UNIVERSITE DE FRANCHE-COMTE Faculté de Médecine et de Pharmacie de Besançon Education thérapeutique en médecine générale Une gageure ? Mémoire de Diplôme Universitaire d’éducation du patient Michel VAUTHIER CRELIER Septembre 2009 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier : Toutes les personnes qui m’ont accueilli lors de mes différents stages, pour leur amabilité, leur disponibilité et leur désir de m’aider. Toutes les personnes de la promotion 2008/2009 du diplôme universitaire d’éducation thérapeutique, que ce soit l’équipe de l’UTEP (secrétaire et professionnels de santé), les intervenants lors des modules de formation, et les stagiaires, pour la richesse des échanges. Ma famille qui a accepté que je sois encore un peu moins disponible tout au long de cette année ! SOMMAIRE I. FORMULATION DE LA PROBLEMATIQUE…………………………………....1 II. RAPPORT DE STAGE……………………………………………………………....5 1. Raisons de ces trois lieux de stage 2. Objectifs 3. Description a. Stage au Haut Conseil de la santé publique b. Stage au CHU à Besançon c. Stage en maison pluridisciplinaire de santé 4. Les points forts 5. Les points faibles 6. Mon questionnement à l’issue de ces stages III. SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE……………………………………….………11 1. Définition de l’Education Thérapeutique a. Programmes coordonnés b. Education thérapeutique individuelle 2. Définition de la Médecine Générale 3. Education Thérapeutique en Médecine Générale IV. SYNTHESE PERSONNELLE……………………………………………………..25 1. Rappel des notions de base 2. Deux réflexions 3. Proposition de modélisation V. PISTES POUR L’ACTION…………………………………………………………29 VI. BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………..……31 TABLE DES SIGLES ET ABREVIATIONS CHU : Centre Hospitalier Universitaire CNAMTS : Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés ECG : Electrocardiogramme ECN : Epreuves Classantes Nationales EHPAD : Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes ETHICCAR : Evaluation de l’Education Thérapeutique Individuelle et Collective du patient à risque CARdiovasculaire ETP : Education Thérapeutique du Patient FEMASAC : FEdération des MAisons de SAnté Comtoises FICQS : Fonds d'Intervention pour la Qualité et la Coordination des Soins HAS : Haute Autorité de Santé HCSP : Haut Conseil de la Santé Publique HPST : Hôpital, Patient, Santé et Territoire IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers INPES : Institut national de prévention et d'éducation pour la santé OMS : Organisation Mondiale de la Santé RéPPOP-FC : Réseau de Prévention et de Prise en charge de l’Obésité Pédiatrique en Franche-Comté SAU : Service d’Accueil d’Urgence SFSP : Société Française de Santé Publique SMUR : Service Mobile d’Urgence et de Réanimation UTEP : Unité Transversale pour l’Education du Patient WONCA : World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians I. FORMULATION DE LA PROBLEMATIQUE Ce que j’attends, à priori, de cette formation Comprendre ce qu’est l’éducation thérapeutique. Comment puis-je l’appliquer dans mon activité de médecine générale au service de mes patients atteints de maladie chronique ? Comment théoriser cette pratique afin de la transmettre aux étudiants en stage dans mon cabinet ? Mon expérience Après avoir travaillé en SMUR et SAU pendant 2 ans, je me suis installé comme médecin généraliste il y a 19 ans. Je suis titulaire d’une capacité de Gériatrie depuis environ 10 ans. Je travaille en cabinet libéral auprès de patients dont à peu près les 2/3 ont plus de 60 ans et présentent des pathologies chroniques. Je travaille également dans un EHPAD. J’ai toujours aimé l’enseignement et l’éducation, en étant responsable dans un mouvement de scoutisme, en donnant des cours à l’IFSI, en animant des séances de formation continue, en accueillant des étudiants stagiaires… Au contact de ces patients porteurs de pathologie chronique, je me suis rendu compte de l’importance que représentait la maladie et ce qui s’y rattache (prise de médicaments, régime, effets secondaires…) sur la vie quotidienne des patients. J’ai toujours essayé d’expliquer et de vulgariser le discours médical, de partager les connaissances pour décider ensemble des choix thérapeutiques, et d’accompagner au mieux les patients, en étant respectueux de leur choix, les considérant toujours comme autonomes et responsables. Toutefois, cela reste très intuitif. Je n’ai pas de méthode, pas d’objectifs clairement définis. Je vis difficilement les échecs relationnels et les impasses thérapeutiques. Mes projets Mieux connaître la démarche structurée de l’éducation thérapeutique. Voir comment cela peut être applicable en cabinet libéral de médecine générale, en dehors de toute structure (réseaux, maisons médicales …) ou si au contraire, le recours à des structures d’éducation est indispensable. Améliorer la prise en charge de mes patients atteints de maladie chronique Compétences que j’ai déjà pour pratiquer l’éducation du patient Ecoute, malheureusement plus rapide qu’à mes débuts et peut-être un peu passive et sélective. Plaisir de partager le savoir, d’expliquer, d’enseigner, d’aider à comprendre (exemples, métaphores, langage simple, en essayant de me mettre dans le système de pensée du patient). Perte de la toute puissance curative, aidée en cela par ma formation gériatrique (on ne guérit pas de la vieillesse, ni des handicaps provoqués par les maladies !). Notions d’adaptabilité. Accompagnement sur le long terme d’un individu, mais aussi de ses proches (famille), ce qui est une grande particularité de la médecine générale (médecin de famille). Compétences que je voudrais développer Améliorer ma pratique relationnelle, écoute non sélective Approche participative Diagnostic éducatif Entretien motivationnel Objectifs éducatifs Evaluation Structuration de la démarche éducative Mes sujets d’intérêt en arrivant Tout découvrir ! Mes sujets d’intérêt après les premières sessions « Education = observance – obéissance » par rapport à « éducation = autonomie – responsabilité ». Continuer de découvrir la démarche structurée de l’éducation thérapeutique. Applicabilité de la démarche d’éducation thérapeutique en cabinet libéral de médecine générale, avec ou sans l’aide de structures partenaires d’éducation. Mes questions Education thérapeutique en médecine générale : faisabilité, intérêts, limites… Comment intégrer l’éducation thérapeutique dans mes consultations de médecine générale ? II. RAPPORT DE STAGE J’ai choisi 3 lieux de stage (1 journée par stage) : - Auditions au Haut Conseil de la santé publique (HCSP) à Paris (18 février 2009) Consultations d’éducation thérapeutique au CHU de Besançon (19 mai 2009) Consultations d’éducation thérapeutique en maison de santé à Besançon (28 mai 2009) 1. Raisons de ces 3 lieux de stage Les terrains de stage d’éducation thérapeutique en médecine générale étant pauvres ou difficiles à identifier, Brigitte Sandrin-Berthon m’a invité à participer à l’audition de professionnels témoignant de leurs pratiques de l’éducation thérapeutique de proximité. Toutefois, pour me confronter à la réalité de l’éducation thérapeutique dans mon environnement de travail, j’ai voulu faire mes deux autres journées de stages sur Besançon : la première dans une structure ambulatoire, à savoir auprès d’une des infirmières d’éducation thérapeutique intervenant dans les maisons pluridisciplinaires de santé de Franche-Comté, la seconde dans la structure régionale de référence en éducation thérapeutique, à savoir le service de diabétologie du CHU de Besançon. 