COMMENT GÉRER EN PRÉOPÉRATOIRE UN DOUTE D’ANTÉCÉDENT ALLERGIQUE ? P-M. Mertes, M-C. Laxenaire Service d’Anesthésie Réanimation Chirurgicale, Hôpital Central, CHU de Nancy, 29 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, CO N° 3454037, 54035 Nancy cedex. INTRODUCTION La survenue d’une réaction anaphylactoïde (hypersensibilité immédiate) au cours de la période péri-opératoire demeure un sujet de préoccupation importante en anesthésie. Elle peut être responsable de signes cliniques mineurs mais également de tableaux d’une extrême sévérité. Tous les médicaments anesthésiques et substances utilisés pendant l’anesthésie peuvent être responsables de manifestations allergiques. Les réactions anaphylactiques sévères demeurent des événements rares, mais susceptibles de conduire au décès même en cas de traitement bien conduit. C’est pourquoi, il est essentiel que tout anesthésiste possède une bonne connaissance des mécanismes de ces réactions, des signes cliniques initiaux et des différentes formes cliniques, ainsi que du traitement du choc anaphylactique et des moyens permettant d’en réduire l’incidence éventuelle. Par ailleurs, en dehors des réactions d’hypersensibilité immédiate, on peut également observer des réactions d’hypersensibilité retardée, qui correspondent à des réactions inflammatoires à médiation cellulaire, mettant en jeux des lymphocytes T et des macrophages, dont les symptômes apparaissent à leur maximum 48 à 72 heures après le contact avec l’antigène responsable. De telles réactions, qui concernent le plus souvent des produits adjuvants de l’anesthésie (antiseptiques, produits de contrastes iodés, antibiotiques …) doivent également être prise en compte. Les connaissances concernant l’épidémiologie des réactions anaphylactoïdes peranesthésiques, l’identification des substances incriminées, les facteurs favorisant et les méthodes diagnostiques disponibles ont conduit les sociétés savantes de plusieurs pays, dont la Société Française d’Anesthésie Réanimation à définir des recommandations pour la pratique clinique en urgence comme en situation réglée [1]. 1. EPIDÉMIOLOGIE La connaissance de l’épidémiologie des substances incriminées est essentielle pour définir la stratégie diagnostique mise en oeuvre pour le diagnostic ou la prévention des réactions anaphylactiques, mais aussi en situation d’urgence, pour guider le choix de la technique anesthésique lorsque le temps manque pour la réalisation d’un bilan aller- 492 MAPAR 2004 gologique. L’analyse des données publiées tous les deux ans en France par le GERAP (Groupe d’Etudes des Réactions Anaphylactoïdes Peranesthésiques) permet de mieux apprécier l’évolution des parts respectives des différentes substances incriminées en tenant compte de la modification des pratiques cliniques (Tableau 1) [2, 3]. Elle met en évidence la prépondérance des réactions adverses mettant en cause les curares, suivis du latex et des antibiotiques administrés à titre prophylactique. D’autres substances ont parfois été incriminées, telles que l’aprotinine, la protamine, l’oxyde d’éthylène, la chlorhexidine. Il faut noter l’exceptionnelle rareté des réactions allergiques mettant en cause des anesthésiques locaux. Enfin, il n’a jamais été rapporté de réactions anaphylactoïdes peranesthésiques mettant en cause les agents anesthésiques par inhalation. Tableau I Substances responsables des réactions anaphylactiques peranesthésiques recensées dans les 6 enquêtes épidémiologiques du Groupe d’Etudes des Réactions Anaphylactoïdes Peranesthésiques. 