Santé somatique en psychiatrie : une priorité

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La MNH prend soin de vous
© Stocklib – Chris Willemsen.
Santé somatique en
psychiatrie : une priorité
La prise en charge
somatique des personnes
souffrant de troubles
psychiques rencontre
de multiples obstacles,
liés à la maladie mentale et
à des résistances plus ou moins
conscientes des soignants.
Constat et analyse.
Par Djéa Saravane,
Psychiatre, Président de l’Association nationale
pour la promotion des soins somatiques
en santé mentale.
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SANTÉ MENTALE
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FÉVRIER 2014
Pour comprendre pourquoi on accorde si
peu d’attention à la santé physique des
patients atteints de pathologie mentale, il
faut faire un détour par l’histoire.
Au début du XXe siècle, les asiles sont encore
relégués loin des villes. En 1960, les soins
s’organisent autour d’une sectorisation géographique originale : le « secteur psychiatrique », qui met un terme à l’exclusion géographique des patients souffrant de troubles
psychiques. Pour autant, l’initiative des soins
somatiques incombe à l’équipe psychiatrique, la prise en charge étant assurée par
des internes, au lit du malade, conjointement à l’abord psychiatrique (1). Il faudra
attendre les années 1980 pour voir apparaître, toujours dans le même contexte, des
unités ou service de médecine dans les établissements psychiatriques. La prise en charge
des maladies somatiques reste ainsi le fait des
équipes psychiatriques, qui pourtant priorisent
les soins psychiques. Tout se passe comme
si le psychiatre maintenait à distance le
corps du patient pour mieux rester à l’écoute
de sa parole.
Par ailleurs, il n’existe ni norme ni standard
pour l’organisation de tels soins en santé
mentale. Chaque établissement décide donc
des moyens matériels et humains qu’il juge
nécessaires, ce qui génère une grande diversité. Néanmoins, sous la pression des associations d’usagers et grâce à la mobilisation des psychiatres et des généralistes
menée par l’Association nationale pour la promotion des soins somatiques en santé mentale (2), des progrès récents sont apparus.
La reconnaissance d’une nécessaire prise
en charge somatique est ainsi aujourd’hui
affirmée dans le Plan santé mentale 20112015 (3) et l’examen somatique lors d’une
admission en soins sans consentement rendu
obligatoire par la loi du 5 juillet 2011 (4).
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Fiche réalisée en partenariat avec la
Il s’agit d’affirmer la prise en charge globale
du patient. Mais il est parfois bien difficile
de faire évoluer les mentalités !
Surmortalité et comorbidité
des patients en psychiatrie
Des idées fausses, l’ignorance, le refus de la
réalité, ou le mépris des personnes malades,
ont donc longtemps « empêché » les soins
du corps en psychiatrie. On a par exemple
longtemps pensé que les malades mentaux
“
– Ils vivent souvent dans un environnement
défavorable et des conditions socio-économiques précaires.
– Ils présentent des conduites addictives : prévalence d’abus et de dépendance à l’alcool,
aux drogues. Le tabagisme est aussi plus fréquent qu’en population générale.
– Ils sont fréquemment en surcharge pondérale.
Leurs choix alimentaires portent en effet
sur des aliments à forte densité énergétique (glucides, lipides) et pauvres en micro-
pronostic vital (infarctus du myocarde par
exemple).
– La stigmatisation de ces patients par les soignants reste forte. Un patient schizophrène
qui arrive aux urgences, même adressé par
un psychiatre, sera souvent insuffisamment
pris en charge et des examens nécessaires
ne seront pas toujours effectués. Sur ce
registre, les préjugés des soignants sur leur
moindre compliance à des traitements agressifs persistent. Par exemple, décrocher un
Il ne faut jamais perdre de vue que l’objet des soins, psychiatriques et somatiques, reste
le patient avec ses affects, son corps, son histoire et sa souffrance. »
étaient « protégés » du cancer ou insensibles
à la douleur… Or, la réalité est tout autre,
comme le montrent de nombreuses études.
Le taux de mortalité (toutes causes confondues) est ainsi 4,5 fois plus élevé que pour
la population générale. Sans compter les
suicides et les morts violentes, un patient
schizophrène a une espérance de vie diminuée de dix à vingt-cinq ans par rapport à
la population générale (5, 6, 7, 8). Une métaanalyse de 18 études sur les causes de décès
des patients atteints de pathologie mentale
montre que les maladies cardiovasculaires
(combinaison d’accidents vasculaires cérébraux, d’insuffisance coronarienne et pathologie vasculaire) sont les premières causes
de décès chez les patients schizophrènes (7).
