Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 52–57 Recherche clinique Perception de la douleur chez les enfants autistes (étude prospective de 40 cas) Pain perception in children with autism (prospective study of 40 cases) F. Oueriagli Nabih ∗ , A. Benali , A. Kachouchi , I. Adali , F. Manoudi , F. Asri Service de pédopsychiatrie, équipe de recherche pour la santé mentale, hôpital militaire Avicenne, faculté de médecine et de pharmacie, université Caddi Ayyad, Marrakech, Maroc Résumé Introduction. – Depuis longtemps, on a cru que la personne souffrant d’autisme avait une insensibilité ou une analgésie à la douleur. Or les études récentes montrent plutôt un mode d’expression différent face à la douleur en rapport avec les troubles de la communication, du schéma corporel et de certains troubles cognitifs. L’objectif de notre étude est d’évaluer la réactivité d’un enfant autiste à une stimulation légèrement douloureuse dans une situation standardisée où il est en relation duelle avec un adulte. Matériel et méthode. – Nous avons mené une étude prospective sur 40 enfants autistes suivis au service de pédopsychiatrie à l’hôpital militaire Avicenne Marrakech. Tous les sujets étaient soumis à un pincement au moyen d’une pince à linge camouflée par la paume de la main de l’examinateur. La réactivité à la douleur a été évaluée par la Grille d’Évaluation Douleur – Déficience intellectuelle (GED-DI). Résultats. – Tous les enfants ont réagi à la douleur, 57,5 % présentaient une douleur modérée à sévère et 42,5 % une douleur légère. L’évaluation de l’expression de la douleur selon les items de l’échelle GED-DI a montré que 95 % des enfants ont réagi par des réactions motrices, 90 % ont réagi par des productions vocales et seulement la moitié des enfants (55 %) ont présenté des expressions faciales. L’analyse du type des réactions motrices et vocales n’orientait pas vers la localisation de la douleur chez la quasi-totalité des enfants. Conclusion. – Ces résultats sont en faveur d’une réactivité comportementale à la douleur chez les enfants autistes. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Autisme ; Douleur ; Réactivité ; Réactions motrices ; Réactions sonores ; Expressions faciales Abstract Introduction. – It has long been believed that the person with autism had insensibility or analgesia pain. However, recent studies show a different mode of expression of pain associated with disorders of verbal and nonverbal communication, body schema and some cognitive impairment. The aim of our study was to evaluate the reactivity of an autistic child in a slightly painful stimulation in a standardized situation where there is a dual relationship with an adult. Methods. – We conducted a study, in child and adolescent psychiatry service in Marrakech Avicenne military hospital, on 40 children with autism and mental retardation. The diagnosis of autism was established following a multidisciplinary assessment including placing scale ADIR (Autism Diagnostic Interview Revised) and ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule). Severity of autism was assessed by the scale CARS (Childhood Autism Rating Scale). All subjects were submitted to a pinch with a clothespin camouflaged by the palm of the hand of the examiner. The reactivity to pain was assessed by the NCCPC (Non-Communicating Children’s Pain Checklist). Results. – Data analysis has objectified the following results: the average age of the children was 4.89 ± 1.04 years with a range of 3.5 years and 7 years. We find that 72.5% of children were male, all children have responded to pain, 57.5% had moderate to severe pain and 42.5% had mild pain. The evaluation of pain according to the severity of autism showed no correlation between the intensity of the pain and the severity of autism (P = 0.745). Another evaluation of the expression of pain according to the items of the NCCPC scores showed that 95% of children responded with motor responses, 90% responded with vocal productions, only half of the children (55%) presented facial expressions and 12, 5% of the children ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Oueriagli Nabih). