La médecine de famille doit assumer le fait d`être une spécialité

REVUE MÉDICALE SUISSE
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11 janvier 2017
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La médecine de famille doit assumer
le fait d’être une spécialité
INTERVIEW DE NICOLAS SENN PAR MARINA CASSELYN ET BERTRAND KIEFER
La médecine générale a-t-elle enfin réussi à trouver sa place
dans l’enseignement de la médecine ?
Disons qu’elle s’installe lentement dans son rôle. Le but est que
les étudiants apprennent à exercer d’abord une logique de rai-
sonnement clinique de médecin généraliste, et ne recourent à
des connaissances spécialisées que dans un deuxième temps.
Il est clair que cette vision suscite des frictions. Les enseigne-
ments traditionnels de sciences fondamentales et de spéciali-
tés sont bousculés. Mais la médecine générale doit s’affirmer
dans ce rôle de socle de l’approche médicale.
Autrement dit, sortir de la marginalité ne lui suffit pas :
la méde cine générale revendique une place centrale dans
l’enseignement ?
Oui : cette revendication s’inscrit dans un puissant courant
international qui vise à revaloriser la médecine générale mais
aussi à déshospitaliser et déspécialiser les soins. Porté entre
autres par l’OMS, ce courant se renforce depuis une dizaine
d’années. Il s’agit de l’aboutissement d’une réflexion plus
ancienne : depuis quarante ans, des pionniers comme Barbara
Starfield placent le centre de gravité du système de santé dans
la médecine générale et plus généralement dans les soins pri-
maires. Cette approche s’installe petit à petit à Lausanne. Mais
beaucoup reste à faire. Pour le moment, l’Institut universitaire
de médecine de famille n’intervient que de façon ponctuelle
dans certains modules transversaux – en particulier les deux
qui sont gérés par la PMU - entre la première et la dernière
année de médecine. Quant à l’enseignement ex cathedra, il
reste très limité : une vingtaine d’heures. En même temps, il
faut souligner les grandes avancées de l’enseignement de la
médecine générale au niveau pratique. Avec, par exemple, les
stages en cabinet d’un mois, obligatoires pour les étudiants en
prégradué. Plus de 200 médecins sont impliqués dans ce sys-
tème. Ces stages génèrent une véritable dynamique autour de
la médecine générale.
Ces progrès, les stages en particulier, ont-ils entraîné une
augmentation des vocations pour la médecine générale ?
L’effet reste pour l’instant assez limité. D’autant que les inci-
tatifs qui poussent les jeunes à se lancer dans d’autres spécialités
restent très importants. Les étudiants le disent eux-mêmes :
les questions du revenu et de la valorisation sociale du travail
sont centrales à leurs yeux.
Les incitatifs de la Confédération poussent notamment
Fribourg et l’EPFZ à développer de nouvelles filières
médicales. Est-ce exagéré ?
Je me demande sincèrement si l’on ne fait pas fausse route. Le
discours politique auquel ces incitatifs répondent met en scène
la pénurie de médecins, même s’il est vrai que certaines ré-
gions souffrent d’un manque actuel de médecins. Mais il évite
les questions de fond. Par exemple, celles portant sur l’orga-
nisation du système de santé ou la manière de délivrer les soins.
Ainsi, la vision actuelle des soins primaires reste complète-
ment médicocentrée, ce qui engendre une forte surcharge de
travail pour les généralistes. Mais la solution n’est pas unique-
ment d’en former plus : elle est à mon avis surtout de réorga-
niser de façon fondamentale la façon dont sont organisés les
soins. En fait, le sentiment subjectif de pénurie n’est que
partiellement validé par les chiffres. En effet, la Suisse a une
densité de médecins généralistes plus élevée que la plupart
des pays européens. Elle en a par exemple deux fois plus que
les Pays-Bas, un pays qui ne mentionne pas de pénurie.
Comment repenser le système de santé pour diminuer la
surcharge des généralistes ?
Il n’y a pas d’autre choix que de répartir autrement ce qui revient
à l’hospitalier, à l’ambulatoire et aux soins à domicile. Et de
changer également la répartition des tâches entre les différentes
professions. La surcharge des cabinets est liée au fait que tout
gravite autour du médecin installé. Il pratique trop de tâches
qui devraient être gérées en groupe. Les appels téléphoniques
ou une bonne partie des tâches administratives, par exemple.
