle est réalisée dans l’Église catholique. Dès lors la seule forme possible de disparition des schismes et l’unique moyen de rétablir l’unité est le “retour” à l’unique bercail du Père : un retour vu comme conversion personnelle s’agissant des chrétiens de la Réforme, comme ré-union des Églises à Rome, sous l’autorité du Pontife romain, pour les Églises orientales (à l’image des Églises unies promues au rang de modèles). En 1864, une lettre du saint Office interdit aux catholiques de devenir membres de l’Association for the Promotion of the Reunion of Christendom fondée à Londres en 1857. Cette association défendait la Branchtheory, la théorie des branches qui affirme que les trois confessions chrétiennes catholique romaine, gréco-schismatique et anglicane, bien que séparées, revendiquent à bon droit l’appellation catholique. Or « il n’est pas d’autre Église catholique que celle, bâtie sur Pierre seul, en un corps joint et assemblé » (D.H. 2888). Comme le dit encore du professeur de la Faculté de Théologie de Strasbourg en 1928 : « Il ne saurait y avoir d’union possible pour les Églises dissidentes qu’à la condition d’avouer la faute que leurs fondateurs ont commise en se séparant, et de revenir à la vérité que représente l’Église catholique » (J. Rivière). C’est ainsi que s’éclaire le refus de Rome de répondre de façon positive aux invitations qui lui ont été adressées à prendre part, aux réunions de l’œcuménisme naissant, et de permettre à des catholiques d’y assister. Le texte le plus importent et le plus significatif à ce sujet est l’Encyclique Mortalium animos de 1928. Décrivant les activités de ceux qu’il qualifie de « pan-chrétiens », Pie XI écrit : « Ils ne sont pas une petit groupe, ils ont formé des organisations complètes et fondé des sociétés répandues au loin et le plus souvent dirigées par des acatholiques. Leur entreprise est menée avec une telle activité qu’elle entraîne l’adhésion de personnes de tout ordre et qu’elle séduit même de nombreux catholiques par l’espoir de constituer une union qui parait s’adapter aux vœux de la sainte Mère l’Église, laquelle ne désire rien tant que de rappeler et de ramener à son giron ses enfants égarés. Mais, sous le charme et la séduction de ses discours, se cache une très grave erreur qui ruine totalement les fondements de la foi catholique. » C’est la conscience de sa charge apostolique, estime Pie XI, qui l’oblige à rappeler, de façon classique, la doctrine concernant l’Église et l’unité selon le catholicisme, puis à dénoncer « la fausse théorie dont semble dépendre toute cette question et s’inspirer l’activité si diverse des acatholiques en faveur de la confédération des Églises chrétiennes. » Certes tout n’était pas clair encore dans cet œcuménisme naissant des années 1930, en particulier pour ce qui est du but visé et des méthodes, et de fait, si la création d’une “confédération” avait été le but visé, l’Église catholique n’aurait pas pu le faire sien. Ajoutons encore que ce mouvement œcuménique naissant recèle aux yeux de Pie XI deux dangers ; celui de l’indifférentisme et celui du modernisme, c’est-à-dire une relativisation de le vérité pour parvenir à une forme de confédération : un tri fait parmi les vérités chrétiennes, en mettant d’un côté ce qui est fondamental et qui devrait être gardé, et ce qui ne le serait pas et qui pourrait donc être abandonné. (Nous aurons à voir comment les questions ainsi posées seront abordées, en termes nouveaux, dans le Décret sur l’œcuménisme de Vatican II). L’Encyclique conclut donc ainsi : « Il est évident que le Siège apostolique ne peut, sous aucun prétexte, participer à leurs congrès (ceux des panchrétiens), et que les catholiques n’ont, à aucun prix, le droit de les favoriser par leur suffrage ou leur action : ce faisant ils attribueraient de l’autorité à une religion fausse, entièrement étrangère à la seule Église du Christ. L’union des chrétiens ne peut être procurée autrement qu’en favorisant le retour des dissidents à la seule et véritable Église du Christ qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner. […] Qu’ils reviennent donc au Père commun, oubliant les insultes proférées jadis contre le Siège apostolique, il les accueillera avec toute sa tendresse. » Il faut se rappeler que Congar, le théologien de l’œcuménisme par excellence en France, se méfiait encore en 1937 du mot œcuménisme. Pour lui, « ce terme technique [est] communément employé pour désigner le labeur unioniste »… Par unionisme on désignait alors une manière d’envisager l’unité des chrétiens par le retour des autres qui se sont déparés dans le giron de la mère Église. Or pour certains esprits, un Français ne pouvait être que catholique et un Russe qu’orthodoxe. Ce principe de l’unionisme deviendrait donc vite caduc. Le refus de l’Église catholique de participer au mouvement œcuménique naissant s’est donc exprimé non seulement de façon disciplinaire par l’interdiction faite aux catholiques (théologiens ou autres) de prendre part aux réunions, congrès, etc. des non-catholiques, mais aussi sous la forme d’une encyclique : un texte élaboré dans lequel est affirmé avec force une incompatibilité fondamentale entre l’ecclésiologie catholique et les entreprises de rapprochement dans lesquelles d’autres Églises (y compris des Églises orthodoxes qui pourtant, on le sait, s’affirment elles aussi unique Église du Christ se sont engagées. Il faudra attendre près de 40 ans pour que ces positions soient dépassées. Dans l’entre-temps signalons encore l’importante Encyclique du Pie XII, Mystici Corporis (1943), qui touche l’œcuménisme dans la mesure où elle traite de l’Église et pose une identité entre le Corps Mystique du Christ et l’Église catholique « romaine » telle qu’elle existe concrètement. Signalons encore qu’en 1948, lors de l’Assemblée constitutive du COE à Amsterdam, le Saint Office réitérera l’interdiction faite aux catholiques d’y prendre part. En 1949 cependant, Ecclesia catholica, une Instruction plus détaillée de ce même Saint office mêlera aux mises en garde et aux appels à la prudence un certain nombre d’ouvertures : l’œcuménisme (qui, rappelons-le, ne se limite pas aux grandes rencontres du COE et d’autres instances) est accepté comme une réalité qui s’est imposée, et qui ne n’est pas non plus sans avoir été inspirée par l’Esprit Saint ; on autorise, avec la permission de Rome ou des évêques, des rencontres entre catholiques et chrétiens d’autres Églises : prières communes comme le Notre Père ; réunions organisées d’un commun accord au cours desquelles catholiques et noncatholiques aborderont des questions de foi et de morale dans des dialogues « sur pied d’égalité », etc. : un tournant est ainsi en train de se prendre dans la position officielle de l’Église. C’est ainsi qu’à la conférence de Foi et Constitution qui se tint à Lund (Suède) en 1952, quatre observateurs catholiques officiels furent présents. En fait, malgré ces interdictions et ces mises en garde, il existe dès les années 30 de nombreux contacts informels entre chrétiens ou théologiens, comme aussi des groupes de réflexion commune, des esquisses de mouvements, etc., et entre les années 1928 et 1950, l’œcuménisme deviendra peu à peu l’une des composantes de la vie de l’Église. Autour de 1937 il trouvera sa spiritualité et sa théologie. Sa spiritualité il la reçoit de l’abbé Couturier qui sera l’apôtre de la prière pour l’unité, la figure de référence de ce qu’on appellera l’œcuménisme spirituel, et le fondateur de ce qui deviendra le Groupe des Dombes. C’est lui qui donnera son axe à la prière commune pour l’unité : prier pour « l’unité telle que le Christ la veut, dans le temps et par les moyens qu’il voudra ». C’est lui également qui insistera sur l’importance du climat spirituel de respect, d’humilité et de pénitence dans lequel doit baigner le dialogue théologique. C’est le P. Congar qui apportera à l’œcuménisme catholique naissant sa théologie, par son maître-livre de 1937 : Chrétiens désunis. Principes d’un œcuménisme catholique. Dans son travail monumental, Les catholiques et l’unité chrétienne du xixe au xxe siècle, (Centurion 1982, 1006 p.,) E. Fouilloux caractérise l’apport de Congar par deux traits, en se référant à son vocabulaire. Tout d’abord une attitude nouvelle engageant deux valeurs ; l’irénisme (accueil de l’autre dans la charité, sympathie, rejet de tout ce qui relève du ressentiment et de la polémique pour rechercher ce qui est désintéressé et fraternel), et la loyauté (souci de la vérité, rejet du compromis). Ensuite une réflexion à frais nouveaux sur la catholicité : partant de ce qu’il existe des valeurs propres aux autres confessions chrétiennes, qu’il y a eu, du fait de la polémique, des erreurs de l’Église catholique entraînant des déséquilibres, et de ce que l’état actuel de séparation fait que sa catholicité est imparfaite, Congar affirme : « Nous ne pensons pas que l’Église “réunie” formera un tout à proprement parler nouveau, car l’Église, selon nous, existe déjà ; mais nous croyons que l’Église “réunie” formera un tout plus riche qu’aucun corps chrétien actuellement existant, y compris l’Église catholique ». 2.2. Jean XXIII et le secrétariat pour l’unité des chrétiens Devant la réalité d’un engagement croissant des théologiens catholiques dans les questions œcuméniques, deux théologiens néerlandais, Jan Willebrands et Frans Thijssen, fondent la Conférence catholique pour les questions œcuméniques qui tient sa réunion constitutive à Fribourg en 1952. Sept réunions eurent lieu avant le concile. La dernière eut lieu, durant le concile, en 1963 à Gazzada en Italie. Cette conférence n’est pas sans liens avec la naissance du Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens voulu par Jean XXIII. L’origine du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens est étroitement liée au Concile Vatican II. Le Pape Jean XXIII désirait que l’engagement de l’Église Catholique dans le mouvement œcuménique contemporain soit l’un des buts principaux du Concile. C’est pourquoi, le 5 juin 1960, il a créé un Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens comme l’une des commissions préparatoires au Concile et a nommé comme premier président le Cardinal Augustin Bea. C’est la première fois que le Saint-Siège mettait en place une structure consacrée uniquement aux questions œcuméniques. La première fonction du Secrétariat a été tout d’abord d’inviter les autres Églises et Communions mondiales à envoyer des observateurs au deuxième Concile du Vatican. Mais, dès la première session (1962), par décision du Pape Jean XXIII, il fut assimilé aux commissions conciliaires. Le Secrétariat a alors préparé et présenté au Concile les documents sur l’œcuménisme (Unitatis redintegratio), les religions non chrétiennes (Nostra Ætate), la liberté religieuse (Dignitatis humanæ) et, en lien avec la Commission doctrinale, la Constitution dogmatique sur la Révélation divine (Dei Verbum). En 1963, le Saint-Père a précisé que le Secrétariat serait composé de deux sections chargées respectivement des relations avec les Églises orthodoxes et les anciennes Églises orientales d’une part et, d’autre part, avec les Églises et Communautés ecclésiales. En 1966, le Concile étant achevé, le Pape Paul VI a confirmé le Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens comme organe permanent du Saint-Siège. Le Cardinal Bea l’a présidé jusqu’à sa mort en 1968. En 1969, le Cardinal Johannes Willebrands était désigné pour lui succéder. Vingt ans plus tard il se retirait et devenait président émérite; le Cardinal Edward Idris Cassidy était alors nommé président de ce dicastère. C’est par la Constitution apostolique Pastor Bonus du 28 juin 1988 que le Pape Jean-Paul II a transformé le Secrétariat en Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens (CPPUC), changement devenu effectif le 1er mars 1989. 