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.04.007 0222-9617/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. F. Oueriagli Nabih et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 52–57 53 showed physiological indices. The analysis of the type of motor and vocal reactions was not moving toward pain in almost all children (removal or protection of the area of the body affected, the precise location of the painful area are almost absent in our sample). Conclusion. – These results are in favor of a different mode of expression of pain in children with autism, the fine and gross motor assessment, voice, facial and physiological responses remains important for better detection of pain in children with autism. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Autism; Pain; Reactivity; Behavior reactions; Facial expression; Sound reactions 1. Introduction L’autisme ou trouble du spectre de l’autisme selon DSMV est un trouble neurodéveloppemental précoce qui se caractérise par des difficultés persistantes sur le plan de la communication et des interactions sociales et par la présence de comportements stéréotypés et intérêts restreints [1]. La prévalence de l’autisme est d’environ 20 enfants sur 10 000 individus [2] et les garçons sont plus touchés que les filles avec un sexe ratio de 5/1 [3]. L’étiopathogénie de l’autisme est multifactorielle avec une composante génétique, neurobiologique, environnementale et neurodéveloppementale. Ce trouble est souvent associé à d’autres anomalies : retard mental, épilepsie, troubles moteurs, troubles gastro-intestinaux et des troubles de conduite (automutilation) pouvant être source de douleur [4] ; mais aussi comme tout autre enfant, les enfants autistes doivent subir des soins médicaux désagréables et faire face à des accidents de la vie courante à l’origine de sensations douloureuses. Depuis longtemps, on a cru que la personne souffrant d’autisme avait une insensibilité ou une analgésie à la douleur [5,6]. Or les études récentes montrent plutôt un mode d’expression différent face à la douleur [7–10]. Considérant les déficits présents dans l’autisme (trouble de la communication verbale, des interactions sociales, troubles cognitifs, troubles émotionnels), il pourrait y avoir une altération dans l’une ou l’autre de ces sphères ou encore dans l’ensemble de paramètres contribuant à l’altération apparente de la douleur dans la maladie [11,12]. L’hypothèse d’une insensibilité à la douleur est née, d’une part, de l’observation, chez certains enfants, de comportements particuliers en réaction à cette sensation tel l’absence du réflexe nociceptif, une absence de protection de zones cutanées ou absence de position antalgique [7,13], et d’autre part, du fait que les enfants autistes présentent souvent des comportements d’automutilation [14], avec une prévalence de blessures qui est environ deux fois plus élevée [10,15]. L’apparente hypoalgésie dans l’autisme a souvent été reliée à une augmentation de l’activité centrale des bêta-endorphines [10], hypothèse déjà formulée en 1979 par Panksepp [16], sur la base d’expérimentations réalisées auprès d’animaux de laboratoire. Selon lui, certains troubles autistiques, tels que le manque de réactivité, l’absence de partage de la sensation et la présence de comportements restreints et stéréotypés, seraient attribuables à un excédent d’opioïdes endogènes, parmi lesquels les endorphines. Ces dernières agissent notamment sur la sensibilité à la douleur et ont une action centrale analgésique. Par la suite, à partir des années 1985, une série d’essais thérapeutiques a été effectuée au moyen de traitements ayant un effet antagoniste aux opioïdes (traitement par le naloxone, le naltrexone) qui ont montré une diminution des symptômes autistiques (comportements d’automutilation, retrait autistique, stéréotypies, hyperactivité) chez des enfants avec autisme ayant reçu un de ces traitements par rapport à des enfants ayant reçu un placebo [14,17–19] renforçant ainsi l’hypothèse d’une augmentation de l’activité des bêta-endorphines dans l’autisme. Néanmoins, la dérégulation du système opioïde n’a jamais fait consensus parmi les travaux. En effet, des chercheurs ont montré des taux d’opioïdes équivalents [20] voire inférieurs [21] à ceux des enfants de groupes