D’autres études ont également mis en évidence des anomalies métaboliques telles que
le diabète, les troubles lipidiques qui tendent à favoriser ces maladies cardiovasculaires. On retrouve également cette surmortalité dans les troubles bipolaires : une
revue de la littérature fait état d’une prévalence plus importante de démences, d’affections hépatiques, de neuropathies, de
dysfonctions sexuelles et de problèmes
dentaires (9).
Tous ces paramètres, globalement sousévalués, péjorent ainsi le pronostic pour ces
deux pathologies, rendent plus complexe la
prise en charge thérapeutique et représentent une source notable de surcoûts.
Une population à risque
L’augmentation de la mortalité et de la
morbidité a de multiples causes, dont certaines liées à la maladie elle-même. En
effet, les personnes souffrant de schizophrénie présentent des troubles cognitifs
qui les empêchent de percevoir correctement leur état de santé, d’évaluer leurs
besoins ou les priorités. On note chez ces
patients plusieurs facteurs de risque :
nutriments (fibres, vitamines). Par ailleurs,
l’utilisation importante de sel favorise l’hypertension artérielle. Ce régime favorise la
prise de poids et les anomalies lipidiques.
– Ils font peu d’exercice physique.
– Enfin, les effets secondaires des psychotropes
influencent et/ou aggravent certains facteurs : obésité, anomalies métaboliques.
L’accès aux soins
Davantage exposés à certains facteurs de
risque, les patients souffrants de pathologies psychiatriques rencontrent en plus des
difficultés d’accès aux soins.
– Du fait des troubles cognitifs liés à leur
maladie, de leur discordance, de leur repli sur
soi, de leur symptomatologie délirante, ces
patients éprouvent parfois des difficultés à
prendre soin d’eux. À cela s’ajoute un déficit
motivationnel pour mettre en place une
bonne hygiène de vie. Pour ces malades, se
rendre à une consultation, sortir de chez soi,
se débrouiller dans les transports, « supporter » la salle d’attente d’un médecin reste
des situations compliquées. Le simple suivi
régulier fait souvent défaut, par absence de
médecin généraliste référent. Ces patients ont
en effet du mal à expliquer leurs symptômes
au médecin qui a donc des difficultés à établir un diagnostic. Le praticien doit donc
leur consacrer plus de temps, tenir compte
de leur anxiété ou de leurs difficultés de
compréhension aggravées par de fréquents
troubles de la mémorisation : « Qu’a dit le
médecin ? Qu’est-ce qui est vraiment prioritaire dans mon traitement ? »
– On constate souvent par ailleurs un défaut
d’identification des symptômes. Ces patients présentent ainsi une grande tolérance à la douleur : des travaux récents montrent que dans
cette population le seuil de douleur est plus
bas et la perception au niveau cortical est altérée. Certaines pathologies peuvent de ce
fait passer inaperçues et mettre en jeu le
rendez-vous pour réaliser une coronarographie sur un patient psychotique présentant
une maladie coronarienne est extrêmement
difficile, on anticipe par ailleurs que la pose
d’un stent est impossible car elle nécessite
un traitement anticoagulant que le patient
ne pourra pas suivre…
– Une intégration sociale souvent parcellaire réduit
par ailleurs l’accès aux programmes de prévention et de dépistage.
Ces facteurs combinés, aux effets parfois
démultipliés, contribuent à des prises en
charge retardées et/ou minimales qui constituent une perte de chance pour ces patients.
En conclusion
Même si des progrès récents apparaissent,
il reste donc beaucoup à faire pour que ces
patients bénéficient de soins somatiques
adaptés. Rendre plus accessible les campagnes de prévention et de dépistage, lutter contre les facteurs de risque, procéder
à des suivis somatiques et biologiques systématiques, l’objectif est aujourd’hui de
permettre à ces patients de bénéficier des
mêmes stratégies de soins que celles proposées à l’ensemble de la population.
1– Le corps, ce méconnu. M. Guillard. In : Pluriels, n° 44-45, mai-juin 2004.
2 – En savoir plus sur anp3sm.com.
3 – Plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015. Ministère chargé de la Santé.
Ministère chargé des Solidarités. 13-19-29.
4 – Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes
faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
5 – Newman SC, Bland RC. Mortality in a cohort of patients with schizophrenia : a
record linkage study. Can J Psychiatry 1991 : 36 (4); 239-245
6– Osby U, Correia N, Brandt L, Ekbom A, Sparen P. Mortality and causes of death in
schizophrenia in Stockholm County, Sweden Schizophr Res 2000; 45 : 21-28
7– Brown S. Excess mortality of schizophrenia : a meta-analysis. Brit J Psychiatry
1997; 171 : 502-505
8 – Saravane D. Dyslipidaemia and Mental Illness. Ed Intech 2012; 349-366.
9– De Hert M, Correll CU, Cohen D et al, Physical illness in patients with severe mental
disorders. I . Prevalence, impact of medications and disparities in health care. World
Psychiatry 2011 ;10 :52-77.
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