2.3. Vatican II Le concile Vatican II apparaît, au terme de ses évolutions, comme la consécration des efforts des pionniers. Il marquera la participation, désormais, de l’Église catholique en tant que telle au mouvement œcuménique dans toute son ampleur, et le document majeur à ce sujet est évidemment le Décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio. Mais la dimension œcuménique de ce concile ne peut pas être réduite à ce seul texte. Citons par ex. la création d’une Secrétariat pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens, comportant bon nombre de théologiens déjà engagés dans le travail œcuménique : il sera le maître d’œuvre de plusieurs documents majeurs du concile, outre le Décret sur l’œcuménisme : la Déclaration sur les Religions non-chrétiennes et celle sur la Liberté religieuse ; il jouera un rôle déterminant lors de la rédaction de la Constitution sur la Révélation (Dei Verbum). Mentionnons également l’invitation d’observateurs des autres Églises dont la présence, les questions et les suggestions seront souvent très importantes lors de la rédaction de certains textes à incidence œcuménique. D’un point de vue proprement théologique, il faudra analyser l’incidence œcuménique de certains textes - s’agissant du rapport entre Écriture et Tradition – point chaud de la controverse catholiqueprotestante depuis la Réforme – la Constitution sur la Révélation (Dei Verbum) abandonne définitivement la théorie dite des deux sources de la révélation (Tradition en plus de l’Écriture), affirme l’existence d’ « une seule source, la Parole de Dieu » (n° 11), et propose une articulation entre Écriture, Tradition, Église et magistère qui, sans permettre encore l’accord total des chrétiens de la Réforme, n’en permet pas moins d’aborder la question de façon nouvelle, à partir d’un certain nombre de prémisses communes. (Notons que l’approche de cette question de la Tradition est proche, à bien des égards, de celle qui s’est exprimée lors de l’Assemblée de Foi et Constitution à Montréal en 1963, et que ce n’est pas un hasard). - s’agissant de l’Église, dont il est question, entre autres, dans Lumen Gentium, on notera parmi d’autres points deux options majeures. Tout d’abord l’exposé sur l’Église commence par la présentation du peuple de Dieu considéré dans son ensemble, avant que soient abordées les différenciations internes de l’Église : les ministères sont ainsi clairement situées à l’intérieur et non au-dessus du peuple de Dieu composé tout entier de “fidèles chrétiens” égaux ; ensuite, le chapitre consacré à la Vierge Marie n’est pas un traité mariologique à part, mais est situé à l’intérieur de la présentation du mystère de l’Église. On pourrait ajouter également un effort de rééquilibrage des affirmation unilatérales sur la primauté du pape de Vatican I par le développement d’une théologie de l’épiscopat et par l’affirmation de la collégialité, ou encore les amorces d’une théologie de l’Église locale : autant de points de grande importance pour le dialogue avec l’Orient. - le Décret sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae) marque lui aussi une date dans la mesure où il est mis fin à certaines ambiguïtés et que la liberté de la conscience y est fermement affirmée. LES PRINCIPES CATHOLIQUES DE L’ŒCUMÉNISME 1. Le décret conciliaire Unitatis redintegratio Le titre que nous donnons à ce 4ème chapitre reprend celui de la première partie du Décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio (U.R.) : il indique par lui-même qu’il n’est plus question désormais d’un « l’œcuménisme catholique » qui serait parallèle ou concurrent d’un autre œcuménisme (celui du COE par exemple mais des principes et des convictions qui guident et animent la participation de l’Église catholiques et de ses membres à un mouvement œcuménique qui englobe l’ensemble des Églises chrétiennes (lesquelles, rappelons-le, y participent également selon leurs « principes »). 1.1. Deux principes-clé pour le dialogue théologique Le principe de réforme. « L’Église, au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre » (UR n. 6). On rejoint par là l’une des intentions majeures de la Réforme, celle qui lui a donné son nom : « l’Église réformée, toujours à réformer ». Le même texte précise également les domaines d’application de cette réforme : « les mœurs, la discipline ecclésiastique, ou même la formulation de la doctrine, qu’il faut distinguer avec soin du dépôt de la foi » (ibid.). Ce dernier point est particulièrement important, dans la mesure où une distinction est faite ainsi entre le dépôt de la foi et la manière dont non seulement un chrétien ou un théologien, mais l’Église elle-même aura pu ou peut le formuler. Il n’y a pas adéquation pure et simple entre le mystère chrétien, ou tel de ses aspects, et la manière dont il est exprimé, même dans des formulations officielles de la doctrine ecclésiale. Cette distinction, fondamentale, ne fait d’ailleurs que rappeler ce que disaient les théologiens les plus classiques et qu’on avait eu simplement tendance à oublier. Ses points d’application, dans les dialogues théologiques entre chrétiens ou la recherche de convergences et d’ accords sont nombreux : elle signifie en particulier qu’une tradition chrétienne non-catholique donnée peut tenir une foi juste sur tel point de doctrine sans utiliser pour autant les termes reçus dans la théologie catholique, et qu’il pourra être possible également de reformuler ensemble ce point en recourant à des termes nouveau. On pourra le vérifier par ex. à propos de la question de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et du vocabulaire de la transsubstantiation canonisé en théologie catholique, et que l’orthodoxie n’utilise pas. Cette distinction en tout cas est l’une des conditions de possibilité du dialogue œcuménique. La hiérarchie des vérités. Dans le développement consacré dans U.R. à la manière d’exprimer et d’exposer la doctrine de la foi (n. 11), on trouve cette affirmation importante : les catholiques « se rappelleront qu’il y a un ordre ou une “hiérarchie” des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec le fondement de la foi chrétienne ». Le texte dit le fondement, et non pas les fondements, comme dans certaines traductions : de fondement il n’y a qu’un, le Christ. Il ne s’agit pas de distinguer entre des vérités qui seraient importantes, fondamentales, qui devraient donc être tenues, et d’autres qui seraient mineures ou secondaires, et sur lesquelles on pourrait en quelque sorte faire I’impasse. Il s’agit plutôt de ce que le donné de la foi chrétienne n’est pas une addition de vérités, mais un ensemble articulé autour de l’unique Vérité qui est la révélation de Dieu en Jésus Christ, et à partir de laquelle tout s’ordonne et prend sens selon un rapport de proximité plus ou moins grande. C’est ainsi par ex. qu’un dialogue fécond au sujet de Marie est possible avec les chrétiens de la Réforme lorsqu’on admet une “hiérarchie” entre christologie et mariologie, et qu’on aborde Marie, Mère de Dieu, à la lumière de l’incarnation du Fils de Dieu. 1.2. Église du Christ, Église catholique et Églises chrétiennes L’un des apports essentiels du Décret sur l’œcuménisme, mais aussi déjà quant au fond, de Lumen Gentium, consiste dans la clarification du rapport de l’Église catholique et des autres Églises chrétiennes avec le Christ et son Église, avec, pour conséquence, ce qu’on peut appeler une réévaluation des Églises et communautés chrétiennes non catholiques. Toutes les Églises engagées dans le mouvement œcuménique sont confrontées à une même contradiction. « Il n’y a et il ne peut y avoir qu’une seule Église, mais en fait il existe de multiples Églises du Christ qui ne vivent pas en unité les unes avec les autres » (COE : Déclaration de Toronto 1950). La visée de la restauration de l’unité pose ainsi à chaque Église une triple question : comment chaque Église comprend-elle son rapport à l’unique Église du Christ ? Quelle « consistance ecclésiale », c’est-à-dire quelle qualité d’appartenance au mystère de l’Église reconnaît-elle aux autres Églises chrétiennes ? Comment comprend-elle les liens qu’elle entretient avec celles-ci ? A ces questions, nous l’avons déjà vu, les diverses Églises donnent des réponses différentes (voir plus haut : le COE et l’unité de l’Église). Qu’en est-il pour l’Église catholique ? Il nous faut ici examiner un déplacement majeur qui s’est opéré quant à la manière de comprendre le rapport entre Église catholique et Église du Christ : déplacement qui est le fondement de la possibilité pour l’Église catholique de prendre part au mouvement œcuménique sans restriction ni arrière-pensée, et qui commande la façon de considérer les autres Églises comme aussi la réalisation de l’unité à venir. dans le texte définitif adopté après délibérations, ce mot « est » est remplacé par « subsistit in » (subsiste dans, est présente dans) : « L’unique Église du Christ [...] en tant qu’elle est dans ce monde constituée et organisée en société, est présente dans l’Église catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui. » L’intention de la nouvelle rédaction de ce n. 8 de L.G., dont l’une des données majeures est le remplacement de « est » par « est présente dans », est claire : il s’agit de signifier que l’Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique confessée dans le Credo et l’Église catholique (romaine) ne s’identifient pas purement et simplement. Et cette même affirmation d’une non-identité pure et simple est faite aussi, dans le Décret sur l’œcuménisme (UR n. 4) à propos de l’unité de l’Église. S’agissant de « l’unité (que) le Christ a accordée à son Église dans les commencements », on affirme en effet : nous croyons qu’elle est présente (subsista in) de façon inamissible dans l’Église catholique, et nous espérons qu’elle s’accroîtra de jour en jour jusqu’à la consommation des siècles. L’Église catholique est donc certaine, dans sa foi, que l’Église du Christ est présente en elle, et que l’unité de l’unique Église du Christ s’est maintenue en elle, mais elle ne va pas jusqu’à affirmer la parfaite coïncidence entre l’Église du Christ une et unique et elle-même. C’est pour cette raison aussi que dans le n. 8 de Lumen Gentium cité plus haut, on pourra ajouter après l’affirmation « L’unique Église du Christ […] subsiste dans l’Église catholique », que « en dehors de l’ensemble organique qu’elle forme, on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité qu’en tant que dons propres à l’Église du Christ, portent à l’unité catholique ». 1. 3. Le caractère ecclésial des Églises non catholiques Tout en affirmant la plénitude unique du rapport de l’Église catholique à l’Église du Christ, on reconnaît qu’il n’y a pas entre elles une identité telle que l’Église catholique serait l’Église du Christ de façon exclusive, et que les autres Églises qui confessent la foi chrétienne ne participeraient pas au mystère du Christ. Il y a au contraire, dans U.R., une considération positive, non seulement des chrétiens non catholiques, pris individuellement, mais des Églises et communautés non catholiques comme telle : Ces Églises et communautés séparées, bien que nous les croyions souffrir de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut (U.R. n. 3). Le caractère ecclésial qui leur est reconnu tient aux « éléments de sanctification et de vérité » (LG n. 8) qui se trouvent en elles, et qui peuvent relever aussi bien de la structure de l’Église que de la vie chrétienne : foi en Jésus Christ, baptême, Écriture, prédication de la Parole, prière, charité, culte de la communauté rassemblée, fruits de l’Esprit Saint, service, etc. (cf. U.R. n. 3). Deux faits sont alors à souligner : - tout d’abord, du fait de la présence de ces éléments, on pourra affirmer l’existence d’une « certaine communion, quoique imparfaite », non seulement des chrétiens, pris individuellement, de ces Églises, mais de ces Églises et communautés ecclésiales elles-mêmes avec l’Église catholique, puisque « tout cela qui provient du Christ et conduit à lui, appartient de droit à l’unique Église du Christ » (ibid.) ; - d’autre part ces éléments, bien loin d’être des réalités statiques, « appellent par eux-mêmes à l’unité catholique » (L.G. n. 8). La « communion imparfaite » tend par elle-même, de par ses éléments constitutifs, à une communion plus parfaite. Cette ecclésialité des Église et communautés ecclésiales non catholiques, et la profondeur de ces liens de communion déjà existants sont évidemment fonction de la richesse et de la nature des « éléments » et des « biens » ainsi présents en elles. Au regard de la compréhension catholique de l’Église on parlera d’Églises au sens plein du mot là ou les réalités spirituelles chrétiennes, c’est-à-dire la foi et la charité sont données moyennant la présence et la pleine affectivité de ce qui est considéré comme appartenant, de façon constitutive, à la structure de l’Église, en particulier les sacrements, et en premier lieu l’eucharistie et le baptême, et le ministère dans la succession des apôtres. On reconnaîtra ainsi la pleine qualité ecclésiale des Églises orthodoxes, et dans le cadre d’une ecclésiologie de communion, on parlera d’elles désormais comme d’ « Églises sœurs ». (Voir, dans U.R., les « considération particulières aux Églises orientales » : n. 14-18). Pour les « Églises et communautés ecclésiales séparées en Occident » (cf. U.R. n. 19-23), les choses sont plus complexes « à cause de leur diversité d’origine, de doctrine et de vie spirituelle », et qui fait qu’elles « se distinguent notablement, non seulement de nous-même, mais entre elles » (U.R. n. 19). Le texte énumère les principaux « éléments de sanctification et de vérité qui se trouvent dans ces Églises » : elles « considèrent le Christ comme source et centre de la communion ecclésiale » ; elles vivent de l’étude de l’Écriture ; par le sacrement du baptême leurs fidèles sont vraiment incorporés au Christ ; « elles célèbrent dans la Sainte Cène le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur, professent que la vie chrétienne est communion avec le Christ et attendent son retour glorieux » ; enfin sont énumérées toutes les valeurs de vie chrétienne vécues dans ces communautés : prière, méditation de l’Écriture, culte de la communauté, foi vivante qui agit dans la justice et la charité. Autant de données qui fondent cette communion réelle quoique imparfaite, qui existe déjà entre Église catholique et Églises issues de la Réforme, et qui peuvent et doivent servir de base et de point de départ au dialogue. L’évaluation de l’ecclésialité des Églises et communautés ecclésiales issues de la Réforme sera différenciée en fonction précisément de l’importance plus ou moins grande de ce qui leur « fait défaut » quant aux réalités et aux signes sacramentels qui, aux yeux de l’Église catholique, fait partie intégrante du mystère de l’Église. Unitatis Redintegratio note en particulier qu’« en raison principalement de l’absence (mot latin : defectus, que certains traduiront par une « déficience affectant ») du sacrement de l’ordre, elles n’ont pas conservé la substance propre et intégrale du mystère eucharistique » (n. 22). Les dialogues qui se sont engagés depuis Vatican II, comme aussi, d’une façon plus générale, la meilleure connaissance mutuelle, le partage spirituel et la collaboration en beaucoup de domaines, ont permis de prendre la mesure de la réalité et de la profondeur de la communion déjà existante, et à mieux cerner la question de la signification à reconnaître à l’eucharistie célébrée dans ces Églises ainsi que celle de la « qualité » à reconnaître à leurs ministères. A ce sujet on peut dire que le dialogue, particulièrement approfondi et fructueux, mené avec l’Église anglicane et avec les Églises luthériennes a permis de mieux articuler ces questions tout à fait centrales lorsqu’il s’agit de reconnaître l’“écclésialité” d’une Église. Il en est résulté en effet un débat dont les termes peuvent être résumés ainsi : l’authenticité ecclésiale de ces Églises (et de leur eucharistie) dépend-elle de l’authenticité de leurs ministres ? 