Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Très singulière, la destinée des enfants de parents malades mentaux (surtout psychotiques) connaît des
développements très divers. Ainsi, le père fondateur de la « psychologie analytique », Carl Gustav Jung (1875-1961) a
lui-même souffert d'une enfance difficile auprès d'une mère folle qui se disputait avec son père tout en faisant tourner
les tables. Sujet à des syncopes, il était hanté par la vision qu'il avait eue en rêve d'un Dieu déversant ses excréments
sur le sommet d'une cathédrale. Il dit un jour à Freud qu'ayant été victime enfant d'une agression sexuelle - un prête
sans doute - il en avait conçu un dégoût des amitiés masculines. Sans renoncer ni au spiritisme ni à l'occultisme, Jung
exerça à la clinique du Burghölzli de Zurich, sous la houlette d'Eugen Bleuler, inventeur des notions de schizophrénie
et d'autisme. Dauphin de Freud de 1906 à 1913, il fut alors l'artisan d'une ouverture de la psychanalyse à la clinique
de la folie, terre promise rêvée par Freud.
Dans une famille chaotique, perturbée ou enchevêtrée, les transactions psychopathologiques « contaminent » le
développement et le fonctionnement psychiques de l'enfant. Au plan clinique, la notion de « délire à deux » est
souvent décrite dans la littérature psychiatrique pour comprendre les mécanismes sous-jacents aux transactions
intrafamiliales d'allure psychotique. Dans l'histoire de la psychiatrie, les premiers aliénistes français envisagent « la
folie à deux » (personnages) comme la résultante d'une « aliénation familiale », d'un « mythe » ou d'un « délire familial
». Transposé par les systémiciens, ce concept nous permet aujourd'hui de mieux appréhender une certaine réalité du
vécu de ces enfants et des transactions particulières qu'ils subissent.
Lorsqu'un enfant mineur doit faire face à la maladie d'un parent, les rôles s'inversent ou se transforment. Vivre avec
un parent malade mental (ou des parents malades mentaux) est loin d'être une sinécure pour l'enfant. De manière
souvent précoce, ce dernier s'interroge sur le normal et le pathologique. C'est souvent avec beaucoup d'anxiété (et
donc de manière très problématique) que l'enfant s'identifie à son parent malade et essaye de le comprendre. Aux
côtés d'un parent psychotique qui souffre de crises paranoïaques ou de dépression grave, certains enfants vivent un
véritable enfer ou subissent des mauvais traitements physiques et/ou psychologiques. D'autres remplissent un
véritable rôle thérapeutique ou contra-phobique, jusqu'à diminuer les angoisses qui envahissent le psychisme de leur
parent. Autrement dit, ils prennent sur eux. Quelques-uns se « parentifient » et deviennent le relais social avec
l'extérieur. Selon les vicissitudes de l'existence et la nature des transactions intrafamiliales, des enfants
décompensent et « portent » à leur tour la maladie de leur parent. Dans certains contextes plus psychopathologiques
où les transactions intrafamiliales sont très perturbées, voire chaotiques, perverses et/ou délirantes, l'enfant peut
devenir « patient désigné » et/ou « malade » par procuration.
L'enfant ne participe pas toujours aux délires de persécution ou aux « bizarreries » de son parent malade. Il peut être
vecteur de réalité pour un parent qui justement ne trouve plus ses repères et se sent coupé du réel. Dans de
nombreuses situations et presqu'à l'insu de son plein gré, le « protégé » devient aussi « protecteur », « thérapeute »
ou « aidant ». L'enfant ou l'adolescent doit alors prendre des responsabilités qui ne sont pas de son âge, dans un
contexte psychologique particulier.
Combien d'enfants doivent endosser des responsabilités matérielles et psychologiques importantes du fait de la
maladie d'un proche ? Cette question, largement débattue dans les pays anglo-saxons, ne semble pas avoir fait l'objet
d'études approfondies en Belgique ou en France. Nul doute pourtant que l'augmentation du nombre de familles
monoparentales et la réduction des durées d'hospitalisations (même psychiatriques) accentuent encore ce
phénomène. Les dispositifs d'aide sont insuffisamment développés ou n'existent pas.
Si les bonnes volontés ne manquent pas, ni les réseaux d'aide aux familles, aucun organisme ne fédère ni ne
renseigne sur les initiatives capables d'aider les enfants chargés de responsabilités de soutien de leur proche. Les
associations sont plus tournées vers l'aide aux parents d'un enfant malade, que vers les enfants d'un parent malade.
Quelques initiatives existent. En Belgique, certains Centres de santé mentale ont tenté de créer des groupes de
parole pour enfants de parent malade mental, mais les pouvoirs publics n'ont pas suivi l'idée.
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