2. Objectifs • • • Connaître les pratiques de l’éducation thérapeutique réalisée directement par des médecins généralistes ou par l’intermédiaire de structures extrahospitalières. Mieux comprendre la réalité de l’éducation thérapeutique, en particulier dans le déroulement d’un bilan initial partagé, qui me semble être la pratique la plus compatible avec ce que pourrait réaliser un médecin généraliste dans son cabinet. Connaître la réalité de l’éducation thérapeutique dans le service de diabétologie du CHU de Besançon, pour mieux comprendre ce qui se passe lorsque j’adresse un patient dans cette structure 3. Description a. Stage au Haut Conseil de la santé publique Le Haut Conseil de la santé publique est une instance d’expertise pluridisciplinaire qui contribue à l’élaboration et l’évaluation des politiques de santé publique. La commission « maladies chroniques et incapacités » est présidée par Brigitte Sandrin-Berthon. Parmi les travaux de cette commission, figure « l’éducation thérapeutique de proximité ». Dans ce cadre, trois séances d’auditions de professionnels témoignant de leur pratique dans ce domaine sont programmées. J’ai assisté à la première de ces séances, à laquelle étaient invités des pharmaciens, des médecins généralistes et des acteurs de réseaux. J’ai pu me rendre compte du rôle que cherchent à jouer les pharmaciens en éducation thérapeutique, non seulement dans le conseil (qui est le cœur de leur métier, mais qui peut aller assez loin avec la réalisation de fiches techniques : tabac, diabète…), mais aussi dans l’aide à l’utilisation des dispositifs médicaux (lecteurs de glycémie, aérosols doseurs, autotensiomètre…), et encore dans la prévention (diffusion et relais de campagnes de prévention…). C’est par contre, l’audition des médecins généralistes qui m’a beaucoup intéressé. Les trois médecins interviewés sont tous des généralistes enseignants ayant un certain recul sur leur pratique : L’un présente un outil (fiche repère « gestes/attitudes ») permettant de repérer ce qu’il est possible de faire en éducation thérapeutique dans la pratique individuelle de la médecine générale, en insistant sur la nécessité d’outils performants en efficacité, mais courts en temps, pour rester dans un principe de réalité. Un autre fait part de son implication dans l’éducation thérapeutique dans le cadre de sa triple fonction universitaire. Au niveau soins, il relate sa pratique de l’éducation thérapeutique dans son cabinet en réalisant des consultations dédiées et des consultations mixtes. Au niveau recherche, il mène une étude (ETHICCAR) dont le but est d’évaluer la réduction des facteurs de risque cardio-vasculaire et/ou la morbimortalité cardio-vasculaire chez des patients hypertendus en comparant 3 prises en charge différentes : groupe témoin, groupe bénéficiant d’une éducation thérapeutique individuelle, groupe bénéficiant d’une éducation thérapeutique collective. Au niveau enseignement, il se plaint du peu de place réservée à l’éducation thérapeutique (aucune question concernant l’éducation thérapeutique parmi tous les dossiers des ECN et au CHU de Bordeaux : 2 heures de cours en 2ème cycle, 2 heures en 3ème cycle de médecine générale). Le troisième rend compte de sa pratique de l’éducation thérapeutique dans son activité quotidienne de médecine générale. Il réalise une éducation thérapeutique séquentielle. Il commence par un bilan initial partagé en y consacrant 2 consultations (40 minutes, facturées une seule ! ), sans être dérangé au téléphone. Il fait ensuite des consultations de suivi (20 minutes), abordant un mini-thème, reposant sur des outils interpelant le patient, et comportant un mini diagnostic éducatif, la construction d’un objectif par le patient, une action programmée avant la prochaine consultation et une évaluation par et avec le patient. Il décrit son plaisir à travailler de cette façon, insiste beaucoup et avec humour sur l’attitude que nécessite cette façon de travailler. Il s’agit d’une attitude permanente d’ouverture et d’écoute à l’autre, qui n’est donc pas un moment à part. Il compare l’attitude éducative à la « Rock’n’roll attitude » ! Une façon d’être ! Quant à l’audition des acteurs de réseaux, elle m’a permis d’observer certains des problèmes auxquels ils sont confrontés : action limitée dans le temps, organisation pas si simple du parcours éducatif dans le réseau, nécessaire adaptabilité des réponses du réseau selon le niveau d’implication des professionnels capables de réaliser l’éducation thérapeutique, difficultés du recrutement de médecins généralistes pour une activité qui leur semble à part, voire le désintéressement de ces médecins, problème de réseaux trop thématiques, centrés plus sur la pathologie que sur la personne, difficultés liées à cette forme de sous-traitance qu’assurent les réseaux. b. Stage au CHU de Besançon Le service de Diabétologie du CHU de Besançon a une pratique ancienne et reconnue en éducation thérapeutique. Grâce à l’UTEP (Unité Transversale pour l’Education du Patient), le concept d’éducation thérapeutique a pu être étendu à d’autres services du CHU de Besançon. J’ai donc pu assister aux consultations d’éducation thérapeutique en diabétologie avec le Docteur Cécile Zimmermann, diabétologue et responsable de l’UTEP. Il s’agit de consultations intégrées aux soins. Dans une salle de consultation calme et isolée, autour d’une table recouverte d’une toile cirée (!), le médecin étant sans blouse, une discussion ouverte a lieu, portant sur les commentaires des résultats biologiques, le ressenti du patient par rapport à sa maladie, les questions et difficultés rencontrées (traitement, techniques, règles hygiéno-diététiques, environnement, entourage…), les points positifs et les ressources sur lesquels le patient peut s’appuyer. A l’issue de cet entretien peu directif (il ne s’agit donc pas de « l’interrogatoire » (anamnèse) classique en médecine), un ou plusieurs objectifs éducatifs sont déterminés conjointement avec le patient. Lors de cette journée, les demandes ont presque toutes été d’ordre diététique. Les patients avec leur éventuel accompagnant, ont alors été dirigés vers la diététicienne. Ce stage m’a vraiment permis d’observer en pratique ce qu’était le « bilan initial partagé ». En fin de séance, les difficultés, les ressources et les projets éducatifs sont inscrits sur un dossier éducatif. Parallèlement, un bilan bio-médical est réalisé par l’infirmière et le médecin (examen clinique, ECG, examen des pieds, constantes, biologie…). L’infirmière de son côté, recueille des éléments sur les connaissances du patient, en particulier sur les techniques d’auto-surveillance glycémique et d’injection d’insuline. c. Stage en maison pluridisciplinaire de santé La FEMASAC (FEdération des MAisons de SAnté Comtoises) regroupe les maisons de santé de Franche-Comté. Entre autre, elle a pour but de mettre en place des missions de santé publique, grâce à des projets collectifs et à la mutualisation de ses moyens. Ainsi, par l’intermédiaire d’un fond FICQS, elle a pu salarier deux infirmières (un équivalent temps plein), pour faire de l’éducation thérapeutique au sein des différentes maisons de santé de l’association. Dans chaque maison de santé, l’infirmière passe une fois par semaine pour réaliser une journée d’éducation thérapeutique. Les deux infirmières se partagent les maisons de santé. Elles ne sont par interchangeables. Par contre, elles travaillent ensemble à la détermination de la méthodologie et des objectifs. Ce fonctionnement est effectif depuis un peu plus d’un an. Pour le moment, il n’a pas encore été réalisé de séances collectives d’éducation thérapeutique. Une de ces maisons pluridisciplinaires de santé se situe à Besançon, et ce, depuis de nombreuses années. Au sein de cette maison, j’ai donc pu assister à une de ces journées d’éducation thérapeutique. Il s’agit d’entretiens individuels non directifs menés par l’infirmière d’éducation thérapeutique qui n’a aucun rôle de soins dans la maison de santé. Les patients sont adressés par le médecin traitant. Ces séances sont gratuites pour les patients. Parmi les patients vus lors de cette journée, certains venaient pour la première fois. Il s’agissait alors d’un bilan initial partagé ayant surtout pour but d’évaluer le ressenti des patients par rapport à leur problème de santé. Il n’y avait pas franchement d’objectif éducatif défini à l’issu de l’entretien, mais à chaque fois, il était proposé de reprendre rendez-vous pour « continuer d’en parler ». L’expérience sur un an montre que la plupart des patients reviennent. Parmi les patients qui avaient bénéficié de séances précédentes, la plupart avaient des problèmes psycho-sociaux (conflits familiaux ou au travail, veuvage…). La mise en perspective de ces problèmes avec leur problème de santé (diabète et alcool, diabète et obésité…), leur a permis de sortir d’une vision purement médicale de leur problème, et de comprendre que si leur diabète n’était pas très bien équilibré, c’était peut-être parce qu’il y avait d’autres problèmes qu’il fallait également régler. J’ai été particulièrement impressionné par cette patiente obèse qui voulait perdre du poids, qui n’y arrivait pas et qui vient pour un deuxième entretien. Toute fière, elle arrive et annonce « ça y est, j’ai démissionné de mon travail, je vais pouvoir m’occuper de moi». Le premier entretien (auquel je n’avais pas participé) avait permis à cette patiente de murir sa décision (même si elle la portait certainement depuis longtemps en elle), et lui a permis de changer de comportement, de ne plus être passive, mais active par rapport à sa vie et à sa santé. Même si aucun objectif diététique n’avait été fixé à la première consultation, la patiente s’était elle-même fixée un objectif tacite. Ce travail fait par l’infirmière d’éducation thérapeutique n’est bien entendu pas spécifique, il aurait très bien pu être fait par le médecin traitant, mais ce temps offert (entretien de 30 à 60 minutes) et cette écoute active, neutre, sans apporter tout de suite de solutions diététiques à son problème, a peut-être permis de mettre le doigt sur l’essentiel. C’est la patiente elle-même qui a proposé une solution, solution qui répondait à son problème à elle, et pas une solution passe-partout, comme des conseils diététiques traditionnels, ou même une enquête alimentaire. 