Mais aussi certains soins. Les spécialistes font face aux mêmes
problèmes. En ce qui les concerne aussi, il est temps de viser
une « coordination décentralisée ». Le centre de gravité de la
gestion des soins devrait se trouver dans des unités qui suivent
l’ensemble des patients au quotidien et également lors d’hos-
pitalisations ou de visites chez un autre spécialiste. L’hôpital,
en effet, doit rester une étape ponctuelle dans un parcours de
soins et non ce qui gouverne l’ensemble. Ces unités devraient
être centrées sur le cabinet, et accompagner les patients vers
l’extérieur. Les bénéfices seraient multiples : les études mon trent
Pr NICOLAS SENN
Institut universitaire de médecine de famille
de Lausanne
Policlinique médicale universitaire
Quartier UNILCHUV Rue du Bugnon 
 Lausanne
nicolassenn@hospvdch
Directeur de l’Institut universitaire de médecine de famille de
Lausanne et professeur associé à la Faculté de biologie et de mé-
decine de l’UNIL depuis le 1er août 2016, Nicolas Senn estime que
la médecine générale ne doit pas être considérée comme une
médecine sans spécialité, mais bien comme une spécialité à part
entière, avec une approche spécifique des problèmes de santé.
Dans l’interview qui suit, il explore les défis posés par l’évolution
de la médecine générale, de son enseignement à sa pratique, en
passant par la recherche et les rapports avec les nouvelles
technologies.
IntervIew
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qu’en renforçant les soins primaires, on réduit les coûts, mais
aussi le recours aux urgences, les hospitalisations. Mais sur-
tout, à la fin, on améliore l’état de santé de la population.
Comment évoluer vers de telles structures ?
Je crois à la vertu de l’exemple. L’une des missions de l’IUMF
me semble donc d’innover dans ce domaine. En partenariat
avec la Santé publique et les médecins installés, la PMU et
l’IUMF développent dans le canton de Vaud de nouveaux
modèles d’organisation et de coordination des cabinets, qui
intègrent cette nouvelle façon de fonctionner. On est dans
une expérimentation de systèmes qui peuvent vraiment faire
changer toute l’architecture actuelle. En plus, avec ces nouveaux
modèles, nous cherchons à faire envie aux jeunes comme aux
médecins déjà installés depuis longtemps.
L’un des problèmes de l’interprofessionnalité telle que vous la
concevez est celui de la responsabilité, qui repose aujourd’hui
entièrement sur les épaules des médecins. Qu’en pensez-vous ?
C’est une question qui est bizarrement occultée. Le tarif infir-
mier a été discuté, même si le résultat s’est réduit
à pas grand-chose. Mais lors des rencontres que
nous avons eues avec des infirmières, la question
de la responsabilité de la prescription a toujours
été éludée. Peut-être pour ne pas fâcher les méde-
cins. Mais cette question est essentielle. Tant que la
responsabilité est déléguée, le système ne peut pas
réellement évoluer. Mais les médecins actuels n’ont aucun
avantage à prolonger cette situation : sans partage de respon-
sabilité entre les professions, il faudra former un plus grand
nombre de médecins... au risque de dévaloriser la profession.
Comment voyez-vous le généraliste de demain ?
Quelles seront ses tâches ?
Première chose : il faut dépasser l’image d’expert psychosocial.
C’est une voie qui a enfermé le généraliste dans le nuage de la
complexité et de la relation patient-médecin – ce qui n’est pas
forcément attirant pour les jeunes. Je le vois plutôt comme un
spécialiste scientifique qui intègre tous les outils de connais-
sance de la personne. Y compris les anciens revisités par les
nouvelles technologies. Le stéthoscope, par exemple, sera
probablement en partie remplacé par un appareil à ultrasons
miniaturisé, qui permettra d’être plus performant, sans avoir
besoin de solliciter des examens à l’extérieur. Il faudra veiller
à ce que ce ne soient pas les technologies qui gouvernent
l’ensemble, mais il est certain que les nouvelles technologies
augmenteront les capacités cliniques du médecin généraliste.
L’expertise psychosociale ne constitue donc pas le cœur de
la médecine générale ?
