« ACCOUNTABILITY » ET POUVOIRS DANS LES DÉCENTRALISATIONS ENVIRONNEMENTALES: LIER LA DÉMOCRATIE LOCALE AUX RÉSULTATS ENVIRONNEMENTAUX EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE Jesse C. Ribot et Peter G. Veit World Resources Institute—WRI (Institut pour les ressources mondiales) 10 G Street, N.E., Suite 800, Washington, D.C., 20002 (202) 729-7753 1. CONTEXTE DE L’ETUDE Les environnementalistes du monde entier s’orientent vers des modèles décentralisés de la gestion des ressources naturelles permettant aux communautés de participer à l’exploitation, l’entretien et l’aménagement des forêts, des pâturages, de la faune et de la flore , ainsi que des pêches. Cette tendance en matière d’environnement s’inscrit dans le cadre d’une évolution à l’échelle mondiale vers des formes plus décentralisées de gouvernement, dans tous les secteurs. Cette décentralisation se produit partiellement en réaction à l’échec enregistré par les Etats fortement centralisés. Une gestion trop centralisée des forêts a souvent engendré des résultats inefficaces, injustes et écologiquement pernicieux. En fait, le contrôle par l’État central est souvent présenté comme étant la pire tragédie environnementale qui soit, avec comme message implicite que l’appropriation par l’Etat est souvent facteur d’un effondrement environnemental tragique. La nouvelle gestion communautaire décentralisée part du principe que la gestion et l’utilisation des ressources locales ont des effets positifs sur l’efficience et l’équité, et donc sur l’efficacité de la gestion et de l’utilisation des ressources et, enfin, sur les résultats en termes de développement, de société et d’écologie. Les gouvernements centraux partout en Afrique se restructurent et se décentralisent, sans attacher une attention suffisante à la question de savoir si des pouvoirs et responsabilités appropriés sont dévolus du centre vers la base (“dévolution”) et si l’infrastructure institutionnelle locale nécessaire est en place pour recevoir les pouvoirs et les obligations nouvellement décentralisés. On le remarque tout particulièrement dans le secteur environnemental. Certaines décentralisations environnementales attribuent des pouvoirs décisionnels à des organismes locaux qui ne sont pas tenus de rendre compte, situation qui menace l’équité locale et même l’environnement local. D’autres se débarrassent ainsi de fardeaux dépourvus d’avantages suffisants pour inciter les acteurs locaux à mener à bien leurs nouvelles responsabilités de gestion environnementale. Dans de nombreux cas, seule une image de décentralisation est mise en place, sans qu’il y ait aucune dévolution de pouvoirs. Le dosage approprié des pouvoirs et des fonctions des différents acteurs locaux du domaine environnemental est mal défini, même dans les meilleurs des cas. Plutôt que de créer des formes nouvelles et démocratiques de participation et de représentation rurale, plusieurs décentralisations environnementales renforcent ou reproduisent une administration rurale du sommet vers la base. De telles décentralisations mal conçues et partiellement exécutées ne semblent pas pouvoir apporter les avantages qui caractérisent les approches décentralisées. Les théories économiques sur le choix public, le fédéralisme et la participation indiquent que la décentralisation peut procurer des bienfaits en termes d’équité, d’efficience, de développement et d’environnement . Les communautés rurales sont fortement stratifiées selon des critères de genre, de classe, de caste, de religion et d’appartenance ethnique. “Qui” représente la population locale est donc de la plus haute importance. La décentralisation peut apporter ces bienfaits dans la gestion et l’utilisation décentralisée des ressources naturelles par la dévolution de pouvoirs significatifs aux acteurs locaux qui sont responsables envers la base, c’est à dire vis-à-vis de la population locale dans son ensemble. En outre, la responsabilité des décideurs envers la base, vis-à-vis de la population dont ils ont la responsabilité, est une relation centrale en démocratie. Les effets escomptés de telles décentralisations démocratiques - comme l’internalisation des coûts sociaux et environnementaux dans la prise de décision, ou la prise en compte des préférences locales dépendent des pouvoirs dévolus et des relations de responsabilité où se situent les acteurs. 2. OBJECTIF DE L’ETUDE Ce projet se propose d’examiner les raisons ayant présidé au choix des acteurs dans l’attribution des pouvoirs et des conséquences qui en découlent, lesquels acteurs locaux l’on sait placer au centre des réseaux des relations tant verticaux qu’horizontaux (vers la base vis-à-vis des populations locales, vers le sommet vis-à-vis de l’État central ou de partis politiques, non fiables, etc.). 