4. Les points forts La diversité de l’offre d’éducation thérapeutique existante en France, comme j’ai pu l’observer lors de l’audition au HCSP, ainsi que la complexité de ce que l’on entend par éducation thérapeutique avec des pratiques vraiment très diverses. La notion d’attitude éducative, dont j’ai découvert l’existence lors des auditions au HCSP et dont j’ai pu observer la mise en pratique lors de mes 2 stages sur Besançon. La réalisation concrète d’un « bilan initial partagé ». L’effort mis sur la recherche d’une cohérence, de l’absence de message contradictoire, de la qualité de l’accueil, que j’ai pu observé au CHU de Besançon. La volonté d’une éducation centrée sur les besoins du patient et de programmes proposés et élaborés conjointement, en rapport avec les besoins exprimés. 5. Les points faibles Ne pas avoir pu observer sur le terrain, comment certains médecins réalisent l’éducation thérapeutique dans leur cabinet, en individuel. Ne pas avoir vu l’utilisation d’outils pédagogiques, mais mon objectif premier était surtout d’observer ce qu’était un « bilan initial partagé ». Je n’ai donc pas assisté à des séances « d’acquisition de connaissances » proprement dites. L’absence de projet éducatif partagé au sein des maisons de santé. Nombreux sont les médecins généralistes de ces structures à ne pas avoir été formés à la « philosophie » de l’éducation thérapeutique. Ainsi, même s’ils s’accordent sur son intérêt, la plupart se contentent de la « prescrire ». L’attente des médecins généralistes est très variable vis-à-vis de ce que l’infirmière d’éducation thérapeutique peut apporter, certains n’en attendent rien, d’autres à l’inverse, en attendent surtout des résultats en terme de meilleure observance et d’amélioration de critères bio-médicaux (diminution HbA1C, perte de poids…). 6. Mon questionnement à l’issue de ces stages Qu’entend-on exactement par éducation thérapeutique ? (la multiplicité des pratiques m’a vraiment paru impressionnante). Quelle place pourrait occuper le médecin généraliste dans cette démarche éducative ? III. SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE Pour me permettre de savoir quelle pourrait être la place du médecin généraliste dans l’éducation thérapeutique, il m’a semblé nécessaire de commencer par définir un peu plus clairement ce que sont ces deux entités. La première partie de cette bibliographie cherche donc à définir ce qu’est l’éducation thérapeutique. 1. Définition de l’éducation thérapeutique La définition qui fait référence a été donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1998. «L’éducation thérapeutique a pour but d’aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. Elle comprend les activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie. Cela a pour but de les aider (ainsi que leur famille) à comprendre leur maladie et leur traitement, collaborer ensemble et assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en charge dans le but de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie ». Cette définition est consensuelle autant au niveau international que national. Les grands organismes nationaux tels que la Haute Autorité de Santé (HAS), l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES) et la Société Française de Santé Publique (SFSP), ainsi que les auteurs des principaux rapports (Saout, Hecquart) s’y référent. Toutefois, elle reste insuffisamment précise et elle fait encore l’objet de nombreuses querelles en particulier sémantiques. Ainsi, dans son rapport, Saout (1) souligne que « l’éducation thérapeutique ne se laisse pas enfermer dans une définition simple ». A cet égard, il est particulièrement intéressant de lire les annexes de ce rapport. En effet, la mission Saout a demandé aux 3 grandes institutions françaises (HAS, INPES et SFSP) de donner leur définition de l’éducation thérapeutique. Il est très instructifs de les détailler et d’observer les divergences existantes : La HAS reprend intégralement la définition de l’OMS. Elle souligne toutefois que l’éducation thérapeutique ne se limite pas à l’acquisition de compétences d’auto-soins, mais qu’elle doit favoriser le développement de compétences d’adaptation (maladie, vie quotidienne…) pour aider le patient à résoudre des problèmes, gérer son stress, prendre des décisions, se fixer des buts… L’INPES a une vision de l’éducation thérapeutique plus centrée sur l’individu. Il parle d’ailleurs «d’éducation du patient », ou « d’éducation thérapeutique du patient ». Comme pour la HAS, l’INPES insiste également qu’outre l’acquisition de compétences d’auto-soins, l’éducation thérapeutique vise à mobiliser et à acquérir des compétences d’adaptation. Par contre, il souligne les risques d’une éducation thérapeutique dont la finalité serait préférentiellement orientée vers l’observance, l’apprentissage ou la responsabilité individuelle. Il s’appuie plutôt sur le concept d’« empowerment » des personnes, ce qui signifie « aider l’autre à retrouver son pouvoir sur sa vie ». Il se distingue de la résilience, en ce sens que le processus vient plutôt de l’extérieur, alors que dans la résilience, c’est l’individu qui puise en luimême ce pouvoir vital lui permettant de rebondir après un traumatisme. Lacroix et Assal (13) soulignent que l’éducation thérapeutique « tricote » en permanence avec ces deux concepts : « même si des facteurs externes sont importants pour la recroissance, c’est principalement grâce à des facteurs internes que se fera la cicatrisation ». Quant à la démarche éducative, même si l’INPES reconnaît l’intérêt des programmes collectifs structurés, il souligne les limites de ces programmes par la difficulté d’une approche éducative individuelle continue et intégrée aux soins. Comment, en n’ayant recours qu’à des programmes structurés, s’adapter à tous les patients et à toutes les situations ? Quant à la SFSP, à l’inverse de la HAS et de l’INPES, elle insiste sur la notion de programmes structurés d’éducation thérapeutique et sur l’organisation de l’éducation thérapeutique dans le système de soins. Elle fait la distinction entre la « démarche ou posture éducative » et les programmes d’éducation. Il est salué la transformation que certains professionnels de santé ont opéré dans leur pratique, en adoptant au quotidien une posture éducative en lieu et place de postures injonctives ou prescriptives. Il est reconnu que ces professionnels proposent une éducation thérapeutique visant l’acquisition de compétences d’auto-soins et l’acquisition ou la mobilisation d’adaptation à la maladie. Toutefois, la SFSP distingue cette démarche de la logique de programme qui est un ensemble coordonné d’activités d’éducation, structuré et organisé par une équipe (logique multiprofessionnelle, voire mutidisciplinaire). Il est toutefois bien souligné que ce programme doit permettre de proposer au patient un programme personnalisé. Elle fait également la distinction entre les programmes d’éducation et les programmes d’accompagnement et d’apprentissage. Ainsi, les programmes d’accompagnement (au sens anglo-saxon du terme) relèvent plus de l’aide, de l’assistance et du « coaching ». Ce sont par exemple, les groupes de paroles de patients et les activités d’autosupport développés par les milieux associatifs, ainsi que les programmes de « disease management » proposés par les assureurs publics ou privés (plate forme téléphonique comme Sophia), ou par l’industrie pharmaceutique. Les programmes d’apprentissage correspondent aux actions de formation à un acte proprement dit (prise complexe de médicaments, utilisation d’un appareil de ventilation ou d’automesure…). La mise en perspective de ces rapports permet de voir se dessiner 2 grandes approches de l’éducation thérapeutique, qui divergent quelque peu, bien que ne s’excluant pas : − Une approche qui repose sur des programmes structurés d’activités d’éducation thérapeutique, coordonnés et organisés par une équipe (HAS, SFSP). − Une approche qui vise une éducation thérapeutique individuelle, continue et intégrée aux soins (INPES). a. Programmes structurés d’activités d’éducation thérapeutique Ils sont parfaitement codifiés et décrits dans les recommandations de la HAS (2). Ils se déroulent en quatre étapes planifiées : • Diagnostic éducatif • Programme personnalisé avec des priorités d’apprentissage • Séances individuelles ou collectives • Evaluation des compétences acquises Ils font appel à des équipes éducatives, structurées et formées, qui vont élaborer et conduire le programme éducatif. Il est prévu que ces structures éducatives soient labellisées. D’Ivernois et Gagnayre (3) soulignent les avantages des programmes structurés : • sécurité des patients dans l’acquisition de savoir