198419901992-juin Juillet 199719991989 1991 1994 1994-1996 1998 2000 n = 821 n = 813 n = 1030 n = 734 n = 486 n = 518 Curares 81,0 % 70,2% 59,2 % 61,6 % 69,2% 58,2% Latex 0,5 12,5 19,0 16,6 12,1 16,7 Hypnotiques 11,0 5,6 8,0 5,1 3,7 3,4 Morphiniques 3,0 1,7 3,5 2,7 1,4 1,3 Colloïdes 0,5 4,6 5,0 3,1 2,7 4,0 Antibiotiques 2,0 2,6 3,1 8,3 8,0 15,1 Autres 2,0 2,8 2,2 2,6 2,9 Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 1,3 100 % n = nombre de substances incriminées 2. FACTEURS FAVORISANT UNE ANAPHYLAXIE PERANESTHÉSIQUE, IDENTIFICATION DES GROUPES À RISQUES La notion d’antécédents allergiques de quelque nature qu’ils soient, est retrouvée chez 15 à 20 % des patients interrogés avant une anesthésie. Connaissant le risque allergique propre et le potentiel histaminolibérateur des médicaments anesthésiques et des autres agents utilisés durant la période péri-opératoire, on peut se demander si un patient allergique n’a pas plus de risque de présenter un accident anaphylactoïde pendant l’anesthésie, qu’il soit d’origine immunologique (anaphylaxie) ou non (histaminolibération non spécifique). En fait, l’incidence des réactions anaphylactoïdes est très faible, de l’ordre d’1 réaction pour 3500 anesthésies (tous mécanismes confondus), de même l’incidence des réactions anaphylactiques vraies varie entre 1/10 000 et 1/20 000 anesthésies [4]. Ceci est sans commune mesure avec l’incidence élevée de l’allergie dans la population Française en général, dans laquelle l’atopie est présente chez 20 à 25 % des individus, Question pour un champion en anesthésie 493 l’allergie médicamenteuse chez 15 %, l’allergie alimentaire chez 4 %, et la sensibilisation au latex chez 30 à 40 % selon la population étudiée Par ailleurs, chez les patients qui ont présenté une réaction anaphylactoïde peranesthésique, on ne retrouve pas toujours une incidence plus élevée d’antécédents allergiques que dans la population générale. Ceci explique les difficultés rencontrées dans l’identification de certains groupes de patients chez qui une stratégie de prévention doit être instituée dès la consultation d’anesthésie. L’analyse de l’ensemble des différents facteurs favorisants [1], a conduit à définir 5 groupes de patients considérés comme à haut risque : 1-Patients présentant une allergie documentée, lors d’un bilan allergologique bien conduit, à un médicament de l’anesthésie ou à un produit susceptibles d’être administré pour l’anesthésie ou l’analgésie postopératoire (antibiotique, substitut du plasma, latex, chlorhexidine, aprotinine, paracétamol….) 2-Patients ayant manifesté des signes cliniques évocateurs d’une allergie lors d’une précédente anesthésie, et n’ayant pas bénéficié d’un bilan diagnostique. 3-Patients ayant présenté des manifestations cliniques d’allergie lors d’une exposition au latex, quelles que soient les circonstances d’exposition. 4-Enfants multi-opérés et notamment pour spina bifida, en raison de la fréquence importante de la sensibilisation au latex et l’incidence élevée des chocs anaphylactiques au latex. 5-Patient ayant présenté des manifestations cliniques à l’ingestion d’avocat, kiwi, banane, châtaigne, sarrasin..., en raison de la fréquence élevée de sensibilisation croisée avec le latex. 3. CONDUITE DE LA CONSULTATION OU DE LA VISITE PRÉANESTHÉSIQUE 3.1. INTERROGATOIRE Les facteurs de risque allergique doivent être recherchés de manière systématique avant toute anesthésie. En pratique, cette recherche peut s’appuyer sur la mise en œuvre d’un questionnaire préanesthésique spécifique (Annexe I) . En cas de suspicion de sensibilisation au latex, la mise en œuvre d’une «check-list» de prise en charge du patient est souhaitable, afin de faciliter la transmission des consignes de prévention aux différents stades de l’hospitalisation, l’organisation du programme opératoire et la préparation du matériel exempt de latex (Annexe II). 