1. 4. La fécondité d’une perspective eschatologique Le déplacement des questions opéré à Vatican II quant à l’appréciation de l’ecclésialité des Églises et communautés chrétiennes séparées, en fait n’a pu s’opérer qu’en raison d’un double décentrement de la vision de l’Église : vers le Christ, fondement et tête de l’Église qui se construit à partir de lui, et vers sa pleine réalisation eschatologique. C’est l’écart reconnu entre les réalisations historiques de l’Église d’une part, et d’autre part son principe et son terme, qui fonde théologiquement l’approche nouvelle de la question œcuménique depuis Vatican II et qui commande les relations entre les Églises. L’unique Église du Christ, et son unité, « subsiste » dans l’Église catholique, mais sans s’identifier purement et simplement avec elle ; d’où la possibilité, pour l’Église catholique : 1. de reconnaître et d’affirmer l’ecclésialité des autres Églises chrétiennes non pas par rapport à l’Église catholique, mais par rapport au mystère même de l’Église qui est présent en elles, de diverses manières, et de parler de communion imparfaite mais réelle entre les Églises ; 2. de parler de la nécessité pour elle (comme pour les autres) de se convertir et de se réformer ; 3. d’être orientée (avec les autres) vers une unité à venir dont la configuration concrète nous échappe pour une part, et, de ce fait, de participer pleinement à un mouvement œcuménique qui englobe l’ensemble des Églises chrétiennes. 1. 5. L’unité à venir : l’Église comme « communion » En raison même de l’ampleur prise par le mouvement œcuménique et des avancées, souvent considérables, d’un certain nombre de dialogues entre Églises, le problème de la forme que pourrait ou devrait prendre l’unité retrouvée de l’Église est devenu l’un des plus importants et les plus discutés. De ce fait les dialogues entre les Églises, du moins les plus avancés, ne portent plus seulement sur les questions qui les séparent encore, mais également sur l’unité elle-même vers laquelle on tend, et sur la façon dont elle pourrait prendre corps. Nous avons déjà fait état de la réflexion qui s’est développée à ce propos au sein du COE, et où l’on a évoqué une « communion conciliaire d’Églises locales, elles-mêmes authentiquement unies ». Dans la même ligne, lors d’une de ses assemblées (Compostelle, 1994), Foi et Constitution a pris pour axe de réflexion le thème général, « Vers la koinonia/communion dans la foi, la vie et le témoignage ». De fait, de plus en plus il apparaît que la notion de communion représente une clé pour comprendre la nature de l’Église et de son unité à retrouver. Cette notion, profondément biblique, de communion et la compréhension de l’Église comme communion sont devenues depuis Vatican II l’un des thèmes majeurs de l’ecclésiologie catholique, et le Synode Romain de 1985, qui en souligne l’importance, la définit ainsi : « Que signifie dans sa complexité le mot “communion” ? Il s’agit fondamentalement de la communion avec Dieu, par Jésus Christ, en l’Esprit Saint. Cette communion se réalise dans là Parole de Dieu et les sacrements. Le baptême est la porte et le fondement de la communion en l’Église. L’eucharistie est la source et le sommet de toute la vie chrétienne (cf. L.G. n. 11). La communion du corps eucharistique du Christ signifie et produit, c’est-à-dire façonne, l’intime communion de tous les fidèles dans le corps du Christ, qui est l’Église (cf. 1 Co 10,16). En conséquence, l’ecclésiologie de communion ne peut pas se réduire à de pures questions d’organisation ou à des problèmes qui ne concerneraient que de simples pouvoirs. L’ecclésiologie de communion est aussi fondement de l’ordre dans l’Église et surtout d’une correcte relation entre unité et pluriformité dans l’Église (Synode extraordinaire, Cerf 1986, 559). Communion dit donc tout à la fois l’unité des chrétiens dans le Christ, et les moyens de sa réalisation et de son expression dans le domaine de la foi, des sacrements, mais également dans celui du témoignage et du service. Le rétablissement de la pleine communion suppose donc, aux yeux de l’Église catholique, plein accord dans la foi, dans la vie sacramentelle et dans l’organisation structurelle fondamentale de l’Église. C’est sur ces points précisément que restent les dialogues dans lesquels l’Église catholique est engagée avec d’autres Églises ou « familles confessionnelles ». Il reste à souligner un point. Quels que soient les modèles d’unité imaginés ou discutés au sein du mouvement œcuménique, tous sont habités par la conviction que l’unité n’est pas et ne doit pas être uniformité. De même du côté catholique l’ecclésiologie de communion implique une pluriformité possible, nécessaire, au sein de la communion catholique, dans la ligne de ce que Lumen Gentium a développé en évoquant, dans le chapitre important consacré à la théologie des Églises particulières, les Églises fondées par les Apôtres qui se sont rassemblées au cours des temps « en plusieurs groupes organiquement réunis, qui, sans préjudice pour l’unité de la foi et pour l’unique constitution divine de l’Église universelle, jouissent de leur propre discipline, de leur propre usage liturgique, de leur patrimoine théologique et spirituel » (n. 23). Mais c’est à ce point précis que se pose une double question. Tout d’abord, quelle est la nature des diversités qui peuvent être considérées comme légitimes, c’est-à-dire qui peuvent être assumées et maintenues au sein de la communion ? Question qui porte tout autant sur la foi et ses expressions que sur les sacrements et la structure concrète de l’Église (par ex. organisation des ministères), c’est-à-dire sur les données constitutives de la communion. Qu’est ce qui est diversité légitime ? Qu’est-ce qui est diversité séparatrice? Quel est le consensus nécessaire et suffisant ? D’autre part jusqu’où peuvent aller les diversités au plan de l’Église universelle et à celui des Églises locales, question qui, posée en ces termes, engage la place respective à reconnaître, dans la communion des Églises, aux diversités tenant aux contextes historiques et culturels, mais aussi aux « traditions confessionnelles » en matière de théologie, de spiritualité, de pratique chrétienne... C’est en fonction des réponses données qu’on pourrait classer les différents modèles d’unité évoqués et discutés dans le contexte des dialogues œcuméniques. Il semble qu’en simplifiant on peut distinguer entre deux approches fondamentales de l’unité : - La première met l’accent sur l’unité de l’Église en un lieu, impliquant communion dans la foi, les sacrements, la structuration ministérielle – ces Églises locales réellement unes étant en communion les unes avec les autres, donnant ainsi corps à la communion “catholique”. Ce modèle s’inscrit dans la ligne des textes de New Delhi et de Nairobi ; son horizon est aussi celui de l’ecclésiologie de communion telle qu’on la trouve dans la tradition oriental et telle aussi qu’on la développe dans la réflexion ecclésiologique catholique actuelle. Ceci implique, pour l’Église catholique, que soient repensées et réarticulées concrètement les rapports entre Église universelle et Églises locales. - La deuxième met l’accent sur les « traditions confessionnelles » représentées par les grandes Églises ou familles confessionnelles, et sur la nécessité de les respecter en leur originalité et leurs richesses propres – l’unité se trouvant placée ainsi sous le signe d’une « diversité réconciliée » des Églises et de leurs traditions théologiques, spirituelles, etc. Pour être acceptable, aux yeux d’une ecclésiologie de type catholique du moins, une telle vision, préconisée en particulier par des théologiens appartenant à des Églises issue de la Réforme, ne devrait pas s’identifier au modèle de l’“unité plurielle” (« nous nous acceptons tels que nous sommes » : cf. 0. Cullmann, L’unité par la diversité, Cerf 1986), mais inclure une « redéfinition des confessions par le dialogue » (H. Meyer). Il n’est pas possible, pour l’instant, d’aller plus loin et d’ « imaginer » de façon plus précise ce que pourrait être le visage de l’unité dans la communion rétablie. Le fait cependant que nous soyons conduits à poser ces questions est signe par lui-même du chemin parcouru. 2. Le Directoire Œcuménique de 1993 Le directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme est promulgué en 1993 par le Saint Siège. Il a pour but de fournir aux Églises locales le cadre de l’activité œcuménique dans la suite de Vatican II. La recherche de l’unité des chrétiens a été l’un des principaux objectifs du Deuxième Concile du Vatican. Le Directoire œcuménique, demandé pendant le Concile et publié en deux parties, l’une en 1967 et l’autre en 1970, « a rendu de précieux services pour orienter, coordonner et développer l’effort œcuménique. Outre la publication du Directoire, de nombreux autres documents ayant trait à l’œcuménisme ont été publiés par les autorités compétentes. La promulgation du nouveau Code de Droit Canonique pour l’Église latine (1983) et celle du Code des Canons des Églises Orientales (1990), ont créé en matière œcuménique une situation disciplinaire en partie nouvelle pour les fidèles de l’Église catholique. De même la publication du Catéchisme de l’Église catholique (1992) a assumé la dimension œcuménique dans l’enseignement de base de tous les fidèles de l’Église. A partir du Concile se sont intensifiés des rapports fraternels avec les Églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas en pleine communion avec l’Église catholique; des dialogues théologiques ont été instaurés et multipliés. Dans son discours à l’occasion d’une assemblée plénière du Secrétariat (1988) qui s’occupait de la révision du Directoire, Jean-Paul II fit remarquer que « l’ampleur du mouvement œcuménique, la multiplication des documents de dialogue, l’urgence ressentie d’une plus grande participation de tout le Peuple de Dieu à ce mouvement, et par conséquent la nécessité d’une information doctrinale exacte en vue d’un engagement juste, tout cela demande que l’on donne, sans tarder, des orientations mises à jour ». C’est dans cet esprit et à la lumière de ces développements que ce Directoire reçoit une version définitive en 1993. Le Directoire s’adresse aux pasteurs de l’Église catholique, mais il concerne aussi tous les fidèles appelés à prier et à travailler pour l’unité des chrétiens sous la direction de leurs évêques. Ceux-ci, individuellement pour leur propre diocèse et collégialement pour toute l’Église, sont responsables sous l’autorité du Saint-Siège de l’orientation et de la pratique concernant l’œcuménisme. Mais la préface souhaite que le Directoire soit utile aux membres des Églises et des Communautés ecclésiales qui ne sont pas en pleine communion avec l’Église catholique. Avec les catholiques, ils partagent le souci de la qualité de l’engagement œcuménique. Il leur sera avantageux de savoir la direction dans laquelle ceux qui, dans l’Église catholique, guident le mouvement œcuménique, désirent mener l’action œcuménique, et les critères qui sont officiellement approuvés dans l’Église. Cela leur permettra d’évaluer les initiatives prises, à tous les niveaux, par les catholiques pour y répondre adéquatement et de mieux comprendre les réponses des catholiques à leurs propres initiatives. Il est à noter que le Directoire n’entend pas traiter des rapports de l’Église catholique avec les sectes ou avec les nouveaux mouvements religieux. La nouvelle édition du Directoire est destinée à être un instrument mis au service de toute l’Église et spécialement de ceux qui sont directement engagés dans une activité œcuménique dans l’Église catholique. Il entend la motiver, l’éclairer, la guider et, en certains cas particuliers, donner aussi des directives obligatoires selon la compétence propre au Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. A la lumière de l’expérience de l’Église depuis le Concile et en tenant compte de la situation œcuménique actuelle, le Directoire rassemble toutes les normes déjà fixées pour appliquer et développer les décisions du Concile et, au besoin, les adapte à la réalité actuelle. Il renforce les structures qui ont été mises en place pour soutenir et guider l’activité œcuménique à chaque niveau de l’Église. En respectant pleinement la compétence des autorités à ces divers niveaux, le Directoire donne des orientations et des normes d’application universelles, pour guider la participation catholique à l’action œcuménique. Leur application donnera consistance et cohérence aux façons variées de pratiquer l’œcuménisme par lesquelles des Églises particulières et des groupes d’Églises particulières répondent aux différentes situations locales. Il garantira que l’activité œcuménique dans l’Église catholique est conforme à l’unité de foi et de discipline qui unit les catholiques entre eux. Il apparaît clairement que le Directoire se fixe aussi pour objectif de mettre en garde contre l’indifférentisme doctrinal. Le Directoire commence par un développement sur l’engagement œcuménique de l’Église catholique (chapitre I). Suit un exposé des moyens pris par l’Église catholique pour mettre en pratique cet engagement. Elle le fait par l’organisation (chapitre II) et la formation de ses membres (chapitre III). C’est à eux, ainsi organisés et formés, que s’adressent les dispositions des chapitres IV et V sur l’activité œcuménique. 