faire en cas de crises, • valeur scientifique des contenus enseignés grâce à leur élaboration collective, ce qui évite l’hétérogénéité, voire la contradiction des discours tenus, • qualité pédagogique de l’éducation thérapeutique grâce à l’existence d’équipes qui se forment, organisent et s’auto-évaluent, • programmes, évaluation plus facilement exploitable car pensée dès l’origine des • respect de la liberté d’apprendre grâce à la multiplicité des offres proposées, • interdisciplinarité qui permet créativité et innovation, • cadre d’apprentissage rassurant. Cependant, certains (4,5) s’inquiètent du fait que cette approche s’intéresserait plutôt à renforcer les capacités des patients à prendre soin de leur maladie et de leur traitement, qu’à prendre soin d’eux-mêmes. Pour illustrer ce propos, il est intéressant d’observer la définition de l’éducation thérapeutique figurant dans le rapport que Hecquard (6) a réalisé à la demande de l’ordre des médecins : « enseignement individuel ou collectif dispensé à un patient ou à son entourage visant à améliorer la prise en charge médicale d’une affection, notamment d’une affection de longue durée ». De même, en ces périodes de récession, la promotion dont l’éducation thérapeutique fait actuellement l’objet, pourrait être sous-tendue par des considérations d’ordre médico-économiques, par le biais de l’amélioration de l’observance et de l’apprentissage d’auto-soins, permettant une meilleure rationalisation des coûts de santé. Doumont (7) cite le travail de mémoire de Burton : « Un des risques de l’éducation thérapeutique est qu’à l’avenir, elle ne soit plus un accompagnement des patients, mais bien un moyen de limitation des dépenses sanitaires, basé sur une responsabilisation totale de l’individu. Il faut prendre garde au développement d’une société qui, pour des raisons économiques, souhaite réglementer les comportements des individus et faire payer à ceux-ci leurs écarts par rapport à l’idéal sanitaire proposé. » En France, le rapport de la mission Saout (1) a bien pris en compte ce risque et lui dédie deux recommandations : N° 7 : « un patient atteint d’une maladie chronique est en droit de ne pas accepter un programme d’éducation thérapeutique qui lui serait proposé » et N°8 : « le refus par le patient d’un programme d’E.T.P. ne pourra conduire à une sanction et ne peut amener les assureurs à prononcer des sanctions financières à son encontre». b. Education thérapeutique individuelle, continue et intégrée aux soins Face à cette démarche très structurée, « prête à l’emploi », et aux risques exprimés ci-dessus, émerge actuellement un fort recentrage en direction du patient. Ainsi, Sandrin-Berthon (8) reprend : « l’éducation telle qu’elle est décrite dans les recommandations de la HAS, propose aux soignants d’adopter une démarche pédagogique structurée afin d’aider les patients à acquérir les compétences dont ils ont besoin pour suivre les traitements qui leur sont prescrits (…). Pour autant, nombreux sont les patients qui ont acquis ces compétences et qui ne les mettent pas en œuvre (…). Penser une éducation (quelle qu’elle soit) à travers sa seule composante pédagogique, et à travers la seule acquisition de compétences (fussent-elles d’auto-soins et d’adaptation) semble réducteur.». Elle propose une approche centrée sur la finalité : « aider les patients à prendre soin d’euxmêmes, à agir dans un sens favorable à leur santé, à leur bien-être ». Ce qui n’est pas si simple, car cette éducation ne s’adresse pas qu’à des êtres de raison, mais à des êtres vivants (êtres de relation, d’émotions, de représentations), aux sentiments parfois contradictoires (8) ; d’où l’importance de l’écoute de la personne malade dans toute sa complexité, physique, psychologique et sociale. Gagnayre (10) souligne lui aussi, « qu’au delà des méthodes, c’est la finalité recherchée qui est principale. Le but est que le patient apprenne volontairement, de façon consciente et acceptée, et que cet apprentissage signifie quelque chose pour lui, c’est à dire qui interagisse avec sa réalité perçue de la maladie. Il existe donc un apprentissage mutuel entre le soignant et le patient, pour chercher à obtenir la même représentation cognitive et sociale de la maladie et du traitement ». Ainsi la finalité de l’éducation thérapeutique est d’aider le patient à être autonome, encore faut-il qu’il le désire et qu’il puisse l’exprimer. Barrier (11) rappelle que l’autonomie signifie « être à soi-même sa propre loi ». « Autonomie » ne doit donc pas être confondue avec « indépendance ». L’Homme est toujours dépendant de quelque chose ou de quelqu’un. Par contre, il a la capacité, en raison de sa liberté de choix (autodétermination), de choisir d’obéir à la loi ou pas, loi qu’il se donne à lui-même et à laquelle il se soumet. C’est donc à chacun de définir sa propre loi, sa propre autonomie. Ce n’est pas au soignant d’imposer tel ou tel apprentissage d’auto-soins. Une autre finalité de l’apprentissage serait de permettre d’avoir un avant et un après, de permettre qu’une nouvelle vie commence après, autorisant une libération par la contrainte assumée. Lacroix (12) cite Benaroyo: « ouvrir à la personne malade un chemin qui l’autorise d’échapper au cours mortifère de son état présent et d’accéder à un nouvel état d’équilibre où elle retrouvera partiellement ou autrement la possibilité de s’accomplir ». Ces considérations sur la finalité de l’éducation thérapeutique nous amène à aborder la notion de « posture éducative ». C’est par son attitude (« posture ») que le soignant va pouvoir favoriser l’écoute empathique, non sélective et la construction de solutions adaptées à chaque situation particulière. Barrier (14) souligne que « l’empathie n’est pas un sentiment, mais une vertu qui se cultive. C’est la capacité à accepter que l’on puisse penser autrement que soi, même lorsque l’on sait avoir raison. » Le défi est donc pour tout soignant, lors de chaque rencontre avec un patient, d’adapter sa démarche de soins. Ainsi, pour Sandrin-Berthon (8), une éducation thérapeutique intégrée aux soins consiste surtout en une manière de travailler : • Aménager un environnement favorable à l’éducation, afin de favoriser l’écoute et d’éviter les messages contradictoires, • c’est-à-dire : Mettre en œuvre auprès des patients, une démarche éducative personnalisée, − Adopter une posture éducative dans les relations qu’a le soignant avec le patient, − Admettre qu’une collaboration entre soignants et patients est indispensable pour construire des solutions adaptées à chaque situation particulière − Reconnaître et solliciter le plus souvent possible l’expertise du patient − Faire fondamentalement confiance au patient, c’est à dire accepter que sa parole a du sens et qu’il se comporte en sujet de sa propre histoire • Etablir des liens avec les autres acteurs de l’éducation thérapeutique Ainsi, il semblerait que le soignant qui veut faire de l’éducation thérapeutique doit avoir de bonnes compétences relationnelles, et pas seulement des compétences pédagogiques, permettant d’aider l’autre à s’approprier un savoir ou un savoir faire. L’alliance entre le patient et le soignant se concrétise par des moments privilégiés pour « évaluer ensemble » et « convenir ensemble ». En conclusion, loin de s’exclure, « programmes structurés d’activités d’éducation thérapeutique » et « éducation thérapeutique individuelle, continue, intégrée aux soins » se complètent et ne peuvent exister l’un sans l’autre, au risque de s’appauvrir mutuellement. 2. Définition de la médecine générale Après avoir essayé de définir ce qu’était l’éducation thérapeutique du patient, je souhaite maintenant essayer de décrire ce qu’est la médecine générale, et de situer sa place dans le système de santé français. En 2002, la WONCA-Europe (15) a donné une nouvelle définition de la médecine générale – médecine de famille : • « Elle est habituellement le premier contact avec le système de soins, permettant un accès ouvert et non limité aux usagers, prenant en compte tous les problèmes de santé, indépendamment de l’âge, du sexe, ou de toute autres caractéristiques de la personne concernée. • Elle utilise de façon efficiente les ressources du système de santé par la coordination des soins, le travail avec les autres professionnels de soins primaires et la gestion du recours aux autres spécialités, se plaçant si nécessaire en défenseur du patient. • Elle développe une approche centrée sur la personne dans ses dimensions individuelles, familiales et communautaires. • Elle utilise un mode de consultation spécifique qui construit, dans la durée, une relation médecin-patient basée sur une communication appropriée. • Elle a la responsabilité d’assurer des soins continus et longitudinaux, selon les besoins du patient. • Elle base sa démarche décisionnelle spécifique sur la prévalence et