3.2. QUELS PATIENTS ADRESSER POUR BILAN ALLERGOLOGIQUE ? Chaque fois que cela est possible, des investigations seront réalisées chez les patients à haut risque, tels que définis précédemment, à la recherche d’une sensibilisation aux anesthésiques ou au latex : • Pour les patients du 1er groupe ayant présenté une allergie documentée à un médicament de l’anesthésie ou au latex, les conclusions du bilan initial doivent être prises en compte. Lorsqu’il s’agit d’une sensibilisation à un curare, seuls les curares nouvellement commercialisés doivent être testés avant l’anesthésie. • Pour les patients du 2e groupe ayant manifesté des signes cliniques évocateurs d’une allergie lors d’une précédente anesthésie, la liste des médicaments utilisés peut être utile pour la réalisation pratique du bilan et doit être recherchée. Si le protocole anesthésique utilisé n’est pas disponible, les substances les plus fréquemment incriminées dans les études épidémiologiques doivent être testées (curare, latex). • Pour les patients des 3e, 4e et 5e groupes seule une sensibilisation au latex sera recherchée. 494 MAPAR 2004 3.3. QUELS PATIENTS NE PAS ADRESSER POUR BILAN ALLERGOLOGIQUE ? En l’absence de données confirmant la valeur prédictive positive et négative de tests visant à prévoir la survenue d’une réaction anaphylactique, aucun dépistage systématique n’est actuellement recommandé dans la population générale. De la même manière, il n’y a aucun argument permettant de proposer un bilan allergologique prédictif chez des patients présentant une atopie ou une sensibilisation à l’encontre de médicaments et/ou substances auxquelles le sujet ne sera pas exposé au cours de la période péri-opératoire [1]. 3.4. CONDUITE À TENIR EN URGENCE En situation d’urgence, lorsque le temps manque pour la réalisation du bilan allergologique, le choix de la technique anesthésique doit être guidé par les antécédents du patient [1]. Pour les patients du 2e groupe ayant présenté une réaction inexpliquée au cours d’une anesthésie générale antérieure, il convient de privilégier la réalisation d’une anesthésie loco-régionale ou d’une anesthésie générale en évitant les curares, les médicaments histaminolibérateurs, et en faisant exclure le latex de l’environnement du patient (Figure 1). Pour les patients des 3e, 4e et 5e groupes, il convient de faire exclure le latex de l’environnement du patient. Réaction anaphylactoïde lors d'une anesthésie antérieure ACTE URGENT ACTE PROGRAMME Recherche protocole d'anesthésie Identifié Inconnu Histoire clinique compatible Consultation d'allergo-anesthésie Oui Tester tous les curares, latex (pricks et/ou IDR ± IgE spécifiques) • Environnement sans latex • Soit ALR, soit AG en évitant les curares et les produits histaminolibérateurs Consultation d'allergoanesthésie Non Considérer autre diagnostic • Tester les médicaments du protocole + latex (pricks et/ou IDR ± IgE spécifiques • Si curare : tester tous les curares (IDR) • Si aesthésiques locaux : tests cutanés => Si négatifs : test de provocation sous-cutané Figure 1 : algorithme décisionnel à mettre en œuvre chez le patient signalant une réaction anaphylactoïde lors d’une anesthésie antérieure et n’ayant pas bénéficié d’un bilan allergologique diagnostique. Question pour un champion en anesthésie 495 4. CONDUITE DU BILAN ALLERGOLOGIQUE 4.1. CONDITIONS DE RÉALISATION DU BILAN ALLERGOLOGIQUE Les investigations allergiques à la recherche d’une sensibilisation nécessitent une expérience et une mise à jour régulière des connaissances en allergo-anesthésie de la part de l’allergologue qui réalise et interprète les investigations. Dans le meilleur des cas, à l’image des consultations d’allergo-anesthésie réalisée dans les centres du GERAP, elles seront effectuées par un allergologue accompagné d’un anesthésiste capable d’interpréter les conclusions du bilan allergologique et de donner des conseils pratiques pour la conduite d’anesthésies ultérieures. Le but du bilan est d’éclaircir les antécédents signalés par le patient en recherchant une sensibilisation éventuelle pouvant expliquer les symptômes observés, ceci afin d’éliminer d’un futur protocole anesthésique les agents incriminés. Il ne s’agit en aucun cas de réaliser un bilan de type prédictif en testant des produits que l’anesthésiste voudrait utiliser. La réalisation des intradermoréactions et des pricks nécessite un approvisionnement en produits anesthésiques qui ne peuvent être distribués en dehors