Il ne faut bien sûr pas négliger cette expertise. Mais en faire la
singularité de la médecine générale est une erreur. Les étu-
diants sont de toute façon devenus bien meilleurs dans la
relation patient-médecin car elle est bien enseignée, notam-
ment grâce aux patients simulés et à des cours spécifiques sur
la communication patient-médecin. Les aspects d’intégration
des savoirs médicaux font aussi l’objet de beaucoup d’atten-
tion. En réalité, l’expertise psychosociale est devenue la com-
pétence de base de tous les médecins.
Quel rôle va jouer le transfert dans les mains des patients de
technologies en santé, par exemple les dispositifs qui se
branchent sur les smartphones ?
Quelques patients viennent déjà au cabinet avec leurs propres
mesures de paramètres de santé, et le mouvement va certai-
nement s’amplifier. On pourra utiliser en partie ces informa-
tions, mais il faudra en même temps travailler avec les pa-
tients sur la façon de les comprendre. Cette approche n’est
d’ailleurs pas nouvelle. On voit depuis longtemps des patients
qui viennent après avoir mesuré leur température ou leur ten-
sion plusieurs fois par jour, sans nécessité. Il est cependant
probable qu’un savoir particulier des patients apparaisse en
même temps que l’augmentation de l’automesure. Et il faudra
les aider à l’utiliser au mieux.
Beaucoup de spécialistes – dont certains sont peut-être des
prophètes intéressés – affirment que d’ici une dizaine d’années
chacun aura son génome séquencé et que cela changera la
médecine. Comment préparer les étudiants à ce futur encore
incertain ?
Le médecin est quelqu’un d’assez concret qui enseigne surtout
ce qu’il sait faire. Enseigner ce qu’on va peut-être faire, mais
qui reste en grande partie hypothétique, ne me
semble pas avoir beaucoup de sens. En revanche,
il est essentiel de garder le radar intellectuel porté
sur les technologies récentes et à venir, mais
enseigner des hypothèses à des étudiants ne ser-
virait pas à grand-chose.
Mais au moins faut-il les préparer à exister et leur donner les
moyens de leur liberté dans le futur ?
Oui, les étudiants doivent être prêts à réagir à des change-
ments rapides. Quant à nous, comme praticiens généralistes,
nous sommes assez ambivalents. Nous aimerions à la fois être
rassurés sur notre pratique actuelle et participer à ce qui
arrive de nouveau.
A votre avis, quel est le meilleur format pour la pratique des
généralistes : grandes structures, cabinets de groupes, maisons
de santé ?
La taille qui me semble combiner satisfaction de travailler et
réponse adéquate aux besoins des patients n’est ni une immense
structure d’une cinquantaine de médecins ni, encore moins, le
cabinet solo. D’autres pays, qui ont documenté une expérience
importante de grosses structures, les Etats-Unis par exemple,
tentent un retour en arrière vers de plus petites entités. Le
meilleur format est probablement une structure de taille
moyenne, 4 ou 5 médecins, où l’on peut garder la continuité
avec un patient qui sait à qui il a affaire, et où les soignants ne
sont pas interchangeables mais complémentaires. L’idéal serait
d’associer d’autres professions à de telles structures, avec la
présence des soins complémentaires de base, telles que les
infirmières de pratique avancée, les ergothérapeutes, etc.
Quelles sont les différences, dans la manière de soigner,
entre grands centres et petites structures ?
Les grands centres de médecine ambulatoire du type de ceux
développés par de grands groupes, notamment financiers, occu-
pent généralement des niches. Ils s’installent dans des centres
urbains comme les gares, non dans des régions rurales, et visent
parfois une clientèle sélectionnée de patients à plutôt bon
risque. Peut-être cependant occuperont-ils un jour l’entier du
marché. Cela dépendra non pas des médecins mais des choix
politiques.
IL FAUT DÉPASSER
L’IMAGE
D’EXPERT
PSYCHOSOCIAL
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Faut-il s’en inquiéter ?
En effet, cela pose un certain nombre de questions sur les
valeurs de notre système de santé. Quand la santé est vue
essentiellement dans une perspective de marché et de rende-
ment, elle tend à s’éloigner des notions d’équité des soins ou
de continuité de soins de proximité, si importants en méde-
cine de famille. L’important est que la médecine de premier
recours garde des liens avec une vision de santé publique. En
plus de s’intéresser aux individus, elle doit défendre une
vision populationnelle. C’est d’autant plus vrai avec l’arrivée
de la médecine personnalisée et de soins conçus pour être
très individualisés.