l’incidence des maladies en soins primaires. • Elle gère simultanément les problèmes de santé aigus et chroniques de chaque patient. • Elle intervient à un stade précoce et indifférencié du développement des maladies, qui pourraient éventuellement requérir une intervention rapide. • Elle favorise la promotion et l’éducation pour la santé par une intervention appropriée et efficace. • Elle a une responsabilité spécifique de santé publique dans la communauté. • Elle répond aux problèmes de santé dans leurs dimensions physique, psychologique, sociale, culturelle et existentielle. » En France, depuis l’arrêté du 30 juin 2004 (16), le statut des médecins généralistes a changé : ils peuvent obtenir une qualification de spécialiste en médecine générale (Art L4111-2 du code de la Santé Publique). De même, l’enseignement a été modifié pour permettre aux étudiants se destinant à la médecine générale de justifier de trois ans de fonctions accomplies dans un service ou organisme agréé pour la formation des internes, et d’accéder ainsi à cette qualification. Parallèlement, la réforme instaurée par la loi du 13 août 2004 (17) a amené de profonds changements dans les rôles et pratiques des médecins généralistes. Ainsi, de part cette loi, le médecin traitant (médecin généraliste en majorité) : − se retrouve placé au centre du système de soins primaires avec l’objectif d’orienter les patients dans un parcours de santé, de les orienter vers d’autres professionnels de santé, − a une plus grande responsabilité en terme de santé publique et ce, en vue de mettre davantage l’accent sur les dimensions de prévention et d’éducation pour la santé. Vallée (18) définit le système de soins primaires de la façon suivante : « Les soins primaires servent d’interface entre le patient et le système de soins, à la fois comme zone de premier recours (souvent suffisant), mais aussi parfois de carrefour entre les divers cheminements spécifiques. Il s’agit du premier cercle. Le rôle du médecin traitant n’est pas celui de simple gatekeeper, il doit pouvoir apporter une réponse spécifique efficace à toute demande du patient, y compris sous forme de recours aux cercles plus spécialisés de second accès et au-delà. Le praticien de soins primaires est appelé à jouer un rôle essentiel comme premier contact des patients avec le système de santé, mais aussi comme médiateur nécessaire entre la personne en demande de soins et un système de plus en plus complexe et fragmenté. » Il est possible de schématiser ce modèle d’organisation des soins de la façon suivant : il est de type concentrique, le patient étant placé au centre et accèdant au différents niveaux de soins selon ses besoins. Le niveau de soins primaires constitue la porte d’entrée dans le système. Il fournit des soins généralistes, intégrés, continus, accessibles à toute la population. Il coordonne et intègre les services nécessaires à d’autres niveau de soins. Le niveau de soins secondaires regroupe la médecine spécialisée au sens large (en ville ou à l’hôpital). Le niveau de soins tertiaire est celui de la médecine de haute technologie (hôpitaux universitaires). Toutefois, il faut noter qu’il existe une petite différence de signification entre « soins primaires » et « soins de premier recours » : le premier terme évoque plutôt un niveau de soins, le deuxième plutôt une accessibilité. Par exemple, les services d’urgence ne font pas partie du premier cercle des soins primaires car il s’agit déjà d’un niveau de soins très techniques, alors qu’ils le sont lorsqu’on parle de soins de premier recours, car il s’agit d’une porte d’entrée dans le système de soins. Ce même raisonnement est applicable aux spécialistes libéraux. Le terme de « soin primaire » est traditionnellement assimilé à la médecine générale. Le terme de « soins de premier recours » peut être plus ambigu, posant la question de l’existence de soins techniques spécialisés de proximité et d’accès direct. Le projet de loi HPST (19) utilise plutôt le terme de « soins de premier recours ». Il les reconnaît légalement (Article L411-11 du code de la santé publique), les définit et énonce leurs contenus de la façon suivante : « L’accès aux soins de premier recours ainsi que la prise en charge continue des malades sont définis dans le respect des exigences de proximité, qui s’apprécie en terme de distance et de temps de parcours, de qualité et de sécurité. Ils sont organisés par l’agence régionale de santé au niveau territorial défini à l’article L1434-14 et conformément au schéma régional d’organisations des soins prévu à l’article L1434-6. Ces soins comprennent : • La prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients • La dispensation et l’administration des médicaments, produits et dispositifs médicaux, ainsi que le conseil pharmaceutique • L’orientation dans le système de soins et le secteur médico-social • L’éducation pour la santé. » Les missions du médecin généraliste de premier recours sont également définies (article L4130-1 du code de la santé publique) : • « Contribuer à l’offre de soins ambulatoire, en assurant pour ses patients la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des maladies ainsi que l’éducation pour la santé. Cette mission peut s’exercer dans les établissements de santé ou médico-sociaux • Orienter ses patients, selon leurs besoins, dans le système de soins et le secteur médico-social • S’assurer de la coordination nécessaire à ses patients • Veiller à l'application individualisée des protocoles et recommandations pour les affections nécessitant des soins prolongés et contribuer au suivi des maladies chroniques, en coopération avec les autres professionnels qui participent à la prise en charge du patient • S’assurer de la synthèse des informations transmises par les différents professionnels de santé • Contribuer aux actions de prévention et de dépistage • Participer à la mission de service public de permanence des soins dans les conditions fixées à l'article L6314-1 • Contribuer à l'accueil et à la formation des stagiaires de deuxième et troisième cycles d'études médicales » En étudiant l’organisation des soins primaires dans différents pays, Bourgueil (20) définit trois modèles : Le modèle normatif hiérarchisé (Espagne/Catalogne, Finlande, Suède) est organisé par la loi, avec un découpage territorial couvert par une équipe de soins primaires pluridisciplinaires, regroupée en général au sein d’un centre de santé pluridisciplinaire. La loi fixe les ratios d’offre en soins primaires en fonction de la population. Le modèle professionnel hiérarchisé (Royaume uni, Pays bas, Australie, Nouvelle Zélande) est organisé autour des médecins généralistes qui ont une fonction essentielle de filtre et de pivot, mais aussi une responsabilité économique dans le système de soins. Leurs missions sont globalement celles décrites par la WONCA. Le modèle professionnel non hiérarchisé (Allemagne, Canada) repose également sur les médecins généralistes, mais sans projet global explicite des soins primaires. Le modèle français repose encore beaucoup sur le modèle professionnel non hiérarchisé. Toutefois, la réforme portant sur le statut de médecin traitant et sur le parcours de soins coordonnés instaurée par la loi de 2004 (17), introduit un principe de hiérarchisation de l’accès au système de soins inédit en France. Bourgueil (20) souligne que cette réforme « inscrit potentiellement les pratiques des médecins généralistes dans une logique populationnelle et territoriale. Elle ouvre des perspectives nouvelles en terme d’organisation des soins de premier recours et de pratiques dans les domaines de la prévention, de l’éducation thérapeutique, de la coordination des soins et de la réduction des inégalités de santé ». La loi HPST (19) votée en 2009 vient confirmer ce principe de hiérarchisation, à la fois : − Sur le modèle normatif, puisqu’il est fixé par la loi, mais sans organisation de type centres de santé, ni salariat et sans territorialisation, mais reposant plutôt sur une organisation régionale relevant de l’action des futures agences régionales de santé. − Sur le modèle professionnel, puisque reposant sur le médecin généraliste dont le statut et les missions sont maintenant reconnus par la loi. 3. Education thérapeutique et médecine générale Quelque soit les textes cités précédemment, on peut observer que l’éducation thérapeutique fait désormais partie intégrante des missions du médecin généraliste : WONCA (15): « La médecine générale favorise la promotion et l’éducation pour la santé par une intervention appropriée et efficace ». Projet de loi HPST (19): « Le médecin généraliste contribue à l’offre de soins ambulatoire, en assurant pour ses patients la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des maladies ainsi que l’éducation pour la santé ». (Article L1411-11) « L’éducation thérapeutique s’inscrit dans le