3. METHODOLOGIE ADOPTEE Pour atteindre nos objectifs, cette recherche sur les politiques examine les points suivants: 1. la mesure dans laquelle des pouvoirs environnementaux significatifs ont été dévolus aux acteurs locaux; 2. les différentes sortes de relations de responsabilité de ces acteurs locaux; 3. les raisons politico-économiques aux niveaux local, national et international pour les pouvoirs dévolus et pour le choix des acteurs avec différentes relations de responsabilité; 4. la manière dont ces choix façonnent les possibilités de “durabilité” ou l’institutionnalisation à long terme, et la reproductibilité dans l’espace des réformes de décentralisation environnementale; et 5. les effets de différentes relations de responsabilité actuellement choisies sur les pratiques écologiques et sociales. La recherche évalue les formes et les degrés de responsabilité et de confiance accordés aux acteurs locaux en leur donnant des pouvoirs en matière de décentralisation environnementale, et elle évalue le rôle de la responsabilité et de la confiance pour ce qui est de promouvoir l’équité, des pratiques environnementalement saines, la durabilité institutionnelle et la réplicabilité. Les recherches sur la décentralisation et le secteur environnemental sont mutuellement bénéfiques. Les décentralisations sont cruciales pour les parties concernées car elles façonnent les nouvelles institutions rurales pour la gestion des ressources naturelles au niveau local: elles serviront de base pour tout effort environnemental local futur. Réciproquement, le secteur environnemental est une arène idéale pour l’étude des questions plus larges relatives à la décentralisation, étant donné que c’est le lieu de convergence de toute la gamme des autorités rurales, des systèmes étatiques, religieux et juridiques qualifiés de “coutumiers”, des normes et des valeurs locales. Dans cette arène, l’aspect le plus problématique du développement et du changement est la relation entre les institutions d’État et les institutions “traditionnelles” (aussi bien que les acteurs non gouvernementaux). Le problème porte sur la représentation et l’articulation correcte des besoins locaux pour habiliter les décideurs. Compte tenu du rôle économique crucial des ressources naturelles, leur gestion pourrait aussi apporter une légitimité publique et un soutien financier pour la création de nouvelles entités responsables envers la base et représentatives. À la différence d’autres secteurs des services, dont les ressources proviennent habituellement de fonds centraux, le secteur environnemental génère des recettes qui créent un ensemble distinct et dynamique de relations de responsabilité. Dans la perspective des décentralisations environnementales, on pourrait apprendre beaucoup de choses au sujet de l’émancipation du monde rural et de la décentralisation en général. Cette recherche sur les politiques est menée en collaboration avec les institutions de recherche partenaires du WRI dans chacun des six pays identifiés (Mali, Cameroun, Ouganda, Mozambique, Zimbabwe et Afrique du Sud). Ces pays-cas sont choisis pour présenter des contextes politicoadministratifs historiques différents, francophones, lusophones et anglophones, où des décentralisations sont en cours. Les cas retenus comporteront l’analyse des réformes environnementales faisant figure de modèles réussis de décentralisation et de gestion des ressources naturelles au niveau communautaire, ce qui nous permettra de rechercher les facteurs qui expliquent ces succès. La recherche sur la base de plusieurs méthodes comprendra en outre un examen de la littérature existante dans chaque pays, une analyse à partir du domaine des lois et pratiques qui gouvernement les schémas de responsabilité et les pouvoirs des autorités locales impliquées dans la gestion et l’utilisation des ressources naturelles. Ce travail se fera sur la base d’une analyse de textes, d’entretiens, d’enquêtes et d’observations des participants. 4. CONCLUSIONS PARTIELLES Le travail vise en dernier lieu à donner certaines indications sur les formes et les effets peu connus des relations de responsabilité dans les décentralisations sur les résultats écologiques. Nous espérons que nos conclusions pourront apporter une compréhension plus poussée des relations de responsabilité en ce domaine et impulser des efforts qui encourageront l’intégration de politiques de responsabilité appropriées dans les décentralisations environnementales futures. En collaboration avec les équipes de nos partenaires de recherche, nous diffuserons les conclusions de nos travaux et nos recommandations auprès des principaux décideurs, des ONG et des bailleurs de fonds qui s’intéressent à la décentralisation et aux politiques de gestion environnementale par le biais de publications, d’ateliers et de réunions avec des décideurs de haut niveau. Depuis 1990, on voyait une tendance vers un discours plus prononcé sur la bonne gouvernance, la décentralisation et une plus grande participation des populations locales dans la gestion de l’environnement du Sahel. Mais les réalités ne suivent pas dans la plupart des cas. Le Burkina Faso et le Niger sont des bons exemples (telles que les projets BKF et Energie II) où le discours est présent mais l’infrastructure institutionnelle pour une vraie décentralisation ou participation démocratique n’est pas encore légalisé, ou en place. Au contraire le cas du Mali montre des relations institutionnelles où les actions concrètes d’une meilleure participation—institutionnalisée et vulgarisée sont en cours d’implantation. Il est donc possible de parler des vrais changements au Sahel, mais il faut bien spécifier les cas. Le cas qui montre un progrès c’est le Mali où la décentralisation a crée des nouvelles unités locales démocratiquement constituées et avec des pouvoirs véritables sur la disposition des forêts. Ici on change d’une approche basée sur les projets ponctuels vers un changement légal ; on passe d’une participation orchestrée par les projets vers une participation à travers les représentants élus, et d’un contrôle central vers une responsabilisation et le transfert des compétences significative vers les élus locaux.