Qu’entendez-vous par « vision populationnelle » ?
Cela veut dire : répondre aux besoins de la population autant
qu’à ceux des individus. Ce rôle de soins à la population doit
être développé et valorisé. La technologie peut aider à pro-
gresser dans ce sens. Actuellement en Suisse, un médecin ne
sait généralement pas combien de patients il suit. Avec une base
si faible, il est difficile de savoir comment servir l’ensemble
des patients, même à l’échelle d’une petite struc-
ture. Pour décider par exemple d’engager une
infirmière dédiée aux soins des patients diabé-
tiques, il faut d’abord connaître leur nombre.
Le souci de « mettre le patient au centre » reste-t-il
un enjeu important ?
Oui, d’autant plus que ce souci se trouve noyé
dans un discours continu et peu concret. Centrer
les soins sur le patient a tendance à devenir un
slogan, un programme qui se vide de son véritable contenu, voire
se retourne contre le but initial. Dans bien des situations, le
patient n’est pas plus au centre qu’avant, sauf que l’on p-
sente les choses de manière différente. Par ailleurs, l’important
ne me semble pas d’atteindre une égalité parfaite du patient
avec le soignant, le patient devenu expert décidant pour lui-
même. Il s’agit plutôt de s’attacher à des concepts tels que la
littératie en santé : s’assurer que le patient ait les outils qui lui
permettent de comprendre sa situation et ensuite, éventuelle-
ment, de décider. Mais les médecins resteront face à des patients
qui ont besoin d’être accompagnés dans leur prise de décision.
Dans votre nouvelle activité de professeur de médecine de
famille, quelles pistes de recherche suivez-vous ?
Dès que l’on parle de recherche en médecine générale, la
question est : quel est le thème ? Et si l’on dit : « voilà un thème
de médecine générale », il y a toujours un spécialiste pour
affirmer « mais non, il s’agit d’infectiologie, ou de cardiologie,
ou d’autre chose ». La médecine générale n’est en réalité pas
tellement une question de thématique, mis à part peut-être
pour la multimorbidité, mais d’approche spécifique pour des
maladies à haute prévalence dans la population. Davantage
que d’essais cliniques ou pharmaceutiques bien contrôlés, il
s’agit de lancer des études méthodologiques de type pragma-
tique, qui s’intéressent à l’impact, dans des conditions réelles,
d’interventions cliniques. Les actuelles guidelines sont très
rarement basées sur de telles études. Elles se fondent sur des
recherches impliquant des populations sélectionnées. Pour le
généraliste, qui travaille la plupart du temps avec des patients
souffrant de multiples troubles, c’est frustrant.
Par ailleurs, puisque la médecine de famille est un acteur
essentiel du système de santé, il est important qu’elle pilote
une recherche dans ce domaine. Bien soigner les patients ne
passe pas que par des interventions cliniques efficaces mais
aussi, souvent, par une organisation optimale des soins.
Même si le système propose le meilleur traitement du monde,
si un patient ne peut y accéder, il n’ira pas mieux !
La médecine personnalisée est-elle une solution pour faire
évoluer la recherche sur des cohortes standardisées ?
La médecine personnalisée, je ne sais pas. En tout cas, le
thème n’est pas encore à la mode, chez les médecins généra-
listes. Je suis allé récemment à l’une des plus importantes
conférences de recherche sur les soins primaires, aux Etats-
Unis. Sur près de 1000 présentations orales, il n’y en avait
qu’une sur la médecine personnalisée. Mais l’enregistrement
d’informations en continu, oui : le thème commence à prendre
de l’importance. De nouvelles technologies vont permettre de
mesurer l’impact sur la santé des activités au quotidien. Nous
travaillons déjà ce type de données dans nos études sur le
diag nostic précoce et la prise en charge des maladies liées à l’âge.
Autrement dit, la recherche en médecine
générale profitera-t-elle de ces nouvelles
technologies et de la collecte de données ?
Pour autant que ce soit elle qui se trouve aux
manettes… Il est clair que nous n’avons actuel-
lement ni les ressources, ni les personnes pour
récolter et analyser de très grandes masses de
données. Les gens qui s’intéressent à ce domaine
sont dans des environnements ultra-spécialisés.