témoin. D’autres chercheurs, Tordjman et al. [22] ont montré un taux d’endorphine (en l’occurrence la -endorphine) plus élevés dans le sang et le liquide céphalorachidien des enfants avec autisme que dans celui des enfants de groupes témoins, mais selon ces auteurs cette augmentation des bêta-endorphines n’est pas corrélée à la qualité de la réactivité à la douleur. En plus, il faut ajouter que les résultats des bêta-endorphines périphériques sont difficilement interprétables en regard de l’activité centrale des opioïdes ainsi que de la réactivité à la douleur puisque les bêta-endorphines circulants ne passent pas la barrière hémato-encéphalique [10]. Cette dernière étude, dont les moyens techniques sont plus élaborés et fiables que ceux utilisés dans les années 1980–1990, vient donc remettre en question la théorie de l’analgésie à la douleur dans l’autisme élaborée par Panksepp. La question de la réactivité à la douleur dans l’autisme est aussi loin de faire l’unanimité parmi les chercheurs. En effet, dès le début des travaux de recherche, des controverses sont apparues entre les études. Certaines ont pu montrer la présence de modalités expressives particulières, d’autres, l’absence de réaction face à une douleur ou, à l’inverse, des expressions exacerbées. L’ensemble des travaux s’accorde néanmoins sur le fait que l’expression de la douleur chez les enfants avec autisme est altérée et caractérisée par la présence de particularités expressives. L’objectif de cette étude est d’évaluer la réactivité d’un enfant autiste à une stimulation légèrement douloureuse dans une situation standardisée où il est en relation duelle avec un adulte. 2. Matériels et méthode Nous avons mené une étude transversale à visée descriptive sur 40 enfants ayant reçu le diagnostic d’autisme avec retard mental (quotient intellectuel < 70) suivis au service de psychiatrie d’enfants et d’adolescents à l’hôpital militaire Avicenne Marrakech. L’étude a eu lieu de janvier 2013 à janvier 2014. Le diagnostic de l’autisme a été établi suite à une évaluation pluridisciplinaire incluant la passation de l’échelle ADIR 54 F. Oueriagli Nabih et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 52–57 (Autism Diagnostic Interview Revised) et l’échelle ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule). La sévérité de l’autisme a été évaluée par l’échelle CARS (Childhood Autism Rating Scale). L’évaluation du profil cognitif a été réalisée à l’aide d’instruments psychométriques classiquement utilisés chez l’enfant et adaptés au niveau psychologique et à l’âge de l’enfant : la batterie de Kaufman pour l’examen psychologique de l’enfant (K-ABC) et l’échelle d’intelligence de Wechsler pour la période préscolaire et primaire, forme révisée (WPPSI III). On a inclus des enfants autistes âgés de 3 ans à 7 ans et ayant un retard mental (QI < 70). Un enfant présentant une trisomie 21 associé au trouble autistique a été exclu de l’étude. Tous les enfants étaient soumis à une stimulation légèrement douloureuse après avoir obtenu le consentement écrit des parents d’enfants autistes. Un pincement a été effectué au moyen d’une pince à linge camouflée par la paume de la main de l’examinateur sur le dos de la main droite de l’enfant éveillé pendant 5 secondes. La stimulation a été réalisée par une personne adulte inconnue par l’enfant et ne faisant pas partie de l’équipe soignante qui prend en charge l’enfant autiste. La même personne a effectué la stimulation sur tous les enfants inclus dans l’étude. L’expérience a été réalisée dans une pièce connue par l’enfant. Le temps d’observation de la réaction était jusqu’à 5 minutes après la stimulation. L’évaluation de la réactivité à la douleur a été faite à l’aide de la grille d’évaluation douleur – déficience intellectuelle (GEDDI) [23] qui correspond à la version française de l’échelle Non-Communicating Children’s Pain Checklist-Postoperative version (NCCPC). 