parcours de soins du patient » (Aricle. L 11611) Doumont (7) souligne que le médecin généraliste est un acteur majeur de l’éducation thérapeutique, en raison de : • • La place centrale qu’occupe le patient L’approche globale qu’il est sensé pratiqué • • • • L’action qui s’inscrit dans le long terme Son positionnement en première ligne La relation de confiance qui se crée entre le patient et le soignant Du lien qui est réalisé entre l’individuel et la collectivité Toutefois, la HAS (2) précise que « l’exercice ambulatoire isolé n’est pas adapté, dans la majorité des cas, à la réalisation de programmes d’ETP structurés. » La SFSP, interrogée par la mission Saout (2), souligne la nécessité d’une éducation thérapeutique de proximité. En même temps, elle insiste sur le fait que, sans recours à des programmes structurés, on ne peut parler d’éducation thérapeutique. Dans cette approche, l’éducation thérapeutique, bien que de proximité, doit être réalisée par des équipes organisées s’appuyant sur des programmes structurés d’éducation répondant aux critères définis par la HAS. On sort donc du cadre actuel de fonctionnement des cabinets de médecine générale. Comment alors réaliser cette éducation thérapeutique de proximité en médecine générale tant souhaitée ? La réponse est peut-être contenue dans l’éditorial de Caillaux et Leroyer (21). Ils signalent que « ces dispositifs (programmes structurés) parfois lourds ne peuvent être extrapolés à l’ensemble de la prise en charge des patients chroniques. Le défi est alors, pour tout soignant, lors de chaque rencontre avec un patient, d’adapter sa démarche de soins ». Drahi (22), insiste de façon un peu provocatrice. Il ne conçoit pas l’éducation thérapeutique en dehors du soin de premier recours, elle en serait même inhérente lors de toute rencontre entre un professionnel et un malade. Gagnayre (10) souligne qu’en ce qui concerne l’éducation thérapeutique, « la transposition des expériences hospitalières dans le domaine ambulatoire s’avère peu pertinente », et encore moins quand il s’agit de la médecine générale en exercice individuel. Dans le rapport de la mission Saout (1), le rôle du médecin traitant semble pourtant bien explicité : « Le système de soin demeure encore trop centré sur la prise en charge des épisodes aigus. L’approche médicale, aujourd’hui très spécialisée, doit faire la place aux indispensables pratiques ambulatoires centrées sur le généraliste. Lorsqu’émerge une pathologie chronique, un lien particulier, voire privilégié, va se nouer avec le médecin. Ce colloque singulier entre le malade et le médecin doit être le temps privilégié où pourra s’initier et se formaliser la démarche d’éducation thérapeutique du patient aux côtés de celle du diagnostic ou de la thérapeutique mise en place. Le patient va bénéficier d’un parcours de soins au cours duquel il pourra participer à des activités d’éducation thérapeutique dans le but d’améliorer sa qualité de vie en le rendant le plus autonome possible. C’est au médecin traitant que devrait incomber la coresponsabilité avec le patient de l’élaboration, au minimum de l’étape du « diagnostic éducatif » selon l’expression retenue par la HAS. Ce diagnostic sera complété dans la structure éducative. Cela nécessite une formation spécifique. Ce diagnostic se concrétisera par un programme personnalisé dépendant du malade, de son environnement et du stade évolutif de sa maladie. Une fois établis les besoins du patient, le médecin devra pouvoir orienter son patient vers les structures locales, ambulatoires ou hospitalières, qui auront à mettre en œuvre le programme d’éducation thérapeutique et prendre en charge les différentes activités. Un retour devra être effectué pour que le médecin traitant soit informé des connaissances acquises à la fin du programme d’éducation. Une évaluation devra être réalisée pour « mesurer » les « transformations et les progrès ». En 2007 (23) une enquête a été réalisée en Indre et Loire sur l’éducation thérapeutique du diabétique et la médecine générale. Il en ressort que les médecins généralistes ont une vision incomplète de la nature de l’éducation thérapeutique et connaissent peu ou mal les outils qu’ils peuvent proposer (alors qu’ils en utilisent probablement certains), ainsi que les structures sur lesquelles ils peuvent s’appuyer. A ce sujet, il faut souligner le rôle important qu’ont les réseaux dans la formation et la sensibilisation des médecins généralistes. En effet, dans cette enquête les médecins qui participaient au réseau diabète avaient une bien meilleure connaissance et sensibilisation à l’éducation thérapeutique. Dans le domaine de la prévention (légèrement différente de l’éducation thérapeutique, mais faisant appel aux mêmes compétences psycho-pédagogiques), Doumont (7) relève, à partir des données de la littérature, les difficultés exprimées par les médecins généralistes pour s’investir dans cette mission : • Doute sur leur compétence dans les domaines qui font appel à des qualités psychopédagogiques • Pessimisme quant à la possibilité d’induire des changements de comportement de santé de la part des patients (ce pessimisme étant renforcé lorsque le médecin n’adopte pas lui-même des comportements de vie sains) • Absence de motivation lorsqu’il existe un désaccord avec les recommandations ou guides de bonne pratique • Craintes d’une dégradation de la relation soignant-soigné en abordant des questions ressenties comme « sensibles, intrusives ». A l’inverse, des éléments semblent favorisants : • • • • Un intérêt pour la formation continue Le fait d’informer, de chercher, de varier ses sources d’information Le fait de se sentir personnellement concerné par une démarche préventive Avoir un rapport au temps (de consultation non rémunérée par exemple) Il existerait donc un profil de médecins généralistes plus sensibilisés à la prévention que d’autres. La formation (initiale et continue) joue aussi et très certainement un rôle déterminant, mais encore faut-il que le médecin généraliste ait cette appétence pour la formation. Pourtant, les médecins généralistes ne devraient pas douter de leurs compétences relationnelles qui sont quasiment les mêmes que celles qui sont nécessaires à l’éducation thérapeutique. Dans son travail de rapprochement entre les compétences requises à la relation médecin-malade en médecine générale et en éducation thérapeutique, Fournier (24) relève leur grande similitude. Karrer (25) signale que les travaux réalisés sur l’éducation thérapeutique en médecine générale, sont essentiellement centrés sur une approche thématique (diabète, asthme…) plutôt que sur une approche populationnelle, conduisant à une prise en charge morcelée et/ou partielle de l’individu. Il en souligne les limites. Par exemple, les documents et outils utilisés sont thématiques et ne peuvent être multipliés à l’infini. Ainsi, une approche thématique de l’éducation thérapeutique en médecine générale est contraire aux fondements même de la médecine générale, celle-ci étant par essence multithématique. Des méthodes et des outils doivent pouvoir être utilisés quelque soit le thème. Le médecin généraliste ne doit pas savoir éduquer spécifiquement des patients atteints de telle ou telle pathologie, mais plutôt savoir adopter une attitude éducative avec tous les patients qu’il soigne, quelque soit leur pathologie. Ainsi, il n’est pas dans les fonctions du médecin généraliste de chercher à devenir un spécialiste de l’éducation thérapeutique. Doumont (7), en reprenant le travail de mémoire de Burton, cite : « Le médecin généraliste est amené à garder sa place de professionnel de la santé. Il est la personne ressource qui accompagne le patient dans sa vie de tous les jours, qui l’aide à l’améliorer et à se la réapproprier au fil des événements qu’il rencontre, en gardant sa place de référent « santé » et non de référent « universel » » Finalement, quelles sont les expériences pratiques d’éducation thérapeutique en cabinet de médecine générale ? Il faut souligner au passage, que lorsque l’on fait une recherche à partir du terme « éducation thérapeutique en ambulatoire », on ne trouve quasiment que des travaux concernant l’éducation thérapeutique en structures extrahospitalières (26), ce qui ne veut pas dire en médecine générale. Il est donc très difficile de trouver des travaux relatant une éducation thérapeutique en individuel et réalisée par des médecins généralistes. En dehors des expérimentations initiées par l’INPES et la CNAMTS citées par Karrer (24), je n’ai trouvé que deux publications relatant une pratique de l’éducation thérapeutique en individuel, réalisée par des médecins généralistes et à leur propre initiative : Drahi (27) explique sa pratique de l’éducation thérapeutique en individuel dans son cabinet lors de l’audition effectuée au Haut Conseil de la santé publique le 18 février 2009 (cf