des établissements hospitaliers. Ceci limite en pratique leur réalisation en milieu extra-hospitalier, en dehors de la recherche d’une sensibilisation au latex. De la même manière, la réalisation de tests de provocation doit être réalisée en milieu hospitalier. Les traitements connus pour diminuer la réactivité cutanée, tels que les antihistaminiques doivent être interrompus plusieurs jours à l’avance. Le patient doit être informé des modalités et risques de la réalisation de ces tests et doit avoir donné son consentement. La grossesse, le jeune âge, ou un traitement par bêta-bloquants, corticoïdes oraux, ou inhibiteur de l’enzyme de conversion ne constituent pas une contre-indication à la réalisation des tests cutanés. Le choix de la technique d’anesthésie sera réalisé en tenant compte des résultats de ce bilan. On doit cependant garder à l’esprit que la réalisation de tests cutanés plusieurs années après une réaction anaphylactoïde peranesthésique peut être faussement négative. Ce phénomène est lié à la diminution toujours possible des taux d’IgE spécifiques au cours du temps. Il est donc toujours recommandé de réaliser un bilan allergologique dans les 6 semaines suivant une réaction anaphylactoïde peranesthésique. 4.2. TESTS DISPONIBLES 4.2.1. TESTS CUTANÉS Les pricks tests et les intradermoréactions sont réalisés avec des dilutions des préparations commerciales. La réalisation technique et les dilutions seuils adaptées aux médicaments anesthésiques ont été standardisées, afin d’éviter les faux positifs liés aux propriétés histaminolibératrices directes de certaines substances [1] (Annexe III). L’interprétation des tests cutanés tient compte des contrôles négatif (sérum salé) et positif (codéine ou histamine), témoins de la normalité de la réactivité cutanée. La sensibilité des explorations cutanées varie selon les substances testées. Elle est de l’ordre de 94 % à 97 % pour les curares[5-7], satisfaisante pour les gélatines mais beaucoup moins performante pour les barbituriques, les opiacés et les benzodiazépines [8]. Si la technique par pricks tests est suffisante pour le diagnostic d’une sensibilisation à un curare, il faut utiliser la technique des intradermoréactions pour rechercher la réactivité croisée avec les autres curares. La sensibilisation au latex est détectée uniquement par prick tests, en utilisant deux extraits commerciaux différents, tels l’extrait commercial standardisé (Stallergenes®), et l’extrait Allerbio®. La sensibilité des pricks tests utilisant ces 2 extraits de latex est d’environ 90%. 496 MAPAR 2004 4.2.2. IGE SPÉCIFIQUES La recherche d’anticorps IgE spécifiques dans le sérum du patient, concerne essentiellement les ions ammonium quaternaire (curare), le thiopental et le latex, car les techniques de dosage ont été validées pour ces produits [1]. Il faut préférer chaque fois que possible, les techniques offrant les meilleures sensibilités : SAQ-RIA et PAPPC-RIA développées en France et qui présentent une sensibilité variant de 88 à 97 % [9,10]. En ce qui concerne le latex, les techniques de détection des IgE spécifiques actuellement commercialisées (Cap-RAST, Pharmacia; AlaSTAT, Diagnostic Product Corporation) présentent une spécificité de 80 % et une sensibilité variant de 50 à 90 %. 4.2.3. AUTRES TESTS D’autres tests ont été proposés. Le test d’histaminolibération leucocytaire possède une sensibilité de 71 % pour l’étude de la réaction d’histaminolibération induite par les curares [11]. Combiné aux tests cutanés et aux dosages des IgE spécifiques, il permet la détection d’une sensibilisation dans la plupart des cas. Il s’agit cependant d’un test coûteux et de réalisation délicate, qui n’est pas recommandé en pratique clinique courante en première intention. Il peut cependant présenter un intérêt dans la recherche d’une réaction induite par des médicaments lorsque le dosage d’IgE spécifiques n’est pas disponible, ou encore dans l’étude de la réactivité croisée à