3. Résultats L’âge moyen des enfants était de 4,89 ± 1,04 ans avec des extrêmes de 3,5 ans et 7 ans. La tranche d’âge la plus touchée est celle comprise entre 3 ans et 5 ans avec un pourcentage de 65 % des cas. On observe que 72,5 % des enfants étaient de sexe masculin et 75 % des enfants étaient d’origine urbaine. Pour les antécédents personnels : 32,5 % des enfants présentaient à la naissance une souffrance néonatale, 45 % des crises d’épilepsie, 28 % des troubles de sommeil et 5 % présentaient une pathologie génétique. Vingt-huit pour cent des enfants présentaient des conduites auto-agressives et 17,5 % des enfants des conduites hétéro-agressives. Un antécédent familial d’un TSA était noté chez un seul enfant. Des antécédents familiaux de trouble de l’humeur et de schizophrénie étaient retrouvés respectivement dans 27,5 % et 10 % des cas. Selon l’échelle CARS, 67,5 % des enfants présentaient un autisme d’intensité légère à modérée et 32,5 % un autisme d’intensité sévère. L’évaluation de la douleur chez les enfants par l’échelle GED-DI a montré que 57,5 % des enfants présentaient après la stimulation nociceptive une douleur modérée à sévère et 42,5 % des enfants présentaient une douleur légère. L’évaluation de la douleur en fonction de la sévérité de l’autisme n’a pas montré de corrélation entre l’intensité de la douleur et la sévérité de l’autisme (p = 0,745 ; la différence est statistiquement non significative : p > 0,5) (Fig. 1). L’expression de la douleur selon les items de l’échelle GED-DI a montré que 95 % des enfants Fig. 1. Évaluation de la douleur chez les enfants en fonction de la sévérité de l’autisme (p = 0,745 ; la différence est statistiquement non significative : p > 0,5). ont réagi au pincement par des réactions motrices, 90 % ont réagi par des productions vocales, la moitié des enfants (55 %) ont présenté des expressions faciales et 12,5 % ont présenté des indices physiologiques (Fig. 2). L’analyse des items des réponses motrices a objectivé que 62,5 % avaient présenté une rigidité motrice et 27,5 % ne bougeaient pas après la stimulation douloureuse (Fig. 3). L’évaluation des items des réponses vocales a objectivé que 85 % criaient et 77,5 % émettaient un son après la stimulation douloureuse (Fig. 4). Concernant les mimiques faciales, 47,5 % des enfants présentaient un froncement des sourcils (Fig. 5). L’analyse des indices physiologiques a objectivé que 12,5 % des enfants avaient des larmes visibles après la stimulation douloureuse (Fig. 6). 4. Discussion Actuellement la classification DSM V inclut l’hypo- ou l’hyperréactivité à des stimuli sensoriels ou intérêts inhabituels envers des éléments sensoriels de l’environnement (exemple : indifférence apparente à la douleur. . .) parmi les caractéristiques du trouble du spectre de l’autisme (TSA) [1]. Depuis les années 1999, plusieurs travaux de recherche évaluant les modalités expressives des enfants autistes face à la douleur ont été publiés. Certains ont montré une hyperréactivité [24,25]. D’autres une hypo-réactivité à la douleur chez les enfants autistes en les comparant à des sujets témoins [26–28]. C’est l’exemple de l’étude de Militerni et al. [26] qui a comparé la réactivité à la douleur d’un groupe d’enfants autistes et d’un groupe d’enfants témoins en utilisant des entretiens auprès des parents. Cette étude a objectivé que presque la moitié des enfants autistes ont une réactivité faible ou très faible contre seulement 9 % dans Fig. 2. Expression de la douleur selon les domaines de l’échelle GED-DI. F. Oueriagli Nabih et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 52–57 55 Fig. 3. Expression de la douleur selon les items du tonus/réactivité. Fig. 4. Expression de la douleur selon les items des productions vocales. le groupe témoin. Néanmoins, les indicateurs (témoignage des parents) retenus dans cette étude manquent de précision (réactivité normale, faible, très faible). Gilbert-MacLeod et al. [27] ont confirmé, lors d’une étude sur des enfants porteurs d’un retard de développement (comprenant des enfants avec autisme), la présence de réactions moins marquées et intenses face à la douleur. Ce sont les premiers auteurs à considérer l’absence de réaction comportementale comme un mode d’expression de la douleur. Cependant, l’hétérogénéité de leur population (retard mental, dysphasies, autisme) rend les résultats difficilement interprétables. D’autres études ont objectivé une hypo- et hyperréactivité [22,29,30]. Tordjman et al. [22] ont étudié la réactivité à la douleur auprès d’un groupe d’enfants