Concernant les grandes métadonnées, nous, les
médecins, sommes myopes, incapables de voir des choses
détaillées. Les seules structures qui nous fournissent des in-
formations sont les systèmes de practice based research networks.
Nous avons certes parfois accès aux dossiers des patients,
lorsque les médecins fournissent des rapports. Ce qui est im-
portant, car l’une des spécificités de la recherche en médecine
générale est de travailler à la fois au niveau du médecin et à
celui du patient. Dans notre projet sur les personnes âgées,
chaque médecin – ils sont une soixantaine – est rattaché à une
douzaine de patients, et lié aux autres médecins par un ré-
seau. Grâce à cela, 700 à 800 patients seront suivis pendant
plusieurs années. De manière plus large, un projet qui nous
tente beaucoup consisterait à mettre en réseau tous ces cabi-
nets pour créer une sorte de laboratoire vivant.
Les données vont être de plus en plus au cœur du système
de santé, mais elles supposent de très gros moyens de
stockage et d’analyse. Comment voyez-vous le danger de
prise de pouvoir par le Big Data ?
Dans le domaine de la santé, ce danger reste abstrait. Il faut
certes être inquiet, lorsqu’on observe les prises de pouvoir
dans d’autres domaines. Google, par exemple, qui capitalise
d’immenses quantités de données sur chaque individu, prend
une importance troublante. Le pire serait de ne pas vouloir
regarder ce qui arrive. Dans ce domaine comme dans d’autres,
il faut, me semble-t-il, apprendre à jouer un rôle de scrutateur.
Puisque les données ne sont plus traitées par des instances
médicales ou même sanitaires, mais dans de gigantesques
s ystèmes de gestion, leur utilisation peut aussi bien être mal-
veillante que bienveillante. Mais il est sûr que cette gestion,
qui échappe à l’ensemble des médecins, généralistes et spé-
cialistes, représente avant tout un problème politique.
LA MÉDECINE DE
PREMIER
RECOURS DOIT
GARDER DES
LIENS AVEC UNE
VISION DE SANTÉ
PUBLIQUE
IntervIew
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Pourtant, la collecte d’immenses quantités de données
permettrait d’inscrire la médecine générale dans une
dynamique de recherche continue ?
Il faut surtout installer une culture de recherche incluant le
plus de monde possible, et interférant le moins possible avec la
pratique quotidienne, ce que pourront permettre les nouvelles
technologies. Mais nous pouvons commencer à mettre en
réseaux les dossiers informatisés et ainsi accéder directement
au patient. Ce serait déjà beaucoup. Préparer en plus la mé-
decine générale au futur me semble crucial. Ce qui suppose de
changer certains aspects de la culture actuelle. Or il est diffi-
cile d’accompagner les médecins dans de nouvelles manières
de travailler, en particulier parce qu’ils sont souvent submergés
de travail.
D’une manière générale, le savoir médical à disposition est flou,
par exemple à cause d’études non publiées ou de données
non disponibles, mais il est en plus souvent inadapté pour
répondre aux questions que se posent les généralistes. Que
faire face à ce problème ?
Pour répondre, je dirais que j’ai vécu dans un contexte tout à
fait différent, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où j’étais allé
pour des études de prévention de la malaria chez les enfants.
On arrivait à une espèce de paradoxe, puisqu’on obtenait dans
une étude clinique une réduction de 30 % du
risque de malaria, mais lorsqu’on élargissait l’angle
d’analyse hors de la malaria, on voyait que dans la
même étude on n’avait en réalité aucun effet sur
la morbidité générale. Les enfants étaient autant
malades que sans intervention de prévention de
la malaria. Pourquoi alors mettre en place une
telle intervention ? Quelle était l’hypothèse qui
expliquait ce paradoxe ? Un déplacement de la
morbidité, ou bien une mauvaise définition de la malaria ? Je
penche pour la deuxième hypothèse. C’est un raccourci de
dire cela ainsi, mais cet exemple illustre bien les questions
posées en recherche en médecine de famille : dès que l’on
commence à élargir le spectre d’évaluation, on se rend compte
que la bonne médecine n’a plus rien de simple. On peut tou-
jours restreindre notre champ d’observation en disant qu’en
traitant l’hypertension on va diminuer le nombre d’infarctus.