3. L’encyclique Ut Unum Sint de Jean-Paul II du 25 mai 1995 L’encyclique de Jean Paul II, Ut unum sint sur l’engagement œcuménique de l’Église catholique est la première qu’un pape consacre entièrement à cette question en termes d’engagement et de promotion. Le but de l’encyclique est d’abord de démontrer que l’engagement œcuménique de l’Église n’est pas simplement la conséquence des ruptures historiques et l’effet du développement des relations dans les temps modernes, comme le croient certains, mais qu’il s’impose à tous parce qu’il fait partie d’un projet de Dieu qui a commencé dès la création et a sa source dans l’Alliance. Le pape confirme le changement accompli par Vatican II en se référant à Unitatis Redintegratio et dresse un tableau somme toute positif du mouvement œcuménique depuis. Les relations avec les Églises orthodoxes. L’encyclique insiste sur les éléments d’ecclésialité présents dans les Églises orthodoxes (n° 50) : sacrements véritables, légitimité de ces Églises qui « ne s’oppose pas du tout à l’unité de l’Église ». Au contraire, la diversité « accroît le prestige » de l’Église une. Mais Ut unum sint ne tait pas pour autant les fortes tensions apparues entre catholiques et orthodoxes, marquées par les conflits locaux nés avec l’histoire, ancienne ou récente. Les Églises orthodoxes et catholique devraient toujours mieux correspondre à l’appellation qui est la leur : Églises sœurs, quand, dans l’Antiquité, à certaines grandes occasions, elles échangeaient entre elles des lettres de communion. Le temps de l’indulgence entre les deux Traditions est venu (n° 58). L’accueil à l’égard des anciennes Églises d’Orient. Les anciennes Églises d’Orient ont une place particulière dans le dialogue œcuménique. Ces Églises recèlent des trésors. Or nous nous apercevons que nous ne divergeons guère dans la foi au Christ qu’au niveau des formules, pas de la réalité de foi elle-même. Avec ces Églises nous partageons une même foi, les mêmes sacrements le même ministère enraciné dans la succession apostolique. À ce titre l’accord christologique avec Mar Dinkha IV est caractéristique du rapprochement. Le dialogue avec les Églises et les communautés issues de la Réforme. Jean Paul II jette un regard positif sur la réalité issue de la Réforme, même si les motifs de division sont plus importants qu’avec les deux autres traditions évoquées. Au n° 65, on peut lire : « Le Mouvement œcuménique a pris son essor dans les Églises et les Communautés de la Réforme. En même temps, dès janvier 1920, le Patriarcat œcuménique avait souhaité que l’on organisât une collaboration entre les confessions chrétiennes. De fait montre que l’incidence de l’arrière-fond culturel n’est pas déterminante. L’essentiel, en revanche, est la question de la foi ». Le pape salue des documents tels que le BEM qui esquissent « des perspectives inespérées » (n° 69). Il souligne l’importante stimulation biblique que représente la rencontre avec les chrétiens de la Réforme (n°66), de sorte qu’on peut sortir d’une définition seulement négative et réactive du « sola fide – sola scriptura » pour l’évaluer dans toute sa positivité. Le point d’unité dont on ne doutera pas est l’unique baptême, « lien sacramentel de l’unité qui existe entre tous ceux qui ont été régénérés par lui » (n° 6). La « différence fondamentale » qui perdure sans aucun doute se définit toujours plus clairement à mesure que les dialogues avancent. Le ministère d’unité de l’évêque de Rome. Jean-Paul II a le souci de mettre la question du ministère pétrinien dans la perspective œcuménique. Il rappelle que le pape exerce son ministère dans l’Église et jamais au-dessus d’elle et les pasteurs des diverses Églises accomplissent leur tâche en communion avec lui et non pas sous lui. L’évêque de Rome appartient au collège des évêques et ils sont frères dans le ministère (n° 95). Il prend en compte les critiques qui sont faites au ministère pétrinien par d’autres Églises. Jean-Paul II se montre bien conscient des obstacles particuliers qu’il doit rencontrer dans l’exercice de ses fonctions et « dans l’accomplissement d’une tâche qu’il ne peut mener à bien tout seul » (n° 96). Dans la mesure où la recomposition de l’unité est devenue une question essentielle, ce souci affecte au premier chef l’exercice de la primauté. Il y a un lien direct entre œcuménisme et primauté, qui n’est apparu que progressivement au cours des dernières décennies. LES DIALOGUES THÉOLOGIQUES Les années qui ont suivi Vatican II ont vu un essor considérable des dialogues bilatéraux officiels entre l’Église catholique et les autres Églises, communions ou fédérations mondiales d’Églises. Certes, le dialogue œcuménique théologique existait déjà : il s’agissait pour l’essentiel des dialogues multilatéraux menées dans le cadre du COE (plus précisément : Foi et Constitution), ou encore de dialogues menés au sein de groupes “privés” (par ex. Groupe des Dombes). Mais l’entrée en lice de l’Église catholique et la préférence qu’elle donna aux dialogues bilatéraux aura pour effet, par contrecoup, de susciter d’autres dialogues bilatéraux (anglican-orthodoxe, anglican-luthérien, luthérien-orthodoxe, etc.), en sorte qu’on peut dire qu’aujourd’hui pratiquement toutes les Églises ou familles d-Églises dialoguent avec toutes. Notons d’emblée une difficulté : celle de l’articulation entre eux de tous ces dialogues et de leurs résultats. D’une part, il est nécessaire que les liens soient maintenus entre dialogues bilatéraux (naturellement centrés sur les questions communes aux deux partenaires) et dialogues multilatéraux (où les questions sont abordées de manière plus globale) ; d’autre part, il est nécessaire également de veiller à la compatibilité des dialogues bilatéraux dans lesquels une Église est engagée : le risque existe en effet que les affirmations d’un partenaire s’infléchissent ou varient selon l’interlocuteur. (Par ex. compatibilité des textes de consensus ou de convergences sur l’eucharistie issus du dialogue catholique-orthodoxe, catholique anglican, et catholique luthérien). Pour l’instant tous ces dialogues, fort nombreux, se développent selon toute leur diversité et selon leurs rythmes propres, avec leur ordre du jour, plus ou moins fructueux pour ce qui est de leurs résultats s’efforçant souvent aussi de tenir compte des résultats déjà-acquis dans d’autres dialogues. Comme le souligne G. Tavard., « Les Églises ont désormais à leur disposition une mine théologique presque inépuisable où il sera facile de puiser lorsque les cœurs seront enfin prêts à la réconciliation. En attendant elles peuvent avancer à petits pas vers l’union en étudiant cette documentation et en l’incorporant, au fut et à mesure que cela devient possible à leurs propres traditions. » Nous ne parlerons ici que des dialogues dans lesquels l’Église catholique est engagée, et nous nous en tiendrons à ceux qui nous paraissent les plus importants ou les plus significatifs. Nous procéderons de façon nécessairement schématique, nous contentant souvent d’indiquer les principaux thèmes abordés. Les références aux textes reproduits dans la Documentation Catholique et les indications bibliographiques que nous donnerons, vous permettront de vous reporter aux textes eux-mêmes et d’en étudier de façon plus approfondie tel ou tel. 1. Dialogues avec les Églises séparées d’Occident 1.1. Le dialogue avec la Communion Anglicane 1.1.1. ARCIC I Ce dialogue théologique, mené par une commission mixte mandatée de façon officielle par les deux Églises (Anglican Roman-Catholic International Commission = ARCIC), fut le premier à s’engager dans la foulée du concile, la situation de “l’Église-pont” souvent revendiquée par l’Église anglicane et son engagement déjà ancien dans la mouvement œcuménique constituant à cet égard un présupposé particulièrement favorable. Tout en appartenant à la tradition chrétienne issue de la Réforme, les Églises autonomes de la communion anglicane ont hérité de leur Église-mère, l’Église anglicane d’Angleterre, une sorte de via media entre le catholicisme romain et le protestantisme. Celle-ci leur permettant, non toutefois sans ambiguïtés, de faire place, à des degrés différents, dans leur vie ecclésiale, à bien des richesses doctrinales et sacramentelles propres à la tradition catholique. Elle leur donne également l’habitude d’une souplesse et d’une ouverture très grandes dans le dialogue avec les positions confessionnelles différentes. De ce fait le dialogue anglican-catholique a été l’un de ceux qui ont pu aller très loin dans le dialogue théologique et parvenir à un ensemble de textes d’“accord” ou de “convergences” très remarquables. Une première commission (ARCIC I), siégeant entre 1969 et 1981, a publié ainsi une Déclaration commune sur la doctrine eucharistique (1971 : DC 1972, 86-89), un document intitulé Ministère et ordination (1973 : DC 1973, 10631066), ainsi qu’un document en deux parties sur L’autorité dans l’Église (1976 et 1981 : DC 1977, 118-124 ; 1982, 501-507) qui traite notamment de la question de la primauté, en dessinant le cadre d’une “ecclésiologie de communion”. Au fur et à mesure de leur publication, outre un écho largement positif, ces textes suscitèrent de la part des Églises mandantes un certain nombre de réflexions critiques, que la commission prit en compte en rédigeant des Élucidations portant sur certains points des thèmes traités : eucharistie, ministère, autorité. L’ensemble de ces textes fut repris sous la forme d’un Rapport final (1982) dont l’introduction souligne que l’ecclésiologie de communion est sous-jacente à tous ces travaux, et affirme que la commission est parvenue à un “consensus”, même sur l’autorité dans l’Église et, sur les principes fondamentaux de la primauté du pape, tout en notant les difficultés qui demeurent à ce sujet (primauté de juridiction, infaillibilité). On trouvera ce rapport final accompagné d’observations de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, dans DC 1982, 497-512. - L’ensemble des documents (Textes de consensus, Élucidations et Rapport final) a été publié en un volume : Jalons pour l’unité. Commission anglicane- catholique romaine. Rapport final, Cerf 1982. Le rapport fut adopté à la quasi unanimité par les évêques de la communion anglicane (Conférence dé Lambeth 1988) ; du côté catholique il fut examiné par les conférences épiscopales : on pourra lire les réflexions, très précises et nuancées de la conférence épiscopale française par ex. dans DC 1985, 876-882. La Réponse finale de la Congrégation pour la Doctrine de la foi se montre, quant à elle assez critique, mettant en avant les ambiguïtés qu’elle pense pouvoir discerner dans certaines formulations et qui, pour cette raison refuse de parler avec l’ARCIC d’un “accord substantiel” et demande par conséquent de nouvelles clarifications (texte dans DC 1992, 111-114). Ces remarques critiques ont été prises en compte par l’ARCIC et ont donné lieu à un texte : Clarifications à propos de certains aspects des déclarations communes sur l’eucharistie et le ministère (DC 1994, 768-774). (Il pourrait être intéressant, au titre d’un travail personnel, de “suivre” le traitement de tel ou tel point particulier au fil des textes : texte premier, critiques, Élucidations, réaction française, réaction romaine, Clarifications). Dans l’entre-temps, une seconde commission (ARCIC II) a été nommée. Ses travaux ont abouti à deux documents. 