différents curares en vue d’une future anesthésie chez un patient sensibilisé. L’étude de l’activation des basophiles en cytométrie en flux a également été proposée [12, 13]. Il s’agit d’un test de libération leucocytaire qui repose sur les variations de l’expression du CD63 membranaire lors de l’activation des basophiles en présence de l’allergène suspect. Sa sensibilité dans le diagnostic de l’allergie aux curares a été évaluée à 64 % et sa spécificité à 93 %. Son intérêt clinique demande à être confirmé. Sa réalisation n’est pas recommandée en pratique clinique [1]. D’autres dosages tels que celui de la sérotonine, de la protéine cationique de l’éosinophile, ou du LTC4 ont également été proposés, mais ne sont pas actuellement recommandés en pratique courante. 4.2.4. TESTS DE RÉINTRODUCTION L’indication de ce test est limitée à la recherche d’une sensibilisation aux anesthésiques locaux, au latex et aux antibiotiques. Il doit être réalisé dans un environnement permettant la mise en œuvre des manœuvres de réanimation. Sa réalisation impose la vérification au préalable de la négativité des tests cutanés. L’information du patient sur le déroulement et les risques de ce test est indispensable pour obtenir un consentement éclairé. La remise d’un document d’information est souhaitable. Les anesthésiques locaux peuvent êtres testés par l’injection sous-cutanée de 0,5 à 1 mL de la solution diluée sans adrénaline. Le test est considéré comme négatif en l’absence de réaction indésirable après 30 minutes. Chez la parturiente, ce test peut être réalisé en salle de naissance 30 minutes avant la réalisation d’une technique d’anesthésie périmédullaire. Un test de provocation au latex peut être réalisé par le port d’un gant de latex sur une main comparé au port d’un gant de vinyle sur l’autre main, durant 15 minutes. Ce test est considéré comme négatif en l’absence de symptomatologie locale 30 minutes après le port des gants. 4.3. STRATÉGIE DE RÉALISATION DU BILAN ALLERGOLOGIQUE Dans tous les cas, il convient d’informer le patient sur les objectifs du bilan allergologique entrepris, sur la nature des tests réalisés, sur leurs résultats et sur les recommandations qui en découlent. La remise au patient d’un document de synthèse à conserver, ainsi que l’information du médecin traitant sont nécessaires. Enfin, le port d’un bracelet d’alerte ou d’une carte de sujet allergique doit être encouragé. Question pour un champion en anesthésie 497 4.3.1. EN CAS DE SUSPICION DE SENSIBILISATION À UN AGENT ANESTHÉSIQUE Les investigations reposent sur la réalisation de tests cutanés en prick et IDR en utilisant les seuils de dilution adaptés aux différents produits, et sur la recherche d’IgE spécifiques des curares. Si un curare avait été incriminé lors d’un choc antérieur, il convient de reprendre la recherche de sensibilisation croisée avec les agents nouvellement commercialisés. Les produits ayant induit un test positif lors du premier bilan sont à exclure (même si les IDR sont devenues négatives). On proposera l’utilisation du curare dont les résultats sont négatifs en IDR, après confirmation par un test d’histaminolibération leucocytaire. Il faut cependant garder à l’esprit que quelques rares observations de choc après utilisation d’un curare ayant donné des réactions négatives à une dilution de 10-3 en IDR ont été rapportées dans la littérature [14], conduisant ces auteurs à contre-indiquer systématiquement toute utilisation ultérieure de curare chez un patient allergique à l’un d’entre eux. Toutefois, nous n’avons pas eu connaissance d’accidents similaires lorsque les tests ont été réalisés selon le protocole actuellement recommandé en France. 4.3.2. EN CAS DE SUSPICION D’ALLERGIE À UN ANESTHÉSIQUE LOCAL Le diagnostic repose sur la réalisation de tests cutanés suivis d’un test de réintroduction en cas de négativité de ceux ci. 4.3.3. EN CAS DE SUSPICION D’ALLERGIE À UN ANTIBIOTIQUE Lorsque les investigations ne sont pas réalisées rapidement après la réaction (5 à 6 semaines), le bilan est souvent négatif. Dans ces conditions, seule la réalisation d’un test de réintroduction pourra s’avérer contributif. 