avec autisme comparé à un groupe d’enfants témoins, les auteurs décrivent les réactions des enfants lors de différentes situations douloureuses d’après la Fig. 5. Expression de la douleur selon les items des mimiques faciales. mesure du rythme cardiaque ainsi que du taux d’endorphine (la -endorphine) ainsi que la réactivité comportementale au moyen de la PL-BPRS (Pre-Linguistic Behavioral Pain Reactivity Scale). Cette échelle permet de coter la réactivité à la douleur sur une échelle de cinq classes (réactions paradoxales, absence de réactivité, diminution de la réactivité, réactivité normale et hyperréactivité à la douleur). Les résultats montrent tout d’abord une réactivité comportementale à la douleur réduite chez les enfants avec autisme, que ce soit à domicile (réactions évaluées par les parents), en institution (réactions évaluées par deux personnes en charge de l’enfant) ou durant une ponction veineuse (réactions évaluées par un infirmier et un pédopsychiatre). Les mêmes auteurs rapportent que cette hypo-réactivité n’est pas constante puisque certains enfants ont présenté une hyperréactivité tel des troubles du comportement (automutilation, comportements stéréotypés, conduites agressives envers autrui et retrait autistique) immédiatement après une expérience de douloureuse. Par ailleurs, l’hypo-réactivité notée dans cette étude peut s’expliquer par le choix de l’échelle PL-BPRS qui, se fondant sur une description globale des réactions de l’enfant, fait appel à la subjectivité de l’observateur et ne permet probablement pas de mettre en évidence des modes de réaction à la douleur moins habituels ou plus idiosyncrasiques. Dans notre étude, la majorité des enfants autistes (57,5 %) ont présenté une douleur modérée à sévère selon l’échelle GEDDI après un pincement légèrement douloureux sur le dos de la Fig. 6. Expression de la douleur selon les items des indices physiologiques. 56 F. Oueriagli Nabih et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 52–57 main. Ce résultat ne peut pas être interprété dans le sens d’une hyperréactivité à la douleur parce que, d’une part, la douleur provoquée par le pincement du dos de la main par une pince à linge reste d’intensité variable et les scores obtenus d’une douleur modérée à sévère selon l’échelle GED-DI chez plus de la moitié des enfants ne signifie pas forcément une réactivité augmentée à la stimulation douloureuse, d’autre part, on n’a pas comparé cette réaction à celle d’enfants témoins (on n’a pas utilisé un groupe témoin vu les difficultés de recrutement d’un groupe témoin apparié avec le groupe d’enfants autistes selon le genre et l’âge de développement et vu les difficultés qu’on a eu pour avoir le consentement des parents d’enfants sans TSA). La réactivité à la douleur chez les enfants autistes n’est pas influencée par la sévérité de l’autisme. Militerni et al. [26] ont mis en évidence l’absence de corrélation entre la sévérité de l’autisme selon la CARS, l’âge développemental et la réactivité à la douleur. Tordjman et al. [22] ont objectivé un lien significatif entre la sévérité de l’autisme, le QI et le taux ß-endorphine, mais concernant précisément la douleur, les auteurs concluent à une absence de relation entre le taux de ß-endorphine et la qualité de la réactivité envers la douleur quelle que soit la situation d’observation (à domicile ou lors d’une ponction veineuse). Nos résultats rejoignent les données de la littérature puisqu’on a objectivé l’absence de lien significatif entre la sévérité de l’autisme et la réactivité à la douleur. Concernant le mode d’expression de la douleur chez les enfants autistes, l’ensemble des travaux s’accordent sur le fait que l’expression de la douleur chez les enfants avec autisme est altérée et caractérisée par la présence de particularités expressives [7]. Dans notre étude, la majorité des enfants ont réagi par des réactions motrices et sonores alors que les réactions faciales n’ont été retrouvées que chez la moitié des enfants. Le fait d’exprimer d’avantage des réactions motrices et vocales que des expressions faciales a été aussi retrouvé dans l’étude de Pernon et Rattaz [31] qui a utilisé la même stimulation douloureuse (pince à linge sur le dos de la main) que