1.1.2. ARCIC II Les antécédents: dialogue officiel anglican-catholique au niveau international En mars 1966, l’Archevêque de Cantorbéry, Dr Michael Ramsay, rendit une visite officielle au Pape Paul VI à Rome. Cette rencontre inaugurait une nouvelle ère dans les relations entre la Communion anglicane et l’Église catholique, l’accent étant mis sur la charité chrétienne et sur les efforts sincères en vue d’éliminer les causes de conflit et de rétablir l’unité. La décision fut prise d’établir un dialogue international officiel dont le travail eût pu conduire à l’unité dans la vérité, pour laquelle le Christ a prié. La Commission internationale anglicanecatholique romaine (ARCIC) s’est mise à l’œuvre en 1970. Il s’agit d’un dialogue international dont les membres sont des spécialistes officiellement nommés pour représenter la Communion anglicane et l’Église catholique à travers le monde. Au début, trois principaux points de dialogue ont été assignés à l’ARCIC : la doctrine de l’eucharistie, ministère et ordination, et l’autorité dans l’Église. Plusieurs Déclarations communes, adoptées au cours du travail de la Commission, ont été réunies et publiées ensemble en 1981 dans un document appelé Rapport final, soumis aux deux Églises pour évaluation et réception. La Communion anglicane a donné sa réponse officielle dans une résolution adoptée en 1988 par la Conférence de Lambeth. L’Église catholique a répondu en 1991. Depuis la publication du Rapport final, ARCIC a adopté plusieurs Déclarations communes concernant d’autres sujets importants sur lesquels le Pape Jean-Paul II et l’Archevêque Robert Runcie, lors de leur rencontre à Cantorbéry en 1982, avaient demandé à la Commission d’engager un dialogue. Le don de l’autorité est la quatrième Déclaration de cette seconde phase du travail d’ARCIC. C’est un document destiné aux chrétiens anglicans et catholiques des nombreux pays où ils vivent côte à côte partout dans le monde. Il a déjà été envoyé aux Primats anglicans et aux Présidents des Conférences épiscopales catholiques Avant même le début du dialogue, il était clair que la question de l’autorité dans l’Église aurait exigé une grande attention. L’autorité, en particulier l’autorité de l’évêque de Rome, avait été un élément-clé de la division qui s’est produite à l’époque de la Réforme anglaise. Pendant quatre siècles, la Communion anglicane et l’Église catholique ont développé séparément leurs structures de l’autorité, et les anglicans ont vécu sans le ministère de l’évêque de Rome. Le Rapport final, nous l’avons vu plus haut, a consacré deux Déclarations communes et une “Élucidation” à la question de l’autorité dans l’Église. Elles montrent qu’il existe déjà un accord considérable, reconnu par nos deux Églises, sur la façon dont l’autorité opère dans l’Église et le rôle particulier des évêques ; La déclaration The Gift of Authority est le résultat de cinq années de dialogue, d’écoute patiente, d’étude et de prière. La Commission a répondu aux demandes de nos autorités respectives. La Déclaration s’appuie sur tout le travail antérieur d’ARCIC concernant l’autorité – d’où son sous-titre, Autorité dans l’Église III. Par conséquent, elle doit être lue parallèlement aux Déclarations communes précédentes. C’est un texte riche, étayé d’arguments sérieux, dont chaque phrase est importante en vue des conclusions auxquelles on veut parvenir. Elle exigera donc une étude et une réflexion attentives de la part de nos deux Communions. Une image scripturaire, prise en 2 Co, est utilisée à plusieurs reprises pour que soit toujours présent à notre esprit l’objet suprême de l’autorité. L’autorité sert à rappeler à l’Église le “oui” de Dieu à l’humanité en Jésus Christ et permet à ses membres de répondre par un “amen” fidèle, en suivant la voie du Christ. Ensuite est exposée en grandes lignes la façon dont l’autorité est exercée à différents niveaux dans la vie de l’Église, y compris comment le peuple de Dieu transmet la Tradition dans l’espace et dans le temps, et le rôle particulier des évêques dans le discernement et l’articulation de cette foi de l’Église, et en s’assurant que toutes les Églises sont en communion les unes avec les autres. Le document indique qu’il y a accord sur le fait que le collège des évêques a le pouvoir d’émettre un jugement qui, fidèle aux Écritures et conforme à la Tradition apostolique, est exempt de toute erreur (cf. n° 42). Ce devoir de maintenir l’Église dans la vérité est “une des fonctions essentielles du collège épiscopal” (n° 44). La Déclaration s’appuie sur l’accord concernant l’évêque de Rome dans le précédent travail d’ARCIC, et présente une entente sur son ministère spécifique au sein du collège des évêques dans le discernement de la vérité, qui a été à l’origine de tant de difficultés et de malentendus. Le document s’efforce de préciser qu’en certaines circonstances, l’évêque de Rome a le devoir de discerner et de rendre explicite, dans la fidélité à l’Écriture et à la Tradition, la foi authentique de toute l’Église, c’est-à-dire la foi de tous les baptisés en communion entre eux. La Commission estime que cela est un don qui doit être reçu par toutes les Églises et que c’est la conséquence de la reconnaissance de la primauté de l’évêque de Rome. L’étude détaillée de cette Déclaration va évidemment offrir des stimulations aux deux Églises, concernant la façon dont l’autorité y est exercée. Quelques-unes de ces stimulations sont mentionnées dans la dernière partie du document. La tâche de la Commission était d’engager le dialogue sur une question importante et difficile. Elle estime être parvenue à un nouvel accord qu’elle soumet à nos Églises. Il appartient à nos autorités de décider en temps opportun si notre foi peut se reconnaître dans cette nouvelle Déclaration commune et comment traiter les conséquences qu’elle entraîne. 1. 2. Le dialogue avec la Fédération Luthérienne Mondiale 1.2.1. Les commencements : les convergences Le dialogue avec cette Fédération (qui regroupe dans une “communion” la grande majorité des Églises luthériennes), commencé en 1967 et mené avec une continuité et une rigueur particulièrement remarquables, a permis l’élaboration d’un ensemble important de textes de grande qualité théologique. Aussi allons-nous le présenter un peu plus longuement, en essayant surtout d’en suggérer la dynamique. Une première phase, exploratoire en quelque sorte, du dialogue conduit à la constatation qu’il existe des convergences importantes sur la nature de la justification par la grâce et sur le rapport entre Écriture et Tradition. Ce premier résultat fut consigné dans le Rapport de Malte : Évangile et Église (1972, DC 1972, 10701081). Sur cette base est engagée une deuxième phase du dialogue. En 1978 est présenté un document sur l’Eucharistie : Le repas du Seigneur (DC 1979, 19-30) : une première partie, Témoignage commun, formule « ce que chrétiens catholiques et luthériens peuvent confesser ensemble » ; la deuxième présente les “tâches communes” qui résultent pour les uns et pour les autres du large accord constaté, et qui concernent un certain nombre de points classiques de la “controverse” demandant encore à être clarifiés davantage : présence réelle, caractère sacrificiel de l’Eucharistie, présidence par un ministre ordonné. Un deuxième document traite du Ministère dans l’Église (DC 1982, 459-472) : là encore un large accord est constaté sur des points déterminants, conduisant à poser la question de la reconnaissance mutuelle des ministères. Le document est accompagné d’un important excursus consacré à la question de l’admission des femmes à l’ordination. Notons que ces deux documents se réfèrent de façon explicite à d’autres dialogues ayant déjà traité de ces mêmes questions et en reprennent souvent des formulations : ARCIC, Dombes, dialogue luthéro-catholique des USA – ce qui fait apparaître les convergences qu’on peut déjà constater entre différents dialogues. La commission a publié également un document de type prospectif : Voies vers la communion (DC 1981, 76-89) ; ses deux parties – l’unité comme but, et les pas vers l’unité – tentent de préciser les étapes qui pourraient être parcourues en direction de l’unité. Deux autres documents sont liés à des circonstances historiques. En 1980 pour 450ème anniversaire de la Confession d’Augsbourg (texte de référence pour toutes les Églises luthériennes), est publiée ce qu’on pourrait appeler une relecture commune de ce texte, visant à montrer qu’il ne doit plus être considéré comme un texte séparateur, et qu’au contraire il est même possible d’y voir une expression de la foi commune : Tous sous un seul Christ (DC 1980, 437-439). De même en 1983, le 500ème anniversaire de la naissance de Luther fut l’occasion d’une Déclaration commune sous le titre : Martin Luther, témoin de Jésus Christ (DC 1983, 694-697), suggérant comment Luther « peut être notre maître commun dans l’affirmation que Dieu doit constamment rester Dieu, et que notre réponse humaine la plus essentielle doit rester la confiance absolue et l’adoration de Dieu », et marquant le chemin déjà parcouru et à parcourir encore, menant « du conflit à la réconciliation ». Un dernier document - plus ample et aussi plus ambitieux - est publié en 1985 sous le titre Face à l’unité, modèles, formes et étapes de la communion luthéro-catholique (DC 1987, 294319). Comme le titre l’indique, la commission estime qu’on ne va plus tant “vers” l’unité, qu’on se trouve “face” à elle. Comme le dit la présentation du texte, « Ce document s’efforce de faire la lumière sur ce qu’est l’unité ecclésiale, et sur la représentation qu’on peut s’en faire : une unité qui ne signifie pas une absorption ou un retour, mais une communion structurée d’Églises. Pour cela il faut qu’il y ait communion dans la même foi et dans la vie sacramentelle. » Mais si l’échéance de l’unité apparaît ainsi si proche à la commission qu’elle estime déjà pouvoir - et devoir - réfléchir sur des « modèles, formes et étapes », elle ne méconnaît pas pour autant que « des oppositions séparatrices existent encore entre nous, qui doivent trouver une solution ». (L’ensemble des documents de la première et de la deuxième phase de ce dialogue a été repris, avec leurs annexes, en un volume : Commission internationale catholique luthérienne, Face à l’unité, Cerf 1986). 1.2.2. Questions autour d’un consensus fondamental La travail accompli et rendu public soulevait, parmi d’autres questions portant sur des points particuliers, celle du rapport entre le consensus fondamental constaté ainsi par la commission sur un certain nombre de vérités centrales de la foi, et les différences persistantes, que la commission ne cache d’ailleurs pas. On pourrait formuler cette question dans les termes suivants : faut-il poursuivre en recherchant un consensus “parfait” et “complet”? Mais n’estce pas courir le risque d’une impasse, dans la mesure où l’on peut s’interroger sur la possibilité même (et aussi la nécessité) d’un consensus parfait ? Ne faudrait-il pas bien plutôt, selon un mouvement inverse en quelque sorte, partir des consensus existants portant sur ce qui est fondamental pour l’Église et son unité, et vérifier, à leur lumière, quelle est la portée réelle, la signification et la légitimité (ou non) des différences qui demeurent, et cela dans la perspective d’une unité intégrant des diversités légitimes en matière de doctrine, de structuration de l’Église, etc.? Seule, en fait, une démarche de ce type peut être féconde. Une troisième phase du dialogue luthéro-catholique s’engage alors. Le mémorandum fixant le cahier des charges de la commission en 1985, le formule dans les termes suivants : « Les rencontres entre catholiques et luthériens montrent toujours plus, dans la pratique, que la question de l’Église se révèle centrale, et plus précisément la question de l’Église et la nature de son instrumentalité dans le plan divin de salut (1’Église comme signe et instrument : la “sacramentalité” de l’Église) [...] Cette question soulève à nouveau particulièrement pour la partie luthérienne, la question de la doctrine de la justification. Il s’agit moins d’ailleurs de la compréhension de la justification en tant que telle [...], mais bien plus des relations mutuelles entre la compréhension de la justification et la compréhension de l’Église, et de leurs implications. » 1.2.3. La déclaration commune sur la justification Ce travail aboutit en 1999 à la signature, le 31 octobre à Augsbourg, d’un accord doctrinal entre l’Église catholique et la Fédération Luthérienne Mondiale : La déclaration commune sur la doctrine de la justification. Cette déclaration étant une nouveauté doctrinale pour l’Église catholique, il vaut la peine de lui consacrer un développement conséquent. Dans le préambule (§§ 1-7) sont rappelées les étapes du processus qui a permis d’aboutir à l’affirmation suivante : la déclaration commune a pour intention de montrer que désormais, sur la base de ce dialogue, les Églises luthériennes signataires et l’Église catholique romaine sont en mesure de défendre une compréhension commune de la justification du pécheur par la grâce de Dieu et au moyen de la foi en Jésus Christ (§5). Ce constat constitue le fondement de la démarche qui a conduit jusqu’à la signature et qui doit porter les efforts pour que la DC soit reçue dans les différentes communautés ecclésiales. La première partie (§§ 8-12) est consacrée à une lecture commune de l’Écriture. Puisque la séparation est venue d’interprétations divergentes de l’Écriture, l’unité ne peut venir que d’une lecture à frais nouveaux, convertie, des deux partenaires du dialogue. Lire ensemble l’Écriture, c’est déjà entrer dans le mouvement de l’unité. Les divisions qui ont marqué les Églises au fil des siècles ne sauraient se justifier par une interprétation confessionnelle unilatérale de l’Écriture. La deuxième partie, constituée d’un seul paragraphe (§ 13), aborde la doctrine de la justification comme problème œcuménique. Les interprétations divergentes du message biblique de la justification ont été à l’origine de la division des Églises au xvie s. Le mouvement œcuménique permet de redéfinir les positions en vue d’un consensus sur les vérités fondamentales. La troisième partie (§§ 14-18) vise à définir une compréhension commune de la justification. Il y a consensus dans les vérités fondamentales ; et si différences il y a, celles-ci sont compatibles avec ce consensus. Cette foi commune s’enracine dans une théologie trinitaire (§ 15) et dans la conviction que tous les hommes sont appelés au salut (§ 16). La quatrième partie (§§ 19-44), la plus longue, mais aussi la plus originale, s’attache à présenter les développements et les incidences confessionnelles de la compréhension commune de la