Marie-Anne DUJARIER en convient : la théorie sociologique de la régulation, a bien montré
l’importance de la « régulation autonome », des arrangements et renormalisations locales. Ils
sont précisément le moment de l’activité telle que définie précédemment. Mais elle observe
que les conditions sociales à cette régulation sont aujourd’hui fragiles, notamment du fait de
l’accroissement continu du chômage de masse qui instaure un rapport social pesant. Mais les
marges de manœuvre sont aussi dépendantes des interactions et relations. Or une forte
individualisation (des emplois, parcours, formations, tâches, horaires, primes …) et la mise en
concurrence entre travailleurs comme l’intensification des contrôles, fragilisent les conditions
de formation d’un acteur collectif. Il arrive souvent que le rapport de force amène à « prendre
sur soi » plutôt qu’à produire de nouveaux arrangements vivables avec les autres employés.
La difficulté de produire une régulation autonome est l’un des principaux facteurs de
dégradation de l’activité et donc d’accroissement des « Risques psychosociaux » aujourd’hui.
Marie-Anne DUJARIER revient sur l’ambigüité du terme risque. Il peut être compris de deux
manières. Il peut, dans un premier sens, concerner la santé des salariés. Mais le terme « RPS »
peut être entendu autrement. Il peut également désigner le risque pénal, financier et
commercial pour l’employeur. Vu de ce coté-ci de la relation salariale, le mot « risque »,
signifie que l’employeur pourrait être taxé (moralement et financièrement) de n’avoir pas
mené des actions préventives suffisantes. Le risque, pour lui, est surtout de se voir accuser
(justement ou non) par un juge, les médias ou les consommateurs de symptômes visibles, tels
que, par exemple, un fort taux de suicides ou de maladies dans l’entreprise. Les employeurs et
leurs représentants (cadres supérieurs salariés) se voient donc incités à se « couvrir » en
montrant qu’ils prennent des mesures concrètes contre ces risques. Ils deviennent alors
acheteurs de solutions leur permettant de réduire les coûts économiques des « risques
psychosociaux ». Toute une série de nouveaux « experts » (autoproclamés) des RPS vont
s’empresser de leur fournir ces moyens, sous forme de méthodes, formations, communication,
certifications, audits, notations, assurances, etc. Marie-Anne DUJARIER établit une
comparaison avec les phénomènes qu’elle a étudiés dans son livre L’idéal au travail (PUF,
2006) à propos des procédures dites de « Qualité ». La « qualité vitrine » et la « qualité
réelle » peuvent diverger considérablement et mener à ce qu’une entreprise couverte de labels
de qualité et de certifications, produise malgré tout des processus et des produits jugés
défaillants par d’autres évaluateurs (la direction, les travailleurs eux-mêmes, les
consommateurs, …). Bien des salariés aujourd’hui sont obligés de « se couvrir » en laissant
des traces d’une activité conforme, et ce même s’ils jugent, au même moment, qu’ils font un
travail de mauvaise qualité. L’obligation de moyens sur les RPS peut mener au même
phénomène de simulation gestionnaire et de dissimulation du réel. Nous assistons donc à la
construction sociale d’un marché où les offres de conseil, de mesure, d’audit, de certification,
notation, …rencontrent les demandes des employeurs incités à se « couvrir » contre ce
nouveau risque légal. Devenu un produit sur un marché et donc un enjeu de développement
commercial, il est logique que les RPS augmentent.
Dans ce contexte, au moment de bâtir des enquêtes statistiques, une question essentielle à se
poser serait celle de savoir à l’attention de quels acteurs sociaux elles sont produites et dans
quel but. En outre, il serait intéressant, si cela est possible, de mesurer la part des RPS qui
sont liés de leur marchandisation, indépendamment de l’évolution des conditions de travail
elles-mêmes.
Il pourrait être intéressant de mesurer une éventuelle corrélation entre niveau de concurrence
entre travailleurs et la santé au travail. Si l’on confirme statistiquement ce que les cliniciens
observent, à savoir que la concurrence entre les salariés dégrade leur santé, alors nous aurions