Mais qu’en est-il de l’impact global ? De tous ces concepts qui
gravitent autour de l’effectiveness ? L’avantage des nouvelles
technologies est de nous aider à mesurer ces aspects sur de
grands groupes de population.
Il existe donc une forte marge de progression dans les
connaissances qui sous-tendent le travail du généraliste…
Oui, mais des progrès sont en cours : des institutions comme
le Fonds national suisse pour la recherche commencent à
être réceptives. Nous avons pu lancer une étude sur la per-
sonne âgée dans les cabinets de médecine générale, une étude
uniquement clinique, sans intervention, ni médicamenteuse
ni autre. On ne modifie que la façon dont sont pris en charge
les patients. Nous nous intéressons aussi aux facteurs non
médicaux qui modifient la santé des gens, que ce soit les
déterminants sociaux de la santé ou les déterminants de sys-
tème. C’est un énorme champ d’investigation qui regarde le
système de santé, les éléments d’accès au système de santé et
de coordination. Parce que non biomédicaux, ces aspects sont
encore mal perçus, mais ils ont un impact important sur la
santé des gens. On sait que l’augmentation de l’espérance de
vie n’est due que pour un tiers – la moitié au maximum – aux
progrès de la médecine. Le restant est lié à l’hygiène, au niveau
socio-économique et à l’organisation du système de santé.
Instaurer une nouvelle culture de la recherche pourrait
changer toute la dynamique de la médecine générale.
Est-ce votre vision ?
Oui. Je crois beaucoup à un phénomène de cercle vertueux.
Nous délivrons des certificats aux cabinets enseignants et nous
travaillons au développement de structures de recherche. Le
but est que chaque cabinet ou groupe de médecine générale
soit aussi une entité de recherche, ce qui permettrait de va-
loriser le rôle des généralistes dans la recherche en réseau.
L’une des missions d’un institut de médecine de famille me
semble être de créer une émulation. Dans le réseau, les mé-
decins peuvent aussi suggérer des thématiques et apporter
des idées. La richesse et la diversité locales se mêlent ainsi au
réseau international, qui commence à se développer autour
de cette nouvelle culture.
Quel pays représente à vos yeux le meilleur modèle pour la
recherche et les structures en médecine générale ?
Le Québec, les Pays-Bas ou les pays scandinaves ont développé
des modèles intéressants. Tous n’ont pas abouti à des situa-
tions parfaites, mais ces pays ont développé une
culture du réseau et de la réflexion concernant le
développement des soins primaires. Le modèle
anglais a changé, il a évolué vers un système
extrêmement financier de paiement à la perfor-
mance qui commence à montrer ses limites. Les
actes non rémunérés ne sont que peu effectués.
Ce que l’on peut dire en tout cas, c’est que plus la
médecine générale d’un pays est développée, plus
le système de santé y est efficient. On pourrait presque résumer
ce constat au ratio du nombre de médecins généralistes et de
spécialistes autres, qui définit l’efficience de l’ensemble du
système de santé. En Suisse, nous avons le double problème
d’une vision trop centrée sur les spécialistes et sur l’hôpital.
La pression augmente en vue d’appliquer le système de DRG
en médecine ambulatoire. Qu’en pensez-vous ?
Mettre un seul nom sur un problème de santé multifactoriel,
ce serait comme forcer à inscrire des ronds dans des carrés. A
l’hôpital, les gens viennent avec un problème médical aigu qui
souvent se résume à un ou deux diagnostics et des prises en
charge très standardisées. En médecine générale, la majorité
des patients arrivent avec plusieurs problèmes de santé à la
fois, souvent sans diagnostic précis. Le but est qu’ils aillent
mieux, pas forcément de réussir à poser un diagnostic précis.
Mais il me semble que l’on est encore relativement loin d’une
application du système DRG en médecine générale en Suisse.
L’inertie de notre système est dans ce cas un avantage. Même
s’il est important que le mode de financement de la médecine
générale évolue, notamment pour mieux prendre en compte
les aspects de prévention et de coordination par exemple, il
faut absolument conserver les avantages du système actuel,
qui valorise le temps plus que l’acte, et permet ainsi des con-
sultations longues avec des approches multidimensionnelles.
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