rapport de stage) Girard (28), en Suisse, témoigne de la manière dont elle intègre l’éducation thérapeutique dans sa pratique : • Consultations de 45 minutes pour un premier contact et de 30 minutes pour les consultations de suivi • Difficultés d’organisation, de gestion des rendez-vous, en particulier avec son secrétariat • Utilisation d’outils : journal de bord, appareil d’auto-mesures, cible des facteurs de risque cardiovasculaire pour rendre tangible les risques silencieux, identification du « locus de contrôle » interne ou externe… • Attitude particulière : écouter les mots du patient, porter attention à l’attitude physique du patient, aux émotions exprimées, savoir les relever, reformuler ce que l’on a compris ou détecté, rechercher les ressources du patient avant de proposer les siennes… Bien que très valorisantes et « exemplaires », ces pratiques de l’éducation thérapeutique en individuel sont à mon avis et en l’état actuel, peu transposables dans la pratique quotidienne des médecins généralistes : • Les consultations sont « longues » et non valorisées financièrement, • L’organisation est difficile à mettre en œuvre • Les médecins en question ont bénéficié d’un cursus de formation très particulier • Les outils éducatifs utilisables en médecine générale sont souvent méconnus, et doivent être développés et promus • La posture éducative utilisée est contraire à celle qui a été initialement enseignée. Un véritable « changement culturel » doit être réalisé (l’action prime encore sur l’écoute, l’approche globale reste plus complexe que l’approche bio-médicale stricte, concilier priorités thérapeutiques et objectifs de bien-être et de qualité de vie reste difficile…). Par contre, je relève des points positifs en ce qui concerne la relation soignant-soigné, qui est vécue comme : identique à celle qui devrait être pratiquée en médecine générale, mais différente, car fondée sur la participation active du patient, apaisée (sans affrontement puisque patient et soignant cherchent ensemble à trouver des solutions), Certains allant même jusqu’à parler de plaisir (7,27), ce qui peut être une réponse à l’épuisement professionnel (burnout) des médecins (13). IV. SYNTHESE PERSONNELLE Devant la profusion des concepts concernant l’éducation thérapeutique et les réformes récentes modifiant la place du médecin généraliste dans le système de soins, j’ai éprouvé le besoin de redéfinir ces sujets afin d’avoir les idées un peu plus claires. Toutefois, lorsque j’ai commencé ce cursus d’éducation thérapeutique, je n’étais pas complètement vierge de toutes notions en matière d’éducation. J’en avais acquis certaines lorsque je m’occupais de scoutisme. Cette formation m’a permis de me les remémorer. Il m’a semblé qu’elles restaient d’actualité et parfaitement applicables au domaine de l’éducation dite « thérapeutique ». 1. Rappel des notions de base sur l’éducation Le mot « éducation » est directement issu du latin educatio, lui-même dérivé de ex-ducere (ex signifie « hors de » et ducere « conduire, guider, commander ») : faire se développer (un être vivant), aider à grandir… Enseignement et éducation sont souvent confondus. L’enseignement se réfère plutôt à une éducation bien précise, en l’occurrence à la transmission de connaissances. Cette transmission de connaissances se fait à l’aide de signes, en particulier par le langage parlé et écrit. « Signes » et « enseignement » proviennent de la même racine latine. L’éducation correspond plutôt à la formation globale d’un individu. Elle vise à assurer à chaque individu le développement de toutes ses capacités (physiques, intellectuelles et morales), pour lui permettre d’affronter sa vie personnelle. Le mot « pédagogue » vient du grec παιδαγωγία, de παιδός, « l'enfant », et άγω, « conduire, mener, accompagner, élever ». Dans l’antiquité, il désigne l’esclave qui accompagne l’enfant à l’école, lui porte ses affaires, mais aussi lui fait réciter ses leçons et faire ses devoirs. La pédagogie est l’art d’éduquer. Actuellement, on délaisse un peu ce terme pour utiliser celui de « sciences de l’éducation ». Cependant, ce terme désigne toujours les méthodes et pratiques d’enseignement et d’éducation, ainsi que toutes les qualités requises pour transmettre un savoir quel qu’il soit (savoir, savoir faire, savoir être). Faire preuve de pédagogie signifie enseigner un savoir ou une expérience par des méthodes adaptées à un individu ou un groupe d’individus. Les pédagogies traditionnelles sont centrées sur les savoirs à transmettre et sur le maître qui enseigne. Elles reposent donc sur le savoir, le modèle, l’autorité, l’effort, l’individualisme et la sanction. Les pédagogies nouvelles apparaissent au début du XXè siècle. Elles défendent le principe d’une participation active des individus à leur propre formation. Elles s’appuient sur le principe de la pédagogie active, c’est à dire partir des centres d’intérêt de la personne et s’efforcer de susciter l’esprit d’exploration et de coopération. Elles reposent sur la confiance dans les ressources propres à chacun. Freinet va même jusqu’à dire que « la voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle ». 2. Deux réflexions A partir de ces notions de bases, et avec les connaissances acquises au cours de cette formation, il m’est venu deux réflexions : La première est qu’il existe toujours une certaine opposition entre d’une part, les partisans d’un enseignement traditionnel reposant sur l’acquisition de connaissances et d’autre part, les partisans des pédagogies nouvelles cherchant à former des individus citoyens responsables dans la société en s’appuyant sur les ressources propres à chacun. Cette opposition reste d’actualité, comme il est possible de l’observer dans les débats qui animent les programmes de l’Education Nationale en France, mais aussi dans les discussions qui cherchent à définir précisément ce que devrait être l’éducation thérapeutique du patient. On retrouve d’un côté une tendance qui s’appuie sur des programmes structurés, une évaluation sur des critères de résultats (biomédicaux ou d’apprentissage), une amélioration des soins, une rationalisation des coûts … De l’autre côté, on parle de développement individuel, d’amélioration de la qualité de vie, d’autonomie, de prise de pouvoir (empowerment)… La deuxième est cette notion de pédagogue : esclave accompagnant l’élève sur le chemin de l’école. Cette image m’a toujours beaucoup plu car je trouve qu’elle est particulièrement illustrative de ce que devrait être la place du médecin généraliste dans le domaine de l’éducation thérapeutique. Elle est pleine d’humilité. On observe en effet, qu’il ne s’agit pas d’une relation de maître à élève. Le pédagogue est au service de l’élève. Il l’accompagne sur le chemin de l’école. Ce chemin peut être considéré comme une métaphore du chemin de la vie, du chemin vers l’autonomie. De même quand le pédagogue aide l’élève à porter ses affaires, il peut s’agir d’une image illustrant l’aide à porter le fardeau de la vie, l’aide à porter le poids de la maladie. Ainsi, dans cette image du pédagogue, on retrouve cette notion de posture si chère à certains tenants de l’éducation thérapeutique. Cette posture éducative, que d’autres appellent attitude éducative, me paraît être un préalable à toute démarche d’éducation thérapeutique. Elle nécessite des qualités d’écoute, d’empathie, de disponibilité, de soutien psycho-social… Elle incite à sortir de cette position du médecin qui « sait » et à accepter que le patient a lui aussi un savoir. Elle oblige à sortir de cette position injonctive et prescriptive à laquelle nous avons tous été formés. Ainsi, ensemble avec le patient, dans une attitude d’accompagnement, à l’image d’un compagnon de route, le médecin généraliste va soutenir son patient, l’aider à acquérir des compétences, éventuellement explorer différents chemins (tâtonnement expérimental de Freinet ?), permettant au patient de se construire une nouvelle vie avec la maladie, d’être plus autonome, de prendre le pouvoir, de l’aider à grandir... C’est dans cette relation duelle privilégiée, côte à côte (plutôt même que face à face), construite dans la durée, qu’à mon avis, se trouve toute la place du médecin généraliste dans le domaine de l’éducation thérapeutique. C’est au long du chemin (parcours de soins), grâce à cette posture adoptée par le médecin généraliste (pédagogue conduisant à l’école), que le patient entrera dans un programme d’éducation thérapeutique structurée (école), évitant ainsi les déboires parfois rencontrés de programmes d’éducation parfaitement bien construits, mais auxquels personne ne participe car les patients n’y ont pas été « accompagnés ». Je relève au passage qu’il est dommage qu’en éducation thérapeutique le terme « actions ou programmes d’accompagnement » d’inspiration anglo-saxonne, soit rattaché aux notions de « Disease management », dénaturant le terme « d’accompagnement » tel que je viens de le présenter. 