4.3.4. EN CAS DE SUSPICION D’ALLERGIE AU LATEX Lediagnostic repose sur la réalisation de prick tests avec différents allergènes, sur la recherche d’IgE spécifique (RAST), et sur la réalisation d’un test de réintroduction en cas de négativité de ces différents tests. 5. PRÉVENTION ET PRÉMÉDICATION DU PATIENT ALLERGIQUE 5.1. PRÉVENTION SECONDAIRE CHEZ LES SUJETS SENSIBILISÉS La seule prévention secondaire efficace de l’anaphylaxie consiste en une identification de l’allergène responsable et en son éviction définitive afin d’empêcher les accidents allergiques ultérieurs. Pour cette raison, l’utilisation de questionnaire pré-anesthésique s’intéressant aux antécédents du patient (atopie, allergie médicamenteuse, allergie au latex ou aux fruits tropicaux) doit être encouragée (Annexe I) [1]. Pour les sujets sensibilisés au latex, un environnement opératoire exempt de latex permet de prévenir la survenue de réaction anaphylactique. Cette éviction doit concerner les salles d’interventions, de surveillances post-interventionnelles et les secteurs d’hospitalisations. Pour faciliter la transmission des consignes de prévention entre les différents secteurs, une «check-list» de prise en charge du patient est recommandée (Annexe II) [1]. Par ailleurs, il est conseillé à chaque service d’Anesthésie et de Réanimation d’établir, en collaboration avec la pharmacie de l’établissement, une liste de matériel médical chirurgical exempt de latex régulièrement mise à jour. 5.2. PRÉMÉDICATION Le recours à une prémédication faisant appel à des corticoïdes ou à des antagonistes des récepteurs H1 et ou H2 de l’histamine demeure un sujet de controverse. Une prémédication par un antagoniste des récepteurs H1 seul ou associé à un antagoniste des récepteurs H2 pourrait selon certaines études, prévenir le bronchospasme et les variations hémodynamiques secondaires à une histaminolibération non spécifique [15-18]. 498 MAPAR 2004 En revanche, pour les sujets allergiques au latex et aux médicaments, cette prémédication ne permet pas d’éviter la survenue d’une réaction anaphylactique [2, 19]. La protection hapténique par le dextran 1 (Promit) diminue de manière significative la fréquence des réactions graves observées avec les dextrans [20, 21]. Le concept de protection hapténique par un haptène ne comportant qu’un seul ammonium quaternaire a pu être proposé pour la prévention d’une anaphylaxie chez les patients allergiques aux curares [22]. Cependant, en l’absence d’étude clinique contrôlée, cette protection hapténique ne peut être actuellement recommandée. CONCLUSION Les réactions allergiques demeurent une préoccupation importante en anesthésie. Les réactions peuvent être liées à la mise en contact des patients avec de nombreuses substances qui ne sont pas limitées aux agents anesthésiques proprement dits. Comme pour tous les événements cliniques rares, la formation du praticien au diagnostic et à la prise en charge thérapeutique de cette situation clinique est primordiale. En l’absence de prémédication efficace permettant d’éviter la survenue des réactions allergiques, la recherche de facteurs de risque doit être systématique lors de la consultation préanesthésique, permettant la réalisation des investigations complémentaires chez les sujets appartenant à des groupes à risque bien définis. En revanche, la réalisation de tests allergologiques prédictifs avant une anesthésie dans la population générale n’est pas justifiée. La mise en place dans chaque consultation d’anesthésie de questionnaire précis sur l’allergie et de la liste des consultations spécialisées d’allergo-anesthésie les plus proches doit être encouragée. Question pour un champion en anesthésie Annexe I QUESTIONNAIRE PREANESTHESIQUE (PATIENT) Etiquette patient Sexe : Age : Profession : 1-Avez-vous déjà été opéré(e) Si oui : combien de fois ? oui � non � 2-Avez-vous déjà eu une anesthésie générale ? Si oui : combien de fois ? L’anesthésiste vous a t-il signalé un incident Si oui : lequel ? oui� non� oui � non � 3-Avez-vous déjà eu une anesthésie locorégionale ? oui � (rachianesthésie, péridurale, anesthésie du bras, de la jambe, de l’œil……) Y a-t-il eu un incident ? oui � Si oui : lequel non � non � 4-Avez-vous déjà eu une anesthésie locale chez le dentiste ? oui � non � Si oui : y a-t-il eu un incident ? 