dans notre étude. Les mêmes auteurs ont objectivé que les mouvements et les productions sonores essentiellement les cris sont plus nombreux dans le groupe des enfants autistes par rapport aux sujets témoins suite à un pincement douloureux ou non douloureux. L’étude de Rattaz et al. [32] a avancé des résultats dans le même sens. Les auteurs ont évalué la réactivité à la douleur durant une ponction veineuse chez des enfants autistes en les comparant à un groupe d’enfants ayant une déficience intellectuelle et groupe d’enfants témoins. La réactivité faciale a été évaluée par l’échelle CFCS (Child Facial Coding System) et la réactivité comportementale a été évaluée par la même échelle que nous avons utilisée GEDDI. Selon ces auteurs, d’une manière quantitative, il n’a pas de différence entre les différents groupes concernant les expressions faciales, comportementales et physiologiques. Cependant, les réactions comportementales sont plus nombreuses chez les enfants avec autisme après la ponction veineuse. D’autres études viennent nuancer ces observations. Nader et al. [9] ont en effet observé les réactions faciales d’enfants avec autisme lors d’une ponction veineuse comparées à celles d’enfants témoins et concluent à une augmentation des mimiques faciales plus importante chez les enfants autistes que chez les enfants témoins durant le stimulus douloureux. Messmer et al. [8] ont publié une étude qui montre que les mimiques faciales exprimées par des enfants avec autisme lors d’une sensation douloureuse (ponction veineuse) sont un bon indicateur pour estimer l’intensité de la douleur. Les résultats montrent aussi que ces enfants sont capables de communiquer de manière spécifique leur expérience douloureuse par l’expression faciale. Dans notre étude, même si les réactions comportementales et vocales sont importantes et présentes chez la majorité des enfants autistes, les types de comportement observés n’orientent pas vers la présence d’une douleur : le retrait ou la protection de la zone du corps touchée, la localisation précise de la zone douloureuse sont presque absents dans notre échantillon. Il est de même pour les productions vocales (cris, émission d’un son particulier) qui restent vagues et sans lien précis avec la douleur. Nos résultats rejoignent la plupart des études surtout celle de Tordjman et al. [22] qui notent la présence de plus de conduites auto- et hétéroagressives et de retrait autistique chez les enfants autistes en réaction à une ponction veineuse ainsi que des plaintes verbales (cris) sans localisation précise de la zone douloureuse. Enfin, la plupart des travaux de recherche [22,32] montrent la présence de réponses neurovégétatives anormalement élevées (tachycardie, augmentation de taux de la noradrénaline) chez les enfants autistes après une stimulation douloureuse. Dan notre étude, des indices physiologiques selon l’échelle GED-DI ont été retrouvés dans 12,5 % des cas. 5. Conclusion L’hétérogénéité des résultats des différents travaux de recherche laisse supposer qu’il existe une grande variabilité interindividuelle concernant les modalités d’expression de la douleur chez l’enfant autiste et peut être expliqué par le manque d’homogénéité dans les méthodes de travail et les outils utilisés. Nos résultats montrent que les enfants autistes réagissent à la douleur par des réactions motrices, sonores et faciales. L’évaluation fine et globale de l’ensemble de ces réponses reste importante pour une meilleure détection de la douleur chez l’enfant autiste. À l’avenir, il sera intéressant de mettre au point des outils adaptés aux enfants autistes en prenant en compte les spécificités de l’expression de la douleur dans cette population. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Diagnostic and statistical manual of mental disorders. 5th ed. Washington, DC: American Psychiatric Association; 2013 http://www.worldcat. org/oclc/830807378 [2] Fombonne E. Epidemiology of pervasive developmental disorder. Pediatr Res 2009;65(6):591–8. [3] Fombonne E. Epidemiological surveys of autism and other pervasive development disorders: an update. J Autism Dev Disord 2003;33(4):365–81. [4] Gillberg C, Coleman M. 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