justification. Rarement déclarations à visée consensuelle, ont le courage d’évoquer, sans équivoque, mais aussi sans les dramatiser, les divergences de vue ou les différences de sensibilité qui demeurent. C’est pour cela que la plupart des paragraphes sont structurés de la même manière. Au sujet d’un concept, à propos d’un aspect doctrinal ou d’une question de sémantique, la Déclaration développe chaque fois le commentaire en trois temps : a. « Nous confessons ensemble que… » ; b. « Lorsque les catholiques affirment que… » ; c. « Dans la compréhension luthérienne… ». Cela vaut pour les sept points de cette quatrième partie qui concernent le processus et les conséquences de la justification, et qui constituent des sujets d’une discussion qui peut se poursuivre sans que le consensus fondamental soit entamé. La Déclaration ouvre un avenir nouveau au dialogue luthéro-catholique : « Nous rendons grâce à Dieu pour ce pas décisif dans le dépassement de la séparation des Églises. Nous prions l’Esprit Saint de continuer à nous conduire vers cette unité visible qui est la volonté du Christ » (§ 44). Par-delà le terme même de « justification », c’est la christologie en tant que sotériologie qui est en jeu. Le terme « justification » demeure un concept théologique, un commentaire paulinien du mystère du salut en Jésus Christ. Cependant, si fortement enraciné dans l’Évangile soit-il, le concept cède le pas sur le fait. Ce qui fait l’objet de la Déclaration, c’est un accord sur un concept dont les interprétations demeureront toujours plurielles. Mais ce qui est visé ne saurait plus diviser : la volonté salvifique de Dieu s’est manifestée en Jésus de Nazareth, unique sauveur, unique médiateur entre Dieu et les hommes. Un genre littéraire nouveau : le consensus différencié. Le texte signé le 31 octobre 1999 se donne comme la déclaration solennelle faite par les luthériens et les catholiques qu’ils ont une compréhension commune, non séparatrice, de la justification. Ce faisant, la quatrième partie de la DC innove. S’il s’agit d’une déclaration commune concernant un point central de la doctrine chrétienne, le texte relève donc du genre littéraire de la profession de foi : catholiques et protestants confessant une foi commune sur la justification par Jésus Christ seul. Mais, parce qu’elle constitue également un travail d’explicitation destiné à chacune des confessions ad intra et ad extra visant à faire comprendre qu’il y a accord sur le principe fondamental de la justification, alors que subsistent des éléments de différence, la DC se doit d’innover quant à la forme en raison du concept de « consensus différencié » qu’elle promeut. Désormais, sur la base de ce dialogue, les Églises luthériennes signataires et l’Église catholique romaine sont en mesure de défendre une compréhension commune de notre justification par la grâce au moyen de la foi en Christ. Cette déclaration ne contient pas tout ce qui est enseigné dans chacune des Églises à propos de la justification ; elle exprime cependant un consensus sur des vérités fondamentales de la doctrine de la justification et montre que des développements qui demeurent différents ne sont plus susceptibles de provoquer des condamnations doctrinales (DC 5). L’acquis majeur de ce consensus différencié est l’affirmation selon laquelle les différences qui existent encore entre les deux manières de dire la foi en la justification ne sont plus séparatrices. Autrement dit, les nuances que chaque confession met dans sa manière de comprendre la justification ne sauraient aller à l’encontre de la koinonia. On distinguera donc entre l’affirmation et les propositions colatérales. Dans le quatrième chapitre, le plus long des quatre dont elle est composée, la DC a le souci d’expliciter ce que chacune des confessions dit. La solution originale adoptée par la DC dans la rédaction de la quatrième partie permet que s’établisse l’unité dans la diversité réconciliée. Le genre littéraire ainsi élaboré permet surtout d’envisager l’avenir des dialogues œcuméniques. Il signifie que les deux traditions peuvent approfondir leur dialogue, élargir encore les points de leur accord tout en ne se reniant pas sur le point des différences. La préservation de l’identité ecclésiale de chacun des partenaires est une condition préalable – et non un obstacle comme on l’a si souvent cru – à un œcuménisme authentique. La différence n’est plus traumatisante, elle n’est même plus considérée comme symptôme de la division. Elle est réévaluée positivement dès lors qu’un accord ayant été constaté, elle peut être maintenue sans nuire à la qualité de l’accord. Ni synthèse des deux conceptions catholique et luthérienne de la justification, ni compromis sur un plus petit commun dénominateur, ni superposition de deux conceptions hétéronomes du salut, la DC propose une herméneutique du salut en Jésus Christ et donne un statut œcuménique à la différence. En cela déjà, elle marque l’histoire des dialogues interconfessionnels. La DC affirme que la compréhension commune de la justification, donc, partant, du salut en Jésus Christ, n’est pas concernée par les anathèmes du xvie siècle. Ceci représente une conséquence dogmatique qui n’est pas sans signification ecclésiologique quant à la reconnaissance, de la part de l’Église catholique, du luthéranisme comme Église. Mais cela suppose aussi de la part de la tradition catholique qu’elle développe une herméneutique renouvelée des positions adoptées par le Concile de Trente. Dans le Décret tridentin sur la justification, les pères conciliaires affirment que l’homme ne peut se sauver lui-même : Si quelqu’un dit que l’homme peut être justifié devant Dieu par ses œuvres – que celles-ci soient accomplies par les forces de la nature humaine ou par l’enseignement de la loi – sans la grâce divine venant par Jésus-Christ : qu’il soit anathème. Cette affirmation princeps de Trente, aucun Réformateur ne peut la rejeter. Ce que les textes tridentins visent et parfois stigmatisent ce sont les conséquences anthropologiques et ecclésiologiques d’une conception différente des modalités et non des fondements du salut en Jésus Christ compris comme justification du pécheur implique. Une herméneutique renouvelée des textes conciliaires tant de la part des protestants que des catholiques rend possible l’établissement du consensus différencié qui implique l’application concrète de la reconnaissance opérée par Vatican II du caractère ecclésial des Églises issues de la Réforme. Si les anathèmes ne sont pas levés, c’est que le passé est le passé ; il faut l’assumer, non le gommer. Or les attitudes déviantes stigmatisées par les anathèmes réciproques peuvent resurgir. Du côté d’une hypertrophie des œuvres on doit se garder de tout retour du pélagianisme. Du côté d’une hypertrophie de la sola fide on doit se garder de toute forme de quiétisme et d’indifférence sociale. Dès lors que, solennellement, catholiques et protestants déclarons ensemble avoir une compréhension commune du salut comme justification en Jésus Christ, le temps est venu d’aller plus loin dans les questions les plus délicates : le rapport entre la médiation de l’Église et l’unique médiation du Christ ; la compréhension et la pratique de l’Eucharistie ; la reconnaissance du ministère ordonné ; la primauté de Pierre, etc. Avant que d’aborder de front et sans tabou ces questions touchant au plus profond d’elles-mêmes l’identité des Églises, il était bon que la Déclaration commune sur la doctrine de la justification permette aux deux confessions de trouver un dynamisme nouveau qui permettra de surmonter dans l’avenir tout ce qui en ces domaines continue de nous séparer. 1.3. Le dialogue avec l’Alliance Réformée mondiale Le dialogue avec l’Alliance Réformée mondiale, commencé en 1968, a abordé dans une première phase le thème général, La présence actuelle du Christ dans l’Église et dans le monde, et a donné lieu, en 1977, à un rapport général (DC 1978, 206-223) dans lequel sont examinées les questions suivantes : le relation entre le Christ et l’Église, le mystère de l’Église, la présence du Christ dans le monde, l’eucharistie, le ministère. Même si un certain nombre de convergences notables ont pu être dégagées et formulées, ce document ne représente encore qu’un premier tour d’horizon. En fait ce dialogue est apparu plus difficile que ceux dont nous avons parlé d’une façon générale la proximité est moins grande avec les Églises réformées qu’avec les Églises luthériennes, et par ailleurs il existe parfois des différences importantes entre les Églises réformées elles-mêmes sur tel ou tel point (eucharistie et ministère par ex.). Cela explique pour partie la moindre qualité de ce document. Néanmoins une deuxième phase de dialogue s’engagera en 1984, et qui se concentrera plus directement autour de la question de l’Église : elle aboutira à un rapport final intitulé Vers une compréhension commune de l’Église (DC 1991, 625-652). Un premier chapitre propose une relecture commune de la Réforme du xvie siècle et du chemin parcouru par chacune des Églises depuis lors. Il vise une “réconciliation des mémoires”, nécessaire du fait des tensions, parfois violentes, qui ont pu exister entre ces Églises, et qui seule permet d’envisager avec clarté et sérénité le fondement commun qui les unit et les désaccords qui demeurent. Ce fondement commun fait l’objet du deuxième chapitre, « centré sur deux points d’accord fondamental : notre Seigneur Jésus Christ est l’unique médiateur entre Dieu et l’humanité, et nous recevons la justification par la grâce au moyen de la foi », d’où il suit que « ensemble nous confessons aussi l’Église comme la communauté de tous ceux qui sont appelés, rachetés et sanctifiés par l’unique médiateur » (n° 8). Nous retrouvons donc, quant à la substance, le consensus sur la justification qu’a dégagé également le dialogue luthéro-catholique. Le troisième chapitre rejoint lui aussi, en son thème central, la problématique “Église – justification” abordée dans le dernier document luthéro-catholique, puisqu’il traite de la « relation entre l’Évangile et l’Église dans son rôle ministériel et instrumentalité. On y enregistre des conceptions différentes, “potentiellement complémentaires”, quant à la façon don l’Église remplit ce rôle, ainsi que des “incompatibilités apparentes” s’agissant par ex. de la visibilité ou de la structure ministérielle de l’Église. Mais on énumère également, de façon claire, un certain nombre de désaccords réels qui demeurent (autorité clans l’Église, sacrements, ordination...). La quatrième partie enfin ébauche des étapes à parcourir sur le chemin vers l’unité. A lire ce document, à la fois riche de substance (en particulier les chapitres I et II), sobre et honnête, ce chemin paraît plus long et plus difficile que celui que suggère le dialogue luthéro-catholique. Son grand intérêt réside dans la clarté avec laquelle tous les thèmes sont présentés. On notera également le caractère confessant du chapitre II : Notre commune confession de foi, qui renoue en quelque sorte avec le style des textes conciliaires de l’Église ancienne. 1.4. Un examen commun des anathèmes du xvie siècle La rupture du xvie s. a été marquée par un certain nombre de condamnations portées mutuellement les uns sur les autres qui ont sanctionné la rupture de communion intervenue,et qui en même temps ont fixé cette rupture pour l’av nir : cent trente anathèmes dans les canons du concile de Trente et, du côté luthérien et réformé, respectivement soixante dix et soixante deux formules du type : « ceci est une abomination », ou « nous condamnons », dans les Confessions de Foi des Églises de la Réforme. Le dialogue entre catholiques et chrétiens de la Réforme ne pouvait pas ne pas aborder également ce dossier, dès lors que ces condamnations figurent dans des documents qui aujourd’hui encore font autorité dans les diverses Églises : canons du concile de Trente, Confessions de foi sur lesquels les pasteurs s’engagent lors de l’ordination. A la suite de la visite de Jean Paul II en Allemagne (1980), une commission mixte, officielle, de théologiens catholiques, luthériens et réformés fut instituée par les Églises allemandes, chargée d’examiner ces condamnations et ces anathèmes qui portent sur la compréhension du salut (justification, grâce, mérite, etc.), les sacrements et les ministères. Au terme de quatre années de travail, la commission présenta un rapport détaillé livrant les conclusions de son travail à la fois historique et théologique. Cette conclusion n’est pas qu’il faudrait considérer aujourd’hui les condamnations de jadis comme fausses, car ce qui alors était faux et condamnable le reste aujourd’hui ; elle est que « une série d’anathèmes reposaient sur une mauvaise compréhension de la position opposée. D’autres n’atteignent plus la doctrine et la pratique du partenaire d’aujourd’hui. Pour d’autres encore, des acquis nouveaux concernant le fond ont conduit à un haut degré d’entente. Pour quelques anathèmes, il est vrai, on ne saurait, même aujourd’hui, constater encore un consensus ». Il reste à connaître la réaction officielle des Églises à ces conclusions, et à savoir quelles conséquences concrètes peuvent en être tirées. Un acte solennel de levée des anathèmes représentait en tout cas un pas important. (Texte de la Déclaration finale : DC 1986, 923-927. Le dossier complet des travaux de la commission dans : Les anathèmes du xvie siècle sont-ils encore actuels ? Propositions soumises aux Églises, sous la direction de K. Lehmann et W. Pannenberg, à la demande de l’évêque E. Lohse et du cardinal J. Ratzinger, Cerf 1989). 