5-Souffrez-vous ou avez-vous souffert de rhume des foins ? oui � d’eczéma dans l’enfance oui � non � d’asthme oui � non � non� 6-Avez-vous déjà fait une «allergie» ? : - Si oui, à quoi : � Médicaments : antibiotique � aspirine, anti-inflammatoire � autres Injection pour radiographie (iode) � � Aliments : banane, avocat, kiwi, chataigne � autres Produits en latex (ou en caoutchouc) : en gonflant des ballons de baudruche durant des soins dentaires au contact de gants en latex au contact de préservatif durant un examen gynécologique -Comment cette «allergie» s’est-elle manifestée ? 7-Etes-vous en contact fréquent avec du matériel en latex dans votre vie professionnelle ou quotidienne ? oui � � � � � � non � 499 500 MAPAR 2004 Annexe II « CHECK-LIST » DE PRISE EN CHARGE DU PATIENT ALLERGIQUE AU LATEX CONSULTATION D’ANESTHÉSIE : • Diagnostic d’allergie au latex fondé sur bilan allergologique (prick-test, IgE latex……) oui � non � Date du bilan : Si non : bilan allergologique demandé oui � date : • Information du responsable de l’organisation du bloc opératoire • Notification sur le dossier anesthésique « Allergie au latex » � VISITE PRÉANESTHÉSIQUE : • Bracelet malade « allergie latex » • Information : Secteur d’hospitalisation � Cadre IADE � Cadre du bloc � Chirurgien � Médecin anesthésiste � • Intervention planifiée en début de programme • Inscrire sur le tableau opératoire « allergie latex » • Préparation du matériel anesthésique sans latex � � � � PÉRIODE OPÉRATOIRE : • • • • • • Pancarte «allergie latex» sur porte salle d’opération � Liste de matériel sans latex en salle d’opération Gants sans latex pour tout le personnel Matériel de ventilation sans latex � Matériel sans latex en contact avec le patient Plateau choc anaphylactique � � � � PÉRIODE POSTOPÉRATOIRE : • SSPI : Pancarte « allergie latex » sur le lit de réveil � • Notification sur feuille de consignes postopératoires « allergie latex » • Liste de matériel sans latex dans la chambre � � � Question pour un champion en anesthésie 501 Annexe III CONCENTRATIONS NORMALEMENT NON RÉACTIVES DES AGENTS ANESTHÉSIQUES POUR LA PRATIQUE DES TESTS CUTANÉS Solutions commerciales DCI Atracurium Cis-atracurium Mivacurium Pancuronium Rocuronium Suxaméthonium Vécuronium Etomidate Midazolam Propofol Thiopental Alfentanil Fentanyl Morphine Remifentanil Sufentanil Bupivacaïne Lidocaïne Mépivacaïne Ropivacaïne Prick-tests Tests intradermiques Nom commercial C (mg·mL-1) Dilution CM CM Dilution (mg·mL-1) (µg·mL-1) Tracrium Nimbex Mivacron Pavulon Esmeron Celocurine Norcuron Hypnomidate /Etomidate Lipuro Hypnovel Diprivan Nesdonal Rapifen Fentanyl Morphine Ultiva Sufenta Marcaïne Xylocaïne Carbocaïne Naropeine 10 2 2 2 10 50 4 2 1/10 Non dilué 1/10 Non dilué Non dilué 1/5 Non dilué Non dilué 1 2 0,2 2 10 10 4 2 1/1000 1/100 1/1000 1/10 1/100 1/500 1/10 1/10 10 20 2 200 100 100 400 200 5 10 25 0,5 0,05 10 0,05 0,005 2,5 10 10 2 Non dilué Non dilué Non dilué Non dilué Non dilué 1/10 Non dilué Non dilué Non dilué Non dilué Non dilué Non dilué 5 10 25 0,5 0,05 1 0,05 0,005 2,5 10 10 2 1/10 1/10 1/10 1/10 1/10 1/1000 1/10 1/10 1/10 1/10 1/10 1/10 500 1000 2500 50 5 10 5 0,5 250 1000 1000 200 DCI = dénomination commune internationale ; C = concentration, CM = concentration maximale RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Prévention du risque allergique peranesthésique. 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