3. Proposition de modélisation de la place du médecin généraliste dans la démarche d’éducation thérapeutique En synthèse à toutes ces réflexions, je proposerais un modèle portant sur l’organisation de l’éducation thérapeutique, dans lequel la place du médecin généraliste est clairement identifiée. En se référant au modèle de niveaux de soins (primaires, secondaires, tertiaires) décrit précédemment, on pourrait calquer la pratique de l’éducation thérapeutique en trois niveaux. • L’éducation thérapeutique au niveau des soins primaires Elle concerne en tout premier lieu le médecin généraliste. C’est lui, dans cette relation duelle inscrite dans la durée, décrite précédemment, qui va accompagner son patient atteint d’une maladie chronique sur le chemin de l’autonomie. C’est essentiellement par son attitude, sa posture, qu’il va pouvoir comprendre ce que comprend le patient, qu’il va pouvoir identifier les représentations et les difficultés à prendre en compte, mais aussi les ressources sur lesquelles s’appuyer, qu’il va, sur les bases d’une décision partagée, construire des objectifs qui ont du sens pour le patient. Cet aspect et la formation nécessaire à ce premier « diagnostic éducatif » sont bien soulignés dans le rapport de la mission Saout (paragraphe 3.2.1). Cette approche de l’éducation est vraiment centrée sur la personne et non sur un thème de santé. Le médecin généraliste adopte cette attitude éducative avec tous les patients, quelque soit leur pathologie. Ensuite : Soit le médecin généraliste réalise lui-même l’enseignement permettant au patient d’acquérir les connaissances et compétences qui vont lui permettre d’être autonome, de prendre le pouvoir sur sa maladie et sur sa vie. Quelques généralistes militants se sont lancés dans cette voie, mais cela nécessite de telles modifications dans l’organisation de la pratique médicale que les expériences rapportées ne me paraissent pas, en tout cas actuellement, transposables à l’ensemble des généralistes. Mais des travaux de recherche sont à développer : éducation thérapeutique séquentielle, méthodes et moyens adaptés au rythme de la médecine générale… Soit il peut faire appel à d’autres acteurs de soins primaires (infirmières, pharmaciens, diététiciennes, kinésithérapeutes, éducateurs médico-sportifs, orthophonistes, ergothérapeutes, psychologues…) qui, chacun selon ses compétences, pourra répondre aux besoins exprimés par le patient. Toutefois, le recours à différents acteurs travaillant isolément, sans coordination, peut induire des effets contraires en apportant des messages contradictoires. - Soit il peut proposer au patient de participer à un programme structuré d’éducation dans une structure d’éducation thérapeutique de soins secondaires. Il est donc nécessaire qu’il connaisse l’existence de ces structures. Bien entendu, il devra être tenu informé du déroulement de ce programme et des acquis, et ainsi, pouvoir poursuivre ce chemin engagé avec le patient. Si le besoin s’en fait sentir, d’autres participations à ces programmes d’éducation pourront être proposées. Ces trois possibilités ne s’excluent pas l’une de l’autre. Selon les ressources disponibles, les besoins exprimés ou le moment, l’une ou l’autre peut s’appliquer. • L’éducation thérapeutique au niveau des soins secondaires Elle fait appel à des équipes structurées, coordonnées, multidisciplinaires, formées, fonctionnant selon les recommandations établies par l’HAS. Les médecins généralistes doivent s’impliquer dans ces équipes sur la base du volontariat et avec une rémunération spécifique. Ils doivent participer à l’élaboration, à la réalisation et à l’ évaluation à ces programmes d’éducation thérapeutique, en apportant leur expertise de la médecine de soins primaires. Ces équipes peuvent être constituées au niveau des réseaux ou des structures hospitalières (de l’hôpital local au CHU, en passant par les hôpitaux généraux ou les services de soins de suite et de rééducation). Ce travail en équipe peut également être organisé au niveau des maisons de santé, des territoires de santé ou des centres de santé. Il faudra alors que les activités d’éducation soient conduites par des équipes telles que définies ci-dessus, pour apporter davantage que la simple juxtaposition d’acteurs de soins primaires. Cela nécessite donc des temps d’élaboration de programme, de coordination et d’évaluation, posant en secteur libéral, toujours les mêmes problèmes de temps et d’argent. Un « bagage éducatif » commun est indispensable, nécessitant une formation adéquate de tous les acteurs. • L’éducation thérapeutique au niveau des soins tertiaires Elle est également portée par des équipes structurées, coordonnées, pluridisciplinaires, hautement formées. Ces équipes ont alors un rôle d’exemple et d’expertise, avec des missions d’enseignement et de recherche. Cela correspond aux missions des hôpitaux universitaires. V. PISTES POUR L’ACTION A partir de ce qui a été expliqué précédemment, et en restant dans mon rôle de médecin généraliste, je souhaiterais développer les pistes suivantes : Au niveau de l’éducation thérapeutique de soins primaires - Améliorer mes compétences relationnelles (formation à l’écoute active, à l’entretien motivationnel…), pour mieux faire émerger l’expression des patients et ainsi, permettre d’élaborer ensemble des propositions répondant aux besoins préalablement exprimés. - Réfléchir au développement d’outils et de méthodes d’éducation thérapeutique adaptés au rythme de la médecine générale (consultations dédiées, éducation thérapeutique séquentielle, programmes d’apport de connaissances avec des outils ludiques et adaptés à l’entretien individuel et à des temps brefs…) - Connaître dans mon périmètre d’activité, les offres d’éducation thérapeutique de soins secondaires pour pouvoir les proposer aux patients. Eventuellement, aider à les mettre en place et à les développer. - Développer l’expertise de la médecine générale et de l’éducation thérapeutique en soins primaires, pour pouvoir la transmettre aux collègues (formation continue) ou aux futurs médecins généralistes (formation initiale dans le cadre de mes fonctions d’enseignant clinicien ambulatoire) Au niveau de l’éducation thérapeutique de soins secondaires - Adhérer à un réseau de santé qui pratique l’éducation thérapeutique (en l’occurrence, je pense au réseau GENTIANE dont l’activité est davantage en rapport avec le profil de mes patients que le réseau RéPPOP), afin d’améliorer ma pratique de l’éducation thérapeutique encore très débutante et de participer à une démarche structurée d’éducation thérapeutique, pluridisciplinaire et en groupe. VI. BIBLIOGRAPHIE SAOUT C., CHARBONNEL B. et BERTRAND D. Rapport à l’attention de Mme la Ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative : Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient. Mise à jour : 2 septembre 2008, 165 p. http://www.sante-sports.gouv.fr HAS. Guide méthodologique : Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques. Mise à jour : 13 novembre 2007, 106 p. http://www.has-sante.fr D’IVERNOIS J.F. et GAGNAYRE R. Les programmes structurés d’éducation thérapeutique. Actualité et dossier en santé publique, mars 2009, N°66, pp. 33-34 PELICAND J., FOURNIER C. et AUJOULAT I. Observance, auto-soin(s), empowerment, autonomie : quatre termes pour questionner les enjeux de l’éducation du patient dans la relation de soins. Actualité et dossier en santé publique, mars 2009, N°66, pp.21-23 SANDRIN-BERTHON B. L’éducation thérapeutique : pourquoi ? Médecine des maladies métaboliques, mars 2008, volume 2, N°2, pp. 155-159 HECQUART P. 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Education du patient et enjeux de santé, 2004, volume 22, N°1, pp. 7-10 Résumé En France, 15 millions de personnes, soit 20 % de la population, sont atteintes plus ou moins sévèrement d’une maladie chronique. Depuis un peu plus de dix ans, l’éducation thérapeutique s’est développée et a montré son intérêt dans l’amélioration de la prise en charge et de la qualité de vie de ces patients porteurs de maladies chroniques. Depuis 2004, la France s’inscrit dans une démarche de hiérarchisation de son système de santé en légalisant le statut de médecin traitant et l’existence d’un parcours de soins coordonnés. Dans ce contexte et à partir des définitions et des pratiques de l’éducation thérapeutique et de la médecine générale, ce travail essaie de répondre à la question du rôle qu’est amené à jouer le médecin généraliste dans cette démarche éducative et de proposer un modèle d’organisation de l’éducation thérapeutique en trois niveaux. Le premier niveau pourrait correspondre à la pratique de l’éducation thérapeutique en médecine générale. Mots clés : éducation thérapeutique, médecine générale, soins primaires.