1.4. Le Groupe des Dombes Le Groupe des Dombes n’est pas une commission officielle, mandatée par les Églises, mais un groupe “privé” de 40 théologiens catholiques et protestants francophones qui se réunit régulièrement tous les ans pendant une semaine depuis 1937, année de la fondation du groupe par l’abbé Couturier. Il est ainsi le plus ancien des groupes théologiques interconfessionnels, et l’un de ses traits spécifiques est d’inscrire les discussions dans un contexte de prière et d’amitié. Pendant une première phase d’échanges libres visant à mieux se connaître, le groupe a travaillé dans la discrétion. A partir de 1956 il a commencé à rédiger, à la fin de chaque rencontre, sous forme d’aide-mémoire et à usage interne, des thèses récapitulant ce qui est acquis et ce qui reste à discuter. Elles seront rendues publiques en 1970, au titre d’un apport aux dialogues qui commencent alors à s’engager. (Exemples de thèses : 1’état de péché originel ; la médiation du Christ et le ministère de l’Église, l’autorité pastorale dans l’Église, le sacerdoce et le ministère, etc.). A partir de 1971 le Groupe publie une série de documents plus développés qui abordent des thèmes voisins de ceux qu’abordent à la même période les instances de dialogue plus officielles. Cinq documents se succèdent ainsi de 1971 à 1985 : Vers une même foi eucharistique ; Pour une réconciliation des ministères ; Le ministère épiscopal ; Le Saint Esprit, l’Église et les sacrements ; Le ministère de communion dans l’Église universelle ; Ces textes ont été publiés sous la forme de petites brochures, mais aussi dans la Documentation Catholique : dans l’ordre 1972, 334-337 ; 1973, 132-137 ; 1977, 10-18 ; 1980, 421-436 ; 1986, 1122-1142). Certains de ces textes, en particulier celui consacré à l’eucharistie et aussi celui consacré au ministère, ont trouvé un large écho et ont influé parfois sur d’autres dialogues, de type officiel. Le document sur le ministère épiscopal n’a pas pu aller aussi loin que d’autres, en raison des positions luthériennes et réformées sur ce point, de sorte qu’il a concentré sa réflexion sur l’épiscopè, ministère de surveillance ou supervision en général, nécessaire comme tel à l’Église, mais sans concrétiser cette épiscopè en un ministère dans la succession apostolique. Par ailleurs, le document sur L’Esprit Saint, l’Église et les sacrements aborde, sous un autre biais – celui du rapport entre Esprit et sacrements – ces questions fondamentales du dialogue catholique-protestant que les documents que nous avons évoqués plus haut abordent sous le thème “justification et Église” : toujours il s’agit de l’instrumentalité (de la sacramentalité) de l’Église et de ses sacrements. Même si certains documents n’ont pas eu le même écho que les premiers, on peut dire néanmoins que « les positions adoptées et fortement justifiées (que présentent ces textes) font partie du patrimoine œcuménique mondial » (R. Beaupère). L’ensemble de ces textes, ainsi que les thèses qui les ont précédées, a été repris en un volume : Pour la communion des Églises. L’apport du Groupe des Dombes 1937-1987, Le Centurion, 1988. [Pour une évocation de la manière de travailler du Groupe, cf. par ex. R. Girault, Construire... p. 61-68.] En 1990, le Groupe achève un sixième texte : Pour la conversion des Églises. Identité et changement dans la dynamique de la conversion, Centurion 1991. Il s’agit d’une réflexion sur le dialogue œcuménique lui-même, ses conditions et ses exigences, et qui prend appui sur l’expérience et la pratique du Groupe. Marie dans le dessein de Dieu et la communion de saints est le dernier texte du Groupe des Dombes. Ce document, en deux parties, 1. Marie dans l’histoire et l’Écriture, 2. Controverse et conversion, ne fait l’impasse sur aucune des questions controversées. La coopération de Marie au salut, sa virginité perpétuelle, l’Immaculée Conception et l’Assomption, ou encore la vénération de Marie, pour conclure, au terme d’une confrontation des positions respectives, qu’aucune de ces questions ne justifie les divisions entre les Églises. Pour faire progresser le débat, le Groupe des Dombes fait jouer deux principes, désormais acquis : la justification par la grâce moyennant la foi, principe intangible pour les protestants, et la “hiérarchie des vérités”. Le premier a permis un accord substantiel sur la coopération de Marie à l’oeuvre du salut : Marie y intervient non pas du côté du sauveur, mais des sauvés. Le second, qui évite de mettre tous les énoncés de foi sur le même plan, exclut de considérer la foi et la piété mariales comme des tests décisifs de l’appartenance à la foi chrétienne. Le Groupe des Dombes fait œuvre de pionnier. Mais sur chacune des questions controversées, il donne à chacun le temps d’exprimer ses convictions. On voit ainsi tomber pas mal de préjugés, Mais il ne se limite pas à la seule réflexion théologique. L’obstacle est aussi “affectif”. Chacun est invité à changer d’attitude, à se convertir non pas à la position de l’autre, mais à une écoute plus fidèle de la Parole de Dieu, dans le respect de ce que l’Esprit dit à l’autre et par l’autre. Au sujet de Marie, une conviction commune se dégage pour le Groupe : « Tout notre travail a montré que rien en Marie ne permet de faire d’elle le symbole de ce qui nous sépare. » 1.5. Le Comité Mixte catholique-protestant en France Cette instance officielle de concertation et de dialogue entre les Églises catholique, luthérienne et réformée de France, créée en 1968, a publié divers textes d’importance plus ou moins grande, et plus ou moins circonstantiels (par ex. mariages mixtes, « hospitalité eucharistique », validité des baptêmes). Il a cependant élaboré deux documents qui peuvent être placés au niveau de ceux dont nous avons parlé. Nous avons déjà mentionné dans un précédent chapitre (cf. p. 24-25) celui de 1992 intitulé Choix éthiques et communauté ecclésiale, qui s’efforce de situer consensus et différences dans l’approche des questions éthiques. Tous en renvoyant à ce que nous avons déjà noté - et mieux : au texte lui-même! soulignons qu’il s’agit d’un des très rares textes œcuméniques abordant la question de l’éthique comme telle. Auparavant, en 1987, le Comité Mixte a publié un travail important intitulé Consensus œcuménique et différence fondamentale (cf. DC 1987, 40-44). Il s’agissait, en l’occurrence, d’aborder pour elle-même une question qui est présente également – comme nous l’avons vu – dans le dialogue luthéro-catholique et dans le dialogue réformé-catholique : celle du rôle et de la place que les uns et les autres donnent à l’Église dans l’accueil du salut que Dieu offre à tout homme. Cette question – en termes catholiques : celle de la sacramentalité, ou de la médiation de l’Église – renvoie-t-elle, comme l’estiment certains, à une différence séparatrice si fondamentale, en fin de compte, qu’elle annulerait les consensus auxquels on a pu penser parvenir en tel ou tel domaine ? Ou s’agit-il de différences compatibles avec l’unité? Telle est en effet la question qui a commencé à être posée à partir des années 80, et à laquelle nous avons fait allusion plus haut. Cet important document formule de façon particulièrement claire les termes de ce problème du rapport entre Église et justification que d’autres dialogues nous l’avons vu, abordent également. Ils nous renvoient aussi, du reste, à ce que nous avons esquissé au chapitre I au sujet du “type catholique” et du “type protestant”. Ce texte nous permet ainsi de conclure notre survol des dialogues avec les Églises séparées d’Occident. 2. Dialogues avec les Églises séparées d’Orient 2.1. Églises non chalcédoniennes (ou anciennes Églises orientales) Des dialogues ont été engagés avec ces Églises, mais de façon moins formelle, dans J’ensemble, qu’avec celles dont nous venons de parler ; ils prennent le plus souvent la forme de consultations ou de colloques théologiques "non officiels", mais également de visites et de rencontres entre le pape et les chefs de ces Églises. Celles-ci donnent lieu parfois à des déclarations communes de grand intérêt. La première du genre fut celle publiée en 1971 par le pape et le patriarche syrien orthodoxe, à l’issue de la visite de celui-ci. Elle porte sur le mystère du Christ, et l’affirmation centrale en est la suivante : « Le pape Paul VI et le patriarche Mar Ignace Jacob III sont d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de différence dans la foi qu’ils professent concernant le mystère du Verbe de Dieu fait chair et devenu réellement homme, même si des difficultés ont surgi au cours des siècles des expressions théologiques différentes par lesquelles cette foi était exprimée ». Le dialogue le plus “organique” est celui qui a lieu avec l’Église copte d’Égypte. Une visite du patriarche Chenouda III à Paul VI en 1973 s’acheva par une déclaration commune qui exprime la foi commune, fait état des divergences existantes et institue une commission mixte (DC 1973, 515-516). Cette commission étudiera notamment les problèmes de christologie (à l’origine de la rupture, rappelons-le, après Chalcédoine). C’est ainsi que pourra être adoptée en 1988 une formule d’accord brève, mais claire, concernant la doctrine de l’Incarnation, qui s’exprime selon la terminologie de Nicée en écartant celle, controversée, de Chalcédoine : « Nous croyons que notre Seigneur, Dieu et sauveur Jésus Christ, le Logos incarné, est parfait dans sa divinité et parfait dans son humanité. Il a rendu son humanité une avec sa divinité sans commixion ni mélange ni confusion. Sa divinité n’est pas séparée de son humanité, même le temps d’un clin d’oeil. En même temps nous anathématisons les doctrines tant de Nestorius que d’Eutychès ». Depuis lors la commission a commencé à aborder d’autres points comme celui de la procession du Saint Esprit (procession du Père et du Fils ?), ou encore celui du purgatoire. Ajoutons simplement que les Églises orthodoxes sont elles aussi en dialogue avec les Églises non-chalcédoniennes. Un accord est signé le 11 novembre 1994 entre Mar Dikha IV et Jean Paul II. Le pape Jean Paul II et le patriarche Mar Dinkha IV, en signant cette déclaration, ont clos les différentes controverses liées à l’hérésie nestorienne. Jean-Paul II, Evêque de Rome et Pape de l’Église catholique, et Sa Sainteté Mar Dinkha IV, Catholicos-Patriarche de l’Église assyrienne de l’Orient, rendent grâce à Dieu qui leur a inspiré cette nouvelle rencontre fraternelle. » « Ils considèrent celle-ci comme une étape fondamentale sur la voie de la pleine communion à restaurer entre leurs deux Églises. En effet, ils peuvent désormais proclamer ensemble devant le monde leur foi commune dans le mystère de l’Incarnation. » ... « Héritiers et gardiens de la foi reçue des Apôtres, telle que nos Pères communs l’ont formulée dans le Symbole de Nicée, nous confessons un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père de toute éternité et qui, lorsque les temps furent accomplis, est descendu du ciel et s’est fait homme pour notre salut. Le Verbe de Dieu, deuxième personne de la Sainte-Trinité, s’est incarné par la puissance du Saint-Esprit en assumant de la Sainte Vierge Marie une chair animée d’une âme raisonnable, qu’il s’est unie indissociablement dès l’instant de sa conception. »... « Notre Seigneur Jésus Christ est donc vrai Dieu et vrai homme, parfait dans sa divinité et parfait dans son humanité, consubstantiel au Père et consubstantiel à nous en tout, hormis le péché. Sa divinité et son humanité sont unies en une personne, sans confusion ni changement, sans division ni séparation. En lui a été préservée la différence des natures de la divinité et de l’humanité, avec toutes leurs propriétés, facultés et opérations. Mais loin de constituer «un autre et un autre», la divinité et l’humanité sont unies dans la personne du même et unique Fils de Dieu et Seigneur Jésus Christ, objet d’une unique adoration. » Cet accord illustre le principe édicté par Jean XXIII et que nous avons déjà évoqué : un même mystère de la foi peut être formulé en des termes pluriels. 2.2. Églises orthodoxes Bien qu’en matière de foi, de vie sacramentelle, de ministères, les orthodoxes soient beaucoup plus près que les protestants des positions catholiques, le dialogue officiel à proprement parler ne s’est engagé qu’en 1979. Il est vrai qu’il a été précédé, au temps de Vatican II déjà, de nombreuses rencontres – notamment entre les papes et les patriarches de Constantinople – et par des visites de délégations des uns chez les autres, donnant parfois lieu à des déclarations importantes, et engageant ainsi le « dialogue de la charité » destiné à ouvrir la voie à des discussions théologiques proprement dites. A quoi il faut ajouter ce geste de grande portée que fut, en 1965, la levée de part et d’autre des excommunications portées jadis, à Rome et à Constantinople, comme l’autre Église. Pourquoi ce retard à engager un dialogue théologique officiel ? Les raisons sont nombreuses, qui tiennent tout à la fois à un éloignement culturel mutuel (catholiques et protestants habitent la même culture occidentale!), au poids d’un lourd contentieux historique, toujours douloureusement ressenti par les orientaux (rôle de Rome dans la rupture de 1054, croisades, prosélytisme latinisant des missionnaires occidentaux, etc.), ainsi qu’à l’existence d’Églises orientales catholiques (“unies”) que les orthodoxes considèrent comme un “cheval de Troie” romain menaçant les Églises orthodoxes dans leur identité. Cet obstacle de 1’uniatisme, rappelons-le, resurgira avec plus de force encore à partir de 1989 avec la réapparition des Églises orientales catholiques importantes supprimées par les régimes communistes, et leurs revendications légitimes, mais parfois tumultueuses. A quoi il faut ajouter que l’orthodoxie ne représente pas un bloc, mais un ensemble de quatorze Églises patriarcales ou autocéphales plus ou moins disposées, au départ, engager un dialogue avec Rome. En dépit de toutes ces difficultés, le dialogue officiel, commencé en 1981 semble à présent bien engagé, même s’il se développe avec une certaine lenteur et a connu quelques moments difficiles. Le thème général en fut formulé ainsi : Le mystère de l’Église et de l’eucharistie à la lumière du mystère de la Trinité Sainte : il s’agissait en somme de s’assurer à frais nouveaux de la communion maintenue, malgré la séparation, quant aux données centrales de la foi pour, à partir de là, aborder les questions faisant difficulté. Trois documents principaux ont été adoptés et publiés depuis 1982. Nous nous contentons ici de les énumérer : 1. Le mystère de l’Église et de l’eucharistie (DC 1982, 941-954) ; 2. Foi, sacrements, et unité de l’Église; un document dont l’élaboration souleva des difficultés en raison de la pratique catholique d’admettre à l’eucharistie avant le sacrement de confirmation (qui en Orient est donné en même temps que le baptême) (DC 1988, 122-126) ; 3. Le sacrement de l’ordre dans la structure sacramentelle de l’Église (DC 1988,1148-52). Le quatrième document, hors série en quelque sorte, aborde de front la question de 1’uniatisme, devenue très douloureuse après les événements de 1989. Il s’agit de la Déclaration de Balamand : « L’uniatisme, méthode d’union du passé, et la recherche actuelle de la pleine communion (DC 1993, 711-714). Signalons, à titre de complément à cette rubrique, que le comité mixte catholique-orthodoxe en France, créé à l’image du Comité mixte catholique-protestant, a publié en 1991 un document consacré à la question de la primauté de l’évêque de Rome. Le petit volume intitulé La primauté romaine dans la communion des Églises, Cerf 1991, contient un certain nombre d’études historiques et théologiques de différents membres du Comité, encadrées par un texte commun qui inscrit la primauté de l’évêque de Rome dans le cadre d’une vision de l’Église comme communion. Ce texte montre que sans occulter les questions qui demeurent, et qui concernent moins le fait d’une primauté que sa compréhension et ses modalités d’exercice, il est possible d’aller loin dès lors qu’on l’inscrit dans une ecclésiologie de communion tirant toutes les conséquences de l’affirmation de Lumen Gentium : l’Église catholique une et unique existe dans et à partir d’Églises locales (n° 23). 3. Le dialogue multilatéral au sein de Foi et Constitution 3.1. Les chantiers actuels Rappelons que Foi et Constitution (FC), issu du mouvement qui porte le même nom, est la commission théologique du COE, et que sa particularité est de pouvoir accueillir parmi ses membres des délégués d’Églises qui ne font pas partie du COE, ce qui est le cas de l’Église catholique dont les représentants participent à part entière au travail de FC depuis 1968. Les chantiers ouverts par FC sont nombreux. Signalons, parmi ses travaux marquants, celui qui à Montréal, en 1963, a porté sur La tradition, la tradition et les traditions, qui tentait de fixer le vocabulaire dans le débat sur la nature de la tradition, dans son rapport à l’Écriture. Il faut, pour résumer des clarifications déterminantes, distinguer la Tradition essentielle de l’Église et les traditions des Églises, le processus de transmission lui-même étant la tradition. On notera que ce travail qui, au-delà de cette détermination d’une terminologie, met en place une problématique théologique, rejoignait le débat sur la tradition qui, à Vatican II, au même moment, allait conduire à la Constitution Dei Verbum. Le texte de Montréal en tout cas aura une influence notable en amenant à dépasser l’ancienne dichotomie polémique entre Écriture et Tradition. C’est au sein de FC également que fut menée la réflexion conduisant à la définition de l’unité recherchée que donna le COE à Nairobi en 1975, et que se poursuit la réflexion sur le thème de la communion. Mais à cette réflexion sur l’unité sont liés plusieurs autres chantiers, ayant trait aux exigences fondamentales d’une communion véritable. Signalons-en les principaux, avec les documents auxquels ils ont abouti. L’une des exigences de la communion des Églises dans l’unité est la pleine reconnaissance mutuelle du baptême, de l’eucharistie et des ministères. Au terme d’un long travail de réflexion et de concertations nombreuses et approfondies, FC soumet aux Église, en 1982, le « document de Lima », Baptême, eucharistie, ministère (le “BEM”) qui est un des textes œcuméniques les plus importants : il exprime des accords théologiques substantiels concernant les question abordées, et dans lesquels se rejoignent la plupart des traditions protestantes et les traditions catholique et orthodoxe. Ces accords – on ne s’en étonnera pas – recouvrent en bien des points ceux auxquels ont abouti des dialogues bilatéraux qui ont porté sur les mêmes questions : soit que le BEM ait fait son profit de travaux antérieurs (par ex. ceux du groupe des Dombes), soit qu’il ait lui-même été utilisé par des dialogues qui sont suivi. Ce document fut soumis aux Églises qui firent connaître leurs réactions ; elles sont rassemblées dans six volumes de “réponses” (en anglais. Cf. la réponse de la Commission épiscopale pour l’unité des chrétiens en France : DC 1985, 883-891 ; la réponse du Secrétariat romain pour l’unité des chrétiens, DC 1988, 102-119). La plupart des Églises se sont montrées favorables à la doctrine sacramentelle du BEM ; les critiques les plus fortes ont été le fait des théologiens de l’Église Réformée de France « qui ont vu dans le BEM une atteinte à la liberté de l’Esprit de structurer l’Église selon les besoins de chaque époque » (G. Tavard). L’ensemble de ces réponses fut examiné et évalué par FC qui rédigea une synthèse des réactions suscitées par le document sur ses différents points. Parmi les questions dont un approfondissement parait nécessaire, on retrouve ceux que nous avons déjà rencontrés à propos du dialogue catholique-protestant, sacrement et sacramentalité, « nature et place de l’Église dans le dessein de Dieu ». L’introduction précise que FC a l’intention d’inclure ces questions dans une vaste étude portant sur les perspectives œcuméniques de l’ecclésiologie, et dont le but est d’arriver à une convergence qui soit plus largement acceptable que cela n’a été le cas jusqu’ici. Le texte du BEM a été publié en un livre : Foi et Constitution, Baptême, Eucharistie, Ministère, Le Centurion 1982. Le rapport de synthèse sur les réactions est publié dans : Conseil Œcuménique des Églises, Baptême, Eucharistie, ministère 1982-1990, Rapport sur le processus "BEM" et les réactions des Églises, Cerf 1993. – Un travail intéressant pourrait consister à examiner l’un des points abordés par le BEM, et les réactions suscitées. La deuxième exigence de l’unité est une compréhension commune de la foi apostolique. Dans un premier temps (1978) un projet d’élaboration d’une profession de foi commune fut mis en échec par les représentants des jeunes Églises » (Afrique, Asie) qui firent de la diversité culturelle le facteur déterminant dans al formulation de la foi (problème de 1’inculturation). Un nouveau projet fut alors mis en chantier, portant sur le Symbole de Nicée auquel toutes les Églises chrétiennes se réfèrent, et dont on rédigera un commentaire commun assez volumineux. Mais ce n’est là qu’une première étape, d’explication mutuelle de ce que les formules signifient pour les différentes familles chrétiennes ; elle devrait conduire vers une tentative « d’exprimer d’une même bouche un Credo fondamental pour l’Église d’aujourd’hui, non pas pour se rallier à un plus petit dénominateur commun, non pas pour remplacer le Symbole, mais pour le dire avec des mots d’aujourd’hui, en abordant en outre les questions actuelles qu’il ne traite pas, car elles ne se posaient pas à l’époque lointaine où il a été rédigé » (R. Beaupère). Cf. Conseil Œcuménique des Églises, Confesser la foi commune. Explication œcuménique de la foi apostolique telle qu’elle est confessée dans le Symbole de Nicée-Constantinople (381), Cerf, 1993. La troisième exigence est celle d’un accord des Églises sur leur conception du magistère et de son exercice. un projet fut engagé en ce sens sur la manière dont les Églises enseignent et prennent des décisions ayant autorité, mais cette étude s’enlisa dans les sables. Parallèlement un autre chantier est ouvert, ayant pour titre “communauté” et qui vise à lier deux préoccupations, souvent perçues comme antagonistes : celle de l’unité de l’Église et celle de l’engagement dans le monde. Au terme d’un labeur difficile du fait des tensions internes au COE, mais aussi de la complexité de la problématique, FC publie un rapport intitulé "Église et monde”, qui cherche précisément à articuler ensemble une vision de l’Église comme mystère et signe, et la préoccupation du renouveau de la communauté humaine qui appelle des engagements concrets comme la lutte pour la justice, et celle pour une juste place de la femme dans la société et dans l’Église. Ce document qui n’est pas sans intérêt quoiqu’un peu prolixe, a été publié en un volume : Conseil œcuménique des Églises, Église et Monde. L’unité de l’Église et le renouveau de la communauté humaine, Cerf, 1993. il est en tout cas très représentatif d’un souci fortement présent au sein du COE : que la recherche de l’unité des Églises ne se fasse pas dans l’oubli des problèmes du monde au risque cependant, pas toujours évité, que FC ne dévie de son axe propre qui est la réflexion proprement théologique sur la nature et les conditions de l’unité des Églises divisées. 3.2. Des acquis et des questions qui demeurent On notera d’abord la place importante que tiennent, dans ces dialogues, les sacrements - le baptême, et surtout l’eucharistie et les ministères que pratiquement tous les dialogues ont abord, et dont l’acquis trouve son expression représentative dans le BEM. Il existe désormais un corpus de textes œcuméniques (de types divers : officiels ou non officiels, accords ou convergences) qui recueille les lignes de force communes qui se sont dégagées. Ces documents, certes, n’engagement pas l’autorité des Églises, et leur statut demeure celui d’une étape provisoire dans un processus en cours, encore inachevé. Il reste que le fait de ces dialogues signifie que désormais aucune confession chrétienne ne peut développer une sacramentaire qui ne tienne, pas compte de ce qui se vit, se dit, ou se recherche chez lés autres chrétiens. C’est la première fois dans l’histoire que l’œcuménisme a un tel statut. Il s’agit de réviser les controverses anciennes, d’examiner quel type d’unité est possible, enfin de tirer au clair les consensus, les réticences ou les convergences. Même si les résultats actuels ne sont ni complets, ni définitifs, la confrontation doctrinale a permis de faire des progrès considérables dans un domaine qui appartient au dogme chrétien. Un deuxième acquis des dialogues est d’avoir permis de localiser avec une grande précision le lieu et la racine de la “différence séparatrice” qui existe encore entre Église catholique (et orthodoxe) et Églises issues de la Réforme, et à partir de laquelle s’éclairent les limites, plus ou moins grandes selon le cas, des consensus auxquels on a pu parvenir en matière sacrements et d’ecclésiologie. Une différence qui renvoie, en fin de compte, à ce que fut, en leur temps, l’intuition et l’insistance des Réformateurs : « Nous retrouvons toujours l’épineux problème de la “coopération” ou de la réponse de l’homme sauvé à l’œuvre du salut. En définitive, une question de l’anthropologie théologique est en cause : il s’agit de savoir de quelle appropriation du salut est capable l’homme devenu pécheur devant Dieu. La clarté plus grande obtenue sur ces questions cruciales est précieuse » (B. Sesboüé). S’il n’y a donc pas, en de domaine, d’acquis à proprement parler pour la réflexion théologique et la pratique des Églises, il y a néanmoins des questions et des préoccupations à prendre en compte : celles de la part de vérité dont l’autre Église est témoin. Enfin on notera qu’il est des questions, pourtant objet de contentieux entre les Églises, qui n’ont pas ou guère fait l’objet encore d’un dialogue qui les aurait abordées pour elles-mêmes : mentionnons, parmi les sacrements, la confirmation et le mariage ; en matière d’ecclésiologie : la question de la primauté de l’évêque de Rome et celle de l’infaillibilité de son magistère (peut-il y avoir accord autour de ce qu’entendent exprimer les définitions de Vatican I ?), et celle de l’autorité magistérielle de l’Église d’une façon générale ; la difficulté que représentent Marie et les dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption (difficulté qui se présente en termes différents pour les orthodoxes et pour les chrétiens de la Réforme). on n’oublier pas non plus l’ouverture de ce nouveau front que représentent les questions éthiques, au sujet desquelles on constate qu’il existe des désaccords entre chrétiens quant à la manière de fonder les choix éthiques.